Halina Oginska/Précis historique

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Librairie de Charles Gosselin (Volume 1p. 1-18).

PRÉCIS HISTORIQUE.


PRÉCIS HISTORIQUE.




La mort du roi Jean Sobieski, cette brave épée de la chrétienté, défenseur de Vienne et vainqueur des Turcs, avait replongé la Pologne dans les troubles de l’anarchie. Pourquoi la reconnaissance que devaient éprouver naturellement les Polonais pour la mémoire de ce héros ne leur inspira-t-elle pas le désir de conserver le trône à une race illustrée par les exploits de son vaillant chef ? — Le prince Jacques Sobieski, fils aîné de Jean III, méritait d’ailleurs les suffrages de ses concitoyens ; il avait fait ses preuves de valeur sous Vienne et en Hongrie, à côté de son illustre père, et la pointe de son sabre s’était croisée plus d’une fois avec le cimeterre turc. Un parti puissant, soutenu par la veuve du roi Jean et par le jeune et vertueux palatin de Posen, Stanislas Lesczynski, qui lui-même plus tard obtint la couronne, voulait placer sur le trône le prince Jacques. — Douée des grâces séduisantes et de l’esprit qui distinguent ses compatriotes, Marie-Casimire de la Grange d’Arquien, épouse du roi Jean, abusa peut-être de l’empire que lui donnaient ces avantages sur le cœur de son époux, en prenant une part trop active dans les différents partis qui agitaient constamment la Pologne. Jalouse de conserver et d’étendre l’influence qu’elle avait exercée sous le règne précédent, Marie, guidée par l’ambition plus que par la tendresse maternelle, employa toutes les ressources de l’intrigue pour assurer la couronne à son fils. Malheureusement l’indifférence que la reine avait toujours manifestée pour ce fils inspira au prince Jacques un grand éloignement pour les Français. Ce sentiment n’avait point échappé au coup-d’œil pénétrant et à la sagacité de l’abbé, depuis cardinal de Polignac, l’un des plus habiles politiques du siècle de Louis XIV et ambassadeur de ce prince auprès de la république de Pologne. Lorsque Marie, dans l’intérêt de son fils, réclama l’appui de la France, Polignac lui répondit : « Madame, je m’empresserais de vous servir si je pouvais ignorer que votre fils n’a point hérité de l’affection que sa mère conserve à sa nation et à la mienne. » Tout en refusant à Marie l’assistance qu’elle lui demandait, Polignac fut assez heureux ou assez adroit pour lui persuader d’offrir à la France les trésors que son époux lui avait laissés en mourant. Polignac s’en servit à grossir le parti du prince de Conti, que Louis XIV voulait placer sur le trône de Pologne, dans la vue d’étendre sa propre influence sur le continent, d’opposer une barrière naturelle à l’ambition de l’Autriche et de resserrer l’Allemagne toute entière dans les limites convenables à la politique de ce grand souverain. La république se trouvant accablée de charges extraordinaires dans son expédition contre les Tartares, l’abbé de Polignac s’empressa de lui faire, au nom de son maître, des offres considérables. La plupart des palatins et des grands du royaume penchaient à les accepter, séduits par les discours insinuants de l’ambassadeur et le portrait flatteur du prince de Conti, qu’il leur Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/15 Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/16 Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/17 Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/18 Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/19 Page:Tisenhauz - Halina Oginska - vol1.djvu/20 en Saxe. — Auguste se promettait d’éluder avec le temps des conditions qui lui semblaient trop dures. Ce prince avait des qualités propres à lui attirer l’attachement des Polonais. Son extérieur était prévenant, ses manières nobles, polies ; il était généreux, brave, éclairé, magnifique ; il aimait et protégeait les arts ; mais accoutumé à gouverner un pays entièrement soumis à sa volonté, il ne sentait pas le danger qu’il y avait à heurter les opinions d’une nation jalouse de ses priviléges et fière de son indépendance. Sans égard pour la parole qu’il avait donnée (et la parole d’un souverain doit être si sacrée, si inviolable !) ; sans égard aux représentations de plusieurs palatinats qui se plaignirent à diverses reprises du désordre occasionné par la présence des troupes saxonnes, Auguste continua à entretenir son armée en Pologne. Il fit plus : sous le prétexte spécieux de recouvrer les provinces enlevées par les Turcs, Auguste, sans la participation de la république, conclut un traité avec l’empereur d’Autriche, le czar de Russie, le loi de Danemarck, le duc de Saxe-Gotha, qui s’engagèrent à lui fournir des troupes. Mais le désir de reprendre la Livonie, province cédée par un traité solennel à la Suède depuis un siècle, était le véritable but de cette coalition et de la fausse politique d’Auguste, qui d’un côté irritait la nation qui lui avait confié ses destins, et de l’autre s’attirait un ennemi redoutable.

Un homme hardi, entreprenant, Livonien de naissance, nommé Patkul, qui avait été arrêté sous le règne du père de Charles XII pour avoir osé se plaindre devant ce prince de la pesanteur du joug dont il accablait la Livonie, ayant réussi à s’évader de la prison où il était détenu, avait trouvé un asile à la cour d’Auguste. Il y gagna les bonnes grâces et la confiance de ce prince en lui persuadant de reconquérir la Livonie. Mes compatriotes, lui disait-il, aigris par une longue oppression, fatigués de l’esclavage, vous recevront comme leur libérateur. Charles XI n’existe plus et Charles XII n’est qu’un enfant. — Mais cet enfant, déjà vainqueur du Danemarck, cet enfant qui allait obtenir par d’éclatants succès le surnom d’Alexandre du Nord, Charles accourait impatient de se venger des imprudents aggresseurs qui osaient lui disputer l’héritage de ses pères. Avec la rapidité de l’aigle, il fondit d’abord sur l’Estonie, province dépendante de la Suède. Narva, capitale de l’Estonie, était assiégée par une armée russe forte de quatre-vingt mille hommes. Charles, à la tête de huit mille Suédois, inspirés par la présence et l’exemple d’un héros, ose attaquer le camp russe et remporte une victoire complète. Après avoir glorieusement triomphé de deux de ses ennemis, le roi de Danemarck et le czar de Russie, Charles poursuivit sa marche victorieuse pour atteindre Auguste, dont il avait juré la perte au fond de son cœur et d’un cœur inflexible. Le roi de Pologne, ayant échoué au siége de Riga qu’il avait commandé en personne, et n’ayant pas trouvé en Livonie les dispositions amicales dont l’avait flatté Patkul, laissa le commandement de ses troupes au général Stenau et au duc de Courlande, et se retira lui-même en Pologne. Les deux armées se rencontrèrent près la Dwina. Après un combat opiniâtre, la victoire, longtemps disputée, se déclara pour les Suédois, et Charles XII marcha vers la Courlande. — Cependant les Polonais, doublement irrités et mécontents d’une guerre injuste entreprise sans le consentement de la république, et d’un traité conclu sans son aveu, chose qui violait ouvertement les priviléges nationaux, les Polonais sommaient avec fierté Auguste de remplir ses engagements et de faire sortir ses troupes du royaume. Les plus ardents patriotes menaçaient de faire main-basse sur tous les soldats saxons, sans attendre, disaient-ils, que de nouvelles troupes étrangères vinssent augmenter le désordre et opprimer la liberté. — Telle était à cette époque la situation politique et intérieure de la république dont nous avons cru devoir donner ici un court exposé pour l’intelligence du lecteur.