Han d’Islande/Revue de la critique

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Han d’Islande, Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; OllendorffRoman, tome I (p. 350-352).


II

REVUE DE LA CRITIQUE.


Nous nous sommes livrés aux plus longues et aux plus consciencieuses recherches dans les journaux de l’époque, et nous avons été insuffisamment récompensés de tant d’efforts obstinés. Peut-être découvrirait-on les motifs de cette réserve des journaux dans les dernières lignes de la préface d’avril 1823 ; Victor Hugo la terminait « lorsque son libraire, au moment d’envoyer l’ouvrage aux journaux, est venu lui demander pour eux quelques petits articles de complaisance sur son propre ouvrage, ajoutant, pour dissiper tous les scrupules de l’auteur, que son écriture ne serait pas compromise, et qu’il les recopierait lui-même. Ce dernier trait lui a semblé touchant. Comme il paraît qu’en ce siècle tout lumineux, chacun se fait un devoir d’éclairer son prochain sur ses qualités et perfections personnelles, chose dont nul n’est mieux instruit que leur propriétaire ; comme, d’ailleurs, cette dernière tentation est assez forte, l’auteur croit, dans le cas où il y succomberait, devoir prévenir le public de ne jamais croire qu’à demi tout ce que les journaux lui diront de son ouvrage. »

Victor Hugo, jeune, ardent, croyait que la publicité ne devait pas plus être sollicitée que la critique. Mais grâce à ce désintéressement, et surtout à son désir de garder l’anonyme, il n’est pas surprenant que les journaux aient été avares de commentaires.

Le Réveil.

Voici une composition nouvelle, visiblement empreinte du génie original de sir Walter Scott, et que sans doute ne désavouerait pas ce romancier célèbre. Si un intérêt prodigieux, des scènes et des situations neuves et originales, des effets heureusement combinés, un tableau fidèle des mœurs et des lieux sont les qualités d’un genre littéraire moins frivole qu’on ne pense, nous osons affirmer que ce nouveau roman mérite entre tous une situation particulière. Nous ne doutons pas que beaucoup ne le placent tout à côté des œuvres de l’honorable baronnet anglais, et peut-être au-dessus.

Le sombre et le terrible dominent dans ce drame, et l’auteur, qui s’est plu à s’envelopper d’un voile impénétrable, n’en est peut-être pas le moins mystérieux personnage.

Le temps nous révélera sans doute ce secret ; en attendant, la renommée proclame déjà le nom d’un de nos plus jeunes poètes les plus distingués.

Nous avons cherché quelque article très hostile et très violent, ce qui est un éloge pour un jeune homme qui débute dans les lettres et qui n’a guère l’espoir d’attirer l’attention sur lui. Car malgré l’anonymat, on se doutait bien que Han d’Islande était de Victor Hugo. Nous avons découvert dans le Mercure du dix-neuvième siècle de grossières banalités qui n’ont qu’une parenté très éloignée avec la critique. Tirons-les de l’oubli, à titre de curiosité, malgré le préjudice qu’elles peuvent porter à celui qui les a signées.

Le Mercure du dix-neuvième siècle.
L. Thiessé.

… Si les événements de ce roman sont neufs et singuliers, le style n’en est pas non plus ordinaire. L’auteur a pensé qu’un sujet étrange ne devait pas être traité en style naturel et simple. Il faut de l’harmonie dans un tableau. Ce serait pour nous une tâche très longue de citer tout ce que Han d’Islande offre de remarquable sous ce rapport ; bornons-nous à transcrire quelques phrases.

Après quelques citations, le journaliste poursuit :

… Il serait difficile peut-être de dire à quel genre appartient un tel ouvrage et quelle muse l’a inspiré. Les métaphysiciens prétendent que le génie est voisin de la démence. S’il en est ainsi, on peut dire que l’auteur de Han d’Islande n’est pas très éloigné du génie. Les lecteurs qui aiment le nouveau en trouveront abondamment dans les quatre volumes de Han d’Islande.

… Ce roman est le fruit d’un songe pénible et prolongé. Au reste, les auteurs sont quelquefois sujets à ce genre d’indisposition. Je ne citerai pour exemple que Victor Hugo, qui paraît en être plus travaillé qu’un autre, puisqu’il a cru devoir lui consacrer une ode entière. On trouve dans cette ode quelques vers qui peuvent s’appliquer au roman de Han d’Islande :

Il remplit le sommeil de vagues épouvantes
Et laisse à l’âme un long ennui.
(Le Cauchemar, ode par Victor Hugo.)

Nous terminons par l’article de Charles Nodier, qui fut l’origine des relations entre Victor Hugo et le critique de la Quotidienne.

La Quotidienne.
Ch. Nodier.

… Il s’est trouvé dans cette nouvelle génération de poètes, qui a fait en France la fortune du genre romantique, un rival de ce triste romancier anglais (Walter Scott), assez malheureux pour le surpasser dans l’horrible exagération des moyens, et qui, empressé comme on l’est à son âge de dépenser toutes les ressources de l’imagination, s’est montré plus jaloux de faire valoir avec soudaineté les facultés que la nature et l’étude lui ont départies que de les ménager habilement pour sa réputation. Il en est, dans les hommes d’une certaine organisation, des tentatives qui ont la gloire pour objet comme de celles qui aspirent au bonheur et à la volupté. Les intelligences précoces et les sensibilités profondes ne calculent pas l’avenir ; elles le dévorent. Les passions d’une âme jeune et puissante ne connaissent point de lendemain. Elles croient pouvoir rassasier toutes leurs ambitions et toutes leurs espérances dans la renommée et dans les plaisirs d’un jour. Han d’Islande a été le résultat d’une combinaison pareille, si l’on peut appeler combinaison l’instinct irréfléchi d’un génie original qui obéit, sans le savoir, à une impulsion étrangère à ses véritables intérêts, mais dont la belle et vaste carrière peut justifier tout ce qu’a promis de bien et racheter tout ce qu’a fait craindre l’heureuse faute de son départ. Il appartient à un très petit nombre d’hommes de commencer par de pareilles erreurs, et de laisser d’autres torts à reprendre à la critique que ceux qu’ils se sont volontairement donnés.

Je n’analyserai pas Han d’Islande ou plutôt j’en donnerai une idée beaucoup plus vraie que ne pourrait le faire l’analyse la plus exacte, en disant que Han d’Islande est un de ces ouvrages qu’on ne peut dépouiller de l’ensemble général de l’exécution sans tomber dans une caricature aussi injuste que facile. Qu’on se représente un auteur condamné par sa propre volonté à rechercher péniblement toutes les infirmités morales de la vie, toutes les horreurs de la société, toutes ses monstruosités, toutes ses dégradations, toutes les exceptions affreuses de l’état naturel et de l’état civilisé, pour choisir dans ces rebuts hideux quelques anomalies dégoutantes auxquelles les langues humaines ont à peine accordé un nom : la morgue, l’échafaud, la potence, l’anthropophage, le bourreau… Je ne sais quoi de plus innommé encore, car il attache à ces derniers états d’exécrables ambitions et d’incompréhensibles joies… Et pourquoi faut-il qu’un pareil talent se soit cru obligé de recourir à de pareils artifices ? Il lui était si aisé de s’en passer !

La connaissance particulière des lieux ou des études très bien faites ont donné jusqu’à un certain point à l’auteur de Han d’Islande cette piquante vérité de couleur locale qui distingue l’auteur de Waverley ; je dis : jusqu’à un certain point, parce que, plus familier que lui peut-être avec le ciel des solitudes qu’il a décrites, j’ai désiré dans ses peintures quelques-uns des effets qu’il lui était si facile de tirer de la mesure inaccoutumée des jours et de la bizarrerie des saisons polaires. On reconnaît d’ailleurs, dans Han d’Islande, une bonne lecture de l’Edda et de l’histoire, beaucoup d’érudition, beaucoup d’esprit, même celui qui naît du bonheur et qu’on appelle la gaîté, même celui de l’expérience et que l’auteur n’a pas eu le temps de devoir à l’habitude du monde et à l’observation. On y trouve enfin un style vif, pittoresque, plein de nerfs, et, ce qu’il y a de plus étonnant, cette délicatesse de tact et cette finesse de sentiment qui sont aussi des acquisitions de la vie, et qui contrastent ici de la manière la plus surprenante avec les jeux barbares d’une imagination malade. Cependant, ce ne sont pas toutes ces qualités qui feront la vogue de Han d’Islande et qui forceront l’inflexible et savant Minos de la librairie à reconnaître le début authentique et légitime de douze mille exemplaires de ce roman que tout le monde voudra lire, ce seront ses défauts.

Je n’ai pas parlé d’une préface où l’auteur a imité avec adresse la manière aigre-douce de sir Walter Scott en parlant de ses confrères. Il sentira que l’écrivain qui a cherché à exciter de pareilles émotions, et qui probablement n’y est pas parvenu sans peine, n’était pas libre de s’en jouer. Ce qui n’est pas bien dans sir Walter à l’arrière-saison de la vie est d’ailleurs moins convenable encore dans un très jeune homme, auquel un mérite non contesté a donné de bonne heure de justes privilèges. Le premier devoir qu’impose le talent, c’est de ne pas abuser de ses droits.

Au moment de la réimpression de Han d’Islande, compris dans la première édition collective commencée par Renduel, Fontaney, embrassant dans une étude l’œuvre de Victor Hugo, consacre ces quelques lignes à Han d’Islande :

La Revue des Deux-Mondes.
A. Fontaney.

Han d’Islande ! Le titre dit tout ! Ce doit être quelque chose d’absurde, de ridicule, de monstrueux, d’immoral ! Han d’Islande, cela ne se lit point. Aussi ont-ils (ces messieurs de l’Académie) condamné l’ouvrage par contumace ! Cependant nous qui, moins scrupuleux, au sortir du collège, avons lu ce roman de jeune homme, jeunes hommes nous-mêmes, nous l’avons réhabilité bien vite. Il a frémi sur toutes nos lèvres ce chaste baiser qu’Ordener prend sur les lèvres d’Éthel dans le noir couloir de la tour. Ce baiser, nul de nous depuis ne l’a oublié. C’est qu’il était pour nous comme une ablution. Il semblait que ce pur et nouvel amour avec lequel sympathisaient nos âmes les lavât des souillures qu’y avait laissées le Faublas et tout ce qu’en cachette, au lycée, dans notre ardente et inquiète curiosité, nous avions pu parcourir de sales et honteux ouvrages. Quelle verve d’imagination, d’ailleurs, dans ce livre ! Que de fantaisie et de vigueur ! Il y avait là telle page sur les exécutions publiques où l’on pouvait découvrir en germe tout le Dernier Jour d’un Condamné.