Gustave III et la Cour de France/02

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GUSTAVE III
ET
LA COUR DE FRANCE

II.
L'ESPRIT FRANCAIS EN SUEDE. — L'EDUCATION DE GUSTAVE III. — SON PREMIER VOYAGE A PARIS.


I

Ce n’est pas du règne de Gustave III que date l’imitation des mœurs et de l’esprit français en Suède. Sans remonter jusqu’au temps de la reine Christine, la période qui s’était écoulée depuis la mort de Charles XII avait vu la Suède faire appel aux influences étrangères, particulièrement à celle de la civilisation brillante qui attirait tous les regards de l’Europe vers la France du XVIIIe siècle. Nous avons dit, il est vrai, que l’époque de la liberté fut en Suède un temps de profonde anarchie, qui rendait ce pays inutile à ses alliés et accumulait sur lui de graves dangers extérieurs ; mais la corruption politique dont nous avons tracé le tableau ne dura pas assez longtemps pour étouffer l’énergie intellectuelle dont un peuple encore jeune se sentait animé, et les rapports intimes qui unirent alors la France et la Suède contribuèrent, avec l’ardeur d’un siècle si fécond, à soutenir et à développer cette énergie. Avant de mettre un terme aux abus et de prévenir les dangers qu’avait enfantés l’anarchie, Gustave devait ressentir les effets de cette activité nouvelle, et son éducation, d’accord avec ses intérêts politiques, dirigea de bonne heure ses sympathies et ses pensées vers Paris et vers la cour de Versailles.

Pendant le XVIIe siècle, notre influence s’était exercée principalement sur les cours par notre politique, et sur les esprits d’élite par notre littérature. S’élargissant sur une si ferme base, cette influence se répandit au loin pendant le siècle suivant ; elle descendit parmi les peuples, dans les classes moyennes ; elle servit d’organe à quelques-unes des idées les plus conformes à la justice éternelle et au bon sens, et si elle ne fut pas sans mélange, c’était à ceux qui la recevaient de faire leur choix et de se défendre, car, loin de détruire chez les nations l’originalité propre, elle tendait au contraire à l’encourager et à la soutenir ; elle excitait plus encore qu’elle ne dominait, elle éveillait au lieu d’assoupir ; elle était de nature à secouer la lenteur, à enhardir la timidité, à rassurer l’inexpérience en la dirigeant, bien plutôt qu’à éteindre le génie national ; elle était en un mot désintéressée dans son œuvre. La preuve en est que le moment de son action la plus intense a été immédiatement suivi, comme on l’a vu au commencement du XIXe siècle, d’un réveil du sentiment individuel plus énergique et plus profond que jamais dans chacune des nations de la famille européenne. Il en a été ainsi pour les peuples du Nord en particulier ; ils ont eu, après, leur période d’imitation française, une efflorescence remarquable d’originalité vive. La Suède, même pendant sa servitude apparente, avait ses libres esprits, ses oiseaux sauvages qui parcouraient les airs : Swedenborg et Bellman ; on ne saurait soutenir que l’influence française au XVIIIe siècle l’ait corrompue, et l’on peut d’autant moins accuser Gustave III que cette influence était puissante en Suède longtemps avant lui. Charles XII prenait grand plaisir à des mascarades copiées sur les fêtes somptueuses de Versailles, ou bien aux représentations du Bourgeois gentilhomme, qu’on jouait à sa cour avec tous les intermèdes et « agrémens ; » il se faisait lire les tragédies de Racine dans ses campagnes, et nulle ne lui plaisait plus, on le comprend, que Mithridate, où il goûtait fort le grand projet médité par le roi barbare contre les Romains. On lui lisait aussi Boileau ; mais, arrivé un jour à ce passage de la huitième satire où l’auteur traite d’écervelé, en vers fort plats à vrai dire, le héros macédonien, il arracha le livre des mains de son lecteur Fabrice et le mit en pièces. Charles XII signait de Bender, comme Napoléon de Moscou, des ordonnances concernant sa troupe ordinaire de comédiens français ; c’était là ce même roi qui refusait de parler aux ambassadeurs étrangers autrement que dans sa langue, et qui ne consentait pas surtout à parler français malgré l’usage presque constant déjà de la diplomatie. Avec sa rudesse naïve, qu’il ne pratiquait d’ailleurs qu’envers lui-même (car il était doux et bon envers les autres), avec son orgueil national un peu farouche, et vis-à-vis des cours souvent intraitable, épris cependant d’un goût, au moins passager, pour nos fêtes et d’un respect plus durable pour notre littérature, Charles XII représente bien cette Suède et peut-être même cette Europe du commencement du XVIIIe siècle, rendant un hommage spontané et presque involontaire à la France, sans toutefois se laisser asservir.

Immédiatement après lui, la période de la liberté, qu’on oppose quelquefois au règne de Gustave comme plus originale, a dû précisément à l’influence française quelques-uns de ses meilleurs fruits. Ce serait une longue et curieuse histoire que celle de cette invasion de l’esprit français chez un peuple lointain et ami ; il ne serait pas impossible (mais cette tâche excéderait nos limites) de la reconstruire tout entière. La philosophie française avait rencontré de bonne heure en Suède des disciples intelligens et dévoués. L’ancienne scolastique, qu’avait à peine ébranlée la doctrine de Ramus, y fut vaincue par le cartésianisme pendant les vingt dernières années du XVIIe siècle, non sans de rudes combats, dont seraient témoins les centaines de liasses intitulées cartesiana qui couvrent les tablettes de la bibliothèque d’Upsal. L’influence de la nouvelle philosophie se fit immédiatement sentir dans l’enseignement et dans la science. Une logique plus rigoureuse et plus conforme à la raison, un langage plus élevé à la fois et plus simple régnèrent dans les universités. « Il y a un certain nombre de vérités primordiales auxquelles se rapporte la science humaine et qui la contiennent tout entière. Elles sont comme les indestructibles Hermès marquant le chemin royal que doit suivre toute recherche intellectuelle jalouse d’atteindre le but ; ce but est la vérité, vers laquelle tendent toute pensée humaine, tout soupir incessant de la créature, tout effort, même obscur, de la création. Il ne faut point chercher la vérité dans la multiplicité et la variété infinies, elles n’en peuvent offrir que le fugitif reflet ; mais il y a au fond des connaissances humaines quelque chose d’impérissable, et le choix est nécessaire d’un petit nombre d’idées maîtresses, seules capables de nous conduire hors du labyrinthe des philosophies. De même qu’à mon avis c’est l’objet des sciences naturelles de comprendre tous les phénomènes sous le plus petit nombre de lois possible, de même je crois que la logique et la métaphysique doivent tendre à ramener à quelques principes et à quelques idées élémentaires ce superflu d’argumens et de formules qui embarrassent maintenant la simple vérité… » Ainsi s’exprimait vers 1730 un des premiers cartésiens en Suède, un professeur de l’université de Lund, nommé Rydelius, dont on pourrait citer beaucoup de pages semblables, et que les Suédois comparent à notre Fénelon. Ce ferme langage, qui contrastait avec les habitudes d’une scolastique confuse, causait une vive sensation et marquait le point de départ d’une période nouvelle. La vraie méthode philosophique devait profiter d’abord à la science : Linné s’en empara. Voilà le grand esprit qui, pendant la période de la liberté, représenta fidèlement en Suède, avec une originalité incontestable, les meilleures inspirations du XVIIIe siècle, son ardente curiosité d’esprit, son goût de logique rigoureuse et claire, son amour de l’humanité. Il partagea les faiblesses de son temps, non pas l’indifférence religieuse ni le scepticisme, mais au contraire une certaine superstition fort commune dans un siècle qui prétendait s’être affranchi de tous préjugea et de toute discipline. Ce que d’autres avaient mérité par l’orgueil, il le subit par une sorte de timidité. Contemporain de Voltaire, compatriote de Swedenborg, il eut à un très haut degré la clairvoyance et la perspicacité qui semblaient être alors les apanages de l’esprit français, et, par un singulier contraste, il céda en même temps à ces tendances mystiques que les peuples du Nord commençaient à répandre en Europe[1].

La Suède s’était familiarisée avec notre littérature comittee avec notre philosophie ; on jouait à Stockholm Molière et Racine ; Boileau était traduit, et des poètes nationaux comme Greutz et Gyllenborg adoptaient les préceptes les plus sévères de notre versification et de notre goût. Voltaire, par l’avènement de la mère de Gustave III, avait pris possession pour ainsi dire d’une province nouvelle, et régnait désormais à Ulricsdal et à Drottningholm, : où résidait la cour suédoise, aussi bien qu’à Potsdam. Il comptait depuis longtemps Louise Ulrique, comme ses sœurs, la princesse Amélie et la margrave de Bayreuth, dans sa clientèle princière : il lui adressait de petits vers, un quatrain sur les premiers cheveux blancs du grand Frédéric, un impromptu sur une rose que ce héros avait désirée ; elle lui répondait par des épîtres où les neuf sœurs, Mars, Morphée, l’Hélicon et Cythère étaient invoqués sans cesse. Voltaire l’encourageait : « Quoi ! vous faites des vers, madame ! et vous en faites comme le roi votre frère ! C’est Apollon qui a les muses pour sœurs. » Depuis qu’ils avaient une reine philosophe et depuis que leurs poètes se proclamaient ses élèves, Voltaire trouvait de l’esprit aux Suédois ; il poussait la condescendance jusqu’à promettre de refaire son Charles XII. C’est le théâtre surtout, pendant le XVIIIB siècle, qui, avec ses séductions de tout genre, popularisa au loin notre esprit et nos mœurs. Il paraît qu’on avait songé pour la première fois en 1699, sous Charles XII, à faire venir à Stockholm une troupe française, et, malgré la série de guerres qui s’ouvrit dès l’année suivante, les représentations continuèrent jusqu’en 1705 ; mais alors la disette d’argent et les malheurs publics y mirent un terme. Rosidor, chef de la troupe, revint en France avec ses camarades Savigny et Duchemin, ce dernier pour faire depuis une certaine fortune à Paris dans les rôles à manteau. Après deux nouvelles tentatives, la comédie française fit enfin un établissement durable au temps de la jeunesse de Gustave III. Tout était profit pour la Suède dans cette importation : l’art dramatique avait été exploité jusque-là dans ce pays par des troupes allemandes ; elles représentaient dans un jargon informe le Docteur Faust, l’Homme riche et Lazare, Nos Pères avant la chute, débris des anciens mystères, qui n’apparaissaient plus que comme des bouffonneries sans nom. Les novateurs, parmi ces comédiens errans, avaient toutefois commencé à jouer dans les villes suédoises les comédies du poète danois contemporain Holberg, et c’était frayer les voies à la comédie française, car Holberg, avec son originalité réelle et profonde, est en même temps et s’intitule lui-même disciple de Molière. D’autre part, les beaux esprits suédois, grands seigneurs et courtisans, s’étaient épris de la scène française à Paris même, grâce à de nombreux voyages. Le comte Charles Fersen, un des chefs du parti des chapeaux, et que le baron de Breteuil appelait dans ses dépêches « un grand républicain, » doué d’une belle physionomie et d’une taille imposante, avait cédé à cette passion jusqu’à s’engager sous un faux nom dans plusieurs théâtres des provinces de France. Ce farouche partisan, avant de tonner dans les diètes suédoises, avait interprété sur nos scènes les principaux personnages de la tragédie classique. De retour dans sa patrie, il avait mis cet amusement à la mode et fait jouer nos pièces par les cavaliers et les dames de la cour. Lors donc que des troupes de comédiens français voulurent s’établir définitivement en Suède, elles trouvèrent les esprits tout préparés, et firent promptement disparaître les troupes allemandes, qui ne pouvaient lutter avec elles. Leur influence éveilla le goût public et suscita peu à peu la création d’une scène nationale. Dalin et Gyllenborg traduisirent d’abord, il est vrai, un bon nombre d’ouvrages français ; mais bientôt ils composèrent, sur les données que leur fournissaient en abondance les annales de leur patrie, des pièces bien supérieures à ce qu’on avait écrit jusqu’alors, et la Suède fut en possession d’une littérature dramatique.

Le goût des beaux-arts devait se développer aussi à la suite des rapports devenus intimes entre Stockholm et Versailles. La Suède avait reçu indirectement une première leçon de l’Italie : les glorieux capitaines de Gustave-Adolphe avaient, pendant la guerre de trente ans, dépouillé l’Allemagne méridionale et surtout la Bohême, où Rodolphe II avait voulu ériger une nouvelle Athènes. Quelques-uns des chefs-d’œuvre de la renaissance s’étaient trouvés ainsi transportés sous le climat du Nord. Pour les recevoir, leurs nouveaux possesseurs construisirent de riches habitations, dont les modèles furent empruntés d’abord à l’architecture italienne ; un peu plus tard seulement, on imita la France de Louis XIV. Si l’on veut constater en quelle mesure ces divers enseignemens profitèrent à la Suède, on n’a qu’à feuilleter les trois beaux volumes in-folio de l’ouvrage du comte Dahlberg, Suecia antiqua et hodiema (la Suède d’autrefois et d’aujourd’hui). Dahlberg était contemporain et rival de Vauban et de Cohorn ; il a construit d’innombrables fortifications depuis les frontières de la Laponie jusqu’à Brème et des côtes du Gattegat aux rives du Ladoga ; le marquis de Montalembert passe pour avoir repris quelques-unes de ses traditions. Il était en même temps dessinateur fort habile ; après avoir, avec le secours de nombreux graveurs français, composé pour plusieurs grandes publications historiques des dessins aujourd’hui recherchés, figurant les fêtes et les batailles, il s’occupa exclusivement du Suecia, son principal ouvrage. Ce beau livre se compose de trois cent cinquante-trois gravures représentant les villes, châteaux et églises de la Suède vers le commencement du XVIIIe siècle. Le célèbre artiste français Sébastien Leclerc, le même qui a gravé les Batailles d’Alexandre d’après Lebrun, les Conquêtes de Louis XIV, les Médailles, jetons et monnaies de France, etc., fut son principal auxiliaire. Dahlberg acheva seulement quelques mois avant sa mort, en 1702, cette œuvre de cinquante-deux années, qui ne fut publiée qu’en 1716. Un tel monument étonna l’Europe ; donné en présent à toutes les cours, ainsi qu’aux hommes les plus éminens en France, en Angleterre, en Allemagne et en Italie, il montra aux regards surpris une Suède somptueuse, avec un nombre infini de résidences magnifiques, rivales de Fontainebleau, de Marly et de Versailles. La réalité répondait-elle à ces représentations fastueuses ? Oui, en partie. Il est vrai que maint propriétaire noble avait transmis à Dahlberg le plan de son château non pas tel qu’il était véritablement, mais tel qu’il devait être un jour ; maint édifice encore aujourd’hui incomplet figure dans l’ouvrage comme s’il était achevé. Il n’y avait sans doute pas en Suède autant de Le Nôtre que ces dessins en feraient supposer ; cependant le tableau est véridique à tout prendre : il nous montre ce que l’aristocratie avait jadis possédé de richesse effective, et par quel luxe éclairé elle avait contribué à former le goût de la nation. La Suède a conservé jusqu’à notre temps de beaux vestiges de cette ancienne grandeur ; on en peut juger par l’admirable résidence de. la famille de Brahé, à Skokloster[2].

La royauté avait continué ces traditions de la noblesse suédoise ; le château royal de Stockholm, avant et après le grand incendie du 18 mai 1697, dut reproduire l’idée d’une monarchie qui venait d’usurper et qui affichait la toute-puissance. On convia pour l’embellissement de ce palais et d’autres résidences royales ou princières les principaux disciples et quelques-uns des maîtres de l’école française ; beaucoup de leurs travaux, achevés pendant la période qui précéda immédiatement le règne de Gustave III, subsistent aujourd’hui, de sorte qu’en visitant ces belles galeries construites au XVIIIe siècle, le voyageur français croit retrouver à cinq cents lieues de Paris quelque Versailles inconnu. Non-seulement la cour de Suède faisait de nombreuses commandes à Coysevox, Natoire, Chardin, Oudry, Boucher, mais des artistes distingués allaient s’établir à Stockholm, où les attiraient des offres avantageuses. On eut ainsi la famille des Chauveau, qui méritèrent une grande estime et obtinrent certains privilèges étendus plus tard à tous les étrangers résidens, les deux peintres Thomas et Hugues Taraval, et le sculpteur Philippe Bouchardon ; l’académie suédoise de dessin dut sa constitution définitive à ces deux derniers artistes. Philippe Bouchardon porta depuis 1741 le titre de « statuaire de la cour de Suède ; » après sa mort en 1753, son emploi fut offert au sculpteur Larchevêque. Celui-ci, après un contrat passé avec le ministre de Suède à Paris, alla s’établir pour vingt-deux années à Stockholm, où il devint directeur de l’académie de peinture et de sculpture. Cette capitale lui doit, sans compter ses travaux dans le château royal, plusieurs des statues qui la décorent aujourd’hui : le Gustave Vasa, sur la Place des Nobles, fondu en 1770, œuvre un peu lourde, mais grave et imposante (Mme de Staël l’appelait le Jupiter Olympien de la Suède) et la belle statue équestre de Gustave-Adolphe, sur la grande place qui fait face au pont principal et au château.

Un développement économique et industriel avait accompagné le mouvement de la littérature et de l’art, car l’effervescence générale du XVIIIe siècle, ayant gagné la Suède, s’y manifestait dans toutes les directions, et c’était encore à la France qu’on venait demander, en vue de cet autre essor, des exemples et des encouragemens. Déjà, pendant les premières années du siècle, l’illustre ingénieur Polhem[3], après avoir étonné à Versailles Louis XIV et Perrault par d’habiles travaux de mécanique, avait mis la première main à l’œuvre de canalisation qui réunit aujourd’hui de Gothenbourg à Stockholm les eaux de la Baltique et celles de la Mer du Nord. Un autre grand citoyen fut Jonas Alströmer. Sa carrière industrielle ne commença qu’après qu’il eut étudié l’Angleterre et visité avec soin la France ; il vint s’enquérir à Tours de nos fabriques de soie, et à Saint-Germain de nos fabriques de bas, dont il essaya d’engager plusieurs ouvriers. Il quittait la France en toute hâte au mois de juillet 1723, sur la nouvelle qu’on le poursuivait à l’occasion d’une telle tentative, sévèrement interdite ; mais, pendant le voyage même de Paris à la frontière, il avait remarqué les vigognes de la ménagerie de Chantilly, et résolu d’acclimater dans le Nord ces utiles animaux ; il avait vu fabriquer dans Abbéville nos plus fines draperies, et rêvé de doter sa patrie d’une semblable fabrication. De retour avec le projet arrêté de créer en Suède l’industrie du coton et de la laine, il lui fallait à toute force, en dépit des précautions égoïstes avec lesquelles chaque nation s’efforçait alors de cacher aux yeux des étrangers ses procédés industriels, se procurer au dehors des métiers, des instrumens à carder, à fouler, à peigner la laine, puis la laine elle-même, les drogues nécessaires à la teinture, les ouvriers enfin. C’était de France et de Hollande qu’il obtenait clandestinement, et au prix de véritables dangers, ce précieux butin. Il devait traverser vingt fois la mer, échapper à d’activés poursuites, soustraire à la rigueur des lois, avec les ouvriers qu’il embauchait, tout un matériel acquis à des prix exorbitans, par contrebande ; mais après toutes ces peines il rapportait dans son pays une source de richesse que les vingt années de paix intérieure dont la mort de Charles XII fut suivie allaient permettre de développer.

Dans son pays même, Alströmer eut à vaincre de nombreux obstacles. Sans entrer dans le détail de ses efforts, dont le récit serait dramatique, il suffira de dire qu’une visite du roi, en 1728, dans une bourgade voisine de Gothenbourg, transformée en moins de quatre années, marqua définitivement son triomphe. La petite ville suédoise d’Alingsos offrait alors des filatures de coton, des fabriques d’étoffes de laine, de draps, de passementerie, de rubans, des teintureries, des mégisseries : elle devait grandir rapidement ; on y comptait quatorze mille ouvriers en 1754, dix-huit mille en 1761. Afin que la Suède cessât d’être asservie à l’étranger pour la matière première, Alströmer avait acclimaté les moutons anglais, ceux d’Espagne et de Maroc, les chèvres d’Angora, encore inconnues en Europe, sauf un seul individu apporté par Tournefort à Paris. Bien plus, il avait envoyé de France, dès 1723, des plants de pommes de terre, qui avaient prospéré dans tout le territoire d’Alingsos, tandis qu’on montrait encore ce tubercule dans la plupart des jardins botaniques d’Europe comme une plante rare du Pérou. Il paraît qu’il rencontra d’abord en Suède, à l’occasion de cette dernière culture, certaines résistances analogues à celles que Linné avait déjà trouvées sur sa route, quand des fanatiques lui avaient reproché d’avoir fait connaître les racines comestibles qui poussent dans le Nord à l’état sauvage : il ne convenait pas, à leur avis, de contrarier les jugemens de Dieu, à qui il pouvait plaire de châtier par la famine les péchés des hommes. Un autre contemporain affirme que lorsqu’on institua pour la première fois en Suède, sur l’ordre des états, le bureau de statistique, des consciences timorées craignirent pour la nation tout entière le châtiment que David attira jadis sur son peuple quand il en ordonna le dénombrement. De pareils témoignages doivent servir à faire mesurer la valeur des efforts que tentaient des patriotes comme Alströmer.

Son infatigable ardeur ne connut pas de limites une fois les premiers obstacles vaincus : il introduisit en Suède la culture du tabac, perfectionna par les procédés anglais la fabrication du fer, multiplia les raffineries de sucre, raviva la construction maritime et la marine marchande nationale, en faisant adopter une législation qui rappelait le fameux acte de navigation de Cromwell. Ses efforts contribuèrent à faire conclure avec la France (25 avril 1741) une convention qui resta pour un long temps le seul acte réglant les rapports commerciaux des deux pays. L’Angleterre avait été la première à comprendre quelles richesses contenait le sol de la Suède ; elle avait envoyé ses spéculateurs s’emparer de l’exploitation des mines, et bientôt, à la faveur de ces relations nouvelles, elle avait attiré dans sa marine beaucoup de matelots suédois. Averti par cet exemple et par le spectacle de l’activité qui régnait dans le Nord, le gouvernement français prit l’éveil, rechercha des liens plus étroits avec la Suède, et obtint la franchise du port de Wismar pour ses marchandises et denrées, avec des conditions égales pour ses armateurs à celles des nations les plus favorisées. C’est Jonas Alströmer qui, en faisant conclure un traité de paix avec Alger, ouvrit la Méditerranée au pavillon national et provoqua la création de la première compagnie suédoise du Levant, dont il devint un des chefs, comme il l’était de la première compagnie des Indes orientales ; c’est lui qui fit acheter le territoire de Barima, au sud de l’Orénoque, dans la Guyane du nord, territoire qui appartient encore aujourd’hui à la Suède, mais sans avoir jamais servi, comme il l’espérait, à un établissement colonial. Il mourut en 1761, comblé d’honneurs et de richesse, non sans laisser à ses concitoyens quelques avis consignés dans un livre qu’il intitulait la Prospérité de la Suède, si elle le veut bien ; la Suède ou plutôt les partis qui la divisaient ne le voulurent pas, et la mort épargna au grand citoyen le chagrin de voir ruiner par les guerres civiles une grande partie des établissemens qu’il avait fondés. Sa puissante impulsion ne devait pas toutefois rester entièrement inactive, et quelques restes importans de ses créations subsistèrent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; nos archives des affaires étrangères contiennent les curieux témoignages des efforts que tenta M. de Galonné, de 1785 à 1787, pour faire rentrer en France, de gré ou de force, ceux de nos ouvriers qui étaient allés s’établir dans la ville d’Alingsos, et y avaient monté des manufactures de bas de soie dont la concurrence donnait alors à la fabrique lyonnaise les plus vives alarmes[4].

Le mélange intime des peuples, non-seulement par les idées politiques et morales, mais par la communauté des intérêts matériels, par la navigation et le commerce, ne suffisait pas à la ferveur du XVIIIe siècle ; il excitait encore, on l’a vu, le développement intérieur de chaque pays, afin que de toutes parts des ressources particulières utilement exploitées vinssent concourir à la propriété commune : son génie d’initiative et d’invention a enfanté l’industrie moderne, et l’on sait de quelle façon il a recommandé le retour à l’agriculture, la réforme de ses procédés, toute la science nouvelle qui se rapporte à l’économie domestique : Joseph II labourait un champ en dirigeant de ses propres mains la charrue, et l’on se rappelle quel était l’engouement de la France pour les innovations agricoles, que la mode elle-même adoptait. Il n’en était pas autrement en Suède, d’après le curieux témoignage du comte Tessin, qui, de Stockholm, écrivait ces lignes en 1762 :


« Jamais l’agromanie n’a compté un si grand nombre d’adeptes ; c’est la maladie épidémique de nos jours. Les modèles multipliés de charrues à défricher, à creuser, à labourer, les aratoires, les sarcloirs, les semoirs imaginés par Tull, par Du Hamel, par Châteauvieux, par La Plombanie, par nos Suédois et par tant d’autres, sont d’une exécution dispendieuse et ne servent qu’à embrouiller. Pourquoi rendre compliqué un ouvrage dont la simplicité fait l’âme et le succès ? Que deux ou trois personnes sensées de chaque pays donnent des avis digérés à leurs compatriotes, il faut être de bien mauvaise humeur pour y trouver à redire ; mais que la mode fasse écrire à tout le monde des songes creux, et qu’un essaim de législateurs en agriculture nous fasse tourner la cervelle, c’est à quoi je ne saurais m’accoutumer. Cette manie passera comme toute autre, après avoir laissé son empreinte à notre siècle… Plus le monde est avide de projets, plus il faut être réservé à en donner : un repas d’affamés ne doit pas être servi trop chaud. »


Bien qu’ils fussent d’un moraliste un peu morose, ces conseils n’étaient peut-être pas hors de propos. Comme la France de Louis XV, la Suède, vers le milieu du XVIIIe siècle, était tourmentée d’une ardeur impatiente, d’une ambition d’esprit malaisée à satisfaire, d’un désir de prospérité matérielle surexcité par le souvenir des maux qu’elle avait subis et par le sentiment de ceux que les discordes intérieures lui imposaient encore. L’éducation de Gustave III allait se faire au milieu de tant d’excitations diverses, dans le désordre des guerres civiles, dans l’effervescence d’un siècle ami des réformes et des imitations étrangères, dans le bruit et le tumulte, qui risquent d’empêcher toute culture féconde. Cette éducation devait souffrir assurément de tant d’influences extérieures, non pas assez cependant pour étouffer dans le cœur du jeune prince un vif sentiment de patriotisme, ni pour affaiblir l’intelligente sympathie qui l’entraînait vers ses naturels alliés.


II

Dès sa première enfance, Gustave III fut privé d’une sérieuse direction, intellectuelle ou morale. Le roi son père, Adolphe-Frédéric, indolent et incapable, avait accepté à contre-cœur la domination que les états faisaient peser sur lui ; il déclarait tout net qu’il eût mieux aimé être « tambour en Allemagne » que roi de Suède, et il profitait des loisirs qu’on procurait à la royauté pour se livrer à la pratique de vulgaires métiers dans sa belle résidence de Drottningholm. La reine, Louise-Ulrique, la sœur du grand Frédéric, était belle et spirituelle, mais fière et dédaigneuse, et le dépit qu’elle avait de régner sans grandeur en Suède la préparait mal à veiller avec sollicitude sur le jeune prince auquel revenait un héritage qu’elle tenait pour peu enviable et même pour incertain. Une vive intelligence, fort digne de son temps, faisait de cette princesse une protectrice dévouée des sciences, des lettres et des arts ; mais elle avait aussi emprunté de son siècle une inquiète curiosité qui la rendait accessible aux théories les plus téméraires : on la vit, au lieu de s’enfermer dans les soins d’une éducation maternelle, expérimenter les doctrines de Rousseau sur un malheureux enfant nègre qu’elle avait reçu en cadeau de quelque voyageur. Elle voulut savoir ce que produirait chez cet être abandonné le naturel se développant à l’aventure ; elle imagina de le sevrer de toute sorte d’instruction intellectuelle, morale ou religieuse, et, comme l’expérience se faisait dans l’atmosphère corrompue des antichambres ou des alcôves de palais, son misérable jouet devint, comme on pouvait le prévoir, un triste et vil héros d’intrigue.

Gustave, né le 24 janvier 1746, avait deux frères et une sœur[5] ; mais le cérémonial des cours, observé rigoureusement alors, exigeait que l’héritier de la couronne reçût une éducation tout à fait séparée. Gustave rencontrait d’ailleurs dans son frère Charles une faiblesse de caractère et d’esprit qui lui rendit toujours son commerce peu sûr ; il n’eut aussi que plus tard des rapports de confiance mutuelle et d’amitié avec le prince Frédéric et la princesse Albertine. Jusqu’à l’âge de quatre ans, il fut confié à une gouvernante qui observait avec scrupule les traditions de cérémonial dont l’époque de la souveraineté royale avait laissé le souvenir. Au sortir de la main des femmes, le soin de son éducation fut revendiqué par les états, à qui la constitution de 1720 l’attribuait. C’était le moment où la diète, jalouse d’un pouvoir qu’elle sentait éphémère, exerçait une domination oppressive. Après avoir asservi la presse au nom d’une fausse liberté, elle voulut prendre en mains l’éducation publique, elle se plaignit de ce que les idées monarchiques servissent encore de base à l’enseignement des écoles, et une loi prescrivit partout une lecture assidue de la constitution de 1720 dans tous les tribunaux, et du haut des chaires dans toutes les églises. On devait l’expliquer selon l’esprit et selon la lettre dans les écoles et académies du royaume ; un livre officiel fut préparé pour diriger ce nouvel enseignement, et, jusqu’à la publication de ce manuel, rien ne pouvait être imprimé sur ce sujet. Le premier dogme imposé était l’irresponsabilité des états ; sur cette base, on luttait d’orthodoxie, et un évêque établissait en principe, pendant la diète de 1751, que l’idée que les états pourraient faillir était contraire à la loi fondamentale du royaume. L’éducation du prince royal n’importait pas moins que l’éducation publique, car il fallait se préparer un souverain docile ; cette importante mission fut confiée par les états successivement à deux gouverneurs, au comte Tessin et au comte Scheffer, tous deux chefs du parti des chapeaux. Voyons quelles idées et quelles influences ils appelèrent à leur aide, Tessin surtout nous appartient, non pas seulement à cause de son rôle principal auprès de Gustave, mais parce qu’il s’était fait le brillant élève de notre XVIIIe siècle, et qu’il a lui-même assez écrit en français pour être compté comme un des représentans actifs de notre littérature à l’étranger.

Charles-Gustave Tessin était le troisième et dernier représentant d’une famille qui brilla, en Suède et, on peut le dire, en Europe, d’un très vif éclat. Son aïeul, qu’on appelle souvent le premier Tessin, avait été célèbre architecte de la cour suédoise sous la reine Christine ; un reproche pèse toutefois sur sa mémoire : c’est lui qui modernisa, comme on dit à Rome, les monumens gothiques légués à la Suède par son moyen âge. Le second Tessin avait acquis, notamment par la construction du château royal à Stockholm, une telle renommée au dehors que Louis XIV le recevait à Versailles comme un grand personnage et faisait jouer les grandes eaux pour lui ; cette gloire lui avait valu des lettres de noblesse et une position très élevée. Le troisième Tessin hérita de son crédit ; tout en restant protecteur des arts, auxquels il devait sa haute fortune, il s’engagea dans la vie politique et se trouva porté rapidement aux premières fonctions. C’est à la France qu’il emprunta particulièrement les séduisans dehors, le goût éclairé, le respect des choses de l’esprit qui lui assurèrent parmi ses compatriotes une influence longtemps incontestée : son parent, le maréchal comte Éric Sparre, ambassadeur de Suède à Paris, dont Saint-Simon rapporte les reparties spirituelles, le faisait venir dès 1715 (il n’avait encore que vingt ans) et le présentait à Versailles. Tessin figurait comme ambassadeur lui-même à la cour de France de 1739 à 1742, et, grâce au crédit dans lequel il savait s’y maintenir, il y obtenait pour sa patrie d’importans avantages. Les écrivains et les artistes rencontraient dans ses salons la plus magnifique hospitalité, ou bien il les allait trouver lui-même dans les cercles à la mode, lisant ici et là ses œuvres françaises, comédies et contes : le vieux Fontenelle, Marivaux, Piron, Favart, le comte de Caylus, Boucher, étaient de ses amis. Il s’occupait en même temps de réunir d’importantes collections d’objets d’art ; à la mort de Crozat, en 1740, il acquit une bonne partie de son riche cabinet, et les admirables dessins de maîtres qu’il obtint de la sorte, dispersés ensuite, se retrouvent aujourd’hui soit au musée royal de Stockholm, soit dans nos galeries du Louvre. C’était d’ailleurs par son entremise et le plus souvent sur son avis, fort éclairé, que les commandes du gouvernement suédois parvenaient aux artistes parisiens. Tout cela contribuait à lui donner au milieu de notre société française une grande situation ; il y était devenu, comme l’appelle d’Argenson, le Lucullus suédois, le maître des élégances, magister elegantiarum. Telle était aussi sa renommée au dehors que Frédéric II, lors du mariage de sa sœur avec l’héritier de la couronne de Suède, en juillet 1744, demanda qu’il vînt représenter sa cour pendant les fêtes qui devaient avoir lieu à Berlin. Arrivés en Suède, Adolphe-Frédéric et Louise-Ulrique honorèrent d’abord Tessin d’une amitié toute familière : aux fêtes de Noël 1745, la princesse, déguisée en chauve-souris, une lanterne dans une main, une canne dans l’autre, venait le surprendre et s’attabler chez lui au repas de famille. Quelques semaines après, et le jour même de la naissance de Gustave III, elle envoyait à Tessin une plume d’or enrichie de pierreries avec laquelle il dut signer, suivant une promesse antérieure, l’engagement d’accepter la charge de gouverneur auprès du futur héritier de la couronne. Toutefois, quand le père et la mère de Gustave. III montèrent sur le trône en 1751, Tessin avait pris un rôle marqué dans les factions intérieures, et ce rôle n’avait pas toujours été d’accord avec les intérêts de la royauté : l’intimité dont il avait joui auprès de la jeune cour s’était donc refroidie ; mais il n’en resta pas moins gouverneur du prince royal de par les états, dont la confiance, par complicité de parti, lui était acquise.

Nous avons de Tessin plusieurs écrits qui ont de quoi nous intéresser. Il y a peu de chose à dire d’un petit roman intitulé Faunillane ou l’Infante jaune, écrit en français, et pour lequel le peintre Boucher avait préparé une série de dessins : œuvre nullement distincte des fictions puériles que produisait, sous prétexte de badinage, certaine classe d’écrivains de troisième ordre au XVIIIe siècle. Mais Tessin a laissé un immense Journal manuscrit, en vingt-neuf volumes in-folio, duquel on a formé, par des extraits bien choisis, deux volumes agréables[6], qui font connaître l’ensemble de sa vie et de ses idées. Nous avons de plus ses Lettres d’un vieillard à un jeune prince, écrites de 1751 à 1755, publiées aussitôt en Suède et traduites dans toute l’Europe. Sexagénaire et souvent mal en cour à cette époque, Tessin vivait dans une terre à quelque distance de la capitale, et rédigeait de là pour son élève, qui avait de cinq à neuf ans, des instructions graduées, tantôt sous forme de fables imitées ou traduites de Lamotte, tantôt sous forme d’épîtres auxquelles Gustave répondait quelquefois par des billets dont quelques-uns figurent dans ce recueil. Le Journal pouvant servir à corriger ce que le volume des Lettres présenterait de factice, et d’apprêté, l’examen comparé des deux ouvrages nous permet d’apprécier l’esprit et le caractère de Tessin et l’influence qu’il a pu exercer sur l’éducation de Gustave III. Or cette influence est toute française par l’inspiration première, par le l’on général, par le tour habituel de la pensée et du langage. Bien que la plus grande partie des deux ouvrages soit rédigée en suédois, un assez grand nombre de pages y sont écrites çà et là en français ; d’ailleurs plusieurs traductions des Lettres d’un vieillard, traductions publiées dès 1755, en avaient tellement répandu chez nous la lecture, que l’auteur était presque compté comme un des nôtres.

Non-seulement Tessin a été mêlé aux temps les plus brillans de la cour de Louis XV, mais il a vu Louis XIV et Fénelon ; c’est le précepteur du duc de Bourgogne, c’est le gouverneur du dauphin, M. de Montausier, qu’il prétend imiter dans ses écrits destinés au prince. Il suffit de feuilleter au hasard le Journal et les Lettres pour se convaincre qu’un souvenir respectueux et cher reporte constamment sa pensée vers les premières années du siècle :

«… Il est sûr, dit-il, que Louis XIV prenait plaisir à terrasser les gens par ses regards. Je le sais d’expérience, m’étant trouvé un jour à son dîner vis-à-vis de lui : il ne détacha pas ses yeux de dessus moi, me reconnaissant sans doute pour un étranger. Je me souviendrai toute ma vie de ce regard, tant il était perçant. Il mangeait d’ordinaire vite, parlait peu, et semblait chercher un objet pour essayer sur lui la force de son regard. »

« Je conserve un souvenir flatteur d’avoir vu M. de Fénelon, archevêque de Cambrai, prélat aussi pur dans ses mœurs que dans ses écrits. Il s’est parfaitement caractérisé lui-même en disant : J’aime mieux ma famille que moi-même, j’aime mieux ma patrie que ma famille ; mais j’aime encore mieux le genre humain que ma patrie. »

« J’ai vu représenter à Paris deux fameuses pièces de théâtre dans leur nouveauté, savoir l’Athalie de Racine en 1716 et l’Œdipe de Voltaire en 1718. La même année (1718), on donna pour la première fois, le 31 décembre, la petite comédie de Legrand intitulée le Roi de Cocagne. Je conserverai éternellement un souvenir douloureux de cette nouveauté, car ce fut ce soir même, dans la salle de la Comédie, qu’on me remit un billet de M. de Cronstrom, envoyé de Suède à Paris, par lequel il m’annonça la perte de Charles XII, ce prince si regretté de l’univers, si cher à son royaume, si coûteux à son peuple, si grand dans son malheur, si redoutable à ses ennemis et si bon à ses serviteurs. Voltaire serait de la moitié plus estimable s’il ne se fût jamais avisé d’écrire l’histoire de ce héros. Lui seul est capable de réparer le mal qu’il a fait en la refondant, car où est-ce qu’un autre que lui prendrait les charmes de son style ? Il faut détruire un enchantement par un autre du même magicien. »

« M. le maréchal de Sparre mourut à Stockholm le 4 août 1726. Sa mémoire est aussi chère en France que parmi nous. Son portrait en buste et en cuirasse, tenant à la main un bâton de commandement, est un original du fameux Largillière, peint en 1717. M. de Sparre était sans contredit le plus bel homme de son temps ; destiné, quand ce n’eût été que par sa seule figure, à faire fortune en France, son esprit et son courage achevèrent ce que sa bonne mine semblait annoncer. Ses saillies étaient des mots excellons, qui conservent encore toute leur force et leur finesse… Entre mille reparties, je me souviendrai toujours de celle qu’il fit au roi de France Louis XV. Au dîner de ce prince, où M. de Sparre se trouva avec les autres ambassadeurs, ministres et courtisans, le roi l’attaqua de conversation et lui dit, se rappelant sans doute quelque propos qu’on lui avait tenu : « Monsieur de Sparre, vous n’êtes pas de la même religion que moi, j’en suis fâché. J’irai un jour au ciel, et je ne vous y trouverai pas. » L’ambassadeur n’hésita pas un moment pour répondre : « Pardonnez-moi, sire, le roi mon maître m’a ordonné de vous suivre partout. » Un mot comme celui-là ne tombe pas à terre dans un pays comme Versailles ; aussi est-il encore de nos jours en l’air… »


On voit, d’après ces lignes, empruntées à son journal et écrites par lui-même en français, combien revenaient fréquemment sous la plume de Tessin, et certainement aussi dans ses entretiens avec son élève, ses souvenirs personnels d’un moment si brillant dans l’histoire de la société française et de la cour de Versailles. Dans ses lettres aussi, quand il veut offrir au prince les modèles des vertus héroïques et royales, c’est saint Louis, Henri IV, Louis XIV, Turenne et Condé, aussi bien que Gustave Vasa, Gustave-Adolphe et Charles XII, dont il invoque les exemples. Il admire franchement et interprète bien Molière ; il cite Mme de Sévigné sans cesse, et paraphrase les meilleurs préceptes de Boileau : ce sont déjà pour lui des classiques ; il semble qu’il comprenne quelle place utile ils doivent occuper dans une éducation libérale, et ils figurent dans ses lettres beaucoup plus souvent que les écrivains du XVIIIe siècle. Il est plein d’estime pour notre littérature historique et pour notre érudition : dans une lettre énumérant les ouvrages qui devront faire partie de la bibliothèque du prince, il ne manque pas de lui recommander les belles éditions ad usum Delphini ; il énumère toutes les principales sources de notre histoire, depuis la chronique de Turpin jusqu’aux mémoires du XVIe siècle, en désignant les meilleures éditions et en signalant même les divers manuscrits conservés dans la bibliothèque du roi, à Paris ; il a soin d’y ajouter, en vue d’une connaissance complète des premiers siècles de l’histoire de France, les grandes collections de Du Chesne et de dom Bouquet. Tessin est donc un lettré, à qui une certaine culture d’esprit a laissé de salutaires impressions et d’utiles souvenirs : il s’est épris de la France de son temps, qui attirait de partout les regards ; mais il a connu aussi une autre France, dont la majesté ne lui a pas échappé. C’est pour cela que sa morale, souvent douce et grave, le met à l’abri des erreurs les plus fâcheuses où tombent ses contemporains ; c’est pour cela qu’il est resté chrétien et que l’élévation de ses sentimens se traduit quelquefois par une certaine hauteur d’expression, comme dans ces lignes :


« Que penserez-vous, monseigneur, de ces prétendus philosophes qui ne veulent pas seulement voir ce que les païens voient, qui s’imaginent qu’il est d’un esprit fort et du bel air de donner tout aux préjugés et à l’éducation, de se refuser à la révélation, et de se jouer également de Dieu et d’eux-mêmes ?… Que votre altesse royale ne prête point ses oreilles aux discours de ces railleurs téméraires, qui s’étourdissent eux-mêmes pour ne pas reconnaître d’autre divinité que celle qu’ils se sont forgée… »


Et ailleurs :


« Malgré tant d’événemens qui se sont si rapidement succédé, les siècles futurs auront encore des nouveautés dans lesquelles nos descendans reconnaîtront, ainsi que nous le faisons, que Dieu en est le seul moteur, et que mille accidens que nous ne saurions prévoir sont autant de preuves de sa sagesse et de son attention à réveiller notre confiance en lui, et à nous encourager à faire usage de toute l’étendue de notre raison et de tous les ressorts de notre esprit. Tremblez, monseigneur, et armez-vous de vertus contre les événemens de vos jours, afin qu’ils ne vous prennent pas au dépourvu. Comptez que ce que les hommes ont déjà vu n’est encore rien, et que Dieu s’est réservé des opérations à lui seul connues pour éprouver notre foi et notre fermeté. »


Ce sont là de belles paroles assurément, d’un accent religieux, et qui sembleraient indiquer l’austérité de l’esprit et du cœur. Pourtant de tels passages sous la plume de Tessin ne sont pas les plus fréquens, et l’on reconnaît assez vite en lui, à côté de l’observateur instruit qui se souvient et médite, l’homme de cour et le bel esprit du XVIIIe siècle. Par exemple, il aime le théâtre comme l’aimait son temps, c’est-à-dire avec passion : lui qui jadis avait joué et composé des comédies, il est encore tout feu pour une cause qui lui est chère ; il écrit à Piron pour le presser, lui et ses confrères en littérature dramatique, de consacrer désormais à la vertu triomphante les mêmes talens avec lesquels ils montraient jusqu’ici la laideur du vice. Suivant lui, le théâtre doit contribuer à l’amélioration du genre humain ; il doit servir à l’éducation privée comme à l’éducation publique, et c’est avec une prédilection évidente qu’il revient souvent, dans ses lettres, aux anecdotes, aux préceptes, aux descriptions que ce sujet comporte. Il va jusqu’à l’excès quand il se plaît à discuter avec son jeune élève, âgé de sept ans, les conditions de l’art dramatique, et particulièrement de deux genres nouveaux qui s’annonçaient alors sur la scène française : le drame et l’opéra de sentiment ; il est clair que ses préoccupations l’entraînent. Sa lettre est curieuse en même temps pour l’histoire littéraire et comme témoignage des leçons qu’il offrait à Gustave III :


« Monseigneur[7], depuis que je n’ai eu l’honneur de vous voir, j’ai appris que votre altesse royale s’était fait un nouveau plaisir en se mettant au fait des comédies françaises. On m’a écrit qu’on en a représenté plusieurs, tant à Ulricsdal qu’à Drottningholm. Je ne suis point du nombre de ceux qui sont persuadés que dans la plupart des spectacles il y a un poison secret qui ne tend qu’à corrompre les mœurs. Je pense au contraire que, comme le corps a besoin de mouvement et d’exercice, l’âme veut du repos et du plaisir. Je regarde donc le spectacle comme on regarde un dessert agréable, servi pour amuser les convives après qu’on a ôté les mets solides… Dans son origine, la comédie n’avait d’autre but que de purifier la morale et d’en inspirer la pratique ; mais, comme le spectateur paraissait y prendre plus d’ennui que de plaisir, elle souffrit qu’on mêlât à ses jeux des critiques scandaleuses sur les mœurs et sur la conduite des particuliers. Vous trouverez par exemple dans Aristophane une muse mordante qui s’attache à rendre odieux et ridicules les plus grands hommes de son siècle. Si ce poète eut vécu sous le règne de Louis XIV, il eût mis un frein à sa plume, et il se serait contenu par l’exemple de Biancolelle[8], qui, pour s’être permis une critique insultante, fut condamné à ramer le reste de ses jours sur les galères de Marseille… Molière doit passer sans contredit pour l’auteur des meilleures pièces de théâtre que nous ayons aujourd’hui. Regnard est celui qui l’a suivi de plus près ; on doit regarder celui-ci comme le Plaute, et celui-là comme le Térence du théâtre français… On a introduit depuis peu sur ce théâtre un nouveau genre qu’on appelle le comique larmoyant, et qui voudrait tenir le milieu entre le tragique et le comique ; mais, comme ces sortes de pièces n’ont ni la force des tragédies ni l’enjouement des comédies, elles ne peuvent se soutenir longtemps. Je souhaiterais quelques réformes à la scène française. Je voudrais qu’on écartât cette quantité prodigieuse d’aventures romanesques, si rebattues et si ennuyeuses, et qu’on suivît de plus près et avec plus d’étude l’histoire dans les tragédies. Je sais de quelle conséquence est l’unité, qui borne une seule action à vingt-quatre heures, et la scène à un seul et même lieu ; mais, comme cette règle n’est établie que pour garder la vraisemblance, il me paraît que cette unité pourrait se relâcher dans certains endroits, La vraisemblance a-t-elle lieu lorsque je suis convaincu que tout ce qui m’est représenté n’est qu’un jeu de l’invention ? Qui peut croire par exemple que le Théâtre-Français soit la maison de ville de Rome ? Qui peut se mettre dans la tête qu’une grande perruque française et le large panier d’un acteur forment les habillemens d’un empereur romain ? Qui ne voit aussi que des violons et une grande musique ne s’accordent pas avec une tragédie lamentable et lugubre ?… »


Ces observations sont de nature à intéresser aujourd’hui l’historien de la littérature et des mœurs ; on voit que Tessin a suivi avec une attention singulière le développement et les innovations de notre scène : il pense évidemment aux pièces de La Chaussée et aux opéras de Rameau. La Chaussée avait le premier, dans la Fausse antipathie, dans le Préjugé à la mode, dans l’École des Mères, fait pleurer, comme on disait, à la comédie, — larmes factices, qui ne partaient pas d’une sincère émotion : « le mot de comédie larmoyante est du temps, dit un spirituel critique ; larmoyer n’est pas pleurer ; ces gens-là le savaient bien. » C’était le moment où notre théâtre, s’ouvrant à beaucoup de nouveautés, allait admettre, avec Debelloy, Laharpe, Lemierre, les sujets nationaux, les allusions politiques, les imitations étrangères, avec Diderot le drame sentimental et bourgeois. Il est curieux, à la vérité, de voir un étranger suivre pas à pas ce développement littéraire ; mais quelle figure ces pages faisaient-elles dans une série de lettres adressées à un enfant de sept ans ? Elles attestaient chez Tessin toute une série de souvenirs peu d’accord avec sa mission principale, et elles trahissaient peut-être une légèreté d’esprit qui, du gouverneur, risquait fort de passer à l’élève.

Tessin est encore l’esclave de son temps par sa foi excessive dans les maximes qui recommandaient alors d’instruire les enfans sans leur imposer la peine et le travail. Il raconte lui-même que tous les matins, pendant la toilette de son jeune élève, il lui faisait connaître les principaux métiers en lui montrant des gravures et en imitant par le geste et la voix les différens travaux ; sans aucun doute il ne faisait que disperser ainsi l’attention de l’enfant et l’accoutumer à un genre d’instruction des plus superficiels. Son livre décèle encore une confiance exagérée dans les moralités trop vagues ou trop hautes qui résultent de ses apologues. On sait combien le XVIIIe siècle se complaisait aux formules ; elles convenaient à sa prédication, parce qu’elles revêtaient d’enveloppes à la fois transparentes et légères les idées philosophiques et morales qu’il avait mission de répandre, et qu’il confiait à tous les vents : il jetait le grain, laissant à d’autres le soin de labourer assidûment la terre. Jamais plus de maximes d’éducation n’ont vu le jour, et jamais peut-être l’instabilité des caractères et, des esprits n’a plus empêché la communauté de travail silencieux, patient, dévoué, qui fait le vrai fonds de l’éducation humaine. De là le peu de solidité des doctrines de Rousseau, et de là aussi la vanité des creux préceptes dont les livres de Marmontel, de Berquin et de Mme de Genlis sont remplis. Enfans, ne lisions-nous pas dans Berquin « qu’on devient plus vertueux en se rapprochant de la nature, » et Mme de Genlis ne prétendait-elle pas, par le récit de ses aventures romanesques, enseigner à nos sœurs, avant leur huitième ou neuvième année, « qu’il faut avoir de l’empire sur soi-même, dominer les mouvemens de son cœur et les élans de sa passion ? » Tessin a mérité de pareils reproches : son livre est rempli de vagues axiomes qui ne devaient avoir aucune prise sérieuse sur le caractère d’un prince enfant. Son équivoque sagesse faisait à son insu de nombreuses concessions aux faiblesses de son temps. S’il ne donnait pas tête baissée et avec un visible excès dans les vices contemporains, il n’échappait pas assez à l’affectation générale du goût et du style ; elle se trahit fréquemment dans sa prose entremêlée de petits vers :

Aux cris des malheureux ouvre ton tendre cœur[9] ;
Goûte le suprême bonheur
De dispenser des dons, de répandre des grâces ;
Prends pour guide le Sentiment.
Ce n’est qu’en marchant sur ces traces
Qu’on est un prince vraiment grand…

« Il est d’autant plus nécessaire, mon très cher prince, que la tendre humanité touche votre cœur, que vous serez entouré d’une foule de gens avides qui chercheront à fonder leur fortune sur les débris des autres. Ils n’épargneront ni sourdes intrigues ni ressorts secrets pour empêcher que la faveur de leur maître ne s’étende au loin, et pour qu’elle se fixe seulement sur eux et leurs amis. Découvrez-les et éloignez-les… J’aurais plus lieu de craindre que votre cœur ne fût pas assez fort contre d’autres attaques, et qu’il se laissât trop aisément attendrir.

...Si le fils de Cythérée,
Cet enfant qui soumet l’univers à ses lois,
De l’insecte au lion, des bergers jusqu’aux rois,
Te fait sentir sa flamme et sa flèche dorée,
Garde-toi de livrer ton cœur
Aux charmes dangereux, au langage flatteur
D’une beauté souvent moins touchante qu’habile.
Aime en héros, en roi. Que ton âme tranquille
Méprise la douceur de ce fatal poison !
Crains une trop vive tendresse.
Que jamais une folle ivresse
Dans de honteux plaisirs n’endorme ta raison !

Voilà de petits vers qui ont le tort de rappeler et le style et la fausse sagesse des romances et des opéras-comiques. Encore une fois l’élève de Tessin avait sept ans lorsque son gouverneur venait ainsi lui recommander de n’aimer qu’en héros et qu’en roi les beautés habiles ! Dira-t-on que les lettres de Tessin étaient écrites pour le prince en vue d’un âge plus avancé ? Je croirais plutôt qu’elles étaient destinées à d’autres lecteurs, et que nous n’avons pas en tête de chaque épître la véritable adresse. L’idée et la forme même de l’ouvrage répondaient, à une des plus vives et, disons-le, des plus nobles préoccupations du XVIIIe siècle, celle de la perfectibilité humaine par l’éducation. Le bel esprit marchant de pair avec la philosophie morale, on accueillait avec un grand empressement les théories et les maximes de pédagogie, solides ou vaines, quand elles étaient présentées sous une forme agréable et familière ; la faveur publique leur était surtout assurée s’il s’agissait d’une éducation de prince ou de roi, à qui l’on parût donner pour bases les mêmes principes d’égalité et de libéralisme auxquels toute l’Europe intelligente s’ouvrait alors. Cette direction des esprits, qui allait triompher avec la publication de l’Émile en 1762, a suscité le livre de Tessin et en explique le succès : imprimé par l’ordre des états, il fit une incroyable sensation au dehors ; on le traduisit immédiatement dans toute l’Europe ; la traduction allemande fut adoptée en Russie pour les écoles de la jeune noblesse, et les revues anglaises, qui passaient alors pour être de sévères oracles, traitèrent ce livre d’incomparable. Tant de bruit ne convenait pas autour de l’éducation d’un tout jeune prince, et fait qu’on se demande si l’ouvrage de Tessin n’était pas une sorte de manifeste, non-seulement sur un sujet littéraire et moral dont le XVIIIe siècle était particulièrement épris, mais encore en vue d’un certain intérêt politique, les états de la Suède étant bien aises de voir constater et célébrer leur domination suprême sur les affaires les plus intimes de la famille royale.

Gustave eut après Tessin, et de 1756 à 1762, c’est-à-dire de dix à seize ans, le comte Charles-Frédéric Scheffer pour gouverneur. Plus que jamais la diète se montrait jalouse de l’autorité que la constitution lui attribuait sur l’éducation du prince, et le comte Scheffer n’était que son mandataire dans ces hautes fonctions. Déjà Tessin n’avait omis aucune occasion d’inculquer à son élève le respect des quatre ordres du royaume, qu’il comparait aux quatre élémens : « la noblesse feu par son ardeur guerrière, le clergé eau par la tranquillité de son état et par son devoir de modérer l’ardeur des passions, la bourgeoisie air par son industrie à étendre son commerce vers tous les climats du monde, les paysans terre par l’attachement qu’ils ont à la culture. » Le nouveau gouverneur fut encore plus absolu ; dans l’instruction qu’il rédigea pour fixer les principes qui régleraient les travaux du prince, il proclama surtout la nécessité d’une obéissance entière envers les états. « Contre les excès du despotisme, qui avaient comblé la mesure, dit-il, la nation n’a rien eu plus à cœur que de limiter l’autorité royale de telle sorte qu’aucun attentat contre les libertés publiques ne fût plus désormais possible. Aussi les états sont-ils souverains avec un pouvoir illimité ; ils ont autorité pour annuler et pour faire la loi, non pour agir contre la loi. Si toutefois ce dernier cas se présentait, il n’y aurait dans le royaume aucun pouvoir ayant le droit de s’y opposer, » Les états ne se contentaient pas d’intervenir dans l’éducation du prince par de telles maximes ; leur autorité tracassière veillait encore contre l’ingérence d’aucune autre volonté ; ils exigeaient que le gouverneur leur adressât de fréquens rapports, et ordonnaient des examens qui se faisaient à leur barre, afin de s’assurer par les réponses de l’enfant de la manière dont leurs prescriptions avaient été obéies. De son côté, la cour, fort excitée contre eux, s’irritait de leur tyrannie, et Gustave entendait chaque jour les expressions de colère impuissante par lesquelles la reine sa mère se vengeait des états et de leur fier représentant.

Scheffer paraît d’ailleurs avoir tout négligé ou dédaigné dans cette éducation, sauf son étroit dessein politique : le programme qu’il a dressé pour régler la nature et la répartition des études présente l’image d’un singulier désordre. Les leçons doivent commencer à dix heures du matin ; un instituteur particulier se charge d’abord de l’enseignement religieux. Viennent ensuite l’histoire de Suède, l’histoire universelle « d’après la méthode et le livre du célèbre évêque de Meaux, M. Bossuet, » les élémens du droit de la nature et du droit des gens d’après un extrait fait par le comte lui-même des ouvrages de Wolff, Locke, Burlamachi et autres, la morale, la logique et la métaphysique, puis l’« arithmétique, la physique, l’agriculture, le commerce, l’industrie. Bien que le latin soit devenu beaucoup moins nécessaire qu’autrefois, « comme c’est la langue des savans de tous les pays et celle dont on se sert dans les exercices des universités, pour les légendes des médailles, pour les inscriptions des monumens, son altesse royale ne peut se dispenser de l’apprendre… On se flatte d’ailleurs d’assurer ainsi au latin un protecteur qui le préservera de l’oubli dont il semble menacé, au moins en Suède. » Malheureusement, à côté de ce trop riche programme, et de ces belles espérances, nous rencontrons un triste rapport adressé par le nouveau gouverneur au comité des états : « le prince royal est fort inhabile en écriture, en orthographe et en grammaire ; il ne sait à peu près rien eh géographie ; son horreur pour le travail, est invincible ; éloigné de toute sérieuse pensée, de tout religieux sentiment, il a le cœur vide aussi bien que l’esprit. » Voilà ce que Tessin ou plutôt le désordre des temps avait fait de cette éducation royale ; Scheffer, homme de cour et esprit léger, comme son prédécesseur, ne devait pas, pendant les six années qu’il passa auprès de Gustave, réparer entièrement le mal déjà commis. La déplorable anarchie de la Suède, après avoir exercé une funeste influence sur l’éducation de Gustave III, acheva de compromettre son avenir en imposant au jeune prince un mariage qui ne lui procura jamais aucun bonheur privé. Les chefs du parti des chapeaux l’avaient fiancé en 1754, lorsqu’il n’avait encore que huit ans, à la princesse Sophie-Madeleine, fille du roi Frédéric V de Danemark. Ils voulaient, par cette union des deux maisons royales, séparer le Danemark de la Russie et le ramener vers eux ; mais les haines qui divisaient depuis si longtemps les peuples du Nord étaient encore trop vives pour s’éteindre si aisément, et le cabinet de Copenhague était plus que jamais soupçonné, à bon droit, nous le savons, de vouloir tirer profit des agitations intérieures d’un pays rival[10]. Le mariage s’accomplit cependant en 1766 malgré le roi et la reine de Suède, qui avaient été à peine consultés. Louise-Ulrique en manifesta une irritation que les années ne firent qu’augmenter sans cesse, et Gustave lui-même, sur qui la reine sa mère exerça toujours un grand ascendant, ne sut ni se refuser à des liens détestés ni oublier de funestes préventions ; il négligea de recueillir ce qu’une épouse fort timide, entourée d’inimitiés et de soupçons, mais inoffensive et douce, pouvait encore lui apporter de confiance personnelle et de solide bonheur.

Malheureux dans sa famille et dans son intérieur, d’abord entre une mère acariâtre et dominatrice, un père indolent et sans dignité, et des gouverneurs à la fois faibles et tyranniques, puis à côté d’une épouse accablée de dédains, Gustave, à défaut des ressources que procure une éducation sévère, trouvait-il en lui-même une force morale suffisante pour réagir contre tant de périls ? Nous avons vu ses premières années livrées aux seules influences d’un pédantisme égoïste et superficiel : ses gouverneurs n’avaient songé, dans le cours de leur mission, qu’à maintenir leur crédit politique. C’étaient, à tout prendre, d’élégans ambitieux, qui se paraient des maximes du XVIIIe siècle, et les faisaient bégayer à leur élève sans les avoir beaucoup méditées eux-mêmes. Aucun travail assidu n’ayant jamais fixé l’attention de Gustave, il avait contracté l’habitude d’une incurable légèreté de caractère et d’esprit ; en même temps un sentiment de vanité excessive qui lui était naturel, et qui se développait sous les pompeux dehors d’un vide enseignement, le préparait à concevoir une idée fort exagérée de ses agrémens personnels, de son influence et de ses prérogatives. Cependant, comme il était doué d’une intelligence vive et droite, il avait saisi et s’était assimilé quelques parties de la généreuse prédication du XVIIIe siècle : c’est ce qui le rendit capable de passer, quelquefois subitement, d’un état de mollesse efféminée à des coups de vigueur, d’une sorte d’indifférence mélancolique à de nobles sentimens, d’une froideur glaciale à des démonstrations exaltées, d’une maussade humeur à l’amabilité et à la grâce même, quand ses grands yeux d’un bleu pâle et sa vague physionomie s’animaient. Inconsistant et inégal, à la fois rêveur et obstiné dans ses vues, capable de dissimulation, mais aussi de confiance intime et d’abandon, avide tantôt d’une ambitieuse activité, tantôt de futiles plaisirs, c’était le caractère de prince le mieux fait pour donner prise au malheur public ou privé, — à l’ingratitude et aux longs ressentimens vis-à-vis de lui-même, aux embûches diplomatiques et aux guerres funestes en ce qui regardait son peuple, — et pour atteindre néanmoins, par quelques actions d’éclat, à une certaine grandeur en méritant, dans un siècle d’intelligence et de lumière, de très vives sympathies et de l’admiration même. Il allait devenir en un mot, sur la scène variée de son temps, un personnage des plus attachans et des plus dramatiques.

Humilié par l’anarchie de la Suède et le despotisme des états, il avait cherché de bonne heure, dans un commerce sympathique avec les idées que la France représentait et dans ses relations avec le cabinet de Versailles, le seul rafraîchissement d’esprit et le seul motif d’espérance politique qu’il pût goûter. Ce perpétuel recours au souvenir et à l’influence de notre littérature qui avait occupé un si grand rôle dans son éducation, il l’avait évidemment accueilli avec ardeur ; par là du moins Tessin et Scheffer ne lui avaient pas déplu. Comme eux, il était amoureux de nos fêtes et de notre théâtre : l’usage de notre langue lui était devenu aussi familier que celui de sa langue maternelle ; il acceptait le renom de disciple de Voltaire et des encyclopédistes, et le rôle de protecteur de la philosophie. Dès 1763, le comte de Greutz, poète distingué lui-même et ministre de Suède à Madrid, traversant Paris pour se rendre à son poste, écrivait au prince, qui n’avait que dix-sept ans alors : « L’exemple de Voltaire prouvé combien votre altesse sait éveiller la sympathie des littérateurs. Ce célèbre vieillard a versé des larmes en apprenant que votre altesse royale avait appris par cœur la Henriade. Il est vrai, a-t-il dit, que je l’avais écrite pour qu’elle servît à l’instruction des rois, mais je n’espérais pas qu’elle portât ses fruits jusque dans le Nord ; je me trompais, le Nord a enfanté maintenant des héros et des grands hommes. Je suis vieux et aveugle ; mais, si tout ce que vous me dites est vrai, je meurs content, car dans cinquante ans il n’y aura plus de préjugés en Europe. »

Greutz devint ministre à Paris en 1766, et Gustave eut en lui son chargé d’affaires auprès de cette société française dont il s’était fait, à défaut d’autres sérieux maîtres, le zélé disciple. Dans les salons depuis longtemps renommés de la légation suédoise, Greutz recevait, comme autrefois Tessin et Scheffer, la fleur de la société parisienne, les artistes et les hommes de lettres. Par lui, le prince correspondit avec Voltaire ; pas une épigramme du patriarche de Ferney ne voyait le jour qu’elle ne fût envoyée à Stockholm avec les dépêches politiques ; il en était de même pour chaque volume de l’Encyclopédie, où Greutz prenait la peine de noter et de signaler les meilleurs articles. Greutz était l’hôte familier de Mme Geoffrin, et, s’il faut en croire Marmontel, il faisait dans cette maison une excellente figure :

« Un des hommes que j’ai le plus tendrement aimés a été le comte de Creutz ; il était de la société littéraire et des dîners de Mme Geoffrin… Jeune encore, et l’esprit orné d’une instruction prodigieuse, parlant le français comme nous, et presque toutes les langues de l’Europe comme la sienne, sans compter les langues savantes, versé dans tous les genres de littérature ancienne et moderne, parlant de chimie en chimiste, d’histoire naturelle en disciple de Linneus, il était pour nous une source d’instructions embellies par l’élocution la plus brillante… Sa patrie et son roi, la Suède et Gustave, objets de son idolâtrie, étaient les deux sujets dont il parlait le plus éloquemment et avec le plus de délices. L’enthousiasme avec lequel il en faisait l’éloge s’emparait si bien de mes esprits et de mes sens que volontiers je l’aurais suivi au-delà de la mer Baltique… Un de ses goûts passionnés était l’amour de la musique ; un jour il vint me conjurer au nom de notre amitié de tendre la main à un jeune homme, musicien plein de talent, disait-il, à qui il avait avancé quelques louis et qui était dans la misère ; je connus de la sorte Grétry… »


Cette page de Marmontel nous est précieuse : c’est dès à présent, dans notre récit, une vue directe sur cette société française, de sympathies et d’amitiés promptes, spirituelle, enthousiaste, confiante, s’ouvrant à tous, où l’intelligence régnait en souveraine maîtresse, où l’écrivain marchait de pair avec le grand seigneur, où l’étranger, devenu notre disciple, trouvait une seconde patrie. C’est aussi une vive peinture des relations déjà intimes qui introduisaient les Suédois au milieu de nous. Ils vont se montrer sous les mêmes traits que Marmontel prête au comte de Creutz, c’est-à-dire avec une ouverture naturelle d’esprit et une pointe d’enthousiasme un peu facile, unies à beaucoup de loyauté et de franchise, qui vont charmer Paris et Versailles. Creutz reprenait la tradition du brillant comte de Tessin ; il paraissait en protecteur des lettres et des arts, et savait bien qu’il plaisait de la sorte au jeune prince royal de Suède : désormais il n’y avait pas de gloire supérieure, aux yeux de Gustave ; à celle que l’opinion de là France pouvait décerner. Il est vrai que le complaisant diplomate acceptait encore un autre office : il devait se tenir au courant des modes de Versailles, et, de concert avec le tailleur de la cour, composer pour Gustave III tous ses habits de gala, préférant à propos, suivant le goût du jour, les riches « velours de printemps » ou les « pluies d’argent et d’or, » assortissant avec attention les dentelles, et ne confiant qu’à un courrier exprès, comme il eût fait pour la plus grave dépêche, les boutons de diamant qui complétaient la parure destinée à la prochaine fête d’Ulricsdal ; c’était pour lui une grosse affaire quand il fallait, pour quelque cérémonie publique en Suède, rechercher quel costume le dauphin de France avait porté en circonstance pareille, en faire exécuter un qui fût absolument semblable, et l’expédier à temps. Gustave en effet ne se contentait pas d’apprendre les maximes de Voltaire, de d’Alembert et de Diderot ; il voulait s’approprier aussi les dehors élégans de la société française, et paraître tout à fait un des nôtres en copiant à la fois Versailles et l’Encyclopédie.

N’oublions pas que ses intérêts politiques étaient en parfait accord avec ses sympathies personnelles. On a vu que Gustave, en dépit de son imparfaite éducation, avait puisé, soit dans les leçons du XVIIIe siècle soit dans son propre cœur, une intelligence des droits de son peuple et des siens et un sentiment de fierté naturelle que les humiliations infligées par la diète au roi son père blessaient profondément. La collection de ses papiers, conservés à la bibliothèque d’Upsal, le montre préoccupé de bonne heure de l’avenir politique et des intérêts de sa couronne. S’il écrit des plans d’opéras ou de tragédies et une histoire de Gustave Vasa, il entretient aussi une vaste correspondance, consacrée surtout aux affaires ; il rédige une sorte d’autobiographie où se retrouvent aujourd’hui la trace de ses émotions et la preuve de ses calculs ; il s’indigne du sort que la Russie et la Prusse ont préparé à la Pologne, et entrevoit les secrets desseins de ces deux puissances contre son pays ; il comprend enfin qu’il ne doit espérer de secours que du côté de la France, à la condition qu’il s’aidera lui-même en se séparant des anciens partis. Bientôt le ministre de France à Stockholm devient son confident et son conseiller ; c’est avec lui que, dès 1768, il médite des mesures hardies : il rédige des plans de coups d’état, des projets de constitution ; il relit avec une fiévreuse ardeur les mémoires du cardinal de Retz. C’est au milieu de cette agitation d’esprit qu’il reçoit du comte de Creutz une dépêche en date du 9 février 1769, à laquelle est jointe une apostille ainsi conçue : « M. de Choiseul conjure votre altesse royale de faire un voyage en France pour voir le roi : je vous assure, m’a-t-il dit, que cela en vaut la peine ; il en résultera les plus grands avantages pour la Suède. En se voyant, on fera avec la plus grande facilité, dans un seul jour, ce qu’on ne ferait pas à distance en un siècle. Nous travaillerons ensemble au bonheur et a la gloire des deux royaumes, nous préparerons à la Suède le destin le plus brillant ; mais il n’y a pas de temps à perdre : si le prince royal voulait faire le voyage absolument incognito, et sans suite, avec le sénateur Scheffer, que le roi de France aime, ce serait le mieux. Il faudrait partir tout de suite, sans que personne en sût rien, excepté le roi de France… » Après avoir rapporté ces paroles de Choiseul, Creutz ajoute : « Je reverrai donc un prince adoré ! » Gustave lui-même croyait toucher à l’accomplissement de tous ses vœux. Tous ces enchantemens de Paris, de Trianon et de Versailles, dont il ne connaissait encore que les pâles reflets, il les allait voir de ses yeux. Ces merveilles allaient briller pour lui et chercher à lui plaire ; il y mêlerait son élégance et sa jeunesse ; il montrerait à cette société française son élève, son royal émule, venu de si loin, et il remporterait en récompense quelques-uns de ses suffrages ! Gustave pouvait s’abandonner à ces rêves, auxquels le solide fond d’une plus étroite intimité politique donnait une légitime raison : il était vrai que le cabinet de Versailles, fatigué du long règne d’Adolphe-Frédéric, qui prolongeait l’anarchie et l’inaction de la Suède, était déterminé à prendre, de concert avec le prince royal, quelque résolution définitive, sans attendre l’occasion incertaine d’un nouvel avènement. Gustave, qui avait tout à gagner, se montrait fort résolu ; il accepta donc l’invitation qui lui était secrètement adressée : ce fut son premier pas dans la difficile entreprise que devait achever son coup d’état.


III

Gustave, accompagné du prince Frédéric, son plus jeune frère, quitta Stockholm le 8 novembre 1770, après avoir obtenu, non sans peine, l’autorisation des états pour un voyage qui leur inspirait une vive défiance. En descendant le grand escalier du château, il dit au comte Bielke : « Je ne veux pas remonter ici avant que ce gouvernement de femmes n’ait disparu. » Les deux princes avaient pris pour toute la durée de leur voyage l’incognito, Gustave sous le nom de comte de Gothland, Frédéric sous celui de comte d’Oeland ; leur suite se composait du comte Scheffer, l’ancien gouverneur du prince royal, devenu le confident de ses projets politiques, des barons Ehrensvärd et Taube, et de cinq autres personnes. Après avoir visité Copenhague, Hambourg, Brunswick et plusieurs petites cours d’Allemagne, ils entrèrent dans Paris le lundi soir 4 février 1771, et descendirent à la légation de Suède, chez le comte de Greutz.

L’arrivée de Gustave coïncidait avec une agitation des esprits et un mouvement d’opinion d’un grave et redoutable intérêt. Le duc de Choiseul avait été renversé, le 24 décembre 1770, par une intrigue du duc d’Aiguillon, du chancelier Maupeou et de l’abbé Terray, et la disgrâce des parlemens avait éclaté un mois après. L’esprit public s’était mis du côté des vaincus ; Choiseul, qui n’avait pas voulu plier devant la maîtresse en titre, confiné dans sa terre de Chanteloup, y recevait, malgré le nouveau ministère et la cour, d’innombrables et bruyans hommages. Quant aux parlemens, l’opinion n’avait pas cessé de voir dans ces corps, malgré leurs fautes, des barrières utiles contre l’excès de la puissance royale et de naturels organes des droits imprescriptibles des peuples. On avait donc fort mal auguré de leur abaissement, et les inutiles duretés dont le chancelier Maupeou avait fait usage augmentaient encore l’irritation générale ; on rappelait cette triste nuit du 21 janvier 1771, qui avait porté le deuil dans toute la magistrature, ces raffinemens dans les sentences d’exil : un président envoyé dans un lieu sauvage, près de Lyon, sur le haut d’un rocher, où il n’avait pu parvenir qu’à cheval et sa femme en chaise à porteurs, un conseiller relégué dans une île de l’Océan, un autre dans un lieu perdu parmi les neiges de l’Auvergne. Toutes ces rigueurs étaient mises sur le compte du pouvoir absolu, et l’on s’animait, en agitant les récentes théories politiques, à chercher les moyens de sauvegarder l’avenir. Tels étaient les sentimens dont retentissaient les salons où Gustave allait paraître ; les femmes distinguées qui présidaient à la société polie s’en faisaient elles-mêmes les interprètes avec une incroyable ardeur. « Elles ne manquaient pas une si belle occasion, dit Bezenval en se moquant, de se faire les soutiens de ce qu’elles appelaient les constitutions fondamentales de l’état. Dans les conversations, dans les soupers, on ne parlait pas d’autre chose ; les assemblées de société ou de plaisir étaient devenues de petits états-généraux où les femmes, transformées en législateurs, débitaient des maximes de droit public et établissaient des principes avec l’assurance et l’audace que leur donnait le désir de dominer et de se faire remarquer, désir encore échauffé par l’importance de la matière et sa célébrité. » La matière était importante en effet, plus que le superficiel Bezenval ne le soupçonnait sans doute, et nous serions aujourd’hui moins portés à prendre légèrement en dédain le chaleureux mouvement d’opinion qui se manifestait alors. On ne peut en vérité considérer sans une vive et sympathique émotion cette heure solennelle, dans l’histoire de notre ancienne monarchie, qui comprend la fin du règne de Louis XV et le commencement du règne de Louis XVI. Ce fut peut-être, s’il y en eut un jamais, le seul moment où des esprits éclairés et sincères purent croire qu’il était temps encore de détourner une révolution déjà prévue et redoutée. Bezenval lui-même atteste qu’une réaction très vive contre les excès de tout genre commis pendant le long règne de Louis XV marquait les dernières années de cette désastreuse époque. La mode n’était plus, comme naguère, à la débauche, et le vice n’était plus commandé par le bon ton ; au contraire on commençait à louer le maréchal et la maréchale de Biron d’être restés sévères, et la maréchale de Luxembourg de l’être devenue. Il était naturel qu’à la tête d’un mouvement de réforme toute morale, où la dignité de leur sexe était si fort engagée, on vit se placer les femmes que leur naissance et leur esprit avaient mises aux premiers rangs de la société d’alors. La revendication des droits individuels n’avait jamais été séparée de celle des droits publics dans les enseignemens qu’avait popularisés la philosophie du XVIIIe siècle, et l’on savait déjà, au moins dans la sphère la plus élevée de la nation, que la cause de l’individu, celle du citoyen, ne se séparait aucunement de la cause de l’état.

Gustave reçut de la cour tout l’accueil que son incognito permettait : le 9 février, visite à Versailles et souper avec le roi ; le 12, bal chez la jeune dauphine Marie-Antoinette ; le 18, chasse à Versailles et spectacle à la cour ; invitation à Marly le 13, à Choisy le 22. Le vieux roi Louis XV témoignait personnellement au prince royal de Suède une grande bienveillance, et paraissait tout préparé à poursuivre avec lui les négociations intimes en vue desquelles il était venu. Le ministère avait changé : le duc de La Vrillière faisait l’intérim des affaires étrangères, et le duc d’Aiguillon, créature de Mme Du Barry, allait lui succéder. C’était un fâcheux contre-temps pour Gustave, dont Choiseul avait désiré sincèrement le succès. Toutefois le comte Scheffer, pendant son ambassade en France, avait beaucoup connu la mère du duc d’Aiguillon, et ce fut la première amitié qui accueillit à Paris les princes suédois : Gustave eut ainsi de nouveau une ouverture particulière vers le principal ministre. Il n’avait pas non plus négligé de se ménager l’accès auprès de la maîtresse dirigeante, et il obtint même de pouvoir offrir un riche collier au petit chien de Mme Du Barry ; mais ses goûts, d’accord avec ses intérêts, l’appelaient encore ailleurs. Il fallait se montrer dans ce Paris que venaient visiter les rois, il fallait paraître au milieu de cette société polie qui prononçait des arrêts par-devant l’Europe : Gustave aspirait à connaître, à partager ses sentimens et ses plaisirs ; il voulait être adopté par elle. Dès le lendemain de son arrivée, il était au bal masqué de l’Opéra ; il s’empressa de visiter la vieille Mme Du Deffand, et se fit présenter dans les principaux salons parisiens, où se rencontraient, mêlés au grand monde, les hommes de lettres et les philosophes. Gustave se donnait pour un des leurs, défendant Voltaire contre le maréchal de Broglie, qui lui imputait tout le mal des dernières années, écoutant d’Alembert et les encyclopédistes, comme un de leurs plus ardens sectateurs, acceptant de Marmontel la dédicace des Incas, après avoir déjà fait bon accueil, quatre ans plus tôt, au Bélisaire, que Versailles et la Sorbonne, Frédéric et Catherine II, avaient trouvé si hardi, et recevant enfin, comme insigne récompense d’un si beau zèle, l’honneur exceptionnel d’une visite de Rousseau, que Rulhière lui amena.

Rulhière, avec Scheffer et Creutz, fut pour Gustave un guide utile dans les salons de la plus haute société parisienne, auprès de laquelle un récent épisode l’avait mis en faveur. Étant secrétaire d’ambassade à Saint-Pétersbourg, il avait écrit une histoire détaillée de ce dont il avait été le témoin bien informé lors de l’avènement de Catherine II. L’impératrice, qui redoutait la publication d’un tel ouvrage, lui avait fait offrir par son agent à Paris, le baron Grimm, 30,000 livres pour qu’il fît certaines suppressions ; il avait refusé, et l’on n’avait pu obtenir de lui autre chose que la promesse de ne point publier son livre avant la mort de Catherine. Ce trait de désintéressement et de courage avait fait sa fortune auprès de l’opinion, et le duc de La Rochefoucauld, pendant un voyage à Stockholm en 1769, l’avait désigné au choix de Louise-Ulrique pour écrire l’histoire de Suède. Par lui, Gustave fit la connaissance de la comtesse d’Egmont, la célèbre fille du maréchal de Richelieu, qui allait devenir sa plus ardente amie. Il lia également un commerce d’esprit, dont nous verrons plus tard les curieux témoignages, avec la comtesse de Boufflers, qui faisait les honneurs des salons du Temple, chez le prince de Conti ; là encore il voyait les gens de lettres et les philosophes ; il rencontrait au contraire chez la comtesse de La Marck, qui était de la famille de Noailles, les représentans et les amis de la vieille cour : c’était une autre sorte d’opposition, celle de ce qu’on appelait alors le « parti des dévots. » Mme de Brionne enfin, de la maison de Lorraine, Mme de Mesmes, d’autres encore, cherchaient à l’attirer vers Choiseul et vers l’opposition parlementaire. Gustave, pris à partie, non-seulement comme un arbitre autorisé, mais comme une précieuse recrue à gagner et à convaincre, était trop personnellement intéressé, à vrai dire, pour être fort impartial, et il se contentait avec raison d’écouter de bonne grâce tous les plaidoyers ; mais on conçoit que les parlemens, par exemple, avaient le tort infiniment grave, à ses yeux, de ressembler de loin aux diètes suédoises, qu’il espérait bien dompter. Cela ne l’empêchait pas de répéter avec aisance les lieux communs déjà fort en honneur sur les droits des nations et sur la liberté ; il souffrait volontiers qu’on le prémunît contre l’enivrement de la puissance royale, et qu’on lui demandât à l’avance l’engagement de ne pas abuser du pouvoir dont il serait un jour investi.

Ses libérales institutrices n’attendirent pas longtemps le moment où il serait mis en demeure d’appliquer leurs doctrines. À peine était-il depuis quelques semaines à Paris que la mort subite du roi Adolphe-Frédéric, son père, mit un terme à son voyage en l’appelant au trône. Il était dans la loge de la comtesse d’Egmont, à l’Opéra, quand le comte de Creutz vint, le 1er mars 1771, lui apporter cette nouvelle. Mme d’Egmont lui dit : « Contentez-vous, sire, d’être absolu par la séduction, ne le réclamez jamais comme un droit. » Le comte Scheffer partit immédiatement pour Versailles, où il n’arriva qu’à près de minuit ; le roi lui donna audience, quoiqu’il fût déjà couche, grâce si singulière, dit Mme Du Deffand, qu’elle n’avait encore été accordée à personne. Louis XV s’informa comment le nouveau roi de Suède voulait être traité : si c’était en roi, il irait le visiter dès le lendemain, et, lorsqu’il viendrait à la cour, il lui donnerait la droite ; mais Scheffer répondit que sa majesté suédoise continuerait à garder l’incognito.

L’hôtel de la légation suédoise n’en fut pas moins désormais comme une résidence royale, vers laquelle affluaient tous les hommages. Gustave y passa les premiers jours de son nouvel état dans un deuil et une solitude pendant lesquels il n’admit d’autre société que celle de Marmontel. Le tableau que ce dernier a tracé dans ses mémoires de la douleur du prince et de son dégoût de la royauté respire un parfum de banalité philosophique et sentimentale que la réalité ne démentait peut-être pas entièrement. Cette courte retraite achevée, le nouveau roi ne se hâta pas de quitter Paris : les négociations pour lesquelles il avait fait le voyage étaient en effet à peine engagées, et il n’acceptait pas sans un vif regret la nécessité de se séparer si tôt de cette société française dont les charmes et le cordial accueil avaient dépassé tout ce qu’il en attendait. Il reprit donc avec une nouvelle ardeur le cours de ses visites dans Paris ; la Comédie-Française et l’Opéra entraient naturellement pour une grande part dans l’hospitalité parisienne. Lors du voyage du roi de Danemark, en novembre 1768, le duc de Duras, chargé de le conduire à toutes les « galanteries » de la capitale, l’avait accablé de spectacles : dix-sept actes en un jour, tant en prose qu’en vers, en déclamation, chant, musique, etc., en italien et en français[11]. Gustave échappait par son incognito à cette servitude, et il ne trouvait que charmé à nos théâtres, où le parterre et les loges l’acclamaient, où, s’il arrivait la toile levée, le public faisait recommencer les acteurs, car l’opinion publique l’avait proclamé le roi-philosophe, et ses liaisons avec les oppositions diverses l’avaient rendu populaire. Le 6 et le 7 mars, il visita l’Académie des sciences et l’Académie française, où d’Alembert prononça deux fois son éloge. Il avait particulièrement mérité la reconnaissance de ces deux illustres compagnies par le soin qu’il avait pris, peu de temps avant son départ de Suède, de faire élever à ses frais un monument à Descartes. Il n’oubliait pas d’ailleurs ses spirituelles amies, témoin cette lettre de Mme Du Deffand à la duchesse de Choiseul, qui nous introduit de plain-pied dans les salons de l’hôtel de Suède :


« Vendredi 8 mars 1771. — Le roi de Suède me fit prier hier à souper. J’étais engagée ailleurs, mais je n’hésitai pas à l’accepter. Le souper fut très gai ; rien de si aimable que le roi de Suède. Je suis désolée que vous ne le connaissiez pas ; je suis sûre que vous en seriez charmée. Mme de Beauvau vous en aura sans doute beaucoup parlé et fait l’éloge. Il me traita à merveille. Je rapportai à mon attachement pour vous et le grand-papa[12] le bon accueil, les politesses, les attentions qu’il eut pour moi. Mme d’Aiguillon la mère fut charmante,… et je fus aussi à mon aise que je le suis avec vous. Il n’y avait de compagnie que le petit prince[13], MM. d’Eisestein[14], de Scheffer et de Creutz ; ce dernier ne se mit point à table. Avant souper, nous lûmes le discours que d’Alembert avait fait la veille à l’Académie des sciences, où le roi avait été. Je vis qu’il en portait un très bon jugement, et qu’il n’est point entêté de la philosophie moderne, dont ce discours fait l’éloge. Après le souper, M. de Creutz lut une lettre de M. d’Angevillers où le roi de Suède est loué avec une emphase, une exagération épouvantable, et qui ne plut nullement au roi. On parla du chevalier de Boufflers, on chanta son ambassade, et puis Mme d’Aiguillon fit chanter la chanson des Philosophes… On dit des vers de Voltaire que je ne connaissais pas : je tacherai de les avoir et de vous les envoyer. On se retira à minuit ; les dames partirent les premières ; le roi alors s’approcha de moi et me dit : « Je vous prie, quand vous écrirez à Chanteloup,. de dire à, M. de Choiseul combien je lui suis attaché, et le regret infini que j’ai de ne le point voir. Dites-en autant à Mme de Choiseul ; j’aurais été charmé de la connaître. »

« Mme de Luxembourg, Mme de Lauzun et la comtesse de Boufflers souperont ce soir chez lui. Demain il soupera à Ruel : la compagnie sera Mme, d’Aiguillon et MM. de Richelieu et de Maurepas, et après-demain il aura chez lui Mmes de Brionne et d’Egmont. On dit qu’il partira lundi, mais je n’en crois rien ; plusieurs raisons peuvent l’arrêter : il attend un frère de M. de Scheffer, qui lui apporte je ne sais quoi de nécessaire, et puis j’ai dans l’idée qu’il attend encore autre chose : la nomination d’un ministre des affaires étrangères. Il croyait ces jours passés qu’il serait nommé aujourd’hui, et, sur la parole de M. de Creutz, j’avais parié un louis qu’il le serait dimanche matin. Je ne doute pas que mon pari ne soit perdu : non-seulement dimanche il ne sera pas nommé, mais peut-être d’un, deux, trois ou quatre mois. On ne doute nullement (que ce ne soit M. d’Aiguillon ; de deviner pourquoi ces délais, cela est difficile. »


On voit que Gustave III, n’oubliant pas les soins de sa politique, trouvait moyen de se ménager également l’amitié du duc de Choiseul, qui conservait un grand parti, et celle du duc d’Aiguillon, futur ministre des affaires-étrangères. Il s’acquittait en même temps de certains actes que le gouvernement suédois exigeait de lui ; le 15 mars, il dut adresser au sénat de Stockholm une déclaration ainsi conçue :


« Appelé en qualité d’héritier à la succession royale, et mes vues étant fort éloignées de tout pouvoir arbitraire, je déclaré par cet acte solennel, et sur ma parole de roi, que je suis entièrement dans le dessein de gouverner mon royaume en observant tout ce que prescrivent les lois de la Suède et particulièrement la constitution de l’année 1720, à laquelle j’ai déjà prêté serment. Je regarderai comme ennemis déclarés de ma personne et comme traîtres envers l’état ceux qui ; ouvertement ou secrètement ; et sous quelque prétexte que ce fût, chercheraient à rétablir la souveraineté. »


Voilà ce « je ne sais quoi de nécessaire » dont Mme Du Deffand avait entendu parler : Gustave n’eût pas été proclamé à Stockholm sans la prompte soumission que les états lui demandaient ; mais en même temps qu’il jurait de nouveau fidélité à la constitution de 1720, il prenait secrètement avec la cour de Versailles toutes les mesures qui permettraient de la renverser. Nous avons vu que le paiement des subsides français avait été interrompu en 1766, alors que le ministère, sous la conduite de Choiseul, avait résolu de ne plus nourrir en Suède une stérile anarchie ; on consentit à les acquitter de nouveau pour grouper autour du nouveau roi toutes les forces de la nation : suivant les termes de la dernière convention, conclue en 1764, et que l’on reprit alors, une somme de 10 millions 1/2 restait à payer ; il fut convenu qu’elle serait remise au gouvernement suédois par appoints de 1 million et 1/2 par an à partir du 1er janvier 1772 ; une somme de 750,000 livres fut comptée immédiatement et par avance au jeune roi ; on destina en outre une somme de 3 millions pour disposer les esprits en faveur de Gustave III dans la diète qui allait s’ouvrir. Enfin, pour donner au protégé de la France une marque publique d’intérêt, mais en même temps pour diriger sa conduite, pour former et guider le parti royaliste, pour surveiller l’emploi des subsides, on remplaça M. d’Usson à la légation de Stockholm par M. de Vergennes, un des grands noms de notre diplomatie. Les vues de Choiseul sur les affaires de Suède et sur les conditions de l’équilibre politique dans le nord de l’Europe s’étaient transmises à ses successeurs, et le cabinet de Versailles était décidé à renouveler le plus promptement possible la force intérieure de la Suède par une révolution qui paraissait nécessaire. Gustave III quitta Paris le 18 mars 1771 ; avant de passer la frontière, il écrivit à Louis XV[15] :


« 26 mars. — Monsieur mon frère et cousin, je ne quitterai pas les états de votre majesté sans lui témoigner encore une fois ma vive reconnaissance pour toutes les marques qu’elle m’a données d’une amitié dont aucun souverain ne connaît le prix mieux que moi. Si Dieu me permet de rentrer sans aucun fâcheux accident parmi les miens, je m’emploierai sans relâche à affermir des liaisons que mes sentimens personnels vont rendre désormais indissolubles. Je me plairai surtout à cultiver la correspondance directe que votre majesté m’a permis d’entretenir avec elle, et qui me fournira plus d’une occasion de lui rappeler le tendre attachement avec lequel je serai toujours, monsieur mon frère et cousin, de votre majesté, le bon frère et cousin,

GUSTAVE. »


Gustave III avait réussi, malgré la courte durée de ce voyage, dans le double dessein qui lui tenait au cœur : il avait utilement resserré les liens diplomatiques qui unissaient depuis si longtemps son pays et le nôtre, et il avait mérité la chaleureuse adoption de cette société française dont il était plus que jamais épris.


A. GEFFROY.

  1. Nous avons fait connaître son curieux écrit inédit, Nemesis divina, dans la Revue du 1er mars 1861.
  2. Un habile artiste suédois, M. Billmark, a publié en 1863 à Paris une intéressante série d’estampes représentant les différens aspects de ce magnifique château, avec les détails de l’ameublement, qui date du XVIIe siècle ou de la fin du XVIe.
  3. Mort en 1751, à quatre-vingt-dix ans.
  4. Nous donnerons à part tout le développement et les preuves de cet intéressant épisode des mœurs industrielles du XVIIIe siècle.
  5. Le prince Charles, né le 7 octobre 1748, duc de Sudermanie en 1772, et qui devint régent après la mort de Gustave III, puis roi sous le nom de Charles XIII ; le prince Frédéric-Adolphe, né le 18 juillet 1750, duc d’Ostrogothie en 1772, mort en 1803, et la princesse Sophie-Albertine, née le 8 octobre 1753, destinée à mourir seulement en 1829, après avoir été témoin des nombreuses infortunes de sa famille.
  6. Tessin och Tessiniana, publié à Stockholm on 1819, et Tessins Dagbok, 1757, ou Journal de Tessin pour 1757, Stockholm 1824, chacun de ces doux recueils forment un volume in-octavo.
  7. Lettre 66, du 23 août 1753.
  8. Joseph Biancolelli, dit Dominique, le célèbre acteur de la Comédie-Italienne.
  9. Lettre 57, du 30 juin 1753.
  10. Voyez le premier article de cette série, où nous avons démontré la complicité du Danemark avec la Russie et la Prusse dans le projet de démembrer la Suède aussi bien que la Pologne (Revue du 15 février).
  11. Mémoires secrets pour servir d l’histoire de la république des lettres, tome IV, page 137 ; 10 novembre 1768.
  12. On sait que Mme Du Deffand désigne ainsi familièrement le duc de Choiseul.
  13. Le prince Frédéric, frère de Gustave III.
  14. Le duc d’Hessenstein, fils reconnu de Frédéric Ier, qui avait régné en Suède de 1720 à 1751. Voyez Ristel, Anecdotes et Caractères de la cour de Suède, Paris 1790.
  15. Archives des affaires étrangères, à Paris, Correspondance de Suède, 1771. Cette lettre ne se trouve pas dans la Collection des écrits de Gustave III, en cinq Volumes in-8o, Stockholm 1803-1805.