Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/L’Occident
Et la mer s’apaisait, comme une urne écumante
Qui s’abaisse au moment où le foyer pâlit,
Et, retirant du bord sa vague encor fumante,
Comme pour s’endormir rentrait dans son grand lit ;
Et l’astre qui tombait de nuage en nuage
Suspendait sur les flots son orbe sans rayon,
Puis plongeait la moitié de sa sanglante image,
Comme un navire en feu qui sombre à l’horizon ;
Et la moitié du ciel pâlissait, et la brise
Défaillait dans la voile, immobile et sans voix,
Et les ombres couraient, et sous leur teinte grise
Tout sur le ciel et l’eau s’effaçait à la fois ;
Et dans mon âme, aussi pâlissant à mesure,
Tous les bruits d’ici-bas tombaient avec le jour,
Et quelque chose en moi, comme dans la nature,
Pleurait, priait, souffrait, bénissait tour à tour !
Et, vers l’occident seul, une porte éclatante
Laissait voir la lumière à flots d’or ondoyer,
Et la nue empourprée imitait une tente
Qui voile sans l’éteindre un immense foyer ;
Et les ombres, les vents, et les flots de l’abîme,
Vers cette arche de feu tout paraissait courir,
Comme si la nature et tout ce qui l’anime
En perdant la lumière avait craint de mourir !
La poussière du soir y volait de la terre,
L’écume à blancs flocons sur la vague y flottait ;
Et mon regard long, triste, errant, involontaire,
Les suivait, et de pleurs sans chagrin s’humectait.
Et tout disparaissait ; et mon âme oppressée
Restait vide, et pareille à l’horizon couvert ;
Et puis il s’élevait une seule pensée,
Comme une pyramide au milieu du désert.
Ô lumière ! où vas-tu ? Globe épuisé de flamme,
Nuages, aquilons, vagues, où courez-vous ?
Poussière, écume, nuit ; vous, mes yeux, toi, mon âme,
Dites, si vous savez, où donc allons-nous tous ?
À toi, grand Tout, dont l’astre est la pâle étincelle,
En qui la nuit, le jour, l’esprit, vont aboutir !
Flux et reflux divin de vie universelle,
Vaste océan de l’Être où tout va s’engloutir !…