Henri Brisson (Stupuy)

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A. Quantin, imprimeur-éditeur (Célébrités contemporaines).

CÉLÉBRITÉS CONTEMPORAINES


H E N R I
B R I S S O N


PAR


Hippolyte Stupuy



PARIS
A. QUANTIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
7, RUE SAINT-BENOIT, 7
1883




HENRI BRISSON



Le vieux parti républicain, messieurs, je l’ai loué ailleurs de cette intrépidité qui en a fait, pour ainsi dire, la chevalerie de notre temps ; mais combien il doit nous être plus cher encore, si nous mesurons toute la hauteur morale et intellectuelle de cette phalange héroïque, si nous savons mettre en lumière l’incomparable service qu’elle a rendu à la nation française !

« … À cette démocratie que la Révolution a créée, que rien ne peut plus défaire, qui est la France elle-même, le parti républicain a donné un idéal politique, proposé une forme de gouvernement, fourni une direction intellectuelle. Telle a été, durant plus d’un demi-siècle, l’œuvre des vieux républicains. Eux seuls ont eu l’intelligence assez large pour concevoir dans toute leur grandeur et dans leur harmonie nécessaire les destinées nouvelles de notre patrie. La dictature consulaire ne les a point grisés ; le doctrinarisme ne les a point affadis. Eux seuls ont eu une foi, eux seuls ont su la communiquer. La république démocratique, celle qui avait lui sur le monde de 1792 à 1798, voilà ce qu’ils ont prêché au peuple, ce qu’ils lui ont fait aimer. Ils ont tenu le flambeau sacré, ils l’ont empêché de s’éteindre, ils l’ont transmis de génération en génération. Ils ont gardé l’âme de la France, car, depuis la Révolution, l’âme de la France ne pouvait plus être ailleurs.

« C’est l’honneur de l’humanité, messieurs, attesté par toute son histoire, attesté par les religions elles-mêmes, par les religions surtout, que parfois des mobiles intellectuels et moraux sont venus remuer et modifier les sociétés à des profondeurs que n’aurait jamais atteintes le plus grave des événements matériels. La Révolution française a été un de ces grands mouvements de l’idéal qui deviennent toute la vie d’un peuple, parce qu’ils transforment sa manière de penser, de sentir, de concevoir les relations sociales, le droit et la justice.

« Les républicains se sentaient les héritiers de cette tradition ; ils avaient la conscience de leur mission ; ils répandaient autour d’eux les ferments d’une vie nouvelle et plus haute. De là, cette élévation d’esprit et de cœur que nous avons admirée cent fois, même chez plusieurs d’entre ceux que ne signalait aucune faculté extraordinaire ; de là, cette sérénité qu’ils conservaient, même vaincus, même proscrits, même bafoués, même oubliés.

« S’il s’est trouvé, après l’empire, au lendemain de nos désastres, une réserve de jeunesse ayant gardé la foi et l’espérance, c’est à eux qu’on le doit, à l’admiration, à la vénération qu’inspirait leur caractère, leur inébranlable confiance, leur esprit de sacrifice, leur habitude de tout faire passer après leur idée. Ce sont eux qui nous ont élevés et formés ; s’il demeure quelque flamme parmi nous, c’est celle qu’ils ont allumée dans nos cœurs. »

L’homme qui a pu parler de nos jours, et avec cette intensité d’accent, de l’ancien parti républicain, c’est celui dont nous avons inscrit le nom en tête de cette étude, c’est le président actuel de la Chambre des députés. Les fragments que nous venons de citer font partie d’un discours qu’il prononçait, en 1879, sur la tombe d’un des amis de son père, dans un petit cimetière du Berry ; car Henri Brisson est Berrichon ; il est né à Bourges le 31 juillet 1835.

Il n’est jamais sans intérêt de jeter un regard sur le milieu dans lequel un homme a reçu ses premières impressions. Voyons donc celui où la jeunesse de Brisson s’est écoulée.

La ville de Bourges, l’antique capitale des Bituriges, si héroïquement gauloise contre César, si fidèlement française avec Charles VII, a conservé longtemps l’aspect d’un grand village du xive siècle. Il y a soixante ans, bien des années avant l’organisation des établissements militaires qui devaient la repeupler et la transformer, la cité berrichonne, avec son enchevêtrement naïf de rues, de ruelles, de couvents et de jardins verts, offrait un aspect saisissant : partout des maisons aux pignons pointus, couvertes de tuiles rouges moisies et adoucies par le temps ; de vieux hôtels aux portails mornes et fermés ; de sévères demeures qu’on aurait pu croire inhabitées si, parfois, la silhouette de quelque grand’mère tricotant à une fenêtre mi-close, quelque rire d’enfant échappé n’étaient venus rompre ce silence et mettre un peu de gaieté dans cette monotonie. La vie y était simple. D’anciennes familles bourgeoises, sans grand désir de progrès, se transmettant de père en fils de modestes héritages ; une colonie composée du clergé, des magistrats et de l’état-major d’un bataillon d’infanterie ; quelques hobereaux du département groupés par l’influence catholique : tels étaient les éléments qui constituaient alors ce qu’on appelle « la société ». De démocratie, peu ou point ; du moins n’avait-elle aucune conscience d’elle-même.

La Restauration était sur son déclin ; la révolution de 1830 approchait. Les fameuses élections de 1827 se firent : le collège de Bourges était représenté à la Chambre des députés par M. de Peyronnet, qui devait plus tard signer les ordonnances ; il fut battu et remplacé, si nous ne nous trompons, par un de ceux qui votèrent peu après l’adresse des 221. À qui ce réveil de l’opinion libérale dans la ville de Jacques Cœur était-il dû principalement ? À deux jeunes gens qui n’étaient pas même électeurs, car ils n’étaient riches que d’avenir.

Le premier devait s’appeler un jour Michel (de Bourges), l’un des orateurs les plus puissants de notre temps ; c’était un méridional ardent, à l’éloquence pleine de soleil et d’âpreté. L’autre… C’était l’autre qui l’avait attiré à Bourges.

Les générations qui se sont succédé dans cette ville depuis cinquante ans y ont constamment vu passer un compatriote qu’elles ont connu jeune, puis homme fait, puis vieillard, mais toujours le même, c’est-à-dire vêtu de noir, cravaté de blanc, portant des lunettes d’or ; maigre, pâle, fin et accentué, informé, compétent, d’une vive intelligence sous des apparences de froideur, austère et irréprochable ; tel était M. Louis-Adolphe Brisson. Ce vieillard, avoué près la cour de Bourges, est le père du président de la Chambre.

Les deux amis ne tardèrent pas à fonder sous ce titre, Revue mensuelle du Cher et de l’Indre, un organe de leurs opinions. Les journées de juillet arrivèrent. M. Brisson père était déjà avoué ; la Cour montait sur le siége un jour au bruit des premières nouvelles et des ordonnances et de la résistance de Paris ; le premier président prononça ces mots : « La Cour a deux arrêts à rendre… » — « Au nom de qui ? » s’écria maître Brisson. Ce mot si net, et qui pouvait le perdre, fut comme le signal de la révolution dans Bourges.

La division militaire était alors commandée par le fameux général Canuel qui ne plaisantait guère. Médiocrement sûr de ses troupes, il avait donné l’ordre de lui envoyer de Nevers ou de Moulins, nous ne savons plus au juste, le 7e dragons, dont les officiers étaient connus pour leur ardeur légitimiste. Laisser arriver ce régiment à Bourges était périlleux ; Michel fut chargé de barricader et de défendre les portes de la ville ; M. Brisson s’en alla au-devant du régiment avec trois hommes intrépides, M. Viguier, arquebusier (représentant du Cher en 1849), M. Gouault, avoué de première instance, et M. Fix, qui avait été sous l’empire lieutenant au 7e dragons. Ils rejoignirent le régiment à sa dernière étape, à Baugy ; une heure après, les officiers étaient consignés dans une auberge sous la garde d’un maréchal des logis, et nos quatre mousquetaires entraient dans Bourges, le soir, à la tête des dragons.

Voilà le milieu.

La Revue mensuelle parut bientôt trois fois par semaine ; elle eut pour collaborateur un enfant du pays, M. Paul Duplan, et prit dans la région une influence relativement considérable. La démocratie s’éveilla, se connut, s’organisa ; toutefois, on peut dire que son extension et sa fortune sont dues surtout à l’action persévérante de M. Brisson père qui, pendant plus de quarante ans, n’a pas cessé d’être l’un des chefs, souvent habile et toujours modeste, du parti républicain dans le Cher. N’oublions jamais que si l’idée républicaine est aujourd’hui, non plus l’idéal de quelques-uns, mais l’opinion de la nation elle-même, c’est aux vaillants de ces luttes lointaines que nous le devons.

Henri Brisson naquit lorsque les républicains de Bourges et des environs, ayant déjà groupé autour d’eux nombre de partisans, combattaient contre la monarchie bourgeoise et les institutions aristocratiques dont elle s’était entourée. Une atmosphère républicaine entoura son berceau, une influence démocratique enveloppa ses premières années. De ce milieu berrichon encore si caractérisé à l’époque de sa naissance, de cette respectabilité du foyer de famille, de ce contact habituel avec des esprits réfléchis et pénétrés des principes du droit moderne, il reçut sans doute la ferveur concentrée dont sa nature est empreinte et qui, longtemps après, faisait dire à Bancel : « C’est un petit-fils de Coligny amendé par Voltaire ».

Après de bonnes études au lycée de Bourges, il vint à Paris au commencement de novembre 1851, fit son droit et fut reçu licencié. C’est à ce moment qu’il entre, pour ne plus la quitter, dans la voie que lui avait tracée l’exemple paternel. Le pouvoir personnel, la tyrannie la plus violente et la plus obscure à la fois sévissaient alors.

Nous voyons d’abord Brisson, en 1854, à peine âgé de dix-neuf ans, s’allier au groupe des professeurs qui avaient refusé le serment et, avec Vacherot, Barni, Frédéric Morin, Despois, fonder le premier journal républicain qui ait paru dans le quartier latin, l’Avenir : le polémiste apparaît. En 1856, il entre dans les loges maçonniques, devient un de leurs membres les plus actifs, se mêle au mouvement d’opposition qui commence à s’y produire, professe hardiment sa foi républicaine et anticléricale : l’orateur se révèle.

Il fallait gagner sa vie : à peine inscrit au barreau, il en est éloigné par une maladie du larynx qui ne devait se guérir qu’au bout de six ou sept années ; il entre dans un contentieux, il y apprend les affaires et les hommes.

Vers la fin de 1860, sa maladie s’aggravant, on lui conseilla de laisser ses travaux durant un hiver ; il va le passer en Égypte. Ce pays semble l’avoir vivement impressionné, si l’on en croit des lettres adressées à un ami et qui furent alors publiées. Nous en citerons quelques lignes ; elles piqueront sans doute la curiosité du lecteur, car elles ne faisaient guère prévoir la manière sobre qui prévaut aujourd’hui dans les allocutions du président de la Chambre. Il habitait les bords du Nil.

À quelque cinquante mètres en amont de ma demeure, écrit-il, un bateau plat fait le service de la rive droite à l’île de Roudah. Deux Arabes se distribuent la besogne : l’un d’eux remonte d’abord le long de la berge à l’aide d’une perche qu’il enfonce dans le sol ; puis l’autre s’assied à l’arrière et gouverne de façon que le courant porte naturellement le bac à l’autre bord. Les acteurs ordinaires de ce drame sont, outre les deux nochers, quelques ânes chargés de paille et de bersine, qui est une espèce de trèfle, quatre ou cinq fellahs, une ou deux femmes, quelquefois un chameau ; cette traversée se renouvelle une cinquantaine de fois par jour et il m’est arrivé de la suivre des yeux pendant des heures entières. Je vous ai dit à peu près le cadre où ce tableau s’agite, mais comment vous peindre la lumière en laquelle il passe comme un rêve incandescent ? C’est une féerie de couleur ; le fleuve, les deux rives, l’horizon, l’atmosphère, tout flamboie ; il n’y a point d’ombre et la vue, en même temps qu’elle porte à des distances immenses, semble traverser les corps ; illuminés et diaphanes, les objets se détachent et s’enlèvent comme des êtres éthérés ; une merveilleuse transparence les enveloppe, les porte et les inonde de clartés si vives qu’ils paraissent rayonner eux-mêmes la flamme dont ils sont pénétrés ; sur les barques, les passagers sont debout, dans ces fières attitudes qui prêtent à chacun ici un caractère biblique ; les lignes de leur corps, les plis de leurs vêtements, tous les contours sont estompés de cette lueur dont les peintres couronnent la tête des personnages sacrés ; ils glissent ainsi, dans un nimbe de gloire, portés sur les vagues étincelantes par un mouvement sans effort où les séductions de la vie le disputent à la majesté du repos et, lorsque la nef aborde, je m’étonne toujours qu’il n’en descende pas des dieux.

Ailleurs, il se promène :

Me voici dans la campagne, en plein air, les figuiers sycomores me protègent de leur ombre ; les blés sont verts, le ciel est bleu, le fleuve, tel qu’une mer de nacre, chatoie sous le soleil ; blanches comme l’aile des cygnes, quelques voiles le sillonnent et fuient rapidement. Le sol du pays est si bas que, sur la rive opposée, entre les dattiers qui la bordent et les montagnes qui ferment la vallée du côté de l’ouest, j’aperçois seulement le sommet des pyramides de Sakkara, près desquels M. Mariette a découvert le Serapeum de Memphis. Parfois pourtant, entre deux bouquets de palmiers, une bande d’argent traverse la plaine : c’est un de ces canaux où l’on retient les eaux du Nil quand l’inondation se retire ; un peu plus multipliés, ils seraient pour le pays une source d’incommensurables richesses.

Sur ma gauche et à une très petite distance, l’horizon est formé par les dernières croupes du Mokattam ; tout à coup, à un coude que le Nil fait vers l’orient, apparaissent à quelques lieues les montagnes de la chaîne arabique ; sur leurs flancs dénudés, deux couleurs sans plus, le rose et le gris-perle, se mêlent, se fondent, s’opposent et s’harmonisent en des jeux de lumière désespérants pour le pinceau ; le rose, c’est la lumière, le gris-perle, c’est l’ombre, s’il est permis de parler d’ombre en Égypte, car les parties qui sont dérobées à l’action directe du soleil sont éclairées de tels reflets qu’elles semblent elles-mêmes autant de foyers lumineux. Je tourne alors le dos au fleuve et me dirige vers ce décor éblouissant ; c’est la fête des yeux ; bientôt, je la quitte à regret, je rebrousse chemin et suis quelque temps les pentes du Mokattam où le vent m’aide à supporter la chaleur ; peu à peu, j’arrive aux ruines du Vieux-Caire ; à travers les décombres amoncelés et couverts de sable, je gagne la mosquée d’Amrou ; j’aime ces lieux, il y fait frais ; la fontaine aux ablutions précède le sanctuaire comme pour rappeler, mémento qui n’est pas de luxe en Orient, que la propreté est la première de toutes les vertus ; sous l’immense colonnade encore debout sont étendues des nattes, je vais m’y reposer, je m’accoude sur la dernière marche de la chaire, et mes pieds viennent affleurer la base de la colonne que le commandeur des croyants envoya de Médine à son lieutenant sur l’aile des zéphirs. Avec les oreilles de la foi, j’entendrais murmurer la source qui vient du puits Zim-Zim à la Mecque ; mais vous connaissez toutes ces légendes…

Le passage suivant montrera mieux encore combien les paysages égyptiens l’avaient saisi ; l’ami auquel il écrivait était sensiblement plus âgé que lui ; Brisson essayait de parler histoire, philosophie, religion, mais il se laissait toujours entraîner.

Je reprendrai, si vous le permettez, de mon lieu d’exil, un commerce d’idées qui m’a toujours été précieux. De fait, il ne faut pas moins que votre entretien pour remettre l’ordre dans mon esprit, où se heurtent et s’entrechoquent présentement tant de choses. Jugez un peu : j’ai les Pyramides devant mes fenêtres et je vois chaque soir le soleil se coucher entre Chéops et Chéphren ; à cent mètres de mon habitation, la légende a placé le lieu même où la fille des Pharaons retira Moïse des eaux ; à cinq cents pas se dressent les ruines encore imposantes de la mosquée d’Amrou et, tout auprès, des Coptes font voir une grotte où la mère de Jésus s’est reposée. Quatre religions, quatre sociétés, et lesquelles ! dans ce coin de terre que mon regard embrasse. Sauf l’Inde et la Chine peut-être, on ferait l’histoire du monde en suivant celle des idées qui sont parties d’ici. Aussi je ne crois pas qu’aucun lieu soit plus propre à vous transporter au centre de l’immensité des temps et à vous faire apercevoir d’ensemble la vie de l’humanité.

Ajoutez que c’est en face d’une nature incomparable, délicieuse à la fois et grandiose, que ces méditations vous saisissent. L’île verdoyante de Roudah se dresse entre les deux bras du fleuve comme une image de la paix et de la fécondité ; on se demande, en voyant ce sourire du Nil, si le paradis terrestre fut bien entre les rives de l’Euphrate ; de petits chemins qu’ombragent les sycomores et les acacias épineux la parcourent dans tous les sens, la tourterelle y chante ses amours sur la cime des palmiers et tout un peuple d’ibis, de ceux-là mêmes qui furent sacrés, picore aujourd’hui dans les empreintes laissées par le pas des bestiaux. Sur la rive gauche s’étale, abrité par des plantations nombreuses, le village de Gizeh ; non loin serpente une allée de sombres lébas dont les gousses luisent au soleil comme des fruits d’or ; puis, une vaste étendue de champs toujours verts ; enfin, mystérieuses et bleues, les trois grandes pyramides…

Et la description reprend, allant de la campagne au port du Vieux-Caire, à un bazar, au musée de Boulaq ; pourtant, c’est le paysagiste qui domine ; cette nature égyptienne trotte encore dans la tête du président de la Chambre ; il nous disait cet hiver : « J’en ai la nostalgie ; un de ces matins mes collègues ne me trouveront plus, je serai parti pour l’Égypte. » Voyage malsain en ce moment.

Il revint par Malte, Messine, dont la forteresse, encore aux mains des Bourbons, était assiégée par l’armée piémontaise, et Naples, que Garibaldi venait de conquérir ; les fouilles de Pompéi n’avaient pas encore le développement et l’intérêt qu’elles présentent aujourd’hui ; elles le frappèrent néanmoins vivement.

Il revenait presque aussi malade du larynx, mais plus dispos ; il reprit son contentieux.

Renonce-t-il à la politique, à la propagande, à la lutte ? Aucunement. En 1861 même, on le trouve parmi les collaborateurs de la Réforme littéraire et du Phare de la Loire. En 1864, il est rédacteur du journal le Temps, En 1865, à côté de Massol, un philosophe qui eut la plus salutaire influence sur son esprit, il rédige la Morale indépendante. En 1868, il fonde avec Challemel-Lacour et Gambetta la Revue politique. Cette Revue ayant été supprimée dès la première année de son existence, il entre en 1869 à l’Avenir national, organe républicain-radical, qui avait pour rédacteur en chef un homme de grand talent et de conviction profonde, M. Peyrat, aujourd’hui vice-président du Sénat.

C’est dans ce labeur incessant qu’il prend l’habitude des affaires, dans ce combat journalier qu’il aiguise son esprit, dans ces différents milieux qu’il fortifie son caractère, assouplit son intelligence, développe ses talents : le voilà prêt pour les hautes responsabilités, pour l’action personnelle sur les intérêts du parti, pour la tribune. Aussi, estimé de tous, va-t-il pour la première fois demander aux électeurs parisiens d’affirmer sur son nom la revendication de l’idée républicaine.

En 1869, Henri Brisson se présenta comme candidat à la députation, d’abord dans la circonscription électorale formée par les VIe et VIIe arrondissements de Paris, en concurrence avec M. Jules Ferry, ensuite dans celle qui était formée des IXe et Xe arrondissements, contre Glais-Bizoin. L’opinion réclamait déjà des représentants plus hardis et plus accentués que ceux qui avaient eu mandat jusqu’alors. Dans la première compétition, il y eut une lutte assez vive entre les comités, de longs débats, des réunions fort animées et même des arbitrages provenant de la similitude des deux programmes : Brisson laissa le champ libre à son compétiteur. Il affronta au contraire le scrutin sur la rive droite ; il ne fut pas élu, mais le parti radical apprit, pour ne plus l’oublier, qu’il avait dans son sein un homme politique de valeur, perspicace et instruit, éloquent et réfléchi. Il nous souvient encore des discours qu’il prononça à cette époque, discours pénétrants et indignés dans lesquels, dénonçant l’impéritie du gouvernement impérial, il nous montrait l’état de désorganisation politique et militaire où la France se trouvait réduite, s’inquiétait de notre frontière ouverte et de l’habileté prévoyante avec laquelle la Prusse préparait ses armes et ses opérations. C’était là, du reste, le même cri d’alarme que son patriotisme éclairé avait poussé avant Sadowa, dans le journal le Temps.

Quelques-uns souriaient, croyant à une exagération systématique ; l’année suivante, l’armée prussienne entourait Paris…

Après le 4 septembre, Henri Brisson fut l’un des adjoints du maire de Paris et, en cette qualité, prit une large part des espérances, des soins, des soucis, des colères, des humiliations, des souffrances qui forment l’histoire du siège. Le 31 octobre au soir, il signa avec MM. Étienne Arago, Dorian, Schœlcher, Floquet et Hérisson, l’affiche qui convoquait les électeurs pour la nomination d’un conseil municipal, mesure que réclamait la population et dont la convenance, méconnue par quelques-uns, avait provoqué le mouvement insurrectionnel ; cette initiative ayant été désavouée par le gouvernement, Brisson donna sa démission d’adjoint, entra dans l’artillerie de la garde nationale, mais conserva ses fonctions de membre de la Commission de l’enseignement primaire où il eut, à plusieurs reprises, l’occasion de défendre avec énergie la cause de l’enseignement laïque. Car, même en face de l’ennemi, le cléricalisme ne renonçait pas à son incorrigible intolérance.

Henri Brisson fut nommé député de la Seine, le 8 février 1871, par 115,594 voix. Depuis cette époque, toujours réélu, il a pris une part active aux travaux de nos assemblées sans abandonner le labeur quotidien de la presse. L’éminent député de Paris appartenait encore à la rédaction du Siècle lorsque le choix de ses collègues le porta au fauteuil présidentiel.

Au point de vue politique, on se représentait volontiers Brisson comme un esprit absolu, sans souplesse, enfermé dans un cercle étroit d’idées préconçues, incapable de rien apprendre des événements, en un mot pénétré d’une conception immuable du régime et du gouvernement républicains sur laquelle ni les événements ni les hommes ne pouvaient avoir prise. Il faut convenir que la réserve un peu sévère qu’il a prise au foyer paternel, ses habitudes de travail, son goût pour la vie d’intérieur, son admiration ouverte pour certains hommes de la première révolution, la simplicité de ses mœurs, sa froideur apparente et sa parole incisive, motivaient dans une mesure cette manière de le juger. On se trompait pourtant, ou, du moins, un tout autre homme se révéla dès l’Assemblée de Bordeaux. Qu’on examine sa conduite, qu’on relise ses discours, qu’on reprenne ses propositions, qu’on relève ses votes depuis les jours de tristesse et d’abandon où la forme républicaine se trouvait en cause, jusqu’à ceux où la République devint le régime légal, régulier et définitif, on se trouvera en présence, non pas à coup sûr d’un sceptique sans opinions fixes et sans but déterminé, mais d’un politique avisé, qui, tout en n’abandonnant rien de ses convictions et de ses espérances, sait se prêter aux circonstances pour le succès de sa cause et de son parti.

C’est ainsi qu’on le voit d’abord, au lendemain de nos désastres, réprimer ses sentiments individuels, s’inquiéter de l’heure présente, se préoccuper du rétablissement d’un gouvernement régulier et, loin de laisser le champ libre aux monarchistes en donnant sa démission, rester à son poste pour leur disputer le terrain pied à pied, accepter le gouvernement de Thiers pour l’encourager dans ses dispositions républicaines et le pousser en avant. C’est ainsi que, pendant la Commune, il se tient à l’écart de ceux dont l’unique souci et l’erreur étaient de prétendre introduire sans délai des solutions brusquées, risquant par là d’ouvrir des chances pour une restauration monarchique ; ce qu’il faut louer en regrettant, toutefois, qu’il n’ait pas, franchissant les lignes ennemies, aidé de sa présence et de son autorité le groupe politique qui, sous le nom de Ligue républicaine des droits de Paris, fit tant et de si louables efforts pour arrêter la guerre civile, trouver une transaction possible, conjurer l’implacable répression. C’est ainsi enfin qu’après les élections complémentaires du 2 juillet, il s’emploie à convaincre les nouveaux élus de ce fait que l’établissement républicain serait une œuvre de modération et d’habileté, non de colère et de violence. Il eut dès lors une situation personnelle assez importante dans l’Assemblée nationale ; les préventions avaient disparu, on le consultait, on l’écoutait. Cependant les chefs plus anciens ou plus populaires du parti étaient rentrés dans la lutte : il s’effaça devant eux, reçut leur impulsion, servit dans le rang la cause commune, s’interposa pour qu’on votât les lois constitutionnelles. Il devint successivement secrétaire, vice-président et président de l’Union républicaine.

Cette conduite prudente n’était point chez lui une sorte d’abandon de lui-même ou des siens, une compromission, un recul. On s’en aperçut bientôt. Dès le mois de septembre 1871, il dépose une proposition d’amnistie. Puis il intervient dans toutes les discussions, soit pour affirmer les principes républicains : par exemple son discours sur le Conseil supérieur de l’instruction publique ; soit pour repousser ce qui leur est contraire : on l’entend successivement parler contre la nouvelle loi du jury, contre la loi Ernoul donnant à la Commission de permanence le droit de requérir, durant les vacances, des poursuites en cas d’offense à l’Assemblée, contre la restitution aux princes d’Orléans des biens formant l’objet de la dotation du 7 août 1830, contre la loi des maires, contre la loi électorale politique et la loi électorale municipale. Partout et toujours, ceux que Mirabeau appelait « messieurs du rétrograde » le trouvent devant eux, reçoivent l’atteinte de sa dialectique ferme, correcte et serrée. Il parvient même, parfois, à avoir action sur eux. C’est lui qui fait adopter la loi grâce à laquelle le droit de voter son budget extraordinaire est rendu au Conseil municipal de Paris, droit dont il était dépouillé par une loi de l’empire restée en vigueur. « Sans cette sage précaution à laquelle personne ne songeait, écrit avec raison l’un de ses biographes, l’Assemblée aurait eu le droit de régler le budget de la ville, et l’on voit quels conflits aurait pu provoquer le maintien de cette législation. »

Après le 16 mai, ce coup d’État que la modération des républicains n’avait pu empêcher et que leur énergie fit échouer, Henri Brisson reprit son siège à l’Assemblée, mais, cette fois, avec le sentiment profond que l’heure était venue pour les républicains de se charger eux-mêmes des affaires de la République, d’appliquer leurs principes, de traduire les opinions en fait, en un mot de prendre les responsabilités et les initiatives. Et alors, à la tribune, dans les Commissions, au Siècle, il pousse à la constitution d’un gouvernement ferme et homogène, à l’épuration du personnel, à la transformation d’une république factice en république réelle, à la mise en harmonie des institutions et du régime. L’orateur, l’écrivain, trouve à cette époque ses plus brillants succès.

Il a écrit une appréciation de l’éloquence de M. Dufaure qui reste comme un modèle du genre. Que de traits, dans ce petit chef-d’œuvre pourraient s’appliquer à l’orateur auquel il est dû ! Le voici tout entier :

C’est un homme de taille moyenne et de tenue correcte ; l’apparence est robuste, bien que l’allure du corps, légèrement infléchi en avant et sur la droite, se ressente des préoccupations constantes d’un esprit méditatif. Ne cherchez ni dans sa physionomie ni dans sa conversation de trait qui vous charme : vous seriez déçu. La tête est carrée, l’œil est profond, la lèvre puissante, la mâchoire a été modelée pour mordre fort et pour tenir ferme. Granville, s’il eût voulu le peindre, aurait trouvé sous son crayon, et comme malgré lui, le visage d’un bouledogue. Son abord est froid : une politesse parfaite, quelquefois glaciale ; avez-vous à l’entretenir d’une affaire, il ne vous fera pas perdre votre temps, ni vous le sien, il sait ce que valent les heures ; soyez certain que les quelques questions qu’il vous fera iront droit au point important de l’affaire ; jamais entretien de consultant ne vous rassura plus promptement et davantage ; vous sentez vous-même qu’il est inutile d’insister auprès d’une raison si sûre et si pénétrante. Bien qu’il ait fondé sa réputation au barreau de Bordeaux, M. Dufaure n’a point la faconde brillante et sonore, entraînante et trop souvent vide des beaux parleurs bordelais. Il n’a pas non plus leur admirable organe, cette voix qui vous enchante avant de vous convaincre. Il parle du nez, disons-le sans détour, et la première impression, l’impression physique produite sur le nerf auditif, est positivement désagréable… Cinq minutes à peine se sont écoulées, et l’orateur s’est tellement emparé de votre raison, que le défaut de l’organe vous échappe ; il semble même en harmonie avec la personne et la dialectique formidable de M. Dufaure ; ce n’est plus que le bruit naturel de ces molaires d’airain qui broient impitoyablement l’adversaire. La parole est sobre et sévère, l’argumentation achevée, le hors-d’œuvre banni. Ses plaidoyers et ses discours sont des modèles de disposition et de lumière ; tout y est ordonné, prévu, mis en place ; tout y concourt à la démonstration, à la conclusion, avec une rigueur mathématique qui donne l’idée de ces machines savantes dont les rouages successifs se transmettent régulièrement la matière à transformer, et ne s’arrêtent que lorsque le produit est à l’état de perfection.

Nommé vice-président, puis rapporteur de la Commission chargée de faire une enquête sur les élections des 14 et 28 octobre 1877, Brisson demanda la mise en accusation des ministres du 16 mai. On a contesté la convenance politique de cette résolution qui, d’ailleurs, n’a point été admise ; mais il faut reconnaître que les conclusions du rapport étaient légitimes : la violation de la Constitution, la transgression des lois, la prévarication, les actes arbitraires attentatoires à la liberté individuelle ou aux droits des citoyens, la soustraction et l’enlèvement de papiers publics, le complot, tout cela se trouvait établi, démontré, prouvé, et c’est pièces en main que Brisson disait à l’Assemblée, au Gouvernement, au pays : « Le 16 mai a été un coup imprévu pour l’opinion publique ; mais il avait été de longue date préparé par ses auteurs, c’est-à-dire par les hommes qui, durant cinq années, avaient essayé, dans l’Assemblée nationale, d’empêcher la fondation de la République et de restaurer la monarchie. Ils tenteront sans doute de se réfugier derrière certaines dispositions des lois constitutionnelles ; ils prétendront, à l’aide d’interprétations subtiles, trouver dans tel ou tel texte un moyen de couvrir leurs illégalités. Ce n’est pas la première fois que des ministres coupables cherchent un abri derrière des textes en apparence équivoques ; l’article 14 de la Charte est demeuré célèbre sous ce rapport.

« Les juges de 1830 ont pensé qu’une constitution qui autoriserait un coup d’État légal serait un non-sens ; les ministres de 1877 ne trouveront sans doute pas plus de grâce pour leurs arguties. »

Les ministres de 1877 ont été flétris, non poursuivis ; c’est dans le rapport de Brisson que l’histoire et la postérité trouveront les éléments du verdict définitif qui sera porté sur eux.

Un volume serait nécessaire pour apprécier l’activité parlementaire déployée, pendant cette phase, par le député du Xe arrondissement. Il faut se borner ici à signaler l’accroissement continu de son influence et de sa situation : vice-président de la Chambre, il prouve à maintes reprises que la direction permanente du débat des affaires ne serait pas au-dessus de ses forces ; président de la Commission du budget, il développe ou acquiert dans cette fonction quelques-unes des aptitudes qui lui manquaient.

Il est, dans la vie d’un homme politique, tel jour où, soit sur un évènement inattendu, soit sur une question mûrement étudiée, il lui est donné d’attacher à son nom une signification indélébile. Ce jour fut pour Henri Brisson celui où, par le célèbre amendement qui porte son nom, il prit avec tant d’éclat la défense de la société civile contre l’envahissement clérical. Tout l’homme, en effet, est là. Qu’est-ce que l’amendement Brisson ? Simplement quelques articles ajoutés au projet de loi portant fixation du budget des recettes de l’exercice 1881 ; mais ces quelques articles que le Sénat a fait disparaître presque en entier, en faisant cesser les privilèges de droit civil et les privilèges fiscaux attribués aux congrégations religieuses, allaient si bien au but qu’ils ouvraient, pour ainsi parler, les perspectives de ce régime d’égalité parfaite où la séparation des Églises et de l’État ne sera plus un danger. Et l’auteur lui-même en saisissait bien toute la portée puisque, dans un rapport aussi remarquable par l’étendue des connaissances juridiques que le travail accumulé, il écrivait : « Les lois ne valent pas seulement par leur efficacité directe, c’est-à-dire au point de vue de l’exécution détaillée des dispositions qu’elles contiennent, elles ont une vertu plus haute, elles contiennent des indications, elles servent à orienter les esprits, à indiquer quels sont les nouveaux courants de l’opinion. » Certes, la possibilité laissée aux congrégations religieuses de constituer une main morte échappant à l’impôt, et, du fait même de cette faveur, l’accroissement singulier des biens du clergé, marquent une situation vicieuse, inéquitable, dommageable aux intérêts de l’État, favorable aux entreprises cléricales contre les institutions modernes ; il est certain que l’opinion publique réclame des garanties à cet égard. L’amendement Brisson dénotait de la part de son auteur, outre la sagacité qui découvre les difficultés d’une question en même temps que le moyen de les résoudre, une franchise et une netteté auxquelles la politique s’est montrée trop souvent étrangère ; aussi n’est-il peut-être pas excessif de dire que la fermeté pleine de mesure dont le président de la Commission du budget fit preuve pour le défendre l’avait désigné, dès ce moment, pour les hautes fonctions qu’il occupe aujourd’hui.

Tous ses amis connaissent le goût de Brisson pour la vie d’intérieur. Depuis de longues années, il habite, rue de Mazagran, un modeste appartement situé au quatrième étage ; au Palais-Bourbon même, qu’un article formel du règlement l’oblige d’habiter, le président de la Chambre des députés, en dehors des réceptions officielles, vit dans son appartement particulier comme il vivait hier à son quatrième étage de la rue de Mazagran : même simplicité, mêmes habitudes, même personnel. Il n’est pas dans ses meubles, le local est plus vaste, telle est l’unique différence.

Quels enseignements se dégagent de cette esquisse d’une existence si active et déjà — car Brisson est encore jeune — si remplie ? C’est d’abord ce fait rassurant, que le parti républicain, tout en laissant la République ouverte, n’a pas besoin de s’adresser à ses ennemis d’avant le succès pour trouver des hommes capables de gouverner, d’administrer, de conduire et de mener à bien les affaires du pays : les siens suffisent, en attendant les générations nouvelles. C’est ensuite cette vérité, que le caractère qui persiste et va droit son chemin vaut mieux, pour s’emparer de l’avenir, que le génie qui s’interrompt et bat les buissons.

La dignité de la vie, tel est, en effet, le caractère qui s’attache à la personne, aux talents, à la physionomie publique ou privée de l’homme qui dirige aujourd’hui les travaux des élus du suffrage universel ; disposition naturelle ou détermination réfléchie, — peu importe — c’est là ce qui domine sa conduite, motive ses opinions, fait la tournure particulière de son esprit, explique ses succès et légitime l’autorité morale dont il jouit et que personne ne lui refuse.

Mais, outre le caractère, Henri Brisson à ce qu’on pourrait appeler l’esprit républicain. L’esprit républicain, qu’est cela ? Ce sera, si l’on veut, une façon de penser, d’agir et d’être qui, tout de suite, indique un homme nouveau : c’est-à-dire un homme affranchi, sans réminiscence aucune, des croyances, des procédés, des habitudes dont la déchéance est le signe même du progrès moderne, c’est-à-dire encore en pleine possession de soi-même, n’attendant rien que du concours qu’il apporte à ses semblables et de l’appui qu’il en reçoit. Cet esprit-là, d’autres que Brisson le possèdent sans doute ; mais bien peu en sont, comme lui, pénétrés jusqu’à faire partie intégrante de leur tempérament, de leurs facultés, de leurs mœurs publiques ou privées. À ce point de vue, même dans les désaccords et les réserves, rien ne choque en lui ; de cet esprit nouveau, partout et toujours, on trouve l’expression sur sa physionomie, le trait dans sa parole, le cachet en ses écrits ; sa nature physique elle-même en porte pour ainsi dire l’empreinte : sa tête accentuée, ses yeux clairs qui regardent en face, sa bouche légèrement ironique, son front méditatif, son attitude correcte, tout cela est en parfaite concordance avec sa personnalité morale et intellectuelle. L’esprit républicain lui est inhérent ; c’est sa marque d’origine, sa raison d’être, sa valeur qualitative. C’est aussi le secret de sa rectitude de conduite et de jugement. Aussi, contrairement à d’autres républicains qui, sans le vouloir et peut-être sans le savoir, conservent en eux l’esprit des anciens régimes dont ils ont répudié la forme, il est resté peuple au sens étendu et véritable du mot.

L’avenir, tout l’annonce, appartient à l’esprit républicain.

Peut-être trouvera-t-on que, dans les pages qu’on vient de lire, l’éloge tient trop de place au grand dommage de la critique. À ceux qui feront cette objection, juste en soi, il sera répondu, en premier lieu, que c’est ici une simple biographie, non un portrait politique ; en second lieu, par cette maxime de La Rochefoucauld : « La louange qu’on nous donne sert au moins à nous fixer dans la pratique des vertus ». La louange, non la flatterie.