Guide manuel du doreur sur cuir/Notice

La bibliothèque libre.
Librairie polytechnique Ch. Beranger editeur (p. 19-50).
ESQUISSE D’UNE HISTOIRE DE LA RELIURE


ET DE L’ORNEMENTATION DU LIVRE RELIÉ.


La reliure, comme nous l’avons dit, dans nos précédentes publications, est un art aussi ancien que le livre.

Le jour où, dans la Grèce antique (environ trois siècles avant notre ère), on résolut de transformer le livre roulé en livre carré et ce afin de condenser plus de matières sous un plus petit volume et encore pour d’autres motifs que la tradition ne nous a pas rapportés, il fallut des lieurs de livres. Les Romains adoptèrent bientôt cette forme de livres qu’ils agençaient par cahiers de quatre à six feuilles de vélin ou de papyrus pliées en deux et encartées les unes dans les autres. Ces cahiers assemblés en volume, ils les cousaient sur nerfs de bœuf ou lanières de cuir, roulées, comme nous le pratiquons encore de nos jours, sur cordelettes ou ficelles dites fouets, pour les reliures soignées ou spéciales. Il est à remarquer que la manière de former un livre, de le coudre, etc., a très peu varié depuis ces temps reculés.

Les transformations du livre roulé (volumina) en livre carré (libri quadrati) furent le point de départ de l’application des mots ligares et religares à la confection de la reliure du livre carré, d’où religator ou Relieur, par lequel on a désigné depuis l’ouvrier chargé d’habiller le livre et aussi de le rhabiller : celui-ci ayant dans certains cas, une couverture provisoire ou brochure avant d’être confié à l’artisan relieur chargé de lui donner sa forme définitive.

Sous les Romains, l’ornementation du livre carré était généralement assez simple : elle se bornait à quelques filets gaufrés sur le vélin naturel ou teinté dont le volume était couvert, plus un médaillon ou médaille frappés sur et au milieu du plat de la couverture et représentant en effigie le portrait de l’empereur régnant ou de personnages marquants de l’époque ; quatre clous cabochons, ainsi que des coins en métal complétaient parfois l’ensemble de la décoration et servaient en même temps à solidifier la reliure. Mais le livre carré, pendant l’époque romaine ne fut qu’une exception. Le livre roulé paraissait alors plus commode, plus facile à transporter : cette forme était consacrée par l’usage : et le livre carré ne fut, sauf de rares exceptions, affecté qu’à la transcription des lois, décrets, etc., de l’empire romain.

L’affectation du livre carré aux ouvrages d’histoire de littérature, etc., lui fit prendre par la suite une certaine extension ; la reliure devint un art qui concourut non seulement à sa conservation mais encore à son embellissement. S’il faut en croire les anciens écrivains, leur luxe atteignit parfois de telles proportions, qu’il provoqua l’admiration des uns et encourut le blâme de quelques autres. Surtout de saint Jérôme qui vivait au ive siècle et qui nous rapporte qu’elles étaient ornées de pierres précieuses.

De quoi se composait, en dehors de cela, la partie luxueuse de la reliure ? Aucun document sauf une reliure en ivoire du ve siècle, conservée à la Bibliothèque Nationale, n’est malheureusement parvenu jusqu’à nous.

Il faut ensuite se reporter jusqu’à l’époque de Charlemagne avant de pouvoir s’appuyer sur un document quelconque concernant la reliure, sans qu’il soit toutefois possible d’en tirer un enseignement utile à nos praticiens.

L’art byzantin joua un rôle prépondérant dans l’ornementation de la reliure au moyen-âge ; les émaux cloisonnés, les plaques en métal et en ivoire sculpté furent pendant plusieurs siècles avec les étoffes précieuses ce que l’art de la reliure produisit de plus beau. Toutefois, les ornements affectés à ces plaques, etc, la plupart empruntés aux encadrements et enluminures décorant les manuscrits de l’époque, sont d’un caractère à ce point nettement défini, qu’ils constituent une mine inépuisable à ceux s’occupant ou appelés à concourir à l’ornementation de la couverture du livre.

Nous disions l’art de la reliure et non l’art du relieur. Celui-ci était au moyen-âge relégué, au second plan son travail se bornait à assembler, presser, coudre le livre soit sur nerfs de bœuf ou de parchemin roulé ou sur des cordes de chanvre, les unes isolées, disposées sur les dos à distances égales. Les autres accouplées par deux pour en former des nerfs doubles. Puis de rattacher à ces nervures les ais en bois formant la couverture sur laquelle d’autres appliquaient les étoffes et ensuite les pièces d’orfèvrerie, etc., qui constituaient l’ornementation de la reliure. Il n’y avait que les moines de certains monastères, qui, par privilèges, étaient autorisés à exercer toutes les parties de l’art du relieur, tel qu’on le comprenait à cette époque, au moins jusqu’au xiie siècle, époque où dans les monastères, toujours en vertu des mêmes privilèges, on se mit à préparer spécialement des peaux pour la reliure. C’est-à-dire à les fabriquer en vue de pouvoir empreindre sur celles-ci des ornements appropriés au livre.

C’était pour l’époque un progrès énorme et plus tard une nécessité, que l’application de la peau ainsi préparée pour la reliure. Les moines relieurs, aidés par des moines graveurs ou sculpteurs firent les premiers l’application des ornements gravés ou sculptés en creux ou en relief sur des peaux dont ils couvraient les volumes. De là le nom de Fers Monastiques dont nous donnons quelques spécimens, voir Pl. V de notre traité de l’art du relieur.

Les peaux de diverses espèces ont de tous temps été employées pour la reliure des livres, surtout le vélin. Aucun historien n’a pu nous dire jusqu’à ce jour, à quel degré de perfection a pu atteindre la fabrication des peaux que l’on affectait à la reliure dans l’antiquité et dans la majeure partie du moyen-âge. L’invasion des barbares porta un coup funeste au livre ; de tous les produits de l’ancienne civilisation, il fut en même temps le plus fragile et le plus poursuivi, bien peu ont pu échapper à la destruction. Qui nous dira par quels soins et par quels dévouements, les œuvres des anciens écrivains ont pu parvenir jusqu’à nous. Il a fallu aussi les soustraire à la cupidité. De toute leur ornementation extérieure, rien n’est resté, leurs couvertures pour la plupart massives ont dû être sacrifiées pour faciliter l’exode de leur contenu vers des contrées plus civilisées, plus humaines ; le temps a fait le reste !

La longue période qui suivit ce cataclysme, ne fut pas non plus favorable au livre et jusqu’à l’époque de Charlemagne les produits de la pensée et surtout le livre furent dédaignés. C’était un art à refaire : dès que le livre reparut et reprit sa place, la reliure complément matériel et inséparable du livre renaissait avec lui. Elle ne fut pourtant exercée avec quelque succès que par ceux qui, à cette époque et pendant une longue période encore furent les ardents producteurs du livre. C’est dans le silence des cloîtres par les soins patients des moines que le livre et aussi la reliure reprirent peu à peu la forme artistique qui fit dès lors l’admiration des amateurs et des curieux et provoqua par la suite l’émulation des praticiens.

La préparation des peaux pour la reliure fut toujours pour ceux qui habillaient le livre l’objet de leur constantes préoccupations et en dehors des reliures de luxe que l’on recouvrait des plus beaux tissus en même temps que de pièces d’orfèvrerie ; les livres usuels étaient recouverts avec des peaux. Les uns en vélin, d’autres, de différentes espèces plus ou moins bien préparées. On a même souvent recouvert des reliures avec des peaux tannées avec le poil ; c’étaient surtout des peaux de daim et de chevreuil avec lesquelles on habillait les livres, en plaçant le titre de l’ouvrage sur le plat sous une petite plaque de corne transparente encadrée de cuivre, telle une étiquette enchâssée dans la couverture. Certaines reliures étaient revêtues avec des peaux de ce genre dépassant les plats de manière à envelopper le volume comme dans un sac.

Tant que la préparation des peaux ne se fit qu’à l’état rudimentaire, on n’eût aucun souci de leur ornementation ; mais le désir de faire concourir au revêtement des livres de luxe des matières plus solides et plus durables que les tissus de divers genres qu’on leur avait affecté jusqu’alors, fit comme nous l’avons dit plus haut que l’on s’ingénia à les orner. Il fallait pour cela des peaux spéciales ; on choisit le vélin épais, le veau naturel ou légèrement bruni et la peau de truie, comme étant celles qui, à cette époque, réunissaient le mieux les qualités requises pour empreindre les ornements que l’on se mit en devoir de créer.

Des figurines gravées sur bois de buis en opposition et pour représenter les sculptures en ivoire, servirent aux premiers essais. On les pressait sur des peaux assouplies et préparées à point, pour après, les appliquer aux livres. Les difficultés résultant de ce mode d’application, firent qu’on se mit à graver des ornements sur métaux surtout sur bronze afin de pouvoir les chauffer et les empreindre après la couvrure du volume. On en fit aussi de petite dimension, ceux-ci sur tige et emmanchés dans une poignée en bois, afin de pouvoir les empreindre à la main. Ainsi sont nés dans les monastères les Fers à dorer qui ne servirent d’abord qu’à empreindre des ornements gaufrés et qui, gravés ensuite en relief, furent employés non seulement à la gaufrure mais aussi à la dorure.

Les créateurs des fers monastiques se sont pour la plupart inspirés du style gothique, on en trouve pourtant en style roman, en style Byzantin et en romano-byzantin ; mais le style gothique domine dans l’ornementation des reliures en cuir, dont les premières datent du xiie siècle sont encore rares au xiiie siècle mais prennent au xive et surtout au xve siècle une place prépondérante qu’elles conservèrent jusqu’au règne de François Ier [1].

Ce sont encore les fers monastiques qui servirent de base à l’ornementation des reliures que l’on a appliquées aux premiers livres imprimés, désignés sous le nom d’incunables et dans lesquels on comprend tous les ouvrages qui portent les dates du xve siècle. Ces reliures étaient de divers genres (on trouve même des demi-reliures de cette époque), on en faisait en gros vélin, en veau, en peau de truie et quelquefois en maroquin ou chèvre du Maroc. On les ornait de plaques et aussi de fers gravés en creux ou en relief ; le genre le plus caractéristique de l’époque est celui que nous avons donné par la planche VI de notre traité.

La carcasse de la reliure ou cartons de l’époque consistait en ais ou planchettes en bois de chêne ou de cèdre, avec biseaux entaillés. On couvrait le livre en veau ou en peau de truie, avec nervures prolongées sur les plats. On traçait sur ces plats des losanges à deux ou trois filets, au milieu desquels on gaufrait des ornements plus ou moins caractéristiques. Ces losanges étaient parfois coupés au centre du plat par une plaque, principalement par la rose gothique, à deux, trois ou quatre rangs de feuilles, selon le format du livre. On les peignait, dans certains cas, rosaces ou plaques, en couleurs vermillonnées ou cinabre.

On remarque également sur des livres religieux, des plaques à figurines et parmi celles-ci, l’arbre de Jessé ou emblème généalogique de la Vierge. Ces plaques de diverses dimensions portaient parfois en exergue ou sous formes d’encadrements, des légendes et aussi le nom du relieur. On les plaçait isolément sur des livres de petit format ; on les agençait aussi par deux et même par quatre sur des in-4o et in-folios. On se servait de roulettes plus ou moins larges et de fleurons de formes carrées et allongés, placés les uns à la suite des autres soit pour encadrer ces plaques, soit pour en former un tout, garnissant le plat de la couverture. Des mascarons ou clous cabochons, coins et fermoirs en métal ciselé ou gravé complétaient un ensemble parfois très artistique, mais aussi, il faut le dire, parfois quelque peu fantaisiste selon le milieu dans lequel ces reliures furent établies.

La collection des Princes d’Arenberg, renferme des spécimens de reliures dites Monastiques, de forme vraiment admirable tant sous le rapport matériel, couture, endossure, etc., que sous le rapport artistique. Certaines de ces reliures dont il ne subsistait que des débris ont été réparées avec intelligence ou reproduites avec une scrupuleuse exactitude par des pratriciens ayant étudié et connaissant à fond la science technique et artistique relative aux anciennes reliures.

Au xvie siècle s’ouvre une ère brillante pour la reliure. Alde Manuce, célèbre imprimeur vénitien, créa un genre d’ornementation encore très recherché de nos jours et qui servit de point de départ aux belles reliures dont nous devons la création à Jean Grolier [2] ce nom restera à jamais célèbre dans les annales de la reliure. Ce brillant Mécène fit exécuter d’abord en Italie, où les devoirs de sa charge de trésorier des guerres et intendant des armées françaises le retinrent plusieurs années ; et plus tard à Paris, ces reliures auxquelles son nom est resté attaché.

Les relations qu’il ne cessa d’entretenir avec les Alde lui permirent de faire venir d’Italie des ouvriers habiles qui exécutèrent sous sa direction et souvent d’après des dessins qu’il composa lui-même, les splendides reliures que l’on recherche tant aujourd’hui et à l’aide desquels il fonda cette école qui fut le berceau de la reliure d’art

en France.

Fig. 1. — Encadrements et dos, genre Alde ; chacun composés de deux pièces. L’un propre à la dorure et à la gaufrure ; l’autre à la dorure mosaïquée ou teintée en noir à l’oxide de fer au moyen de la plume, produit le plus bel effet sur toutes les nuances claires.

Les ornements créés par les Alde s’appliquèrent d’abord sur les reliures, tels qu’ils avaient été conçus et gravés pour la typographie. Ces applications, dont nous donnons deux spécimens, planche VII de notre Traité de l’art du relieur, se fit d’abord par la gaufrure et ensuite par la dorure.

Alde Manuce, premier du nom, avait adjoint à son imprimerie un atelier de reliure. Les ouvriers qu’il occupait étaient des relieurs grecs, lettrés et artistes hors ligne ; ils contribuèrent pour une bonne part à la fondation d’une école de reliure en Italie, dans laquelle Jean Grolier puisa les premiers éléments de l’école qu’il fonda lui-même en France. La marque des Alde était composée d’une ancre autour de laquelle s’enroule un dauphin, avec la devise Aldvs que l’on retrouve dans la plupart de leurs livres et sur leurs reliures.

« Les premières reliures de Grolier portent généralement des aldes pleins, en fleurons ou en rinceaux, servant de motifs ou de finales à d’autres rinceaux ou filets entrelacés, unis ou mosaïques. Leur application à ce genre d’ornementation ayant paru un peu lourd dans l’ensemble, Jean Grolier les fit alléger au moyen de traits azurés, tout en conservant leurs contours si gracieux et si caractéristiques. De là les aldes azurés qui se remarquent sur un grand nombre de reliures que Grolier fit exécuter à Paris et pour lesquelles il trouva un collaborateur éclairé dans la personne de Geoffroy Tory [3].

Ces spécimens admirables, que les artistes de notre époque sont appelés à interpréter presque chaque jour pour orner certains livres précieux, ont été exécutés sous mille formes différentes et, il faut le dire, d’une façon plus ou moins fantaisiste. On a souvent entremêlé les fers de l’époque, qui sont inséparables du genre, avec d’autres qui n’ont que peu ou point de rapports avec la tradition. Tout cela sous le nom de genre Grolier.

Nous avons cru utile à nos lecteurs en leur mettant sous les yeux (Pl. VIII de notre Traité de l’art du relieur) un type dans lequel nous nous sommes efforcés de conserver les vraies traditions et les ornements de l’époque : nous en joignons ici deux autres, tout en démontrant de quelle façon on peut interpréter ce genre sous une forme susceptible d’application en divers formats. Les dessins que nous donnons peuvent être appliqués à un volume in-4o et même in-folio à la condition d’élargir et de renformer proportionnellement les filets d’entrelacs qui peuvent rester unis ou mosaïques. La suscription Io. Grolieri et amicorum se retrouve sur presque tous les livres que dans sa longue carrière cet amateur célèbre fit habiller avec un goût si éclairé, elle se plaçait tantôt au milieu, tantôt au bas dans l’un des motifs de la décoration du plat et était souvent accompagnée de sa devise : fortio mea Domini sit in terra viventium, qu’il fit placer au verso de la couverture du livre.

Jean Grolier eut pour contemporain et ami Thomas Maïoli, amateur italien, qui vivait dans la première moitié du xvie siècle (la date précise de sa naissance et celle de sa mort sont inconnues) et qui, lui aussi, fut un amateur de reliures d’art émérite. Il prit pour


Fig. 2. — Renaissance italienne, genre Grolier. Reliure en maroquin rouge cerise, rinceaux mosaïqués en Lavallière foncé, les revers en Lavallière clair, feuillages azurés vert olive. 1/4 du plat.
Fig. 2. — Renaissance italienne, genre Grolier. Reliure en maroquin rouge cerise, rinceaux mosaïqués en Lavallière foncé, les revers en Lavallière clair, feuillages azurés vert olive. 1/4 du plat.

Fig. 2. — Renaissance italienne, genre Grolier. Reliure en maroquin rouge cerise, rinceaux mosaïqués en Lavallière foncé, les revers en Lavallière clair, feuillages azurés vert olive. 1/4 du plat.

modèles les genres créés par son ami, et, aidé par des

artistes éminents, créa à son tour une foule de dessins très artistiques, mais se renfermant scrupuleusement


Fig. 3. — Renaissance italienne, bordure en Lavallière foncé à fonds pointillés, le milieu en bleu clair orné de fleurs de lys. (Les gardes du volume fig. 1).
Fig. 3. — Renaissance italienne, bordure en Lavallière foncé à fonds pointillés, le milieu en bleu clair orné de fleurs de lys. (Les gardes du volume fig. 1).

Fig. 3. — Renaissance italienne, bordure en Lavallière foncé à fonds pointillés, le milieu en bleu clair orné de fleurs de lys. (Les gardes du volume fig. 1).

dans la tradition. Il fit également placer sur ses

livres, soit au milieu du plat, soit au bas, la suscription Th Maïoli et amicorum, avec sa devise au verso : Ingratis Sevire Nephas, et parfois cet autre plus énigmatique : Inimici mea michi non me michi. On suppose que, dans la pensée intime de ces célèbres amateurs, la phrase et amicorum était placée sur leurs livres pour indiquer : à moi Th. Mïoli et à mon ami Jean Grolier, et réciproquement, en témoignage de leurs bonnes relations. Peut être entendaient-ils, par là, associer également dans une pensée commune leurs collaborateurs artistiques qui concoururent pour une large part à l’édification des œuvres immortelles qu’ils nous ont laissées. C’est à Th. Maïoli que l’on doit les aldes creux, c’est-à-dire les fers genre Alde dont les contours seuls ont été conservés, et dont l’intérieur a été enlevé pour le remplacer par des mosaïques de diverses couleurs. Nous donnons, par la planche IX de notre traité, des types comparatifs de genre Alde, avec leurs transformations en aldes creux et aldes azurés.

« D’autres transformations du genre créé par les Alde, furent plus d’une fois tentées par des artistes français. Sans avoir à nous préoccuper de celles qui reçurent leur application en dehors de l’ornementation de la reliure, nous nous bornerons à signaler celles qui ont été faites par Geoffroy Tory, qui, tout en modifiant leur forme, sût leur conserver le cachet artistique de haut goût tout en les appliquant à un genre particulier auquel il a attaché son nom.

« Nous trouvons à la fin du xvie siècle de fort belles reliures également sans nom d’auteur, ornées de dorures à tortillons agrémentées de fers et de feuillages, auxquelles Ch. Nodier avait appliqué le nom de fers à la fanfare, Cette dénomination qui lui a été conservée n’avait d’autre sens que l’enthousiasme du brillant écrivain en voyant une reliure que venait d’exécuter Thouvenin sur un livre très rare qu’il lui avait confié, intitulé : La fanfare des Courvées Abbadesques, et sur lequel il avait appliqué une reliure du même genre.

« Après les belles reliures du xvie siècle, il semblerait que le dernier mot avait été dit sur l’art de la reliure, dont les principaux inspirateurs nous sont connus, mais dont aucun nom de relieur et surtout d’artiste doreur n’est parvenu jusqu’à nous. » On rencontre assez souvent des ouvrages portant des noms de relieurs du xvie et même du xve siècle, mais seulement sur des reliures relativement peu importantes, c’est-à-dire n’ayant que peu ou point de rapport avec l’art proprement dit.

« Il n’en est pas de même au xviie siècle, et, dès le commencement de celui-ci, se place un nom cher aux bibliophiles ; encore ce nom n’en est-il peut-être pas un, mais un surnom. Quoi qu’il en soit, le nom de Le Gascon, de ce praticien dont le talent très personnel et les dorures admirables ont jeté un si vif éclat sur l’art du relieur à cette époque, sera encore longtemps cité comme modèle par ceux qui s’attachent aux productions les plus délicates de l’art du doreur à la main. Ses œuvres sont nombreuses et de divers genres, les plus remarquables sont ces charmantes dorures à entrelacs à trois filets formant des compartiments dans lesquels sont enchâssés ces merveilleux rinceaux au pointillé ou filigranés. Nous en donnons un spécimen planche VIII de notre Traité[4] ; on y remarque les petites têtes à deux faces, la marque originale de l’artiste qui nous a laissé d’aussi gracieux modèles.

L’un de nos praticiens les plus distingués, écrivain probe et consciencieux, dont la plume fait autorité,

Fig. 4. et 7
Fig. 4. et 7
Fig. 4. — Le dos du volume représenté par la fig. 2 N. 3. ; Fig. 7. — Dos du livre d’heures de la Reine de Bretagne.


croit pouvoir attribuer à Florimond Badier la paternité d’une partie des reliures attribuées à Le Gascon,

Nous n’y avons vu tout d’abord que peu d’obstacles ; il serait même de tous points préférable de pouvoir appliquer le nom d’un contemporain, homme de talent dont nous possédons une œuvre très remarquable signée et à peu près datée, qu’un simple surnom à tant de merveilleux spécimens de l’art du relieur et surtout du doreur à la main. Mais il résulte de découvertes récentes : que Le Gascon était l’aîné de Fl. Badier, de près d’une génération ; qu’ils se sont connus, mais que le premier, déjà à la fin de sa carrière, n’a pu être pour le second, qui était essentiellement relieur, qu’un collaborateur de la dernière heure, ou, ce qui est plus probable, son conseiller ou initiateur en l’art d’orner les reliures. Il est à peu près certain que ce nom de Le Gascon n’est qu’un surnom. Nous demeurons pourtant fermement convaincus que nous nous trouvons en présence non d’un relieur, mais d’un doreur de grand talent exerçant son art dans un atelier à part, et se tenant à la disposition (comme l’ont fait depuis, et surtout de nos jours, un grand nombre de praticiens, dont quelques-uns étaient et sont encore des artistes de grand talent) des relieurs qui lui confiaient leurs reliures à dorer.

Ce qui nous fortifie dans cette conviction, ce sont des différences de formes très caractérisées, que nous avons remarquées entre les nombreux spécimens de reliures qu’il nous a été donné de voir et qui, attribuées à Le Gascon, justifiaient plus ou moins cette paternité sous le rapport des dorures, mais qui n’avaient certainement pas été exécutées par le même relieur. Il serait intéressant de convoquer un jour les possesseurs des chefs-d’œuvre attribués au maître, de les réunir en une exposition, et de faire trancher cette question par des praticiens et amateurs compétents.

Fig. 5.
Fig. 5.

Fig. 5. — Composition de style gothique, appliquée au livre d’heures de la Reine Anne de Bretagne. 1/4 du plat. Reliure en maroquin du levant vieux rouge, les rinceaux mosaïqués nuance corinthe, les cinq médaillons en bleu cendré, fleurs de lys naturelles en vélin blanc crème. — Motifs puisés dans les encadrements du texte et dans la Ste-Chapelle de Paris ; l’entourage représente des motifs en fer forgé.


Fig. 6.
Fig. 6.

Fig. 6. — Gardes du livre d’heures de la Reine Anne ; bordure en maroquin corinthe, fleurs fruits et feuilles de chardon ajourés, les fonds pointillés en criblé mat. Le milieu en vélin crème orné de la fleur de lys de France et de l’hermine de Bretagne.


Le xviie siècle est riche en noms connus ; nous nous bornerons à citer les noms des principaux artistes qui ont honoré la reliure.

Après Le Gascon qui, au début de sa carrière, exécutait et perfectionnait le genre à tortillons ; l’ornementation dite à la fanfare, et qui, plus tard, créa ces merveilleux rinceaux et ornements au pointillé renfermés dans des entrelacs à trois filets, nous devons mentionner Nicolas et Clovis Eve et surtout Florimond Badier, Boyet et Du Seuil. Ce dernier a donné son nom à un fort joli genre de dorure, très goûté et encore très employé de nos jours ; est-il réellement le créateur du genre, ou bien a-t-il été simplement adopté et dénommé par lui ? C’est ce que l’on ne saurait dire. Il y eut certainement plusieurs Du Seuil, le dernier du nom fut celui qui acquit le plus de notoriété. Augustin Du Seuil, étant né en 1673 et mort en 1746, appartient plutôt au xviiie siècle. Quoi qu’il en soit, la tradition ayant consacré cette dénomination, nous ne pouvons que l’adopter pour désigner le genre, qui peut être interprêté de façons différentes et dont nous avons donné des spécimens Planche XI de notre Traité.

La caractéristique du genre consiste en ce que le second encadrement de l’ornementation des plats, est formé de filets droits aux angles et courbés en dehors, au centre de chacune des quatre faces. Sur l’arête vive de chacun des angles se placent des fleurons de style renaissance ; le genre s’arrête là[5] pour les dorures simples. Il est loisible de garnir l’intérieur des angles au moyen de coins du même style, puis de placer au centre des plats soit un milieu en losange, un emblème ou des armoiries.

De Boyet nous avons peu de choses à dire : c’était le doreur par excellence des belles dentelles à tortillons dont on lui attribue les plus beaux spécimens.

Les Padeloup et les Derome, qui se succédèrent pendant plusieurs générations (il y eut douze Padeloup et quatorze Derome), étaient pour la plupart plutôt libraires-relieurs que doreurs, et ne pratiquaient pas eux-mêmes la dorure. Il faut pourtant en excepter Antoine-Michel Padeloup, dit le jeune, qui fut un artiste de grand talent, et Pierre-Paul Dubuisson qui, tout en étant un excellent doreur à la main, était de plus un graveur émérite et un dessinateur très distingué. Ils contribuèrent pour une part très large à la création du genre qui caractérise cette époque. Après le décès de A.-M. Padeloup, ses fers furent rachetés à sa vente par l’un des Derome (probablement Nicolas-Denis), qui adopta le genre du maître et créa cette particularité que l’on retrouve sur les reliures qu’il a exécutées, nous voulons parler du fer à l’oiseau ; mais ses reliures étaient lourdes, et on suppose, avec quelque raison, qu’il n’exécutait pas lui-même ses dorures.

Vers le milieu du xviiie siècle se place un artiste de talent très original qui, sortant des sentiers battus, créa un genre de dorure très remarquable et en même temps très difficile comme exécution. C’est à Jean-Charles Le Monnier, relieur du duc d’Orléans, que l’on doit ce merveilleux bijou qui recouvre une édition des amours pastorales de Daphnis et Chloé. L’artiste pour exécuter ce chef-d’œuvre, s’est inspiré du livre dont il a résumé le contenu poétique par une ornementation en mosaïque de diverses couleurs et or, représentant un chien gardant des moutons groupés sur un terrain au milieu duquel s’élève un arbre flanqué d’un écusson-cartouche et de deux boulettes en sautoir. Cette composition est encadrée sur les côtés par des chapeaux de bergers et des cornemuses ; en haut et en bas par des ornements, des fleurs, des feuillages et des oiseaux d’une extrême finesse. Cette reliure, ainsi qu’une autre du même genre, quoique inférieure, ont été exactement reproduites dans l’ouvrage de M. L. Gruel (déjà cité).

On doit au même artiste un autre chef-d’œuvre du même genre de reliure (reproduit par Danel) appliqué à un volume in-4o c. : l’Imitation de Jésus-Christ, édition de 1640. L’ornementation se compose (chose bizarre et qui ne peut provenir que d’un caprice de grand seigneur) de sujets se rapportant plutôt à des contes des Mille et une Nuits qu’à un livre religieux. Les compartiments du dos et les deux plats sont uniquement composés de sujets et de figurines chinoises, reproduits en mosaïque de couleur du plus charmant effet. Ce chef-d’œuvre, qui fait partie de la bibliothèque de M. le comte de Sauvage, a été attribué par erreur à Padeloup ; mais la signature, Monnier fecit, que l’artiste a répétée sur les deux plats, telle qu’il avait l’habitude de le faire sur ses reliures, ne permet aucun doute à cet égard.

Mais ces travaux, tout à fait exceptionnels, ne sauraient caractériser une époque déjà très mercantile. L’ornementation de la reliure qui, aux époques antérieures, prenait sa source dans la pureté et la finesse des lignes, ainsi que dans le raffinement que les vrais artistes apportaient à leur exécution, se bornait alors à placer quelques fers lourds produisant beaucoup d’effet avec peu de travail. On fit des roulettes pour encadrer les plats, des fleurons pour placer dans les coins, des armoiries dont on exagérait les formes massives pour placer au milieu, et c’était tout. On fit également des plaques composées de pièces rapportées que l’on dorait à la presse.

« Mais l’art, qui ne perd jamais ses droits, devait encore prendre le dessus. Quelques efforts tentés par des


Fig. 8. — Dentelle genre Boyet.
Fig. 8. — Dentelle genre Boyet.
Fig. 8. — Dentelle genre Boyet.


ouvriers d’élite amenèrent, petit à petit, les doreurs à créer un genre nouveau, d’une exécution relativement facile, mais très caractéristique. Les premiers essais se firent au moyen de fers à tortillons employés, au xviie siècle, par Boyet. Ceux-ci, déjà alourdis, étaient parfois mélangés à des ornements plus lourds et de création plus récente ; on en fit des dentelles de fantaisie qui servirent de point de départ aux dentelles ondulées.

L’ornementation caractérisant l’époque était trouvée, on tenait le genre xviiie siècle. Celle-ci, comme nous l’avons dit, appelait à son secours les fers légués par les doreurs de la fin du siècle précédent, et ces dentelles se ressentaient souvent de ce mélange ; puis, le goût s’étant épuré, on parvint, sous la direction d’artistes de talent (nous avons nommés A.-M. Padeloup et P.-P. Dubuisson) et l’art typographique aidant, sous le règne de Louis XV, à établir les limites du style qui caractérise cette époque. Nous donnons Planche XII de notre traité, un spécimen de ce genre, dont la mode, en reliure, s’est emparée, de nos jours, avec plus de fureur que jamais, ce dont nous ne saurions blâmer les amateurs, à la condition de se renfermer, à leur tour, dans la reproduction des purs spécimens de l’époque et d’éviter surtout, de prendre pour de l’art certains types qui nous ont été légués par l’époque de la transition.

Le goût des belles reliures semblait perdu à la fin du siècle dernier et surtout au commencement de ce siècle ; le livre, lui-même était en quelque sorte délaissé ; des belles éditions du passé, nul ne semblait prendre souci. Combien de beaux livres, tombés en des mains inconscientes, étaient traités pis que ne le sont les plus vulgaires ouvrages, et les pires ennemis du livre étaient encore certains relieurs qui, n’étant pas guidés par des amateurs, en étaient arrivés à ne plus se rendre compte de l’importance de leur mission. La couverture du volume était non seulement ridicule, mais, ce qui est beaucoup plus grave, on rognait horriblement les livres. Les belles marges, si précieuses et si recherchées par


Fig. 9. — Dentelle ondulée du xviiie siècle ; genre Derome.
Fig. 9. — Dentelle ondulée du xviiie siècle ; genre Derome.

Fig. 9. — Dentelle ondulée du xviiie siècle ; genre Derome.


nos amateurs, étaient alors considérées non seulement comme superflues, mais gênantes ; on les sacrifiait souvent sans merci. De là tant de belles éditions dont on paierait au poids de l’or les marges qui n’existent plus.

Le premier qui réagit contre cet état de choses fut Joseph Thouvenin, ouvrier hors ligne, connaissant et comprenant bien son art. Il s’attacha tout d’abord et surtout à réformer le corps d’ouvrage, de même tout ce qui constitue le travail du relieur proprement dit. Puis la dorure, dans laquelle il se perfectionna lui-même, fut l’objet de ses soins, et ce travailleur consciencieux, qui ne fut d’abord qu’un ouvrier hors ligne, acquit à force de travail et de patience, un degré de perfection assez élevé pour exciter l’enthousiasme des lettrés et amateurs de son temps. Ces confrères, mêmes, lui rendirent justice, et le relieur-poëte Lesné, auteur d’un poème sur la reliure, lui dédia une longue épitre en vers.

L’installation de ses ateliers situés passage Dauphine, étaient cités comme modèle de confort et d’agencement. Il mourut, à peine âgé de quarante-trois ans ; le 3 janvier 1834, alors qu’il était entré en pleine possession de son talent. Ses efforts ne furent pas stériles et on peut dire qu’on lui doit la rénovation de notre art, il fit école et parmi tant de noms marquants qui, depuis cette époque, portèrent si haut la renommée de la reliure française. Les plus illustres furent Gruel-Engelmann, Trautz-Bauzonnet[6] et Marius Michel père.

Nous devons néanmoins une mention toute particulière à celui qui fut le contemporain et l’ami de J. Thouvenin, dont il glorifia les talents non seulement par l’épitre que nous avons citée ci-dessus, mais encore en diverses circonstances ayant pour point de départ l’affection, disons le culte par lui voué à l’art qu’il pratiqua lui-même avec une certaine autorité [7].

Fig. 10. — Le genre xviiie siècle interprété par M. Em. Mercier, sur un volume relié en maroquin lev. bleu très clair, rinceaux et bordure mosaïquées en bleu foncé (ton sur ton).
Fig. 10. — Le genre xviiie siècle interprété par M. Em. Mercier, sur un volume relié en maroquin lev. bleu très clair, rinceaux et bordure mosaïquées en bleu foncé (ton sur ton).
Fig. 10. — Le genre xviiie siècle interprété par M. Em. Mercier, sur un volume relié en maroquin lev. bleu très clair, rinceaux et bordure mosaïquées en bleu foncé (ton sur ton).
Le xixe siècle, n’a pas, produit un genre qui lui soit

propre, et rien ne fait supposer qu’il sortira de notre temps le type d’un genre de dorure à la main qui permette de caractériser notre époque. Pourtant, les relieurs ne sont pas restés inactifs ; on peut même affirmer que, de nos jours, l’art de la reliure n’a jamais été poussé aussi loin, non pas en général, mais par certains artistes d’élite qui, pénétrés de la hauteur de leur mission, se sont efforcés de ressaisir les traditions artistiques du passé. Les artistes relieurs de notre temps se sont surtout attachés à ressusciter l’art ancien, guidés en cela par les amateurs de livres ; les bibliophiles collectionneurs de documents relatifs à l’histoire de l’art qu’ils firent et font encore habiller ou rhabiller selon la tradition. Tous n’y ont pas apporté ce discernement,


Fig. 11. — Encadrement tout or ; style Louis XVI ; se prêtant à toutes dimensions, à exécuter au moyen de 24 pièces gravées pour ce travail de haute précision, 1/4 du plat.
Fig. 11. — Encadrement tout or ; style Louis XVI ; se prêtant à toutes dimensions, à exécuter au moyen de 24 pièces gravées pour ce travail de haute précision, 1/4 du plat.
Fig. 11. — Encadrement tout or ; style Louis XVI ; se prêtant à toutes dimensions, à exécuter au moyen de 24 pièces gravées pour ce travail de haute précision, 1/4 du plat.
ce tact qui convient, mais il en est résulté un

élan, une émulation utile, non seulement à la conservation des trésors artistiques qui nous ont été légués par le passé, mais encore, et surtout aux artistes désireux de s’instruire et de se perfectionner.

L’ornementation du livre relié a été de tous temps un sujet d’études non seulement pour les praticiens, mais encore pour ceux qui s’intéressent à notre art. Les artistes qui se sont ingéniés à orner la couverture du livre, y ont plus ou moins réussi selon leurs aptitudes, et surtout selon les études qu’ils ont faites des procédés d’application, ces connaissances étant en quelque sorte indispensables à ceux qui désirent traiter ce sujet, non seulement délicat, mais, de plus, tout à fait en dehors des données usuelles. Il faut aussi, pour réussir complètement ce genre d’ornementation, se renfermer dans l’esprit du livre à habiller. Nous venons de voir que chaque époque a un genre qui lui est propre : c’est que le livre, par sa composition, sa forme et son caractère, a toujours reflété l’esprit de l’époque dans laquelle il a été produit. Disons, de plus, que sa forme matérielle a eu pour limites les moyens d’exécution plus ou moins perfectionnés, selon les milieux dans lesquels les sujets ont pris naissance.

Si l’ornementation du livre proprement dite est plus ou moins à la portée de tous ceux qui pratiquent les arts du dessin, il n’en est pas de même de l’ornementation de la reliure. Tel dessin peut, sur le papier, être une merveille d’art, et n’être pas exécutable en dorure à la main ou produire, sur le cuir, un effet diamétralement opposé à celui qu’on en attendait, si dans la composition de ce dessin il n’a pas été tenu compte des moyens d’exécution dont peuvent disposer les praticiens. Ceux-ci sont à ce point limités, les éléments à mettre en œuvre et ceux sur lesquels on opère tellement ingrats, qu’il faut des études approfondies, une longue pratique et une science consommée pour exerer


Fig. 12. — Ornementation moderne ; au moyen d’un seul fer.
Fig. 12. — Ornementation moderne ; au moyen d’un seul fer.
Fig. 12. — Ornementation moderne ; au moyen d’un seul fer.


la dorure d’art. Eh quoi ! diront certains profanes, il y a de tout cela dans la dorure à la main ? Oui, il y a de tout cela, et autre chose encore. Ceux-là seuls qui ont pratiqué cet art en maîtres ou qui, par des études toutes particulières, soit comme amateurs ou collaborateurs intelligents, se sont initiés à cet art, peuvent seuls se rendre compte de la somme de talent que doivent pouvoir s’assimiler de modestes praticiens pour arriver à produire ces chefs-d’œuvre qui causent notre admiration.

Il est utile pour l’artisan désireux d’exercer son art avec fruit, d’en connaître l’histoire, les traditions, la somme de sciences acquises par nos prédécesseurs. Le relieur se doit de posséder au moins quelques notions de bibliophilie, d’être à même de se rendre compte de la valeur artistique ou vénale de l’ouvrage à lui confié pour le revêtir et concourir à son embellissement.

On nous dira ; qu’importe pour l’ouvrier de posséder ces connaissances, le patron n’est-il pas là pour le guider ? En reliure, sauf de rares exceptions, le patron, le chef d’industrie, n’est-il pas l’ouvrier de la veille ? D’autre[8] part nous entendons par ouvrier, tout homme faisant œuvre de ses mains et de son intelligence pour produire et mener à bien l’œuvre désirée ; tout artisan, pratiquant son art ou métier à un degré quelconque.

  1. On fit aussi des reliures en cuir ciselé. Voir notre Traité de l’art du relieur, accompagné de planches, caractérisant l’art de l’ornementation des reliures aux diverses époques. Baudry et Cie, 1890.
  2. Jean Grolier, viconte d’Aiguisy, trésorier de France sous François Ier, Henri II, François II et Charles IX, naquit à Lyon, en 1479 et mourut à Paris en 1565.
  3. Geoffroy Tory, né à Bourges en 1480, mort en 1533, séjourna à Rome et à Bologne. Il eut pour maître Boroaldo, puis il se fixa à Paris, où il s’employa comme correcteur à l’imprimerie Estienne. Il se perfectionna ensuite dans la gravure et fut agréé dans la corporation des libraires de Paris. Il s’établit sur le Pont-Neuf, en 1518, à l’enseigne du Pot cassé. Il possédait une vaste érudition ; il fut en même temps excellent dessinateur et graveur. Ardent admirateur d’Albert Dürer et de Holbein, qu’il prit souvent pour modèles dans les splendides gravures dont il orna des livres d’Heures, etc.
  4. WS : Taaité -> Traité
  5. WS : la -> là
  6. WS : Trantz-Bauzonnet -> Trautz-Bauzonnet
  7. Le relieur-poète Lesné est l’auteur d’un ouvrage intitulé : La Reliure, poème didactique en six chants. Ce poème est suivid’annotations techniques sur le même sujet. Deux éditions ont été publiées de ce livre remarquable : la première en 1820, sur format in-8 écu. De la seconde édition, publiée en 1827, dont il a été tiré 125 exemplaires sur grand papier, format in-8 raisin, que l’auteur a numérotés lui-même à l’aide d’un composteur en usage pour la dorure à la main ; ces chiffres sont dorés sur le verso du faux titre. L’exemplaire que nous avons eu en main porte le numéro 39, il a été relié par l’auteur, qui l’a mentionné au bas du dos du volume ; et quoique dans son poème l’auteur prenne à partie ses contemporains en reliure pour leur manque de goût, etc., il ne nous semble pas que l’on puisse prendre comme modèles les spécimens qu’il nous a légués de son travail. La reliure de ce volume est couverte en plein veau vert très clair ; les cartons sont de qualité médiocre, granuleux et partant mal travaillés ; la dorure manque de goût, mais dénote une fermeté de main remarquable, surtout la dorure du dos qui est à larges faux nerfs plats, quoique suffisamment saillants. La couture et le corps d’ouvrage sont parfaitement exécutés, la rognure des tranches n’a pourtant conservé aucuns témoins ! Ces tranches sont dorées à gouttières plates avec de l’or de bonne qualité dont le brillant s’est très bien conservé. Les trancheflles à rubans sont parfaites, mais les gardes en papier rose uni (sic) cadrent mal avec la nuance vert clair de la couverture et dénotent un manque de goût complet. De plus, l’intérieur comme l’extérieur des cartons est mal uni, et les claies que l’on voit à travers les gardes sont très irrégulières. En somme, une reliure d’un aspect robuste, certes très solide, mais qui heureusement pour l’ensemble du travail, n’a pas fait école. Lesné s’est également recommandé à ses contemporains pour un genre de cartonnage à la Bradel, destiné à habiller provisoirement les livres fraîchement imprimés. Ces cartonnages, cousus sur toile dans toute leur longueur, faits sans colle adhérente aux livres (nous copions les termes de la circulaire qu’il a publiée en 1834), conserveront réellement le livre tout en permettant de le lire à volonté sans détériorer le cartonnage.
  8. WS : Dautre -> D’autre