Gustave/14

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C. O. Beauchemin et Fils (p. 149-169).

CHAPITRE XIV

la tradition. les reliques. la justification.


Le lendemain, dès la pointe du jour, le vapeur continua sa route. Gustave, s’étant levé de grand matin, se promenait sur le pont tout en prenant soin de voir et d’examiner. La rivière Missouri, malgré son eau boueuse et la tortuosité de son cours, offre de l’intérêt au voyageur ; ses rives escarpées et à demi-rongées par la rapidité et la force de son courant, menacent de s’écrouler à chaque instant et d’entraîner avec elles les grands arbres qui les couronnent ; les nombreux détours que le pilote doit faire pour éviter les écueils dont nous avons déjà parlé, obligent ce dernier d’approcher quelquefois de la rive à un tel point, que les passagers effrayés se demandent si le vapeur ne va point s’y briser.

Tout à coup la cloche sonne, les roues s’arrêtent et les chaînes du gouvernail semblent, se replier sur elles-mêmes.

— La chaîne est brisée, s’écria le pilote.

Alors le vapeur, laissé à lui-même et emporté par le courant, se met à tournoyer avec une évolution si grande, que Gustave, étourdi, tombe sur le pont. Sa première pensée est pour sa sœur, et il s’écrie : Alice, Alice !

Au même instant, le vapeur se heurte deux fois ; notre jeune homme entend ce qui lui paraît comme deux coups de canon partis d’un souterrain, suivis de craquements et de secousses tellement fortes que le vapeur vient sur le point de chavirer.

Gustave parvient à se cramponner à un pilier et se relève en appelant sa sœur de toutes ses forces ; mais sa voix se perd dans le tumulte causé par les cris des passagers qui, pâles d’effroi, s’étaient jetés pêle-mêle dans le salon.

Tous, hommes, femmes et enfants, étaient là se heurtant les uns les autres et s’écriant avec épouvante : Nous sommes perdus !… Où sont nos enfants ? Papa, maman, ou êtes vous ?

Cette panique dura plusieurs minutes, et aurait pu être la cause d’accidents graves, si le capitaine, entrant au salon, ne leur eût crié d’une voix forte :

— Ce n’est rien, calmez-vous, le vapeur n’a reçu aucune avarie pour le mettre en danger, il vient de reprendre sa route.

C’en fut assez, chacun s’empressa de rentrer dans sa cabine et le calme était revenu à bord.

Le soir arrivé, les groupes se formèrent de nouveau. M. Dumont, voulant se venger de la défaite du soir précédent, fit asseoir Gustave à côté de lui. Le prêtre, voyant que son jeune ami allait être en butte à de nouvelles attaques, s’approcha pour lui prêter main-forte au besoin.

— Je suis bien aise de vous voir, lui dit M. Dumont en lui offrant un siège ; veuillez vous asseoir, et si vous n’avez pas d’objection, nous parlerons ce soir de cette tradition dont parle tant l’Eglise de Rome ; vous n’ignorez pas, sans doute, que nous, protestants, rejetons toute tradition comme contraire aux préceptes de l’Évangile.

— Pourquoi donc, s’il vous plaît ?

— La tradition est contraire à l’Évangile, premièrement, parce que Jésus-Christ a dit : Lisez les Écritures, c’est en elles que vous trouverez la vérité et la vie. Or, quelles sont ces Écritures, sinon la Bible ? Secondement, parce que tout ce que ce divin Sauveur a fait, et tout ce que ses Apôtres ont enseigné, se trouve dans cette même Bible. Ainsi, qu’avons-nous besoin de tradition ?

— Je vais d’abord répondre à votre première objection. Veuillez me dire quelles sont les Écritures que Jésus commandait de lire, et à quelle occasion il fit ce commandement.

— Il me semble que je n’ai pas besoin de vous dire que Jésus-Christ, en parlant des Écritures, voulait dire : « Lisez la Bible. » De plus, vous savez comme moi, que ce commandement a été répété plusieurs fois.

Saint Paul a aussi fait cette recommandation, dit M. Johnson.

— Je le sais, dit le prêtre, mais veuillez donc répondre à ma question ; je la répète : Quelles sont les Écritures que notre Sauveur commandait de lire, ou plutôt qu’était-ce que la Bible (ce mot vous le comprenez mieux) du temps de Jésus-Christ et de saint Paul ?

— En voilà une question ! dit ironiquement M. Dumont, la Bible n’a pas changé, c’était la même qu’aujourd’hui.

— Pardon, monsieur, le Nouveau Testament n’existait pas du temps de Jésus-Christ, il n’a été écrit que plus tard. De plus, je dis que Jésus-Christ, en commandant aux Juifs de lire les saintes Écritures, voulait parler non pas de l’Ancien Testament, remarquez-le bien, mais seulement des prophéties annonçant sa venue et prouvant sa divinité, afin de leur démontrer qu’il était véritablement le Messie qu’ils attendaient. Voilà le but que se proposait le divin Sauveur ; il en fut de même pour saint Paul dans une occasion analogue. Mais venons-en à votre seconde objection ; je dis, et je vous prouverai que tout ce que Jésus-Christ a fait, et tout ce que les Apôtres ont enseigné ne se trouve pas dans la Bible.

— Vous ne prouverez jamais cela, dit M Dumont.

— Je l’ai déjà prouvé ; hier soir, je vous ai démontré que les Apôtres avaient offert le saint sacrifice de la messe et donné la sainte communion, vous ne trouverez pas cela dans la Bible. Il en est ainsi pour toutes les autres cérémonies qu’ils ont pu faire et ordonner, telles que les prières d’usage, le jeûne, l’administration des divers sacrements, etc. L’Évangile nous dit clairement qu’il ne renferme pas tout ce que Jésus-Christ a fait ; et les Apôtres eux-mêmes nous disent dans leurs épîtres, que tout ce qu’ils ont enseigné n’est pas renfermé dans leurs écrits.

— Je n’ai rien vu dans l’Évangile pour confirmer ce que vous venez de dire, dit M. Johnson.

— Vous ne l’avez pas assez lu peut-être, dit le prêtre en souriant. Saint Jean ne dit-il pas au chap. 21e de son évangile, verset 25e : Jésus a fait encore beaucoup de choses. Et plus loin dans ses épîtres : Quoique j’eusse plusieurs choses à vous écrire, je n’ai pas voulu le faire sur du papier et avec de l’encre, espérant aller vous voir et vous entretenir de vive voix. Et que dit saint Paul dans son épître aux Thessaloniens, chap. 2e. verset 14e ? Le voici, écoutez bien : Gardez les traditions que vous avez recueillies soit de mes discours, soit de mes lettres. Que dit-il encore à Timothée, au 2e chapitre de sa 2e épître : Ce que vous avez appris de moi devant plusieurs témoins, donnez-le en dépôt à des hommes fidèles qui soient eux-mêmes capables d’en instruire d’autres. Eh bien ! est-ce assez clair ? Ce dépôt est la tradition nous devons donc le garder comme une chose sacrée, puisque saint Jean et saint Paul le commandent ; j’aimerais cependant à savoir ce que vous comprenez par tradition.

— Je n’entends rien par tradition, répond M. Dumont, nous la rejetons complètement.

— Et moi, je vous dis que vous ne rejetez pas la tradition. Ne conservez-vous pas, dans toutes les sectes protestantes, avec plus ou moins d’exactitude, les traditions que vous ont laissées vos pères dans le protestantisme, telles que le préjugé, la haine et le dégoût pour tout ce qui est catholique romain ? N’avez-vous pas aboli, retranché des prières d’usage, des cérémonies pratiquées par les premiers chrétiens, et ne continuez-vous pas la même besogne, uniquement pour imiter et suivre une coutume inaugurée par les réformateurs ? Dites-le-moi, n’est-ce pas pour conserver et continuer une tradition laissée par vos pères ? Que veut dire le mot tradition, sinon une voie par laquelle une doctrine, un usage ou des faits se transmettent d’âge en âge ? Ainsi, ne dites donc pas que vous rejetez toute tradition. Vous en avez rejeté une, il est vrai, malheureusement c’est celle qui vous aurait porté bonheur, pour en accepter d’autres qui, d’après moi, ne vous relèveront pas devant Dieu.

— Et vous gardez la vôtre, dit M. Dumont avec ironie, pour faire croire à vos fidèles que les actes pratiqués par l’Église romaine ont été autorisés par Jésus-Christ et ses Apôtres dans cette tradition.

— Encore le préjugé qui vous fait parler ainsi ; raisonnez donc, monsieur. Notre divin Sauveur, vous le savez comme moi, n’a rien écrit, il n’a pas commandé à ses Apôtres d’écrire ; il n’a laissé aucun commandement pour indiquer aux chrétiens qu’ils devaient lire ce qu’écrivaient les apôtres ; ce n’est, je le répète, que lorsque sa divinité était mise en doute par ceux qui l’écoutaient, qu’il a commandé de lire les prophéties de l’Ancien Testament, seules Écritures existant alors. Qu’a fait Jésus-Christ pour propager et maintenir la religion qu’il venait établir ? Il a ordonné à ses apôtres et à leurs successeurs de la prêcher ; tout est là. De leur côté, les apôtres ont jugé utile de rassembler et mettre en écrit quelques uns de leurs enseignements et les traits les plus remarquables de la vie du divin Maître ; c’est ce qui forme l’Évangile. Le reste, d’après ce qu’ils disent eux-mêmes, ils ont continué à l’enseigner de vive voix. Voilà la tradition.

— Et c’est dans cette tradition, je suppose, que vous trouvez cette autorité divine et infaillible que vous vous arrogez comme pasteurs de l’Église romaine ?

— Le pasteur de l’Église catholique ne s’arroge point d’autorité ; celle qu’il réclame lui a été donnée par Jésus-Christ même. L’Évangile le prouve clairement, et cette tradition, rejetée par vous, démontre que les apôtres ont usé de cette même autorité divine et infaillible qu’ils avaient reçue de leur divin Maître. Ainsi, dans la primitive Église, on priait, on jeûnait, on recevait le baptême, la sainte communion, on pratiquait la religion toute entière, en un mot, on obtenait le salut, sans pour cela lire l’Évangile, qui n’était pas encore écrit. Pourquoi agissait-on ainsi ? Voici notre réponse ; écoutez bien ce que je vais dire, il vous restera la tâche de me prouver le contraire. C’est parce que les premiers chrétiens, reconnaissant dans les apôtres une autorité divine, obéissaient à leur voix et acceptaient leur doctrine. Quoique tous ces actes n’aient pas été publiés dans l’Évangile, l’Église ne les en a pas moins conservés comme nécessaires et utiles. Encore une fois, je le répète : Voilà la tradition.

— Je dis qu’elle n’est pas nécessaire.

— Alors, pourquoi en gardez-vous une partie vous-mêmes ? Ne prêchez-vous pas ? Ne donnez-vous pas la bénédiction ? N’avez-vous pas, dans plusieurs sectes protestantes, des prières pour certaines cérémonies ? Tout cela, c’est de la tradition ; vous ne trouverez pas ces choses dans l’Évangile. D’après votre théorie, tous les sermons et écrits sont dans la Bible, il ne vous reste qu’à les lire, sans avoir recours à aucun ministre, et je me demande quelle est son utilité.

— C’est afin d’expliquer les différents textes de l’Évangile, car tous ne les comprennent pas bien.

— Vous voulez dire, je suppose, que le ministre doit donner sa propre interprétation de ces textes aux fidèles qui l’écoutent, afin qu’ils ne puissent errer. Qui vous a donné cette autorité ?

— Jésus-Christ, en disant : Allez et enseignez toutes les nations, a voulu que nous prêchions l’Évangile, mais l’Évangile seulement ; quant à l’autorité, elle est toute dans la Bible,

— Votre propre théorie vous confond. Vous dites : « Lisez la Bible pour y trouver la vérité et la vie, c’est elle qui possède toute autorité, n’en reconnaissez point d’autre ; » et cependant vous réclamez le droit d’interpréter vous-mêmes cette autorité en la prêchant à votre manière pour faire prévaloir l’opinion que vous en avez. Êtes-vous logiques en agissant ainsi ? prêchez-vous toujours le texte de la Bible ? l’interprétez-vous toujours correctement ?

— Oui, toujours au meilleur de notre connaissance.

— Permettez-moi de vous demander si vous n’avez jamais donné une interprétation contraire à l’opinion d’un grand nombre de ceux qui vous écoutaient.

M. Dumont, frappé de cette question qui lui rappelait sa congrégation de Saint-Louis, rougit et ne savait que répondre. Son épouse, jetant en même temps la vue sur lui, ajouta à sa confusion. Voulant cependant rompre un silence qui le trahissait, il dit avec chaleur :

— Que voulez-vous dire, monsieur ?

— Que ce qui arrive tous les jours parmi les sectes protestantes. Soyez assuré que je ne voulais vous rappeler aucun souvenir fâcheux.

— Si les chrétiens se soumettaient aux enseignements des pasteurs de l’Église, dit madame Dumont, et cela sans s’occuper de discuter ou de s’arrêter à leur propre volonté, ils seraient plus heureux ; nous ne verrions pas autant de disputes et de dissensions, qui ne sont propres qu’à nous éloigner les uns des autres.

— Prenez garde, madame, il ne faut pas parler ainsi, dit M. Johnson ; toute personne raisonnable doit rendre compte de ses actes et répondre de son âme au jour du jugement ; donc, cette personne ne peut confier son âme à un pécheur comme elle, elle doit employer son intelligence à connaître la volonté de Dieu révélée dans la Bible, que notre divin Sauveur nous a laissée pour guide.

— Pardon, madame, si je réponds pour vous, dit le prêtre ; le catholique agit raisonnablement et avec sûreté en se laissant guider par ceux qui en ont reçu l’autorité de Dieu. Il écoute l’Église parce que Jésus-Christ le lui a commandé, ainsi…

— L’Église romaine n’est pas l’Église de Jésus-Christ, dit M. Dumont en l’interrompant ; elle a perdu toute autorité par les erreurs et les changements qu’elle a accueillis dans son sein.

— Vous voudrez bien me dire, j’espère, quels sont ces erreurs et ces changements ?

— Êtes-vous assez aveugle pour ne pas les apercevoir ? le culte des images, les reliques, le culte rendu à la Vierge Marie et une foule d’autres choses, sont autant d’erreurs et de changements qui n’existaient pas du temps des Apôtres et des cinq premiers siècles.

— Vous n’avez pas étudié l’histoire pour parler ainsi.

— L’histoire nous prouve que ces erreurs et ces changements ont été adoptés par les différents conciles ; le concile de Trente surtout en a introduit plus que tous les autres.

— Où avez-vous donc pris cette histoire ? Les conciles n’ont jamais introduit de changements ; ils se sont prononcés quelquefois sur des doctrines mises en doute, ou ont établi comme dogmes de foi des vérités reconnues jusqu’alors ; ils ont approuvé des pratiques de piété suivies du temps des apôtres et depuis ; c’est-à-dire, qu’ils ont voulu garder intacte une sainte tradition que de soi-disant réformateurs voulaient rejeter ; mais des changements et des doctrines contraires à l’enseignement de Jésus-Christ ou à son Évangile, jamais.

— Je le répète, le culte des images, des reliques, etc., n’existait pas du temps des apôtres ; pas un historien ne le démontre, tous s’accordent à dire…

— Que ces images et ces reliques existaient alors. Avez-vous trouvé un seul historien exact, protestant ou catholique, qui ait nié que les premiers chrétiens recueillaient le corps et le sang des martyrs de la foi, pour les déposer dans les catacombes ou les cavernes, et pour faire brûler des lampes ou autres lumières sur leurs tombes ? Avez-vous trouvé un seul historien honnête, qui ne rapporte que ces mêmes chrétiens s’agenouillaient devant ces tombes pour demander à Dieu, par leur intercession, soit la grâce du martyre, soit la cessation des persécutions, ou la force et la persévérance dont ils avaient besoin ? N’est-il pas avéré encore par tous ceux qui ont écrit l’histoire avec exactitude, que ces mêmes chrétiens regardaient ces restes des martyrs comme des reliques précieuses, et leur portaient la plus grande vénération ? Pancrace, l’illustre martyr, ne portait-il pas sur sa poitrine un médaillon dans lequel sa bonne mère avait déposé du sang de son époux martyr, et n’avait-il pas pour cette relique la plus grande vénération ? D’ailleurs, la meilleure preuve de cette vérité, c’est que, malgré les persécutions des empereurs, malgré les ravages que Rome a subis, malgré les fréquentes invasions des barbares, ces restes, ces reliques ont été conservés et gardés avec le plus grand soin jusqu’à nos jours.

— Il serait à désirer, dit Gustave, que les catholiques de ce jour eussent la même vénération pour ces saintes reliques conservées avec tant de zèle par les premiers chrétiens.

— En bravant tous les dangers, la mort même, dit le prêtre ; vous avez lu l’histoire, monsieur ; vous devez avoir vu que l’impératrice Hélène, épouse de Constantin, après avoir trouvé la croix sur laquelle le divin Sauveur est mort, convoqua les évêques, qui firent séparer cette croix en toutes petites parties, et les firent distribuer dans tout l’univers chrétien, enchâssées dans des cadres brillants d’or et de pierres précieuses. Tout cela se passait bien avant le concile de Trente, n’est-ce pas ? Si l’Église ne s’est prononcée que plus tard, les reliques et les images n’en avaient pas moins existé depuis les apôtres, et même avant eux ; si elle a, par la voix de ses conciles, décidé que telle ou telle pratique était bonne, c’est parce que des chrétiens rebelles voulaient rejeter une sainte et ancienne coutume, c’est-à-dire la tradition.

— Et moi, j’affirme, dit M. Dumont, que ces reliques, ces images et ces chapelets ont été inventés par les prêtres pour leur permettre de devenir riches avec le produit de la vente de ces objets ridicules et abominables devant Dieu.

— Raisonnez donc, et n’aggravez pas votre cause par de faux avancés qui ne sont certainement pas basés sur la raison. Vous me permettrez bien, avant de vous croire, de vous demander quand et par qui ces nouveautés ont été inventées et introduites ?

— Les historiens ne nous donnent pas de dates précises ; plusieurs furent introduites dans les âges obscurs, d’autres plus tard, soit par un moine se disant inspiré de Dieu, soit par une religieuse, ou enfin par les conciles de temps à autre.

— Et c’est par l’introduction de ces nouveautés, dit M. Johnson, que l’Église romaine est tombée dans les erreurs les plus graves.

— Répondez donc à ma question d’une manière claire et précise, messieurs ; pourquoi ces suppositions de votre part ? Vous dites que c’est un moine ou une religieuse qui a introduit ces pratiques dans l’Église catholique. À vous de les nommer, ou au moins de me dire ou vous avez puisé vos renseignements.

— Nous n’avons pas besoin d’aller aux renseignements, dit M. Dumont avec embarras, le culte de la Vierge, les indulgences, le chapelet, etc., sont tous de dates récentes ; vous ne nierez pas cela, absolument. Qu’y a-t-il de plus contraire à l’Évangile que ce culte rendu à Marie ? N’avez-vous pas fait d’elle une médiatrice entre Dieu et les hommes, tandis que Jésus-Christ a dit : Je suis le seul médiateur. Venons ensuite aux indulgences ; ne les vendez-vous pas à prix d’argent pour le pardon des péchés ? N’est-ce pas un crime que de faire croire que l’on achète le pardon de ses péchés, comme l’on achète une marchandise quelconque ? puis, le chapelet, avec lequel on fait un commerce considérable, n’est…

— Assez, assez, dit le prêtre en l’interrompant ; votre ardeur vous entraîne trop loin. Une seule chose à la fois, s’il vous plaît, puisque vous n’avez pu, ni l’un ni l’autre, me dire, encore moins me prouver quand et par qui ces choses ont été inventées ; je vous dirai que vous ne pourrez jamais donner ni de noms, ni de dates. Les catholiques ont toujours prié la sainte Vierge, et les indulgences ont toujours existé depuis les apôtres. D’abord, faisons la preuve quant aux prières à la Vierge Marie. Qui a composé la première partie de l’Ave Maria ? N’est-ce pas l’ange Gabriel en venant annoncer à Marie le mystère de l’Incarnation ? Et qu’a-t-il dit : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. Plus tard, sainte Élisabeth, mère de Jean-Baptiste et cousine de cette Vierge sainte, ajoute : Et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Or, l’Église en répétant cette partie de l’Ave Maria, ne fait qu’imiter cet archange et cette sainte femme, mère du grand précurseur de Jésus-Christ, et j’ajouterai, elle suit une coutume, une tradition introduite par un envoyé de Dieu.

— Mais, qu’allez-vous faire de la dernière partie ? Pour la première, passe ; on ne peut y voir qu’une salutation ; il n’en est pas ainsi de la dernière ; c’est une prière.

— Je le sais, la voici : Priez pour nous, pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Eh bien ! je vous le demande, pouvez-vous condamner notre Église, parce qu’elle aime, vénère et prie celle que Dieu le Père a choisie pour sa fille, qui a été acceptée et traitée comme mère par Dieu le fils, choisie pour épouse par Dieu le Saint-Esprit ; celle enfin qui a eu le bonheur de porter un Dieu dans son sein, de l’allaiter de son propre sein, de le porter dans ses bras et de lui prodiguer toute la tendresse d’une mère ? Dites-le-moi, jamais honneur et dignité aussi grands ont-ils été conférés aux hommes et aux anges ? Non, rien même qui en approche. De plus, n’est-il pas raisonnable de croire que cette mère, tant aimée et respectée sur la terre par Dieu le fils, peut obtenir plus que nous ? Ce fils pourrait-il lui refuser quelque chose ? Écoutez bien, nous, catholiques, nous prions la sainte Vierge, non pas comme une médiatrice entre Dieu et les hommes, mais parce qu’elle peut intercéder efficacement auprès de Jésus-Christ qui l’aime et la regarde toujours comme sa mère. Et, en cela, nous ne suivons qu’une sainte et pieuse tradition qui remonte aux premiers siècles de l’Église.

— Et les indulgences, dit M. Johnson, elles ne datent pas de bien loin, celles-là.

— Pardon, monsieur, elles sont encore plus vieilles. On accuse notre Église de les vendre à prix d’argent, et à ses fidèles de les acheter pour obtenir le pardon de leurs péchés. Pour qui nous prenez-vous donc ? Pourquoi porter de telles accusations contre notre Église, qui enseigne que vendre ou acheter les trésors spirituels, c’est commettre un sacrilège ? Je ne vous accuserai point, vous protestants, d’autoriser la simonie, quoique nous voyions faire et proposer tant en secret que publiquement des transactions de cette nature, pour obtenir des bénéfices auxquels le salut des âmes est attaché. Je vous dirai tout simplement : tout ce que vous venez de dire, au sujet des indulgences, est une calomnie ; l’indulgence n’a pas de rapport avec la rémission du péché ou avec son châtiment éternel ; elle n’exempte point du repentir ou de la pénitence.

— Alors, qu’entendez-vous par indulgences ? dit M. Johnson.

— Et à quoi sont-elles bonnes ? ajouta M. Dumont.

— Elles sont très bonnes ; non seulement elles sont une diminution des peines canoniques imposées par l’Église, mais nous croyons qu’elles obtiennent la rémission entière et partielle des peines temporelles dues au péché. Vous qui connaissez la Bible, vous devez vous rappeler plusieurs exemples du pardon accordé par le Seigneur à de grands pécheurs ; il leur remettait le châtiment éternel dû à leurs péchés, et, pourtant, il leur en imposait un temporel. Ainsi, la sentence d’une mort éternelle fut remise à nos premiers parents en faveur de leur repentir, mais non celle de la mort corporelle et autres peines subies par le genre humain. Le prophète Nathan dit au roi David : Le Seigneur a effacé votre péché ; cela s’entend de la peine éternelle seulement, car il ajoute : Néanmoins l’enfant qui est de vous mourra. Plus tard, la vanité s’empare du cœur de ce même roi, et le conduit à faire le dénombrement de son peuple ; le Seigneur lui pardonne, mais il lui impose un châtiment temporel, en lui ordonnant de choisir entre la peste, la guerre et la famine. Ne voyons-nous pas encore que les Ninivites ont apaisé la colère de Dieu, en se soumettant à la pénitence qu’il avait imposée par la voix de Jonas ? Souvenez-vous que, non seulement cette pénitence fut acceptée, mais encore qu’elle a été proposée à notre imitation par Jésus-Christ lui-même, qui a dit : Au dernier jour, ce peuple s’élèvera en jugement contre vous, si vous ne l’imitez pas.

— Votre Église enseigne donc, dit M. Johnson, que ces indulgences remettent la peine temporelle due au péché ?

— C’est cela, sinon dans sa totalité, du moins en partie ; elles remplacent les pénitences et châtiments temporels de la primitive Église. L’histoire nous apprend que ces pénitences, souvent très sévères, étaient par suite de la foi vive de ces temps, subies publiquement, ou du moins on ne cherchait pas à les tenir secrètes. Dans les temps actuels, où une orgueilleuse sensibilité et la différence des croyances entraient impossible la pénitence publique, l’Église, qui a toujours voulu conserver la pieuse tradition, ne change pas, remarquez bien, mais permet un mode plus secret de pénitence et autorise ses enfants à substituer des œuvres de miséricorde ou de piété aux anciens canons pénitentiaux.

— Mais, dit M. Dumont avec dérision, qu’allez-vous faire de l’indulgence plénière ? Il n’y a pas de limite à celle-là.

— Ne parlez donc pas ainsi, monsieur ; vous devez connaître les conditions exigées par l’Église pour obtenir l’indulgence plénière ; cependant, puisque vous me paraissez les ignorer, ou plutôt les avoir oubliées, laissez-moi vous dire que vous ne devriez pas vous railler des indulgences, vu que le ministre protestant les accorde sans condition ; combien de fois n’a-t-il pas dit qu’il suffisait de demander à Dieu le pardon de ses péchés pour être lavé et nettoyé de toute souillure ? Qu’est-ce que cela, sinon une indulgence plénière ? L’Église catholique est plus exigeante que cela, il lui faut plus qu’un aveu ou une simple demande ; elle veut une profonde humilité devant Dieu, la confession de nos péchés, accompagnée d’un grand repentir et d’une ferme résolution de ne plus pécher, pour en obtenir le pardon ; c’est-à-dire qu’elle exige une vraie conversion, et déjà il est aisé d’entrevoir que le péché trouve dans l’indulgence plénière son plus mortel ennemi ; elle veut encore que nous recevions dignement la sainte communion. La confession et la sainte communion reçues dignement remettent la peine éternelle. Le tout doit être suivi de l’aumône, si nous le pouvons, de la prière pour l’Église toute entière, pour ceux qui l’ont abandonnée, pour la paix et la bénédiction du ciel pour tous, et enfin de toutes autres bonnes œuvres que l’on est en état d’accomplir, telles que le jeûne, la mortification, etc. ; ces dernières conditions bien remplies remettent la peine temporelle. Voilà comment l’indulgence plénière est accordée. Eh bien ! n’est-il pas vrai qu’accuser notre Église de donner la permission de pécher ou de vendre le ciel à prix d’argent, quand elle exige de telles conditions, est une absurdité trop grande pour être admise par aucun homme raisonnable ?

— Vous ne nierez pas, cependant, dit M. Johnson, qu’il existe aujourd’hui dans votre Église des coutumes et des cérémonies qui n’étaient pas en usage dans les premiers siècles, et que plusieurs d’entre elles sont contraires à l’Évangile ?

— L’Église catholique approuve des pratiques et des cérémonies qui n’étaient pas en usage du temps des Apôtres, il est vrai ; mais pas une de ces pratiques ou de ces cérémonies n’est contraire à l’Évangile ; au contraire, elles sont comme autant de monuments et d’ornements posés par les apôtres ou leurs successeurs à l’édifice de l’Église pour en honorer le divin architecte. De même qu’une famille aime à orner sa demeure, de même le catholique aime à orner son Église, en y plaçant des monuments impérissables.

— Permettez-moi de vous donner une idée des pratiques et des cérémonies adoptées par notre Église de temps à autre depuis les Apôtres, dit Gustave.

— Certainement, dirent plusieurs voix.

— Il existe dans notre Église, reprit Gustave, une confrérie appelée Adoration perpétuelle ; chacun de ses membres doit passer une heure, par jour ou par semaine suivant le nombre, devant le sacrement de nos autels ; et là, prosterné devant notre divin Sauveur, il doit lui demander pardon des affronts et des injures qu’il reçoit des pécheurs qui le méprisent ; il le prie d’oublier les ingratitudes des hommes qui osent se révolter contre lui ; il l’implore de répandre ses grâces et sa miséricorde sur le monde entier, sur sa famille, ses parents, ses amis et ses ennemis. Remarquez bien, chaque membre a son heure particulière le jour ou la nuit, de sorte que pas une heure, pas une minute ne se passe sans que les uns ou les autres de ces membres soient occupés à prier et à tenir compagnie à Jésus dans l’Eucharistie.

— Dites-moi, ajouta le prêtre, cette pratique est-elle contraire à l’Évangile ? Ne prouve-t-elle pas, au contraire, le grand amour dont ces âmes pieuses brûlent pour Jésus-Christ, qu’elles ne veulent pas quitter un seul instant ? Peut-on taxer d’erreur une Église qui approuve une aussi pieuse pratique ?

— Je suis forcé d’avouer que cette pratique me paraît logique, dit M. Johnson.

— Et très bonne, et il en est ainsi de toutes les autres pratiques et cérémonies approuvées par l’Église catholique ; elles ont toutes pour motif l’honneur et l’amour de Dieu et de ses saints.

— Et c’est pendant ces pratiques et ces cérémonies que les catholiques marmottent des « Ave Maria » sur leurs chapelets, dit M. Dumont avec ironie.

— Si les catholiques marmottent en répétant des « Ave Maria » sur leurs chapelets, les chérubins, qui ne cessent de répéter, Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu des armées, doivent en faire autant.

— Les chérubins ne sont pas des protestants, dit Gustave.

— Ils ne sont pas plus des catholiques, dit M. Dumont.

— Dites donc plutôt, dit le prêtre, que les catholiques ne sont pas tous des chérubins ; cependant ils en approchent plus que vous, protestants ; au moins ils cherchent à les imiter.

— Mais pourquoi ces pénitences, ces cérémonies, ces jeûnes et ces mortifications ? dit M. Dumont ; toutes ces choses ne constituent pas la religion toute de cœur que Dieu demande de nous. Ces jeûnes à temps fixe, ces prières répétées trop souvent, ces pénitences et ces disciplines sont contraires à l’esprit des saintes Écritures, et doivent être rejetées parce qu’elles ne sont pas nécessaires.

— Je suis vraiment édifié de vous voir critiquer et rejeter des œuvres que Jésus-Christ a faites lui-même. N a-t-il pas jeûné, mortifié son corps, subi toutes les humiliations, souffert toute sa vie ? Et pourquoi ? Avait-il besoin, lui un Dieu, de faire toutes ces choses ? Allez-vous lui dire qu’il n’était pas nécessaire d’agir ainsi ? Vous devez convenir que, s’il a agi ainsi, c’était pour nous faire comprendre combien ces œuvres sont nécessaires au salut et que nous devons suivre son exemple. C’est ce qu’ont fait les Apôtres et tous les bons chrétiens depuis. Écoutez ce que disent saint Pierre et saint Paul dans leurs épîtres :

Mais je châtie mon corps rudement, et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même. (Saint Paul, 1re Épitre aux Corinthiens, chap. 9, verset 27e.)

N’abandonnez pas vos membres au péché comme des instruments d’iniquité, mais donnez-vous à Dieu, comme devenus vivants, de morts que vous étiez, et offrez-lui vos membres pour servir d’instruments de justice. (Le même, Épître aux Romains, chap. 6, vers. 13e.) Efforcez-vous donc de plus en plus, mes frères, d’affermir votre vocation et votre élection par les bonnes œuvres, car en agissant ainsi, vous ne pécherez jamais. (Saint Pierre, 2e Épître, chap. 1er, verset 10e.)

— Je le répète, dit M. Dumont avec emphase, toutes ces pénitences, ces jeûnes, etc., ne sont que vanité de la part de ceux qui les mettent en pratique ; ils croient en cela mériter ou obtenir leur justification au jour du jugement. Pauvres aveugles, ils ne savent pas qu’en agissant ainsi, ils méprisent la toute-puissance de la passion de ce Sauveur qui a tout fait pour nous ; c’est amoindrir les mérites infinis de la Rédemption.

— C’est-à-dire que Jésus-Christ ayant tout fait pour nous, il ne nous reste rien à faire pour nous-mêmes. S’il en est ainsi, n’êtes-vous pas coupables de tenir les peuples dans l’ignorance ? Pourquoi ne leur prêchez-vous pas un sermon final en leur disant ouvertement : Frères bien-aimés, nous venons vous annoncer une grande nouvelle qui va remplir vos cœurs d’une joie des plus vives ; une nouvelle ne datant pas d’hier, mais du jour où Notre-Seigneur est mort sur la croix pour nous. Le Christ, en mourant, a acquitté toutes nos dettes spirituelles ; il nous a lavés et purifiés complètement de tous nos péchés passés, présents et à venir. N’essayez pas d’amoindrir ou d’insulter aux mérites infinis de la Rédemption et à sa toute-puissance, en faisant quelque chose pour vous-mêmes ; fermez vos églises, brûlez vos bibles, vous n’en avez pas besoin ; la foi seule suffit pour être sauvé ; toute bonne œuvre est inutile ; le jour de la grande liberté est arrivé : plus de prêches, plus de mortifications et, ce qui vaut encore mieux, plus de péchés à expier. Gloire à Dieu, gloire à Jésus-Christ qui nous a tracé un chemin si facile pour opérer notre salut. Oui, réjouissez-vous dans…

— Vous allez trop loin, dit M. Johnson en l’interrompant, le ridicule n’est pas un argument.

— Non, mais il tire les choses au clair quelquefois ; et ce sermon que je me suis permis de faire en plaisantant, est tout à fait en rapport avec vos avancés. Vous dites que le catholique croit devenir son propre sauveur en pratiquant les bonnes œuvres que son Église demande de lui. Je le me complètement dans le sens que vous prétendez. Le catholique sait aussi bien, sinon mieux que le protestant, que Jésus-Christ est le seul Sauveur ; que le salut de son âme dépend des mérites infinis de sa passion et de sa mort. Mais il sait aussi qu’il y a un étroit sentier tracé par ce divin Sauveur pour atteindre et obtenir ce salut ; cette croyance est basée sur sa foi, et cette foi il la regarde comme un don gratuit de Dieu qu’il veut mettre à profit. Il cherche donc ce que ce divin Sauveur a enseigné, c’est-à-dire cet étroit sentier qu’il a tracé ; l’ayant trouvé, il se dit en lui-même : Je ne puis rien si je ne suis aidé de la grâce de Dieu ; il me faut donc la demander avec ferveur, si je veux que mon âme coopère à cette grâce, autre don de Dieu, afin d’obtenir ma justification.

— Attendez, monsieur, dit M. Dumont ; nous ne pouvons mériter la grâce de nous-mêmes, encore moins notre justification. Tous les efforts que nous pourrions faire, ne sauraient être efficaces pour justifier nos âmes devant Dieu. Seule, la justice parfaite peut justifier ; la nôtre est toujours imparfaite, malgré toutes les bonnes œuvres de notre part ; ainsi ce n’est que sur la parfaite justice de Jésus-Christ que nous pouvons espérer la justification.

— Et essayer d’y joindre nos œuvres imparfaites, toutes bonnes qu’elles soient, dit M. Johnson, et entreprendre de nous aider nous-mêmes c’est agir comme des insensés qui ne savent pas honorer et respecter le grand œuvre de notre divin Rédempteur.

— La grâce, je le répète, dit le prêtre, est un don de Dieu, qui la donne gratuitement si nous la demandons avec ferveur. Quoique l’homme ne puisse mériter la grâce de la justification par ses bonnes œuvres, Jésus-Christ, par sa passion et sa mort, l’a méritée pour lui ; autrement à quoi serviraient-elles ? Vous savez comme moi que nos premiers parents, Adam et Ève, dès qu’ils furent créés, eurent des devoirs à remplir, quoiqu’ils fussent en état d’innocence et de sainteté ; plus tard, ils désobéirent à leur créateur, c’est-à-dire, refusèrent d’accomplir les bonnes œuvres qui leur avaient été imposées ; la conséquence fut qu’ils perdirent pour toujours, et avec eux leurs descendants, tout droit à l’entrée du paradis. Ni son retour à Dieu, ni ses pleurs, ni ses bonnes œuvres ne pouvaient donner l’espérance du salut à l’homme déchu par la faute originelle ; il était perdu sans ressource, et ce péché l’excluait à jamais de la présence de Dieu. Mais ce Dieu miséricordieux eut pitié de lui, et il envoya son divin Fils pour le racheter, lui rendre l’innocence et les droits qu’il avait perdus par son péché. Par la Rédemption, ce divin Sauveur lui a donné le moyen de travailler à son salut, et les portes du ciel furent ouvertes de nouveau pour lui, à condition qu’il se rendît digne d’y entrer. Écoutons saint Paul au 3e chap. de son épître aux Romains, versets 23 et 24 : Tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu ; ils sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la Rédemption qui vient de Jésus-Christ. Ainsi Dieu donne, par les mérites de Jésus-Christ, à l’homme qui la désire et la demande avec ferveur, une grâce suffisante pour l’amener à la connaissance de la vérité et à la justification par la foi et le baptême. Une fois que cette homme est justifié, c’est-à-dire dans un état de grâce habituelle, il a encore besoin d’une affluence de grâces actuelles pour l’exciter et l’aider dans l’accomplissement des bonnes œuvres qui, faites dans cet état de grâce continuelle, deviennent méritoires, non par elles-mêmes, mais comme procédant de la grâce fructifiante et des mérites infinis de désus-Christ, et il mérite ainsi un surcroît de grâces en ce monde et la couronne de gloire dans l’autre. Tout vient donc au nom et par les mérites du divin Sauveur qui, comme je l’ai déjà dit, nous a mérité la grâce de pouvoir travailler à notre salut. Voilà ce que le catholique croit, mesdames et messieurs.

Pendant que le digne prêtre parlait ainsi, on pouvait entendre un murmure d’admiration parmi ceux qui l’écoutaient. Quelle sublime doctrine ! disait l’un des plus âgés.

— Oui, répondit son voisin, une si belle doctrine ne saurait être entachée d’erreur.

— Le catholique est certainement meilleur que nous le pensions, disait un autre.

— C’est pour obtenir cette foi vive, cette grâce de la justification, reprit le prêtre, que nous voyons tant d’âmes pieuses coopérer avec elles en accomplissant toutes les bonnes œuvres que cette foi et cette grâce nous inspirent ; c’est pour elles que nous voyons tant de vierges sacrifier et abandonner les richesses et les plaisirs de ce monde, pour acquérir des trésors spirituels dans ces maisons où se pratiquent tant d’actes d’héroïsme et de charité ; c’est pour elles que nous voyons tant de zélés missionnaires pénétrer, au risque de leur vie, jusque dans les pays les plus barbares, pour y prêcher Jésus-Christ. Si je vous ai dit cela, mesdames et messieurs, c’est que mon plus grand désir est de vous faire connaître l’Église catholique. Mais je dois me retirer, ajouta-t-il, j’espère que mes remarques ne vous ont point offensés. Et, après avoir salué, il se retira, laissant ses auditeurs absorbés dans leurs réflexions.