Guillaume Couture, premier colon de la Pointe-Lévy/0

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Texte établi par Tremblay & Dion, Inc., Mercier et Cie (p. 3-11).

LE PREMIER
COLON DE LA POINTE-LÉVY

Il y a eu dans notre pays plusieurs noblesses.

La France nous envoya les officiers de ses régiments déjà illustrés par maints faits-d’armes sur les champs de bataille du vieux monde.

Combien de cadets, n’ayant que la cape et l’épée, vinrent dans les forêts d’Amérique conquérir la gloire et la croix de Saint-Louis ?

Combien l’ambition en jeta sur nos bords de ces fils de famille désireux de s’attirer les faveurs du grand roi ?

Dans la magistrature et dans l’administration la plupart de ceux qui formèrent tige parmi les familles de la colonie pouvaient trouver le nom de leurs ancêtres inscrit au grand armorial de France.

À cette noblesse de robe et d’épée vint se joindre notre noblesse à nous, la noblesse du terroir. Elle ne fut pas la moins distinguée. C’était tantôt d’habiles traiteurs, des négociants heureux, d’intrépides pionniers, d’audacieux découvreurs qu’un dévouement constant, une série continue d’actes généreux ou une action éclatante recommandaient aux laveurs de la cour.

Ceux-là furent les chanceux.

Mais combien d’autres qui, par leurs actes méritoires, auraient pu tenir le premier rang, et qui n’eurent avec les anoblis et les décorés que la commune gloire d’être venus sur une terre lointaine apporter la civilisation et implanter une race vertueuse et énergique.

Que de soldats sont tombés dans la mêlée et dont la valeur s’est oubliée plus vite encore que le sillon obscur où ils sont enfouis ! Le nom des chefs demeure, mais qui se souvient de ceux qui les ont suivis ? Dollard passera à la postérité, mais, à part les chercheurs, qui s’occupera jamais de connaître les compagnons de son héroïque défense ? Qui s’est inquiété de savoir le nom des camarades d’Iberville dans ses expéditions lointaines ? Quand cet enfant de la victoire écrivait à la cour : « Je suis las de conquérir la baie d’Hudson, » les courtisans battaient des mains ; mais ont-ils jamais pensé que ses soldats pussent être fatigués ? Le chef s’en allait se faire décorer à Versailles, recevoir les promotions. Les camarades, abandonnant le mousquet pour la charrue, retournaient dans quelques paroisses ignorées du Canada, labourer la terre paternelle, en attendant l’occasion de se signaler par de nouveaux exploits.

Et, pendant un siècle, ce fut la même histoire.

Ce sont les dévouements et les actions héroïques de ces enfants obscurs du devoir, de l’enfant du peuple, du simple ouvrier qu’il faut maintenant raconter. Les noms qu’ils ont illustrés, c’est l’apanage de leurs familles, c’est le patrimoine de la race.

La grande histoire ne les cite qu’en passant : elle n’a pas le temps de s’y arrêter. Ce qui la frappe ce sont les sommets. C’est à la chronique et à la monographie qu’il appartient de dire les détails. D’infatigables chercheurs se sont déjà donné la tâche de feuilleter les mémoires et les manuscrits. Chaque jour nous apporte de nouvelles découvertes et de nouveaux héros. Tous ces traits épars réunis en faisceau forme pont un trophée qui vaudra bien des monuments élevés à la mémoire de personnages renommés pour des actions de moins d’éclat.

Il est une classe d’hommes surtout dont nos historiens se sont attachés dans ces derniers temps à nous faire connaître l’histoire intime : c’est celle des voyageurs-interprètes.

On sait que ces voyageurs se divisaient en deux groupes.

Les uns, mercenaires à la solde des traiteurs et des commerçants, couraient les bois avec l’ambition de faire fortune coûte que conte. Ils ne songeaient ni de près ni de loin à la cause de la morale ou à l’avenir de la colonie française. Pourvu que le trafic des fourrures allât bien, ils ne s’inquiétaient guère de conserver aux colons l’amitié des tribus.

À cette avant garde d’écumeurs, les missionnaires et les gouverneurs opposèrent une école d’hommes probes et religieux. Dans ces temps de foi et d’honnêtes dévouements, il se trouvait des laïcs disposés à braver la mort pour prendre part aux mérites des missionnaires et pour aider la France à fonder des colonies, Cette école s’était formée autrefois au Brésil, bien avant l’arrivée des Portugais dans ce pays, et Champlain avait jugé combien elle serait utile à son œuvre. Dans ses voyages, il enrôla dans les ports de mer de France quelques-uns de ces serviteurs dévoués qui furent les premiers pionniers patriotes dans les forêts du Canada. Sur leurs traces marchèrent Marsolet, Brûlé, Nicoiet, Marguerie, les Godefroy.

Ces gens n’étaient point de vulgaires aventuriers. Dans leurs courses lointaines parmi les peuplades sauvages, ils se formaient à leurs habitudes, apprenaient leur langue et les entretenaient en bonne amitié avec la colonie. Généralement admis à faire partie de la nation dans les villages de laquelle ils demeuraient, ils étaient regardés comme ses enfants, et acquéraient au moyen de leur adresse et de leur énergie une grande autorité dans les conseils.

Dans l’histoire des premiers temps de la colonie, ces hommes ont joué un grand rôle.

Après être demeurés de longues années au milieu des bois, ils revenaient au pays rapportant les connaissances qu’ils avaient acquises. Combien de découvreurs ont dû leur gloire aux relations de ces pauvres enfants du peuple ?

La plupart du temps, au retour de leurs courses, ces intrépides pionniers se sont mariés et établis dans le pays, et ils sont devenus la souche des principales familles canadiennes. Ces simples colons savaient conserver toujours la confiance des sauvages qui les avaient vus vivre la même vie qu’eux.

Combien d’entre eux conduisirent au loin les missionnaires dont ils avaient préparé la visite en instruisant les capitaines sauvages et en baptisant les enfants ? Que de troubles, que de massacres n’évitèrent-ils pas à la colonie, ces hommes simples et naïfs ? Qui redira jamais les choses étonnantes qu’ils accomplirent ? Il est assez commun de trouver des hommes capables de faire face à un danger pressant durant un court espace de temps ; mais il est rare d’en rencontrer qui puissent, pendant la durée de plusieurs années, fournir chaque jour des preuves de prudence, d’habileté et de courage, sans jamais se démentir.

Et, pourtant, c’est ce que firent les voyageurs-interprètes.

Pendant que le missionnaire catéchisait la tribu, eux parcouraient le pays, relevant les rivières et les lacs, découvrant de nouvelles nations pour les gagner à la foi et au roi.

Ces voyageurs étaient choisis parmi les plus alertes et les plus vigoureux. Les sauvages s’étonnaient de leur valeur et de leur adresse. On les vit provoquer les enfants des bois à la course, soit avec des raquettes, soit sans raquettes, et remporter la victoire sur tous leurs concurrents. Et leur humeur était si gaie et si agréable, que les vaincus eux-mêmes leur témoignaient de l’amour et du respect.

On avait soin de les prendre encore jeunes, afin de les façonner plus aisément à cette vie rude et aux difficultés des langues. La plupart d’entre eux avait une excellente instruction. Ils parlaient le latin, l’anglais, le hollandais, et savaient d’ordinaire plusieurs dialectes sauvages. Quelques-uns, pendant leur captivité, ont écrit des lettres fort touchantes. Ces récits naïfs, tracés sur des écorces de bouleau, quelquefois avec de l’encre formée de poudre à fusil délayée, étaient attachés aux arbres le long des rivages et tombaient aux mains des voyageurs de passage[1].

On en a vu mener des négociations avec l’ennemi, comme de véritables diplomates.

Les Relations sont pleines de touchants détails sur les actions héroïques de ces serviteurs dévoués.

Hardis, intelligents, doués d’un heureux caractère, ils accompagnaient les enfants de la forêt dans leurs courses aventureuses, supportant des fatigues et des privations incroyables. Quand la chasse ne donnait pas, ils n’avaient souvent pour toute nourriture que l’écorce des arbres.

C’est l’histoire de l’un de ces enfants du peuple, la vie d’un de ces oubliés que nous voulons raconter.

En recueillant les détails épars dans l’histoire, dans nos manuscrits, dans les archives, en reproduisant le récit des vieilles relations nous avons cru faire œuvre bonne.

Guillaume Couture, le bon Guillaume, comme l’appellent toujours tous les vieux récits[2], fut un des plus remarquables voyageurs-interprètes des premiers temps. Il se voua au service de sa religion et de son roi. Compagnon du martyr Jogues, camarade de René Goupil et de Lalande, il est l’émule de Nicolet, et les Sauvages lui décernèrent ce nom.

Et si Québec s’enorgueillit de la probité et du dévouement d’hommes de bien comme Hébert et Couillard, ses premiers habitants, une des plus vieilles paroisses du pays, celle de la Pointe de Lévy, est heureuse de pouvoir mettre en pleine lumière le nom de Guillaume Couture, son premier colon, premier juge sénéchal et premier capitaine de milice.

  1. Relations des Jésuites ; relation du père Bressani ; lettre du P. Jogues.
  2. Le père Bressani, le père Jogues, les Relations des Jésuites, la vénérable Marie de l’Incarnation l’appellent toujours ainsi.