Héraklé, Scènes de la vie Géorgienne

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Héraklé, Scènes de la vie Géorgienne
Revue des Deux Mondes2e période, tome 46 (p. 451-471).
HERAKLE
SCENES DE LA VIE GEORGIENNE

Pour les chrétiens d’Orient, pour ceux de la Géorgie surtout, la Pâque est la fête la plus solennelle de l’année. Le jeûne du carême a été long et sévère, et si la journée pascale est l’anniversaire de la résurrection du Christ, elle semble être aussi une résurrection pour les chrétiens, qui l’appellent la « fête des fêtes, » le « triomphe des triomphes.» Dès la veille, un peu avant l’heure de minuit, les trente clochers de Tiflis s’ébranlent, et de joyeuses volées, troublant le silence nocturne, se répercutent d’une montagne à l’autre, comme si les cloches, mêlant sans discontinuer leurs voix éclatantes, échangeaient entre elles des prières mystérieuses. Je n’oublierai jamais l’impression que me causa cet étrange concert la première fois que je l’entendis. Je voyais gentilshommes et serfs sortir des maisons; la foule courait dans les églises, où les prêtres bénissaient les pains et les viandes qu’on leur apportait. On s’abordait avec de Joyeux sourires, on s’embrassait, et chacun répétait la formule sacramentelle : « Le Christ est ressuscité. » Le lendemain dimanche, jour de Pâque, on tue à Tiflis près de cent mille agneaux en souvenir de l’agneau divin. Les tables sont servies en permanence dans chaque maison, et tout visiteur qui entre est reçu comme un convive.

Le lundi de Pâque, une autre fête singulière, et barbare attire les bons Géorgiens vers la Montagne-Rouge, au nord de Tiflis, qui en est chaque année le théâtre. De grand matin, les paysans arrivent des campagnes environnantes, à dix lieues à la ronde, les uns à cheval, fusil au dos, kindjal (poignard) à la ceinture; d’autres sont traînés sur des arbas (charrettes) par des buffles. Le peuple apporte là de quoi festiner, du porc salé, des agneaux rôtis, du fromage, des concombres, des outres pleines de vin. Au bas de la montagne s’étend une vaste plaine nue et sans arbres, sur laquelle se dispersent les familles, les groupes, qui dressent des tentes bariolées et disposent çà et là des coussins et des tapis. Les chevaux entravés paissent l’herbe courte et rare; les chameaux et les buffles, couchés sur le ventre, ruminent voluptueusement.

Lorsque tous les préparatifs sont terminés, avant le festin, la fête, c’est-à-dire la bataille, commence. La foule se divise en deux camps, en deux troupes ennemies qui se livrent un sérieux combat à coups de pierres lancées par la main ou la fronde. Autour de l’arène principale ont lieu des duels particuliers où se vident les querelles de l’année : c’est une attaque d’homme à homme à poings fermés. Chaque combattant porte au doigt du milieu de la main droite un gros anneau d’argent, qui a la forme d’un serpent et dont la queue dressée fait parfois de dangereuses blessures : le sang coule inévitablement, et il n’est pas rare de ramasser des morts. Les blessés ne gardent point rancune à leurs vainqueurs; ils iront le lendemain brûler un cierge à l’église, ou se guériront en appliquant sur leurs plaies des images bénites ou des reliques. Le plus souvent, le visage encore tout sanglant, vainqueurs et vaincus se donnent une tendre accolade en se jurant par tous les saints orthodoxes une amitié éternelle.

Cette bataille sauvage, ces luttes étranges durent environ deux heures, et se terminent au signal du chef de la fête, élu parmi le peuple géorgien. A sa voix, la scène change soudain. La foule se forme par groupes inégaux dans la plaine ardente, les plus riches sous des tentes, les autres sous de larges ombrelles en toile écrue ; hommes et femmes s’accroupissent autour de petites tables basses, et le festin commence. La musique orientale, bruyante, folle, éveille les échos de la Montagne-Rouge. Les femmes, vêtues de leurs plus éclatans costumes, pieds nus ou chaussés de babouches à hauts talons, se dépouillent de leurs tchadras[1], et leurs voiles écartés laissent voir des visages frais comme ces roses qu’aimait le poète Hafiz. Égayée par la variété des costumes étincelans, la plaine ressemble de loin à un vaste champ de blé mouvant tout étoile de marguerites, de bluets et de coquelicots. Les jeunes filles dansent au son de la zourna (fifre) et de la dahira (tambourin), et les mélodies populaires du Caucase se croisent dans l’air, pareilles aux fusées d’un feu d’artifice. La danse et les chansons alternent. Les azarpèches, les koulas (vases à boire), les cornes de buffle circulent à la ronde, et les outres se vident au milieu des cris, des quolibets lancés d’un groupe à l’autre. Les moins bruyans se racontent des légendes du pays, jouent aux cartes ou au loto ; les plus graves, comme des fakirs indiens, fument en silence et agitent machinalement entre leurs doigts des chapelets d’ambre ou d’anthracite. Si quelque chanteur en renom assiste à la fête, on se presse autour de lui, et il chante à pleine voix une de ces romances de guerre ou d’amour qui expriment si fidèlement la fière mélancolie propre au caractère géorgien, celle-ci par exemple :

« Toutes les fois que la nuit, sous mon bourka (manteau), je dors sans me réveiller jusqu’à l’étoile matinale,
« Trois visions du paradis descendent vers moi, et je vois dans mon rêve trois merveilleuses beautés.
« Les yeux de la première beauté brillent d’un éclat qui fait pâlir les étoiles de la nuit.
« Quand la deuxième lève ses cils, son regard a la pénétration des yeux du serpent.
« Jamais la nuit, dans les montagnes, n’est aussi sombre que chez la troisième le noir profond de ses yeux.
« Et quand à l’aurore mon sommeil s’envole, sans me lever encore, je regarde dans le vide du firmament.
« Je regarde sans cesse, et je rêve en silence : si j’avais de l’argent, de l’argent, je construirais une maison ;
« Je l’entourerais de hautes murailles, et je m’y enfermerais avec mes visions.
« Du matin au matin, je leur chanterais des chansons ; de l’aurore à l’aurore, mes regards plongeraient dans leurs yeux. »

Du haut de la Montagne-Rouge, le paysage qu’on découvre est très accidenté et d’une grâce sauvage. Comme un flot se dresse à côté d’un flot par une forte houle, une montagne succède à une montagne, et l’œil enchanté aperçoit des lointains merveilleux où se mêlent, dans un bizarre désordre, les lumières et les grandes ombres, qui se déplacent, se raccourcissent, s’allongent, suivant le cours du soleil ou le caprice des nuages légers et blanchâtres emportés par le vent. Au loin, la chaîne du Caucase, couronnée de neiges éternelles, rafraîchit les yeux brûlés par le soleil ; le Koura, l’ancien Cyrus, bruissant comme la mer, déroule à travers Tiflis son large ruban d’argent. Au midi se dessine dans l’azur la montagne de Saint-David, où, semblable à un nid d’aigle, se suspend une vieille église presque ruinée et chère aux pèlerins. A travers les maisons de la ville, étagées sur les collines ou bâties à pic sur la rive escarpée du Koura, se détachent les masses verdoyantes des jardins, les cyprès pointus qui font flèche vers le ciel étincelant de lumière, et les coupoles byzantines des églises blanches, vertes ou dorées. Au coucher du soleil, à l’heure où les montagnes s’enveloppent d’une brume d’un bleu violet, les gens de la fête se séparent. On attelle les buffles, on selle les chevaux, on charge les chameaux. Au bruit des fifres et des tambourins, la foule venue de la ville regagne ses cabanes de bois pour continuer ses libations à Irais clos; les paysans se dispersent dans la campagne. Le soir, Tiflis offre un curieux spectacle à tous les doukans (cabarets), éclairés par une chandelle ou une torche de résine, retentissent de nouveau de chansons et de cris. Sur les terrasses, les jeunes filles dansent avec frénésie, encouragées par les applaudissemens des hommes. Vers minuit, les lumières s’éteignent, chaque porte se ferme tour à tour, et le majestueux silence des nuits d’Orient règne au loin sur la plaine.

Arrivé depuis quelques mois à Tiflis, j’avais assisté à la fête de la Montagne-Rouge avec une curiosité bien naturelle. Je m’étonnais du mélange de douceur et de sauvagerie que cette fête m’avait révélé, et j’étais encore sous l’impression que de pareilles scènes laissent inévitablement dans l’esprit d’un Européen, lorsque je fus invité à une noce arménienne, qui devait m’offrir l’occasion d’observer les mœurs du pays sous un nouvel aspect. Les Asiatiques ne cherchent qu’un prétexte pour se mettre en liesse, et tout mariage arménien est célébré avec une grande pompe dans les familles riches» presque avec luxe chez les pauvres gens. Vers sept heures du soir, j’entrai dans les salons d’un Arménien notable de Tiflis, nommé Pitzourhan, qui mariait sa fille Tamara. Partout flamboyaient les bougies parfumées et les lustres chargés de dorures. La plupart des hommes portaient le costume pittoresque du pays; les femmes, parées de leurs belles toilettes aux vives couleurs, étincelaient de pierreries et de diamans. La danse commença. La fiancée (les hommes en Asie ne dansent pas) s’avança au milieu du cercle des nombreux spectateurs, glissa mollement sur la mousse fine des tapis de Perse, baissant et levant les yeux tour à tour avec une délicate coquetterie; puis, au son d’une musique joyeuse, elle s’élança, tourbillonna, plus légère qu’une gazelle : on eût dit qu’elle voulait fuir et défier par sa fuite cadencée les attaques d’un amant invisible, et de temps en temps elle regardait à la dérobée son futur époux. Le rhythme se ralentissait, tendre comme une caresse, et soudain se précipitait avec une fougue nouvelle. Les tresses brunes de la danseuse se balançaient autour de sa robe de soie; son long voilé de dentelle flottait derrière ses épaules, et ses mains, pareilles à deux oiseaux blancs, voltigeaient voluptueusement au-dessus de sa tête, couronnée d’un diadème de satin. La joie rayonnait sur tous les visages, et les hommes applaudissaient bruyamment. La danse cessa. La jeune fille alla se placer debout entre sa mère et son parrain de noce[2]. Le parrain la baisa au front et fit un signe au fiancé. Aussitôt le jeune homme s’approcha, il mit sa main dans une des mains de Tamara, et lui retira sa bague de fiançailles, qu’il remplaça, par l’anneau conjugal. A cet instant arriva le prêtre, et les futurs époux après avoir reçu sa bénédiction, se dirigèrent, suivis des invités, vers l’église voisine, où se terminèrent les rites sacrés de l’hymen au son des cloches. Une heure après, le parrain de noce revint le premier, tira du fourreau un long sabre recourbé, l’appuya au-dessus de la porte d’entrée, où passèrent les deux époux, qu’il félicita et embrassa. La foule, revenue aussi de l’église, envahit les salles resplendissantes, où, l’on se dispersa, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. La soirée s’écoula doucement en danses, chants, musique; les pâtisseries, les confitures, les liqueurs circulaient à profusion. Les dames se mirent, à causer toutes à la fois, et le bruit de leurs, voix confondues imitait le bourdonnement des abeilles autour d’une ruche, tandis que les hommes fumaient, suivant la coutume asiatique, devant les tables de jeu.

Je m’étais assis au fond du jardin avec le prince Alexis Ivanovitch, qui m’avait offert obligeamment d’être mon cicérone à Tiflis. Les branches des platanes s’agitaient sur nos têtes comme des éventails. — Mon ami, disais-je au prince, vos Géorgiens sont un singulier peuple ! Je les trouve ici spirituels, doux et gracieux : eh bien! l’autre jour, j’ai assisté à la fête de la Montagne-Rouge, où je les ai vus se tuer comme des sauvages.

— C’est une vieille coutume du pays; laissez-nous redevenir sauvages une ou deux fois l’an... Mais, tenez, voici le banquier Ivan Minaévitch Mirzoëf qui vient se consoler au milieu des jasmins d’avoir perdu mille roubles* (4,000 francs) à la préférence[3].» Il vous raconterait à ce sujet une histoire assez curieuse, s’il savait un peu de français; mais j’essaierai de le remplacer.

Cette histoire, que le prince me conta en effet, j’essaie ici de la reproduire, car j’y ai trouvé de véritables révélations sur le caractère des paysans géorgiens, parmi lesquels je me sentais transporté en dépit des splendeurs qui m’entouraient et du bruit de la musique qui nous arrivait, tour à tour plaintif et joyeux, à travers les, parfums du jardin.


I

Un lundi de Pâque, en 185., deux habitans de Tiflis, deux hommes du peuple, Nicolaos et Mikaël, s’étaient donné rendez-vous à la Montagne-Rouge pour satisfaire une vieille rancune. Mingréliens tous deux et tous deux libres, ils étaient de plus voisins de campagne. À trois verstes environ de Tiflis, ils possédaient chacun une cabane et un enclos. Depuis quelques mois, ils s’étaient pris de querelle pour un pommier dont les racines avaient envahi et renversé la ligne de séparation de leurs petits domaines, qui étaient contigus. Sachant combien il est inutile et même dangereux de demander justice dans un pays où il faut dix années au moins pour décider du sort d’un arbre, ils avaient résolu, pour terminer leur différend, d’en appeler bravement à ce duel de fête, à cette sorte de jugement de Dieu. Sans colère sur le visage, comme s’ils accomplissaient un acte religieux, ils se retirèrent à l’écart. Le sentiment de la vengeance est des plus vifs dans certains pays d’Orient où le christianisme, altéré par les superstitions de l’église grecque, n’a pu réagir que faiblement contre l’âpreté des mœurs primitives.

— As-tu ta bague de combat ? demanda Mikaël.

— Oui, répondit Nicolaos.

— Nous, si nous ne voulons pas attendre à l’année prochaine.

— Veux-tu abattre le pommier ?

— Non, non, s’écria Mikaël. Dieu jugera entre nous : vaincu* je couperai le pommier ; si ton sang coule avant le mien, à moi l’arbre !

— Je ne vois pas mon fils Héraklé, dit Nicolaos.

— Il n’a rien à faire ici : il est là-bas, au jeu de la fronde.

Quelques spectateurs que la mêlée générale intéressait peu sans doute s’étaient éloignés du théâtre de la grande bataille, et entouraient curieusement çà et là les couples de duellistes. Nos deux champions passaient pour de vigoureux lutteurs, fermes sur leurs jarrets et ne sachant pas reculer. Un cercle assez nombreux s’était formé autour des deux Mingréliens. On les raillait ; ils n’entendaient rien, et leurs beaux yeux pensifs se tournaient vers ce ciel où s’en vont tous les rêves des hommes de l’Orient. — Holà, Mikaël ! criait un des spectateurs, quel œil va-t-on te crever ? — Nico, disait un autre, ton nez est trop long et trop rouge ; une bonne entaille t’en ôtera un morceau. — Les antagonistes, en silence, se débarrassèrent de leurs kindJtUs, qu’ils confièrent à un ami.

— Je connais Martha, la fille de Mikaël, disait à mi-voix une femme géorgienne ; elle est aimée d’Héraklé, parce qu’elle est jolie comme les muguets d’avril; le beau garçon peut aller se marier ailleurs.

— C’est vrai, répondit une autre femme, et quel dommage! Elle est mûre, elle aura quatorze ans cet automne !

— Pauvre Héraklé !

— On dit qu’ils étaient fiancés.

— Oh ! depuis tantôt deux ans.

— Héraklé n’a plus qu’à prendre son cœur et à le jeter dans le fleuve.

Pendant que les femmes devisaient ainsi, les deux adversaires préparaient leurs armes : ils s’enveloppaient le bras gauche d’une pièce de laine en guise de bouclier, et passaient au troisième doigt de leur main droite la bague géorgienne contournée en serpent. Après s’être salués et avoir récité tout bas une prière où ils se recommandaient à Dieu, ils se précipitèrent l’un contre l’autre. L’attaque fut rude, l’adresse égale des deux côtés. La sueur ruisselait sur leur visage, et la violence oblique des rayons du soleil les aveuglait. Au bout d’une lutte de dix minutes, Mikaël écorcha la joue de Nicolaos, dont le sang rougit la barbe brune. Les curieux applaudissaient; les uns voulaient que le combat en restât là; d’autres, excités par l’habileté et la force des lutteurs, criaient que deux vaillans hommes du Karthli ne pouvaient se séparer ainsi.

— Je ne suis pas mort, dit flegmatiquement Nicolaos. Allons, Mikaël, en avant!

Les coups de poing recommencèrent, et lorsque le chef de la fête donna le signal de la fin de la mêlée, Mikaël était sans blessure, tandis que le sang découlait de cinq ou six plaies de Nicolaos, dont le bras gauche et la tunique étaient en lambeaux.

— Dieu t’a exaucé, dit la victime. A toi le pommier !

— Embrassons-nous, dit Mikaël, et restons bons amis.

Ils s’en allèrent bras dessus, bras dessous, après avoir courtoisement échangé leurs bagues, laissant la foule se livrer à ses discussions.

— Mikaël, tu sais qu’Héraklé aime Martha?

— Oui; puisque Dieu les a unis, puisqu’ils sont fiancés, rien ne les empêche de se marier dans l’année. Tu as du bien, moi aussi. Certes on peut aller de Gori à Bakou, parcourir toutes les campagnes sans rencontrer un aussi beau couple. Nous serons bientôt grands-pères, Nico... Mais j’ai faim et soif; allons là-bas nous étendre sur l’herbe, nous serons mieux pour causer. Pendant que je vais préparer le festin, va te laver dans la rivière : l’eau fraîche te guérira mieux que ces drogues endiablées que vendent les Arméniens pour nous voler notre argent.

Nicolaos fut bientôt de retour. Abrités sous une large ombrelle, les jambes croisées à la turque, ils s’assirent à l’écart sur des tapis tatars. De l’œil, ils caressaient leurs provisions et l’outre gonflée de vin blanc. Ils remplissaient tour à tour un vase de bois nommé koula, qui a la forme d’une cornue. Héraklé manquait au festin, mais ils ne s’en inquiétèrent pas et devisèrent joyeusement. Le repas terminé, ils allumèrent leurs pipes, ornées de chaînettes d’argent, et ils continuèrent à boire et à causer tout en fumant. Les Géorgiens fument beaucoup et ils répètent volontiers l’axiome persan : « Sans le tabac, point d’allégresse pour le cœur! »

Au soleil couchant, la foule rentra par groupes, précédés d’une musique assourdissante, dans le cœur de la ville, et Nicolaos et Mikaël se dirigèrent ensemble vers leur logis, en se promettant que les deux familles souperaient ensemble pour terminer dignement la journée. Martha, qui avait, à cause de sa jeunesse, gardé la maison, connaissant les coutumes, n’était pas restée oisive : elle avait préparé pour le repas du soir des œufs, du poisson salé, du caviar frais et un gâteau appelé tckourtckéla, fait de noix pilées et de miel, et dont les Géorgiens sont très friands.

Pendant que Martha et la femme de Nicolaos (Mikaël était veuf) préparent le souper, auquel Héraklé n’eut garde de manquer, essayons de décrire en peu de mots la demeure des deux familles. Les chaumières de Kakhétie sont élevées d’un étage; la sakli du paysan géorgien est une véritable taupinière enfouie aux deux tiers dans le sol; la cabane mingrélienne, qui n’a qu’un rez-de-chaussée, bâti sur pilotis à cause de l’humidité et des pluies fréquentes, ressemble a l’arche de Noé : bêtes et gens habitent ensemble et vivent la nuit dans une intimité complète, de sorte que chèvres, cochons, moutons, bœufs, etc., sont seulement séparés par une barre de bois, et qu’ils méritent bien le nom d’animaux domestiques : ils font réellement partie de la famille. Au centre brûle un feu continuel dans une vaste et unique salle, autour de laquelle, sur des bancs peu élevés et recouverts de tapis grossiers, couchent les habitans de la chaumière mingrélienne. Mikaël et Nicolaos, quoique Mingréliens, avaient adopté les coutumes de Géorgie, ils n’avaient rejeté que les habitudes religieuses. Leurs petite domaines étaient situés sur les bords pittoresques du fleuve. Les enclos étaient assez vastes et bien cultivés. De là on apercevait les toits de Tiflis, la reine indolente, perdus dans une brume dorée.

Héraklé rentra un peu avant l’heure du souper, sa physionomie était morne et soucieuse.

— Qu’as-tu? lui demanda son père.

— Ah ! un grand malheur menace la famille, et quelqu’un mourra dans l’année.

— Te voilà gai pour un jour de fête ! De quoi donc as-tu peur ? Ne sais-tu pas qu’à ta naissance on t’a trempé dans le vin et qu’on t’a aspergé de sel pour te donner le courage et la force?

— Je ne l’ignore pas, mon père, mais... voici le fait. Je revenais le long du fleuve, et, ajouta-t-il en se signant, à la clarté de la lune j’ai vu dans le creux d’un rocher cinq cuillers de buis en forme de croix, avec une vilaine pierre noire à côté. Bien sûr, un malheur s’abattra sur nous. J’ai pensé à vous, à ma mère et à Martha, et je suis revenu tout triste.

— Allons, sois, joyeux, ne raconte pas ton histoire pour ne pas effrayer les autres, et viens souper.

— Je connais un remède, reprit à voix basse Héraklé ; je prendrai la peau d’une vipère, et je la porterai sur ma poitrine.

Durant le souper, on parla de la fête de la Montagne-Rouge, et Héraklé, sous l’impression du sortilège aperçu sur le rocher du Koura, ne secoua sa tristesse que pour raconter les exploits des uns et. des autres et les accidens de la journée. On se sépara enfin; seuls, Nicolaos et Mikaël continuèrent à manger, afin de trouver le vin meilleur.

— Je te parie, dit Mikaël en dégustant un œuf, que tous les matins pendant un an tu n’avales pas sans boire douze œufs durs.

— Vrai comme tu m’as écorché la figure aujourd’hui, je le ferai.

— Je te parie que non.

— Que gageons-nous?

— Mon bœuf blanc.

— Tu veux rire.

— Toutes les grappes de ma vigne, ou ma récolte de l’année?

— Ce n’est pas assez.

— Eh bien ! ton domaine contre le mien.

— J’accepte, cria Nicolaos en frappant dans la main de son compagnon, et que Dieu te garde!

Après avoir vidé un azarpèche de vin, ils jurèrent, l’un par saint George, l’autre par sainte Nina[4], d’exécuter les conditions suivantes : si Nicolaos mourait dans l’année ou renonçait au pari, Mikaël prenait possession de son bien. Un signe de croix couronna leurs conventions, et ils allèrent chacun chez soi s’étendre sur la planche qui leur servait de lit.

La nuit se passa sans que Nicolaos pût fermer l’œil;, il se tournait et se retournait sur son misérable tapis, en pensant au malheur ou à la joie qu’il se préparait pour un avenir assez proche. Il s’endormit enfin, et il eut un songe que le lendemain il raconta à sa femme. Il croyait entendre dans son, enclos caqueter les poules, qui tour à tour pondirent des œufs de diamant; ceux-ci se changèrent successivement en émeraude, en or, en argent, en cuivre, puis toutes les poules se mirent à pondre un œuf en pierre, et de petits démons noirâtres tuèrent les poules et jetèrent ces cailloux sur son corps, qui fut enseveli sous cette pluie comme dans un tombeau.

Au crépuscule, Nicolaos se leva, le front baigné de sueur, l’esprit tourmenté de ces visions nocturnes : mille idées superstitieuses s’agitèrent dans son cerveau ; mais le soleil dissipa un peu ses terreurs. Sa femme, en l’écoutant, se signa dévotement et lui dit : — Va brûler aujourd’hui un cierge à Saint-David, ou malheur t’adviendra.

— J’irai, femme, mais ce n’est rien. Au contraire, dans un an le petit domaine de Mikaël sera à moi.

— Es-tu fou? Tu n’es pas assez riche pour l’acheter.

— Retiens ta langue : je sais ce que je dis.

— Oui, oui, murmura la vieille femme, tu rêves diamans, tu n’auras que des pierres. Hier, pendant que tu étais à la fête, les tsiganes ont passé devant notre demeure, et la reine de la troupe, en me regardant, m’a jeté un sort et m’a dit : « Ton jardin est vert et fleuri; mais l’automne prochain des pierres pousseront sur tes arbres, comme des fruits de l’enfer. » Va, te dis-je, brûler un cierge à Saint-David.

Nicolaos, effrayé de cette prédiction, ne répondit pas à sa femme, lui tourna le dos et se dirigea vers la cabane de Mikaël, qui dormait encore.

— Holà! hé! Mikaël, le soleil a fait du chemin; debout!

— Ah! c’est toi? répondit l’autre en ouvrant sa porte. Que me veux-tu si matin?

— As-tu oublié notre pari d’hier?

— Non, dit Mikaël en se frottant les yeux.

Ils entrèrent tous deux dans la cabane. Là, en présence de son adversaire, Nicolaos dévora une douzaine d’œufs durs, puis, sous l’obsession du songe de la nuit, il suivit le conseil de sa femme, courut à la ville, escalada l’étroit sentier qui mène à l’église de Saint-David, et qui par ses aspérités ressemble au chemin du ciel. Devant les saintes images, il alluma des cierges, même devant l’image du diable, car il n’est pas d’église de Géorgie qui ne contienne une représentation peinte de l’enfer. Demandez à un Géorgien pourquoi il s’agenouille et prie devant le diable, il vous répondra : « On ne sait pas de qui l’on peut avoir besoin. » Nicolaos, après avoir collé ses lèvres sur toutes les reliques, baisa le seuil de pierre de l’église et sortit le cœur léger, comme s’il se fût assuré de la protection divine.

Héraklé ignorait encore la gageure que son père avait promis solennellement de tenir, et, pendant que Nicolaos faisait ses dévotions, lui, il courait voir Martha, sa belle fiancée. Si l’amour en Orient n’a pas les violences européennes, il ne connaît pas non plus la crainte et la pruderie. Les deux amoureux, qui avaient grandi ensemble, étaient liés l’un à l’autre par la confiance et l’espérance : Martha savait qu’Héraklé serait un jour son maître, et elle était contente de ne point rester fille et d’épouser un beau garçon. Que de fois il lui avait offert des fruits, un bracelet, des babouches brodées ! Elle acceptait toujours ces présens avec une joie enfantine, car les Géorgiennes ont beaucoup de coquetterie : vaniteuses, elles aiment ce qui les pare, et pour elles le meilleur cadeau est un miroir devant lequel elles passeraient volontiers leur vie. Martha était connue dans le pays pour sa grâce, et plus d’un Géorgien enviait le sort d’Héraklé, l’heureux fiancé. Lorsque Mikaël les rencontrait causant sous les arbres du jardin, il feignait de ne rien voir et s’esquivait. Quel mal à leurs entretiens ? pensait le père. N’étaient-ils pas fiancés? n’avaient-ils pas déjà échangé en face de l’autel du Christ l’anneau des fiançailles? Ils jouissaient donc tous deux librement de leur fraternel bonheur, sans songer qu’ici-bas rien n’est stable, et que peut-être déjà le malheur entr’ouvrait au-dessus d’eux ses ailés sombres.

La femme de Nicolaos gardait toujours dans un coin de son âme ses pressentimens funestes; mais son fils ne s’émut point de l’imprudente gageure paternelle. Les deux familles vivaient en paix; les hommes cultivaient leurs petits domaines, les femmes s’occupaient des soins du ménage. Nicolaos, fidèle à son serment, mangeait chaque matin ses œufs durs sous les yeux de son voisin. Les jours s’écoulèrent, puis les mois; enfin l’automne arriva. Quoique ce soit la plus belle saison en Géorgie, l’automne apporte la fièvre dans les plis de sa robe. L’été a presque tari les cours d’eau, d’où s’échappent des vapeurs malsaines, et les immondices de la ville asiatique, séchées par un cuisant soleil, répandent dans l’air leurs exhalaisons. Les pauvres gens, affaiblis par une mauvaise nourriture, manquent de force pour résister au fléau qui, tous les ans, ouvre tant de tombes dans les cimetières.

A mesure que la saison s’avançait, Nicolaos se montrait plus triste et plus abattu : il paraissait ne plus aimer rien, ni son enclos, ni le petit vin de Kakhétie. On le voyait souvent assis sur le seuil de sa porte, sa pipe éteinte entre ses doigs, silencieux, l’œil morne, comme si son corps eût été courbé par le remords. Le brave homme n’avait d’autre crime à se reprocher que l’intempérance des jours passés. N’importe, les passans le raillaient.

— Le visage de Nicolaos, chuchotait l’un, est jaune comme un limon de Trébizonde.

— Jaune ! reprenait un autre, dis donc plus vert que les olives-de son jardin.

Il entendait ces propos, mais il dédaignait d’y répondre et ne levait même pas la tête. Parfois, pour occuper l’activité de ses mains amaigries, il filait à l’ombre de sa cabane[5].

— Ce n’est pas de l’or qu’il file à sa quenouille, disait quelque méchante langue.

— Sa quenouille sera bientôt un cierge, si cela continue.

— Nicolaos, lui demandait un ami, es-tu malade ?

— Non, répondait-il brièvement en secouant la tête. Et à la même question il opposait invariablement la même réponse.

Sa femme et son fils avaient beau se désespérer, il demeurait toujours enseveli dans sa torpeur habituelle. Martha, qu’il aimait beaucoup et qu’il avait vue naître, perdait auprès de lui ses gentillesses et ses prévenances.

— Voulez-vous que je vous chante une jolie chanson tatare? disait-elle.

— Non.

— Je vais friser votre houdi[6], n’est-ce pas?

— Non.

— Allez à la chasse, cela vous distraira.

— Non.

Quelquefois Héraklé l’emmenait de force à Tiflis; mais, au bout d’un mois, trois verstes étaient devenues une trop longue course pour lui. Sa maigreur devenait plus visible de jour en jour, et quelques fils d’argent apparaissaient dans sa barbe noire. Héraklé et sa mère étaient plongés dans la tristesse; ils appelèrent un médecin arménien qui déclara que le mal était peut-être la fièvre ou peut-être autre chose. Bref, il ne comprit rien à la maladie; mais quand il sut que chaque matin Nicolaos avalait douze œufs cuits sous la cendre, il se récria et déclara cette nourriture mortelle. Le médecin, la femme, le fils, firent de vaines supplications pour obtenir que l’obstiné Mingrélien mît un terme à ce funeste régime. Le malade refusa, disant qu’il ne voulait pas perdre sa maison. Mikaël lui-même lui offrit de rompre le pari; il refusa : — Je l’ai juré, s’écria-t-il, j’aime mieux mourir que de violer mon serment.

— Je te rends ta parole, interrompait Mikaël pendant que sa fille pleurait.

— Toi, répondit-il, c’est bien, mais Dieu?

Le médecin revenait tous les jours, et tous les jours le mal empirait. — Oh ! pensait Héraklé, je le savais bien, ces maudites cuillers en buis que, le lundi de Pâque, j’ai aperçues sur un rocher du fleuve présageaient un malheur, et voilà que le sort frappe le chef de la famille. — De son côté, la vieille femme retournait dans son esprit les superstitions natales, et elle songeait à la prédiction de la tsigane. —Voici, disait-elle, les corbeaux qui déchirent l’air de leur cri sec ! Voici la mort sur leurs ailes noires !

Enfin Nicolaos s’alita et mourut. Ce fut dans sa demeure un deuil bruyant. Mikaël, généreux devant la mort, eut beau dire au fils de Nicolaos qu’il lui laisserait la maison paternelle; Héraklé refusa. — Elle est à toi, lui répondit-il, garde-la. Je respecte la volonté et le serment de mon père.

Il faut avoir vécu en Asie pour se faire une idée exacte des lamentations, des sanglots, des cris qui entourent un mort. Tous les voisins, tous les amis du défunt arrivent et se livrent aux plus vives manifestations de la douleur. La femme de Nicolaos arrachait ses cheveux gris, et de minute en minute hurlait à renverser la cabane; Héraklé poussait de terribles exclamations et se frappait la poitrine à coups redoublés. Le lendemain, on para le pauvre Nicolaos de ses plus beaux habits, on le déposa, le visage découvert, dans une bière bizarrement bariolée, et on le porta au cimetière. Le cimetière retentit de sanglots et de cris. Dix ou douze personnes, qui avaient conduit le convoi au champ du repos, agenouillées, pleuraient le mort, comme on dit en Géorgie. Les femmes s’arrachaient les cheveux, se frappaient le visage et se déchiraient le sein en répétant à haute voix l’éloge du défunt. Les unes commençaient sur une note grave qui montait peu à peu à des tons plus aigus, et demandaient au mort : « Pourquoi nous as-tu quittés? » D’autres reprenaient à l’unisson, se meurtrissaient encore, ajoutant des traits nouveaux au panégyrique funèbre. Les hommes, de leur côté, tiraient du creux de leurs poitrines des hurlemens désespérés, se frappaient la nuque avec de larges fouets de cuir. Héraklé mêlait sa douleur vraie à cette lamentable comédie, et lorsque, la fosse fermée, l’assistance se fut dispersée, le jeune homme, resté seul, se jeta à genoux sur la terre qui recouvrait les restes de son père, pria, pleura, et murmura tout bas ces menaçantes paroles : — O mon père, il t’a tué, mais je te vengerai!


II

Au sortir du cimetière, Héraklé ne se sentit pas la force d’aller tout de suite voir sa mère et la consoler ; il s’assit sur une tombe voisine de la route. Sa main crispée serrait son kindjal. — Je le tuerai ! répétait-il d’une voix étouffée. — Peu à peu cependant le calme étrange qui suit les grandes douleurs s’empara de lui. Le jeune homme s’oublia dans un triste rêve et embrassa d’un seul regard tous les bonheurs perdus en un moment. Que lui faisait la pauvreté ? Mais sa vieille mère si respectée ! mais Martha si tendrement aimée ! Le malheur, d’un seul coup, arrachait fruits et fleurs de l’arbre de sa vie. Il ne pleurait plus ; ses yeux étaient secs, brûlans, mais les larmes inondaient son cœur. C’est dans cette torpeur, suite inévitable d’un excès de souffrance, qu’Héraklé resta plongé jusqu’aux approches de la nuit. Rafraîchi par la rosée, il se leva et retourna à sa maison, qui n’était plus à lui, et d’où il fallait fuir comme un esclave.

À son retour, il trouva fermée la cabane de Mikaël, qui, par pudeur, s’était retiré devant une double misère. Héraklé embrassa sa mère, qui priait la Vierge pour l’âme de Nicolaos, et lui dit : — Mère, couche-toi ; moi, je vais dans l’enclos respirer une dernière fois ces belles fleurs qui appartiennent dès aujourd’hui à un autre. Sois sans peur, mère, je suis là, j’ai du cœur. Bonsoir, va dormir : demain nous verrons.

La bonne femme obéit, et son fils alla se promener dans le jardin.

La nuit a des baumes merveilleux pour les blessures de l’âme. Héraklé se sentit un peu rasséréné par cette pâle veillée d’automne. Il errait à peine depuis une demi-heure à travers les sentiers de l’enclos sombre, lorsqu’une voix douce, une voix déjeune fille, murmura son nom. Il tressaillit, écouta, et la même voix répéta : — Héraklé ! — Martha ! s’écria-t-il en serrant sa jeune fiancée contre son cœur. Merci !… Mais tout est perdu !….

— Non, répondit-elle, je t’aime !

— Que faire ? Me voilà pauvre, et ton père te gardera pour un autre.

— Jamais ! Dieu a uni nos mains et nos cœurs ; je ne rendrai notre anneau de fiançailles qu’à lui.

Quelques instans après, Martha, pieds nus, rentrait dans la sakli de Mikaël, et le lendemain, à la pointe du jour, Héraklé allait frapper à la porte de son voisin.

— Adieu, Mikaël ! dit-il. Je n’ai plus de fiancée, je pars ! À toi notre maison, notre jardin, tout, excepté mes vêtemens, mon fusil et mon kindjal.

Héraklé rentra dans l’ancienne demeure de Nicolaos. Quelques momens après, il s’éloignait en pleurant avec sa mère. La vieille femme marchait silencieuse et morne. A un coude du chemin qui les menait à Tiflis, tous deux* par un accord tacite, retournèrent la tête vers la chère demeure, verdoyante au loin, où ils avaient passé de si heureuses années* La mère sanglotait; le fils, pour cacher ses larmes, abaissa son koudi sur ses yeux et prit la main de sa mère, dont les genoux tremblans fléchissaient à chaque pas. Enveloppée de la tête aux pieds de sa tchadra bordée de bandes noires en signe de deuil, on l’eût prise pour une image symbolique de la douleur et de l’exil. La route, quoique bien courte, leur fut pénible. Ils arrivèrent enfin à Tiflis, et Héraklé se dirigea vers la Perspective-Golovine, où demeurait Ivan Mirzoëf, le banquier dont m’avait parlé le prince Alexis Ivanovitch, l’Arménien le plus riche et le plus généreux de la Géorgie. Il lui raconta ses misères, et l’Arménien lui répondit: — Pour que Dieu bénisse mes enfans et toute ma famille, que ta vieille mère accepte sous mon toit l’hospitalité du pain et du sel! Toi, jeune et fort, tu travailleras ou dans un de mes villages ou ici. Choisis. Je comprends ton chagrin, et je te laisse huit jours pour pleurer ton père. — La veuve de Nicolaos fut recommandée aux servantes, qui eurent pour elle les égards dus à son âge et à son malheur, tandis qu’Héraklé, après avoir baisé la main de Mirzoëf, sortit de la maison en promettant d’y revenir vers le milieu du jour. Il marcha vers l’orient, et atteignit son ancienne demeure. Il voulait revoir sa fiancée ; mais, apercevant Mikaël sur le seuil de sa porte, il rebroussa chemin et retourna à Tiflis, où çà et là sur son passage il recevait des uns et des autres des complimens de condoléance qui l’irritaient au lieu de le consoler.

En Géorgie, les femmes sont précoces, puisqu’on les marie vers leur onzième année; mais en revanche elles se flétrissent de bonne heure, comme ces opulentes fleurs d’Asie qui dépérissent si vite sous les flèches implacables du soleil. Toute femme géorgienne, eût-elle des enfans, est inconsolable de perdre son mari, son maître, qui lui apporte les joies de la vie par sa richesse, ou l’aisance par son travail. La mort de Nicolaos, surtout après son étrange aventure, avait plongé dans la misère sa veuve, qui souffrait d’avoir à manger le pain amer d’un étranger. Elle mourut bientôt. Le cœur d’Héraklé, à cette seconde perte, se gonfla de nouvelles colères, et, oubliant même son amour pour Martha, bravant les railleries de ses camarades, il jura de se venger de Mikaël, qui creusait tant de tombes autour de lui.

Un soir, assis sur un tertre près de Tiflis, les yeux tournés vers le couchant, il soupait en plein air; il mordait à un gros morceau de pain noir qui remplissait sa main droite, et dans la gauche il tenait une rose qu’il respirait à chaque bouchée, comme pour parfumer son frugal repas. il songeait à Martha, à ses parens morts, à Mikaël. Dans son âme, malgré les mois écoulés, la piété filiale imposait silence à l’amour. Impatient de se venger, il regardait tour à tour son fusil et son poignard d’un œil farouche. Cependant la potence l’effrayait un peu, et le brave garçon avait, comme tous ses compatriotes, une peur terrible de l’enfer. Son souper terminé, il eut soif, détacha d’un arbre son cheval, compta la menue monnaie de son sac de cuir, et alla se désaltérer à un cabaret appelé le Doukan des larmes, où les amis qui vont se séparer ont l’habitude d’arroser leurs adieux. Là il demanda un demi-pot de vin, s’assit sur un petit escabeau, alluma sa pipe et écouta la conversation des buveurs en suivant d’un regard distrait le vol joyeux des hirondelles. L’un racontait que, sans aucun motif, son seigneur l’avait frappé du plat de son sabre sur la grand’route, en lui demandant si le chemin était à lui. Un autre se plaignait de l’accroissement de sa famille; celui-ci vantait la beauté des épis presque mûrs, celui-là se perdait en discours sur l’excellence de son cheval, qui s’était emporté la veille. La conversation s’anima, et, après bien des propos frivoles, elle prit un intérêt sérieux pour le jeune homme, qu’aucun des buveurs ne connaissait. On parlait de la fille de Mikaël, d’un bel Imérithien, Verlinéri, et d’un prince fort riche, Nouran, qui se vantaient chacun d’obtenir, celui-là par la ruse, celui-ci par son or, les bonnes grâces de la fiancée d’Héraklé. Puis on en vint à d’autres sujets. — Dans une semaine, dit le dernier arrivant, c’est la fête de la Montagne-Rouge. Iras-tu, Ivan?

— Non, répondit le paysan, ma femme est malade, et je reste à la maison.

— Ce bon Ivan! reprit l’autre, il entrera dans le paradis par l’anneau d’argent qu’il porte au pouce.

Héraklé paya, sortit brusquement du doukan et sauta en selle. — Merci, Seigneur Dieu ! s’écria-t-il en caressant le col de son cheval. Mon père sera vengé, j’épouserai Martha, et Mikaël me rendra son héritage, ou je mourrai !

Quelle était donc l’idée subite qui avait fait sourire Héraklé, et pourquoi se sentait-il allégé comme par enchantement? Avait-il l’intention d’enlever sa fiancée et de s’enfuir avec elle dans quelque village du Caucase? — Kakour, disait-il à son cheval, tout ira bien, si Dieu nous protège! — Et il revint à Tiflis plus tranquille. Il s’arrêta aux portes de la ville, et vida dans un cabaret une nouvelle cruche de vin. — Comme tu es gai aujourd’hui, Héraklé! lui disait-on; est-ce que ton père est ressuscité ? Vas-tu épouser Martha ? — Ces railleries s’enfonçaient dans son cœur comme une épine; mais dès que l’air pur du soir eut caressé son visage, il se calma un peu et se laissa vivre. Il n’est guère de douleur qu’une nuit d’Asie n’apaise. Qui résisterait alors à la douce influence de cette magnifique nature? La lune éclate et sourit dans l’azur limpide; le firmament resplendit d’étoiles qui semblent plus grandes qu’en Europe : on dirait qu’en Orient l’on est plus près de l’amour et de la beauté. Héraklé regagna son logis assez tard, se coucha sur un des balcons intérieurs, et des songes dorés vinrent charmer son sommeil.

Le lendemain, de grand matin, il frisa son koudi, mit sa ceinture d’argent, et, léger comme un homme heureux, il dirigea sa course du côté de l’ancienne habitation de Nicolaos. En chemin, sa figure s’assombrit un instant, lorsqu’il passa devant le cimetière où reposait son père; il se signa plusieurs fois et continua sa route. Il allait donc revoir Martha, sa chère Martha! Comme le cœur lui battait! C’était la première joie qu’il eût ressentie depuis longtemps. A peine avait-il frappé à la porte de Mikaël, que Martha vint lui ouvrir. — Te voilà! lui dit-elle.

— Où est ton père?

— Il taille les arbres dans le jardin.

— Je vais l’y trouver : j’ai à lui parler.

— Ne vous querellez pas au moins.

— Sois tranquille.

Du plus loin qu’il aperçut le fils de Nicolaos, Mikaël lui cria :

— Bonjour, Héraklé!

— Bonjour, Mikaël.

— Veux-tu boire avec moi une koula de vin pour te rafraîchir?

— Volontiers, répondit le jeune homme en lui serrant la main; puis nous causerons.

Mikaël, à part lui, était satisfait de voir que le jeune homme ne lui gardait plus rancune. Ils entrèrent dans la chaumière et s’accroupirent devant une table basse où Martha déposa du pain noir, du fromage, des oignons et du vin. Ils s’entretinrent d’abord de choses indifférentes et frivoles; puis Héraklé interrompit brusquement son hôte.

— Nous sommes dans la semaine sainte, lui dit-il.

— Ah ! tu viens sans doute la veille du jeudi saint pour brûler ensemble nos diableries? Le soir du jeudi saint, en Géorgie, les chrétiens allument çà et là des feux de paille dans les rues ou dans la cour de leurs maisons pour rôtir le diable, qui en rôtit bien d’autres, comme ils disent, et femmes et enfans dansent en rond autour de la flamme pour se purifier de leurs vieux péchés, pendant que les hommes tirent en l’air des coups de fusil. Selon la tradition, Satan épouvanté s’enfuit sur une montagne du voisinage; mais il rentre dans la ville le lundi de Pâque, jour de la fête de la Montagne-Rouge, et les vieilles femmes affirment qu’il s’enivre avec les paysans et joue du fifre.

— Bien, ajouta Mikaël, dès qu’il fera nuit, nous grillerons nos peccadilles de l’année.

— Je ne suis pas venu pour cela, interrompit le jeune homme, mais pour te demander la revanche de la partie qu’a perdue mon père l’an dernier.

— Qu’entends-tu par là?

— Dans cinq jours, c’est la fête de la Montagne-Rouge; je te défie en combat singulier.

— Es-tu fou? J’ai la tête de plus que toi, je suis de la force d’un buffle, je t’abattrais du premier coup de poing. Non, non, je ne veux pas tuer toute ta famille. Ce n’est point ma faute si Nicolaos est mort : il s’est obstiné.

— Il le faut, dit Héraklé» dont l’œil s’enflamma de colère. Sais-tu ce que l’on dit de toi dans la ville? L’imérithien Verlinéri, le prince géorgien Nouran se disputent Martha ma fiancée, et l’or du prince...

— A quoi bon ces insultes? s’écria Mikaël. Ce que tu me dis, je l’ignorais. Soit, nous nous battrons; mais que parier? Tu n’as rien que tes deux bras et ta jeunesse, et ce n’est pas assez.

— N’importe! je suis libre : je t’offre ma liberté, si je perds, en échange de la maison de mon père et de la tienne.

— Tu l’auras voulu; tu fais un marché de dupe, l’ami! à ton aise! J’irai à ton enterrement, et je ferai dire des messes pour toi.

Pour sceller le marché, ils prononcèrent tous deux des sermens solennels et prirent à témoin l’un l’archange Gabriel, l’autre sainte Martha. — As-tu soif? demanda Mikaël.

— Non, dit le jeune homme, et il s’éloigna sans dire adieu à Martha, qui avait tout entendu et qui pleurait dans un coin de l’enclos. Au fond, Mikaël n’acceptait cette gageure qu’à contre-cœur. Quant au fils de Nicolaos, chemin faisant, il se félicitait tout bas, sans se cacher à lui-même, qu’il risquait contre son gigantesque adversaire sa liberté, son amour, peut-être sa vie.

Craignant les mauvais présages, Héraklé n’avait osé revenir à la cabane ni le jeudi ni le vendredi de la semaine sainte. Le samedi, il accourut à cheval. Martha croyait la défaite d’Héraklé inévitable, elle languissait, et ses yeux bleus avaient en deux nuits d’insomnie et de larmes perdu leur éclat charmant. Elle se montra cependant aimable et tendre, presque gaie, lorsque le fils de Nicolaos fut auprès d’elle, afin de ne l’effrayer par aucun pressentiment. Le jeune homme comprit bien vite qu’il était aimé. Il sourit de ses folles inquiétudes. Et pourtant il ne pouvait obtenir la main de Martha qu’en devenant riche, en reprenant par un combat loyal à Mikaël le bien que lui avait enlevé un funeste pari. Il persista donc dans sa résolution, et quitta le père de Martha en lui donnant rendez-vous au lundi de Pâque dans la plaine de la Montagne-Rouge. Puis il partit, non sans jeter à Martha un regard d’amoureuse pitié. Sur son chemin, il aperçut les croix du cimetière qui se détachaient en noir sur le ciel, et il pria longuement sur la tombe de son père.

Mikaël voyait avec effroi s’enfuir les heures et approcher le jour du combat. Il lui semblait que Dieu le châtiait de sa dureté envers la famille de Nicolaos, et pour étouffer le cri de sa conscience, il fit le vœu, s’il sortait victorieux de la lutte, d’aller en pèlerinage, pieds nus et tête découverte, au célèbre couvent de Martkoppi[7], et de donner aux moines trente livres de cire pendant sept années.

Le soleil matinal du lundi de Pâque, qui éclairait au loin les cimes neigeuses du Caucase, dora les toits verts et blancs de Tiflis. Partout la joie éclatait aux sons de la musique, et le peuple, revêtu de son costume pittoresque, accourait à flots pressés sur le théâtre de la fête déjà décrite au début de ce récit. Au premier signal, les deux combattans se mirent en garde, et un cercle nombreux les entoura. Les spectateurs de cette lutte inégale demeurèrent d’abord muets d’étonnement; l’un des lutteurs était jeune et de petite taille, l’autre de haute stature et dans la vigueur de l’âge. L’issue du combat ne pouvait être douteuse; mais le peuple géorgien ne sait pas garder longtemps sa gravité, et la lutte commencée devant une foule muette se continua bientôt au milieu de bruyans quolibets. Le jeune athlète, pâle de rage, se tenait sur la défensive, et il esquivait avec une merveilleuse adresse les formidables coups de Mikaël. Celui-ci reçut enfin, aux applaudissemens des spectateurs, trois blessures, et la foule exigea que les combattans prissent quelque repos. Au bout d’une courte trêve, on les vit s’élancer de nouveau l’un contre l’autre. Presque aussitôt un immense hourra retentit. La lutte était terminée. Héraklé se tenait droit et fier, sans une seule écorchure, devant son adversaire, affaissé sur le sol. Il remercia Dieu dans son cœur en murmurant : — Mon père, es-tu vengé? — Ensuite il aida Mikaël à se relever, et l’on transporta le colosse abattu à sa demeure sur une charrette.

Héraklé, dès qu’il sut le père de Martha guéri de ses blessures peu dangereuses, se rendit chez lui. Mikaël était sombre, il ne répondit point au salut du vainqueur, et Martha détourna de lui les yeux. — Eh bien ! Mikaël, comment te portes-tu? dit joyeusement Héraklé. Tu n’as pas l’air gai aujourd’hui. Ah! ah! te voilà les mains vides comme la bourse d’un prince de Kakhétie! — Comme le rancuneux Mingrélien gardait encore le silence, il continua à le railler.

— Veux-tu à ton tour être mon domestique? Eh! ces deux petits enclos, que tu as eu la bonté de soigner pendant un an, regarde, sont-ils gentils, pleins de verdure, de fleurs, de fruits, de pastèques qui font venir l’eau à la bouche!

Martha avait fui dans l’intérieur de la cabane, où elle s’était enfermée.

— Écoute, petit père, continua malicieusement le fils de Nicolaos; causons sérieusement, sans nous fâcher, en bons amis. Tu le sais, j’aime ta fille, et mon amour pour elle te sauve de la pauvreté.

— Que signifie?...

— Je garde l’héritage paternel; toi, reprends ton domaine et ta maison, et donne-moi Martha.

La petite porte de la sakli s’entr’ouvrit doucement. Un éclair de joie illumina soudain le visage de Mikaël, qui appela à haute voix :

— Martha! — Alors la porte s’ouvrit toute grande, et la fille de Mikaël tomba dans les bras d’Héraklé.

Au fond de l’âme, Mikaël avait bien quelque regret du dénoûment de cette aventure, mais il refoula sa mauvaise humeur et tendit amicalement la main à son gendre.

— Martha, dit-il, pour fêter cette heureuse journée, cours chercher une cruche de vin. — La jeune fille, le visage joyeux, revint, et pendant que les ennemis réconciliés buvaient à petites gorgées le vin de Kakhétie, elle chanta d’une voix émue cette chanson indigène :


LES TROIS CAVALIERS.

« Samila a vu quinze fois mûrir les pommes; elle est belle comme une rose qui s’entr’ouvre à l’aurore.

« Tous les jeunes seigneurs des environs la voulaient pour épousée; mais le père farouche jura qu’elle n’aurait point d’époux.

« Il l’enferma, la belle fille, dans la plus haute tour de son château, bâti sur une montagne inaccessible, au-dessus d’un roc escarpé.

« Le jour, la nuit, Samila pleurait, pleurait, et elle regardait par une étroite fenêtre si on ne venait pas la délivrer.

« Elle passait sa main à travers les barreaux de fer et agitait dans l’air son voile blanc, humide de larmes.

« Un matin passa un cavalier monté sur un cheval noir, plus agile qu’un léopard, et qui s’appelait Simdidré (en langue géorgienne richesse).

« Il enfonça l’éperon d’argent dans ses flancs, et le cheval sauta jusqu’à la première fenêtre de la tour.

« Le lendemain survint un autre cavalier qui galopait sur un cheval gris, nommé Simchveniéré (beauté).

« Il ne toucha dans son vol qu’à la deuxième fenêtre de la tour, retomba sur le sol et s’enfuit tout honteux du côté du vallon.

« Samila pleura la nuit entière; mais, au soleil levant, arriva encore un cavalier, qu’emportait un cheval blanc, appelé Sikhvarouli (amour).

« La princesse laissa rentrer ses larmes dans son cœur, sourit de loin au cavalier, agita son long voile et tendit vers lui ses deux mains.

« Le cheval blanc s’élança, comme s’il eût eu des ailes, et atteignit la troisième fenêtre de la tour où languissait la prisonnière.

« Samila poussa un cri de joie, se précipita dans les bras du cavalier, qui l’emporta à travers les airs et lui donna un long baiser.

« Il l’emmena dans son château, où il l*épousa, — et l’amour fit ce que n’avaient pu faire la richesse et la beauté. »


Héraklé, qui avait compris le sens de la chanson, serra de nouveau Martha sur son cœur en la remerciant d’un tendre sourire.


L’histoire que je viens de reproduire dans son étrangeté toute locale est de date récente. Le 2 septembre 1860, je m’étais réuni aux pèlerins qui vont annuellement visiter la grande cathédrale de Mtzkhèta, ancienne capitale de la Géorgie, située à vingt-six verstes de Tiflis, et qui n? est aujourd’hui qu’une bourgade sans importance. C’est un intéressant spectacle que cette mêlée de costumes bigarrés, tout éclatans d’or et de soie, où le capuchon mingrélien et la fronde brodée dont se coiffent les Imérithiens se croisent avec le bonnet en poil d’agneau de la Géorgie. Hommes et femmes, seigneurs et paysans, tout se mêle dans la ville ruinée, qui semble un moment rendue à la vie. Ma curiosité de voyageur m’entraîna dans l’église, entourée d’un mur crénelé comme une forteresse. J’étais accompagné du prince Alexis Ivanovitch. L’église, magnifiquement éclairée, se vidait et se remplissait de quart d’heure en quart d’heure. Les pèlerins venus des alentours, les uns en voiture ou à cheval, les autres à pied, le chef nu, d’autres à genoux dans la poussière, se pressaient dans le temple, priaient, brûlaient des cierges devant les reliques, faisaient des vœux, baisaient pieusement les dalles et le seuil. Au milieu de la foule, je remarquai un jeune homme et une jeune femme d’une beauté singulière, et qui, inclinés sur les dalles, les frappant de leur front, s’abandonnaient à tous les élans de la piété la plus fervente. Comme je faisais part à mon compagnon de l’intérêt que m’inspiraient ces jeunes gens d’une physionomie à la fois si douce et si grave : — C’est Héraklé, fils de Nicolaos, me dit-il, et sa femme Martha, la plus belle fleur de la Géorgie.


HENRI CANTEL.

  1. Pièce d’étoffe de coton, de laine ou de soie, dont les Géorgiennes s’enveloppent de la tête aux pieds.
  2. , D’après un antique usage, c’est le titre donné à l’unique témoin d’un manager arménien.
  3. Jeu russe.
  4. Saint George et sainte Nina sont les deux patrons de la Géorgie.
  5. Usage très répandu dans les campagnes géorgiennes.
  6. Bonnet en poil d’agneau.
  7. Monastère fondé au Ve siècle, et qui s’élève à 22 verstes de Tiflis.