Gustave-Adolphe et Richelieu

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Gustave-Adolphe et Richelieu
Revue des Deux Mondes3e période, tome 45 (p. 543-569).
GUSTAVE-ADOLPHE
ET
RICHELIEU

I. Histoire de la guerre de trente ans, par M. Charvériat. — II. Lettres et papiers d’état de Richelieu, publiés par M. Avenel.

Gustave Wasa avait imposé le protestantisme à la Suède ; il s’était emparé des biens ecclésiastiques et avait établi son pouvoir absolu. L’un de ses fils, Charles, qui n’avait eu en héritage que le duché de Sudermanie, enleva la couronne à Sigismond, son neveu, devenu roi de Pologne, et justifia son usurpation en défendant la Suède contre la Pologne, la foi de Gustave Wasa contre l’ancienne foi catholique. On ne sait s’il faut employer le mot d’usurpation pour qualifier l’acte qui lui donna l’autorité royale car Sigismond, à peine nommé roi de Pologne, avait fait un traité avec les états de Suède, par lequel il s’obligeait à passer une année sur cinq au royaume de Suède. Les guerres incessantes que faisait Alors la Pologne contre le Turc, le Moscovite et le Tartare, l’empêchèrent pendant quinze ans de suite de tenir sa promesse : il voulut se faire remplacer par un sénat. Quand on apprit en Suède que ce sénat avait mis à la voile à Dantzig pour venir à Stockholm, les grands et les prélats du royaume offrirent l’autorité royale à Charles, oncle de Sigismond ; le vaisseau qui amenait le sénat fut reçu à coups de canon, et Charles, pour satisfaire au vœu de son peuple, dut faire profession de luthéranisme. Il se débarrassa de tous les nobles qui étaient restés fidèles à l’héritier légitime, mit les uns à mort, chassa les autres, et fit régner dans son royaume avec la dernière sévérité la maxime du XVIe siècle : Cujus princeps ejus religio. Malgré sa cruauté, il resta populaire, car il représentait la Suède, et lutta toute sa vie contre la Pologne, alors suzeraine de presque tous les rivages de la Baltique, depuis la Finlande jusqu’à l’Oder.

Il lui était né, le 9 décembre 1594, au château de Stockholm, un fils qui fut nommé Gustave-Adolphe. De bonne heure, il lui souffla l’ambition, l’amour de la gloire ; mal assuré lui-même et inquiet de son pouvoir royal, il chercha à lui donner les vertus avec lesquelles se fondent les dynasties. Il l’entoura de maîtres, lui fit apprendre presque toutes les langues d’Europe, l’admit, encore enfant, aux séances de son conseil. Il lui donna surtout un guide habile dans la personne d’Oxenstierna, issu d’une grande famille suédoise. Gustave-Adolphe se montra digne de l’amitié d’Oxenstierna et lui garda toute sa vie une confiance qui doubla ses propres forces. Les grands rois ont besoin de grands ministres, et, les ayant trouvés, savent les garder.

Gustave-Adolphe n’avait que seize ans quand il monta sur le trône. Oxenstierna avait vingt-sept ans. Leurs débuts ne furent pas très heureux. Entre les Suédois et les Danois, il y avait une perpétuelle rivalité ; les deux peuples se disputaient le commerce de la Baltique, plus important qu’aujourd’hui, car la mer était alors la principale voie de communication dans ces pays du Nord. Le roi de Danemark regardait comme une ennemie la maison de Wasa, qui avait enlevé la Suède à ses aïeux. Peu avant l’avènement de Gustave-Adolphe, le roi de Danemark avait, sous un prétexte futile, déclaré la guerre à la Suède et avait pris Calmar. Le jeune roi de Suède se trouva donc, aussitôt que monté sur le trône, avoir une guerre sur les bras ; les Danois battirent les Suédois et Gustave-Adolphe ne put racheter Calmar et Elfsborg qu’avec une rançon d’un million de thalers. Gustave-Adolphe se trouva mêlé ensuite aux luttes soulevées par les faux Démétrius ; il reconnut, en faisant la paix, Michel Romanof, et obtint ainsi un traité qui excluait la Russie de la Baltique. Il avait été heureux dans cette seconde guerre, et, la paix à peine signée, il travailla à accroître les forces de son pays ; il ouvrit des ports francs, développa l’industrie métallurgique, créa des fabriques d’armes, des banques, réforma la justice, réduisit le pouvoir des chambres, créa des conseils purement consultatifs, diminua les privilèges de la noblesse et du clergé. Il établit en fait son pouvoir à peu près absolu, tendit tous les ressorts de l’état, supprima toute tolérance religieuse ; il n’avait qu’un but, faire de la Suède un vaste camp retranché, y amasser des soldats, des trésors et se préparer à la guerre sans bien savoir encore qui serait son ennemi. Dans un pays de deux millions et demi d’habitans, il réussit à lever jusqu’à quarante mille hommes d’infanterie ; l’impôt de la mouture, l’accise, payèrent les troupes levées à l’étranger. Il vendit des biens de la couronne, répudia toutes les dettes de l’état contractées avant l’avènement de son père. Jamais on n’avait plus audacieusement, plus tranquillement dénoncé à l’Europe l’intention de se préparer à de grandes aventures militaires.

Que voulait Gustave-Adolphe ? Où allait-il porter ses coups ? Il bandait son arc comme un jeune Apollon, et son peuple obéissant était résigné d’avance à tous les sacrifices. Il faut croire que la passion religieuse animait pour des luttes suprêmes tous ces lents esprits du Nord, plus ouverts que les esprits du Midi aux rêves, aux chimères, aux folies ! Gustave-Adolphe était le nouveau David, l’homme du destin ; il le croyait, ses peuples le croyaient comme lui ; ils se laissaient conduire les yeux fermés. La destinée les poussait comme une vague contre la Pologne catholique, contre l’Europe corrompue ; la guerre était pour eux à la fois un roman, un exode, une mission.

On ne comprend pas bien le rôle de Gustave-Adolphe si l’on ne se représente ce qu’était alors la Pologne, quelle place extraordinaire elle tenait dans le Nord entre tant de pays demi-barbares. Elle était pour les Scandinaves et les Slaves une sorte de Rome, de grande prostituée, de Babylone, un point lumineux et chaud autour duquel venaient tourbillonner les lourds insectes sortis du froid et de la nuit. La Pologne était alors la puissance chrétienne du Nord la plus redoutable. Elle leva sous le règne de Sigismond une armée de plus de trois cent mille hommes. Elle pouvait, avec ses cosaques, porter l’effroi jusqu’aux portes de Constantinople. Elle avait.des prétentions sur presque toutes les provinces septentrionales de l’Europe.

Gustave-Adolphe recommença la guerre avec la Pologne en 1620, aussitôt après la rupture de l’armistice de deux ans qu’il avait conclu en 1618. Il alla mettre avec seize mille hommes le siège devant Riga, ville luthérienne, mais qui ne voulait pas se séparer du royaume polonais ; la ville se rendit, et aussitôt après il entra en Courlande et prit Mittau. La guerre continua deux ans, avec des fortunes diverses. Gustave-Adolphe avait un pied en Europe ; les princes luthériens d’Allemagne lui.offraient d’entrer dans leur union. Il convoitait les villes hanséatiques ; son horizon s’agrandissait ; mais il n’avait pas encore donné un corps à ses projets. Il rencontrait dans le nord de l’Allemagne une maison encore assez obscure, la maison de Brandebourg, dans laquelle il devinait un émule et une rivale ; il y rencontrait aussi le Danemark, l’ennemi héréditaire de la Suède. Il redoutait surtout la Pologne et Sigismond, qui songeait toujours à lui arracher sa couronne.

Comment se laissa-t-il entraîner par degrés à prendre pour objectif non plus le Danemark ou la Pologne, mais l’empire lui-même ? Comment osa-t-il, au lieu de devenir simplement l’allié des princes luthériens, se poser en champion, en chef armé de la foi protestante, et se montrer à l’Europe comme l’arbitre armé de ses destinées ? Comment se risqua-t-il à sortir de ces provinces du Nord, qu’il pouvait revendiquer comme l’héritage légitime de la Scandinavie, et à se mêler aux grandes luttes du continent ? Je pense que l’on ne peut attribuer cette conduite à de profonds calculs. Gustave-Adolphe avait cette sorte d’imagination froide qui fait souvent abandonner la proie pour l’ombre ; il aimait la guerre avec passion, et il lui fallait des adversaires assez grands pour que la défaite lui fût presque aussi glorieuse que la victoire. Il se croyait un instrument de la Providence destiné à rompre l’ancien équilibre européen ; or l’empire était la pierre angulaire de cet édifice, et il ne pouvait pas songer à l’ébranler s’il usait ses forces sur le Danemark, sur la Russie ou même sur la Pologne. Il semble que l’ambition encore un peu vague de Gustave-Adolphe commença à se donner des linéamens plus précis quand l’empire échut à Ferdinand II. C’est en 1617 que Ferdinand avait été couronné roi de Bohême. Élève des jésuites d’Ingolstadt, le jeune archiduc apparut au monde catholique comme un nouveau saint Michel marqué pour étouffer en Europe la rébellion protestante. Le 20 mars 1619, Ferdinand fut élu empereur à Francfort ; il eut les voix non-seulement de la Saxe et des trois électeurs ecclésiastiques, mais encore celles du Brandebourg et de l’électeur palatin. En Angleterre, en Hollande, en France, en Allemagne, les protestans purent se croire perdus. Une grande réaction catholique se préparait partout. Si, en Angleterre et en Hollande, la cause de la réforme paraissait triomphante, en France elle était déjà moralement vaincue, et en Allemagne les forces semblaient à peu près balancées ; mais le poids de l’autorité impériale menaçait de faire pencher la balance en faveur de Rome et de l’Espagne.

La réputation de Gustave-Adolphe commençait pourtant à remplir l’Europe ; les princes luthériens, l’électeur de Brandebourg, dont il avait épousé la fille, la Hollande, la France enfin, semblaient l’inviter à intervenir en Europe, mais il redoutait quelques-uns de ceux qui lui offraient leur alliance, notamment le Danemark, autant que des ennemis. Richelieu voulait se servir de lui plutôt que le servir, fit il n’est pas douteux qu’il hésita longtemps avant de s’engager avec un prince qui avait pris la foi protestante sous sa protection. Il avait reconnu dans le roi de Suède un instrument qui pouvait servir contre la maison d’Autriche ; il l’engagea à faire sa paix avec la Pologne et contribua puissamment à faire aboutir les négociations qui mirent fin à la lutte entre Gustave-Adolphe et Sigismond.

Il importe de bien faire ressortir quelle fut exactement la nature des rapports entre le cardinal et le roi de Suède. Hercule-Gérard de Charnacé, d’une famille parlementaire bretonne, avait été très jeune un des gentilshommes de la maison de Richelieu ; il avait épousé une demoiselle de la maison de Brézé, alliée à celle du cardinal. Ayant perdu sa femme, il chercha une distraction dans les voyages, visita Constantinople et une partie de la Russie. Il vit Gustave-Adolphe dans son camp, et à son retour par la à Richelieu avec admiration du roi de Suède et de son armée. Richelieu envoya Charnacé vers Gustave-Adolphe en 1628 et une seconde fois en 1629. Charnacé se tira fort bien de sa négociation ; il travailla à amener le roi de Suède à faire sa paix avec la Pologne et à entrer en lutte contre la maison d’Autriche. Le 26 septembre 1629, un armistice de six ans fut conclu entre Sigismond et Gustave-Adolphe. Aux termes de cet armistice, les Suédois gardaient la Livonie et conservaient les deux tiers des droits de douane prélevés dans la ville de Dantzig, déclarée neutre.

Gustave-Adolphe avait désormais les mains libres : il voulait faire la guerre à l’empire, entraîner avec lui le Danemark, les villes de la Hanse, les villes impériales, plusieurs princes d’Allemagne. Charnacé avait déjà beaucoup travaillé à échauffer son imagination ; il lui avait dit que tous les cœurs voleraient à sa rencontre, s’il entrait en Allemagne, que les Allemands attendaient un libérateur comme les Juifs attendaient le Messie, que les bandes de Wallenstein et de Tilly avaient rendu odieux jusqu’au nom de l’empire, que tout était possible à qui oserait se jeter en Allemagne. Gustave-Adolphe ne se dissimulait point les périls de l’entreprise ; il ne faisait point fi des armées de Tilly et de Wallenstein, il ne comptait guère sur les princes allemands, il craignait la ligue des princes catholiques, il savait que la Suède était contraire à son entreprise jusque-là qu’il ne pouvait plus réunir la diète, tant il craignait de trouver de l’opposition chez ses sujets, d’ordinaire si obéissans. Wallenstein et Tilly avaient 160,000 hommes ; il n’avait lui-même que 35,000 hommes, et il était contraint d’en laisser 9,000 à Stralsund et 10,000 en Prusse. Il dissimulait le chiffre exact de ses troupes dans ses négociations avec la France. Dès son arrivée au pouvoir, Richelieu avait cherché des alliances contre la maison d’Autriche ; l’état misérable où l’Allemagne était réduite occupait son esprit : les premières négociations de Charnacé émurent assez l’empereur pour que Richelieu se crût obligé de le rassurer. M. de Sabran, envoyé par Louis XIII à Vienne, fut chargé de dire aux ministres de l’empereur que M. de Charnacé n’était allé en Allemagne que « pour faire entendre à quelques princes d’Allemagne alliés de cette couronne les justes et sincères intentions du roy en son voyage d’Italie. » (Écrit au camp devant Alais, 15 juin 1629). Ce fut peu de temps après que Richelieu commença sérieusement à susciter le roi de Suède contre l’empire. Il avait essayé du roi de Danemark, et l’avait un peu soutenu dans sa lutte en faveur du prince palatin contre l’empereur et contre l’Espagne ; mais il trouva ce « pauvre prince si lâche de cœur, que, se contentant de ravoir le sien et de ne rien payer de ce qui lui était demandé pour les frais de la guerre, il reçut ces conditions-là, abandonnant tous ses alliés. » (Mémoires de Richelieu.) Pendant la guerre d’Italie, Richelieu ne perd pas de vue le roi de Suède ; il écrit à Toiras : « Le roy de Suède a quarante-cinq mille hommes de pied et dix mille chevaux, et va entrer en Allemagne » (20 mai 1630.) C’est dans les lettres au père Joseph que se révèlent les desseins de Richelieu ; il veut bien soutenir Gustave-Adolphe, mais il ne désire point nuire aux intérêts catholiques ; voici le langage qu’il veut que ses agens tiennent aux électeurs :

« Qu’il est vray qu’il ne peut supporter l’usurpation de l’Espagne ; mais qu’il n’a aucune jalousie contre la juste grandeur de l’empire. Sa majesté estime que le vray bien de l’Allemagne est qu’elle soit possédée et gouvernée par les Allemands, et que les Espagnols n’y ayent point le pied. En un mot, elle est dans les mêmes sentimens que la Bavière et la ligue catholique…. Vous laisserez espérance au duc de Bavière que s’il se fait une bonne paix entre l’empereur et la France, sur le sujet d’Italie, le roi s’emploiera volontiers par ses offices envers le roy de Suède, pour le porter à se contenter de la raison : mais il se faut bien donner garde d’en rien mettre dans le traité. Vous leur ferez aussi entendre le zeîle que le roy a à la religion et qu’il n’a alliance avec les Hollandois que pour s’opposer aux injustes desseins des Espagnols qui sont préjudiciables à eux et à toute la chrétienté. » (Août 1630.)

On voit ici la vraie pensée de Richelieu, sa pensée de derrière la tête. Gustave-Adolphe ne doit être pour lui qu’un instrument ; mais il compte bien l’empêcher de rien faire contre l’église ou contre les princes catholiques. Il espère le jeter sur les états héréditaires de l’Autriche ; il va jusqu’à lui montrer au loin, par-delà la Silésie, la Bohème, la Moravie conquises, un nouvel empiré d’Orient. Il compte que le Suédois passera comme un météore à travers l’Allemagne, et il lui offre une solde annuelle de trois tonneaux d’or 300,000 florins d’or) qu’il espère ne pas avoir longtemps à payer. Mais Gustave-Adolphe, si amoureux qu’il fût de la gloire et si pressé qu’il fût d’argent, ne voulut point se mettre aux ordres de Richelieu. Il ne traita avec personne avant de mettre le pied sur le sol allemand, ni avec Charnacé, ni avec les Hollandais, ni avec les princes allemands. Il comptait sur la victoire pour obtenir de tout le monde des articles avantageux.

C’est le 29 mai 1630 qu’il prit congé des membres de la diète qu’il avait convoqués et leur fit jurer serment de fidélité à sa fille Christine, âgée seulement de trois ans et demi. « Que personne, leur dit-il, ne croie que je me précipite dans cette nouvelle guerre avec légèreté et sans de bonnes raisons. Je prends à témoin le Dieu tout-puissant, en présence de qui je parle, que je ne combats pas pour mon plaisir. On m’y a contraint ; l’empereur m’a offensé de la manière la plus grave dans la personne de mon ambassadeur ; il aide mes ennemis, il persécute mes coreligionnaires, les protestans d’Allemagne, qui gémissent sous le joug du pape et qui nous tendent leurs mains suppliantes. S’il plaît à Dieu, le secours leur arrivera. Je n’ignore pas les dangers qui menacent ma vie. La divine Providence m’a préservé jusqu’à présent, mais je dois finir par mourir pour la défense de la patrie. » Continuant sur le même ton, il fait ses adieux à sa noblesse, à l’église, à tous ses sujets et finit par une prière tirée du psaume XCII : « Revenez vers nous, Seigneur, etc. » Il ordonna trois jours de jeûnes et de prières dans tous ses états. Ne partait-il pas pour une guerre sainte ? les intérêts de son ambition et les intérêts de son peuple n’ôtaient-ils pas confondus entièrement dans son esprit ? Son peuple ne devait-il pas le regarder comme un nouveau Macchabée ?

Des vents contraires retinrent la flotte jusqu’au 27 juin ; le 4 juillet 1630, elle parut devant Peenemünde, à peu de distance de Stralsund. Le débarquement se fit à l’embouchure de la Peene. Le roi se mit à genoux en touchant le sol allemand, fit une prière, et prit une bêche pour montrer à ses soldats qu’il était prêt à partager leurs travaux comme leurs dangers. Dans la soirée, toute l’armée était retranchée, mais les impériaux ne se montrèrent point. Gustave-Adolphe fit répandre un manifeste sous ce titre : Raisons pour lesquelles le roi de Suède Gustave-Adolphe a été enfin obligé de débarquer avec une armée sur le sol allemand. Il y donnait toute sorte de raisons assez frivoles, évitant de toucher aux choses religieuses, parce qu’à ce moment il avait besoin de la France et négociait avec Richelieu. Vis-à-vis des princes allemands, sa politique était des plus simples ; il ne voulait pas entendre parler de neutralité, il fallait être pour ou contre lui. Qui osait braver l’empire ne pouvait ménager les petits princes ; comme général, il avait besoin de la liberté de ses mouvemens, il devait assurer ses lignes de communication ; il ne pouvait laisser derrière lui des neutres indécis ou hostiles ; ce roi pirate avait des mots d’une expressive éloquence ; en refusant de se dessaisir d’une province, il disait : « Mes mains ont des yeux, elles croient ce qu’elles voient. » Il connaissait bien le caractère des électeurs ; après s’être assuré, sans coup férir, des bouches de l’Oder, il se porte devant Stettin, la capitale de la Poméranie : le duc Bogislas arrive à son camp, porté dans une litière. Le roi lui dit qu’il connaissait la faiblesse de la place et montrant quelques femmes aux fenêtres du palais ducal : « Tous ces beaux défenseurs ne tiendraient pas trois minutes devant une compagnie de mes fantassins de Dalécarlie. » Bogislas offrit sa neutralité. Gustave lui répondit avec colère qu’il fallait être pour ou contre lui. « J’ai sauvé, dit-il, la ville de Stralsund par la grâce de Dieu ; j’offre d’affranchir vos états des voleurs et des brigands, et quand ce sera fait, je vous les rendrai, » et comme le duc Bogislas, déjà âgé de cinquante ans, n’avait point d’enfant, il ajouta : « Je vous prie de faire mieux à l’avenir dans votre mariage ; autrement je vous supplierai de m’adopter pour votre fils et héritier. » Le duc Bogislas se résigna, Stettin fut occupé., le roi de Suède refusa de loger au château et resta dans la cabine d’un bateau sur l’Oder. « Un manteau doublé de fourrures pour les généraux, disait-il, de la paille pour les soldats, sont de fort bons lits pour les sujets d’un roi qui dort dans un hamac. »

Le roi fit aussitôt travailler toute son armée à remettre en bon état les fortifications de la ville, et fit signer au duc un traité d’alliance perpétuelle, dans lequel il se substituait en quelque sorte à tous les droits de l’empereur. Non-seulement ce traité lui livrait la Poméranie dans le présent, il préparait dans l’avenir la suzeraineté du roi de Suède sur cette province. L’infortuné duc n’en écrivit pas moins à l’empereur une lettre pour excuser sa conduite et pour protester de sa fidélité. Il le priait de rappeler ses troupes, qui commettaient toute sorte d’excès : les impériaux brûlaient tout, massacraient les paysans ; le feld-maréchal Torquato Conti, qui commandait les troupes de l’empereur dans le Nord, sur les bords de la Baltique, dans les provinces voisines de la Poméranie, dans le Mecklembourg, dans la Silésie et dans la marche de Brandebourg, donna ordre de mettre à mort tout Poméranien qui prendrait du service avec les Suédois. Conti avait disséminé ses troupes dans des garnisons ; il ne sut pas empêcher Gustave-Adolphe de renforcer ses armées par de nombreuses recrues. Gustave-Adolphe essaya pourtant en vain d’emporter le camp de Garz, qui lui barrait l’Oder en aval : il se jeta sur le Mecklembourg, espérant prendre Magdebourg et transporter la guerre de l’Oder sur l’Elbe. Il était pressé de divers côtés ; les princes mécontens ou dépossédés cherchaient dans le roi conquérant un allié de leurs ambitions et de leurs convoitises ; les deux ducs de Mecklembourg, le margrave de Brandebourg, élu administrateur de Magdebourg et chassé de cette ville, le duc de Lauenbourg, sollicitèrent Gustave-Adolphe. L’hiver était venu, l’armée de Conti manquait de tout, les Suédois étaient habitués au froid. Conti se démit de son commandement en faveur de Schaumbourg, et Gustave-Adolphe alla chercher ce dernier dans ses quartiers d’hiver. Il enleva d’assaut Greifenhagen le 4 janvier, et le 6 janvier, Schaumbourg, sans attendre son attaque, évacua ses troupes sur Garz et mena ses bandes en désordre vers le Midi. Gustave-Adolphe occupait donc toute la Poméranie : il était maître de l’Oder, on l’appelait dans le Mecklembourg. Il désirait vivement l’alliance du chef des luthériens allemands, de l’électeur de Saxe ; mais celui-ci se faisait prier, comme faisait aussi le beau-frère du roi de Suède, l’électeur de Brandebourg. Les seuls mots d’empire et d’empereur intimidaient encore les princes : l’électeur de Brandebourg offrit sa neutralité, et même sa médiation. Gustave-Adolphe dit qu’il avait passé le Rubicon ; aux plaintes de son beau-frère sur le traité de Stettin, qui le dépouillait de ses droits sur la Poméranie, il répondit en s’offrant à justifier sa conduite par un passage du livre de Ruth. Les comtes d’Oldenbourg et de la Frise orientale vinrent au camp suédois implorer la neutralité sans pouvoir rien obtenir ; le duc de Lauenbourg négocia ; le landgrave Guillaume de Hesse-Cassel, le premier des membres laïques du collège des princes de l’empire, criblé de dettes et à demi dépossédé de ses états, que les armées impériales occupaient, n’hésita pas longtemps : il conclut avec le roi de Suède une alliance offensive et défensive. Le landgrave promettait d’amener avec lui tous les princes protestans, toutes les villes protestantes. Toutes ces promesses laissaient le roi de Suède assez isolé, les appuis qu’on lui offrait étaient on ne peut plus précaires ; il n’avait guère ouvertement avec lui que des princes sans états. Les autres, ou servaient, ou redoutaient l’empire, ou se flattaient de pouvoir former un groupe de neutres capable de se faire respecter. Toute l’Allemagne avait l’œil sur ce gros nuage prêt à crever dans le Nord ; le roi de Suède, dans son quartier-général de Berwelde, petite ville située près de Custrin, n’était pas sans inquiétude. Il n’avait point d’hésitation, point de vains tremblemens devant la grandeur du saint-empire ; il avait foi en lui-même, il avait confiance dans son armée, bien disciplinée, dans ses petits canons soigneusement enfermés dans des étuis de cuir, dans la nouvelle tactique qu’il avait inventée, et qui était pour ainsi dire le prélude de l’ordre dispersé opposé aux épais bataillons. Mais si robuste que fût sa confiance, il ne se trouvait pas assez fort pour mettre seul l’ordre dans le chaos de l’Allemagne. Il lui fallait une grande alliance : Richelieu lui offrit celle de la France.

Dès le mois de septembre 1630, Richelieu travaillait en même temps à un traité secret avec la Bavière et à un traité avec la Suède. Charnacé lui écrivait qu’il croyait trouver de la difficulté au traité avec la Suède pour deux raisons principales : « l’une, que le roy de France est nommé le premier au premier article ou il est dit : Sit fœdus inter dictos serenissimos Francorum et Suevorum reges. » « Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus ; mais si cet article arrestoit, écrivait Richelieu au père Joseph, on pourroit dire simplement : Sit fœdus inter dictos serenissimos reges, sans les nommer, parce qu’ils sont désignés au préambule. L’autre difficulté est qu’il dit (Charnacé) que le roi de Suède n’entend pas qu’on rabate sur le million que contribuera Venise… Nous passerons par-dessus cette difficulté. » Gustave-Adolphe avait surtout besoin d’argent, et Richelieu tenait à « soigneusement conserver l’union et l’intelligence avec le roy de Suède. » Au mois d’octobre, des négociations ouvertes à Ratisbonne avaient abouti à un projet de traité de paix, que Richelieu n’approuva point. Ce traité était l’abandon trop complet de tous les alliés de la France. « On estime, écrivait Richelieu de Roanne, qu’on ne peut ratifier le traité sans perdre l’honneur, nos alliez et toute créance avec eux. » Richelieu écrivit à Charnacé qu’il ne ferait point la « lâcheté » de signer un traité qui était l’abandonnement de M. de Mantoue, du roi de Suède, des Vénitiens, des Hollandais. Peu de jours après, l’armée française arrivait devant Casai, et l’on sait comment Mazarin parvint à suspendre la bataille qui allait s’engager et obtint la sortie des Espagnols de Casai et de Montferrat.

Dans les derniers jours de l’année 1630, Richelieu mandait à Charnacé qu’il attendait « ce qu’il aura faict avec Suède, où son jugement seul, estant éloigné comme l’on est, le doit conduire. » Charnacé s’embarqua à Lubeck et se rendit auprès du roi « sans s’inquiéter, écrivait-il, à toutes ces violences et mauvaises humeurs. » Le traité fut signé à Berwelde, le 23 janvier 1631. Les deux rois s’engageaient à protéger leurs alliés communs, à rétablir les droits des états opprimés, à assurer la sécurité de la Baltique et de la mer ; le roi de Suède devait conduire en Allemagne et y entretenir une armée de 30,000 fantassins et de 6,000 chevaux ; le roi de France lui donnait un subside annuel de 400,000 écus, payable à Paris ou à Amsterdam ; le traité spécifiait que, dans les places que le roi de Suède pourrait conquérir en Allemagne, il ne pourrait changer l’état de la religion catholique romaine ou autre. L’alliance était conclue pour cinq ans. Gustave-Adolphe fit immédiatement imprimer et répandre le traité, bien que Charnacé voulût le tenir quelque temps secret.

La campagne de 1631 justifia les espérances que Richelieu avait fondées sur le roi de Suède : celui-ci imposa son alliance à l’électeur de Brandebourg et à l’électeur de Saxe et se trouva le maître de toute l’Allemagne. Tilly avait en vain jeté l’épouvante dans tous les états protestans par le traitement qu’il avait infligé à la ville de Magdebourg. Le sac et l’incendie de Magdebourg avaient été punis par la bataille de Leipzig. La grande victoire de Gustave-Adolphe sur les plus vaillans capitaines de l’empire, sur Pappenheim et sur Tilly, portèrent au comble la gloire du roi de Suède. Dans le Soldat suédois, Spanheim fait dire au roi avant la bataille « qu’il allait frotter joyeusement une couronne royale et deux bonnets électoraux contre la carcasse d’un vil caporal. » Il avait dit à ses officiers avant le combat : « Vous avez déjà souvent dit en plaisantant que vous gagneriez bien vite le ciel sous mon commandement, mais jamais la richesse. J’avoue que cela est vrai jusqu’à présent. Nous avons traversé des pays déserts, dévastés, et d’ailleurs amis, où nous ne pouvions pas songer à nous enrichir. Mais dorénavant vous pourrez conquérir les biens temporels en même temps que les biens spirituels ; car, après la victoire, outre le butin que vous trouverez dans le camp de l’ennemi, vous arriverez sans peine dans ces états des prêtres, où je veux vous récompenser généreusement de vos peines et de vos travaux. »

Gustave-Adolphe, montrant à ses soldats les électorats ecclésiastiques, ne rappelle-t-il pas le général Bonaparte menant son armée déguenillée en Italie ? La bataille de Leipzig fît pousser des cris de joie aux protestans dans toute l’Europe. « Si Gustave-Adolphe, dit M. Charvériat, n’avait eu d’autre but que de sauver le protestantisme en Allemagne, il aurait dû marcher sur Vienne après sa victoire de Leipzig. Pour l’arrêter, en effet, l’empereur aurait certainement rapporté l’édit de restitution qu’il avait déjà renoncé à exécuter contre la Saxe. Mais cette tâche une fois accomplie, le roi aurait été obligé de retourner en Suède sans aucun profit que la gloire, car on n’aurait plus eu besoin de lui en Allemagne ; sa présence y serait devenue à charge, et, s’il avait voulu garder quelques provinces, les protestans, après avoir obtenu par lui ce qu’ils désiraient, se seraient réunis aux catholiques pour le chasser. » Il n’était pas très facile à Gustave-Adolphe, même après la bataille de Leipzig, de marcher sur Vienne ; il n’avait pas gagné tout seul cette bataille ; sans les Saxons, il n’aurait pas pu vaincre Tilly : aussi dut-il pour ainsi dire partager l’échiquier militaire de l’Allemagne avec l’électeur de Saxe ; lui laissant la Bohême, il dut se jeter sur les parties occidentales de l’empire. L’occupation des électorats ecclésiastiques du Mein et du Rhin lui permettait de donner de bons quartiers à son armée et de se saisir de gages importans, à l’aide desquels il se promettait d’obtenir une paix avantageuse de l’empire. Mais en se portant du côté de ces provinces, le roi de Suède risquait de ne plus donner contentement à la France, son alliée. Richelieu suivait avec un extrême intérêt les affaires d’Allemagne. Il avait donné, le 27 octobre 4631, à Charnacé, un pouvoir « pour traiter avec le roi de Suède et autres princes protestans, en conséquence de la neutralité, » et un autre pouvoir le lendemain « pour traiter avec les princes de la ligue catholique. » Le détail des affaires d’Allemagne était particulièrement confié au père Joseph.

Après la bataille de Leipzig, Gustave-Adolphe était entré à Erfurt, ville qui dépendait de l’électorat de Mayence. Il y mit pour lieutenant Guillaume de Weimar et marcha ensuite sur Wurtzbourg, en passant par la forêt de Thuringe. Le prince-évêque s’était enfui, et le roi de Suède entra sans grande difficulté dans la ville et dans le château. Les nombreux couvens de la Franconie et leurs trésors furent distribués aux officiers suédois ; les soldats eurent leur part, ils vendaient des vaches pour un thaler, des moutons pour quelques sous. Le pays, regorgeant de richesses, fut en quelques semaines pillé de fond en comble.

Le roi de Suède, marchant ensuite sur le Rhin, prit toutes les villes qu’il rencontra et arriva devant Francfort-sur-le-Mein. Aux envoyés de la ville qui vinrent parlementer avec lui il répondit impérieusement que, depuis l’île de Rugen jusqu’au Mein, il avait trouvé les clés de toutes les forteresses. « C’est moi qui suis maintenant pour vous l’électeur de Mayence. Je vous donnerai une absolution aussi valable que la sienne. Je voudrais pouvoir vous épargner, mais l’Allemagne est un malade qui ne peut être guéri que par de violens remèdes. Je le vois bien, vous voudriez me tendre seulement le petit doigt, mais il me faut toute la main. » Il fallut donner toute la main ; le roi entra dans Francfort et se prépara à tomber sur Mayence : les alliances venaient maintenant en foule, tout le monde traitait avec le jeune roi, George de Hesse-Darmstadt, la ville impériale et libre de Nuremberg. Tilly voulut punir Nuremberg, mais il dut lever le siège de cette ville. « Je vois bien, s’écria-t-il, que le bonheur ne veut plus de moi. » Le 18 décembre, par un froid très vif, Gustave-Adolphe passa le Rhin, et il fit de suite capituler Mayence. Mannheim fut enlevé par le duc Bernard de Saxe-Weimar ; Spire, Worms, se donnèrent au roi. Pendant ce temps, les Saxons faisaient campagne en Bohême et, dès le 11 novembre, ils étaient entrés dans Prague. Le roi de Suède et ses alliés étaient les maîtres de plus de la moitié de l’Allemagne.

Gustave-Adolphe était devenu, après une seule campagne, l’arbitre de l’Europe. Il tint sa cour à Francfort ou à Mayence pendant l’hiver de 1631 à 1632. Le ; roi de France lui avait envoyé le marquis de Brézé ; Richelieu écrivait à l’électeur de Mayence, à propos de cette ambassade : « Monsieur, le désir que le roy a de procurer le soulagement de messieurs les électeurs catholiques fait qu’il ne s’est pas contenté d’envoyer depuis huit jours un gentilhomme au roy de Suède, mais qu’il y envoie de nouveau le marquis de Brézé, mon beau-frère… » M. de Brézé était chargé de défendre les intérêts des électeurs catholiques.

Richelieu commençait aussi à s’inquiéter pour la Bavière. Par un traité qui devait demeurer secret, spécialement à l’égard de la Suède et de l’Autriche[1], le cardinal avait garanti à Maximilien de Bavière ses états héréditaires et lui promettait des secours dans le cas où il serait attaqué. Au mois de novembre 1631, il avait envoyé Charnacé à Munich, pour le presser de faire avec le roi de Suède, déjà victorieux, un traité de neutralité pour lui-même et pour la ligne. Il voulait ainsi détourner les coups des Suédois des parties catholiques, de l’Allemagne. Il s’offrait à faire respecter ce traité de neutralité au besoin par les armes de la France.

Maximilien hésita : l’idée de traiter avec l’envahisseur protestant lui semblait une trahison envers l’empereur et envers l’église catholique. Pourtant, s’il ne traitait pas, il succomberait comme tous les autres électeurs ; la ligue catholique était un faisceau sans force. Les évêques de Wurzbourg, de Worms, d’Osnabruck, les électeurs de Cologne, de Mayence, tous furent d’avis qu’il fallait tenter de conjurer les colères du Suédois. Le roi de France fit sonder Gustave-Adolphe : on savait qu’il n’avait encore accordé la neutralité à personne. M. de l’Isle était à Mayence le 1er janvier 1632, et il entretint le roi de Suède du désir qu’avait Louis XIII d’épargner les électeurs et princes catholiques d’Allemagne. Charnacé arriva quelques jours après pour obtenir la signature de Gustave-Adolphe, mais celui-ci exigeait que la ligue catholique licenciât toutes ses troupes. Enfin arriva le marquis de Brézé, dont nous avons parlé plus haut. Celui-ci était chargé particulièrement d’inviter le roi de Suède à ne point tourner ses armes sur l’Alsace, parce que la couronne de France se réservait de reprendre cette province. On a quelque peine à le croire, mais le Suédois se montra en cette circonstance fidèle à cet empire, qu’il outrageait pourtant sans relâche depuis plus d’un an. Il osa répondre à l’ambassadeur du roi de France qu’il était entré en Allemagne comme protecteur de l’empire et qu’il n’en laisserait détacher aucune province. Il ne modifia même pas ce langage, quand M. de Brézé lui offrit un concours plus actif de la France et lui proposa de faire avancer en Allemagne l’armée française réunie en Lorraine.

Cette négociation nous montre à nu le cœur du Suédois, de race germanique, subissant encore le prestige de l’empire alors même qu’il en prenait les villes, aimant mieux se servir de l’or français que d’une armée française, un peu trop attaché à la cause protestante pour entrer complaisamment dans les vues ambitieuses, d’un prince de l’église. Vis-à-vis de la ligue, il se montra intraitable ; il lui fit acheter la neutralité par les plus dures conditions. Quand l’ambassadeur anglais lui par la de rétablir le palatin, le gendre de Jacques Ier, le prince dont les malheurs avaient ému peu d’années auparavant tout le monde protestant, le roi de Suède lui demanda un traité d’alliance formel contre l’Espagne et une armée de 12,000 Anglais. L’ambassadeur n’avait pas de pouvoirs suffisans. « Alors, lui dit le roi de Suède, vous venez trop tard. Ne parlez plus de rétablir le roi de Bohême. Dans mon traité avec la France, j’ai reconnu la neutralité du duc de Bavière, et je ne puis lui enlever ni la dignité électorale palatine ni le haut palatinat. » Le pauvre palatin n’en continua pas moins à suivre comme une ombre le roi de Suède pendant la campagne de 1632. Richelieu, à propos de ce même palatin, écrivait dans les instructions données à M. de Brézé : « Il faut porter le roi de Suède, autant qu’on pourra, à aller promptement attaquer la maison d’Autriche en Bohême, Autriche et autres pays héréditaires. Mais il est nécessaire aussy que le Palatinat en-deçà du Rhin soit nettoyé des Espagnols. Or d’autant que la légèreté et la faiblesse du palatin doit faire appréhender que, s’il l’avoit dès cette heure entre les mains, il ne le gardast pas, ou en usast mal, il semble qu’il suffît que le roy de Suède en promette la restitution par l’accord général qui se fera en la diette et cependant le garde. »

La prétention de Richelieu était de donner au roi très chrétien le rôle de pacificateur en Allemagne ; il aurait désiré que le roi de Suède restituât à la ligue catholique tout ce qu’il lui avait pris ou plutôt qu’il le déposât entre les mains du roi de France, jusqu’à la réunion d’une diète générale. Le roi de Suède exigeait que le roi de France fût caution de la neutralité des électeurs, et Richelieu négociait pour mettre des garnisons françaises dans quelques places. Il demandait au roi de Suède de lui donner Mayence. « L’électeur de Trêves offre Philipsbourg. On aimerait mieux Coblentz, mais il n’est pas à espérer. M. de Bavière consentiroit à donner Manen (Mannheim), mais comme cela est au delà du Rhin, le roy fait difficulté de recevoir et Philipsbourg et Manen pour ceste raison, parce qu’il n’a rien qui les puisse secourir. Il se pourroit trouver un tempérament, qui est que le roy maintenant ne prist aucune place, mais qu’il feust seulement arresté qu’au cas que le roy eust besoing de deffendre les électeurs ils luy mettroient préalablement ces places entre les mains, le roy n’en voulant point à présent. Si cependant dès ceste heure, ils vouloient donner Dinan (Dinant dans la province de Namur) ou Coblenz pour arres des autres places qu’il faudroit qu’ils consignassent, en cas qu’ils eussent besoin des secours du roy, Sa Majesté la recevroit pour s’engager davantage avec eux. »

Richelieu ajoutait que « les ambassadeurs du roy se souviendroient de traitter le fait des places si délicatement qu’il paraisse que le roy n’en face aucune recherche et portent les électeurs à les offrir d’eux-mesmes. » Il se méfiait beaucoup du roi de Suède, car dans un mémoire du 6 février 1632, que M. de Charnacé porta à M. de Brézé, il dit qu’il « faut bien prendre garde à esviter, dans l’acte de la neutralité, tous les termes captieux sur lesquels le roy de Suède pourroit à l’advenir prendre prétexte de rupture. »

« Je n’espère pas, écrivait M. de Brézé, le 14 février, de Francfort, à M. de Bouthillier, qu’on puisse conduire à bonne fin l’affaire de la neutralité… Le roy de Suède porte fort impatiemment qu’on luy parle de ce qui regarde la religion… Dans un entretien de trois heures, il m’a parlé des affaires d’Italie, des particularités de la vie du roy… On est venu l’avertir que sa viande étoit servie. Il me commanda de souper avec luy et la reyne et quelque six ou sept autres princesses et trois ou quatre autres princes, non comme ambassadeur, « car nous ne vous sçaurions pas assez bien traiter comme tel, mais bien comme marquis de Brézé, qui est de mes bons amis. » La conversation fut portée sur la religion catholique, et le marquis de Brézé prenant parti pour sa foi, le roy luy dit : « Ne croyez pas pour ce que je vous ay dit que je sois ennemi de votre pape, » et, redoublant son rire, continua : « Car sans moy il ne seroit que le chapelain des Espagnols… » Et puis on joua jusqu’à une heure à des jeux qui sont connus en France : — vostre place me plaist, au gage touché… » (Arch. des affaires étrangères.)

M. Melchior de l’Isle, qui était revêtu de la qualité d’ambassadeur de Louis XIII en Allemagne, résidait habituellement à Strasbourg. Il y était venu une première fois en 1631, pendant les négociations du traité d’alliance entre la Suède et la France. On a de lui plusieurs dépêches dans lesquelles il fait connaître aux « magnifiques, nobles et honorez seigneurs » de Strasbourg les sentimens de sa cour sur les affaires d’Allemagne. Après la bataille de Leipzig, Strasbourg, comme beaucoup d’autres villes, s’était mise sous la protection du roi de Suède. Gustave-Adolphe avait envoyé dans cette ville Althauser avec trois cornettes et six cents mousquetaires ; celui-ci reçut de bonnes promesses des Strasbourgeois. Pourtant, au mois de mars 1631, M. de l’Isle n’hésitait pas à mettre Strasbourg en garde contre les effets que pouvait amener en Allemagne la politique suédoise poussée à outrance. Il était lui-même de religion protestante ; sa parole avait d’autant plus de poids quand il écrivait : « Il est bien vray que la ligue catholique a grandement failli de s’estre si estroitement lié aux intérêts d’Espaigne et d’avoir préféré ses pernicieux conseils aux salutaires exhortations du roy mon maistre, et plus encore de n’avoir de bonne heure accepté les offres d’amitié et de neutralité que le roy de Suède leur a présenté par lettre, et que je leur ay offert de sa part, mais néanmoins Sa Majesté n’estime point qu’il faille se servir de ceste faute pour les ruiner absolument et faire par ainsi une guerre de religion, mais plustost pour les rendre à l’avenir plus sages, plus modérés et retenus à ne se laisser entraîner aux violens conseils d’Espaigne ; car, quoi qu’il semble que la prospérité des armes du roy de Suède soit telle et sa valeur si grande, qu’il soit maintenant bien aise de leur mettre le pied sur la gorge, si est-ce que Sa Majesté Très Chrestienne estime qu’il ne faut point porter les affaires à telles extrémités ; cum desperatis diflicillime pugnatur… » — « La paix que le roy mon maistre désire de procurer à l’Allemagne n’est pas une paix fourrée, car autrement : bellum pace dubia melius, car c’est une paix solide, une paix ferme, stable et équitable, en laquelle le roy de Suède trouve son conte et son contentement et les protestans leur assurance. »

Ce langage était inspiré par Richelieu ; le cardinal avait tout intérêt à, ne point laisser considérer la guerre d’Allemagne comme une guerre de religion ; il laissait M. de l’Isle écrire que, « quant à la religion, comme Sa Majesté n’a jamais creu que les armes fussent un bon moyen pour la planter aux cœurs des hommes, aussi ne pense-t-elle pas que les princes et estats protestans de l’empire, qui ont toujours détesté de telles violences et contraintes de consciences, voulussent maintenant, se servir des armes pour l’amplification de leur religion[2]. »

Les visées du roi de Suède n’étaient pas les mêmes. Gustave-Adolphe humiliait chaque jour la ligue catholique, et Richelieu ne pouvait s’empêcher de remarquer « qu’il seroit, me semble, bien honteux qu’un ambassadeur du roy vist tous les jours despouiller un électeur, ou un prince catholique. » Gustave-Adolphe, qui ne se payait pas de mots, voulait embarquer le roi de France à l’attaque de la Bourgogne, du Luxembourg et des Flandres. Richelieu, qui cherchait à gagner du temps, disait que la coutume de la France était de ne commencer la guerre qu’au printemps, que le roi de France amenait une grosse armée, qu’il traitait avec les Hollandais ; il s’opposait fortement à ce que le roi de Suède attaquât lui-même l’Alsace, car cette province était certainement un des prix qu’il se promettait d’une campagne contre l’empire. Le père Joseph avait songé un moment à faire de mettre la ville de Heidelberg entre les mains du roi ; mais le cardinal avait barré le passage relatif à cette place dans le mémoire du père Joseph et écrit de sa main : « Ne faut point se charger de cette place, » Il ne désirait que des villes sur la rive gauche du Rhin.

Gustave-Adolphe avait tenu assez peu de compte de toutes les recommandations faites en faveur des électeurs amis de la France. Il avait toujours quelque chose à demander de son côté à Richelieu, il avait envoyé M. de Horn auprès du roi Louis XIII, à Metz, pour s’informer si le roi de France chercherait à empêcher le passage de la Moselle par les Espagnols ; il laissa expirer la trêve accordée à la ligue catholique, fit des traités avec Strasbourg, avec Ulm ; de gré ou de force, il obtenait des traités particuliers de tout le monde, promettant aux uns ce qui ne lui appartenait point, menaçant les autres, divisant les villes, les princes. Il ne pouvait pas ignorer que Richelieu, son allié, voulant détourner les armes suédoises des bords du Rhin, travaillait secrètement à réconcilier l’électeur de Saxe avec l’empire. Il savait que le roi de Danemark, bien que souverain protestant, avait aussi engagé l’électeur de Saxe à conclure la paix avec l’empereur. Gustave-Adolphe était entouré de tant de pièges et de périls que la prudence même lui commandait l’audace. Il était forcé de traiter l’Allemagne en maître, pour n’en être point honteusement chassé. Il gardait toutes ses conquêtes pour ne les point perdre toutes. Guatave-Adolphe se mit en campagne au commencement de février ; il assiégea Kreutznach et en chassa les Espagnols, puis il retourna à Francfort avec le roi de Bohême. Tilly avait engagé les hostilités avec le maréchal de Horn, qui était entré en Franconie ; le roi de Suède alla au secours de son lieutenant, il le joignit et rallia encore Bernard de Saxe-Weimar ; Tilly battit en retraite à grandes journées et, pour empêcher l’orage de tomber sur la Bavière, il appela à son aide Gallas et Wallenstein. Le roi de Suède le suivit de près, entra dans Nuremberg, où les bourgeois lui firent don de quatre canons et de deux globes d’argent, l’un céleste, l’autre terrestre ; il arriva bientôt devant Donawerth, sur le Danube, fit une brèche dans les fortifications et se prépara à l’assaut. Le duc de Lauenbourg se retira en rompant les ponts, et le roi entra dans la ville. Ayant passé le fleuve, le roi de Suède put prendre aisément nombre de villes et alla chercher Tilly, retranché sur le Lech. Il passa le fleuve de vive force, après un combat extrêmement sanglant. Tilly fut blessé au genou par un boulet et dut être porté à Ingolstadt ; on lui tira quatre os brisés de la cuisse, mais il mourut le troisième jour.

Le roi de Suède avait passé le Lech, au milieu de ses soldats, l’épée à la main, sur le pont de bateaux qu’il avait fait jeter. Tilly loin du champ de bataille, sa victoire était complète, toutes les villes lui ouvraient leurs portes ; il fit son entrée dans Augsbourg avec une suite nombreuse de princes et d’ambassadeurs, et se reposa quelques jours dans cette ville. Augsbourg était le berceau de la foi luthérienne ; le roi y institua un conseil municipal luthérien ; les nouveaux conseillers lui prêtèrent serment, comme à leur roi légitime, et l’on frappa une médaille avec la légende Gustava et Augusta, caput religionis et regionis. Tilly avait rendu le dernier soupir en répétant : « Ratisbonne ! Ratisbonne ! » Le vieux guerrier indiquait cette place à l’électeur, comme l’ancre de salut, non-seulement de la Bavière, mais de l’empire. La mort qui frappait à soixante-treize ans le défenseur si longtemps heureux de l’empire guettait aussi le jeune prince qui avait traversé victorieusement toute l’Allemagne, et qui menaçait de tenir bientôt l’empire à merci. Le jour même où expirait Tilly, Gustave-Adolphe, monté sur un cheval blanc, s’étant trop approché des murs d’Ingolstadt, un canonnier de la ville le remarqua et d’un coup de canon emporta la croupe de son cheval. Le roi tomba tout couvert de sang et de poussière ; on le crut mort, mais il se releva et dit tranquillement à son escorte : « La poire n’est pas encore mûre. » Le moment d’après, le jeune margrave de Bade, à côté de lui, eut la tête emportée par un boulet.

M. de Saint-Étienne, agent du roi de France en Bavière, vint trouver le Suédois dans son camp devant Ingolstadt, et essaya de le porter à la paix. Gustave-Adolphe triomphait trop au gré de Richelieu ; Saint-Étienne lui dit que l’électeur de Bavière désirait la paix, qu’il avait d’ailleurs désapprouvé l’entreprise faite par Tilly sur Bamberg ; le roi de Suède lui répondit qu’il parlait sans avoir ordre de son maître, le roi de France ; qu’encore que le duc de Bavière eût autant de prudence que de dissimulation, il avait mal mené ses affaires ; que s’il voulait traiter de bonne foi, il n’avait qu’à livrer Ingolstadt, à restituer l’électorat et le Palatinat au roi de Bohême et qu’à licencier toutes ses troupes. Saint-Étienne était le propre neveu du père Joseph ; il avait été employé en 1630 aux affaires d’Allemagne, il avait été d’abord avec Brulart de Léon, et mis ensuite sous la direction de Charnacé, il venait d’être nommé envoyé de France auprès de l’électeur de Bavière avec la mission de protéger les intérêts des Bavarois sans toutefois rompre avec le roi de Suède. Se voyant traité de si haut en présence du roi de Bohême, de Horn et de quelques autres, il parla de la puissance de son maître. Le roi lui répondit qu’il comptait sur la loyauté du roi de France ; « cependant, si Sa Majesté veut envoyer quarante mille de ses François au secours de la Bavière, peu m’importe avec qui j’aie à combattre ; je pourrai m’entendre avec le Turc, qui est mon bon ami. » Louis XIII ne connaissait pas encore ces paroles quand il disait à l’ambassadeur de Venise, en apprenant la défaite et la mort de Tilly : « Il est grand temps de mettre un terme aux progrès du Goth. » Mais il devenait chaque jour plus clair que le Goth était aussi inquiétant pour ses amis que pour ses ennemis. Il éprouvait une sorte d’ivresse guerrière, pareille à celle qui porta plus tard Napoléon à Moscou. Il osa répondre à Richelieu, qui lui fit demander peu après jusqu’où il entendait pousser ses conquêtes : « Jusqu’où mes intérêts l’exigeront, » et ses intérêts étaient de ceux qui ne peuvent plus se définir. Il se posait de plus en plus en ennemi des papistes, en apôtre armé du protestantisme. Richelieu avait mis beaucoup de retard dans le paiement de ses subsides ; il finit par cesser entièrement de les payer. Et le « Goth, » quand on alla jusqu’à parler de l’envoi de troupes françaises contre les Suédois, dit : « Que le roi de France ne se donne point cette peine ; j’irai le trouver à Paris, à la tête de cent mille hommes et nous viderons là nos différens. » Ces paroles, si elles ont été prononcées[3], ne sont qu’une pure boutade ; car le Suédois n’était point sans une grande finesse et il avait assez d’affaires sur les bras en Allemagne pour ne point s’attaquer à la France. La guerre en Bavière avait pris un caractère horrible : « Tout abondait, dit le Soldat suédois, dans, un pays qui n’avait pas encore senti la picorée des soldats ; » il n’y resta bientôt que des villages en cendres. Toutes les villes furent mises à rançon : Munich vit le jeune roi jeter à un peuple stupide des poignées de cet or qu’il avait pris dans les coffres bavarois. Maximilien se tenait avec ce qui lui restait d’année à Ratisbonne. Il semblait perdu, mais Wallenstein allait entrer en scène.

Wallenstein était devenu une sorte de dictateur militaire dans l’empire. Il était en pleine disgrâce au moment où le roi de Suède avait débarqué en Allemagne, à ce point qu’il fit des ouvertures à Gustave-Adolphe et lui offrit de suivre sa cause. ne protestant et devenu catholique, il n’avait jamais approuvé l’édit de restitution, il y voyait la cause de tous les malheurs de la maison d’Autriche ; il ne pouvait pardonner à l’empereur de l’avoir privé de son commandement, ayant toujours eu le bonheur de faire triompher les armes de son maître. Il promit donc au roi de Suède d’abandonner l’empereur ; Gustave-Adolphe n’osa confier des troupes à us général qui était traître à son souverain, et le renvoya à l’électeur de Saxe. Wallenstein se retourna du côté de l’empereur, qui lui avait fait demander de reprendre le commandement suprême de ses armées. Il se fit prier et n’accepta d’abord que pour trois mois, à des conditions qui semblent aujourd’hui presque impossibles à croire. Il fut convenu qu’il serait généralissime pour l’empereur et pour le roi d’Espagne, qu’il aurait une autorité absolue, que ni l’empereur ni son fils ne resteraient à l’armée, qu’il serait récompensé largement dans les pays dits héréditaires et dans les provinces qu’il aurait conquises, qu’il disposerait de tous les domaines confisqués, qu’il aurait le droit de grâce, qu’il aurait le pouvoir de faire la paix, qu’on l’indemniserait du duché de Mecklembourg. L’empereur accepta tout, car l’armée ne voulait pas d’autre chef que le terrible duc de Friedland ; les peuples le regardaient comme un souverain, il en avait le train, la prodigalité ; il avait un astrologue et passait pour avoir un pouvoir miraculeux ; nul mieux que lui ne savait faire des levées et faire sortir les armées du sol allemand. En quelques mois, il mit soixante mille hommes sur pied.

Wallenstein n’était pas seulement soldat, il était aussi diplomate ; dès le commencement de l’année 1632, il chercha à détacher la France du roi de Suède, et, dans ce dessein, il travailla à renverser Richelieu en conseillant aux Espagnols d’aider Gaston d’Orléans et la reine mère par les armes contre le cardinal. Il estimait, nous ne savons sur quelles assurances, que Gaston, s’il pouvait détruire l’influence de Richelieu, abandonnerait la cause de la Suède pour celle de l’Autriche. Nous avons déjà dit que le roi de Suède n’avait pas les meilleurs rapports avec Richelieu ; il n’est pas certain qu’il ait vu d’un mauvais œil les entreprises faites contre le cardinal par la propre mère et par le propre frère de Louis XIII. Le plan de Wallenstein était simple : se jeter sur la Bohème et la Saxe, forcer le roi de Suède à venir au secours de son allié l’électeur de Saxe ; s’il ne le faisait, imposer son alliance à la Saxe et au Brandebourg, couper ainsi les communications de Gustave-Adolphe et l’enfermer en Bavière. Le roi de Suède était si loin de la Baltique qu’il ne pouvait plus tenir le nord de l’Allemagne ; il serait contraint, suivant toute apparence, d’en reprendre le chemin, et l’Autriche serait délivrée. Les choses n’allèrent pas aussi simplement, car pendant deux mois et demi, les deux armées de Wallenstein et de Gustave-Adolphe campèrent en face l’une de l’autre devant Nuremberg. Wallenstein craignait de livrer une bataille rangée avec ses nouvelles levées contre l’armée aguerrie du roi de Suède, renforcée au bout de quelque temps par toutes les troupes suédoises qui avaient été laissées dans les électorats ecclésiastiques et qui furent ramenées au roi par le chancelier-général Oxenstierna. Le roi de Suède ne put ni faire sortir Wallenstein de ses lignes, ni les prendre de vive force ; la misère, les maladies l’obligèrent enfin à décamper. Le vieux condottiere avait lentement usé son ennemi, en l’empêchant de combattre : Gustave-Adolphe reprit le chemin du Danube vers Donawerth pour nourrir ses troupes, faisant mine de menacer les états héréditaires de l’Autriche ; mais Wallenstein, fidèle à son plan, ne le suivit point et marcha contre la Saxe. Il n’avait pas eu beaucoup de peine au début de la campagne à rentrer à Prague, et il n’avait qu’à regret pris le chemin de Nuremberg ; il se sentait plus libre désormais depuis qu’il avait tenu tête à Gustave-Adolphe et l’avait forcé de déguerpir. Il prit Bamberg, Baireuth, Cobourg, incendia Plauen, et entra le 1er novembre dans Leipzig. Il attira enfin le roi de Suède de son côté ; celui-ci avait quitté le Danube et retournait vers le nord. Il passa par Arnstadt, entra, le 7 novembre, à Erfurt et arriva le 11 à Naumbourg. Il commençait à se sentir inquiet de l’avenir : de sombres pressentimens l’assiégeaient. Il repoussait les hommages des populations, qui, dans certaines villes, le recevaient comme un libérateur. A Naumbourg, où la foule baisait ses vêtemens, il dit d’un air chagrin : « Je crains que le ciel ne me réserve quelque malheur, car ces gens m’honorent comme un Dieu. » Il sentait la trahison tendre partout des pièges autour de lui. L’électeur de Saxe commençait à vaciller ; il tenait son armée isolée pour pouvoir au besoin imposer sa médiation. Le roi de Suède se sentait perdu, s’il ne frappait ses amis comme ses ennemis de terreur : il avait besoin de continuellement vaincre. Gustave-Adolphe apprit du même coup que Pappenheim, un des lieutenans de Wallenstein, avait quitté l’armée impériale pour se rendre à Halle et que les soldats de Wallenstein campaient sans se garder autour de Lützen : « Je crois vraiment, dit-il, que Dieu m’a livré l’ennemi. » Il se décida dans l’instant à aller chercher la bataille. Nous ne raconterons pas la grande journée. Le roi de Suède passa la nuit qui précéda le combat dans une voiture avec Bernard de Saxe-Weimar et Kniphausen ; il parcourut, le 16 novembre au matin, par un épais brouillard, tous les rangs de son armée. Il n’avait pas voulu mettre de cuirasse, une vieille blessure la lui rendait douloureuse à porter ; il n’avait qu’un pourpoint de cuir et un habit de drap. En passant devant les Suédois, il leur dit de combattre en braves gens, ajoutant que, s’ils se conduisaient bien, il les récompenserait loyalement, mais que, s’ils lâchaient pied, leurs os ne retourneraient pas en Suède. Il n’avait en tout, avec les régimens allemands, que vingt mille hommes ; Wallenstein en avait vingt-cinq mille. On sait comment, pendant la bataille, le roi, vainqueur à l’aile droite, se porta vers le centre avec un régiment de cavalerie suédois. Le brouillard était épais ; le roi, qui montait un cheval très ardent, se trouva entraîné avec quelques personnes de sa suite au milieu d’un gros de cuirassiers impériaux. Son cheval reçut un coup de pistolet, il eut lui-même le bras gauche fracassé d’un coup de pistolet ; puis il reçut une balle dans le dos, tomba de cheval et fut traîné quelque temps. Il n’avait plus avec lui qu’un page de dix-neuf ans : celui-ci vit entourer le roi par les cuirassiers : Gustave-Adolphe se fit connaître ; au même instant, un cuirassier lui brûla la cervelle. On le dépouilla et on le laissa nu, gisant à terre. Le cheval du roi, couvert de sang, arriva seul au galop devant le front des Suédois. Le bruit de la mort du roi se répandit en un instant dans les rangs ; mais ce bruit ne fit qu’enflammer la colère des Suédois : la furie les rendit irrésistibles, et, sans l’arrivée de Pappenheim et ses héroïques efforts, Wallenstein était perdu. Pappenheim mourut, le lendemain de la bataille, des blessures qu’il reçut dans cette terrible journée. Gustave-Adolphe l’admirait plus qu’aucun autre lieutenant de l’empereur et l’appelait simplement « le soldat. » Le cadavre du roi, percé de neuf blessures, piétiné, foulé, fut mis dans un cercueil par un pauvre maître d’école. Vainqueur à Lützen, Gustave-Adolphe, si la mort ne l’avait pas frappé dans sa victoire, eût peut-être été porté jusqu’à Vienne, il eût peut-être mis sur sa tête la couronne impériale. Il n’avait que trente-huit ans ; tout lui était possible et permis, car son temps ne connaissait que la force ; la religion des peuples était la religion des princes, et les princes n’étaient plus retenus, comme aux époques précédentes, par la crainte de l’église ; leurs ambitions temporelles ne connaissaient plus le frein spirituel. Ils eussent suivi la fortune du vainqueur.

Quels étaient, au moment où se livre la bataille de Lût zen, les rapports de la France et du roi de Suède ? Il faut remonter un peu plus haut pour s’en bien rendre compte.

Le roi Louis XIII avait écrit lui-même de Narbonne, le 17 octobre 1632, à M. de la Grange aux Ormes, qui résidait auprès du roi de Suède, pour lui annoncer que Monsieur avait été réduit à la soumission. « Vous informerés de ce que dessus mon frère le roi de Suède, lequel aura, je m’asseure, tel contentement qu’il convient à la bonne amitié et correspondance qui est entre nous, d’un succès si prompt et heureux du mouvement que l’on avoit excité en cette province… Vous remercierez, au reste, de ma part mondit frère le roi de Suède de la bonne inclination qu’il a témoignée à se conformer à ce que je luy ai fait proposer par vous comme étant convenable au bien public et au sien particulier. » La fin de la lettre est chiffrée et nous ne pouvons dire à quoi faisait allusion le roi de Fiance. La révolte de Monsieur avait été la grande affaire de la cour de France pendant cette fin de l’année 1632 ; le cardinal était tombé très malade en revenant du Languedoc, il était resté un mois à Bordeaux entre la vie et la mort. La dépêche de M. de la Grange aux Ormes annonçant la mort de Gustave-Adolphe arriva à Versailles le 2 octobre au soir ; Richelieu n’était pas encore retourné auprès du roi. Louis XIII réunit les secrétaires d’état le 3 décembre, et nous savons ce qui se passa au conseil par un « Mémoire fait à Paris le 4 décembre » par M. Bouthillier. On y lit ceci : « Le roy de Suède avait parlé si avantageusement, en diverses occasions, soit sur le sujet de la reyne-mère du roy, soit sur celui de Monsieur et autres rencontres, que l’on pouvoit dire que Sa Majesté n’y avoit peut-être pas beaucoup perdu à la mort du roy de Suède. C’est l’opinion de M. le maréchal de Brézé, qui l’a pratiqué assez longtemps pour en juger, et qui dit qu’il n’avoit aucun bon dessein pour les intérêts du roy ; qui est, en effect, ce que le sieur de la Grange veut dire par les treizième et vingtième articles de sa lettre. — M. de Bullion a dit la mesme chose que moy. — Sa Majesté, là-dessus, a commandé d’envoyer promptement la dépêche à Mgr le cardinal… »

Le courrier porteur de la dépêche trouva le cardinal de Richelieu à Brouage ; il écrivit au roi le 15 décembre : « Sire, bien qu’il soit difficile de mander de loin son ad vis, parce que les affaires changent souvent devant qu’il soit arrivé, j’ai envoyé à M. Bouthillier ce que j’estime sur les affaires d’Allemagne pour obéir à vos commandemens. Si le roi de Suède eust attendu six mois à mourir, il y a apparence que les affaires de Votre Majesté en eussent esté plus asseurées… » C’est tout ce que Richelieu trouve à dire sur la mort du roi de Suède ; le reste de la lettre n’est que sur des envois d’argent pressés à faire à M. de Charnacé, sur les démarches qu’il conseille de faire avec diligence auprès des états et auprès des princes allemands pour empêcher leur désunion. La mort tragique de Gustave-Adolphe ne lui arrache pas un cri, pas un soupir, pas un mot de regret. On envoya d’abord à la reine de Suède un M. Duhamel pour lui annoncer qu’on accréditerait prochainement auprès d’elle un ambassadeur extraordinaire ; Duhamel fut chargé de messages pour Oxenstierna, Horn et le duc Bernard de Saxe-Weimar. Richelieu envoya en Allemagne, comme ambassadeur extraordinaire, M. de Feuquières, maréchal de camp, et en Hollande M. de Charnacé, qui avait sa confiance particulière., Charnacé était porteur d’un projet de partage qui donnait à la France « le Hainaut, l’Artois, le Tournesis, l’Isle, Doué et Orchy, la Flandre gallicane, qui consiste en Graveline, Dunquerque, Ostende, Nieuport et le Namurois, Luxembourg, » et aux États « le Brabant, Malines, Limbourg, la Frise, la Gueldre. » M. de Brézé fut envoyé aux princes protestans, Saint-Étienne au duc de Bavière, aux princes de la ligue catholique et à l’empereur ; La Grange aux Ormes était déjà accrédité auprès de plusieurs électeurs et de diverses villes libres.

L’ambassade de Feuquières est celle qui nous intéresse le plus : Feuquières vit le chancelier Oxenstierna le 5 mars 1633 à Wurzbourg ; celui-ci désirait que la France rompît ouvertement avec l’Espagne, sans oser formuler complètement ce désir ; le cardinal préparait la guerre à l’Espagne, sans la déclarer ; il avait donné pour mission à Feuquières d’agrandir, de fortifier certains électeurs allemands dont les intérêts n’étaient pas les mêmes que ceux de la Suède ; l’ambassadeur français devait porter doucement Oxenstierna « à nous presser de rompre avec l’Espagne pour l’obliger à nous proposer des avantages à cette fin. » Les princes allemands étaient sur le point de se réunir à Heilbronn ; Feuquières s’y rendit et travailla à maintenir l’union des Suédois avec eux. Oxenstierna était le représentant fidèle de Gustave-Adolphe, il avait épousé toutes ses passions, toutes ses méfiances ; il se défiait beaucoup du cardinal de Richelieu, et la vérité historique oblige à dire qu’il avait raison. Feuquières était un négociateur très souple, très habile, et il se tira très bien des difficultés qu’il rencontra dans sa laborieuse entreprise. Ce n’était pas, en effet, chose facile que de garder un peu semé le faisceau que la main de fer de Gustave-Adolphe avait tenu pendant deux années ; la politique française avait ses visées propres, qui n’étaient point celles de la Suède. Dégagée de son roman de gloire, la politique suédoise consistait dans la conquête pure et simple des provinces qui forment tout le littoral de la Baltique. La chimère d’un nouvel empire protestant, entouré d’électeurs protestans, avait disparu comme fond la neige au soleil. Il ne restait que d’obscures revendications sur des provinces polonaises et allemandes. Le véritable empire, l’empire de Ferdinand, un instant menacé, restait solide sur ses vieilles hases historiques. Richelieu ne voulait point trop affaiblir l’empire, et Gustave-Adolphe l’avait bien deviné sur ce point : « Il estoit vray que la France se méfioit fort de l’Espagne et point de l’empire, » écrivait-il au commencement de 1634 à M. de Saint-George ; il aurait voulu pouvoir séparer la maison d’Autriche et la maison d’Espagne, lutter en Italie avec les princes italiens, dans les Pays-Bas avec les États. L’Allemagne était un terrain sur lequel il hésitait à mettre le pied ; il sentait très bien que l’étrange constitution de l’empire allemand offrirait tôt ou tard à la France des occasions d’intervenir et de refaire sa malheureuse frontière orientale.

En lisant, au reste, la correspondance diplomatique de cette époque, on admire non-seulement l’extrême vigilance de ceux qui conduisaient les affaires de la France, mais en même temps la sagesse, la prudence de leurs vues, la hauteur et l’impartialité de leurs conceptions politiques. La France n’aspirait pas seulement à se délivrer elle-même, elle aspirait à délivrer l’Europe entière d’un joug étouffant. Peut-être peut-on reprocher à Richelieu d’avoir attendu un peu trop longtemps avant de se porter à l’alliance suédoise et, une fois qu’il l’eut fait, de ne s’y pas être porté avec plus de résolution ; ce qui l’arrêta peut-être, ce fut le sentiment que le Suédois, qui parlait sans cesse de liberté à l’Allemagne, ne lui préparait qu’un nouveau despotisme, ce fut aussi la conviction qu’il était moins propre à fonder quelque chose qu’à tout ébranler et à tout remuer, et que le vieil édifice impérial resterait debout, malgré la vaillance et l’impétuosité de ce soldat merveilleux, qui aimait plus la gloire que les fruits de la gloire et qui préférait le péril à la victoire.

Il faut voir le roi de Suède, comme le représentent les gravures du temps, sur un lourd cheval d’Allemagne, le front haut, l’œil clair, froid et brillant, la bouche ferme, épaisse et souriante. La narine s’enfle, comme celle du cheval de guerre ; la bataille a commencé ; les bataillons s’agitent confusément dans le fond ; le roi part comme pour la parade. Jamais encore, en un temps pourtant si fécond en grands courages, on n’avait vu roi courtiser si familièrement la mort. Cent fois il la regarda en face, cent fois il risqua sa vie dans les plus obscures occasions. Ses soldats étaient sûrs de le voir au milieu d’eux toutes les fois que le péril était plus grand ou que la bataille devenait plus sanglante et plus acharnée. Aussi fut-il sincèrement pleuré de son armée, car chaque soldat aimait en lui un soldat ; il fut encore pleuré des chefs du parti protestant. Il avait été considéré par ces derniers comme un envoyé de Dieu. Le duc de Rohan, qui était en exil volontaire en Italie, avait bien jugé de loin l’entreprise du roi de Suède. « Le roy de Suède, écrivait-il le 31 août 1631 à sa mère, Catherine de Parthenay, fait toujours très bien et avance ses progrès, mais les Allemands ne le regardent guère, car ils n’ont encore rien fait qui vaille, et mesme quelques-uns commensent à se dédire de ce qu’ils avoient promis à l’assemblée de Lepxig, entr’autres le duc de Virtemberg et la ville d’Ulm qui se sont mis en l’obéissance de l’empereur. Ces gens-là n’ont pas plus de fidélité ni de courage que ceux qui nous ont trompés ; il est bien à craindre qu’ils ne se perdent. » Le 5 septembre 1631, après le sac de Magdebourg, Rohan écrit à sa mère que cet événement « a donné une grande terreur à plusieurs villes et princes d’Allemagne dont s’en est suivie la défection de l’administrateur de Virtemberg et des villes de Ulm et de Noremberg ; néansmoins les nouveaux progrès du roy de Suède ont rafermiz le reste, et s’il n’eust soupçonné Saxe et Brandebourg, il eut conquis toute la Silésie et partie de la Bohême ; mays il a été contraint de retourner de ce costé-là pour s’asseurer d’eux ; il s’est tout à fait asseuré du marquis de Brandebourg et de son pays, mays pour celluy de Saxe ny luy ny l’empereur ne l’osent trop presser de peur qu’il ne se déclare contre celuy qui le pressera trop et comme cela demeure sans faire autre chose que bien boire pour être la proie du vainqueur ; tous les conseillers de ces princes, et plusieurs des principaux des bonnes villes sont corrompus par l’empereur, tellement qu’il faut par force et malgré qu’ils en ayent leur procurer la liberté ; cela me fait ressouvenir des défuntes affaires de France[4]. »

Rohan voyait fort clair aux affaires d’Allemagne ; après la mort du roi de Suède, il avait fait passer à Richelieu un mémoire sur ces affaires. Le cardinal en savait tout le détail : il n’en était détourné ni par le soin des affaires d’Italie, ni par ses luttes incessantes contre ses ennemis de l’intérieur, ni par la guerre contre les protestans. Sa politique était encore un peu hésitante. Pouvait-il deviner que la mort arrêterait si vite le roi de Suède au milieu de ses victoires ? Devinait-il que les effets de l’invasion des Suédois en Allemagne ne seraient pas très durables ? que la marche de Gustave-Adolphe n’était qu’une bourrasque couvrant de vagues passagères la mer profonde de l’obéissance germanique ?

Nous l’avons montré peu confiant dans son allié et toujours disposé à marchander ses secours. Richelieu voulait inquiéter l’empire, mais non préparer sa ruine ; il espérait pouvoir donner les possessions italiennes de la maison d’Autriche à des princes italiens : en Allemagne, sa diplomatie tendait uniquement à établir autour de la France un rempart d’alliances, d’amitiés, de neutralités ; il ne pouvait pas travailler à mettre les provinces catholiques sous les pieds d’un prince protestant. Les historiens lui savent gré d’avoir, prince de l’église et ministre d’une puissance catholique, su chercher des alliances protestantes ; en fait, il ne vit jamais dans les Suédois que les alliés d’une heure. Richelieu comptait bien abandonner Gustave-Adolphe après s’être servi de lui pour s’avancer dans les électorats et en Alsace. « Le joug de l’empire étoit alors si lourd dans toute l’Europe » qu’après la mort de Gustave-Adolphe « le pape, ayant cette nouvelle, alla en l’église nationale des Allemands dire une messe basse. » (Mémoires de Richelieu.) Le roi du Nord, — qu’on appelait quelquefois, à cause de la couleur de ses cheveux, le roi d’or, — parut un moment comme un soleil à Francfort ; puis l’Allemagne retomba dans la nuit. L’histoire ne marche pas en ligne droite, elle procède plutôt par de grands mouvemens giratoires qui la ramènent de temps en temps au même point. Que d’événemens étaient encore nécessaires, que d’invasions, de guerres et d’incursions pour tirer le corps germanique de sa torpeur séculaire ! Richelieu chercha seulement à profiter des fautes que l’empire avait commises en Allemagne ; il travailla à briser la verge sanglante qui flagellait les peuples. C’est surtout, il faut le dire, après la mort de Gustave-Adolphe que la politique du cardinal devint féconde : il semble qu’il ait vu dans cet événement comme un avertissement ; la fortune, en lui enlevant un instrument qui avait été regardé comme presque miraculeux, l’obligea à compter davantage sur ses propres ressources. La mission de Feuquières vers la reine de Suède et vers Oxenstierna fut suivie de résultats surprenans ; elle inaugura avec le concert des petites puissances le grand et bienfaisant patronage de la France qui devait plus tard trouver son expression dans le traité de Westphalie, l’instrument diplomatique qui a été si longtemps la base du droit public européen et qui mit fin pour si longtemps à la domination exclusive d’une maison souveraine sur tous les princes et sur tous les peuples.


AUGUSTE LAUGEL.

  1. Ce traité fut signé le 8 mai 1631, à Munich, et par le roi de France, le 30 mai, à Fontainebleau.
  2. Documens historiques relatifs à l’histoire de France, tirés des archives de la ville de Strasbourg, par M. Ant. de Kentsinger, maire de la ville de Strasbourg.
  3. Maurillon, Histoire de Gustave-Adolphe.
  4. Ces extraits sont tirés d’une correspondance inédite, que je dois avec beaucoup de documens et d’indications précieuses sur Rohan, à la généreuse libéralité de M. de Loménie.