Guide manuel de l’ouvrier relieur/3

La bibliothèque libre.
Librairie polytechnique Ch. Béranger (p. 38-49).

CHAPITRE III

Matières premières employées pour la reliure


Outre les peaux de tous genres préparées pour la reliure, on emploie également pour la couverture du livre : le velours de diverses qualités, la soie, le satin, les toiles de lin et de chanvre et surtout les percalines unies et gaufrées en toutes nuances, que l’on désigne sous le nom de toiles françaises ou anglaises. On se sert aussi d’or en feuilles de diverses qualités tant pour la dorure des tranches que pour la couverture, il en est de même du platine. Le cuivre et l’aluminium en feuilles s’emploient pour empreindre des ornements sur des couvertures communes ; un certain nombre de couleurs, teintures et vernis, sont également employés pour la reliure.

PEAUX

Les anciennes reliures étaient pour la plupart couvertes en veau naturel, que le relieur teignait ensuite lui-même, en couleur brune de différentes nuances, rarement en noir, à cause de l’action plus ou moins mordante de cette teinture (Voir le chapitre Teinture des peaux.) Ces peaux, dont un tannage consciencieux assurait la solidité, ont été considérées comme étant les plus solides et les plus propres à la conservation des reliures. Le tannage aux acides, tel qu’on le pratique de nos jours, a profondément modifié cet état de choses. On trouve des peaux de veaux admirablement fabriquées et teintes en toutes nuances, mais on ne s’en sert que pour les travaux de luxe, que l’on conserve dans des étuis ; les demi-reliures en veau fauve avec étiquettes en couleur font très bon effet dans une bibliothèque, mais on ne s’en sert plus pour des reliures usuelles.

Les anciens couvraient également les livres en peaux de truie ; elles étaient, comme le veau, d’un emploi excellent et d’une grande solidité ; on les emploie naturelles. Ces peaux se prêtent mal à la teinture, qui, du reste, leur enlèverait leur cachet et leur fraîcheur. On s’en sert encore pour imiter les anciennes reliures et surtout pour la sellerie de luxe.

Après le veau et la peau de truie, les anciens employaient surtout le parchemin, ou plutôt le vélin, dont ils tiraient le meilleur parti, et avec lequel on faisait non seulement d’admirables reliures d’art, mais aussi une énorme quantité de reliures usuelles. Le vélin, tel qu’il se fabrique de nos jours, n’est pas très favorable à la reliure. Les anciens parcheminiers le préparaient spécialement pour cet usage. Nous donnons à la fin de notre ouvrage, à l’article Préparation du vélin, une recette excellente pour le rendre propre non seulement au travail de la reliure, et à l imitation des reliures anciennes, mais aussi pour permettre de lui appliquer les dorures délicates, tant recherchées par les amateurs.

On connaît deux sortes de parchemins, le plus beau se fabrique avec de la peau de veau : on le nomme vélin. L’autre, le parchemin proprement dit, est fabriqué avec des peaux de chèvres, de moutons ou d’agneaux. Ces dernières peaux sont de très petite taille, elles sont à peu près aussi fines et aussi souples que le vélin.

La fabrication du maroquin ou peau de chèvre, et son application à la reliure est de date plus récente. Le grain du maroquin n’avait pas anciennement la forme qu’on lui a donnée de nos jours. Ce grain, qui n’existe dans la peau qu’à l’état rudimentaire, se développe plus ou moins sous l’action d’une paumelle, ou planchette en liège avec laquelle on roule la peau, en la repliant sur elle-même du côté de la fleur. Les anciens maroquiniers donnaient à ce grain une forme allongée en roulant la peau à peu près dans le même sens. Ils faisaient subir aux peaux certaines préparations, qui, tout en lissant la surface de la fleur, leur permettait d’accentuer plus ou moins leur grain selon la nature ou l'épaisseur des peaux. Cette même préparation se pratique encore de nos jours, et les peaux ainsi préparées se nomment maroquins à grains longs.

Le maroquin le plus employé de nos jours est celui dont le grain arrondi est obtenu par l’action de la paumelle que l’on fait agir en tous sens. Cette dernière forme date du commencement de notre siècle. On le désigne sous les noms de maroquin du Levant, maroquin à gros grains et maroquin chagrin. La nature des peaux de chèvre diffère sensiblement selon leur origine. Les plus belles et les plus nourries nous viennent du Maroc et surtout du Cap. Ces dernières sont très recherchées à cause de leur taille qui est énorme, et aussi pour la beauté et le relief de leur grain. Les chèvres d’Europe sont plus petites, leurs peaux sont moins charnues, le grain qu’on peut leur donner est en raison de la nature de ces peaux ; elles sont en général d’une grande solidité et d’un bon emploi pour la reliure. On les teint en toutes nuances ; elles sont de plus très propices à la dorure.

Les basanes ou peaux de mouton sont employées pour les reliures communes ; les peaux de mouton sont très poreuses et peu solides, mais d’un emploi facile. Les fabricants leur font prendre toutes les formes, tantôt pour imiter le veau et le vélin, tantôt pour imiter le maroquin chagrin. On leur donne cette apparence par les procédés employés par les maroquiniers. On les emploie naturelles ou teintes en toutes nuances, elles se dédoublent même avec facilité, permettant au fabricant de faire deux et même jusqu’à trois peaux d’une seule. On les nomme alors basanes fendues. Dans cet état elles sont d’une faiblesse extrême, mais le bon marché excuse jusqu’à un certain point ces transformations. Elles servent dans cet état à couvrir des reliures de petits volumes à bon marché, et pour placer des étiquettes au dos des reliures en veau ou en basane forte.

Le cuir de Russie doit son nom non seulement à son origine, mais au mode de tannage qui se fait généralement avec l’écorce du bouleau. On emploie en reliure le veau russe et la chèvre russe. On les fabrique sous diverses formes, soit en les laissant unies, en les chagrinant, ou en imprimant sur la fleur les quadrillages qui sont le caractère distinctif par excellence du cuir de Russie.

Ces peaux sont très recherchées à cause de leur odeur pénétrante et pourtant très agréable. On les teint en diverses nuances, principalement en grenat, en vert foncé et en teinte fauve de divers tons. On les travaille comme la peau de veau. La dorure et surtout les gaufrures font un très bel effet sur le cuir de Russie.

TISSUS

Les velours de tous genres et en toutes nuances sont employés pour la reliure, surtout pour les livres religieux. On l’applique assez souvent au dos des livres de piété, dont les plats sont formés par des plaques en ivoire, en nacre, en écaille et en bois durci ; les missels dont l’orfèvrerie en argent ou en cuivre doré constitue le principal ornement se couvrent presque généralement en velours rouge ou grenat. On emploie le velours de soie, le velours soie trame coton, le velours de coton, puis la peluche pour fantaisies et albums dont certains spécimens garnis en argent oxydé font très bel effet.

La soie et le satin de diverses qualités et nuances s’emploient également comme couvertures de livres, et principalement comme gardes aux reliures de luxe. On emploie surtout la moire antique et la moire française, certaines imitations de soies moirées sont employées pour les reliures communes.

Toiles et percalines. — On emploie divers genres de toiles pour la reliure. Les toiles de lin ou de chanvre, teintes en gris, en vert ou en noir, sont journellement employées pour des livres usuels, tels que les dictionnaires, les lexiques, etc. La plupart des livres de comptabilité commerciale sont recouverts de ces toiles, dont la plupart sont d’une grande solidité. On les nomme toiles à tabliers. Un autre genre de toile, dite toile bisonne, s’emploie surtout pour les livres classiques.

Papier, cartes et cartons. — On emploie pour la reliure une quantité considérable de papiers de tous genres, soit comme couvertures de livres, soit pour les plats des demi-reliures, ainsi que pour les gardes des reliures en général. On emploie pour les gardes d’emboîtage des papiers unis, les uns teintés d’un côté en diverses nuances, d’autres en pâtes de couleurs plus ou moins claires, le tout approprié au genre ou à l’importance du sujet. Les teintes fauves et vert olive sont les plus recherchées pour les volumes dorés sur tranches, pour lesquels on emploie aussi le papier moiré blanc, ainsi que le peigne ordinaire. Les cartonnages en demi-toile, ainsi que les cartonnages classiques, reçoivent des gardes en papier blanc ordinaire, dit papier d’impression.

On varie les gardes des demi-reliures selon les genres. On place habituellement des gardes en papier moiré blanc, ou en papier peigne aux volumes dorés sur tranches, et des gardes en papier marbré ordinaire de divers genres aux volumes à tranches blanches ou jaspées. Il se fabrique une très grande variété de papiers marbrés, tant sous le rapport des dessins que des couleurs, chacun les applique selon ses goûts ; les plus recherchés sont les marbrés, veinés ou ombrés qui font très bon effet. Les gardes étant la partie faible de la reliure, il est prudent d’employer des papiers de bonne qualité ; il en est de même des papiers pour plats dont les qualités et la forme varient selon leur prix de revient. La fantaisie est ici limitée par la nuance des peaux ; il serait de mauvais goût de placer sur des plats de livres des papiers dont la couleur ou tout au moins le fond ne se confondrait pas avec la nuance de la peau.

On emploie en reliure certaines qualités de cartes, soit pour faux-dos ou pour doubler les cartons de reliures soignées. Les cartes simples se fabriquent en diverses épaisseurs, comme les cartons ; les cartes doublées sont celles que l’on fabrique en collant plusieurs feuilles de papier blanc ou teinté les unes sur les autres. On les désigne sous le nom de cartes en deux, en trois, en quatre, etc, selon le nombre de feuilles de papier dont se compose la carte, que le relieur doit pouvoir se procurer eu diverses épaisseurs selon le format et l’épaisseur des volumes auxquels il est appelé à les appliquer.

Les cartons sont de divers genres et qualités ; on les fabrique en divers formats. Les meilleurs sont ceux que Ton fabrique avec de vieux cordages, tels certains cartons anglais et aussi les cartons, dits de Lyon, généralement employés pour le satinage. On en fait aussi avec de la pâte de vieux papiers, rognures, etc. Les cartons de Paris, pâte rouge, sont excellents ; il en est à peu près de même de ceux en pâte bleue. Les pâtes grises, bien que de qualité inférieure, deviennent, entre les mains de certains fabricants, des cartons très convenables pour les reliures ordinaires. Ce qu’il faut rejeter, au moins pour les reliures, même les plus communes, ce sont les pâtes de pailles, qui se contractent et se déforment, tout en déformant en môme temps les reliures.

LES COLLES, ET LEUR PREPARATION

Après les fournitures de tous genres employées pour la reliure, ce qu’il y a de plus intéressant à connaître, et au besoin à fabriquer ou à préparer par le relieur, ce sont les colles de tous genres applicables à la reliure. Leur préparation et leur mode d’emploi exercent une influence capitale dans la réussite et la solidité du travail.

Colle d’amidon. — C’est l’auxiliaire par excellence pour la reliure. On doit autant que possible l’employer de préférence à la colle de farine, au moins pour les travaux essentiels, tels que le placement des gravures et planches, le montage sur onglets, et surtout pour la couvrure ou application des peaux, ainsi que pour la préparation du veau et des basanes mates pour la dorure.

Son mode de préparation est des plus simples : on prend de l’amidon de riz ou de froment pur. Le premier surtout produit une pâte bien grasse et d’un emploi excellent On en place une certaine quantité dans un chaudron ou dans un vase en faïence, le récipient ne devant pas se placer sur le feu. On triture l’amidon à pleines mains, en versant par dessus et successivement une certaine quantité d’eau fraîche sans trop noyer la pâte. Celle ci étant parfaitement broyée, on verse par-dessus, mais peu à peu, de l’eau bouillante, en remuant le tout, et toujours dans le môme sens à l’aide d’une cuiller en bois. On cesse de verser de l’eau dès que l’on a amené la pâte à la limpidité d’un lait de chaux, puis on remue pendant un certain temps jusqu’à ce qu’elle se soit suffisamment épaissie, puis on laisse refroidir, et au fur et à mesure des besoins, on en prend la quantité voulue et on la tord à travers un linge à grosses mailles. Ainsi préparée, cette colle, d’une blancheur parfaite, s’étend avec la plus grande facilité.

Colle de farine. — Le relieur peut se procurer sur la place de Paris de la colle de farine d’une bonne qualité ;. les épiciers et surtout les marchands de couleurs en ont constamment de toute préparée. Il n’en est pas de môme dans la plupart des villes de province où les relieurs sont obligés et ont intérêt à pouvoir la fabriquer eux-mêmes. Voici, d’après nous, la meilleure manière de s’y prendre.

On prend une certaine quantité de farine de froment pur, on la place dans un chaudron en fer émaillé ou en cuivre. On ajoute de l’eau fraîche, mais en petite quantité, pour en former une pâte épaisse, que l’on triture au moyen d’une cuiller en bois ; la farine étant bien délayée, on ajoute la quantité d’eau nécessaire et, tout en remuant, on place le chaudron sur un feu qui ne soit pas trop vif. Une fois là, il faut que la cuiller ne quitte pas le fond du chaudron, avoir soin de remuer toujours dans le même sens, et d’accentuer le mouvement au fur et à mesure de réchauffement de la pâte, qui s’épaissit par l’action du feu jusqu’à produire un ou deux bouillons. On retire alors le chaudron du feu, et on continue à remuer pendant quelques instants ; on laisse ensuite refroidir la pâte, puis on la fait passer par un tamis ou à travers un linge comme l’amidon, et l’on obtient ainsi d’excellente colle, si la farine est de bonne qualité ? L’addition d’un peu d’alun en poudre pendant la trituration est excellente, pour la colle de farine ; elle devient par ce moyen plus adhérente et se conserve plus longtemps.

Colles fortes. — Le choix des colles fortes a une très grande importance en reliure ; leur qualité essentielle doit être de conserver de la souplesse aux parties encollées. Il faut qu’elles soient en même temps très adhérentes et présentent une certaine élasticité. Les colles qui durcissent jusqu’à être cassantes, doivent être absolument écartées du travail de la reliure, il faut surtout se défier des colles à bon marché, chargées d’un tas de matières inertes, et qui, tout compte fait, reviennent plus cher que les colles de bonne qualité ; celles-ci prennent une plus grande quantité d’eau, elles tiennent malgré cela beaucoup mieux que d’autres qu’il faut étaler en couches trop épaisses. Les mauvaises colles s’écaillent et tombent en poussière, surtout après l’encollage des dos après la couture. L’endosseur est surtout bien placé pour juger de la qualité de la colle. Celle-ci doit résister et s’assouplir sous l’action du marteau en arrondissant le dos du volume, ainsi qu’en battant ou en roulant les mors. S’il se produit des cassures ou si la colle s’écaille, il faut la rejeter et ne pas s’exposer, à cause de sa mauvaise qualité, à produire un travail défectueux.

Les colles de Lyon sont en général très convenables pour la reliure, elles sont gommeuses et très adhérentes.

Nous devons pourtant faire exception pour la fabrication des couvertures en toile française et anglaise. Il faut pour ce genre de travail une colle très adhérente et qui sèche rapidement, la conservation des grains de la toile et de sa fraîcheur est à ce prix ; les colles de Givet remplissent ce double but (Voir Fabrication des couvertures).

On prépare généralement les colles fortes de la manière suivante : on commence par la casser en petits morceaux, et on en place une certaine quantité dans une marmite en fer, on ajoute de l’eau fraîche jusqu’à ce que le tout soit parfaitement noyé ; on laisse macérer pendant quelques heures, puis on fait foudre sur un feu doux, en remuant surtout le fond. La dissolution étant parfaite et le liquide prêt à bouillir, on retire du feu et on verse la colle dans une bassine chauffée au bain marie. Il ne faut pas se servir de colles trop chaudes, mais simplement tièdes, c’est plus économique et leur action est plus énergique.

Gélatine. — L’emploi de la gélatine devient presque usuel en reliure et rend les plus grands services. On s’en sert surtout pour l’application des soies et satins, ainsi que du vélin ; l’encollage des volumes lavés se fait à la gélatine, il en est de même des tranches destinées à être dorées. On s’en sert également pour la préparation des peaux de veau et de basanes mates, de même que pour le glairage des toiles anglaises, que l’on veut dorer à l’or faux au balancier. La gélatine se prépare comme les colles fortes, on la laisse bouillir légèrement au bain-marie, on l’emploie à chaud, il faut qu’elle soit assez épaisse pour le collage de la soie et du vélin, et très claire pour l’encollage du papier et le glairage pour la dorure.

Gomme arabique, ou colle à froid. — On fait dissoudre une certaine quantité de gomme arabique, que l’on place dans un pot en grès ; cette dissolution peut se faire à l’eau chaude, mais la gomme perd plus ou moins de ses qualités et se conserve moins longtemps, il est donc préférable d’opérer à l’eau froide, après avoir concassé la gomme pour en activer la dissolution, qui n’est parfaite qu’au bout de cinq à six jours. Il faut la remuer de temps en temps, pour l’empêcher de se condenser au fond du vase, la dissolution étant parfaite on la passe à travers un tamis. Cette colle est excellente pour le placement des planches, le montage sur onglets, le collage des photographies ; enfin pour tous travaux urgents, pour lesquels il est prudent d’en avoir constamment sous la main.

Colle chimique (ou colle Dornemann). — Cette colle, d’invention récente et à laquelle l’inventeur a donné son nom, constitue pour la reliure ainsi que pour les industries du papier en général, un progrès énorme. D’une blancheur parfaite, elle est, de plus, d’une adhérence très supérieure à celles des colles de farine et d’amidon, elle sèche aussi plus rapidement. Elle peut, dans la pluralité des cas, remplacer la colle forte, notamment pour l’encollage du dos après la couture du volume. Elle est sans rivale pour le placement des gravures, le montage sûr onglets, le placement des gardes etc. Elle donne, outre son adhérence parfaite et rapide, une grande propreté dans ses diverses applications. Epaisse et très gluante à l’état naturel, elle se liquéfie avec facilité à l’eau fraîche au degré voulu et se conserve beaucoup plus longtemps que les colles de farine et d’amidon. Néanmoins, en ce qui concerne la couvrure des divers genres de peaux, il est préférable d’employer les colles d’amidon ou de farine.