Hamilton - En Corée (traduit par Bazalgette), 1904/Chapitre XX

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Traduction par Léon Bazalgette.
Félix Juven (p. 313-318).


CHAPITRE XX


SÉCHERESSE. — FAMINE. — DÉSORDRES DE L’INTÉRIEUR. — PLUIE ET MALADIES.


Il est difficile, pour nous qui habitons l’Angleterre, de comprendre quelle peut être l’étendue des maux qui résultent d’un manque absolu de pluie dans des pays où la population compte sur elle pour se procurer son pain quotidien. Lorsque les journaux annoncent brièvement le retard des moussons, cela ne donne aucun signe de l’anxiété avec laquelle des millions de gens considèrent la moisson prochaine. L’eau donne la vie aux champs de riz et la sécheresse a pour conséquence, non seulement la ruine d’une récolte, mais la famine avec ses résultats : les désordres de toute nature, la maladie et la mort. Les moyens dont dispose le gouvernement de l’Inde permettent de prévenir les soulèvements de la populace. En Extrême-Orient, où l’administration civile n’est pas en mesure de faire face aux exigences de la situation et où la distribution méthodique de secours est inconnue, la ruine des récoltes a pour conséquence immédiate, la décimation de la population et le bouleversement complet de l’édifice social.

Une preuve encore plus convaincante des effets néfastes de la sécheresse, là où la vie de la population dépend de la récolte du riz, est apportée par la famine de 1901 en Corée, qui fit un nombre effrayant de victimes et qui causa de graves désordres. Le pays fut frappé de ruine ; les districts de l’intérieur furent envahis par une populace désespérée. Des gens d’ordinaire pacifiques et respectueux de la loi se réunirent pour piller les campagnes, dans l’espoir de se procurer une nourriture suffisante pour ne pas mourir de faim, eux et leurs familles. La faim chassa des populations entières des villages vers les villes, où il n’y avait pas de provisions pour eux. L’anarchie régna dans tout le pays et la population fut poussée par le besoin à des résolutions désespérées. Une armée de mendiants envahit la capitale. Les rues de Séoul devinrent peu sûres à la tombée du jour ; des bandits se livrèrent ouvertement au pillage dans la province de Kyong-keui, où est située la capitale. D’une contrée tranquille et heureuse, ensoleillée et calme, la famine fit, en peu de mois, une terre de désolation où régnaient la misère, la pauvreté et le désordre.

Les moyens de secours étaient tout à fait insuffisants, et bien qu’on importât du riz, un grand nombre de gens, manquant d’argent pour en acheter, moururent de faim. L’absence d’une organisation efficace en présence de ces désastres augmenta la confusion. Avant qu’aucune disposition ait pu être prise en vue des secours, plusieurs milliers d’habitants moururent. Il y avait alors à Séoul 20.000 indigents sur une population qui n’atteignait pas tout à fait 200.000 âmes. Les nouvelles reçues des centres provinciaux signalaient que dans un grand nombre de districts ruraux régnait une absolue sauvagerie. La famine, la peste et la mort régnèrent sans conteste pendant des mois, et un grand nombre de gens qui n’étaient pas morts de faim, périrent dans la suite, emportés par les maladies qui ravagèrent le pays.

On peut croire que la famine n’aurait pas pris de telles proportions, si le gouvernement coréen avait maintenu l’embargo sur les exportations de céréales. Il n’est pas douteux qu’en levant cette prohibition, il contribua à diminuer la quantité de vivres à la disposition du peuple, au moment où sa misère était la plus aiguë. Le chiffre des décès concernant les territoires dévastés par la famine montrent qu’il y eut plus d’un million de victimes. La conduite du Japon, qui insista pour que l’interdiction fût levée, afin de sauvegarder les intérêts d’une demi-douzaine de marchands de riz japonais, mérite la plus sévère condamnation. La responsabilité principale de cette hécatombe retombe entièrement sur le gouvernement japonais. En contraignant par la terreur le gouvernement coréen à un acte qui eut pour conséquence la mort d’un million de gens, le gouvernement japonais se compromit par une politique qui était contraire aux préceptes de la raison et du sens commun, et qui en même temps outrageait tous les principes d’humanité. L’observateur impartial doit tenir la Corée pour non coupable en cette affaire. Il est vraiment déplorable que l’opposition véhémente de son gouvernement n’ait pas été respectée. Quoi qu’il en soit, cet exemple illustre l’attitude répréhensible du gouvernement japonais dans ses relations avec la Corée.

Le caractère exceptionnel de la sécheresse prête un certain intérêt aux constatations hydrométriques concernant Chemulpo et allant de 1887 au milieu de 1901, qui furent faites par le correspondant de l’Observatoire de physique de Saint-Pétersbourg. La quantité de pluie enregistrée se rapporte aux années 1887-1900, et à la première moitié de 1901. Le professeur H. Hulhert a fait remarquer qu’en évaluant la quantité suffisante ou insuffisante de pluie, il était nécessaire de savoir en quelle saison de l’année la pluie était tombée. Trente pouces de pluie en novembre seraient moins utiles aux champs de riz que quinze pouces en juin. Pour la culture du riz, il faut que la pluie tombe au bon moment. Autrement elle est sans utilité, et tout en augmentant la quantité réelle de pluie tombée pendant l’année, un vrai déluge, se produisant en dehors du temps favorable, ne serait d’aucun avantage pour l’agriculture.


CONSTATATIONS HYDROMÉTRIQUES


ANNÉES PLUIE NEIGE TOTAL BROUILLARD PLUIE NEIGE
Pouces. Jours. Heures. J. H. J. H.
1887 30.86 2.00 32.86 13 3 19 17 4 2
1888 20.91 2.15 23.06 14 5 12 6 3 3
1889 28.18 0.91 29.09 25 13 25 5 5 9
1890 47.00 1.06 48.06 12 18 27 10 0 64
1891 41.04 1.66 41.70 13 5 30 20 3 7
1892 34.04 1.20 35.24 15 20 16 10 4 6
1893 50.64 3.55 54.19 31 5 36 6 8 11
1894 31.81 0.64 32.45 33 18 21 9 1 8
1895 31.88 2.06 33.94 32 7 29 11 6 17
1896 31.08 5.15 36.23 51 7 27 0 2 0
1897 48.35 3.23 51.58 24 5 31 17 4 18
1898 37.80 4.73 42.53 31 14 29 19 5 15
1899 25.07 2.05 27.12 18 19 1 3
1900 29.14 0.83 29.97 21 2 0 20
1901 7.09 0.06 7.13 7 5 3 7 2 0


Voici également la quantité de pluie tombée pendant les années 1898-1901, à la saison où une pluie abondante est d’une suprême importance pour le riz.


ANNÉE JUIN JUILLET AOÛT TOTAL
1898… 4.5 10.0 11.0 25.5
1899… 8.5 7.5 6.7 22.7
1900… 2.0 6.2 4.5 12.7
1901… 0.3 2.7 1.1 4.1


Dans un pays où on cultive le riz, comme la Corée, il est essentiel qu’une quantité suffisante de pluie tombe pendant les trois mois d’été pour permettre au riz de semence d’être transplanté, et au grain de mûrir. En 1901, à cause du manque d’eau, la plus grande partie du riz de semence ne put être transplantée, et il se dessécha.

Il est naturellement inévitable que l’une des conséquences immédiates de la famine soit un accroissement de mortalité dans tout le pays. La misère, à laquelle des milliers de Coréens furent réduits, affaiblit à tel point leur constitution que, dans beaucoup de cas, ceux qui avaient eu la chance de ne pas mourir de faim demeurèrent affaiblis. Nombreux furent ceux que l’épuisement résultant de leurs privations disposa particulièrement à la maladie. Ceci fut plus spécialement le cas pour les districts de l’intérieur.

En temps ordinaire, la malaria est peut-être la maladie la plus commune en Corée. Elle sévit dans toute la contrée, mais elle est plus étroitement localisée dans les régions où les champs de riz sont nombreux. La petite vérole règne d’une façon presque constante et se déclare sous forme d’épidémie à des périodes très rapprochées l’une de l’autre. Presque tous les adultes et la plupart des enfants au-dessus de dix ans l’ont eue. La lèpre est assez générale dans les provinces méridionales, mais elle se répand très lentement. Cette maladie présente tous les caractères décrits dans les manuels ; mais son accroissement presque imperceptible en Corée fait fortement présumer qu’elle n’est pas contagieuse.

Le grand ennemi de la santé est le bacille de la tuberculose. Le manque d’aération, l’absence d’hygiène et la petitesse des maisons, développent ce germe. Les affections tuberculeuses et des articulations sont communes ; de même la fistule, le bec-de-lièvre, les maladies des yeux, de la gorge et des oreilles. La plus commune parmi les maladies des yeux est la cataracte ; et parmi celles de l’oreille, la suppuration de la cavité moyenne, qui est dans la plupart des cas une suite de la petite vérole survenue pendant l’enfance. Les polypes du nez sont également très fréquents. L’hystérie est assez commune, et on rencontre, parmi les maladies nerveuses, l’épilepsie et la paralysie. L’indigestion est presque un fléau national ; elle est provoquée par l’habitude de manger rapidement d’énormes quantités de riz bouilli et de poisson cru. Le mal de dents est moins fréquent que dans les autres pays, la diphtérie et la fièvre typhoïde sont très rares, et la fièvre scarlatine est presque inconnue. Le typhus, la fièvre rémittente de malaria, et la fièvre intermittente ne sont pas rares.

En somme, les maladies les plus fréquentes sont celles qui résultent de la malpropreté, et aussi de la qualité médiocre de la nourriture et l’étroitesse des logements. La plupart des maladies communes à l’humanité se retrouvent en Corée.