Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/Bénédiction de Dieu/Commentaire

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 283-284).
COMMENTAIRE

DE LA CINQUIÈME HARMONIE



Qui n’a pas senti les voluptés du retour dans le site où l’on a passé son enfance, et dans les habitudes de sa première vie ?

Je venais de vivre plusieurs années à l’étranger, dans d’autres lieux, dans d’autres mœurs, dans d’autres pensées. J’eus un congé en 1829, je revins pendant l’été à Saint-Point. Ma mère vivait, et venait souvent habiter avec moi. Son âme, comme une journée d’été, s’embellissait des teintes du soir ; sa piété sereine et toute composée de bénédiction, de reconnaissance et d’espérance, était involontairement communicative ; sa présence éclairait, vivifiait, sanctifiait la maison.

Un jour, elle était assise sous un grand cerisier dans le verger en pente, en face du petit balcon de bois que j’avais construit pour descendre de ma tour dans le jardin. C’était un dimanche après vêpres. Mon enfant jouait à ses pieds avec des fleurs et des oiseaux que les petites filles du village lui avaient apportés ; ma femme lisait à côté ; sa mère, excellente femme, plus âgée que la mienne, tenait à la main sa Bible reliée en maroquin noir, que les Anglaises pieuses lisent pour toute distraction les jours saints ; à quelque distance, un groupe de deux ou trois petites filles du village regardaient avec timidité les dames étrangères ; les chiens couraient après les paons, la cloche de l’église carillonnait ; le soleil, qui baissait vers la montagne, jetait sur la pelouse les ombres dentelées des noisetiers. Cette scène de famille, de campagne, de quiétude dans le bonheur, à l’ombre des murs du clocher, me pénétra profondément. Moi-même j’étais heureux : ma jeunesse avait passé ses amertumes ; mon cœur était plein sans déborder ; des perspectives douces s’entr’ouvraient devant moi ; ma famille paraissait avoir de longues années à vivre ; la renommée m’avait accueilli à mes premiers pas dans la poésie ; la diplomatie et la politique me promettaient, pour mon âge mûr, des occupations, des voyages, les exercices d’esprit nécessaires à mon activité ; ma fortune, modeste alors, me suffisait et au delà ; j’entrevoyais, après les emplois publics et les lettres, des années de paix, de contemplation, de moissons de cœur dans cette vie rurale, commencement et fin de toute heureuse vie. De ce sentiment de bonheur au sentiment de reconnaissance qui en reporte au ciel la bénédiction, il n’y a que le cri de l’âme. Ce cri sortit dans cet instant de la mienne, et je commençai ces vers devant ce groupe de ma mère, de ma femme, et au doux gazouillement de mon enfant.