Hellé/31

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Calmann-Lévy (p. 125).

XXXI


Je le ferme sur cette heure inoubliable, le livre de mes jeunes souvenirs, écrit dans la fraîcheur de l’air natal, dans le silence et les parfums de la Châtaigneraie, pendant le long mois de solitude où mon bien-aimé compagnon a dû voyager loin de moi.

Chaque année, je reviens ici, après l’austère et laborieux hiver, me retremper dans la fraîcheur de mes rêves d’enfance. Rien n’a changé, ni la maison vénérable, ni le jardin, ni le vieux puits où brille un disque frémissant sous un cercle de mousse humide, ni les marches auprès du mur où je m’asseyais le soir, dans l’or du couchant, pensive en souhaitant un surhumain amour.

Le figuier séculaire étend ses branches, et les grosses figues violettes tombent dans l’herbe avec un bruit doux. Un bel enfant les recueille une à une, et parfois me les montre en riant. Robuste et gai, révélant sa forte race, il a mes traits, mes yeux, avec de beaux cheveux sombres et le vaste front paternel.

Je te regarde, cher petit Antoine-Sylvain ; mon cœur maternel se gonfle de félicité, et je songe au mot prophétique écrit par Michelet au livre de l’Amour :

« C’est sans nul doute du plus haut amour volontaire que furent conçus les héros. »

Paris, mai-juillet 1898.


FIN