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Guillaume Couture, premier colon de la Pointe-Lévy/Texte entier

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JOSEPH-EDMOND ROY

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LÉVIS
MERCIER & CIE., LIBRAIRES-IMPRIMEURS

1884

Enregistré conformément à l’acte du Parlement du Canada, en l’année mille huit cent quatre-vingt-quatre, par Joseph-Edmond Roy, au bureau du ministre de l’agriculture.

PRÉFACE

Il y aura bientôt trois cents ans, au printemps de 1647, la rive sud de notre beau fleuve St. Laurent accueillait son premier colon, Guillaume COUTURE. Bravant les menaces des Iroquois, il venait y faire sa trouée dans la forêt vierge et y bâtir sa maison, face à la cité naissante de Champlain.

C’est là, dans cette maison rustique, que deux ans plus tard, il épousera une jeune fille venant elle aussi de France, Anne Émard. L’acte original de ce mariage du premier Couture en Amérique est conservé dans les registres de Notre-Dame de Québec.

Pour célébrer dignement ce troisième centenaire, nous avons cru bon de faire connaître davantage la vie de ce digne ancêtre, et de faire rééditer l’ouvrage qu’un de nos historiens distingués, Monsieur Joseph-Edmond Roy, publiait il y a déjà plus d’un demi-siècle. L’auteur lui-même cependant, a douté par la suite de l’authenticité d’un fait qu’il a relaté dans ce livre, celui de l’expédition à la Baie d’Hudson. N’ayant pas trouvé de preuves contraires, nous avons reproduit l’ouvrage tel quel, en y ajoutant quelques documents intéressants et plusieurs illustrations que nous devons au talent de cette artiste qu’est Madame Odette Vincent-Fumet.

Nous tenons à rendre ici un hommage spécial à Monsieur Jos-Edmond Roy qui, par ses travaux historiques nous a fait mieux connaître et plus aimer celui dont nous sommes déjà si fiers d’avoir pour ancêtre, GUILLAUME COUTURE, et qu’il n’est pas téméraire, je crois, de placer parmi les héros de notre histoire.

Richard COUTURE, ptre,
vicaire à N.-D. de Q.
LE PREMIER
COLON DE LA POINTE-LÉVY

Il y a eu dans notre pays plusieurs noblesses.

La France nous envoya les officiers de ses régiments déjà illustrés par maints faits-d’armes sur les champs de bataille du vieux monde.

Combien de cadets, n’ayant que la cape et l’épée, vinrent dans les forêts d’Amérique conquérir la gloire et la croix de Saint-Louis ?

Combien l’ambition en jeta sur nos bords de ces fils de famille désireux de s’attirer les faveurs du grand roi ?

Dans la magistrature et dans l’administration la plupart de ceux qui formèrent tige parmi les familles de la colonie pouvaient trouver le nom de leurs ancêtres inscrit au grand armorial de France.

À cette noblesse de robe et d’épée vint se joindre notre noblesse à nous, la noblesse du terroir. Elle ne fut pas la moins distinguée. C’était tantôt d’habiles traiteurs, des négociants heureux, d’intrépides pionniers, d’audacieux découvreurs qu’un dévouement constant, une série continue d’actes généreux ou une action éclatante recommandaient aux laveurs de la cour.

Ceux-là furent les chanceux.

Mais combien d’autres qui, par leurs actes méritoires, auraient pu tenir le premier rang, et qui n’eurent avec les anoblis et les décorés que la commune gloire d’être venus sur une terre lointaine apporter la civilisation et implanter une race vertueuse et énergique.

Que de soldats sont tombés dans la mêlée et dont la valeur s’est oubliée plus vite encore que le sillon obscur où ils sont enfouis ! Le nom des chefs demeure, mais qui se souvient de ceux qui les ont suivis ? Dollard passera à la postérité, mais, à part les chercheurs, qui s’occupera jamais de connaître les compagnons de son héroïque défense ? Qui s’est inquiété de savoir le nom des camarades d’Iberville dans ses expéditions lointaines ? Quand cet enfant de la victoire écrivait à la cour : « Je suis las de conquérir la baie d’Hudson, » les courtisans battaient des mains ; mais ont-ils jamais pensé que ses soldats pussent être fatigués ? Le chef s’en allait se faire décorer à Versailles, recevoir les promotions. Les camarades, abandonnant le mousquet pour la charrue, retournaient dans quelques paroisses ignorées du Canada, labourer la terre paternelle, en attendant l’occasion de se signaler par de nouveaux exploits.

Et, pendant un siècle, ce fut la même histoire.

Ce sont les dévouements et les actions héroïques de ces enfants obscurs du devoir, de l’enfant du peuple, du simple ouvrier qu’il faut maintenant raconter. Les noms qu’ils ont illustrés, c’est l’apanage de leurs familles, c’est le patrimoine de la race.

La grande histoire ne les cite qu’en passant : elle n’a pas le temps de s’y arrêter. Ce qui la frappe ce sont les sommets. C’est à la chronique et à la monographie qu’il appartient de dire les détails. D’infatigables chercheurs se sont déjà donné la tâche de feuilleter les mémoires et les manuscrits. Chaque jour nous apporte de nouvelles découvertes et de nouveaux héros. Tous ces traits épars réunis en faisceau forme pont un trophée qui vaudra bien des monuments élevés à la mémoire de personnages renommés pour des actions de moins d’éclat.

Il est une classe d’hommes surtout dont nos historiens se sont attachés dans ces derniers temps à nous faire connaître l’histoire intime : c’est celle des voyageurs-interprètes.

On sait que ces voyageurs se divisaient en deux groupes.

Les uns, mercenaires à la solde des traiteurs et des commerçants, couraient les bois avec l’ambition de faire fortune coûte que conte. Ils ne songeaient ni de près ni de loin à la cause de la morale ou à l’avenir de la colonie française. Pourvu que le trafic des fourrures allât bien, ils ne s’inquiétaient guère de conserver aux colons l’amitié des tribus.

À cette avant garde d’écumeurs, les missionnaires et les gouverneurs opposèrent une école d’hommes probes et religieux. Dans ces temps de foi et d’honnêtes dévouements, il se trouvait des laïcs disposés à braver la mort pour prendre part aux mérites des missionnaires et pour aider la France à fonder des colonies, Cette école s’était formée autrefois au Brésil, bien avant l’arrivée des Portugais dans ce pays, et Champlain avait jugé combien elle serait utile à son œuvre. Dans ses voyages, il enrôla dans les ports de mer de France quelques-uns de ces serviteurs dévoués qui furent les premiers pionniers patriotes dans les forêts du Canada. Sur leurs traces marchèrent Marsolet, Brûlé, Nicoiet, Marguerie, les Godefroy.

Ces gens n’étaient point de vulgaires aventuriers. Dans leurs courses lointaines parmi les peuplades sauvages, ils se formaient à leurs habitudes, apprenaient leur langue et les entretenaient en bonne amitié avec la colonie. Généralement admis à faire partie de la nation dans les villages de laquelle ils demeuraient, ils étaient regardés comme ses enfants, et acquéraient au moyen de leur adresse et de leur énergie une grande autorité dans les conseils.

Dans l’histoire des premiers temps de la colonie, ces hommes ont joué un grand rôle.

Après être demeurés de longues années au milieu des bois, ils revenaient au pays rapportant les connaissances qu’ils avaient acquises. Combien de découvreurs ont dû leur gloire aux relations de ces pauvres enfants du peuple ?

La plupart du temps, au retour de leurs courses, ces intrépides pionniers se sont mariés et établis dans le pays, et ils sont devenus la souche des principales familles canadiennes. Ces simples colons savaient conserver toujours la confiance des sauvages qui les avaient vus vivre la même vie qu’eux.

Combien d’entre eux conduisirent au loin les missionnaires dont ils avaient préparé la visite en instruisant les capitaines sauvages et en baptisant les enfants ? Que de troubles, que de massacres n’évitèrent-ils pas à la colonie, ces hommes simples et naïfs ? Qui redira jamais les choses étonnantes qu’ils accomplirent ? Il est assez commun de trouver des hommes capables de faire face à un danger pressant durant un court espace de temps ; mais il est rare d’en rencontrer qui puissent, pendant la durée de plusieurs années, fournir chaque jour des preuves de prudence, d’habileté et de courage, sans jamais se démentir.

Et, pourtant, c’est ce que firent les voyageurs-interprètes.

Pendant que le missionnaire catéchisait la tribu, eux parcouraient le pays, relevant les rivières et les lacs, découvrant de nouvelles nations pour les gagner à la foi et au roi.

Ces voyageurs étaient choisis parmi les plus alertes et les plus vigoureux. Les sauvages s’étonnaient de leur valeur et de leur adresse. On les vit provoquer les enfants des bois à la course, soit avec des raquettes, soit sans raquettes, et remporter la victoire sur tous leurs concurrents. Et leur humeur était si gaie et si agréable, que les vaincus eux-mêmes leur témoignaient de l’amour et du respect.

On avait soin de les prendre encore jeunes, afin de les façonner plus aisément à cette vie rude et aux difficultés des langues. La plupart d’entre eux avait une excellente instruction. Ils parlaient le latin, l’anglais, le hollandais, et savaient d’ordinaire plusieurs dialectes sauvages. Quelques-uns, pendant leur captivité, ont écrit des lettres fort touchantes. Ces récits naïfs, tracés sur des écorces de bouleau, quelquefois avec de l’encre formée de poudre à fusil délayée, étaient attachés aux arbres le long des rivages et tombaient aux mains des voyageurs de passage[1].

On en a vu mener des négociations avec l’ennemi, comme de véritables diplomates.

Les Relations sont pleines de touchants détails sur les actions héroïques de ces serviteurs dévoués.

Hardis, intelligents, doués d’un heureux caractère, ils accompagnaient les enfants de la forêt dans leurs courses aventureuses, supportant des fatigues et des privations incroyables. Quand la chasse ne donnait pas, ils n’avaient souvent pour toute nourriture que l’écorce des arbres.

C’est l’histoire de l’un de ces enfants du peuple, la vie d’un de ces oubliés que nous voulons raconter.

En recueillant les détails épars dans l’histoire, dans nos manuscrits, dans les archives, en reproduisant le récit des vieilles relations nous avons cru faire œuvre bonne.

Guillaume Couture, le bon Guillaume, comme l’appellent toujours tous les vieux récits[2], fut un des plus remarquables voyageurs-interprètes des premiers temps. Il se voua au service de sa religion et de son roi. Compagnon du martyr Jogues, camarade de René Goupil et de Lalande, il est l’émule de Nicolet, et les Sauvages lui décernèrent ce nom.

Et si Québec s’enorgueillit de la probité et du dévouement d’hommes de bien comme Hébert et Couillard, ses premiers habitants, une des plus vieilles paroisses du pays, celle de la Pointe de Lévy, est heureuse de pouvoir mettre en pleine lumière le nom de Guillaume Couture, son premier colon, premier juge sénéchal et premier capitaine de milice.

I

Guillaume Couture est un enfant de la Normandie. Il naquit à Rouen, en 1617, du mariage de Guillaume Couture et de Madeleine Mallet. Ce renseignement est pris dans le dictionnaire généalogique de l’abbé Tanguay. D’après l’abbé Ferland, Couture[3] aurait vu le jour l’année même de la fondation de Québec, en 1608.

Rouen était alors la ville où se recrutait spécialement toute cette intrépide population qui avait donné à la France l’empire d’un monde. C’est là que Champlain avait trouvé la plupart de ses fidèles interprètes. C’est dans les faubourgs des villes de Normandie que les armateurs racolaient leurs meilleurs équipages. Nicolet, le Tardif, Marguerie, Hertel, Marsolet, les Grodefroy sont des enfants de la province normande.

Élevé au milieu des pêcheurs et des marins, Couture dut se former de bonne heure à l’idée des voyages. Étant encore fort jeune, il s’embarqua pour le Canada.

Les pères jésuites, dès 1634, avaient fondé sur les bords des grands lacs un établissement au milieu des Hurons. Ils avaient besoin de jeunes gens de métier, courageux et actifs : Couture, qui était menuisier, s’engagea au service de la compagnie, dès son arrivée.

L’abbé Ferland le fait venir au pays en 1642[4], mais par un acte qui se trouve au greffe des notaires à Québec[5], on voit que Guillaume Couture, domestique des révérends pères religieux de la compagnie de Jésus de la mission des Hurons en la nouvelle France, demeurait déjà dans cette mission dès 1640.

C’était l’habitude alors de ceux qui se destinaient à de longs et périlleux voyages de faire avant leur départ, une donation générale de leurs biens à leur famille[6].

Couture avait laissé en France sa vieille mère et une sœur[7]. Son père, qui exerçait l’honnête profession de menuisier, était mort laissant quelques biens dans sa succession. Il y avait entre autres certains immeubles en la paroisse de la Haye-Aubray, en Normandie. Un des oncles de Guillaume, laboureur à Aubray, était son tuteur et avait eu l’administration de ses biens.

De passage à Québec, dans l’été de 1641, Couture fit donation de ses héritages à sa mère et à sa sœur et leur donna pouvoir de se faire rendre compte de la gestion de tutelle de son oncle[8].

Il dut partir la même année pour le pays des Hurons, car, au printemps de 1642, le père Isaac Jogues revenant de cette grande et glorieuse mission, après six ans d’incessants labeurs, le cite comme son compagnon de voyage[9].

Partis du Saut-Sainte-Marie le treize de juin, les voyageurs arrivaient à Québec après trente-cinq jours de marche. Il leur avait fallu parcourir trois cents lieues de pays, « désembarquer quarante fois et quarante fois porter leurs bateaux et tout leur bagage dans les courants et les chutes d’eau[10]. » Dans ces accidents de voyage n’étaient point compris quelques naufrages où ils avaient été en grand danger de perdre la vie, et les embuscades des Iroquois évitées comme par miracle.

Après quinze jours de repos, ce prêtre infatigable reprenait le chemin du pays des Hurons.

Trois-Rivières était le poste avancé d’où partaient les expéditions pour les pays lointains des lacs et des missions sauvages. C’est à cette dernière escale en pays connu, que le père Jogues s’embarque le second jour d’août avec les sauvages qui l’ont suivi depuis les lacs. Il ramène avec lui Guillaume Couture, interprète, René Goupil, jeune chirurgien, qui allait exercer son art auprès des chrétiens, et un jeune français dont les Relations ne nous ont point conservé le nom.

L’expédition se compose de quarante personnes montées sur douze canots divisés par escouades. L’avant-garde est conduite par le valeureux chef Eustache Ahatsistari.

La flottille porte les approvisionnements des missionnaires et de leurs compagnons, ainsi que les objets nécessaires pour les chapelles.

Aux flancs des canots voltigent au gré du vent comme des flouettes[11] les chevelures des ennemis tués au combat.

Les voyageurs avaient laissé les Trois-Eivières depuis deux jours, lorsqu’un matin, arrivés aux environs des îles du lac Saint-Pierre, l’avant-garde découvre sur le rivage quelques pistes d’hommes nouvellement imprimées sur le sable[12]. On met pied à terre. Les uns disent que ce sont des vestiges de l’ennemi, les autres assurent que ce sont des traces d’Algonquins, sauvages alliés. Ahatsistari, auquel tous les autres défèrent pour ses faits d’armes et son courage, s’écrie : « Qu’ils soient amis ou ennemis, il n’importe, je remarque à leurs traces qu’ils ne sont pas en plus grand nombre que nous. Avançons et ne craignons rien. » À peine ont-ils fait un mille de chemin, que l’ennemi, caché dans les grandes herbes et les broussailles, se lève avec de grands cris et décharge sur les canots une grêle de balles.

Le bruit des arquebuses effraye si fort une partie des Hurons, qu’ils abandonnent leurs canots et leurs armes pour se sauver au fond des bois. Le jeune Français, qui se trouve à l’arrière-garde, les suit. Heureusement, cette première décharge n’a fait aucun mal ; un Huron seulement a eu la main transpercée et quelques canots sont brisés en éclat. La petite expédition ne compte plus que douze à quatorze combattants. On se bat vaillamment, lorsqu’une bande de quarante Iroquois en embuscade de l’autre côté du fleuve vient fondre sur ceux qui résistent encore. Écrasée par le nombre des ennemis qui reçoivent toujours du renfort, cette poignée de braves perd courage. Ceux qui sont les moins engagés sont contraints de fuir, abandonnant leurs camarades dans la mêlée. René Goupil, qui n’est plus soutenu de ceux qui le suivent, est entouré et pris avec Abatsistari et les plus courageux des Hurons.

Le père Jogues, qui aurait pu se sauver en se cachant dans les halliers et dans les roseaux, ne veut point abandonner les Français et les néophytes, et il vient grossir le nombre des captifs.

« Pour moi, écrit-il, témoin de tout, je ne voulais ni ne pouvais fuir. Comment fuir en effet nu-pieds[13] ? Comment me résoudre à abandonner ce bon Français, les autres Hurons captifs, et ceux qui allaient le devenir, et dont plusieurs n’étaient pas baptisés ? Cependant, comme les ennemis, pour poursuivre les fuyards, m’avaient laissé sur le théâtre du combat, j’appelai un de ceux qui veillaient à la garde des prisonniers, et le priai de m’adjoindre au Français déjà pris, lui faisant comprendre qu’étant son compagnon de voyage, je voulais partager ses périls et sa mort. Cet homme, comme saisi de frayeur, et pouvant à peine ajouter foi à mes paroles, s’approcha de moi, et me réunit aux autres captifs. »

Guillaume Couture, qui rencontre pour la première fois l’Iroquois, fait bravement le coup de feu, puis, voyant que les Hurons lâchent pied, il se sauve comme eux dans les bois. Jeune, plein d’ardeur et d’agilité, il est bientôt hors des prises de l’ennemi, lorsqu’il s’aperçoit que le père Jogues ne l’a point suivi. Il est pris de remords parce qu’il a abandonné le missionnaire et son camarade. « Comment ai-je pu, se dit-il à lui-même abandonner mon père chéri, et le laisser exposé à la rage des sauvages ? Comment ai-je pu fuir sans lui ? Quoi ! l’abandonner ? Jamais. » Il ne veut point passer pour lâche et comme il s’en va retourner sur ses pas, il se trouve en face de cinq grands Iroquois. L’un d’eux le couche en joue, mais l’arquebuse fait fausse amorce, et Couture, qui considère que l’on ne doit jamais manquer son ennemi, le jette raide mort sur place. Il se trouve que celui qu’il vient d’expédier si prestement est un chef distingué. Les quatre Iroquois qui restent, furieux, se jettent sur lui, le dépouillent de ses vêtements, le rouent de coups de bâtons, lui arrachent les ongles, lui broient les doigts avec leurs dents, et lui passent une épée à travers la main droite. Après l’avoir lié et garrotté ils l’amènent à ses compagnons[14].

Le père Jogues le reconnaît, il s’échappe de ses gardes et se jette à son cou : « Courage, lui dit-il, mon cher frère et mon cher ami, offrez vos douleurs et vos angoisses à Dieu pour ceux mêmes qui vous tourmentent ; ne reculons point, souffrons courageusement pour son saint nom, nous n’avons prétendu que sa gloire en ce voyage. » Les Iroquois demeurent d’abord tout étonnés. Puis, se figurant que le Père applaudit à Couture de ce qu’il a tué un de leurs chefs, ils se jettent sur lui, le frappent à coups de poings, de bâtons et de massues, et le laissent à demi-mort. Comme il respire encore, ceux qui n’ont point frappé s’approchent, lui arrachent avec leurs dents les ongles des doigts, lui mordent les index dépouillés des chairs et les broient comme entre deux pierres. René Goupil est traité de la même façon.

Quelque atroce que soit la douleur, les martyrs la supportent avec calme et sang-froid.

Cependant les coureurs reviennent de leur chasse aux hommes, et l’on s’embarque pour l’autre rive du fleuve où le bagage des douze canots est partagé. Le butin était assez considérable, car outre ce que chaque Français apportait pour lui-même, il y avait vingt paquets renfermant beaucoup d’objets d’église, et de plus pour les missionnaires, des habits, des livres, et autres choses, que la pauvreté chez les Hurons rendait vraiment précieuses[15]. On prit ensuite le chemin du pays iroquois.

Le voyage dura treize jours.

Il est difficile de concevoir les souffrances qu’eurent à endurer les prisonniers : la faim, la soif, une chaleur ardente, les menaces, les mauvais traitements, la douleur des plaies encore ouvertes et envenimées, dans lesquelles se formaient déjà des vers. Pendant les haltes, les barbares s’approchaient des prisonniers pour leur arracher les cheveux et la barbe, et enfoncer profondément leurs ongles toujours très aigus, dans les parties du corps les plus délicates et les plus sensibles. Chaque soir, pour se délasser des fatigues de la journée, on renouvelait les tortures. Cette marche funèbre de chrétiens avait quitté les rives du Saint-Laurent depuis huit jours lorsqu’on fit la rencontre de deux cents guerriers iroquois qui venaient à la chasse des Français.

C’était une croyance parmi les sauvages que ceux qui partaient pour la guerre étaient d’autant plus heureux qu’ils étaient plus cruels envers leurs ennemis. Les guerriers s’en allant en course, à la vue des prisonniers, remercient d’abord le soleil, dieu des combats, de cette capture et félicitent leurs compatriotes par une brillante décharge de mousqueterie, puis tous entrent dans les bois voisins pour y couper des bâtons. Ainsi armés, deux cents guerriers se rangent sur deux lignes et font passer les prisonniers tout nus dans ce chemin nouveau. C’est à qui deschargera plus de coups et plus fortement. Le père Jogues, qui est réservé pour la fin, n’a pas fait la moitié de la route, qu’il tombe écrasé sous cette grêle de coups et ne peut plus se relever. Un instant on le croit mort. Il revient à lui et les supplices recommencent. Les doigts sont brûlés, écrasés, pressés, tordus. Quand les forces manquent aux captifs, on leur applique du feu aux bras et aux cuisses.

Ahatsistari eût les deux pouces coupés, et, par la plaie de la main gauche, on enfonça jusqu’au coude un bâton très aigu.

Dans l’après-midi du treizième jour après leur départ, les captifs arrivent enfin sur les bords de la rivière, près du premier village des Agniers. Pendant tout leur voyage, ils n’avaient mangé que quelques fruits cueillis en passant sur la route. Dans les haltes, les sauvages avaient mis la chaudière sur le feu, comme pour cuire la nourriture ; mais tout s’était borné à laisser chacun prendre de l’eau tiède à discrétion.

À l’entrée du village, la jeunesse, armée de bâtons, et rangée sur deux haies, attendait les hôtes de la nation.

Voici l’ordre établi dans la marche :

En tête des prisonniers, on fit marcher Couture. Il avait tué un chef de distinction et on le considérait comme le plus criminel. Après lui venaient les Hurons, à égale distance les uns des autres, et au milieu d’eux était René Goupil. Le père Jogues fermait la marche. Les Iroquois s’étaient répandus dans les rangs pour retarder la marche et mettre plus de distance entre les prisonniers.

Les uns, armés de morceaux de fer qu’ils faisaient jouer au bout d’une corde, les autres, brandissant de lourds gourdins, frappaient à coups redoublés. Ce chemin conduisait à un échafaud élevé au milieu du village où les victimes furent exposées pendant le jour à la curiosité publique[16].

La nuit on les réunissait dans une cabane où les enfants s’amusaient à jeter sur eux des cendres rouges et des charbons ardents[17]. Pour rendre leurs fils capables des plus grandes choses, les sauvages leur faisaient faire l’apprentissage de la cruauté.

Les Iroquois n’avaient encore jamais vu sur leurs théâtres des prisonniers français, ni des chrétiens ; aussi, contre l’usage, et pour contenter la curiosité de tout le monde, on les conduisit dans tous les villages.

Il fallait avoir des bourreaux plus frais.

Pendant ses tourments le père Jogues trouvait encore moyen de baptiser les catéchumènes hurons avec quelques gouttes d’eau, restées à la suite de la pluie sur les feuilles des épis de blé d’Inde qu’on lui avait servis pour nourriture,

Guillaume Couture, quoiqu’il eût les mains toutes meurtries, n’avait encore perdu aucun de ses doigts. Un sauvage se chargea de réparer cet oubli, et lui enleva la moitié de l’index droit. La douleur fut d’autant plus grande que le sauvage se servit, non d’un couteau, mais d’un morceau de coquillage ; et comme il ne pouvait couper le nerf trop dur et trop glissant, il le lui arracha en tirant avec une telle violence, que le bras enfla prodigieusement jusqu’au coude. La douleur en rejaillit jusqu’au fond de son cœur, dit le père Jogues.

Un sauvage eut pitié de lui, et le garda dans sa maison. Couture put ainsi échapper aux tourments qu’eurent à subir encore ses malheureux compagnons.

Depuis sept jours ils étaient traînés de village en village, de théâtre en théâtre, lorsqu’on leur annonça qu’ils allaient périr par le feu. Cependant, après une plus mûre délibération, les anciens des villages pensèrent qu’il valait mieux conserver la vie aux Français afin de pouvoir se servir d’eux avantageusement dans l’occasion pour faire la paix.

C’était de la politique sauvage.

Trois Hurons furent condamnés à mourir. L’un d’eux était le brave Ahatsistari, qui périt au milieu des tortures avec toute la grandeur d’âme et la patience d’un martyr.

Les Français ayant la vie sauve, on ne leur fit plus aucun mal. On les coucha sur des écorces d’arbre et on leur donna de la farine d’Inde pour se réconforter et parfois un peu de citrouille à demi-crue. « Leurs mains et leurs doigts étant tout en pièces, dit la relation, il leur fallait appaster comme des enfants. »

Lorsque les captifs eurent repris assez de force, on parla de les ramener aux Trois-Rivières pour les rendre aux Français, mais les chefs ne purent s’accorder.

Les saurages avaient coutume de donner les prisonniers aux familles qui avaient perdu quelques-uns de leurs parents à la guerre. Ces prisonniers héritaient en quelque sorte des droits des défunts et n’avaient plus d’autres maîtres que le chef de la famille. Celui-ci avait sur eux droit de vie et de mort.

Guillaume Couture, qui avait conservé assez de vigueur pour marcher jusqu’à Tionnontoguen[18], fut donné à une famille dont le chef avait été tué en guerre.

Le père Jogues et René Goupil furent gardés comme otages.

Dans l’automne, le gouverneur du fort d’Orange traita en vain de la délivrance des prisonniers. Le commandant hollandais proposa aux Iroquois 260 piastres de rançon. Malgré ses offres et ses promesses, il ne put rien obtenir. Les sauvages, très adroits et rusés, ne voulant point paraître rejeter la demande de leurs alliés, alléguèrent faussement qu’ils avaient promis de rendre les captifs aux Français dans peu de jours[19].

En septembre, une simple aventure occasionna la mort de Goupil. Il ôta un jour le bonnet d’un enfant qui vivait dans sa cabane, et lui fit faire un signe de croix. Un vieillard superstitieux, aïeul de l’enfant, prit cette action pour un maléfice, et ordonna à son neveu de tuer le français ; le neveu exécuta fidèlement cet ordre barbare.

Un jour, comme le père Jogues et le jeune chirurgien rentraient au village, récitant leurs prières, deux jeunes gens les arrêtèrent, et l’un d’eux, tirant une hache cachée sous son vêtement, en porta un coup violent sur la tête de René Goupil, qui fut renversé et mourut peu d’instants après, en prononçant le saint nom de Jésus. À la vue de la hache ensanglantée, le père Jogues se jeta à genoux, ôta son bonnet, et se recommandant à Dieu, attendit que la hache lui tombât sur la tête. « Lève-toi, lui dit le meurtrier, je n’ai pas le droit de te tuer, car tu appartiens à une autre famille. »

Après avoir traîné le corps de Goupil dans le village, on le jeta dans un torrent voisin où les eaux du printemps l’entraînèrent dans la rivière Hudson.

Dans l’hiver le père Jogues fut donné comme valet à des chasseurs. Vêtu d’un mauvais capot rouge, il lui fallait couper et apporter le bois pour entretenir le feu de la cabane. Il put cependant visiter les autres bourgades et donner des consolations aux captifs.

Il s’appliqua à l’étude de la langue. Comme les assemblées de tout le pays se tenaient dans sa cabane, il commença d’instruire les anciens sur les mystères de la foi. Ceux-ci lui adressaient mille questions sur le soleil, sur la lune, sur la figure qu’on aperçoit dans son disque, sur l’étendue de la terre, la grandeur de l’océan, le flux et le reflux de ses eaux. Ils lui demandaient si, comme ils l’avaient entendu dire, le ciel touchait quelque part à la terre.

Le Père leur répondait suivant les préceptes de la science, en se proportionnant à leur intelligence. Et les sauvages saisis d’admiration disaient entre eux : « Nous aurions fait une grande sottise de le tuer, comme nous avons été souvent sur le point de le faire. »

C’étaient là de rares moments de repos. À chaque instant du jour un vieillard ambitieux ou une vieille femme acariâtre pouvaient faire trancher la tête aux captifs. Une expédition avait-elle été malheureuse, quelqu’un tombait-il sous le fer de l’ennemi, un parti retardait-il à venir de ses courses, la chasse avait-elle manqué, on en accusait les étrangers.

Pendant une nuit sombre, le père Jogues, qui campait aux bords de l’Hudson, parvint à se jeter dans un bateau que le capitaine d’un vaisseau hollandais avait fait atterrir à dessein, et, d’aventures en aventures, la veille de Noël 1644, il abordait sur une mauvaise barque de pêcheur à la côte de Bretagne[20].

Guillaume Couture se trouvait seul au milieu des peuplades ennemies. Il en prit courageusement son parti.

Vigoureux, actif, infatigable, pouvant supporter les plus grandes misères et toujours content, habile dans tous les arts chers aux sauvages, excellent tireur, agile à la course, capable de travailler les bois et de creuser proprement un canot, ce normand, intrépide comme tous les normands, ne tarda pas à s’emparer de l’esprit de ses nouveaux compagnons. Il se forma à leurs habitudes, apprit leur langue et fit tant et si bien que l’on finit par l’admettre dans les conseils de la nation. Quand ses amis restés au pays déploraient son sort, Couture trônait dignement au milieu des sachems indiens, faisant valoir ses talents de société.

Pendant un certain temps, le bruit se répandit qu’il était mort dans des tourments cruels[21]. C’était un leurre des sauvages pour effrayer le père Jogues. Dans l’été de 1643, deux Hurons captifs dans son village parvinrent à s’échapper, abordèrent aux Trois-Rivières et racontèrent force nouvelles au père Brébeuf. Couture pendant l’hiver avait eu le pied gelé de froid.

« Les deux Français qui sont avec le père Jogues nous donnent de l’étonnement, dit la relation de 1643 (pp. 68-69), celui notamment qui se nomme Guillaume Couture. Ce jeune homme pouvait se sauver, mais la pensée lui en étant venu : « non, dit-il, je veux mourir avec le Père, je ne le saurais abandonner, je souffrirai, volontiers, le feu et la rage de ces tigres pour l’amour de J.-C. en la compagnie de mon Père. » C’est parler en homme vraiment fidèle ; aussi ne s’était-il pas jeté dans ces dangers, pour aucune considération temporelle.

Depuis trois ans, le bon Guillaume vivait de la vie des bois, jouissant de l’estime et de la considération de ceux qui l’avaient voulu mettre à mort, lorsqu’au printemps de l’année 1645, il vit arriver au milieu des cinq cantons un prisonnier iroquois qui venait annoncer à sa nation la bonne nouvelle qu’Ononthio avait résolu de faire la paix avec la tribu[22].

Fatigués de guerroyer et de soutenir une lutte sanglante, poussés sans doute par les bons conseils de Couture, les vieillards résolurent d’enterrer la hache de guerre. Deux hommes de considération furent délégués auprès du gouverneur de Montmagny. On leur donna Couture comme compagnon de route.

II

Au mois de juillet, les ambassadeurs parurent en face des Trois-Rivières. « Sitôt que Couture fut reconnu, nous disent les Relations[23], chacun se jeta à son cou. On le regardait comme un homme ressuscité qui donne de la joie à tous ceux qui le croyaient mort, ou du moins en danger de passer le reste de ses jours dans une très amère et très barbare captivité. » Ayant mis pied à terre, il informa les autorités des desseins pacifiques de ses compagnons.

Cette bonne nouvelle annoncée, on vit accourir les Français au bord de la rivière. Alors le chef de la députation, debout à l’avant du canot qui l’avait amené, couvert de porcelaine, fit signe de la main qu’on l’écoutât : « Mes frères, dit-il, j’ai quitté mon pays pour vous venir voir. On m’a dit à mon départ que je venais chercher la mort, et que je ne verrais jamais plus ma patrie, mais je me suis volontairement exposé pour le bien de la paix ; je viens donc entrer dans les desseins des Français, des Hurons et des Algonquins, je viens pour vous communiquer les pensées de tout mon pays. » Cela dit, la chaloupe tira un coup de pierrier et le fort répondit d’un coup de canon.

Ce ne fut alors que réjouissances et festins, jusqu’à l’arrivée du gouverneur de Montmagny. Celui-ci voulut sceller le traité de paix par une somptueuse cérémonie qui eut lieu dans la cour du fort où l’on avait étendu de grandes voiles contre l’ardeur du soleil.

D’un côté était le gouverneur accompagné de sa suite et du père Vimont. Les Iroquois étaient assis à ses pieds sur une grande écorce de pruche. En face du trône de M. de Montmagny se tenaient les sauvages alliés. Les deux côtés du carré étaient fermés par les Français et quelques Hurons.

L’audience étant ouverte, le chef de la députation, qui était d’une haute stature, se leva et regardant le soleil et tournant les yeux sur l’assemblée, prit un collier de porcelaine dans sa main et commença sa harangue d’une voix forte :

« Ononthio prête l’oreille, je suis la bouche de tout mon pays, tu écoutes tous les Iroquois en entendant ma parole. Mon cœur n’a rien de mauvais, je n’ai que de bonnes chansons en bouche, nous avons des tas de chansons de guerre en notre pays, nous les avons toutes jetées par terre, nous n’avons plus que des chants de réjouissance. »

Et, là-dessus, il se mit à chanter, et ses compatriotes répondirent. Il se promenait dans la place comme dans un théâtre ; il faisait mille gestes, il regardait le ciel, il envisageait le soleil[24], il frottait ses bras comme s’il eut voulu en faire sortir la vigueur qui les animait en guerre. Après avoir bien chanté, il remercia le gouverneur de ce qu’il avait sauvé la vie à un de sa tribu ; mais il se plaignit de ce qu’on l’avait renvoyé tout seul dans son pays : si son canot se fut renversé, si les vents l’eussent fait submerger, s’il eut été noyé, vous eussiez longtemps attendu le retour de ce pauvre homme abîmé et vous nous auriez accusé d’une faute que vous-même auriez faite.

Prenant un collier et l’attachant au bras de Guillaume Couture : « C’est ce collier, dit-il, qui vous ramène ce prisonnier. Je ne lui ai pas voulu dire étant encore dans mon pays : Va-t-en, mon neveu ; prends un canot et retourne à Québec. Mon esprit n’aurait pas été en repos ; j’aurais toujours pensé et repensé en moi-même : Ne s’est-il point perdu ? En vérité, je n’aurais pas eu d’esprit, si j’eusse agi de la sorte. Celui que vous avez renvoyé seul a eu toutes les peines dans son voyage. »

À la parole succède la pantomime.

Il représente les fatigues et les dangers que le prisonnier libéré a rencontré pendant son voyage solitaire. Il prend un bâton, le met sur sa tête en guise de paquet, puis le porte d’un bout de la place à l’autre. C’est ainsi que dans les rapides, il a dû transporter son bagage pièce par pièce. Il va et revient pour peindre les tours et retours de son compatriote ; il s’échoue contre les pierres, il recule plus qu’il n’avance dans son canot ; il ne peut le pousser seul contre les courants ; il perd courage, puis reprend ses forces. « Encore, ajoute-t-il, si vous l’eussiez aidé à passer les sauts et les mauvais chemins et puis vous arrêtant et pétunant si vous l’eussiez regardé de loin vous nous auriez consolés : mais je ne sais où était votre pensée, de renvoyer ainsi un homme tout seul dans tant de dangers ; je n’ai pas fait de même. Allons, mon neveu, ai-je dit à celui que vous voyez devant vos yeux, je te veux rendre dans ton pays au péril de ma vie. »

Et l’orateur, prenant un à un les colliers de porcelaine exposés au milieu de la cour, les présenta au gouverneur en donnant la signification de chacun.

Il pouvait y avoir du vrai dans les sentiments exprimés par Kiotsaeton, l’orateur, il y avait peut-être encore plus de faux. En effet, parlant du père Jogues et du père Bressani, il disait : « Nous voulions vous les ramener tous les deux, mais nous n’avons pas pu accomplir notre dessein. L’un s’est échappé de nos mains malgré nous, et l’autre (le P. Bressani), a voulu absolument être remis aux Hollandais. Nous avons cédé à ses désirs. Nous regrettons, non qu’ils soient libres, mais que nous ne sachions pas ce qu’ils sont devenus. Peut-être même qu’au moment où nous parlons d’eux, ils sont les victimes de quelque cruel ennemi ou englouti dans les flots : mais les Agniers n’avaient pas le dessein de les faire mourir. »

Le père Jogues, qui était revenu au pays dès le printemps précédent et qui assistait à la cérémonie sans que les Iroquois s’en doutassent, ne put s’empêcher de sourire en entendant cette déclaration, et il dit à ses voisins : « Et cependant les bûchers étaient préparés et les bourreaux attendaient, si Dieu ne m’avait pas arraché de leurs mains, je serais mort cent fois : mais laissons le dire. »

C’est ainsi que se croyant en sécurité les Iroquois donnèrent juste raison de douter de leur sincérité.

Ainsi que le voulait l’étiquette de la diplomatie sauvage, les préliminaires du traité de paix arrêtés, le gouverneur fit, le lendemain, un grand festin et répondit par des présents à ceux qu’avaient offerts les Iroquois. On tira trois coups de canon pour chasser « le mauvais air de la guerre. » Le père Vimont, supérieur des Jésuites aux Trois-Rivières, donna à chacun des ambassadeurs du tabac et un beau calumet. On le remercia en disant : « Vous nous avez couverts de présents depuis les pieds jusqu’à la tête il ne nous restait plus que la bouche de libre, et vous l’avez remplie d’un beau calumet et réjouie de la faveur d’une herbe qui nous est très douce. »

Les précieuses de Rambouillet ne parlaient pas mieux.

Après les festins et les fêtes qui sont de rigueur en ces occasions, il fallut partir pour faire ratifier le traité de paix par la nation. Le départ eut lieu le quinze de juillet. M. de Montraagny, pour aider les sauvages à reconduire leurs canots et pour témoigner de la confiance qu’il avait, leur donna deux jeunes garçons français. Avec eux était Guillaume Couture. Le voyage ne fut pas long, et, le dix-sept septembre, plus de quatre cents sauvages se trouvaient réunis aux Trois-Rivières pour assister à la grande solennité de la ratification du traité.

La députation iroquoise avait confié les présents à Couture. Le chef des ambassadeurs parla en ces termes :

« Je n’ai point de voix, ne m’écoutez pas, je ne parle point, je n’ai en main qu’un aviron pour vous ramener un français qui a dans sa bouche la parole de tout notre pays. »

Couture tira alors dix-huit colliers de porcelaine dont il fit comprendre la signification[25].

« Ononthio[26] a une voix de tonnerre, il se fait entendre partout, et au bruit de sa parole, tout le pays des Iroquois a jeté les armes et les haches, mais si loin, qu’il n’y a plus de bras au monde assez longs pour les retirer de là.

« Les armes sont hors de la vue, on peut se visiter sans crainte.

« Voilà une natte ou un lit pour vous coucher mollement quand vous viendrez en notre pays.

« Ce n’est pas assez d’un bon lit, les nuits sont froides : Voilà de quoi allumer un bon feu et vous tenir chaudement.

« Que servirait-il d’avoir un bon lit, et d’être dessus couché chaudement, si vous n’étiez bien nourri ? Ce présent vous assure qu’on vous fera festin et que vous trouverez le pot au feu à votre arrivée.

«  Voilà un peu d’onguent pour guérir les blessures que les Français se sont faites aux pieds. En allant dans notre pays, ils se sont heurtés contre les pierres et contre les racines.

« Depuis l’endroit où on laisse l’eau pour prendre terre, il y a bien trente lieues de chemin jusqu’à nos bourgades. Il faut porter tout le bagage à pied. Les Français en ont eu de la peine. Ce présent adoucira un petit peu leurs épaules déchirées par la pesanteur des paquets.

« Voilà pour assurer aux Français que s’ils veulent se marier en notre pays, ils y trouveront des femmes.

« Nous voudrions connaître ce que les Algonquins pensent, et avoir le sentiment des Hurons.

« Les capitaines iroquois ne font rien que pétuner en leur pays, ils ont toujours le calumet à la bouche[27].

« Les âmes de nos parents tués en guerre sont si profondément retirées dans le centre de la terre, que nous n’y pourrons plus jamais penser[28].

« Nous avons obéi à la voix d’Ononthio qui veut qu’on suspende les armes et qu’on cache les haches ; c’est pourquoi nous avons passé tout l’été en danses et en festins sans penser à la guerre.

« Nous voulons savoir si nous continuerons nos danses. Il faut que les Hurons et les Algonquins se hâtent de parler[29].

« Ce présent est pour adoucir les fatigues des Français qui sont venus en notre pays. Ils ont pris beaucoup de peine et ont fait diligence pour rapporter à Ononthio des nouvelles des Iroquois.

« Nous prions Ononthio de faire retourner avec nous une femme de notre nation qui a été prise par les Algonquins et qui a été donnée aux Français.

« Ononthio doit sonder les Hurons et les Algonquins et leur faire dire nettement leur pensée touchant la paix ou la guerre. Nous nous excusons de ne pas avoir ramené un petit français[30]. »

Dans ce discours, sorte de chant de paix qui ressemble aux versets des anciens bardes d’Écosse, on voit revenir un continuel refrain. On est anxieux de savoir quelle est la pensée des Hurons et des Algonquins. Depuis si longtemps, en effet, que ces deux nations alliées faisaient la petite guerre aux Iroquois, la paix semblait difficile à conclure. L’âme des parents massacrés demandait vengeance. « J’ai passé, disait Kiotsaeton, auprès du lieu où les Algonquins nous ont massacrés ce printemps, dans le combat où les captifs ont été pris. J’ai passé vite, ne voulant point voir le sang des miens, qu’on a répandu, ni les corps qui sont encore sur la place ; j’ai détourné les yeux pour ne pas exciter ma colère. » Puis, frappant la terre et se penchant comme pour écouter, il continuait : « J’ai entendu les voix de mes ancêtres massacrés par les Algonquins. Leurs voix aimées m’ont crié : Mon petit-fils ! mon petit-fils ! assieds-toi ; n’entre point en fureur ; ne songe plus à nous : il n’y a plus moyen de nous arracher à la mort. Pense aux vivants ; sauve ceux que le fer et le feu poursuivent. Un homme vivant vaut mieux que plusieurs trépassés. J’ai entendu leurs voix ; j’ai passé outre, et je suis venu à vous pour délivrer ceux que vous tenez captifs. »

Cependant la paix si nécessaire à la colonie était enfin conclue. C’était le premier traité de paix solennel que l’on eut jamais arrêté avec les Iroquois. Les négociations, il est vrai, n’étaient engagées qu’avec un seul des cantons, la tribu des Agniers, mais c’était un commencement d’apprivoisement. Guillaume Couture y avait pris la principale part.

C’était maintenant au tour des Hurons d’aller porter des présents chez leurs ennemis d’hier. Les envoyés, après avoir fait escale à Québec, s’embarquèrent le vingt-deux de septembre pour le pays iroquois. Couture les accompagna. Quand il fallut doubler la rivière Richelieu, les Hurons jusqu’alors pleins de sécurité retournèrent sur leurs pas. Tous les pourparlers de paix si bien commencés se seraient rompus sans la persévérance de Couture qui engagea trois Hurons à le suivre lui et les Agniers[31]. »

La colonie depuis si longtemps en proie aux incursions sauvages pouvait respirer un peu. La rivière n’étant plus infestée de partis de guerre, le commerce reprit quelque vigueur On profita de ces instants de calme pour faire passer de nombreux convois dans les missions lointaines. Les fortifications de Montréal et les redoutes du Richelieu furent terminées. On commença des défrichements.

Quelques Algonquins ayant été tués pendant l’hiver, on craignit d’abord que ces meurtres ne fussent l’œuvre des Agniers. Quelques blessés, rappelés à la vie à force de soins, firent connaître que les assassins étaient des Sokokiois.

Au mois de mars,[32] un François et un Huron arrivèrent aux Trois-Hivières avec sept Agniers apportant des lettres de Couture. Celui-ci, ayant passé l’hiver chez les Agniers, avait assisté à leurs conseils et il confirmait les bonnes intentions de cette tribu. L’amnistie promettait de se prolonger. Jamais on n’avait joui d’une pareille quiétude[33].

Aussi quand, au mois d’avril, Couture arriva aux Trois-Rivières avec le père jésuite Pijart, on voulut lui faire une splendide réception pour le remercier de ses services. Le père le Buteux lui donna un grand festin. Les Iroquois avait appelé Couture Ihandich. Comme ce nom sonne mal en iroquois, on lui décerna celui d’Achirra. C’était l’appellation sous laquelle avait été connu le célèbre Jean Nicolet. Guillaume Couture, certes, par ses travaux et son courage, méritait bien de rappeler le souvenir de l’un des voyageurs les plus entreprenants des premiers temps de la colonie. Depuis la mort de Nicolet, pas un interprète n’avait su s’attirer l’estime et la confiance des sauvages comme Couture. Le Journal des Jésuites nous dit que cette fête fût célébrée « avec la joye de tous les sauvages hurons, algonquins et anniéronons. » En se rendant à Québec, Couture eut une nouvelle ovation chez les sauvages de la petite colonie de Sillery. Le père Jérôme Lallemant y fit festin aux chrétiens qui s’y trouvaient.

Le jésuite Pijart était un vétéran. Depuis onze ans il avait travaillé dans les missions huronnes. À peine eut-il fait relâche quatre jours dans Québec, que, déjà, il repartait pour desservir la bourgade de Sainte-Marie. Couture voulut revoir le pays où il avait fait ses premières armes et le vieux journal rapporte qu’il s’embarqua avec son compagnon de route[34].

À l’automne de 1647, par un acte qui se trouve au greffe d’Audouard, on doit conclure que Couture était de retour à Québec.

Depuis sept ans Couture avait mené une vie bien remplie. Peu de ses compagnons pouvaient montrer d’aussi beaux états de service. Dès 1640[35], engagé volontaire, on le trouve dans la plus lointaine et la plus périlleuse des missions. Hardi et courageux travailleur, il est au danger, à l’avant-garde. Par deux fois, il entreprend ce voyage ardu et, difficile. Pénétrer à sept cents milles de la mer, en canot d’écorce, par des chemins souvent impossibles, ramer du matin au soir, porter vivres, bagage et barques dans les rapides, n’avoir pour nourriture qu’un mauvais biscuit, sans cesse exposé aux attaques d’un ennemi cruel et sauvage : certes, voilà des expéditions qui comptaient. Et ceux qui les entreprenaient avaient d’autant plus de mérite qu’ils s’étaient exposés au danger par de simples motifs de charité.

Captif pendant trois ans, compagnon d’un martyr, Couture, après avoir été victime des tourments des sauvages, gagne leur confiance et parvient à conclure le premier traité de paix solennel avec les Iroquois. Il devient l’intermédiaire entre les cinq cantons et les autorités de la colonie.

Après avoir été à la peine, il mérite d’aller au repos.

III

Québec était fondé depuis quarante ans, et pas un seul colon ne s’était encore établi en face de la ville naissante, sur la rive droite du fleuve.

La seigneurie de Lauzon, où se trouve la Pointe de Lévy, avait ouvert, avec Beauport, l’île d’Orléans et la côte de Beaupré, la liste de concessions des grands domaines. Dès 1636, la compagnie des Cent-Associés octroyait à Simon Lemaître la rivière du Saut de la Chaudière avec trois lieues de pays sur chacune de ses berges jusqu’à six lieues de profondeur[36].

Le roi lui-même, à la demande de la compagnie, avait donné le nom de Lauzon à cette terre nouvelle.

Pendant que sur les rives de Beauport, dans les côtes de Beaupré, au flanc des coteaux verdoyants d’Orléans, on voyait poindre les blanches métairies et les chaumières au toit de paille, la falaise de Lauzon gardait son aspect sauvage, ses grands pins touffus.

La colonisation rencontrait un grand obstacle dans les peuples sauvages : les Iroquois surtout qui occupaient le sud du Saint-Laurent depuis le lac Ontario jusqu’au delà de la rivière Richelieu.

« Dans cet état de choses, dit M. Rameau[37], les cantons les plus abrités contre les incursions ou les mieux placés pour la défense, furent les seuls qui se peuplèrent un peu sérieusement d’abord, c’était Beauport et les environs immédiats de Québec, c’était la côte de Beaupré qui, placée derrière Québec, entre le fleuve et les montagnes abruptes de Montmorency, avait peu de chose à craindre des Iroquois qui devaient passer devant Québec pour y parvenir. C’était encore l’île d’Orléans, à laquelle sa situation au milieu du fleuve, sa proximité de Québec, et la présence d’un village d’Indiens convertis, assuraient une assez grande sécurité. »

Il ne pouvait y avoir meilleur poste d’observation que cette côte escarpée de Lauzon, couverte de bois épais, en face de Québec. De là, la vue commande en aval et en amont du fleuve. Rien ne pouvait échapper à la surveillance de l’ennemi. Les grand’gardes des partis de guerre blotties à la tête des arbres pouvaient y attendre pendant de longs jours la sortie des canots de Québec pour se jeter à leur poursuite[38].

Le vieux journal note brièvement, chaque jour, les alertes continuelles qui venaient de ce côté. Aujourd’hui, dit-il, nous avons appercevance des Iroquois à la côte de Lauzon. Vanus lumen rumor. Hier, c’est un frère lai qui, allant tendre sa pêche à l’anguille près de la Chaudière, a vu disparaître ses deux compagnons algonquins. Tantôt, c’est un chasseur aventureux qui a voulu s’enfoncer trop loin dans les bois et qui paie cher sa témérité.

Sur cette rive inhospitalière, les bons bourgeois de Québec se contentaient de tendre des pêches à l’entrée des nombreux ruisseaux qui se jetaient de la côte, et où le poisson abondait. Voilà tout.

Montréal et Trois-Rivières, postes avancés, avaient eu pour les défendre des hommes de guerre. Dans Beauport, à Beaupré, dans l’île, s’était dirigée, guidée par les seigneurs ou des chefs de file, une émigration assez compacte. Dans Lauzon, le concessionnaire habitant Paris, occupé à refaire sa fortune et à procurer l’avancement de sa famille, ne songeait guère à peupler les nombreux domaines qu’il lui avait plu de se découper dans la carte du pays.

Les colons isolés, qui s’aventurèrent dans Lauzon, devaient avoir des caractères bien trempés, être capables de sacrifice et de dévouement. Le premier qui se présenta fut Guillaume Couture.

Celui-là était un colon comme en voulait Talon pour peupler les environs de Québec : un de ces hommes courageux, capables de contribuer à la défense du pays sans que le roi eût besoin de les payer[39].

En 1647, on trouve l’ancien voyageur, à la Pointe de Lévy, hache en main, faisant vaillamment sa trouée à travers la forêt, à la conquête d’une habitation[40].

Couture travaille fort et dru, car, à l’automne, un bourgeois de Québec, François Bissot, sieur de la Rivière, lui offre deux cents livres pour un petit corps de logis fait au lieu appelle la Pointe de Lévy avec quelques quantités de bois abattu autour du dit lieu[41].

Couture accepte l’offre de Bissot. L’accord se signe en présence de Nicolas Marsolet, Mtre Jean Bourdon, François Chavigny, Thomas Vivien, Guillaume Cochon. Le courageux pionnier se réserve le droit d’habiter le logis temporaire qu’il vient d’élever jusqu’à la Saint-Michel de 1648, jour où sa maison sera terminée.

Il promet de mener de front durant l’hiver le défrichement de la ferme de Bissot en même temps que celui de son propre domaine[42].

Le douzième jour d’avril 1648, les quelques bons bourgeois de Québec, qui s’étaient aventurés sur la plateforme de M. le gouverneur pour contempler le lever du soleil de Pâques, pouvaient voir descendre le long des falaises de la Pointe de Lévy deux canots d’écorce vigoureusement poussés par une dizaine de rameurs. La matinée s’annonçait belle, mais l’air froid montant du fleuve faisait pagayer plus vivement les voyageurs. La marée charroyait encore les débris de la débâcle dernière et l’on avait garni la pince des canots de peaux de veaux crûs pour se garantir des rudes poussées de glaces.

Les deux embarcations longeaient depuis quelque temps les rives désertes lorsqu’un coup d’aviron les fit atterrir au fond de la coulée qui a porté plus tard le poétique nom de trou de Joliette. Les canots avaient à peine touché terre que déjà un homme encore jeune, aux vives allures, était monté sur la grève pour offrir son bras à un compagnon plus âgé, portant à son dos, attaché par une courroie, un assez lourd bagage. Au milieu des grands pins qui couvraient alors la côte, on vit accourir des groupes de sauvages, et, derrière le cap, le bruit d’une fusillade se fit entendre.

Où s’en allaient ces voyageurs par cette matinée de printemps, quand l’aube venait à peine de paraître ? Était-ce déjà quelque incursion du farouche Iroquois contre les habitants isolés de la côte de Beaupré, ou de l’île d’Orléans ? Étaient-ce des canots de l’ordonnance qui s’en allaient au devant des navires de France, à la rencontre du nouveau gouverneur M. d’Ailleboust, ou quelques missionnaires partant en course pour les missions lointaines des Abénaquis, dans l’ancien pays de Norembègue ?

Non, ces voyageurs matinaux n’étaient ni des sauvages en quête de sanguinaires aventures, ni les messagers des grands de la terre.

Celui que l’on avait vu sauter à terre, ployant sans un lourd bagage, avait laissé tomber les longs plis d’une soutane noire, et la vive fusillade que l’on venait d’entendre était un feu de joie saluant le jésuite Pierre Bailloquet qui venait, en ce jour de Pâques, dire pour la première fois la messe à la Pointe de Lévy[43].

Le vieux Journal des Jésuites raconte brièvement, comme toujours, ce simple incident. Il laisse ignorer les détails de cette prise de possession par la religion, d’une terre qui venait d’être ouverte aux colons par un fidèle serviteur du Christ. D’ordinaire, aux beaux jours de l’été, quand le missionnaire allait célébrer les saints mystères dans les campagnes nouvelles, on élevait une chapelle de feuillage, et là, en plein champ, comme autrefois les fils d’Israël, on offrait le sacrifice. Les oiseaux du ciel composaient l’harmonieux orchestre de ces agapes qui rappelaient les premiers temps chrétiens.

Aujourd’hui, le vent d’hiver souffle. La sève printanière n’a pas encore ouvert les premiers bourgeons des arbres.

Au fond d’une clairière, à la lisière du bois, au milieu des troncs d’arbres calcinés, dans l’enchevêtrement des branches renversées, s’élève l’humble logis du pionnier Couture. Ce fut là probablement que le jésuite Bailloquet se rendit pour dire la messe solennelle du jour de Pâques.

Dans la forêt voisine, les jeunes pousses de sapins ont été coupées, c’est le seul décor de ce temple improvisé. Couture et ses compagnons de travail, la figure hâlée par les premiers soleils d’avril, les canotiers et quelques sauvages sont là, front nu, genou en terre. De Québec, le brave Bissot a dû accompagner le missionnaire.

La messe terminée, le Père adresse quelques sympathiques paroles à l’assistance, puis il ploie sa chapelle et reprend son bâton de voyage. Sa mission n’est pas terminée. Il lui faut se rendre avant la brunante à l’île aux Oies[44]. gouverneur de Montmagny, grand amateur de chasse et de pêche, a concédé depuis longtemps cet îlot désert. Des domestiques, des serviteurs ont passé l’hiver dans ces parages, il veut leur donner la bonne aubaine de la visite du prêtre.

Les canotiers agitent déjà les avirons : Embarque, embarque ! Ils veulent profiter des courants et de la marée.

Et la petite flottille s’avance au milieu du fleuve, saluée par Couture et ses camarades.

Dans cette même année 1648, le premier août, le gouverneur de Montmagny donnait aux jésuites deux arpents de terre de chaque côté de la Cabane des Pères.

À l’automne[45] Jean de Lauzon signait à Paris les concessions de Couture et de Bissot.

Ce furent là les premiers octrois de terre faits à la Pointe de Lévy.

Dans un fief, dont la superficie couvrait trente-six lieues de pays, le colon nouveau pouvait trouver aisément de quoi se tailler un domaine superbe.

Couture, qui n’était pas ambitieux, se contenta d’une concession de six à sept arpents de large, mais il voulut la choisir en un endroit propice.

Entre les deux rochers qui couronnent la Pointe de Lévy, et le premier escarpement de la côte, la nature a creusé comme un vallon. Le fleuve qui devait y passer autrefois a laissé en se retirant un bon terrain d’alluvion. Dans ce pli de la grève, que les documents des premiers temps appellent la prairie basse de la Pointe de Lévy, et qui s’étend jusqu’à l’anse des Sauvages, il y avait tout formé un excellent pâturage. De chaque côté de la pointe, le rivage en se courbant forme deux anses sablonneuses parfaitement abritées contre les vents par deux caps assez élevés. Ces monticules nus et dépouillés aujourd’hui étaient alors couverts de sapins et de cèdres. Wolfe en fit abattre les bois, plus tard, pour établir des corps de garde.

Dans ces temps primitifs, où les routes, le macadam et les chevaux étaient parfaitement inconnus, le colon recherchait de préférence pour s’établir les environs des plages faciles, les embouchures des rivières, les anses et les criques où les canots, — seules voitures de l’époque — pouvaient aisément atterrir. Les rivières sont des grands chemins qui marchent, a dit Pascal. Cette pensée fait d’un trait l’histoire de nos premières voies publiques.

Outre les avantages d’une belle nature et d’un abord facile, cet endroit avait encore celui d’être un lieu de campement très recherché des sauvages. Les Montagnais et les Micmacs surtout s’y donnaient rendez-vous. Chaque année, on pouvait voir sur la grève s’élever, la longue rangée de leurs wigwams. Sur les plus anciennes cartes du pays, cette anse est donnée comme un lieu où souvent cabannent les Sauvages[46].

Au milieu de ces enfants des bois, Guillaume Couture se trouvait chez lui.

C’est là, aux approches du fleuve et de ses amis de la forêt, que l’ancien voyageur résolut d’établir sa chaumière de colon.

Un ruisseau qui descend des collines boisées qui couronnent l’arrière du village de Lauzon et vient se jeter à la grève, après avoir alimenté la magnifique pièce d’eau que l’on voit maintenant dans le jardin du presbytère, servait de borne entre la ferme de Bissot et l’établissement de Couture. Cette onde claire et limpide, excellente à boire comme toutes les eaux jaillissant des rochers, répandait la vie et une agréable fraîcheur dans ces prés toujours verts.

À deux pas de la ville, le nouveau défricheur dut trouver aisément la main-d’œuvre et de l’aide pour construire sa demeure. Dans ces temps de mœurs patriarcales, où chacun vivait comme en communauté, les corvées étaient de mise. On se mettait gaiement à l’œuvre, sans compter ses peines et son travail. Le colon devait être alors maçon, charpentier, architecte à la fois.

Pendant que les uns s’occupaient de déserter[47] la terre, les autres s’enfonçaient dans la forêt voisine pour y choisir les bois de construction. Les cèdres, les merisiers, les érables, les pins abondaient, il ne s’agissait que d’y mettre la cognée. Couture, qui avait des connaissances en charpenterie, dut tailler lui-même les pièces de résistance de son habitation future. Nos ancêtres n’y mettaient pas tant de façon d’ailleurs pour construire une maison. L’élégance était sacrifiée au confort et à la solidité.

Les cailloux roulés des champs, amassés à la grève ou dans les lits desséchés des ruisseaux, baignés en plein mortier, faisaient des murailles résistables. Aux flancs de la colline voisine, le calcaire détaché, chauffé à blanc, broyé avec le sable du rivage se transformait en ciment[48]. Le carré principal de la maison, très bas d’ordinaire, s’appuyait sur de larges fondations. On dirait des commencements d’une forteresse. Le toit très élevé et très en pente laissait s’écouler aisément les eaux des pluies et la neige, et donnait à l’intérieur de vastes greniers pour la moisson. Portes et fenêtres étaient percées de façon à se garantir des vents violents du nord. C’était d’ailleurs une des principales préoccupations des constructeurs. On ne regardait pas à la ligue droite. C’est ce qui explique pourquoi, dans la campagne, encore aujourd’hui, la façade des maisons n’est presque jamais parallèle au chemin. Cette disposition nécessitée par le climat du pays produit un effet bizarre. On dirait que chaque maison a l’air de regarder ce qui se passe chez sa voisine.

De ci et de là, dans les épaisses murailles, on ménageait des meurtrières pour faire le coup de feu en cas d’attaque. C’étaient les vasistas du temps Au centre de la maison s’élevait la cheminée massive. À la base, creusée d’un large foyer, devait pendre la crémaillère des jours de fête. Les planchers et les boiseries de pin et de cèdre répandaient une bonne odeur, à laquelle devait se mêler plus tard la senteur des épinettes fraîches coupées, — ornement rustique des jours d’été.

Il en est encore de ces vieilles bâtisses qui résistent aux efforts du temps et de l’âge. Les plantes des champs les recouvrent, les mousses et les lichens y font leur demeure ; les merles et les rossignols y bâtissent leurs nids. La vie et la verdure recherchent ces ruines. Le printemps, qui ne veut rien laisser dormir dans la nature, éveillent des échos dans ces foyers silencieux, pleins de mystère, aux frais gazouillements des petits oiseaux du ciel.

Ces ruines toutes décrépites qu’elles paraissent ont encore une solidité vraiment étonnante. Il n’y a que l’action lente des saisons qui puissent les désagréger. La pioche du démolisseur n’en a pas facilement raison.

On l’a vu dernièrement quand il s’est agi d’accomplir l’acte de vandalisme qui s’est terminé par la disparition du vieux collège des jésuites. Les naïfs et les peureux s’en allaient, criant sur les toits, que cet édifice vermoulu finirait par tomber sur la tête des passants. C’était une vraie honte que de laisser s’étaler pareille décrépitude au plein milieu d’une ville civilisée. Les ministres, comme toujours, finirent par plier.

Les démolisseurs se mirent à l’œuvre. Pics et pioches attaquèrent ferme. Le vieux collège résista. Il fallut employer la poudre et le fulmi-coton. Les bourgeois du voisinage, tout effarés, signalaient les crevasses produites par les secousses des mines dans les murs de leurs maisons,’quand le vieil édifice finit par céder[49].

Quelque peu réparé, l’ancien collège aurait duré encore cent ans. Nos pères bâtissaient pour leurs arrière-neveux[50].

Couture avait maison et terre, il ne lui manquait plus pour être un vrai colon que de prendre femme.

Dans leurs courses aventureuses, les voyageurs n’avaient guère le temps de choisir une compagne. C’était hasard quand, dans l’année, ils pouvaient stationner dix ou douze jours au milieu des leurs. Parfois, cependant, quelques-uns de ces rudes pionniers, de passage à Québec ou aux Trois-Rivières, à l’arrivée des vaisseaux portant les filles de France, rêvaient au foyer. Et, entre deux courses, dans une halte pour prendre haleine, ils contractaient mariage L’expédition se continuait à la grâce de Dieu. La noce se fêtait au retour et l’enfant prodigue mettait dans la corbeille de l’épousée les colliers de porcelaine et les riches fourrures des bois. Le doigt, qui devait porter l’anneau des fiançailles, pouvait être disparu dans le calumet d’un Iroquois maussade, mais le cœur était intact.

Les uns, comme l’ancêtre de l’antiquaire Viger, se laissaient prendre aux grands yeux noirs de la Huronne gentille, et sur la natte du wigwam s’étalait la sagamité des noces. Ceux-là, naïfs enfants des bois, calculaient le temps par les lunes de miel.

D’autres se préparaient de longue main un établissement amassé au prix de vingt expéditions périlleuses, et quand le nid était prêt, ils s’en allaient, comme les chevaliers d’autrefois, chanter leurs prouesses à la dame de leur cœur.

Au retour de son dernier voyage chez les Iroquois, au printemps de 1646, Guillaume Couture semble avoir eu idée d’enterrer son célibat. En effet, deux jours à peine après son arrivée avec le père Pijart, les jésuites tinrent consultation pour son mariage[51] qui fut approuvé à l’unanimité. Approbatur item omnium consensu, nous dit le Journal des Jésuites.

Cette consultation nous laisse croire que Guillaume Couture, comme son compagnon martyr le bon Réné Groupil, avait fait vœu pendant sa captivité de se consacrer exclusivement au service des missions huronnes dans l’ordre de Jésus, ou de prendre l’habit de frère lai[52]. Il ne manque pas de laïcs qui, à cette époque, faisaient les mêmes promesses[53].

Ce n’est que trois ans après, cependant, que le voyageur devenu colon contracta mariage.

Le dix-huit de novembre 1649, c’est grande fête dans la maison de Couture à la Pointe de Lévy. M. Jean Le Sueur, ancien curé de Saint-Sauveur, en Normandie, et chapelain des hospitalières à Québec, y vient bénir l’union de son compatriote avec Anne Aymart, une fille du Poitou, née à Niort[54]. Parmi les invités de la noce qui signèrent l’acte de célébration, on trouve des noms connus : c’est Olivier le Tardif, interprète, commis au magasin du Roy, à Québec, c’est Zacharie Cloutier, habitant du Château-Richer. Tous deux sont beaux-frères de l’épousée. C’est encore Charles Cadieu, un des ancêtres du célèbre voyageur dont la légende a gardé souvenir et dont la poésie a chanté la fin tragique. C’est Martin Grouvel, conducteur de barque, bien connu.

Le père Jean Aymart de son mariage avec Marie Bineau[55] avait eu trois filles. Venues au pays, elles avaient trouvé de bons partis.

Olivier le Tardif, sieur de la Porte, est un des compagnons de Champlain. Il fut un des premiers à se plaindre des négligences de la compagnie de traite à l’égard de la colonie. En 1641, il fut nommé commis général de la compagnie des Cent-Associés. Marié d’abord à une fille de Guillaume Couillard, il avait épousé en secondes noces, en 1648, Barbe Aymart. Il en eut plusieurs enfants dont la postérité est nombreuse.

Zacharie Cloutier, fils d’un des plus anciens colons du Château-Richer, propriétaire du fief du Buisson, avait épousé Madeleine Aymart Guillanme Couture, dès l’année précédente, semble intime dans ces familles. En effet, en novembre[56], on le voit assister, au manoir du seigneur Giffard, à Beauport, au mariage de Louise Cloutier, fille de Zacharie et veuve de François Marguerie, célèbre interprète aux Trois-Rivières, avec Jean Mignot-dit-Chatillon[57].

Voici l’acte de mariage de Guillaume Couture, tel qu’il se trouve aux registres de Québec :

« Le dix-huit de novembre mil six cent quarante-neuf, les bancs ayant été au préalable publiés savoir le premier et second banc le onze novembre et le troisième banc le quatorze et ne s’étant trouvé aucun empêchement légitime, nous Jean Le Sueur, prêtre, ayant pouvoir du supérieur du lieu, a interrogé Guillaume Cousture, fils de Guillaume Couture et de Magdeleine Mallet, de la paroisse de St Godard, Rouen, d’une part, et Anne Esmart, fille de Jean Esmart et de Marie Bineau de la ville de Niort, paroisse de St. André, d’autre part, et ayant pris leur mutuel consentement par paroles de présents les a solennellement mariés en la maison du dit Couture à la pointe de Lévi en présence de témoins connus : Olivier Le Tardif, Martin Grouvel, Zacharie Cloutier, le père et le fils, Charles Cadieu. »

— Ce fut le premier mariage fait à la Pointe de Lévy[58].

IV

Couture, tout en fixant sa demeure, à la Pointe de Lévy, n’abandonna pas définitivement son rude métier de voyageur. On le vit rendre encore à son pays d’importants services.

Interprète de la nation iroquoise, celle qui fut la plus perfide et la plus acharnée contre les Français, il eut souvent l’occasion d’engager avec elle, au nom des gouverneurs, d’importantes négociations. Les intimes liaisons qu’il avait contractées avec ces enfants de la forêt, la grande estime dont il jouissait dans les conseils de la nation, en firent un des plus utiles intermédiaires.

Les Iroquois, de tous les naturels, du pays, furent certainement ceux qui portèrent les plus rudes coups aux commencements de la colonie. Leurs incursions continuelles retardèrent de longtemps l’avancement du pays. Champlain, en arrivant dans la Nouvelle-France, avait trouvé les Algonquins, nation très puissante alors, aux prises avec les Iroquois. Il eut l’imprudence d’épouser la querelle des premiers.

Le sauvage d’un naturel rancunier considère qu’une injure ne doit jamais rester sans vengeance quand il faudrait des années pour l’assouvir. Les Iroquois pardonnèrent difficilement cette première alliance. Ils se donnèrent de dépit aux Anglais, sans les aimer ; ils ne s’en servaient que pour se procurer des armes.

Cette nation comprenait cinq cantons séparés que dirigeaient des vieillards ambitieux, politiques, taciturnes, capables des plus grands vices et des plus grandes vertus, pouvant tout sacrifier à la patrie.

Pendant que les autres tribus se laissaient approcher par les Européens et recevaient leurs avances, les Iroquois voyaient ces empiétements d’un œil jaloux. C’est par calcul qu’ils s’étaient unis aux Anglais. Quand leurs nouveaux alliés devenaient trop puissants, ils les abandonnaient ; ils s’unissaient à eux de nouveau quand les Français obtenaient la victoire. On vit ainsi un petit troupeau de sauvages se ménager entre deux grandes nations civilisées, chercher à détruire l’une par l’autre afin de rester maître du pays[59].

Les plus féroces et les plus intrépides des hommes, les Iroquois avaient lancé leurs partis de guerre par tout le pays. Rusés et tenaces, perfides et menteurs, pour eux tous les moyens étaient bons. Leurs guerriers, prêts à engager le combat, voyaient-ils que les adversaires étaient plus nombreux, des parlementaires étaient de suite détachés pour protester de leurs intentions pacifiques. Les conditions de paix s’arrêtaient pour être rompues presque aussitôt, suivant leurs caprices et leurs intérêts, et ils trouvaient toujours des prétextes pour expliquer leur volte-face.

Cette poignée de guerriers intrépides, dans vingt ans de lutte, anéantit presque complètement les puissantes nations des Algonquins et des Hurons, sans compter plusieurs autres tribus importantes. Les Hurons, décimés, se réfugièrent sous les murs de Québec où leurs ennemis continuèrent à les traquer comme des bêtes fauves.

Presque toutes les nations sauvages qui jouèrent un rôle, autrefois, sont disparues. Il ne reste plus, de ci et là, que quelques tribus errantes et sans cohésion. L’Iroquois existe toujours. Ce n’est plus qu’une ombre des cinq cantons des anciens jours. Mais les descendants encore nombreux ont conservé l’énergie, la ténacité et l’industrie de leurs ancêtres.

De tous les interprètes français, Guillaume Couture est celui qui semble avoir eu le plus de prestige parmi cette nation si vaillante et si difficile à manier.

Les Hurons, les Algonquins, les nations de l’intérieur comme celles du littoral avaient accepté avec bienveillance les avances des missionnaires. Ceux-ci avaient pu établir sur leurs territoires des missions florissantes.

L’Iroquois repoussa toujours les tentatives d’établissement que l’on voulut faire au milieu des cinq cantons.

Ce n’est qu’en 1654 qu’un chef onnontagué invita les Français à bâtir un village au milieu du pays et à venir y habiter. Il est à remarquer que c’est par la tribu des Onnontagués que Couture avait été adopté pendant sa captivité. Les dispositions toutes pacifiques de cette tribu prouvent que le captif Couture y avait laissé une bonne semence.

Les Agniers, jaloux de voir les Français s’implanter chez leurs compatriotes des bourgades supérieures, intriguèrent si bien qu’ils finirent plus tard par briser tout espoir d’une paix durable.

Quand il fut question de fonder un village français au milieu des Onnontagués et d’y conduire une partie des Hurons cantonnés dans l’île d’Orléans, Couture fut employé dans les négociations. Au mois de mai 1657, le Journal des Jésuites nous le montre de retour à Québec des Trois-Rivières. Il apporte pour nouvelles que les Agniers qui étaient en ce dernier endroit avaient empêché les ambassadeurs hurons d’aller à Onnontagué.

La paix conclue avec les Iroquois et tant de ibis ratifiée par eux ne les empêchait point d’attaquer les Français, quand ils en trouvaient l’occasion. Vers la fin d’octobre, quelques Onneyouts, venus à Montréal sous la garantie des traités, massacrèrent trois Français qui travaillaient sans défiance à la pointe Saint-Charles, près de Montréal. Deux d’entre eux, Nicolas Godé et son gendre, Jean de Saint-Père, étaient fort respectés dans la colonie.

Le gouverneur d’Ailleboust ordonna d’arrêter tous ceux d’entre les Iroquois qui se présenteraient. Le trois de novembre, cinq Agniers étaient amenés des Trois-Rivières pour savoir d’eux le nom des meurtriers. Les cinq furent logés chez Couture et eurent les fers aux pieds, deux à deux[60].

Couture, qui se trouvait l’intermédiaire obligé des Iroquois, recevaient d’eux parfois des visites inattendues. Pendant que ces féroces guerriers poussaient leurs incursions jusqu’en bas de Québec, massacrant tout sur leur passage, ils respectaient cependant le logis isolé de leur ancien camarade. Ainsi, dans l’automne de 1658, au mois d’octobre, trois d’entre eux, allant en guerre à Tadoussac, brisèrent leurs canots au-dessous de la maison de Couture. Incapables de continuer leur route, ils se réfugièrent chez lui. Couture en donna avis au gouverneur qui les fit venir au fort la nuit[61].

Depuis près de vingt ans Couture avait été exclusivement engagé au service des missions huronnes et iroquoises. À partir de 1661, s’ouvre une nouvelle phase de sa carrière. Ses travaux s’étendent dans une autre direction. À la vie laborieuse de l’interprète succède la gloire du découvreur. Aux lauriers de Nicolet Viennent s’ajouter les lauriers d’un La Vérendrye et d’un Jolliet. Pendant que ceux-là avaient pénétré dans les régions du midi et de l’ouest, Couture devait pousser ses recherches vers le nord.

Dès 1612, le célèbre navigateur Hudson avait reconnu la baie qui porte son nom. Cette découverte semblait tomber dans l’oubli. Les Anglais, d’ordinaire si actifs et si entreprenants, s’étaient contentés d’applaudir aux voyages de leur illustre compatriote sans s’occuper d’en tirer profit. Dans ces régions immenses, inconnues, pleines de mystères, habitaient des peuplades nombreuses. Déjà, la nation des Nippissingues avait entendu raconter qu’une race étrangère était venue s’établir sur les bords du Saint-Laurent. Cette nouvelle transmise par quelques-uns des leurs qui l’avait apprise, dans les excursions de chasse, des Sauvages du littoral, avait vivement piqué leur curiosité. Désireux d’entrer en relations de commerce avec ces gens nouveaux, curieux aussi d’entendre les prédications étranges des hommes de la parole, un capitaine nippissingue avait été député avec plusieurs de ses compatriotes auprès de M. d’Argenson, alors gouverneur. Celui-ci en entendant parler de la grande mer du Nord fut désireux d’en connaître l’étendue. Le rêve des premiers découvreurs avait toujours été de trouver un passage pour se rendre aux royaumes de Chine et du Japon. C’était le but premier des expéditions de Cartier et de ceux qui l’on suivi. C’était ce que recherchaient les premiers armateurs. Cette idée avait hanté le cerveau de tous leurs successeurs et l’on n’avait pas perdu l’espoir d’arriver un jour à cet important résultat. D’Argenson ne voulut point perdre l’occasion de réaliser enfin le projet de ceux qui l’avaient précédé. On croyait dans le temps que cette mer mystérieuse était contiguë à la Chine et qu’il ne s’agissait plus que d’en trouver la porte.

D’Argenson confia le soin de cette entreprise aux pères Druillettes et Dablon. Ceux-ci saisirent avec empressement cette proposition qui leur permettait, tout en cherchant à agrandir le domaine du roi de France, de trouver des nations nouvelles à évangéliser.

Au mois de mai 1661, l’expédition partit de Québec. M. de la Vallière, gentilhomme de Normandie, Guillaume Couture, Denis Guyon, Desprez et François Pelletier accompagnaient les missionnaires. Les voyageurs, conduits par des sauvages, s’embarquèrent sur le Saguenay, dont ils remontèrent le cours pendant un certain temps. Mais, malheureusement, ils furent obligés de revenir sur leurs pas, soit, comme le raconte la Potherie[62], que les sauvages eussent refusés de continuer leur route, par la crainte que l’entreprise des Français ne leur fût préjudiciable, soit, comme le rapportent les jésuites, que les Français eussent jugé qu’il était prudent de renoncer à leur tentative, vu les cruelles hostilités que les Iroquois, exerçaient alors contre eux et contre diverses nations sauvages[63].

L’excursion n’eut pas alors d’autre résultat. Cependant l’entreprise était chose remise et non perdue.

Deux ans après, en 1663, les sauvages de la baie d’Hudson envoyèrent de nouveau des députés à Québec et prièrent M. d’Avaugour, alors gouverneur, de leur donner des Français. Celui-ci résolut d’envoyer cinq hommes à la tète desquels il mit Guillaume Couture.

Couture, qui n’était pas d’une nature à se laisser décourager par un premier insuccès, s’avança à travers les terres, dans un pays encore inexploré, et, un jour, il eut le bonheur d’apercevoir enfin cette mer depuis si longtemps désirée, l’objet de tant de recherches infructueuses.

Il fut le premier Français qui foula de ses pieds les rivages de cette mer qui devait être témoin de tant de combats, de tant de luttes glorieuses. Quel est celui qui ignore les exploits légendaires de d’Iberville dans ces parages lointains, et combien y en a-t-il qui se souviennent de l’humble voyageur qui donna à son roi ce théâtre de tant d’exploits ? N’oublions pas d’associer au nom de Couture, celui d’un autre enfant de Lévis, Duquet[64] qui fut l’un de ses compagnons de voyage dans cette expédition heureuse.

Arrivé sur les rives de cette baie immense, Couture y planta une croix et prit possession du pays, en mettant en terre, au pied d’un gros arbre, les armes du roi de France, gravées sur du cuivre, enveloppées entre deux plaques de plomb recouvertes d’écorce[65].

L’histoire rappelle la mémoire des Jolliet, Nicolet, Lasalle, Marquette, de Sota, comme découvreurs du Mississippi. On chante la gloire de la Vérendrye qui aperçut le premier les Montagnes-Rocheuses. La postérité est jalouse de conserver le souvenir de ces hommes illustres. Associons à leur gloire le nom du héros oublié : Guillaume Couture[66].

Dans l’année qui suivit cette gloricuse expédition, le dernier jour de mai 1665, l’infatigable Couture partait de Québec avec le père Henri Nouvel pour se rendre à l’île de St-Barnabé, à la mission des Papinachois[67].

Depuis cinq ans, le Père Nouvel avait eu en partage les tribus sauvages qui habitaient la rive nord, depuis Tadoussac jusqu’à l’entrée du golfe. C’étaient les Montagnais, les Betshiamits, les Papinachois, les Esquimaux. Chaque hiver, il les avait suivis dans leurs chasses à travers les forêts. C’est dans une de ces courses apostoliques du missionnaire que, lors d’un naufrage vis-à-vis Rimouski, la Pointe au Père fut baptisée. Couture, vraisemblablement, hiverna avec ces tribus comme le père Nouvel avait l’habitude de le faire.

Pendant ces excursions diverses de Couture, la métropole s’était enfin décidée à envoyer des secours aux colons décimés par les luttes incessantes des Iroquois. Le régiment de Carignan-Salières avec quatre de ses meilleures compagnies était débarqué dans Québec, et M. de Tracy et Courcelles résolurent de pousser vigoureusement la guerre jusqu’au milieu des nations ennemies. Les Iroquois, effrayés de ce grand déploiement de troupes, demandèrent instamment à enterrer la hache de guerre. Les marchands d’Albany et de Corlar, leur ayant donné des lettres de recommandation, le vice-roi voulut croire pour cette fois à leur sincérité, et la paix fut conclue. Ceci se passait le douze de juillet 1666. Les ambassadeurs étaient à peine partis depuis deux ou trois jours, lorsqu’on reçut de fort mauvaises nouvelles du fort Sainte-Anne qui venait d’être bâti sur une île située près de l’entrée du lac Champlain.

Quelques officiers, en garnison dans l’île, voulant se donner le plaisir de la chasse, remontaient une rivière qui tombe dans le lac près de l’île de la Mothe. Plusieurs jeunes Agniers chassaient dans les environs ; ayant aperçu les officiers français, ils ne purent résister à la tentation de leur lever la chevelure. Ils tirèrent sur eux, tuèrent M. de Chazy[68] et le capitaine de Traversy ; quatre autres, parmi lesquels était M. de Leroles, cousin de M. Tracy, furent faits prisonniers.

À la nouvelle de cette trahison, on rappela aussitôt les ambassadeurs. Suivant la loi des Iroquois et des Algonquins, on devait fendre la tête aux envoyés, on se contenta de les garder dans une étroite prison, pendant qu’on prenait des mesures pour tirer raison d’une si noire perfidie[69].

Il fallait demander aux commissaires d’Albany des explications sur le témoignage qu’ils avaient donné en faveur des bonnes dispositions des Agniers. Guillaume Couture fut chargé de cette délicate mission.

Le vingt-deux juillet, il partait de Québec comme ambassadeur auprès des autorités de la Nouvelle Hollande pour se plaindre du meurtre de M. de Chazy[70].

M. de Sorel reçut ordre de le suivre à quelques journées de distance, avec un parti de deux cents Français et de quatre-vingts Sauvages.

Les Anglais s’étaient emparés, l’année précédente, de la colonie hollandaise ; et le gouverneur Nicolls, prévoyant que les autorités françaises ne laisseraient pas dans l’inaction des troupes envoyées de si loin pour punir les Iroquois, craignit de se voir lui-même assailli dans ses forts. Trop faible pour résister à une attaque extérieure et surveiller en même temps les mouvements des Hollandais à l’intérieur, il songea à obtenir des secours des colonies de la Nouvelle-Angleterre. Celles-ci lui répondirent qu’elles ne tenaient pas à prendre la défense des Iroquois, pour se voir attaquer à leur tour par les Abénaquis, amis des Français.

Nicolls, voyant qu’il n’avait pas d’aide à attendre de ce côté, dut se résigner à ne point soutenir ouvertement les Agniers contre les Français.

Couture était arrivé sur ces entrefaites à Albany, avec des lettres adressées aux capitaines et aux commissaires du lieu. Nicolls y monta aussitôt dans l’espérance d’avoir une entrevue avec lui, et probablement aussi, parce qu’il se défiait des commissaires hollandais d’Albany Et, dans le fait, comme la France s’était unie aux états de Hollande contre l’Angleterre, dans une guerre qui venait d’être proclamée en Amérique, la plupart des habitants d’Albany et des villages voisins ressentaient plus d’inclination pour les Français que pour les Anglais[71].

Van Corlaer, l’un des hommes les plus importants de la colonie, celui-là même qui, autrefois, avait en vain tenté le rachat du père Jogues et de ses compagnons, reçut fort bien son ancienne connaissance Couture. Celui-ci retourna avec une lettre satisfaisante de la part des commissaires à M. de Tracy. Ils n’avaient pas prétendu répondre de la conduite future des Agniers, ils avaient seulement déclaré qu’ils les croyaient dans de bonnes dispositions. Ils étaient bien chagrins du malheur causé par la mauvaise foi des Sauvages ; eux-mêmes avaient travaillé à sauver les prisonniers, comme ils l’avaient déjà fait dans beaucoup d’autres circonstances. Cela était vrai, car ils s’étaient toujours empressés d’arracher les prisonniers français à leurs maîtres iroquois. Couture, lui-même, pouvait en rendre le témoignage.

Lorsque Nicolls arriva à Albany, Couture était déjà reparti pour rendre compte de sa mission. Nicolls s’adressa alors à M. de Tracy, pour se plaindre du départ précipité de son envoyé, et pour répéter les reproches contenues dans la lettre aux commissaires. Il assurait en même temps le gouverneur qu’il agirait toujours envers lui, avec courtoisie et respect. «  D’autant plus volontiers, disait-il, que votre caractère honorable est connu dans cette partie du monde, aussi bien qu’en Europe. Je puis vous rendre cet hommage, ayant eu connaissance de votre honorable conduite, pendant les quelques années que j’ai passées dans l’armée française à la suite de mon maître, le duc de York et d’Albany. Maintenant que je sers le même maître dans cette partie du monde, je me croirais heureux si je trouvais l’occasion de reconnaître en partie les attentions que vous avez témoignées à mon maître et à ceux de sa maison, pendant les tristes jours de l’exil. »

Après avoir accompli sa mission dans Albany, Couture s’était rendu chez les Iroquois pour les avertir que s’ils ne livraient pas les meurtriers, ou du moins leurs chefs, Ononthio leur déclarerait la guerre. Prévoyant la ruine entière de leur nation, et apprenant que M. de Sorel n’était plus qu’à vingt heures de leurs bourgades, les Iroquois se déterminèrent à demander quartier.

Le six de septembre. Couture arrivait à Québec avec deux Agniers pour l’escorter, dont l’un de la nation neutre était le chef de la brigade qui avait tué M. Chazy[72].

Le Bâtard Flammand, chef iroquois, le suivait de près avec M. de Leroles et plusieurs autres prisonniers français[73].

Presque en même temps quarante iroquois des différents cantons arrivèrent à Québec. Depuis la Basse-Ville jusqu’au fort, dit la Potherie[74], ils criaient à haute voix Onontio, Onontio, ho, ho, Squena, Squenon, ce qui voulait dire : Notre Père, donne nous la paix.

On parla de nouveau de conclure une paix générale et, le dernier jour d’août, on tint un conseil à ce sujet dans le parc du collège des jésuites ; mais on ne put arriver à rien de définitif. M. de Tracy comprit que pour avoir la paix, il fallait employer les armes contre les Agniers qui soulevaient sans cesse de nouvelles difficultés. C’est alors qu’eut lieu la fameuse expédition de M. de Tracy contre les Iroquois en 1666[75].

Cette dernière mission ferme la carrière de Couture comme voyageur. Depuis un quart de siècle il avait été engagé à ce travail ardu. Les bords du lac Huron, les bois de la Nouvelle-Angleterre, les plaines du lac Saint-Jean et la baie d’Hudson, la rive nord du golfe Saint-Laurent avaient tour à tour été le théâtre de son dévouement et de son courage. Dans ces rudes expéditions l’homme devait s’user vite. Âgé de quarante neuf ans, Couture avait fait sa large part et pouvait laisser à d’autres le soin de continuer son œuvre.

Il faut dire que chaque historien a sur ce sujet son mode de raconter.

Charlevoix, d’ordinaire très exact, a étrangement confondu ces diverses expéditions.

La Potherie prétend que M. de Courcelles ne voulut point se laisser attendrir par les cris, les pleurs et lamentations des Iroquois et qu’il fit pendre Agariata, celui-là même qui avait tué M. de Chazy et que Couture avait ramené à Québec, en présence des quarante députés de la nation. Ce genre de mort qu’ils n’avaient jamais vu, dit-il, les frappa si fort qu’il affermit la paix jusqu’en 1683.

Suivant Nicolas Perrot, la paix était sur le point de se conclure, lorsque dans un repas que M. de Tracy donnait aux chefs iroquois, un des Agniers aurait levé le bras et déclaré hautement que ce bras avait cassé la tête du sieur de Chazy[76]. « Il n’en cassera pas d’autre, » aurait répondu le vieux, général, et il aurait aussitôt fait étrangler l’insolent, rompu les conférences qui se tenaient pour la paix, et serait parti pour son expédition contre les Agniers. Charlevoix a suivi Perrot dans son récit.

V

Pendant ses longues absences, Couture avait pour le remplacer un travaillant du nom de Guillaume Durand. En 1653, il était son débiteur de deux cent vingt-cinq livres tournois. La convention qu’il fit pour se libérer d’un procès que Durand lui avait intenté pour gages et services nous indique quels étaient alors les modes de paiement. La moitié de la somme devait être payée en pois et l’autre moitié en anguilles. Durand promettait de donner quittance pourvu que les anguilles fussent bien conditionnées, estimées et prisées suivant leurs valeurs et prix courant dans le pays, et les pois « bons, loyaux et marchands[77]. »

Dans ces temps primitifs l’argent était presque chose inconnue parmi les colons. Les paiements se faisaient en nature. Les produits s’échangeaient. Le gouvernement et les riches négociants donnaient des lettres de change ou des traites sur les magasins du Roy ou sur le trésor, payables en France. Le castor et l’anguille étaient d’ordinaire la monnaie courante du pays. Cette pénurie de numéraire se continua tout le temps de la domination française. À la conquête les colons eurent mille difficultés à faire changer la monnaie de carte qui avait été émise[78].

Dans les intervalles de repos que lui laissait son métier, Couture habitait ordinairement à la Pointe de Lévy[79]. Il avait là comme un pied à terre où il pouvait prendre haleine et se délasser de ses fatigues.

Un procès-verbal d’arpentage de l’ingénieur Jean Bourdon, fait le 26 août 1659, nous montre aussi que Couture avait alors dans Québec un corps de logis, voisin d’un emplacement de Pierre Petit, sur le chemin qui montait du Cul-de-Sac, en la basse-ville.

L’année même où Couture était envoyé en mission diplomatique à Albany, avait lieu le premier dénombrement nominal de la colonie. Ce document précieux, parce qu’il est la constatation officielle du nombre de colons qui étaient alors dans le pays, n’a pas cependant le caractère d’exactitude même relative que l’on exige d’un travail de cette nature. L’on trouve de si nombreuses omissions dans ce relevé qu’il est impossible de le prendre comme point d’appui pour juger du véritable état de la colonie.

Sur toute la côte de Lauzon, le recenseur donne trois familles seulement, et, chose étonnante, le nom de Couture n’apparaît pas. Pourtant, Couture était bel et bien établi dans cette seigneurie depuis dix-neuf ans et, d’après les actes de l’état civil, on trouve qu’il avait alors huit enfants. Le voyage de Couture à Albany explique peut-être cette omission, mais comment se fait-il que le nom de sa femme et ceux de ses enfants ne soient inscrits nulle part, ni à la côte de Lauzon, ni dans les autres établissements du pays ?

M. Suite nous dit que ce recensement de 1666 fut dressé, par ordre du gouvernement, au printemps, avant l’arrivée de navires de France, et qu’il représente la population du pays durant l’hiver de cette année[80]. Ceci peut être. Une chose certaine, c’est qu’en consultant quelques greffes de notaires, de 1648 à 1666, on voit qu’il dût y avoir, dans la côte de Lauzon, pendant cette période, au moins vingt-huit concessions de terre et, (cependant, on ne trouve les noms de ces concessionnaires inscrits ni à Québec, ni à Montréal, ni aux environs.

Ce premier dénombrement paraît avoir été dressé à la hâte ou fait de mémoire.

Les énumérateurs de nos jours peuvent aller aisément de maison en maison et remplir leurs cahiers de recensement. Dans ces temps primitifs il n’était pas aussi facile de parcourir une immense étendue de pays pour constater dans chaque habitation isolée le nombre exact de colons. Ajoutons, qu’en hiver, bien des colons s’enfonçaient dans les bois pour faire la chasse et la traite. On s’occupa de la population de fait sans penser à la population de droit. Cette distinction importante n’était évidemment pas connue des recenseurs novices de 1666[81].

C’est par les actes des notaires que l’on peut retracer le plus sûrement les noms de quelques uns de ceux qui furent les premiers compagnons de Couture à la Pointe de Lévy.

L’année même de son mariage, 1649, on voit arriver les deux frères Pierre Miville et François Miville[82] — Les actes de l’état civil nous les donnent comme natifs de la Rochelle, mais ils étaient tous deux des immigrants d’origine suisse. Ils semblent même avoir voulu attirer dans le pays une immigration de leurs compatriotes de l’Helvétie. En juillet 1675, en effet, le marquis de Tracy concédait à Pierre Miville, François Rimé, François Miville, Jacques Miville, François Tisseau, Jean Guencherard et Jean Cahusin, tous nationaux de la Suisse, une terre de vingt-quatre arpents de front sur quarante de profondeur, au lieu nommé la Grande Anse, quinze lieues au dessous de Québec, allant vers Tadoussac, du côté du Sud. Cette place devait être nommée : le Canton des Suisses Fribourgeois[83].

Cette tentative d’établissement des libres enfants de la république helvétienne en Canada est une page inconnue de notre histoire. La Grande Anse, devenue aujourd’hui Sainte-Anne de la Pocatière, n’a gardé aucune trace du Canton des Suisses Fribourgeois. Mais si les Tisseau, les Guencherard, les Cahusin, et les Rimé sont disparus sans faire souche, les Miville, en revanche, sont très répandus, dans le district de Kamouraska, sous le nom de Miville-dit-Déchênes. Un des fils de Pierre, Jacques Miville, fixa sa demeure à la Rivière-Ouelle et c’est de lui que descend cette nombreuse famille. Pierre Miville ne paraît pas avoir abandonné la côte de Lauzon et il devint seigneur du lieu appelé Bonne Rencontre, dans la seigneurie du Saut de la Chaudièré[84].

Le peuplement de la côte de Lauzon s’opéra lentement. Le sol rocheux de la falaise qui borde le fleuve était moins propice aux défrichements que les prairies plantureuses de Beaupré. L’ile d’Orléans, par sa position au milieu du fleuve, était protégée contre les incursions des sauvages. Dans Beauport, le seigneur Giffard amène une petite colonie de Mortagne, l’endroit de sa naissance. Maisonneuve se dirige sur Montréal avec une troupe de colons choisis. Dans les autres seigneuries, les soldats licenciés se groupent autour de leurs anciens officiers. Là, la bourgade se trouvait formée tout à coup. Ici, la colonisation, laissée à l’initiative privée, sans direction, fut tardive : de petits groupes détachés sans cohésion, mais aucune migration organisée.

L’arrivée de Lauzon, en 1651, semble faire naître une ère nouvelle. Le roi menaçait de confisquer les domaines qu’il avait concédés. Il fallait bien tenter un effort. Lauzon s’était taillé une large part dans cet immense pays, mais, venu au Canada, pour essayer de refaire sa fortune[85], comment pouvait-il trouver des censitaires auxquels il fallait souvent payer les frais de traversée et avancer les premiers déboursés ? Il pouvait tout au plus accaparer à leur passage à Québec quelques colons indécis. Il paraît, cependant, s’être occupé sérieusement de coloniser la côte Lauzon[86].

Pour faciliter sa tâche, de Lauzon découpa sans compter, dans la carte de la seigneurie, de larges domaines qu’il distribua aux communautés ou à des personnes aisées. Celles-ci, opérant sur une moindre échelle, pouvaient attirer plus facilement les colons. On a vu, dès 1648, les jésuites prendre possession d’une étendue de terre considérable[87]. Ces religieux y attirèrent quelques-uns de leurs anciens serviteurs : les Guay et les Amyot[88]

Entre 1650 et 1653, les ursulines et les hospitalières eurent des domaines assez étendus sur les bords des rivières Etchemin et Chaudière. L’ancien gouverneur d’Ailleboust obtint pour sa part, en 1653, un fief de huit arpents de front sur cent soixante arpents de profondeur, dans la plus belle partie de la seigneurie, en

face même de Québec[89]. La même année, Jean Bourdon, sieur de Saint-François, ingénieur de la colonie, devenait propriétaire d’un splendide héritage qu’il donnait plus tard aux Ursulines pour la dot d’une de ses filles qui se fit religieuse dans cette communauté[90]. Ce domaine appartient aujourd’hui à la fabrique de Saint-Joseph de la Pointe de Lévy. M. de Maisonneuve, le fondateur de Montréal, devenait lui-même l’objet des faveurs de Lauzon, car il paraît avoir eu à la Pointe de Lévy quelques arpents de terre. Ceci expliquerait pourquoi l’abbé Faillon dit que de Lauzon voulut faire établir les colons qu’amenait de Maisonneuve dans ses seigneuries[91].

Lauzon qui s’était vu enlever, bien malgré lui, l’île de Montréal dont il était le propriétaire essayait peut-être de cette façon à faire avorter les projets de Maison neuve.

Avec ces grands propriétaires arrivent de nouveaux colons. Ce sont les Sevestre, les Gagnon, les Gauthier la Chesnée[92], Charles Amiot, Etienne Dumetz, (Demers), Jean Pré, Gabriel Lemieux, Louis Bégin, Guillaume et André Albert, Toussaint Toupin. Jean Migneron, Jean Durand, François Becquet, Louis Duquet, Charles Courtois, Martin Guendon.

D’autres durent s’établir encore dans l’intervalle qui s’étend de 1648 à 1666. Quelques-uns de ces colons arrivaient directement de France, plusieurs étaient déversés de Beaupré, de Beauport ou de l’île d’Orléans[93].

En 1653, la côte de Lauzon possédait déjà assez d’habitants pour être représentée dans le corps des syndics qui fut établi à Québec. Cet honneur appartint à François Bissot[94].

Le dénombrement fait en 1667 paraît plus régulier. La population de l’année précédente qui nous donnait 13 âmes se trouve maintenant élevée au chiffre 113. On pourrait attribuer ce rapide accroissement au fait que le régiment de Carignan fut licencié à cette époque, ou encore à l’établissement sur les bords de la rivière Richelieu, des forts de Sorel et de Chambly destinés à arrêter les incursions des Iroquois. Tout cela a de la vraisemblance. Il n’y a pas de doute que les retranchements du Richelieu donnèrent de la confiance aux habitants désireux de s’établir sur la côte sud. Cependant, comme le relevé de 1667 donne 236 arpents de terre sous culture dans la côte de Lauzon, il est impossible de croire que ces défrichements aient été faits dans l’espace d’une seule année.

Chaque colon paraît avoir pour sa part une moyenne de dix arpents en valeur. Ceci implique un travail assez long et un établissement relativement ancien.

Le sieur Guillaume Couture apparaît, cette année de 1667, avec sa femme et neuf enfants. Il a vingt arpents sous culture et six bestiaux.

Denis Duquet et Pierre Miville le devancent de dix arpents. Ceci s’explique aisément par les nombreux voyages de Couture.

Neuf provinces de France nous donnent ces premiers colons. La Normandie et la Saintonge marchent en tête de colonne. La Normandie, n’est-ce pas la patrie de Couture ? Bégin, Bequet, les Demers, les Gueudon, les Pourveu, les Bissot ont suivi leur compatriote. De la Saintonge, la patrie de Champlain, nous arrive Jean Guay. L’île d’Oléron, voisine de Brouages, nous donne Jean Chauveau et ses deux beaux-frères Guillaume et André Albert. Les membres d’une même famille se recherchent et se groupent. La Beauce nous envoie Jean Huard et Jean-Bte Hallé, dont l’un des fils devait ouvrir la liste des élèves du petit séminaire de Québec.

L’Anjou, la Haute-Bretagne, l’Angoumois, l’île de France, nous donnent chacun un représentant ; le Maine et le Poitou chacun deux. Pas un seul colon nous est venu encore du Dauphiné, la patrie de Lauzon.

Ce dénombrement de 1667, intéressant à plus d’un titre, nous apprend que deux riches marchands, bourgeois de Québec, exploitaient des fermes à la Pointe de Lévy. On rencontre Français Bissot, une ancienne connaissance, et Eustache Lambert[95].

Ces deux bourgeois étaient des personnages importants dans Québec. Eustache Lambert est la souche de la famille Lambert-Dumont qui compte des alliances dans les premières et plus anciennes familles du pays. Il fut le premier commandant de milice en Canada. En 1653, il commandait le camp volant envoyé à la défense des Trois-Rivières, lorsque cette ville fut assiégée par cinq cents Iroquois. Un de ses petits-fils, Louis-Joseph Lambert, était colonel de milice de la côte du Sud pendant la guerre de 1759[96].

François Bissot, sieur de la Rivière, avait épousé une Couillard, petite lille de Guillaume Couillard, un des premiers colons de Québec. Il eût de ce mariage une descendance nombreuse et distinguée. Une de ses filles, Claire-Françoise, épousa Joliette le découvreur du Mississippi[97]. Une autre, Catherine, épousa Étienne Charest qui devint seigneur de Lauzon. Jean-Baptiste Bissot, sieur de Vincennes, s’est distingué dans l’armée. Un de ses frères fut seigneur du cap St-Claude et de Vincences, dans Beaumont.

François Bissot avait entrepris aux îles Mingan une grande exploitation des pêcheries en société avec Joliette. À l’instigation de l’intendant Talon, il établit à la Pointe de Lévy avec Étienne Charest une tannerie qui fut très florissante dans le temps. C’est sur le domaine de Bissot que devait s’élever plus tard la première église de la Pointe de Lévy.

Ces grands propriétaires, ces colons de bonne famille n’habitaient pas sur leurs terres. Leurs exploitations étaient données à des fermiers pour les faire valoir. Bissot et Lambert, retirés dans Québec, s’occupaient de négoce ou de pêche. Leurs navires échangeaient les molues et les huiles des cétacés du golfe avec les eaux de vie et les sucres des îles d’Amérique.

Le premier vrai colon, le premier habitant sérieux d’un établissement, c’est celui qui s’avance, hache sur le dos, à travers la forêt, pour abattre les bois et s’élever une chaumière. Elle était rude la tâche de ces pionniers courageux. À l’isolement, aux rudes hivers, à toutes les misères des commencements d’une vie de défricheur, venaient se joindre les alertes continuelles d’un sauvage implacable. Comment se garer des embuscades dans ces habitations isolées ? Le roi avait cru obvier à ces dangers en obligeant les habitants à grouper leurs demeures. Mais ces plans excellents sur le papier n’étaient point de si facile exécution.

Le laboureur choisissait son exploitation où la terre lui semblait bonne : voilà tout. C’est le fusil en bandoulière que l’on promenait la charrue à travers les troncs d’arbres calcinés. Les femmes faisaient le guet, et donnaient l’alarme. Dans ces temps héroïques, on partait à la conquête d’une habitation, comme les soldats pour une campagne. Dans les postes avancés, des sentinelles veillaient sur les points élevés. À la moindre alerte on se repliait sur le gros du village. À l’époque des semences et des récoltes, on dispersait les soldats dans les côtes pour aider aux habitants. Quatre coups de canons tirés des forts annonçaient le danger. C’était le signal de retraite et tout le monde rentrait des champs[98].

VI

Il arriva alors ce qui arrive toujours. Le danger commun rassembla ces hommes en une étroite union. Dans chaque paroisse, les colons composèrent une communauté qui avait ses officiers et son administration particulière. Tout était réglé sur le pied de guerre, de façon que la population valide de chaque canton formait, à elle seule, le contingent d’une compagnie, ayant son chef désigné d’avance et prêt à marcher au premier signal. Tous les habitants en état de porter les armes étaient soldats. On dirait d’une grande famille militaire, organisée comme autrefois les petites marches et les grandes manses germaniques du Moyen Âge. Le capitaine de milice était choisi par les colons eux-mêmes. Il faut qu’un Canadien soit convaincu de la valeur de son capitaine pour qu’il lui obéisse, dit la Potherie[99]. Avec un chef connu ces braves gens pouvaient faire des prodiges. En 1775, la population des campagnes refusa de marcher parce qu’on lui avait envoyé des officiers pour les commander. « Laissez-nous choisir nos chefs, comme du temps des Français, disaient-ils, et nous irons au combat. »

Louis XIV, lui-même, régularisa cette organisation[100]. Pour que les miliciens fussent toujours prêts à voler à l’ennemi il ordonnait de les assembler une fois tous les mois afin de les exercer au maniement des armes. Les capitaines de milice étaient pour ainsi dire les chefs de l’organisation municipale dans chaque bourgade. Ils devaient percevoir les impôts, exécuter les ordonnances des gouverneurs et des intendants, surveiller la confection et l’entretien des chemins sous le commandement des grands voyers.

Les colons de la Pointe-Lévy choisirent pour leur premier capitaine de milice, Guillaume Couture. Celui-là, ils connaissaient sa valeur : il avait fait ses preuves. On lui donna comme capitaine de quartier Pierre Miville.

À l’organisation militaire vient se joindre l’administration de la justice, pour terminer les différends qui pouvaient survenir entre les particuliers.

Lauzon, en arrivant dans le pays, avait nommé son fils ainé grand sénéchal de la Nouvelle-France. C’était le chef du service judiciaire devant qui devait se vider en définitive toutes les querelles. Mais comme il était impossible de penser à la centralisation pour l’audition de tous les procès, il fallut recourir comme en France à la justice seigneuriale. Dans chaque seigneurie un juge fut établi pour prononcer en première instance et on pouvait appeler de sa sentence à la sénéchaussée de Québec et plus tard au conseil Souverain. Outre le juge, il y avait encore un procureur fiscal et un substitut qui remplissaient les fonctions d’officiers de police et de juges d’instruction pour informer des délits, enfin un greffier et des sergents. Le procureur fiscal citait devant le juge ceux qui contrevenaient aux ordonnances ou qui nuisaient injustement aux intérêts d’autrui. Couture eut l’honneur d’être le premier juge sénéchal de la côte de Lauzon. Jean Huard, l’ancêtre d’une famille connue, était procureur fiscal, Nicolas Metru, notaire de la seigneurie, et Claude Maugue agirent tour à tour comme greffier.

On conçoit que la procédure devant cette cour de colon n’avait rien de compliqué. On n’allait pas jusqu’à tenir audience au pied des grands arbres de la forêt comme au temps de Saint-Louis, mais le dimanche, à l’issue de la grand’messe, le juge entendait les parties et leurs témoins. Un créancier voyait-il son débiteur dans la salle du tribunal, il profitait de l’occasion pour le citer devant le juge. Dans ces temps aux mœurs naïves, les avocats étaient rares et chacun plaidait sa cause. Les notaires ou les huissiers se risquaient parfois jusqu’à prononcer une harangue. En l’absence de leurs maris, les femmes intentaient les actions, comparaissaient à l’audience et plaidaient comme les hommes. Inutile de dire, ajoute M. T.-P. Bédard à qui nous empruntons quelques uns de ces derniers détails[101], que dans ces circonstances les causes étaient plus longues.

« L’ordre social, dit l’abbé Faillon, demandait que ceux qui procuraient ainsi le bien public fussent respectés des autres colons. Dans cette vue et aussi pour leur témoigner lui-même sa satisfaction particulière, Louis XIV avait ordonné d’attribuer dans chaque paroisse quelque marque d’honneur aux habitants principaux qui prendraient soin des affaires et pour cela de leur donner un rang distingué soit dans l’église ou ailleurs. »

Ces règlements devaient être la source de bien des misères et de futiles disputes.

La France avait voulu transporter au Canada toutes les rouages d’une administration qui pouvait être excellente pour un pays ancien, mais peu convenable pour une contrée nouvelle. On voulait transplanter en Amérique une petite France à l’image de l’ancienne, sans compter avec les différences des lieux et des climats. Le système autoritaire et centralisateur croyait pouvoir commander à deux milles lieues de distance un pays qu’il ne connaissait pas comme s’il se fût agi de réglementer Pontoise ou Marly. Le tort de notre ancienne mère-patrie fut de n’avoir jamais voulu écouter les conseils des enfants du pays.

De même que les brillants officiers des réguliers avaient voulu faire dans les forêts d’Amérique la guerre européenne[102], l’administration civile entreprit d’introduire au Canada toutes les querelles futiles du cérémonial et de l’étiquette des cours de France.

On peut dire sans exagération que près d’un tiers des Édits et Ordonnances réglementent sur les honneurs à rendre dans la colonie. Les registres et les mémoires manuscrits du temps sont remplis du bruit de ces chicanes oiseuses.

Chaque haut personnage avait sa petite cour où la foule des courtisans cherchait à nouer et à défaire des intrigues. La moindre des cérémonies avait son programme. Pour les feux de la Saint-Jean, par exemple, une ordonnance statuait à qui, de quelle façon et combien de torches seraient présentées.

Ces distinctions de haut goût s’étendaient à tous les échelons de la hiérarchie. C’est Colbert qui écrit à Frontenac pour lui expliquer pourquoi il ne doit pas le traiter de monseigneur, mais seulement de monsieur[103]. On discute gravement, dans plusieurs mémoires, si les officiers, dans un défilé de troupes devant le gouverneur, doivent saluer de la pique ou si cet honneur n’est dû qu’aux princes ou maréchaux de France[104]. Que dire des querelles à propos de la présidence du conseil ? Le gouverneur veut avoir le pas sur l’intendant, celui-ci traite de haut les conseillers. Le militaire jalouse le fonctionnaire civil et la magistrature. La troupe régulière se rit de la milice. L’état veut la suprématie sur le clergé. Les colons maugréent contre les Français de France qui, disent-ils, ont tous les honneurs. Les Français pestent contre les Canadiens. Les capitaines de milice et les officiers de justice des seigneuries veulent précéder les marguilliers[105]. Jusqu’aux bedeaux qui se querellent avec les chantres d’église.

C’était surtout dans les cérémonies religieuses, où les corps de l’état avaient le plus souvent occasion de se rencontrer, que les règles d’étiquette devaient être le plus difficilement observées. Chacun voulait avoir le premier rang.

Dans la cathédrale de Québec et à Montréal, le gouverneur général et l’intendant avaient chacun un prie-Dieu, dans le chœur. Le gouverneur se plaçait à droite, l’intendant à gauche. Le gouverneur était encensé après l’évêque et avant le chapitre. Dans les processions, il suivait immédiatement le dais, précédé de ses gardes, des sergents et des huissiers[106]. Lorsque le conseil supérieur assistait en corps à l’église, le bedeau devait annoncer aux conseillers le temps où il fallait marcher dans les processions pour l’adoration de la croix, la présentation des cierges et des rameaux. Le pain bénit devait leur être distribué immédiatement après les ecclésiastiques et les chantres du chœur. Malheur à celui qui osait enfreindre les lois de cette étiquette.

Quand le gouverneur et l’intendant allaient entendre la messe dans les églises de la campagne, ils y faisaient porter leurs sièges et carreaux dans le lieu le plus éminent.

Dans ces endroits, le pain bénit était d’abord présenté au seigneur haut-justicier, ensuite au capitaine de la côte et aux juges de la seigneurie. Dans chaque bourgade, il devait y avoir une division générale des habitants. Les principaux qui prenaient soin des affaires avaient le premier rang, ils étaient suivis de ceux qui avaient le plus grand nombre d’enfants, à moins qu’ils n’en fussent empêchés par quelques graves raisons[107].

On s’étonne, aujourd’hui, à bon droit, que tous ces honneurs aient été si souvent le sujet de querelles et de discordes telles qu’elles nécessitaient même l’intervention du roi. Notre temps s’accommode mal de cette étiquette et de ces distinctions. Dans le siècle autoritaire de Louis XIV, sous la gouverne de Frontenac, ces détails marchaient de pair avec les questions d’état. La fo-orme, comme dit l’avocat bègue de Beaumarchais, faisait bien trop souvent la loi.

Les écrivains anglais et, surtout, ceux de la Nouvelle-Angleterre, n’ont pas manqué de jeter du ridicule sur cette cour improvisée au milieu des forêts du Nouveau-Monde, en voyant nos gentilshommes campagnards porter l’épée et transformer le château Saint-Louis, en Œil de Bœuf. Ceux-là, avant de pleurer sur nous, devraient plutôt se souvenir des discussions fameuses qui signalèrent les réunions des puritains, leurs ancêtres. L’histoire se moque à bon droit de l’empereur romain qui faisait assembler le sénat pour savoir s’il devait manger un turbot à la sauce blanche ou au beurre noire. Que dire quand on voit la législature de la Nouvelle-Angleterre délibérer gravement sur la coupe de la barbe, s’opposer à la coutume de porter des cheveux longs et se servir d’un texte de saint Paul pour appuyer les arguments qu’elle employait pour condamner cet usage comme immoral et digne de la plus sévère censure ? Winthrop nous raconte que les députés de Boston invoquèrent l’exemple de Josaphat, d’Ochosïas et de Pharaon Néchao pour savoir s’ils devaient prendre part, à la querelle de d’Aulnay et de la Tour. S’il nous était permis de feuilleter les archives de nos voisins, on y trouverait des procès de sorcellerie dont les détails ne sont pas de nature à nous faire dire que les premiers yankees avaient cet esprit large et sans préjugés que l’on veut bien nous faire croire.

Dans ces petites querelles qui troublèrent si fort les commencements de la colonie, on peut voir en germe une grande question qui a passionné, de notre temps, bien des esprits. Il s’agit de savoir qui l’emportera de l’Église ou de l’État. Frontenac, en accordant les honneurs à ses capitaines de milice et à ses officiers de justice, voulait prendre à parti les marguilliers et atteindre ainsi les ecclésiastiques qui participaient à l’administration temporelle des églises.

C’est là le but continu des nombreuses ordonnances qui signalent son règne. Ce grand seigneur, éloigné malgré lui de la cour, regrettant peut-être les splendeurs de Versailles, où brillait son épouse avec les Sévigné et les Montespan, rêvait dans les forêts d’Amérique à l’autoritarisme et à la suprématie de ses officiers. L’administration de ce gouverneur, si grande et si glorieuse, gardera tache de cette lutte mesquine. Frontenac aurait pu mieux employer son énergie et son activité. Ces piqûres n’étaient pas dignes d’un esprit aussi large que le sien, de celui qui faisait répondre à ses ennemis par la bouche de ses canons.

VII

Les honneurs, dont M. de Frontenac tenait à faire si large part aux officiers de la justice, n’étaient pas — on le comprend — de nature à plaire aux marguilliers. M. Jean Aubuchon, marchand à Montréal et pour lors marguillier, eut à ce sujet maille à partir avec le procureur fiscal dont il refusait de reconnaître la préséance. Celui-ci porta plainte.

Le conseil, toujours empressé de maintenir ses prérogatives, saisit cette occasion pour promulguer de nouveau à grand bruit les volontés du roi par toutes les paroisses et seigneuries, n’arrêta en outre qu’à l’avenir les officiers de justice auraient un banc après le seigneur et que le pain bénit, la paix, l’encens, la quête, les rameaux leur seraient donnés avant les marguilliers.

C’est alors qu’eut lieu, un procès fameux dont nous croyons devoir relater les péripéties. Les personnages qui y prirent part, l’importance des questions en jeu, le rôle que dut y prendre Couture sont pour nous des légitimes raisons de croire que cet épisode peu connu de notre histoire trouve ici naturellement sa place.

L’arrêt du conseil, affiché à Québec, à Montréal, aux Trois-Rivières, au cap de la Madeleine et à Champlain n’avait pas eu les honneurs de la publication à la Pointe de Lévy.

Le jour de Pâques, l’huissier Génaple s’y était rendu, mais les habitants lui signifièrent quelque peu violemment leur intention bien arrêtée de ne point l’écouter. Il s’ensuivit une bagarre et Génaple dressa procès-verbal. Les procès-verbaux d’alors étaient aussi funestes que ceux d’aujourd’hui. Maître Maugue, un des mutins, fut arrêté et logé dans les prisons de la ville, Génaple, qui cumulait avec le métier de menuisier la profession de notaire et la charge de geôlier, se trouva à avoir sous sa garde un de ses persécuteurs. Cette scène se passait au mois d’avril 1675, le jour de Pâques.

Guillaume Couture, mécontent de ses justiciables et contre qui la querelle semblait montée vu qu’il était juge sénéchal, porta plainte à M. de Frontenac. L’huissier Génaple accusa le curé, les marguilliers et les habitants de la Pointe-Lévy de lui avoir fait violence et d’avoir désobéi aux ordres du Conseil.

La Pointe de Lévy avait alors pour missionnaire un prêtre vaillant et dévoué. C’était l’abbé Thomas Morel. M. Parkman, dans son histoire de l’ancien régime au Canada, le présente comme le type de nos anciens curés.

Sur les dépositions de Couture et de Génaple, M. Thomas Morel fut assigné à comparaître devant le conseil.

La simple querelle commencée à Montréal par le marguillier Aubuchon tournait au tragique. Les questions les plus graves furent agitées. On vit se renouveler alors la scène qui avait eu lieu l’année précédente quand l’abbé Fénelon fut assigné pour un sermon prononcé dans l’église des Sulpiciens à Montréal,

Au jour fixé pour l’audience, M. Morel comparut. L’histoire ne nous dit pas qu’il entra au conseil le chapeau sur la tête comme l’avait fait l’abbé Fénelon, l’année précédente, mais il déclina la compétence du tribunal et demanda à être entendu devant ses pairs, par M. Henri de Bernières, son grand vicaire et son juge.

Le conseil, quelque peu embarrassé, après deux mois de délibération, rejette les prétentions de M. Morel, malgré le procureur-général M. Ruette d’Auteuil, et lui ordonne de comparaître devant M. de Peyras, que l’on appointe commissaire-enquêteur. Ordre est en même temps donné à M. de Bernières de remettre au greffe les informations qu’il a prises.

M. Morel est en mission et M. de Bernières, se basant sur l’ordonnance de Melun, déclare en son nom qu’il désire savoir si le conseil juge l’offense dont il est accusé un cas privilégié et ajoute qu’il ne se croit justiciable que de l’officialité.

Après plusieurs réunions, le conseil ne peut s’entendre. M. de Peyras veut que M. Morel soit contraint par corps à comparaître ainsi que le greffier de l’officialité, Duquet, pour produire les dossiers. Il accuse le procureur-général de ne pas faire son devoir et insinue qu’il y a uniformité entre ses réponses et celles des ecclésiastiques. C’est ainsi que pensent le gouverneur et M. de Vitray. Cependant M. Dupont défend le procureur-général et trouve que l’on ne peut arrêter M. Morel sans connaître les accusations portées contre lui. M. de Tilly veut temporiser et demande à ce qu’un nouveau délai de trois jours soit donné à M. Morel pour comparaître. On se range de son avis.

Le délai s’écoule. M. Moral ainsi que le greffier est absent. On se décide de l’arrêter, malgré M. Dupont, qui veut que l’on étudie si le cas en litige est purement royal, ou s’il est mixte ou ecclésiastique.

Après vingt-deux jours de délibérés et d’hésitations, on se décide à l’arrestation. On voit l’embarras des conseillers par les précautions oratoires qu’ils font consigner au cahier des registres : —

Comme l’arrêt de coutrainte par corps d’un ecclésiastique, y est-il dit, est d’une espèce nouvelle pour le Canada et qui ne s’y est pas encore vue jusqu’à présent, le conseil qui n’use de la sévérité qu’il exerce contre le dit Sieur Morel qu’après y avoir été forcé par les désobéissances réitérées qu’il a porté aux arrêts et ordonnances du conseil données contre lui et en maintenir l’autorité et celle de la justice royale dont il est le dépositaire sans avoir aucun dessein de blesser la considération qui est due au caractère de prêtrise dont le dit Sieur Morel est revêtu, a trouvé à propos de dresser la présente instruction, pour servir de règle aux huissiers qui seront commis pour l’exécution du dit arrêt et afin que dans icelle ils ne fassent rien qui puisse porter du scandale et blesser la considération qu’on doit avoir pour l’ordre de la prêtrise.

Cette phrase cauteleuse, pleine de précautions, fournie de propositions incidentes, saupoudrée du respect dû à l’autorité royale et au caractère de la prêtrise, n’est certainement pas l’œuvre d’un greffier habitué à façonner un plumitif. Rien que dans sa conformation on peut saisir l’embarras de celui qui en fut l’auteur.

Certes, ce n’était pas la première fois que le civil avait maille à partir avec le religieux. La rivalité de l’Église et du gouvernement, l’année précédente encore, avait fait éclater le procès fort bruyant de l’abbé Fénelon. Mais cet ecclésiastique avait été mis aux arrêts, pendant qu’il était au conseil et qu’il s’obstinait à refuser de répondre aux interrogations.

Aujourd’hui, il s’agissait d’aller appréhender au corps un ecclésiastique, dans sa propre résidence, et de lui faire traverser les rues de la ville entre deux recors.

Tempérament bilieux, esprit autoritaire, Frontenac avait pu se laisser emporter lorsqu’il vit l’abbé de Fénelon se couvrir en sa présence pendant qu’il présidait le conseil. L’abbé Morel avait décliné respectueusement la juridiction du conseil : il n’avait point fait d’éclat. Ses nombreuses missions lui avaient attiré l’estime et le respect. Que dirait Mgr de Laval, alors en voyage en France, à son retour, en apprenant le traitement que l’on avait fait subir à un prêtre de son séminaire ?

Le conseil, désireux de sauver la forme, protesta qu’il ne voulait point commettre de scandale, mais il fit arrêter l’abbé Morel.

Les huissiers eurent ordre de se transporter au séminaire de Québec, lieu de la résidence de M. Morel, de demander à lui parler. Voici quelles étaient leurs instructions : « S’il se présente, il lui sera fait commandement de suivre les huissiers ; s’il obéit, il sera conduit, avec le moins de scandale que faire se pourra, et sans user d’aucune violence, dans une des chambres du château de Québec, afin qu’il soit en lieu plus décent et moins incommode que les prisons ordinaires du conseil. Si, après avoir entendu le commandement des huissiers, M. Morel ne veut pas obéir, on se contentera de dresser procès-verbal du refus et de sa désobéissance et d’en faire rapport.

« Si M. Morel ne se présente pas et qu’on dise qu’il soit absent, ils demanderont le supérieur pour faire perquisition et recherche dans tous les lieux du séminaire.

« Si le supérieur refuse ou que d’autres veulent s’opposer à cette recherche, les huissiers, sans user de force ni violence, se contenteront de faire un bon et fidèle rapport par écrit de ce qui leur sera dit et fait. »

Munis de ces instructions, les recors se présentèrent au séminaire. M. Morel s’y trouvait et se laissa conduire au château, sans protester. M. Provost, le major de la ville, avait reçu ordre de le recevoir et de lui laisser toute liberté de s’y prononcer.

Le notaire Romain Becquet, greffier de l’officialité, ne fut pas aussi heureux. Arrêté pour n’avoir pas voulu livrer le dossier de son tribunal, il fut écroué dans la prison commune, sous la garde de son confrère Génaple, en compagnie de Maugue qui pratiquait lui aussi le notariat à la côte de Lauzon.

M. Morel était déjà détenu au château depuis six jours, lorsque M. Jean Dudouyt, prêtre du séminaire, prenant le titre de promoteur de l’officialité de Québec, demanda que son confrère fût rendu au juge ecclésiastique pour qu’on procède devant lui conjointement avec l’autorité civile. Cette requête fut rejetée mais le conseil prit note de la qualité de promoteur de l’officialité de M. Dudouyt.

Cependant Romain Becquet, notaire royal, dans les loisirs que lui procurait son incarcération, calculait les émoluments qu’il aurait pu faire, étant libre et dans son étude. Il fit remarquer au conseil qu’il était officier public, qu’il était chargé d’un grand nombre d’affaires, que tous les autres notaires de la ville étaient alors en voyage et que l’on devrait l’élargir à sa caution juratoire.

Le gouverneur, loin de s’attendrir sur son sort, demanda que Becquet fut resserré davantage, parce qu’il paraissait y avoir connivence entre les ecclésiastiques et lui pour ne pas remettre les papiers. Afin que le public n’eût pas à souffrir de l’opiniâtreté de Becquet, il fut décidé qu’une personne capable et sans reproche serait nommé pour recevoir les actes jusqu’à ce que les autres notaires fussent de retour à la ville.

Le conseil, persistant toujours à détenir M. Morel, le 22 juillet suivant, M. Dudouyt communiqua copie des bulles de Mgr de Laval et des lettres patentes du Roi donnant juridiction ecclésiastique à l’évêque de Québec sur tout le Canada de préférence à l’évêque de Rouen qui avait cherché à maintenir son autorité en envoyant au pays l’abbé de Queylus.

Depuis quinze ans, disait M. Dudouyt, Mgr de Laval, par lui-même, ses grands vicaires et officiaux, a exercé cette juridiction sans conteste. Pourquoi rejeter notre demande de renvoi devant l’officialité ?

N’est-ce pas traiter rigoureusement M. Morel que de le retenir plus longtemps en prison sur un sujet qui, le mérite assez peu ? M. Morel est très utile au service de Dieu. Les lieux éloignés où il avait coutume d’aller en mission pour y faire les fonctions curiales souffriront de son absence. Il n’y a pas de prêtres au séminaire pour pouvoir y suppléer. Tous sont employés dans d’autres missions.

Que le conseil examine si M. Morel est coupable de quelque faute, et s’il est coupable, si son juge ecclésiastique n’en peut pas connaître. L’affaire dont il s’agit est personnelle. Voici un huissier qui verbalise sans témoins. Il prétend que M. Morel l’a empêché d’afficher son arrêt et qu’il n’a pas voulu en recevoir la signification. Cette signification était faite le jour de Pâques. Il semble qu’en choisissant ce jour on a commis une faute répréhensible. Il n’est pas permis de faire des affiches et de les signifier le jour de Pâques quand toutes les affaires doivent cesser pour ne s’occuper que du service divin[108]. Cette contestation devrait être un cas privilégié et l’ordonnance de Melun y est applicable.

Le conseil n’est pas composé comme il devrait l’être pour juger de cette matière. L’évêque est absent. Le roi, par son ordonnance de 1670, donne le droit aux ecclésiastiques à qui il est intenté des procès criminels de demander d’être jugés au Parlement, toute la grande chambre assemblée, — cette chambre comprend huit présidents et vingt-neuf conseillers dont dix sont clercs. Ce qui laisse à entendre que les sujets ecclésiastiques ne doivent pas être traduits devant des juridictions où il n’y a pas un nombre de juges engagés à soutenir les privilèges de l’Église.

Telles étaient les raisons invoquées par le grand vicaire. Elles furent jugées fort valables, car le conseil finit par élargir M. Morel, à la caution de MM. de Bernières et Dudouyt.

On suivit dans le procès de M. Morel le même système de défense qu’avait adopté l’abbé de Fénelon, celui de récuser les juges. Ce dernier avait prétendu qu’il ne pouvait être jugé ni cité que par l’évêque. Pour M. Morel, on invoqua l’officialité. Ce qui laisse croire que ce tribunal ne fût institué qu’à la suite du procès de l’abbé Fénelon.

Le conseil, qui ne demandait pas mieux que de s’abstenir dans une question aussi délicate, fit sans doute droit sur les causes de récusation, car il n’est plus question du procès de l’abbé Morel dans les registres[109].

L’abbé de Fénelon dut passer en France[110] et reçut l’ordre de ne plus retourner au Canada. L’abbé Morel, toujours infatigable, continua ses missions au sud du fleuve Saint-Laurent. Dans le Plan général de l’estat présent des Missions du Canada, fait en l’année 1683, et qui servit de base au mémoire que Mgr de Laval présenta au roi, l’année suivante, sur la fixation d’un certain nombre de cures, il est dit que M. Morel desservait vingt-sept lieues de pays le long du grand fleuve, depuis la Rivière-du-Loup jusqu’à St-Thomas[111].

Dans l’automne de 1687, au retour d’une mission qu’il fit à Champlain, il tomba dangereusement malade et mourut à Québec, le 23 de novembre. Son corps repose dans la cathédrale dont il était un des chanoines.

L’abbé Morel, arrivé au pays en 1660, mourait après un quart de siècle d’infatigable apostolat. Desservant tour à tour de la côte de Beaupré, de l’île d’Orléans, de la côte du sud, il eut sous sa garde pendant près de quinze ans une étendue de plus de trente-sept lieues de pays.

Les péripéties de cette lutte aux honneurs suscitée par une poignée de colons perdus au milieu des bois forment un piquant épisode des mœurs du temps.

Guillaume Couture, homme de bien craignant Dieu, fidèle compagnon d’un martyr de la foi, celui que la mère de l’Incarnation appelle le bon Couture, se trouve le premier colon qui donna lieu à la contrainte par corps contre un ecclésiastique dans le pays. Ce n’est pas l’incident le moins bizarre de ce procès curieux.

D’une bagarre commencée sur les côtes de la Pointe de Lévy, surgit le tribunal de l’officialité.

VIII

L’histoire ne nous dit pas si le juge sénéchal, après cette longue contestation qui dura près de quatre mois, eut tous les honneurs dus à son rang. Ceci ne l’empêcha pas cependant de continuer à s’occuper du bien être de ses justiciables.

Au cours même du procès intenté à l’abbé Morel, le 16 juin 1675, il se plaint au conseil que le service divin ne se fait à la côte de Lauzon que pendant cinq ou six mois de l’été, et, cependant, les dîmes sont payées exactement par tous les habitants du lieu. Il demande qu’il soit ordonné au grand vicaire de Bernières de faire faire le service tous les dimanches et jours de fête ou pour le moins de quinzaine en quinzaine. Il veut que chacun puisse s’acquitter de ses devoirs de chrétien et du culte que l’on doit à Dieu. Comme capitaine de milice, il pourra aussi faire publier plus aisément les ordonnances du conseil.

Couture voulait avoir un curé résidant, mais ses vœux ne devaient point se réaliser encore.

L’ordonnance de 1675, cause d’un si grand émoi parmi les colons de la Pointe de Lévy, nous donne naturellement à supposer qu’il y avait déjà dans le temps, en cet endroit, une église et toute une organisation religieuse de paroisse. En effet, ce sont les marguilliers qui s’opposent à la publication de l’huissier Génaple et qui ne veulent point donner la préséance aux officiers de la justice dans les cérémonies. Où était ce premier temple de Dieu sur la côte sud ? La Cabane des Pères servait-elle d’église, ou comme c’était l’habitude dans les premiers temps, offrait-on le sacrifice dans la maison d’un habitant ?

À défaut de documents précis, le chercheur a recours aux preuves de circonstances. L’archéologie comme toutes les sciences humaines procède par tâtonnements. Elle étudie les origines, les coutumes, elle consulte la tradition et les vieux manuscrits, fouille le terrain, déblaie les ruines, scrute les pierres.

Vie, vieille légende, racontée volontiers par les anciens, veut que la Cabane des Pères ait servi d’abord d’église. Plus tard, sur la grève de Saint-Joseph, dans les chantiers de M. Charland, les premiers colons auraient élevé le premier temple. Étudions ce qu’il y a de vraisemblable dans cette tradition orale.

On a vu le premier mariage fait à la Pointe de Lévy, dans la maison de Couture. À Saint-Nicolas, en 1686, le missionnaire baptisait dans la maison d’André Bergeron, et y disait la messe. Dans les premiers temps, les habitations se trouvant éloignées les unes des autres, les missionnaires allaient par les côtes exercer leur ministère. Ils portaient avec eux leur chapelle et inscrivaient les naissances, mariages, décès sur des feuilles volantes ou dans un cahier qu’ils déposaient là où ils finissaient par s’arrêter[112].

Les premiers qui desservirent la côte de Lauzon furent les jésuites. De grandes concessions de terres leur furent données par les gouverneurs dans cette seigneurie « parce qu’ils avaient exprimés le désir de faire tout en leur pouvoir pour donner l’assistance spirituelle aux censitaires »[113].

Les annales de l’ordre notent quelques unes des missions que ces religieux firent à la Pointe de Lévy[114]. Il est vraisemblable de croire que le sacrifice était alors offert dans le cabanon élevé sur le rivage en face de Québec.

En 1660, il n’y avait pas encore d’église à la côte de Lauzon. Cette année là, on comptait huit églises dans le gouvernement de Québec : l’église paroissiale, celle des Jésuites, les églises des ursulines et des hospitalières, celle de Sillery, celle de Château-Richer, celle de Ste-Anne du Petit-Cap et celle de St-Jean, située tout auprès de Québec. Ces deux dernières construites en bois, à l’exception des fondements et les six autres en pierre le Château-Richer, Sainte-Anne et Saint-Jean tenaient lieu de paroisses, quoique non encore érigées canoniquement[115].

Au mois de novembre 1665, Mgr de Laval faisait sa première visite pastorale à la côte Lauzon. Il était accompagné de M. de Mezeray et de deux petits sauvages[116].

L’abbé de la Tour, dans son esquisse sur la vie de Mgr de Laval[117], nous dit que l’église de Saint-Joseph sur la côte de Lauzon, fut bâtie en 1677, par M. Morel, curé[118].

Ce fut évidemment le premier temple élevé sur la rive sud. Cette église bâtie de pierre, longue de quarante pieds, s’élevait à une lieue de Québec[119].

Elle faisait honneur aux premiers colons de Lévis Mgr de Saint-Valier qui la visitait en 1686 dit que « c’est une chapelle des plus propres et des mieux bâties du Canada et qui est dédiée à Dieu sous l’invocation de Saint-Joseph, patron de toute la Nouvelle-France[120]. »

On a retrouvé autrefois, dans les chantiers de M. Charland, à la grève, les ruines d’un édifice assez considérable. Les anciens veulent que ce soient là les vestiges de la première église. Pour notre part, nous sommes enclin à croire que c’étaient les pierres de fondation d’une ancienne tannerie élevée par Bissot, à l’instigation de lieutenant Talon, ou encore les ruines du manoir du seigneur Charest. Nous pensons fermement que l’église bâtie en 1677 fut celle-là même, incendiée en 1830. Car, enfin, si un autre temple avait été élevé après celui de 1677, il nous resterait dans les archives de la cure, à l’archevêché ou aux greffes de notaires, quelques indications. L’église de 1677 fut élevée, croyons nous, à l’endroit même où est située celle qui existe maintenant[121].

L’église de 1677 s’élevait sur la ferme de François Bissot, voisine de l’habitation de Guillaume Couture[122].

C’est au mois de juillet 1679, que M. Claude Volant de Saint-Claude, prêtre, ouvrit les registres de la côte de Lauzon[123].

M. de Saint-Claude était né au pays. Lui et son frère Pierre avaient ouvert la liste des étudiants du petit séminaire de Québec. Le nouveau missionnaire rencontra, à la côte de Lauzon, Jean-Baptiste Haslay (Hallé), son ancien camarade, qui lui aussi était entré au séminaire à l’ouverture de cette institution, le huit d’octobre 1668[124].

Âgé de vingt-huit ans, M. de St-Claude avait une rude tâche à remplir. Il devait desservir vingt-cinq lieues de pays : Bellechasse, la Durantaye, Beaumont, Montapeine, la côte de Lauzon, Villieu, Sainte-Croix, Lotbinière, jusqu’à la rivière du Chesne. Son frère jumeau Pierre desservait pour sa part depuis Saint-Jean Deschaillons jusqu’à Sorel.

Certes, les missionnaires de ces premiers temps se taillaient large besogne.

Dès lors, la côte de Lauzon comprenait cinquante-cinq familles et trois cent trente-huit âmes disséminées sur un parcours de six lieues, le long du fleuve.

L’église de la Pointe de Lévy servait de temple aux colons, depuis Berthier jusqu’à St-Jean-des-Chaillons.

M. de St-Claude avait fait sa résidence à la côte de Lauzon et il était en pension chez un habitant[125].

À M. de Saint Claude, succèdent tour à tour les récollets George Harel[126] et Ambroise Pellerin, M. Morin et M. Pinguet, plus tard chanoine du chapitre de Québec.

Ce n’est qu’en 1690 que le brave Guillaume Couture pût saluer dans le presbytère, construit depuis quatre ans, le curé résidant qu’il appelait de ses vœux depuis 1675. Celui-là n’était pas le premier venu, car Philippe Boucher, fils du gouverneur des Trois-Rivières, appartenait à une des familles les plus distinguées du pays.

Depuis le jour où le vaillant pionnier était venu planter sa tente sur la rive déserte de la Pointe de Lévy, la solitude s’était peuplée.

La ligne des forts du Richelieu, le poste avancé de Montréal, le régiment de Carignan, un avant-garde de sauvages chrétiens jeté sur les bords de la rivière Chaudière avaient tenu l’Iroquois en respect. Le colon plus en sécurité avait défriché la côte sud.

Autour de l’église qui s’élève, les maisons se groupent, le village se forme, la population augmente. Le temps des luttes incessantes est passé, c’est le tour du laboureur.

Chaque année nouvelle apporte de nouveaux censitaires à la seigneurie.

Le dénombrement nominal de 1681 donne à la côte de Lauzon une population de 295 âmes[127] avec à peu près 508 arpents de terre sous culture. Chaque famille possède un fusil et un pistolet. Cette simple indication du recensement peint la vie toute de luttes des premiers colons. Un plan du gouvernement de Québec, qui fut dressé entre les années 1685 et 1709 par le lieutenant des troupes Decalogne, nous montre que toutes les terres qui bordent le fleuve étaient alors défrichées[128].

Le vaillant Couture, âgé de 64 ans[129], a vu sa famille s’augmenter. Il ne peut plus, maintenant comme autrefois, entreprendre au service de son roi de longs et pénibles voyages. S’il veut pourvoir à la subsistance de ses nombreux enfants, il lui faut surveiller son exploitation.

Dans les manuscrits qui nous ont été conservés, les intendants et les gouverneurs harcèlent les ministres de demandes de faveur. Chacun fait valoir ses mérites. Les uns, énumèrent leurs blessures et leurs longs travaux et demandent la croix de Saint-Louis, les autres aspirent à la capitainerie ou veulent une lieutenance pour leurs fils. Les vieux désirent des pensions, les jeunes espèrent des appointements[130]. Cette course au clocher se continue d’année en année. Certes, plusieurs de ces avides chercheurs, pour leurs actions d’éclat ou des coups d’audace heureuse, méritaient récompense, mais combien d’autres, avec une médiocrité sage et intrigante, triomphaient du vrai mérite qui se cache ? Couture, l’interprète pendant plus d’un demi-siècle de la farouche nation iroquoise, l’ambassadeur qui traite de puissance à puissance, le compagnon des missionnaires et des découvreurs, ne demande ni l’anoblissement, ni de grandes concessions.

Ses anciens camarades, les voyageurs-interprètes, ont obtenu les faveurs du pouvoir. Godefroy a reçu des lettres de noblesse. Marsolet, Joliette, Nicolet ont eu de larges octrois de terre. Le bon Guillaume s’est contenté de son petit domaine de la Pointe de Lévy. En vertu des privilèges accordées par le roi aux découvreurs, Couture, qui avait le premier pris possession de la baie d’Hudson, aurait pu prétendre à un titre nobiliaire. Godefroy était devenu le sieur de Linctot, de Tonnancour, Joliette, sieur d’Anticosti. Couture, au recensement de 1681, prend le titre modeste de charpentier. La seule faveur qu’il obtint, peut-être, pour tous les services qu’il avait rendus, fut la pension annuelle de 300 livres que le roi accordait aux habitants qui avaient donné dix enfants à leur pays[131].

Couture, jusqu’à sa mort, paraît avoir exercé les charges importantes que ses concitoyens lui avaient confiées. Il sut justifier l’opinion avantageuse que l’on avait conçu de son intelligence et de sa sagesse.

La charge de juge d’une seigneurie n’était pas une sinécure. Il fallait décider les contestations, présider aux inventaires, apposer les scellés, remplir l’office de nos coroners d’aujourd’hui. Et, c’est une chose connue, il régnait alors un esprit de chicane assez remarquable. Nos ancêtres, venus pour la plupart de Normandie, voulaient conserver la réputation de plaideurs, acquise aux Normands de temps immémorial[132]. Que faire pendant nos longs hivers à moins de plaider ? L’on s’acquittait de son devoir, paraît-il. Un chercheur de statistiques nous dit, par exemple, que du 26 septembre 1663 au 23 août 1664, il n’y eut pas moins que 424 causes dans la seule juridiction de Québec, pour une population d’à peu près 1500 personnes. C’est-à-dire qu’il y eut presque un procès pas quatre habitants[133].

La justice, sans doute, se rendait d’une façon paternelle. Mais, avec une autorité aussi étendue que celle qu’ils possédaient, les juges pouvaient parfois ignorer la loi et oublier l’équité. Les plaideurs en appelaient souvent de leurs sentences au conseil Souverain. Nous pouvons dire que les justiciables de Couture semblent avoir été satisfaits de son administration. En effet, on trouve aux registres du conseil qu’une seule plainte contre lui. On l’accusait d’avoir surchargé les frais dans une enquête qu’il avait été obligé de tenir sur le cadavre d’un nommé Nicolas Pré, fils de la femme Rochon, trouvé dans les bois, près de la rivière Etchemin. Le conseil déclara que Couture était à l’abri de tout reproche[134].

Guillaume Couture déposait la toge de juge pour prendre le commandement de la milice. En sa qualité de capitaine de la côte, les proclamations et ordonnances du gouverneur lui étaient adressées. Il les devait faire lire et afficher aux portes des églises et les mettre à exécution. Cet officier commandait encore les corvées, présidait aux dénombrements, surveillait les travaux des chemins, convoquait les assemblées des habitants.

À ces charges importantes, Couture ajouta encore, s’il faut en croire un acte trouvé au greffe de Metru, l’office de notaire[135].

L’année même où Couture saluait le premier curé résidant de la Pointe de Lévy, avait lieu l’attaque de Phipps contre Québec.

Après avoir tenté en vain une descente à Beauport et à l’anse des Mères, les Anglais essayèrent d’aborder à la côte de Lauzon. Les Canadiens qui s’y tenaient en embuscade les repoussèrent vigoureusement. À la Pointe de Lévy, comme à la Rivière-Ouelle et à Beauport, les miliciens firent leurs devoirs. Guillaume Couture, alors âgé de 73 ans, entouré de ses fils, devait se trouver à la tête de ceux qu’il avait si longtemps commandés. Le vieillard et l’enfant dans ces temps chevaleresques se coudoyaient sur les champs de bataille. À Beauport, Juchereau de St-Denis, âgé de 60 ans, commandait ses censitaires. Le vieux Couture dut faire parler éloquemment les quatre fusils que lui donne le recensement de 1681.

Au reste, l’ancien voyageur était encore plein de vigueur. On le voit régulièrement assister aux sépultures, aux mariages, aux naissances de ses proches et de ses amis. Sa signature dénote une main ferme. Les spirales du paraphe sont aussi déliées, aussi sûres que celles inscrites, plus d’un demi-siècle avant, sur la donation de biens à la vieille mère. La belle écriture moulée de l’un des fils, Charles Couture, que l’on retrouve aux vieux registres paroissiaux, prouve que le juge sénéchal avait trouvé moyen de donner à ses enfants une bonne instruction.

Le 13 juin 1695, l’on trouve le nom de Guillaume Couture pour la dernière fois aux registres. Il assiste au mariage du cadet de ses enfants, Joseph-Odger Couture, avec Jeanne-Marie Huard, fille de Jean Huard, procureur fiscal de la seigneurie. Parmi les invités de la noce, on voit Charles Couillard, écuyer, seigneur de Beaumont, Étienne Charest qui devait plus tard acheter la seigneurie de Lauzon, Nicolas Metru, notaire et greffier de la sénéchaussée seigneuriale. On qualifie encore Guillaume Couture de juge de la côte. Il eut pour successeur Jacques de la Lande, un riche propriétaire de pêcheries du golfe, un des sociétaires de Joliette, et qui avait épousé la veuve de François Bissot.

On ne peut retracer la date précise du décès de Couture. L’abbé Tanguay et l’abbé Ferland le font mourir en 1702. Comme l’on ne trouve ni à Québec, ni à Lévis, ni aux environs, son acte de sépulture, on doit supposer que la date donnée par ces deux autorités est approximative. On ignore pareillement l’année où mourut Joliette.

On trouve au greffe des notaires, en 1702, l’indication d’un inventaire des biens du sieur Cousture, peut-être s’est-on appuyé sur cette note. D’après les manuscrits du temps, on voit que la petite vérole fut si violente à Québec, en 1702, qu’il y mourût environ le quart des habitants[136]. Couture fut-il emporté par cette maladie contagieuse, c’est ce que nous ignorons. Son corps repose sans doute dans le vieux cimetière de la Pointe de Lévy, sous les morts de deux siècles, à côté de sa fidèle épouse, Anne Aymard, qui l’avait précédé de deux ans dans la tombe (le 15 janvier 1700.) Le vieil interprète, celui qui avait le premier conclu un traité avec les barbares Iroquois, mourait un an après la conclusion de la grande alliance qui se fit à Montréal, sous de Callières, entre tous les sauvages. Pour l’accompagner dans les pays de chasse de l’autre monde, deux des chefs les plus renommés des tribus indiennes, Kondiaronk et Garakonthié, mouraient à peu près en même temps que lui.

S’il faut en croire l’abbé Ferland, Couture était âgé de 94 ans. L’abbé Tanguay lui donne l’âge encore respectable de 85 ans.

Ce vénérable patriarche, chargé d’années et de mérite, s’endormait laissant après lui dix enfants, trente-neuf petits enfants et cinq arrière-petits enfants.

«  Les noms de Couture, de Goupil, de Brigeart, de Lalande et de cent autres, nous dit l’abbé Tanguay[137], rappelleront toujours le courage de ceux qui combattaient pour la vérité aux premiers siècles de l’église. La religion, plus riche que l’état, récompense tous ceux qui se sacrifient pour elle. À ceux-ci, elle décerne la couronne des martyrs ; à leurs enfants, aux autres parents, elle laisse une gloire qui brille encore après plusieurs siècles. »

IX

La descendance de Couture s’allia aux meilleurs partis. En groupant les noms, on trouve rassemblés par les alliances : Couture, Nicolet, Marguerie, Olivier le Tardif, Marsolet. Ceux qui avaient couru ensemble les mêmes dangers sentaient naître entre eux des sympathies qui ne pouvaient plus se rompre. L’amitié contractée au milieu des bois se continuait au foyer, dans les relations heureuses de la vie domestique.

L’aîné des enfants de Couture, Jean-Baptiste, né en 1660, se maria à l’Ange-Gardien avec Anne Marette. Il paraît s’être établi dans l’île d’Orléans.

Anne, née à Lévis le 22 janvier 1652, baptisée à Québec le 10 avril, eut pour parrain M. de Repentigny, lieutenant du gouverneur de la Nouvelle-France, et pour marraine Anne Desprez, l’épouse du grand sénéchal Jean de Lauzon. Elle épousa en 1669, Jean Côté, qui avait eu pour mère une des filles d’Abraham Martin dit l’Écossais, pilote royal, un des premiers propriétaires à Québec. Martin a eu l’honneur de léguer son nom au champ de bataille où se rencontrèrent les armées de Wolfe et de Montcalm : les Plaines d’Abraham… Une des filles d’Anne Couture fut religieuse hospitalière sous le nom de mère saint Paul. Son fils ainé, Jean-Baptiste Côté, devint seigneur de l’île Verte.

Le troisième des enfants de Couture, Louis, est né en 1654. Les registres ne mentionnent que son baptême. Marguerite, née en 1656, épousa Jean Marsolet, un des fils du célèbre interprète Nicolas Marsolet.

L’époux de Marguerite Couture était sieur de Bellechasse. Il a donné son nom à cette partie de la côte du sud du Saint-Laurent, aujourd’hui Berthier de Bellechasse. Marguerite Couture est morte en 1690 sans laisser de postérité.

Marie, née en 1658, épousa en premières noces (1678) François Vézier dit La verdure qui mourut en 1683, le 7 juin, sans laisser d’enfants. Vingt-et-un jours après la mort de Vézier, Marie Couture épousait Claude Bourget, bourgeois de Québec.

Charles, né en 1660, épousait en 1690, Marie Huard, fille de Jean Huard, procureur fiscal de la seigneurie de Lauzon. C’est l’ancêtre des Couture dit Lafrenaye.

Guillaume, né en 1662, épousa Marie-Madeleine Côté.

Louise, née en 1665, fut l’épouse (1688) de Charles-Thomas Couillard, seigneur des Îlets et seigneur de Beaumont. C’est la souche des Couillard de Beaumont, Charles-Thomas Couillard était le neuvième enfant de Guillaume Couillard qui fut, avec Hébert et Martin, le premier à coloniser le rocher de Québec. Par ce mariage Louise Couture devenait l’alliée de Jean Nicolet, de François Bissot, d’Olivier le Tardif et de Jacques de la Lande. Une des filles de Louise unit son sort à un Morel de la Durantaye. Le mariage de Louise Couture nous fournit un exemple des bizarres relations de parenté qui peuvent se rencontrer parfois dans un pays peu populeux et où les alliances roulent dans un cercle nécessairement restreint. Olivier le Tardif, lorsqu’il maria Barbe Aymart, belle-sœur de Guillaume Couture, était veuf de Louise Couillard, belle-sœur de Louise Couture. Celle-ci, nièce d’Olivier le Tardif, était aussi sa belle-sœur.

Eustache Couture, né en 1667, est la souche des Couture dit Bellerive. Il se maria, en 1695, à Marguerite Bégin, fille de Louis Bégin, un ancien colon de la Pointe de Lévy. Françoise Huard, fille de Jean, fut sa seconde femme.

On a vu, en cette même année 1695, le vieux Guillaume Couture assister au mariage du plus jeune de ses enfants, Joseph-Odger, né en 1670, avec Jeanne-Marie Huard. Joseph-Odger Couture porta le nom de Couture de la Cressonnière. C’est de lui que descend l’honorable George Couture, conseiller législatif de la division de Lauzon.

Les descendants de Guillaume Couture sont très répandus, surtout dans le district de Québec et dans celui de Gaspé.

Dans le seul comté de Lévis, le clan de Couture comprend, en 1884, cent douze électeurs.

Monseigneur Turgeon, archevêque de Québec, et Mgr Bourget, ancien évêque de Montréal, descendent par les femmes, du compagnon du père Jogues[138].

Guillaume Couture devait donner à ses fils le goût des voyages et des aventures. Onze ans après son expédition à la baie d’Hudson, en 1672 ; un de ses fils[139] se dirigeait vers ces mêmes parages. L’intendant Talon, apprenant que les Anglais renouvelaient leurs prétentions sur ce territoire abondant en fourrures précieuses, résolut de ne point négliger ce pays limitrophe du Canada. La mission d’aller reconnaître ces lointains pays fut confiée au père Albanel, ancien missionnaire de Tadousac, à M. de Saint-Simon, gentilhomme canadien, et au fils Couture. Partis de Tadoussac, bien fournis par l’intendant de tout ce qui était nécessaire au succès du voyage, les voyageurs remontèrent le Saguenay pour suivre la route par où les sauvages du nord descendaient de la baie d’Hudson. Après avoir hiverné au lac Saint-Jean, les trois Français en repartirent le 1er juin 1672, conduits par seize sauvages. Le vingt-huit du même mois, ils rencontrèrent à l’entrée d’un petit ruisseau une berge de dix ou douze tonneaux qui portait le pavillon anglais et la voile latine. Pour se dérober à l’ennemi, ils se cachèrent dans une maison déserte. « Enfin, ils purent apercevoir cette mer qu’ils avaient tant recherchée ainsi que la fameuse baie d’Hudson et, le neuf de juillet 1672, ils y arboraient les armes du Roi. Le 18, ils arrivèrent à une autre rivière, où ils étaient attendus de 200 sauvages et, le lendemain sur les deux heures de l’après-midi, ils plantèrent les armes du Roi pour servir de sauvegarde à tous ces peuples contre les Iroquois[140]. » Dans un grand conseil, le père Albanel expliqua le but de son voyage aux naturels du pays et leur fit des présents. D’après l’abbé Ferland, les voyageurs étaient de retour au lac Saint-Jean à la fin de juillet.

Au printemps de 1687, le fameux explorateur de la Salle, s’en allant à la recherche de l’embouchure du Mississippi, fut lâchement assassiné dans les bois par trois de ses compagnons de voyage. Son frère Cavelier, qui le suivait avec un de ses neveux et le père Anastase, découragé, perdu dans un pays inconnu, sans ressources, résolut de se rendre aux Illinois. Le 20 de juillet, comme les voyageurs arrivaient au pays des Arkansas, ils rencontrèrent deux français, l’un nommé Delaunay et l’autre nommé Couture. Ils avaient été envoyés aux Arkansas par le chevalier de Tonti, au retour d’un voyage qu’il avait fait lui-même jusqu’à l’embouchure du Mississippi où de la Salle lui avait donné rendez-vous. Ils paraissaient décidés à s’établir en ce lieu, n’attendant plus aucune nouvelle de M. de la Salle, dont Cavelier leur apprit la mort tragique. Couture se décida à les accompagner. Ils partirent le 27, descendirent la rivière des Arkansas et, le même jour, virent pour la première fois le Mississippi. Le 22, leur conducteur Couture prit congé d’eux[141].

Ce Couture doit vraisemblablement être Louis, le troisième des enfants de Guillaume, dont on trouve le baptême aux registres, sans aucune autre mention. Nous laissons aux antiquaires qui s’occupent de l’histoire des Canadiens de l’Ouest, le soin de rechercher ce qu’est devenu cet enfant prodigue.

Tous les autres enfants mâles du premier colon de la Pointe de Lévy ont fait souche et leur descendance est répandue dans la province. En 1725, le cadet de la famille, Joseph-Odger Couture, était capitaine de milice de la côte de Lauzon[142].

En 1751, c’est à un Couture que l’intendant Bigot donnait l’ordre de se rendre au fort de Frontenac pour y construire un bâtiment pour le service du roi[143].

Voyageur, colon, capitaine de milice, maître charpentier du roi, chacun des fils voulut conserver la bonne renommée du premier colon, Guillaume Couture.

APPENDICE

A
DONATION DE COUTURE À SA MÈRE

26 JUIN 1641.
(Delivré par collation au d. donnateur en 1646)

Par devant Nous Martial Piraube commis au greffe et tabellionnage de Quebecq en la Nouvelle-France et en présence des temoings cy après nommez.

Fut présent en sa personne Guillaume Cousture, menuisier, de Rouen, paroisse Sainct Godart, fils de deffunt Guillaume Cousture vivant mtre menuisier au d. Rouen et de Magdeleine Mallet sa femme, ses père et mère. Lequel est domestique des reverends pères religieux de la compagnie de Jésus de la mission des Hurons en la Nouvelle-France y demeurant, étant à présent au d. quebecq, Lequel a volontairement donné, ceddé et transporté pour et à toujours par donnation irrévocable fait entrevifs dans la meilleure forme que faire se peut à la d. Magdeleine Mallet sa mère demeurant à présent au d. Rouen, absente, Guill. Tronquet d. dit R. à présent au d. Québecq à ce présent et acceptant stipulant pour la d. Mallet autant q. faire l’epoulx des deux tiers des biens tant meubles que immeubles au d. donateur appartenant et a luy advenus et échus de la succession du d. deffunt Guillaume Cousture son père les d. biens tant meubles q. immeubles estant en la paroisse de la Haye Aubray en Normandye.

En outre le d. donateur donne a la d. donnataire sa mère, l’usufruict de l’autre tiers de ses d. biens tant meubles que immeubles de la succession de son d. feu père pour jouir par la d. donataire de l’usufruict du d. tiers de biens seulement sa vie durant et pour les d. deux autres tiers en jouir faire et disposer comme bon lui semblera. Et après le décès de la d. donataire le d. donateur veut et entend que Marie Cousture sa sœur soit seule héritière des d. deux tiers de biens cy-dessus donnez et jouisse du revenu de l’autre tiers pendant sa vie seulement pourquoy faire le d. donnateur a substitué la d. Marie Cousture sa sœur en la place et après sentes le d. donateur a faict et constitué sa procuratrice generale le décès de la d. Magdelaine Mallet sa mère. Ceste donnation faicte pour la bonne amityé que le d. donnateur a dict porter tant à la d. Magdelaine Mallet sa mère qua la d. Marie Cousture sa sœur et parce que sa bonne volonté est ainsy de faire, et par ces pré-spéciale la d. Magdelaine Mallet sa mère en cas qu’elle soit vivante et en cas qu’elle ne le soit la d. Marie Cousture sa sœur à laquelle il donne pouvoir de faire rendre compte à Victore Cousture oncle et tuteur du d. donnateur laboureur demt. en la d. paroisse Haye Aubray de tous et chacun de ses biens tant meubles qu’immeubles cy-dessus donnez et valeurs d’iceulx qu’il a géré et manié après le décès du d. feu Guill. Cousture comme tuteur du d. donateur et livrer par devant elle tant les d. biens, valeur d’iceulx que les lieux des d. immeubles et en passer telle quittance et descharge que besoin sera et au ceulx qui feront liquider Cousture le poursuivre et faire contraindre par toutes voyes de justice douces et raisonnables jusqu’à justice sévère et definitif, faire faire toutes saisyes et evictions que besoin sera et en bailler main levée sy besoing et plaider en toutes cours par devant tous juges appartenant en tous cas et à toutes fins, appeler… nommer un ou plusieurs procureurs au faict… plaidoyer seulement… promettant avoir le tout pour agréable… renonçant à toutes coutumes contraires à ces présentes

Faict et passé au d. Quebecq, l’an mil huit cent quarante-et-un le vingt-sixième jour de juing avant midy en la présence de… Cerré et Dugalloy au dit Quebecq témoings et ont signe :

Dugalloy,
M. Céré,
 

Guillaume Cousture,
Tronquet,
Piraube.


B
ACCORD ENTRE FRS. BISSOT ET GME COUSTURE

4 9BRE 1647.
Lecoutre notaire

furent présents en leurs personnes françs bissot et Guill. Cousture. Lesquels de leur bon gré et consentement ont fourny à la construction d’un petit corps de logis fait au lieu appellé La pointe de levy avec quelques quantités de bois abatu au tour du d. Lieu dont les d. Srs. bissot et Cousture sont demeurez d’accord en présence de frans shavigny Me J. Bourdon et Nicolas Marsolet que le d. Bissot paiera au d. Cousture La soe de deux cents livres pour tous frais que le d. Cousture peult avoir et pretendre luy et ses héritiers au d. emplacement tant en la construction du d. bastiment et le d. bois qui peult estre abatu et le d. bissot promet au d. Cousture de luy prester le logis a luy présentement vendu jusca la St. Michel prochain tant que lon comptera 1648 sans que le d. bissot en puisse prétendre aucun interest, dont de laquelle somme de deux cens livres le d. Sr. bissot paira Touttes somme et quantité au d. Cousture. Car ainsy les partyes sont demeurées d’accord et outre faire gens subvenir sur Les s. d. terres de fournir de chauvage a moytié pendant le d. temps et de tout autre shose généralement quelconques.

Ce fut fait et passé a Quebecq le quatrième jour de Novembre mil six cent quarante-sept en présence de Thomas Viviens, Guill. Cochon tesmoings qui ont signé avec les d. partyes et le d. Notaire

françoys bissot
G. Cousture
de Chavigny
Bourdon
Marsolet
Thomas Viviens
Guillaume Coshon


C

FRANÇOIS BIGOT.

Il est ordonné à Couture Me Charpentier de se rendre incessamment au fort Frontenac pour y exécuter les ordres ci-après.

À son arrivée au poste il fera une visite exacte du bateau appartenant au Roy et s’il juge qu’avec un bon radoub, ce bâtiment puisse encore naviguer pendant trois ou quatre ans, il l’entreprendra et le perfectionnera avec les charpentiers que nous avons fait passer à ce poste et en ce cas il ne fera point le nouveau bateau que nous nous estions proposé de faire construire pour le remplacer et pour lequel nous avons fait exploiter les bois cet hiver, on les gardera pour faire batir dans deux ans.

Si au contraire il déterminait que ce bateau quoique radoubé ne peut servir que cette année, il lui sera le nécessaire pour le soutenir seulement pendant l’été et mettra en même temps sur les chantiers le nouveau batteau proposé y employera les charpentiers et bucheurs qui sont rendu au poste. Il travaillera et fera travailler avec toute la diligence possible et lorsqu’il l’aura lancé à l’eau & parachevé il s’en reviendra avec ses gens suivant les ordres qu’il en recevra de M. Varin, commissaire de la marine de Montréal.

On lui remettra avant de partir les proportions de ce bateau qu’il suivra avec attention et nous faisons rendre au fort frontenac tout ce qui est nécessaire pour ce bâtiment.

fait à Québec le 4 mai 1751.
Bigot.
COPIE DE L’ACTE ORIGINAL

Le 18 no. 1649 Les bans ayant esté au préalable publiés savoir Le 1er et 2e- ban Le 11 nov. et Le 3e- ban Le 14 un dimanche et ne sestant trouvé aucun empeschement Légitime, Mre Jean Le Sueur prestre ayant pouvoir du supérieur du Lieu a Interrogé Guillaume Couture fils de Guillaume Couture et de Magdeleine Malet de la paroisse de S. Godart a Roüen dune part, et Anne Emart fille de Jean Emart et de Marie Bineau de La ville de Niort, paroisse de S. André, dautre part, et ayant Leur mutuel Consentement par paroles de present Les a solennellement mariés en La maison du dit Couture a La pointe de Levi en presence de témoins cogneus. olivier Le Tardif Martin Gravel. Zacharie cloustier Le pere et Le fils charles Cadien.

CONTRAT DE MARIAGE DE GUILLAUME COUTURE ET ANNE EMARD

Audouart, 18 novembre 1649

En faisant et traittant le Mariage qui au plaisir de Dieu sera faict et accomply en face de nostre Mère la Ste Eglise Catholiq. Apostolique et Romaine entre honneste homme Guillaume cousture fils de feu Guillaume cousture et de Magdeleine Malet vivants ses père et Mere de la parr. de St Godard de la ville de Rouen et Anne Emard fille de feu Jean Emard et de Marie buneau ses père et Mere de la parr. de St André de la Ville de Niord. ledict cousture assisté de françois cousture Antoine baudouin Martin grouveî et Charles Cadieu parents voisins et alliés, Et lad. Emard aussi assistée de Mr Ollivier le tardif Seigneur en partie de Beaupré de Zacharie cloustier le jeune ayant espousé Barbe Emard et Magdeleine Emard soeurs de lad. Anne aussi pntes. led. Guillaume prend Lad. Emard pour sa Légitime espouse avec tous les droicts quelle peut pretendre iustement et esperer de la succession de ses pere et Mere et au cas que lesd. mariez viennent a mourir sans hoirs chacun iouira de ses droicts iouxte et suivant La coustume de paris et en outre Ledict Sr Tardif pour Lamitié et bonne Affection quil porte a lad. Anne Emard Luy a donné Un Lict de plume garny de couvertes et de son tour avec une vache a laict dont de ce que dessus lesd. parties sont demeurées daccord et ont eu pour aggreable en pnce. de Mr Jean le Sueur prêtre Etienne Racine Louys Couillard et Jean Cioustier demeurants aud. Kebec tesmoings ce dix huict jour de novembre mil six cents quarente neuf et lad. Anne Emard a déclaré ne pouvoir signer pnce. desd. ts.

G. Cousture
Letardif
A. Baudoin
F. couture
ZaCarie cloutier
Le merc dud. martin grouvel

Charle Cadieu
barbemard
le merc de Jean cloustier
E. Racine
Louis Couillart
J. Le Sueur

1649

TABLE DES MATIÈRES

 158
FAIT AU CANADA
PRINTED IN CANADA
IMPRESSION PHOTO-LITHO

tremblay & dion inc. québec.
  1. Relations des Jésuites ; relation du père Bressani ; lettre du P. Jogues.
  2. Le père Bressani, le père Jogues, les Relations des Jésuites, la vénérable Marie de l’Incarnation l’appellent toujours ainsi.
  3. (Histoire du Canada — tome I, page 317.)
  4. Appendice c. tom. I. Hist. du Canada.
  5. Greffe de Martial Piraube. Ce document porte la date du 26 juin 1641.
  6. À chaque instant, on trouve dans les greffes des notaires du temps des actes qui commencent par ce préambule éloquent dans son genre : Fut présent Charles Rocheron, lequel estant près de son départ pour faire voyage au Mississipy, et comme c’est un lieu éloigné auquel il risque sa vie et que nous sommes pour mourir en quelque lieu que nous puissions être et en cas que le dit Charles Rocheron vienne à mourir, il fait donation à son père, mère et sœur de ses biens et du quint de son voyage pour faire dire des messes (greffe de Metru — 7 mai 1699).
  7. Marie Cousture.
  8. Greffe de Martial Piraube, 26 juin 1641. Dans l’inventaire des minutes d’Audouard on trouve encore, datée du 28 juin 1641, une donation par le même Couture à sa mère Magdeleine Mallet. Cet acte est disparu. (Voir à l’appendice a).
  9. Lettre du père Jogues au P. Provincial de France, écrite d’Albany le 5 août 1643.
  10. Relations de 1647 p. 18.
  11. Relations.
  12. Les canots longeaient la côte pour éviter le courant (Père Jogues). Situé près de l’embouchure de la rivière des Iroquois et traversé par des canaux nombreux et étroits, ce groupe d’îles offre bien des points où l’on peut facilement dresser des embuscades. Aussi les Agniers s’y tenaient ordinairement lorsque la navigation était ouverte : car, outre la facilité d’y surpendre les canots hurons et algonquins, ils y trouvaient le gibier et le poisson en abondance. (Ferland.)
  13. C’était un usage chez les sauvages de quitter les chaussures en entrant dans les canots, afin de n’y introduire aucune saleté.
  14. Plût à Dieu, écrivait plus tard le père Jogues, qu’il eût échappé et qu’il ne fût pas venu augmenter le nombre des infortunés ! En pareille circonstance, ce n’est pas une consolation d’avoir des compagnons, surtout quand ce sont des personnes qu’on aime comme soi-même. Mais tels sont les hommes, qui, bien que séculiers et sans motif d’intérêt terrestre, se consacrent chez les Hurons au service de Dieu et de la compagnie de Jésus…

    « Le souvenir des souffrances de Notre Seigneur, m’a-t-il dit depuis, lui fit supporter avec grande joie cette douleur, quoiqu’elle fût atroce. » (Lettre du père Jogues.)

  15. Le lieu où se fit le partage, d’après un ancien manuscrit, était près de Sorel. Les Iroquois, selon leur coutume, gravèrent sur les arbres l’histoire de leur triomphe. À l’aide de ces lignes grossières et hiéroglyphiques, ils faisaient connaître le nombre et la qualité des captifs. Il était facile de distinguer le P. Jogues parmi eux. Les chrétiens qui trouvèrent, peu après, ce triste monument, voulurent en perpétuer et en sanctifier le souvenir, en élevant une croix au même lieu. Il était juste que le signe des prédestinés marquât la route de ces héros de la Foi. Il ne reste plus aujourd’hui de traces de ce pieux monument.
  16. M. Joseph Marmette a admirablement tiré parti de cette scène de bastonnade dans le chevalier de Mornac.
  17. Relations de 1647 — passim. Lettre du père Jogues.
  18. Ce village était le plus éloigné des cinq cantons.
  19. L’ordre de délivrer le P. Jogues avait été envoyé à tous les commandants de la Nouvelle-Belgique, par les États-généraux de la Hollande, à qui la reine régente de France l’avait fait demander avec les plus vives instances. (Charlevoix).
  20. Au mois de mai 1645, le père Jogues revenait au pays, et, le 18 octobre 1646, il était massacré dans cette même mission des Iroquois avec le jeune Jean de Lalande.
  21. Lettre du père Jogues
  22. Pendant sa captivité, au mois de novembre 1644, Couture eut la visite du père Bressani qui fut fait prisonnier des Iroquois, vers cette époque. (Mémoire du père Bressani).
  23. Relation de 1645.
  24. Relations des Jésuites.
  25. Relation des Jésuites — 1645 p. 30.
  26. Les sauvages appelaient M. de Montmagny Ononthio, ce qui veut dire grande montagne (Mont Magnus.) Le nom resta aux gouverneurs qui lui succédèrent.
  27. Ceci voulait dire qu’ils attendaient la parole des Hurons et des Algonquins.
  28. C’est-à-dire : qu’ils avaient effacé la vengeance de leur cœur.
  29. En allant porter des présents dans leurs pays s’ils veulent la paix.
  30. Le compagnon de Couture.
  31. Journal des Jésuites.
  32. Le 10 mars 1646 — Journal des Jésuites.
  33. La paix si heureusement conclue par Couture dans l’automne de 1645, devait être honteusement violée un an après, le 18 octobre 1646, par le massacre de son ancien compagnon, le père Jogues, que l’on accusa d’avoir fait manquer la récolte du maïs et d’être la cause d’une maladie contagieuse qui se répandit parmi les sauvages.
  34. Le P. Pijart et sa compagnie repartirent le 28 en suivant. Journal des Jésuites.
  35. Les Relations qui racontent le voyage de 1642 donnent à Couture le titre d’interprète. Ce qui nous donne à supposer que Couture habitait le pays depuis quelques années.
  36. L’année précédente, Beauport avait été concédé à Robert Giffard. En 1636, Cheffaut de la Regnardière eut la côte de Beaupré, et le sieur Castillon, l’île d’Orléans.
  37. La France aux colonies, IIe partie. pp. 16, 17.
  38. Ce sont des renards en leurs approches, dit la Relation de 1658, ils attaquent en lions, et disparaissent en oiseaux faisant leur retraite1… Un pauvre homme travaillera tout le jour proche de sa maison, l’ennemi qui est caché dans la forêt toute voisine, fait ses approches, comme un chasseur fait de son gibier, il décharge son coup en assurance, lorsque celui qui le reçoit se pense le plus assuré2… Ils peuvent rester dix jours cachés derrière une souche pour pouvoir assassiner un homme ou une femme, vivant dans cet état avec un épi de blé d’Inde3.

    1 p. 5 vol. III.

    2 Relation de 1660.

    3 Lettre de Vaudreuil et Raudot au ministre (manuscrits de la Chambre d’Assemblée).

  39. Lettre de Talon au ministre, 1667.
  40. On appelait alors une exploitation rurale une habitation. C’est encore le mot en usage à Haïti et dans les autres colonies françaises.
  41. Greffe de Lecoutre. Cet acte est daté du 9 novembre 1647. C’est le premier document notarié où le nom de la Pointe de Lévy soit mentionné. Neuf notaires ont pratiqué à Québec, avant 1647, savoir : Audouard (1636 à 1663) ; Lespinasse (1637) ; Jean Guillet (1637-1638) ; Martial Piraube (1639 à 1643) ; Tronquet (1643 à 1646) ; Vachon (1644-1693) ; Bancheron (1646 à 1647); Bermen (1647-1649) ; Lecoutre (1647-1648). Après avoir compulsé tous ces greffes, l’on trouve, par l’acte d’accord mentionné dans le texte, que Guillaume Couture fut le premier qui commença un défrichement à la Pointe de Lévy.
  42. À peu près dans le même temps où Couture commença son défrichement, les jésuites élevèrent sur le rivage, en face de Québec, l’humble logis qui devait porter, pendant plus de deux siècles, le nom de Cabane des Pères. Pour se rendre dans les missions de la Nouvelle-Angleterre, ces missionnaires s’enfonçaient d’ordinaire à travers les terres, côtoyant la rivière Etchemin et la rivière Chaudière pour de là se jeter dans la rivière Saint-Jean. À leur retour de ces lointaines missions ils étaient obligés d’attendre souvent plusieurs jours pour pouvoir traverser le fleuve. Par les grands vents ou par les nuits orageuses, il n’était pas prudent de se risquer en canot d’écorce sur le bras de mer qui sépare Québec de Lévis. Ce fut la raison qui porta sans doute les jésuites à établir ce pied à terre à Lévis. La pointe où s’élevait ce cabanon a toujours porté depuis le nom de Pointe des Pères. La côte qui gravit de la grève sur la falaise s’appelle la côte de la Cabane des Pères.

    Aujourd’hui les terrassements du chemin de fer Intercolonial recouvrent les ruines de ce vieux logis.

  43. Journal des Jésuites.
  44. Journal des Jésuites.
  45. Le quinze octobre 1648 ; (greffe de Romain Becquet).
  46. Il est malheureux que notre anglomanie ait fait de l’anse des Sauvages, nom sous lequel cet endroit était connu depuis les commencements de la colonie : Indian Cove et anse Gilmour.
  47. Mot canadien qui signifie défricher, et que l’on doit conserver.
  48. Il y eut, à Lévis, sous le régime français, plusieurs fours à chaux. Tout le long de la côte on en trouve encore des vestiges. Une carte de 1690 nous montre dans l’anse Labadie le four à chaux de Mathurin Chovel qui, d’après les nombreux marchés de construction que l’on trouve sous son nom aux greffes des notaires, paraît avoir été un entrepreneur célèbre dans son temps. Les fours à chaux que l’on voit encore au village de Lauzon, en arrière du couvent, sont mentionnés dans de très vieux documents. Les chaufourniers habitent maintenant Beauport et la côte de Beaupré.
  49. » S’il eut résisté plus longtemps, tous les mangeurs de saucissons du vendredi en auraient accusé l’ordre des jésuites.
  50. En compulsant les greffes des anciens notaires, j’ai cherché quelque marché, devis ou spécification pour connaître quels étaient les modes de construction du temps, les dimensions, les bois employés, le prix des ouvriers. Dans l’inventaire des minutes d’Audouard, je trouvai un rapport de charpente pour la maison de Guillaume Hébert. Ce document n’aurait pas manqué d’intérêt vu que la maison d’Hébert fut la première habitation de colon construite dans Québec. Hélas ! cet acte, avec mille autres, manque à l’appel ! On trouvera à l’appendice un marché de construction pour Jean Rourdon.
  51. Le 26 d’avril.
  52. La santé de Réné Goupil l’avait forcé de quitter le noviciat des jésuites de Rouen ; mais quand il se vit prisonnier des Iroquois, et en route pour le lieu de son supplice, il dit au père Jogues : « Mon Père, Dieu m’a toujours donné un grand désir de me consacrer à son service par les vœux de religion dans la compagnie de Jésus. Mes péchés m’en ont rendu indigne jusqu’ici. Si vous le vouliez, mon Père, je ferais maintenant ces vœux en présence de mon Dieu, et de vous. » Le père Jogues, ému d’une si touchante prière, le laissa faire ses vœux de dévotion.
  53. M. Benjamin Sulte donne à Couture le titre de serviteur-donné. — Histoire des Canadiens-Français.
  54. Greffe d’Audouard — 18 novembre 1649 — contrat de mariage de Guillaume Couture et de Anne Esmard.
  55. Ou « Bureau ».
  56. 10 novembre 1648 — Archives de la cure de Québec.
  57. Ce Jean Mignot avait eu avant son mariage une aventure romanesque que nous raconte le Journal des Jésuites :

    «  En février 1647, Barbe, sauvagesse séminariste des Ursulines, après y avoir demeuré quatre ans, en étant sortie, fut recherchée fortement et puissamment par un Français nommé Chatillon, qui pria les mères de la vouloir retenir jusqu’aux vaisseaux. Il donna assurance de sa volonté, mettant entre les mains des mères une rescription de 300 livres, dont il consentit que l00 fussent appliquées au profit de la fille, en cas qu’il manquât à sa parole. Mais il se trouva que la fille n’en voulut pas, et aima mieux un Sauvage et suivre les volontés de ses parents. »

  58. Le second mariage paraît avoir eu lieu le 10 novembre 1652. Ce fut celui de Jean Guiet (Guay), fils de Jean Guiet et de Marie Dumont, à Jeanne Mignon fille de François Mignon. M. Jean Le Sueur les maria ; disant solennellement la messe à la Pointe de Lévi ou côte de Lauzon en présence des sieurs Buissot et Cousture. (Archives de la cure de Québec).
  59. ChateaubriandGénie du Christianisme.
  60. Journal des Jésuites.
  61. Journal des Jésuites.
  62. Histoire de l’Amérique Septentrionale, tome I. pp. 141, 142.
  63. Relation de 1661.
  64. Dans le rapport du comité nommé pendant la session de 1884 pour s’enquérir de la possibilité de la navigation de la baie d’Hudson, M. Royal mentionne ces deux noms.
  65. La Potherie ; Faillon.
  66. « Il y a trente ans à peine, personne n’aurait osé croire qu’on pût seulement se rendre jusqu’au lac St-Jean, c’était tellement loin dans le nord ! Le pays qui l’entourait ne pouvait être que la demeure des animaux à fourrures, et, seuls, les Indiens étaient regardés comme pouvant se hasarder dans ces sombres retraites que protégeait la chaîne des Laurentides et que défendait contre l’homme une nature réputée inaccessible » — (Arthur Buies — Le Saguenay et la vallée du lac St-Jean, p. 201.)

    Le père Arnaud corrobore les avancés de M. Buies (Annales de la propagation de la foi — 1880 — p. 147)

    « À cette époque reculée (en 1853), écrit-il, le lac St-Jean était si loin ! les difficultés pour s’y rendre si grandes !… que personne n’avait jusqu’alors pensé à aller s’y établir.

    « D’ailleurs, n’était-ce pas le pays des jongleurs, comme le rapportait la renommée ? rien que cette pensée était un épouvantail pour bien des personnes. La triste perspective de se trouver en contact avec des Sauvages, qui pourraient scalper le malheureux imprudent qui s’y aventurerait, en retenait plusieurs. »

    Quand on considère que nos ancêtres avaient atteint cette mystérieuse région, dès les commencements de la colonie, qu’ils s’étaient avancés bien loin au-delà, à travers les solitudes sans nom, jusqu’à la baie d’Hudson, — ce que personne n’a encore osé faire de nos jours — il faut croire, évidemment, qu’ils étaient autrement trempés que nous le sommes.

  67. Journal des Jésuites — Il était accompagné d’Amyot qui fut lui aussi un habitant de Lévis.
  68. Un petit village aux bords du lac Champlain, à deux pas de la frontière, porte aujourd’hui le nom de Chasy. Il s’élève à l’embouchure d’une rivière appelée Chasy. Les trains de l’Hudson and Delaware stoppent en cet endroit.
  69. Ferland, tome II p. 50.
  70. Journal des Jésuites.
  71. Ferland, p. 51, t. II.
  72. Journal des Jésuites.
  73. Ferland, p. 52.
  74. Vid. p. 85, tome II.
  75. C’est là la version de l’abbé Ferland. Celui-ci s’est appuyé sur les Relations de 1666 et les lettres de la mère de l’Incarnation.
  76. La Potherie dit positivement que ce fut Agariata qui tua M. de Chazy, p. 85.
  77. Greffe d’Audouard. Cet accord eut pour témoins Marcel Molloyer, chirurgien, et Charles Sevestre, commis dans les magasins du pays
  78. La pêche à l’anguille était alors très heureuse. Dans les mois de septembre et octobre un seul en prendra pour sa part 40, 50, 60 et 70 mille (Relation de 1660). La Potherie raconte que la pêche d’anguilles que l’on faisait à Lothinière était si considérable qu’il n’y avait pas d’endroit dans le pays où elle fut plus abondante. « Elles descendent, dit-il, du lac Ontario, autrement Frontenac, qui est à plus de cent lieues. Il y a aux environs de ce lac des marais pleins de vase de douze à quinze pieds de profondeur : les grandes eaux les en font sortir, et elles descendent vers les îles Toneata, qui en sont aussi toutes bordées ; elles se tiennent ensemble et font des amas gros comme des muids : les courants du lac les entraînent insensiblement dans des rapides, et lorsqu’elles sont dans le fleuve elles se répandent de toutes parts, mais elles donnent particulièrement au Platon, Saincte-Croix et Lotbinière. Un habitant en prend quelquefois trois milliers à une marée ; elles sont beaucoup plus grosses qu’en France. C’est une manne dans la Nouvelle-France, et lorsque l’on sait bien les aprêter elles sont délicieuses. On en envoye aux îles de l’Amérique. » (tom. III, p. 283. Hist. de l’Am. Mérid.)
  79. Au greffe de Guillaume Audouard, le 16 septembre 1653, comparaît : « honorable homme Guillaume Couture, habitant, demeurant ordinairement à la Pointe de Lévy… »
  80. Tome IV, p. 51, Histoire des Canadiens-français.
  81. Voici le recensement de 1666, pour la côte de Lauzon :
    NOMS ÂGES QUALITÉS
    François Becquet
     
    41 habitant.
    Marguerite Desprez
     
    40 sa femme.
    Gabriel Samson
     
    23 domestique engagé.

    REMARQUES. — Becquet, d'origine normande, était du même village que François Bissot. Sa mère était elle-même une Bissot. Il s'était marié à Québec en 1663 à Marguerite Desprez, veuve Benjamin Richard. Au recensement de 1667, on donne à sa femme le nom de demoiselle Marguerite Richard. Becquet est mort en 1669, sans laisser de postérité. Il fut enterré à Québec dans le cimetière de l'hôpital. Sa femme le suivit dans la tombe l'année suivante. Becquet était arrivé à la côte de Lauzon, en 1662. (Greffe d'Audouard). Gabriel Samson, son domestique engagé, était du même canton que Becquet. Il s'établit à Lévy avec son frère Jacques Samson. C'est la souche d'une nombreuse et respectable famille.

    NOMS ÂGES QUALITÉS
    George Cadoret
     
    36 habitant.
    Anne Joppy
     
    47 sa femme.
    Jean Amis
     
    22 domestique engagé.

    REMARQUES. — George Cadoret est la souche d'une famille bien connue à Lévy. Il mourut en 1711. Il s'était marié en secondes noces à Barbe Boucher, veuve René Maheu, dont un des fils devint le gendre de François Bissot.

    NOMS ÂGES QUALITÉS
    Jean Guyet
     
    40 menuisier habitant.
    Jeanne Mignon
     
    30 sa femme.
    Guillaume Guyet
     
    11 fils.
    Ignace
     
    8 »
    Louis
     
    6 »
    Jean
     
    4 »
    Jacquette
     
    1 »

    REMARQUES. — Guyet est le nom patronymique de la famille Guay qui compte un si grand nombre de représentants dans la vieille paroisse de St-Joseph. Jean Guyet arriva en Canada en 1646, et fut de suite envoyé par les jésuites dans la mission des Hurons. (Journal des Jésuites). Guay est originaire de Saintonge, la patrie de Champlain. Son premier enfant fut le filleul du gouverneur de Lauzon.

  82. Concession du 27 octobre 1649. — Greffes d’Audouard et de Bermen.
  83. Registre des Insinuations du Conseil supérieur, 16 juillet 1665.
  84. Greffe de Becquet — le 2 nov. 1683 — Un des descendants de Pierre Miville est mort à la Louisiane, en 1826, à l’âge de 120 ans (L’abbé Ferland). La femme de Pierre Miville est vraisemblablement la première personne qui fût inhumée dans le cimetière de la Pointe Lévy (en 1676). Il est dit aux registres qu’elle fut inhumée à Lévis dans le cimetière de l’église qui se fait (qui se construit) en la dite côte de Lanzon.
  85. L’abbé Faillon. Histoire de la colonie française.
  86. De 1657 à 1666, plusieurs familles prirent des terres dans Lauzon, si l’on en juge par la présence des Lauzon à Québec durant cette période et par le recensement de 1167. La famille Lauzon prenait des terres sur tous les points de la contrée. Elle n’en a colonisé qu’une seule : la côte Lauzon et un petit fief (Lirec) dans l’île d’Orléans. Ce qui lui en restait vers 1690, fut vendu moyennant quelques francs. Les Lauzon étaient alors ou décédés ou repassés en France. (Benjamin Sulte. Histoire des Canadiens-français.)
  87. Près de la moitié de la ville de Lévis s’élève sur l’ancien fief des jésuites.
  88. La famille Guay a fait souche. Les Amyot prirent une autre direction. Un ruisseau qui traverse la paroisse de Saint-David de Lauberivière, près de Lévis, rappelle le souvenir de cet ancien colon.
  89. C’est le fief Villemay, qui prenant son front au fleuve court jusqu’à Saint-Henri, sur une largeur de plus de vingt arpents, depuis la côte Shaw jusqu’à la côte Tibbits. D’Ailleboust en mourant légua cette magnifique propriété aux religieuses hospitalières. Les héritiers Robertson en retirent aujourd’hui les rentes. Cette terre portait aussi autrefois le nom de la Citière. C’était le titre de l’un des fils de Lauzon.
  90. Les Ursulines de Québec. — Sur les hauteurs de Lévis, où campèrent autrefois les réguliers anglais qui construisirent les forts, se trouve au pied d’une colline une petite nappe d’eau sans issue qui porte le nom de mare à Popon. La tradition veut que cet étang ait été creusé sous l’ancien régime, par un riche français qui avait là son château au milieu des bois. On raconte même avoir trouvé en cet endroit les ruines d’une maison ancienne. Il y a toujours quelque chose de vrai au fond de ces anciennes légendes. Cette mare se trouve située sur le domaine que possédait autrefois l’ingénieur Jean Bourdon. Dans le cours du temps, l’étang de Bourdon ne serait-il pas devenu la mare à Popon ? On trouve des transformations de noms plus étranges.
  91. Tome II p. 241 — Hist. de la colonie française au Canada.
  92. Le 27 septembre 1652, la maison de M. de la Chesnée se brûle à la pointe de Lauzon et sa fille de 3 à 4 ans y est brûlée. Journal des Jésuites.
  93. Ces seigneuries, très promptement peuplées, formèrent de bonne heure des émigrants pour le reste de la colonie et peuvent être considérées comme les pépinières de la colonie. (Rameau)
  94. Les syndics ou procureurs syndics, dans les affaires et les procès, représentaient les corps qui les avaient élus. Cette élection se faisait au scrutin. En août 1653 fut faite et déclarée la nomination de M. d’Ailleboust au syndicat.

    Thomas Hayot adjoint du cap Rouge y compris Sillery, M. de Tilly de la côte Ste-Geneviève, M. Denis, de Québec, le sieur La Melée (Crevier) de la côte N.-D. des Anges, Guil. Pelletier, Beauport, François Bélanger, Longue Pointe, Pierre Picard, cap Tourmente, M. Buissot, de la côte de Lauzon. (Journal des Jésuites.)

  95. Lambert avait pour fermiers Pierre Bergeron et ses enfants qui plus tard devinrent des colons et ont laissé une nombreuse descendance. Cette ferme de Lambert comprenait près de la moitié de la paroisse de Saint-Romuald.

    Bissot avait pour domestiques Jean Gué, Martin Lenfilé et Pierre Perot.

  96. Il mourut en janvier 1760, à l’âge de 67 ans. Il fut enterré le 21 de ce mois dans l’église de la Pointe Lévy, par le frère récollet Didace Cliche en présence du sieur Levrard, bourgeois de Québec. En 1751, Lambert était capitaine de milice. Il maria, cette même année, sa fille Geneviève à Jacques de la Fontaine de Belcour, conseiller au conseil supérieur de Québec. Celui-ci était veuf de Charlotte-Joliette Bissot. Lambert avait pour épouse une de Villeray. La famille du docteur Thomas Lambert, de Saint-Romuald, se greffe à cette branche. M. Étienne Lambert, cultivateur, de Saint-Jean Chrysostome, possède une ancienne épée française et une dague avec poignée d’ivoire très bien travaillée. Sur la lame de l’épée on lit la devise : Aut vincere aut mori. Nous en connaissons qui préféreraient cette vieille épée, cette dague et un bon fusil de chasse de l’ancien temps à des panoplies du moyen âge.
  97. Elle a donné son nom à la paroisse de Ste-Claire, dans le comté de Dorchester.
  98. Manuscrits de la Nouvelle France, p. 507 — p. 511.
  99. Tome I ; page 39, Hist de l’Am. Sept.
  100. Ordonnance du 3 avril 1669. (Rg. des ordres du Roi pour les Cies des Indes fol. 115).
  101. Dans la Minerve du 16 août 1884.
  102. Ce fut la faute que l’on commit dans la première expédition du régiment de Carignan. Elle fut continuellement répétée, depuis le baron Dieskau jusqu’à Montcalm.
  103. Lettre du 14 mars 1675. Manuscrits.
  104. P. 602. Manuscrits
  105. Édits et ordonnances vol. I p. 65.
  106. Un édit du roi passé en 1716 règle minutieusement tout ce cérémonial.
  107. Édits et Ordonnances passim.
  108. La proclamation des ordonnances du conseil se faisait au son du tambour vu que la trompette n’était pas en usage dans la colonie. (Reg des ord. de l’Intendant, 8 mars 1727)
  109. Les détails de ce procès sont empruntés aux Jugements et Délibérations du Conseil supérieur pour 1675. (Vol. manus. déposé au secrétariat de la province.)
  110. Il y décéda en 1679. On sait que son frère, le célèbre évêque de Cambrai, avait eu, lui aussi, l’idée de se consacrer aux missions du Canada.
  111. L’abbé Tanguay dans son Répertoire du Clergé dit que M. Morel arriva à Québec le 22 août 1661 (3 et 4) Journal des Jésuites. Le mémoire de Mgr de Laval dit : Monsieur Morel, prestre agé de 48 ans, venu de France en 1660. On peut voir dans ce mémoire quelle était la population de la rive sud, depuis Saint-Thomas en descendant, en 1683.

    À la Rivière-du-Loup, qui est à 37 lieues de Québec, qui appartient à Monsieur de la Chesnaye, il y a 4 âmes.

    Camouraska où il n’y a qu’un habitant.

    La Bouteillerie, qui est à 25 lieues de Québec, il y a 8 familles et 60 âmes.

    La Combe, qui contient une lieue et demie, il y a 5 familles et 40 âmes.

    La seigneurie de Monsieur de St. Denys qui contient deux lieues, il y a deux familles et onze âmes.

    La seigneurie de l’Anglois, il y a deux âmes.

    La seigneurie de Geneviève L’Espinay, qui contient une lieue, il y a trois familles et cinq âmes.

    Bonsecours (Islet), seigneurie du Sieur Bellanger, qui contient une lieue et demie, il y a sept familles et 41 âmes.

    L’isle aux Grues, il y a trois familles et quinze âmes.

    L’isle aux Oyes, il y a quatre familles et dix-huit âmes. Ces deux îles sont éloignés de terre ferme de deux lieues.

    Le Cap St. Ignace qui contient une lieue, il y a 12 familles et 47 âmes.

    La seigneurie de Gamache et de Bellefontaine qui n’ont pas ensemble demie lieue, il y a 4 familles et 23 âmes.

    La seigneurie de la rivière du sud (St. Thomas) autrement dite l’Épinay, qui contient une lieue et demie, il y a dix familles et vingt âmes.

    Il Ꭹ avait dans toute l’étendue de cette mission 63 familles et 328 âmes. Le missionnaire ne pouvait se rendre dans ces endroits qu’en canot.

    Ce recensement fut fait par les curés et les missionnaires. (Abeille de 1849, nos 17 et seq.)

    Le mot famille signifie établissement et âme est synonyme d’une personne en âge de communier.

  112. Plus tard nous aurons les maîtres d’école ambulants qui iront distribuer par les côtes les faveurs de l’abécé. M. de Gaspé nous décrira ses notaires antiques « passant tous les trois mois chargés de leur étude précieusement conservé dans un sac de loup-marin. »
  113. 21 janvier 1650 — Octroi de Jean de Lauzon.
  114. (1652). — Le 30 mars le P. Druillettes arrive à la pointe de Lauzon, avec Jean Guerin, après bien des fatigues, retournant de la Nouvelle Angleterre et de la mission des Abanaquinois. Le lendemain, jour de Pâque, il dit la messe aux habitants de la dite pointe et le vent et les glaces le retinrent jusqu’au mercredi, qu’il passa à Québec. (Journal des Jésuites.) Le P. Druillettes avait été négocier une alliance avec les colonies de la Nouvelle-Angleterre. (Note de l’auteur.)

    (1660) Le 27 janvier, le P. Ragueneau alla en mission à la pointe de Levy, la rivière étant prise devant Québec, dès le 20 ou environ. (Journal des Jésuites.)

  115. Arch. de la propagande, vol. America, art. Canada 256. Relatio missionis 1660 art. 30 fol. 10 — cit. par Faillon III p. 373.
  116. (1665), le 4 novembre Mgr de Laval va faire sa visite à la côte d’Orléans et à la côte de Lauzon, avec M. de Mezeray et 2 petits sauvages, le 19 il en retourne. (Journal des Jésuites.)
  117. Page 170.
  118. Ce fut aussi M. Morel qui, en 1660, construisit la première église en pierre de Sainte-Anne de Beaupré.
  119. Plan des missions du Canada, par Mgr de Laval.
  120. Estat présent de l’Église et de la colonie française dans la Nouvelle-France (1685-1687) par Mgr l’Évêque de Québec.
  121. L’église actuelle fut construite en 1830, sur les ruines de la vieille église, incendiée dans la nuit du 14 février, cette même année. Le chemin passait au pied du mur de l’ancien temple. On jeta les fondations du nouvel édifice quelques pieds plus loin.
  122. La terre de Couture fut jusqu’à dernièrement la propriété des héritiers François Bourassa. — En 1721, une des descendantes de Bissot, Geneviève Charest, donnait cette partie de terrain où sont construits l’église, le presbytère et le couvent à la fabrique de Saint-Joseph. (7 mars 1721, greffe de Barbet, notaire royal).
  123. Le premier acte inscrit est daté du 5 juillet 1679. C’est le mariage de Jean Condé, de la Rochelle, et de Marie Chauveau, âgée de quatorze ans, fille de Joan Chauveau et de Marie Albert, de Saint-Pierre d’Oléron.
  124. J.-Bte Haslay, de la côte de Lauzon, figure au nombre des six premiers élèves du séminaire. Il en sortit le 20 octobre 1669. (Abeille de 1853.)
  125. Voici quelle était la population desservie par M. de St. Claude en 1683.
    Bellechasse (Berthier)
    4 familles et 17 âmes.
    La Durantaye (Saint-Michel),
    12 familles et 65 âmes.
    Beaumont,
    17 familles et» 66 âmes»
    Montapeine,
    7 familles et» 41 âmes»
    La coste de Lauzon (Pointe-Lévy)
    55 familles et 338 âmes.
    Villieu (Saint-Nicolas)
    4 familles et» 10 âmes»
    Sainte-Croix,
    5 familles et» 29 âmes»
    Lotbinière,
    12 familles et» 61 âmes»
    Total
    116 familles etfamilles 627 âmes.
  126. Il signe Georgius Harel. Il rédige les actes, de naissance, mariage et sépulture en latin.
  127. Ce dénombrement n’est pas exact. Un état des cures et missions que l’on peut faire en Canada, dressé en 1683, donne à la côte de Lauzon 522 âmes. (Manuscrits de la Nouvelle-France, pp. 307, 308.
  128. Manuscrits de la bibliothèque d’Ottawa.
  129. D’après le recensement de 1681 et l’abbé Tanguay.
  130. Souvenez-vous que tous les hommes demandent des places. On ne consulte que son besoin, et jamais son talent. (Paroles de Napoléon 1er à Fontanes)
  131. Par l’arrêt de 1670, le roi accordait aux habitants qui auraient 10 enfants vivants, non prêtres, religieux ou religieuses, une pension de 300 livres par an, et à ceux qui étaient père de 12, une pension de 400 livres. À tous les garçons qui se marieraient à vingt ans et aux fiancées de 16 ans et au-dessous il donnait à chacun 20 livres le jour des noces, ce qui était appelé le présent du roi.
  132. S’il faut en croire la légende, nos braves cousins normands font suivre, dans la prière du soir, l’oraison dominicale de l’invocation suivante : Mon Dieu je ne vous demande pas de bien, mettez moi seulement à côté de quelqu’un qui en possède. Ceci doit être une vilenie de parisien.
  133. Dans la Minerve du 16 août 1884.
  134. Arrêt du 26 août 1674, vol. II.
  135. Greffe de Nicolas Metru — 16 Nov. 1684 — Jean Durant vend à Étienne Charest un certain terrain lui appartenant en vertu d’un contrat passé devant Mtre Guillaume Couture, lors notaire, en date du 17 octobre 1665. — On ne trouve cependant au greffe des notaires aucun des actes de Couture.
  136. Manuscrits de la Nouvelle-France, t. I, p. 603
  137. Introduction au Dictionnaire généalogique, p. XI.
  138. L’abbé Ferland, Histoire du Canada, p. 317, tome I.
  139. Les anciens manuscrits nous disent un fils du sieur Guillaume Couture, sans donner le nom de baptême. Ce dut être l’aîné, Jean-Baptiste, qui avait alors 22 ans.
  140. Relation de 1672.
  141. Ferland, tome II, page 173.
  142. Ordonnance des intendants, 1725 p. 82.
  143. Ordonnance des intendants, 4 mai 1751, vol. 38, p. 68. Voir appendice.