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Hélika/Tentative et attaque

La bibliothèque libre.
Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur (p. 95-98).

CHAPITRE XX

tentative et attaque.


Une nuit des plus sombres enveloppa bientôt la demeure et tous les alentours. Un silence parfait régnait dans toute la campagne. Le temps était à l’orage ; parfois un éclair illuminait la nue et venait en serpentant se perdre dans un endroit désert : Le tonnerre grondait dans le lointain et ses roulements nous arrivaient comme les détonations de mèches de canons.

Vers onze heures, le craquement d’une branche comme si elle eût été brisée sous les pas d’un homme retentit à mon oreille.

Deux carabines bien chargées étaient auprès du moi ; j’en saisis une et me tins prêt à tout événement. Je m’assurai aussi que mon couteau jouait parfaitement dans sa gaine.

Mon œil bien qu’exercé à l’obscurité dans les chasses à l’affut que je faisais la nuit, ne pouvait cependant percer les ténèbres qui m’environnaient.

Heureusement qu’un éclair brilla un instant. Il disparut très vite, mais néanmoins j’eus le temps de remarquer une touffe d’arbrisseaux qui se trouvait à trois arpents à peu près de la maison et qui n’y était certainement pas lorsque j’avais fait l’inspection des lieux.

Dix minutes après, un nouvel éclair apparut au firmament.

J’avais toujours l’œil fixé vers l’endroit où je venais de voir le buisson. Pendant ce laps de temps, il s’était considérablement rapproché. Il ne devait pas être à plus de vingt pieds du Gascon. Instruit par Baptiste des ruses des Indiens, ce dernier n’ignorait pas qu’il y avait embûche et que l’ennemi s’avançait. En même temps, son chien qu’il ne retenait qu’avec peine réussit à s’échapper et s’élança dans la direction du buisson en poussant d’affreux hurlements.

À peine y fut-il arrivé que ses furieux aboiements se changèrent en cris plaintifs. Le bouillant Gascon n’y put tenir plus longtemps. En deux bonds, il fut à l’endroit où les bandits abrités par le buisson s’avançaient vers ma demeure. Une détonation se fit entendre, un blasphème affreux y répondit et le craquement de branches qu’on ne cherchait plus à dissimuler nous avertit que quelqu’un s’échappait.

Pendant ce temps le Français faisait un bruit d’enfer. Les sandédioux, les cadédis, je te tiens couquin, étaient montés au plus fort diapason.

Des torches que nous avions préparées furent allumées et nous accourûmes. Le compagnon de Paulo avait rendu l’âme, la balle lui avait traversé le cœur. Le blasphème avait été son dernier adieu à la terre.

Quant au Gascon, en apercevant son chien qui perdait son sang par une large blessure à la poitrine, il se mit à l’embrasser pleurant et lui prodiguant les épithètes les plus tendres tandis que les couchons, les voleurs, les canailles, lui sortaient de la bouche par torrent à l’adresse de l’homme mort.

Sur ces entrefaites, Baptiste arriva avec le Normand et les villageois. Tous avaient fait feu mais sans effet pensaient-ils.

Le cadavre du brigand fut identifié par les chasseurs comme celui d’un des compagnons de Paulo. Sa figure était hideuse. Une hotte qui devait servir à transporter Adala était auprès de lui.

Cependant ce dernier acte d’audace avait mis le comble à la terreur des habitants. Éveillés par nos coups de feu tous étaient accourus pour nous secourir ; les uns armés de haches, les autres de fourches, etc., etc., tant on craignait que nous eussions affaire à une bande plus considérable. On n’avait laissé aux maisons que le nombre d’hommes nécessaires en cas d’attaque.

Nous décidâmes de suite de faire une nouvelle battue. Au point du jour le lendemain, nous devions nous mettre en marche pour fouiller avec le plus grand soin les bois d’alentour. Nous espérions qu’un des malfaiteurs, peut-être tous les deux, auraient pu être atteints par les balles et auraient été dans l’impossibilité de fuir bien loin.

Une semaine de recherches minutieuses et dont le cercle était chaque jour agrandi ne put nous faire découvrir d’autre trace qu’une ou deux gouttes de sang dans un fourré ou bien probablement Paulo et compagnie s’étaient arrêtés.

Ces démarches infructueuses mettaient Baptiste au désespoir à cause de l’intérêt extraordinaire qu’il portait à l’enfant d’Angeline et d’Attenousse.

Le Gascon de son côté était inconsolable de la perte de son chien : il n’en parlait qu’en jurant comme un païen. Il aurait voulu être le diable en personne pour faire griller le couquin, tant il redoutait la reconnaissance de sa Majesté Fourchue en faveur d’un misérable qui l’avait toujours si bien servi de son vivant.

Le Normand lui accusait piteusement son peu de chance de ce qu’il était né un vendredi et sous une mauvaise étoile.

Cependant j’étais dévoré d’inquiétude. Je connaissais trop bien la scélératesse de Paulo, son caractère haineux et vindicatif pour ne pas être assuré que tôt ou tard, il tenterait une revanche éclatante.

Je n’osais donc plus m’éloigner de la maison et laisser Adala d’un seul pas. Je la conduisais par la main dans mes courses journalières. Si je sortais en voiture, je la faisais asseoir à côté de moi. La nuit, son petit lit était placé tout près du mien. Je passais des heures entières à la regarder dormir essayant à deviner chacune de ses pensées. Quand je voyais ses lèvres roses s’agiter et laisser échapper un sourire, je me demandais si elle ne causait en songe avec sa mère ou avec les anges ses petits frères. J’ajustais ses couvertures de crainte qu’elle ne prît du froid et doucement bien doucement, j’embrassais son couvre-pieds pour ne pas l’éveiller par le contact de ma bouche.

Elle avait à peine plus de quatre ans et j’admirais avec quelle rapidité son intelligence se développait. Tous ceux qui la connaissaient étaient aussi surpris de son étonnante précocité. Sa grand-mère et une bonne vigoureuse servante que j’avais engagée, l’aimaient presqu’autant que moi.

L’hiver qui suivit se passa dans une parfaite tranquillité. On n’avait pas entendu parler de Paulo ni de son complice, les vols et les rapines avaient cessé.

Tout le monde se félicitait de l’idée qu’ils étaient pour toujours disparus, seul probablement je n’ajoutais pas foi à cette croyance devenue générale.

Toutefois, une chose me rassurait, c’est que si je n’entendais rien dire de Baptiste et de ses braves compagnons, j’étais certain qu’ils surveillaient notre homme de près et feraient tout en leur pouvoir pour détourner les projets malicieux que le traître et son complice tenteraient contre moi ou plutôt contre Adala. Ce à quoi mes associés et surtout Baptiste tenaient le plus, c’était de les prendre tous les deux vivants ; peut-être auraient-ils recruté quelques autres sauvages et ils jouissaient d’avance du plaisir de les livrer à la justice. Baptiste était rusé, mais il avait affaire à forte partie : Paulo de son côté ne manquait pas de finesse. Son intelligence naturelle, l’instinct de la conservation l’avertissaient qu’il était poursuivi. Aussi, comme je l’appris plus tard, fallait-il faire de rudes marches pour ne pas perdre sa piste. La route qu’ils suivaient était toujours directe et tendait évidemment à un but… mais n’anticipons pas sur les événements.