Guillaume d’Orange, le marquis au court nez/Introduction

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INTRODUCTION.


Le poëme, ou si l’on veut, les poëmes, dont nous publions aujourd’hui la traduction, sont fort curieux à plus d’un titre.

Ils sont, par exemple, d’un haut intérêt pour l’illustre Maison d’Orange, parce qu’ils forment le plus ancien monument de sa gloire.

Il est vrai, le héros qui est le centre des événements qui se déroulent dans ces antiques légendes, s’appelle tantôt Guillaume Fièrebrace, tantôt Guillaume au court nez, tantôt Guillaume de Rodès ; il est encore vrai, comme nous le rappellerons plus tard, que différents personnages historiques, qui ont porté le nom de Guillaume, ont prêté leur renommée et leurs exploits au Guillaume imaginaire que la poésie a glorifié ; mais il est indubitable aussi que dès la moitié du XIIe siècle, ce héros s’appelait Guillaume d’Orange dans la bouche du peuple, et qu’on chantait ses hauts faits pour en faire honneur à la maison princière d’Orange.

Je ne citerai pas ici les vers des branches du poëme dans lesquelles le nom de Guillaume d’Orange a été substitué à une autre appellation,[1] mais je ferai observer que le fameux minnesinger allemand Wolfram von Eschenbach, qui publia en 1217 une imitation du poëme roman, dit positivement que le héros n’était connu que sous ce nom :


Er ist en fransoys genant
Kuns Gwillâms de Orangis,

c’est à dire : „en France il est appelé le comte (cuens) Guillaume d’Orange”. De même un demi-siècle plus tard Jacques de Maerlant ne l’appelle pas autrement. Dans sa chronique rimée il dit :


Ooc sijn some walsce boeke,
Die waert sijn groter vloeke,
Die van Willeme van Oringhen
Grote loghene vortbringen,
Ende wilne beter dan Karle maken.
Willem, dat sijn ware saken,
Was eens daeghs een ridder goet,
Maer niet so goet dat menne moet
Karlen iet gheliken allene.
……………………………………
Karle, dat sijn ware dinghe,
Was die beste onder die Kaerlinghe ;
Artur was ooc in sinen stonden
Die beste vander tafelronden,
Wat datsi van Lancelote singhen
Oft van Willeme van Oringhen.

On le voit, d’après le chroniqueur flamand, on plaçait en France Guillaume d’Orange même au-dessus de Charlemagne. Wolfram ne va pas si loin ; cependant lui aussi assure que les Français lui assignaient une place au-dessus des plus renommés, Charlemagne seul excepté. Voici comment il s’exprime :

„Le héros est fort en honneur en France : car quiconque en ce pays connaît sa famille avoue qu’elle s’élève au-dessus de celles de tous les princes, et que lui-même est le meilleur des Français, sauf Charlemagne”.


Man hœrt in Francrîche jehen
Swer sîn geslähte kunde spehen,
Das stüende übr al ir rîche
Der fürsten kraft gelîche.
Sîne mâge wârn die hœhsten ie.
Ane den keiser Karlen nie
Sô werder Franzoys wart erborn :
Dâ für was und ist sîn prîs erkorn.


Une dernière citation :

„Les Français les plus nobles, poursuit-il, ont témoigné de sa geste que jamais histoire plus attrayante ne fut contée avec plus de vérité et de dignité. Aucune fable ne l’a altérée : on en fait foi en France ; nous allons la raconter ici : c’est une tradition vraie quoique extraordinaire.”


Franzoyser die besten
Hânt ir des die volge lân,
Daz süezer rode wart nie getân
Mit wirde und ouch mit wârheit.
Underswanc noch underreit
Gevalschte dise rede nie :
Des jehent si dort, nu hœrt se ouch hie.
Diz mære ist wâr, doch wunderlich.




Cette prétention à la vérité historique, on la retrouve aussi chez les anciens rédacteurs de notre poëme. Je n’en citerai qu’un seul exemple, emprunté à l’exorde de la Prise d’Orange :


Oez seignor, (que Dex vos beneie,
Li glorieus, li filz Sainte Marie !)
Bone chançon que ge vos vorrai dire.
Ceste n’est mie d’orgueill ne de folie,
Ne de mençonge estrete ne emprise,
Mès de preudomes qui Espaigne conquistrent.
Icil le sèvent qui en vont à Saint-Gile,
Qui les ensaignes en ont véu à Bride,
L’escu Guillaume et la targe florie,
Et le Bertran, son neveu, le nobile.
Ge ne cuit mie que jà clers m’en desdie,
Ne escripture qu’en ait trové en livre


Et effectivement les poëmes populaires sur Guillaume d’Orange, comme toute tradition, reposent sur un fond historique vrai ; seulement l’imagination l’a touché de sa baguette magique : temps, lieux et personnages ont été amalgamés d’une manière quelquefois fort bizarre.

Ailleurs[2] j’ai tâché de débrouiller ce chaos et de déterminer quels peuvent avoir été les événements historiques dont nos chansons font vibrer un écho lointain. Dans un article d’une Revue hollandaise (de Gids) M. Reinhart Dozy, Professeur à l’université de Leide, a complété mon travail par des observations aussi ingénieuses que savantes. Je ne reproduirai pas ici ces études : je me borne à en indiquer les résultats. Mais on ne m’en fera pas, j’espère, un reproche, si je reproduis ici quelques raisonnements qui ont déjà trouvé leur place dans l’ouvrage cité, que probablement les lecteurs de ce livre n’auront pas sous la main.

Or, par rapport à la première de nos chansons, celle qui dans l’original a pour titre Les Enfances Guillaume il n’y a que le récit du siége de Narbonne qui puisse avoir un fond historique. Il a probablement sa source dans la dernière attaque de la part des Sarrasins à laquelle Narbonne fut exposée en 1018 ou 1019. Les infidèles essayèrent de forcer l’entrée de la cité ; mais ils furent repoussés et taillés en pièces, tout comme dans le poëme.

Dans la branche du Couronnement plusieurs traditions ont été amalgamées.

Le couronnement de Louis dans la cathédrale d’Aix-la-Chapelle eut lieu en 814 : l’historien Thégan et le poëte Ermoldus Nigellus racontent cet événement, dont ils furent contemporains, avec des détails qu’on retrouve à peu près tous dans le poëme populaire.

On y a rattaché (IV — V) le souvenir d’événements beaucoup postérieurs. Le Roi Louis qui figure dans cette partie est, sans aucun doute, Louis-d’Outre-Mer, fils de Charles-le-Simple, mort en 929.

Les chapitres II et III rappellent un fait qui se passa en Italie vers 1001, raconté par l’auteur de la chronique du Mont-Cassin et par Ordéric Vital. Le Guillaume historique fut un seigneur de Montreuil qui, vers la moitié du onzième siècle, a été généralissime du Pape, et le poëme laisse entrevoir que c’est bien de lui qu’il s’agit ; car quoique le héros soit censé être le leude de Charlemagne, quand il pense à rentrer dans ses foyers,

Va s’en li rois à Paris la cité,
Li cuens Guillaumes à Mosterel sor mer.

Nous avons donc affaire ici à une tradition normande, comme M. Dozy l’a démontré sans réplique.

Quand au Charroi de Nîmes, il parait que c’est là encore une tradition du même pays, et que Nîmes a été substitué à une ville d’Italie prise par les Normands. L’histoire ne parle pas d’un pareil fait d’arme ; mais M. Dozy fait remarquer que parmi les compagnons de Guillaume la chanson nomme Gilbert de Falaise, certes un nom normand ; or Léon d’Ostia mentionne parmi les gentilshommes normands venus en Italie comme condottière certain Gilbert, surnommé Buttericus, Et quelle est la signification de ce mot ? Tonneau. N’est-on donc pas en droit de conclure que ce Gilbert devait son surnom à un stratagème du genre de celui que raconte le poëme du Charroi ? Cette chanson nous reporte donc aussi au onzième siècle.

Il n’y a guère que des suppositions possibles sur l’origine de la branche de la Prise d’Orange ; parce que ce poëme, tel que nous le connaissons aujourd’hui, est probablement, sinon de composition, au moins de rédaction assez récente.

Des données que nous possédons sur l’histoire de la tradition populaire concernant notre héros, il résulte qu’un des plus anciens poëmes contenait le récit de ses amours avec Orable, terminé par la prise d’Orange et son mariage avec la belle princesse maure. Plus tard, probablement dans le XIIe siècle, on a détaché de cette chanson le récit de la Prise d’Orange ; pour le coudre à la suite du poëme de la surprise de Nîmes, fort populaire dans le Nord de la France.

Tout semble annoncer que cela ne s’est pas passé sans faire subir au récit primitif des altérations assez graves, qui ont surtout porté sur le commencement et la fin de la narration. Ainsi l’on avait droit de s’attendre à ce que le baptême et les noces d’Orables fussent décrits avec quelque détail ; cependant le poëme, tel que nous le possédons, y consacre vingt vers à peine. Du reste nous savons par d’autres parties de l’épopée que le dénouement était autrefois raconté tout autrement et que le jongleur qui arrangea le poëme primitif à sa guise, a changé plusieurs détails du tableau.

Cette rédaction perdue était fort ancienne, puisque la légende latine de St. Guillaume, qui date des premières années du douzième siècle, y fait allusion.

Que si l’on demande si nous avons affaire encore ici à une tradition normande, et si le mariage de Guillaume n’est pas une réminiscence de l’union de quelque aventurier normand avec une princesse étrangère, soit en Espagne, soit en Italie, il faudrait répondre qu’il y a sans doute des analogies historiques : le Normand Roger de Toeni épousa, vers 1010, la fille de la comtesse Ermesinde de Barcelone, et le fameux Robert Guiscard devint l’époux de la princesse de Salerne, fille de Gaimar IV ; que cependant tout porte à croire qu’il n’est pas question ici d’une tradition normande ; d’autant moins qu’on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que la rédaction du poëme qui nous est parvenue, est d’un jongleur artésien ou picard et non d’un trouvère normand[3].

N’est-il pas plus naturel de penser à une tradition du Midi ? Et alors l’attention ne doit-elle pas se porter sur Guillaume I, comte de Provence qui, vers 975, chassa les infidèles de sa patrie ? Il les battit aux environs de Draguignan : et lorsque les débris de leur armée se réfugièrent au château du Fraxinet, il les poursuivit avec tant d’ardeur que, pressés de toutes parts, ils sortirent du château pendant la nuit et essayèrent de se sauver dans la forêt voisine, où la plupart furent tués ou faits prisonniers.

Or, Saint Odilon, abbé de Cluni, dit de lui qu’il conquit sur les infidèles un grand territoire et l’unit à son domaine. La légende latine de St. Guillaume rapporte un fait tout pareil à ce dernier qui, comme nous le verrons bientôt, a été le héros primitif de la tradition et auquel on a rapporté les faits et gestes de plusieurs de ses homonimes. Elle raconte qu’il mit le siége devant Orange et en chassa les Arabes, quoique plus tard il eut beaucoup à souffrir pour cette ville et dans la place même, où néanmoins la victoire lui resta. Après avoir pris la ville, du consentement de tous il la retint pour soi et en fit la capitale de ses propriétés. Depuis cette ville devint fameuse dans le monde entier par la gloire de ce grand duc[4].

Et cela ne s’explique-t-il pas par le fait qu’avec Guillaume I commence réellement l’hérédité du comté ou de la principauté d’Orange ? Mais en même temps cela ne rend-il pas problable la supposition que la chanson de la Prise d’Orange repose sur une tradition provençale racontant les hauts faits du comte Guillaume I ?

La branche du Vœu de Vivian se rattache trop intimement à la chanson de la Bataille d’Aleschant pour l’en séparer ici ; et il faut ajouter que la branche que nous avons intitulée Renouard, n’est pas séparée, dans les manuscrits, de celle qui précède.

Cette chanson de la Bataille d’Aleschant repose sur des traditions fort anciennes.

En 787 Charlemagne nomma duc d’Aquitaine un personnage que l’Astronome Limousin, auteur quasi-contemporain, nomme simplement Guillaume. Par ses vertus et son caractère il sut mériter la confiance de son souverain, qui le plaça à un poste dangereux.

En 793 l’Émir de Cordoue Hesham fit une invasion en France à la tête d’une armée formidable. Charlemagne faisait la guerre sur les bords du Danube ; son fils Louis était en Italie avec les meilleures troupes du Midi. Aux approches des Sarrasins les habitants des plaines s’enfuirent : les ennemis se dirigèrent sur Narbonne où ils mirent le feu aux faubourgs, et se portèrent ensuite du côté de Carcassonne. Cependant le duc d’Aquitaine Guillaume avait fait un appel aux comtes et aux seigneurs du pays. De toute part les Chrétiens en état de porter les armes accoururent se ranger sous son étendard. Les deux armées en vinrent aux mains sur les bords de la rivière d’Orbieu, au lieu nommé Villedaigne, entre Carcassonne et Narbonne. L’action fut extrêmement vive. Guillaume attaqua le premier les infidèles, qui soutinrent le choc avec beaucoup de valeur et repoussèrent les Franks. Ceux-ci se défendirent pendant quelque temps ; mais ils furent enfin taillés en pièces et leurs chefs obligés de prendre la fuite. Guillaume fut le seul qui tint ferme ; quoique abandonné des comtes et de presque toutes ses troupes, il soutint tous les efforts des infidèles et abattit à ses pieds un de leurs chefs. Le duc fit dans cette occasion des prodiges de valeur ; mais accablé par le nombre et se trouvant presque seul au milieu des ennemis, il se retira heureusement avec ce qui lui restait de troupes, après avoir fait acheter bien chèrement aux Sarrasins le champ de bataille dont ils demeurèrent les maîtres.

De leur côté, les infidèles, qui avaient perdu un de leurs chefs, n’osèrent pas pénétrer plus avant, et contents du riche butin qu’ils avaient fait, ils retournèrent en Espagne, où ils furent reçus comme en triomphe.

Cet événement historique parait être la source de notre poëme.

„Les actions de valeur que fit Guillaume durant la bataille d’Orbieux ont donné sans doute l’origine aux fables de nos vieux romanciers au sujet de ce duc, de même que l’affaire de Roncevaux au roman du fameux Roland.”

Telle est l’opinion des auteurs de la profonde Histoire générale du Languedoc, telle est la conviction du savant auteur des Invasions des Sarrasins en France, M. Reinaud. Et réellement on ne saurait douter que la terreur qu’éprouvèrent les populations du Midi, sans défense lors de l’invasion de l’Émir, ne les ait fortement impressionées, au point que leur imagination dut être profondément frappée par le courage du héros qui presque seul arrêta l’armée musulmane et la contraignit à repasser les monts. La description animée des chroniqueurs du temps, généralement secs et arides, reflète assez bien cette disposition des esprits.

Or, tout porte à croire que la chanson de la Bataille d’Aleschant est l’écho lointain de ces impressions.

Je ne nie pas que si d’un côté il y a une conformité indubitable entre l’histoire et la tradition, prises dans leurs traits généraux, il n’y ait d’autre part des différences assez notables. Mais elles s’expliquent par la nature même de la tradition, comme j’ai tâché de le prouver ailleurs en étudiant les phases de cette transformation[5].

Il va sans dire que cette partie du poëme qui semble se rattacher au souvenir des exploits de Guillaume à la bataille d’Orbieu, s’arrête au moment où les portes d’Orange se ferment sur lui.

Cependant la chanson ne pouvait pas finir de cette manière, et les poëtes ont cherché un dénouement plus satisfaisant. Et cela ne doit guère nous étonner ; car l’imagination populaire ne peut se contenter à la longue de chanter une défaite quelque signalée qu’elle soit par d’admirables traits de courage. Une glorieuse vengeance devint le complément nécessaire du premier combat désastreux.

Cette seconde partie est-elle de l’invention des jongleurs ? C’est peu probable : en ces temps-là on n’inventait guère que des détails. Il est bien plus à croire que d’autres souvenirs historiques ont fourni le canevas de la branche de Renouard. Et pour cela il faut probablement remonter jusqu’à Charles-Martel.

En 721 une armée arabe ayant saccagé Narbonne se porta sur Toulouse. Le duc d’Aquitaine vola au secours de sa capitale. Après un combat meurtrier les Sarrasins furent défaits, et, sous le commandement d’Abd-Alrahman (Desramé), regagnèrent tant bien que mal l’Espagne.

Cependant Abd-Alrahman étant parvenu en 730 à la tête du gouvernement de l’Espagne, voulut venger les échecs précédemment essuyés, et entra en France avec l’armée la plus formidable qu’on eût vue. Il s’avança en brûlant tout sur son passage et prit Bordeaux. En vain le duc d’Aquitaine essaya-t-il de l’arrêter : il fut battu, et ne se trouvant pas en état de tenir la campagne, il alla invoquer l’appui de Charles-Martel, quoiqu’il vécût en mésintelligence avec lui. Les deux ennemis se réconcilièrent ; Charles marcha à la rencontre des ennemis et les joignit sur les bords de la Loire, où un combat terrible se livra près de Poitiers. Il dura tout le jour, la nuit seule sépara les deux armées. Le lendemain l’action recommença, mais Abd-Alrahman ayant été tué, la victoire se déclara en faveur de Charles. Les Sarrasins décampèrent à la faveur de la nuit ; le vainqueur se contenta de piller leur camp et, après avoir partagé les dépouilles entre ses soldats, repassa la Loire.

Les souvenirs de ces événements ont peut-être suffi pour suggérer l’idée de la seconde partie de la chanson d’Aleschant, qui par certains détails semble descendre en ligne directe des chants plus anciens qui bien certainement ont glorifié la victoire de Poitiers. Effectivement plusieurs tableaux de cette partie de la chanson ont un grand caractère d’ancienneté, et la fin rappelle en tout point l’issue de la bataille de Poitiers : les Sarrasins mis en fuite, Guillaume fait distribuer à ses guerriers le butin conquis, et l’armée franque rentre dans ses foyers.

Que si l’on voulait m’objecter que probablement le duc d’Aquitaine ne fut pour rien dans cette bataille gagnée par Charles, dont la chanson ne parle pas, je ferais observer que déjà Paul Diacre affirme que ce fut le duc d’Aquitaine qui, en arrivant inopinément avec un fort détachement sur le champ de bataille, décida la victoire. Je me range de l’avis de Dom Vaissette qui présume que probablement cet auteur s’est trompé en confondant les batailles de Toulouse et de Poitiers ; mais cela prouve toujours que dès le huitième siècle les souvenirs de ces deux combats s’entremêlèrent.

Passons au Moniage. L’idée en a été bien certainement suggérée par la réalité. On sait que le duc d’Aquitaine bâtit un monastère dans la partie la plus sauvage des environs de Lodève. Il paraît que dans les dernières années de sa vie sa piété l’engagea à se retirer de temps en temps dans le monastère d’Aniane auprès de son ami l’abbé Benoît ; enfin il embrassa définitivement lui-même l’état monastique et entra en 806 dans son abbaye de Gellone, où il mourut, après avoir acquis un grand renom de sainteté, le 28 Mai 812.

La vie monacale de Guillaume a été racontée par le moine Saint Ardon, son contemporain, et par l’auteur de sa légende latine : on ne s’étonnera pas si la relation des moines est écrite dans un tout autre esprit que le poëme populaire. Tandis qu’ici le fier guerrier franc se révolte à tout moment contre l’esprit d’humilité et d’abnégation chrétienne, et que ses allures toutes mondaines et militaires le font craindre et haïr des religieux de l’abbaye, le contraire a lieu dans le récit du légendaire. Celui-ci raconte comment le comte, une fois qu’il a pris le froc, devient tout d’un coup un autre homme, toujours patient, toujours humble, acceptant les remontrances de tout le monde. „Docebatur, nec confundebatur, corripiebatur, sed non irascebatur ; interdum caesus et injuriis laesus, neque resistebat neque comminabatur.”

Cette différence est fort curieuse, et ce qui est plus curieux encore, c’est la manière dont le jongleur se permet de ridiculiser et de bafouer les gens de religion. Je suis assez de l’avis de M. Dozy que c’est l’esprit du douzième siècle qui s’y fait jour. Cependant le fond du récit date certainement du dixième siècle.




Nous pouvons donc admettre que toutes les branches de l’épopée de Guillaume d’Orange ont, plus ou moins, un fond historique ; que le principal personnage qui a donné lieu à nos chansons est le duc d’Aquitaine du huitième siècle ; que d’autres traditions, sur d’autres personnages du même nom, ont été assimilées au récit des exploits du leude de Charlemagne.

Maintenant il ne sera pas superflu de dire un mot du caractère de la tradition populaire en général.

Dans la jeunesse des nations, lorsqu’un événement important, un fait héroïque ou remarquable, frappait l’imagination, le peuple ému éprouvait le besoin de communiquer ses impressions en racontant le fait historique. L’événement soigneusement observé et raconté simplement, donna naissance au récit historique, à l’histoire. Mais lorsque l’événement fut moins bien observé, ou lorsque le conteur s’attacha de préférence aux impressions que cet événement avait éveillées, et se laissa guider par son imagination pour suppléer à ce qui lui était resté obscur, la tradition naquit.

Cette tradition, sœur jumelle de l’histoire, a donc nécessairement toujours une vérité historique pour base, elle ne diffère de l’histoire elle-même, qu’en tant qu’elle s’occupe de préférence des couleurs sous lesquelles certain événement s’est présenté à l’esprit, plutôt que de cet événement même. En d’autres termes, au rebours l’histoire, dans la tradition, la forme, la disposition du récit, l’emporte sur le fond, qui peu à peu devient un accessoire.

La formation de la tradition est spontanée, et elle ne procède pas d’une œuvre individuelle. M. Édélestand du Méril a admirablement décrit son origine dans ce passage que nous nous plaisons à reproduire[6] :

„Comme un arbre dont les bourgeons s’entr’ouvrent sous les premières brises du printemps et produisent des fleurs dont il ne saurait varier la forme ni nuancer les couleurs, le poëte exprime alors les sentiments qu’il n’est pas plus libre de renfermer dans son âme que de ne point ressentir : organe naïf de la conscience publique, il rend plus complétement que les autres les pensées qu’ils partagent tous avec lui. Ces pensées, communes à une nation entière, ne peuvent rien avoir d’accidentel ni de factice : elles résultent de son histoire elle-même, de la civilisation où elle est arrivée et du pays où elle accomplit sa destinée ; c’est l’expression la plus vive et la plus profonde de son caractère et de sa vie. Toutes les imaginations concourent à ces poëmes sans auteur ; chaque jour la forme s’améliore ; la plus parfaite, c’est-à-dire la plus vraie, finit par s’attacher à la pensée, et toutes deux passent ensemble de bouche en bouche jusqu’à ce que la civilisation ait fait un pas en avant, et que de nouvelles idées, plus jeunes et plus vivantes, les aient dépouillées de leur vérité et de leur importance.”

La tradition ainsi enfantée, parcourt plusieurs phases. De simple qu’elle était à son origine, elle tend à s’arrondir, à devenir plus complexe. La chanson primitive — car il n’est pas nécessaire de démontrer que la forme rhythmique est l’expression la plus naturelle de toute tradition poétique en ces temps de poésie, — la chanson primitive, se mariant à d’autres tableaux du même genre, inspirés, soit par d’autres exploits du héros même, soit par des événements du même ordre, finit par devenir un chant, un poëme épique.

Il va sans dire que dans ce premier développement, quelquefois souvent renouvelé, et qui s’accomplit au milieu du progrès des idées et de la langue qui sert à les exprimer, la forme primitive de la tradition doit subir de si notables changements qu’on peut dire qu’elle se perd entièrement ; et c’est dans ce sens que Fauriel a pu dire en toute vérité de ces chansons primitives, qu’il est de leur essence de se perdre.

Mais lorsqu’une fois la tradition a pris une certaine consistance, lorsqu’elle s’est développée et forme une vraie chanson épique, elle ne reste plus soumise à la même influence et ne change plus de forme au point de devenir méconnaissable dans sa carrière suivante.

La cause principale de cette fixité c’est que, d’un côté, elle n’est plus, pour ainsi dire, du domaine public : ce n’est plus alors dans la bouche du peuple que vit la chanson épique, c’est dans la mémoire des jongleurs qui la colportent. Et même le moment n’est pas loin, où elle cessera de courir les chances de grands changements et de graves altérations, en se fixant sur le parchemin.

Or, le respect pour la poésie historique a été si grand, que même lorsque les idées et les formes sociales avaient totalement changé par suite des premières croisades, on ne changea rien au fond et très-peu de chose à la forme des anciennes chansons de geste. L’histoire de la poésie populaire et la comparaison de différents textes le démontre. On remplaça telle expression vieillie et difficile à comprendre par une locution plus moderne, on ajouta timidement quelques détails de luxe, et voilà tout : la sobriété sévère des poëmes est respectée et l’on n’a pas même eu le courage d’adoucir l’extrême rudesse de mœurs qui s’y fait jour.

Du reste cela eût été impossible, sans changer complétement le caractère de ces poëmes, sans les dénaturer, sans les anéantir. Aussi ne le tenta-t-on même pas, lorsque le triomphe d’idées et de sentiments nouveaux eut créé d’autres besoins littéraires : on aima mieux les encadrer dans des sujets nouveaux que d’attenter à la poésie épique nationale.

Cependant il est à regretter que le respect des anciennes chansons ne soit pas allé jusqu’à empêcher les jongleurs de réunir plusieurs traditions dans un seul cadre. Cette tâche, qui eût demandé un homme de génie, fut généralement infiniment au-dessus de leurs forces. Ils se contentèrent de relier entr’eux, par des transitions de quelques vers, des morceaux parfois très-hétérogènes, sans se soucier de l’unité de caractère des personnages, souvent sans s’inquiéter de certains disparates qu’il eût été facile de mettre d’accord. Notre poëme en fournit plusieurs exemples que j’ai cru devoir laisser subsister, pour ne pas fausser l’impression que doit produire la muse tant soit peu inculte du moyen âge.





Ceci nous amène naturellement à dire un mot du poëme de Guillaume d’Orange envisagé comme œuvre d’art.

Quand on ne s’occupe que de la marche générale du sujet, sans insister sur les détails, on peut affirmer hardiment que c’est une composition presque irréprochable. Et pour soutenir cette thèse on n’aurait pas même besoin de laisser de côté la branche du Moniage qui termine notre recueil, sous prétexte qu’elle altère le caractère de la vraie épopée en la faisant dégénérer en biographie rimée, sans unité artistique ; car les événements qu’elle peint si énergiquement, servent, sans aucun doute, à mieux faire ressortir le caractère du héros sous tous ses aspects. Cependant je veux bien, pour ne pas effaroucher les puristes en fait d’esthétique, la laisser en dehors du cadre que nous devons assigner au poëme.

Commençons par rappeler sommairement l’ensemble du récit.

Un jeune homme de race noble, fils du comte de Narbonne, d’une stature athlétique, d’une valeur peu commune, plein d’ardeur pour se mesurer avec les infidèles qui tiennent sa patrie sous un joug déshonorant, se rend avec son père à la cour de l’empereur Charlemagne, où sa valeur éprouvée aux yeux de tous dans un combat singulier contre un champion étranger, le rend digne d’être armé chevalier par le monarque lui-même.

Avant d’arriver à Paris il avait rencontré des messagers de l’émir Thibaut, l’ennemi redoutable qui menaçait Narbonne. Ils venaient d’Orange, où ils avaient été demander pour leur seigneur la main de la belle princesse Orable. Un combat s’engage, dans lequel les messagers sont vaincus, et Guillaume, mû par le désir d’humilier son ennemi, renvoie ses confidents à Orange avec ordre de dire à la princesse qu’aussitôt qu’il aura été armé chevalier, il se présentera devant elle pour l’épouser, après avoir tué Thibaut. En attendant celui-ci épouse la belle et met le siège devant Narbonne, défendue par la comtesse Ermengard. Guillaume, instruit de la position difficile où se trouve sa mère, revient à la tête d’une armée, défait Thibaut et le force à s’embarquer pour l’Afrique.

Orable cependant est devenue amoureuse du jeune guerrier qui avait juré de venir l’enlever à l’émir ; mais elle se trouve enfermée dans Orange ; tandis que les événements politiques rappellent Guillaume dans le Nord. Enfin, dans une scène magnifiquement décrite, Guillaume force le roi à l’investir du fief d’Espagne, ce qu’il fait sous condition que le bénéficiaire s’en rendra maître. Celui-ci accepte : par stratagème il s’introduit dans la forte cité de Nîmes ; ensuite, par un coup non moins hardi, il se met en possession du château d’Orange et épouse sa maîtresse, qui se fait préalablement baptiser et reçoit le nom de Guibour.

Mais les Musulmans ne le laissent pas dans la jouissance paisible de sa conquête : pour venger les échecs précédents et dans l’espoir de reconquérir Orange et de punir Orable et son ravisseur, une armée formidable se jette sur la France, après que Vivian, neveu de Guillaume, a poussé l’ennemi à bout en mutilant sans merci quelques centaines de prisonniers. Un combat furieux, une vraie bataille, s’engage dans la plaine de l’Aliscamp d’Arles. Guillaume vole à la rescousse de son neveu, qu’il trouve expirant. Lui-même, après avoir vu tomber tous ses compagnons autour de lui, parvient à peine à se sauver, et regagne Orange à force d’héroïsme. Mais comme l’armée sarrasine ne tarde pas à mettre le siége devant ce refuge, il en sort clandestinement et va chercher secours près du roi de France à Laon. Le roi Louis a succédé à son père, et c’est à Guillaume qu’il doit la couronne, dont un redoutable parti avait voulu le priver. Cependant il hésite à payer le tribut de reconnaissance à son défenseur, et ce n’est qu’après une scène très-vive que Guillaume le détermine à lui accorder ce qu’il désire. Une armée nombreuse est bientôt sur pied ; les infidèles sont battus, et Guillaume rentre dans la possession de son domaine conquis.

Nous le demandons avec confiance, n’y a-t-il pas là le canevas d’une vraie épopée ? Le savant Hegel a dit avec raison : „Les idées, les sentiments, tout ce qui constitue l’essence d’un peuple, exprimés dans la forme qui leur est propre et naturelle, et présentés comme un événement historique, voilà le sujet et la forme de la poésie épique.” Or le poëme de Guillaume d’Orange ne répond-il pas à cette définition ?

Dans cette peinture épique il faut nécessairement un point central. Ce centre c’est l’action individuelle d’un personnage éminent. Cette action ne peut être arbitraire ni fortuite : elle doit nécessairement émaner du caractère du héros et de la situation dans laquelle il se trouve. Eh bien ! les événements qui se déroulent dans le poëme de Guillaume d’Orange se groupent autour de l’action individuelle du héros et en dépendent. L’idée générale du poëme, c’est la délivrance du pays du joug des Sarrasins ; mais cette idée se complique du désir que Guillaume a conçu de s’approprier le domaine et la femme du chef des ennemis, et des efforts que lui coûte la défense de ce bien, une fois qu’il l’a conquis.

Et quant au caractère du héros, il nous apparaît fort et complet : il a un véritable attrait, parce qu’il exprime, non-seulement les sentiments et les idées populaires d’une époque héroïque, mais encore les sentiments les plus élevés de l’humanité. Si d’un côté il est sans pitié pour les ennemis de la foi, d’autre part il aime les siens d’un amour désintéressé ; il est prêt à pardonner et à oublier l’offense ; s’il a l’âpre rudesse d’un homme de fer, cette rudesse même est la preuve de la noblesse de son âme ; il est plein de bon sens et d’honneur ; son dévouement à son seigneur légitime n’est surpassé que par son amour pour la vérité et la droiture ; sa bravoure est à toute épreuve ; et sa piété, brochant sur le tout, en fait, plus que toute autre qualité, le type du guerrier chrétien de son époque. On peut se révolter contre la crudité de la scène qui se passe à Laon, contre la singulière morale d’Orable, qui renie ses dieux, son mari et ses enfants, pour se jeter dans les bras d’un mari chrétien ; on peut se récrier contre la férocité que manifestent les héros, Guillaume autant que Renouard, à l’égard des Musulmans ; tout cela est un reflet non exagéré des mœurs du temps ; et tout cela est d’ailleurs compensé par les scènes attendrissantes entre Guillaume et son neveu mourant, les adieux de Guibour et de son époux, un vif sentiment de justice et de loyauté, admirablement rendu dans la première scène du Charroi de Nîmes, une piété sincère, qui perce à chaque moment. Certes, le caractère de Guillaume d’Orange mériterait un examen détaillé, l’appréciation du poëme ne pourrait qu’y gagner.

Ajoutez à tout cela un style clair, simple et harmonieux ; une manière de peindre vraiment épique par l’absence d’observations et de raisonnements qui nuisent à la marche du récit ; un vers sonore et majestueux ; et il faudra convenir que ce poëme ne mérite nullement le dédain avec lequel on a souvent parlé des productions poétiques du moyen âge.

Malheureusement à toute médaille il y a un revers.

Si la conception et les grandes lignes des divers tableaux dont se compose le poëme, dénotent des mains de maîtres, tout nous dit que l’arrangeur, qui entrevit l’unité d’une grande composition, est, à tout prendre, resté trop souvent au-dessous de sa tâche. Ainsi une main habile et intelligente n’eût point laissé subsister les nombreuses redites qui étaient la conséquence de la manière dont les poëmes populaires avaient jadis circulé, mais qui devaient nuire à la plasticité des tableaux, dès que ces poëmes n’étaient plus chantés à la foule émue. Du reste, dans notre traduction nous avons cru devoir obvier à cet inconvénient.

On n’a pas remédié à certains disparates. Les Sarrasins p. e. morts sous les murs de Narbonne, se montrent pleins de vie dans la bataille d’Aleschant ; plusieurs épisodes sont racontés de différentes manières dans les différentes chansons. Enfin l’arrangeur ne s’est pas non plus, et c’est là sa plus grande faute, mis en frais pour amener la transition du caractère de l’écuyer bouillant, querelleur et orgueilleux de la chanson des Enfances à celui du chevalier plus réfléchi, plus mûr, de la branche d’Aleschant ; il n’a pas retouché certains traits à peine ébauchés, qui auraient mérité d’être mis en relief pour mieux assurer l’harmonie générale.

Le système des rimes, variant dans les différentes chansons, trahit aussi le défaut de la lime.

Somme toute, qu’on accorde à nos chansons le titre d’épopée ou non, on conviendra sans peine qu’elles contiennent une poésie grande et noble, qu’elles brillent par des scènes de détail du plus haut intérêt et d’une plasticité émouvante.

Cela n’empêche pas qu’il n’en soit de la geste de Guillaume d’Orange comme de toutes les chansons épiques populaires du moyen âge : „tombées depuis longtemps dans un discrédit général, il est douteux que le goût moderne consente à les remettre en honneur.” Cependant, plus on étudie le moyen âge, plus on reviendra des préjugés qui l’ont fait méconnaître et déprécier d’une manière trop absolue ses productions artistiques et littéraires. L’étude sérieuse des monuments empreints du cachet de ce génie populaire qui mérite toute l’attention, toute la sympathie des penseurs, finira par faire tomber toute préoccupation hostile et par remettre la vérité en lumière.




Les dernières lignes montrent assez dans quel but et dans quel esprit ce travail a été entrepris. Si le désir de soulever un coin du voile qui couvre encore le moyen âge, m’a mis la plume à la main, j’aime à convenir que j’ai encore été mû par un autre sentiment. J’ai accompli ma tâche avec amour, dans la pensée qu’en même temps j’apportais une pierre au monument glorieux de l’illustre Maison dont les destinées sont, depuis des siècles, intimement liées à celles de la nation hollandaise, de cette Maison qui a donné bien plus d’éclat au nom d’Orange que n’ont pu le faire les trouvères et jongleurs des temps passés, et qui tient à ce nom qu’elle a si noblement illustré[7].

Sur la nature de ce travail il y a peu de chose à dire. Ma traduction serre l’original d’aussi près que possible. Je crois avoir rendu les anciens textes aussi fidèlement que le comporte la différence qui existe non seulement entre la langue du XIXe siècle et celle du XIIe, mais encore entre nos idées et celles d’alors. J’ai déjà dit que j’avais éliminé les répétitions que le jongleur se permettait, quand il voyait que le sujet intéressait un auditoire dont il espérait une ample moisson de deniers. Quelquefois je me suis permis des transpositions de certaines parties du texte, quand j’ai cru que la clarté et la marche du récit y gagneraient.

Je n’ai pas ajouté de notes ou d’éclaircissements à la narration, quoique l’ignorance des mœurs du moyen âge dans laquelle nous vivons toujours, les rendît peut-être souvent désirables. Il en aurait fallu trop. Bientôt du reste j’espère apporter ma part de remède à ce mal universel, en publiant un grand ouvrage ayant pour titre : Le moyen âge d’après les poëtes du temps.

Une seule note sera cependant nécessaire pour l’intelligence de plusieurs parties du poëme : elle se rapporte à l’armure du chevalier, dont différentes parties sont souvent nommées dans notre recueil.

L’homme de guerre portait une chemise ou tunique à manches, faite d’anneaux ou mailles de fer, dont les pans lui descendaient jusqu’à mi-jambe. Elle s’appelait le hauberc. Par le haut elle se terminait par un capuchon, également de mailles, qui couvrait la tête et s’appelait la coiffe. Elle pouvait se nouer sur la partie inférieure de la figure et couvrait alors le menton et la bouche. Cette partie du capuchon de mailles s’appelait la ventaille ; il va sans dire qu’on ne la laçait qu’au moment du combat. Enfin sur la coiffe on plaçait le casque ou heaume, retenu par de forts lacets. Ce heaume était petit et ne couvrait que le sommet de la tête. Généralement il se terminait en pointe par le haut. Le bord inférieur était entouré d’un cercle de métal (quelquefois précieux), enrichi de pierres précieuses et décoré de fleurons. Le casque laissait la figure à découvert, sauf une étroite lame d’acier qui descendait le long du front et du nez et allait rejoindre la ventaille. Cette défense s’appelait le nasal.

Les jambes du chevalier étaient également protégées par ce qu’on appelait les chausses de maille ou de fer.

Le bouclier, généralement de forme oblongue, et qu’on portait suspendu au cou par une courroie, complétait ses armes défensives.

Comme armes offensives il avait la longue épée (jamais je n’ai rencontré de poignard) et la lance ou l’épieu, généralement de bois de frêne, et terminée par une forte pointe d’acier, au-dessous de laquelle s’attachait, au moyen de cinq clous (d’or dans les poëmes), un pennon de soie.




  1. Voyez l’Examen critique des chansons de geste de Guillaume d’Orange dans le 2e volume de mon édition du poëme original, pag. 161.
  2. Dans l’Examen critique cité à la note précédente.
  3. Gilbert, un des principaux personnages, n’est pas ici Gilbert de Falaise, mais Gilbert le flamenc (vs. 1480), fils de Gui duc d’Ardenne et de Vermandois (vs. 184) ; les saints qu’on invoque sont : St. Omer, St. Moriso qu’en quiert en Aminois, St. Richier, St. Hilaire. Au vs. 824 il est question des „heaumes d’Aminois."
  4. „Wilhelmus Dux… transito Rhodano, ad urbem concitus Arausicam agmina disponit et castra (quam illi Hispani cum suo Theobaldo jampridem occupaverant) ipsam facile ac brevi caesis atque fugatis eripit invasoribus, licet postea et in ea et pro ea multos et longos ab hostibus labores pertulerit, semperque praevaluerit decertando. Erepta autem urbe, placet omnibus ut sibi eam detineat, faciatque primam suae proprietatis sedem : unde et civitas illa ad tanti ducis gloriam famosissima multumque celebris magnique nominis, per totum hodieque mundum commemoratur." Acta Sanctorum, Febr. II, p. 812.
  5. Examen critique etc., pag. 44 suiv.
  6. Poésies Populaires Latines, antérieures au XIIe siècle, pag. 1 — 2.
  7. Dans sa proclamation du 16 Mars 1815, le Roi Guillaume premier, après avoir déclaré que dorénavant il prenait le titre de Roi, crut devoir ajouter :

    „Mais quelque convenables que puissent paraître ces déterminations… Nous ne Nous croyons pas moins obligés de prendre soin que le nom que, dans toutes les vicissitudes de la fortune, Nous avons toujours porté avec honneur et sous lequel Nos ancêtres ont rendu tant de services à la cause de la liberté, ne vienne à s’éteindre et à disparaître. À ces causes nous voulons et ordonnons que désormais l’héritier présomptif du Royaume des Pays-Bas prenne, porte et conserve le nom et le titre de Prince d’Orange ; et Nous les accordons par ces présentes à Notre cher Fils aîné, avec une satisfaction d’autant plus vive que Nous sommes convaincus, qu’il en saura maintenir l’antique éclat par l’accomplissement scrupuleux de ses devoirs comme Notre premier sujet et comme le souverain futur de la nouvelle Monarchie, et par son courage et par un dévouement sans bornes, toutes les fois qu’il s’agira de veiller aux droits de sa Maison et la sûreté du territoire hospitalier et paisible des Pays-Bas.”