Henri Houssaye (Louis Madelin)

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Henri Houssaye (Louis Madelin)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 6 (p. 667-697).
HENRY HOUSSAYE

Entre plusieurs portraits d’Henry Houssaye, j’en retiens deux. L’un est un médaillon dont s’illustre l’édition de luxe d’Aspasie, Cléopâtre et Theodora ; l’autre est une simple photographie que reproduisait, au lendemain de sa mort, le Carnet de la Sabretache.

Le médaillon est grec. Celui qu’Arsène Houssaye appelait, en 1869, Henry-Alcibiade, y est drapé du pallium : le profil se détache d’une beauté tout antique, les boucles de la chevelure encadrant un front d’ivoire, l’œil fortement enchâssé sous l’arcade proéminente, le nez d’une ligne droite et pure, la barbe d’or allongeant noblement le visage et effleurant de sa double pointe effilée les premiers plis du manteau, tandis que, de la tunique échancrée, le cou se dégage sans raideur, rond et mince. C’est un modèle pour Phidias. On devine le jeune homme vêtu de la tunique de fine laine blanche et du pallium de pourpre brodé d’or dans lesquels lui-même nous a peint Alcibiade traversant l’Agora au moment où Socrate l’aborde. Quiconque a connu, même lorsque s’argentaient sa barbe et ses cheveux, l’historien d’Athènes, l’évêque facilement en ce costume qui, surtout autre, serait un prétentieux accoutrement.

L’autre portrait est celui du sous-lieutenant Houssaye dans sa tunique un peu fatiguée de soldat, la main effleurant le sabre, la croix sur la poitrine, la figure mélancolique sous la visière droite du képi bas. C’est le Houssaye du siège, celui qui, après s’être si bien battu dans les tranchées, versait de grosses larmes devant Paris capitulant. C’est le futur historien de 1814 et de Waterloo.

Les deux images vont se dresser successivement devant nous. Si différentes qu’elles paraissent, ne croyons point qu’elles évoquent deux personnages très distans.

Certes entre le jeune helléniste que nous verrons revenir d’Athènes, ivre de la plus noble volupté, et le jeune soldat qui remettra, quelques mois après, frémissant de colère, l’épée au fourreau, il y a eu plus d’une année de vie. Ne nous y trompons point cependant : le charme d’Henry Houssaye, — homme et écrivain, — c’est qu’à travers les avatars de sa carrière et les complexités de sa nature, il resta fidèle aux deux causes qui, à l’aurore même de sa belle existence, avaient sollicité son âme, fait battre son cœur et inspiré sa plume : la cause de la Beauté et celle de la Patrie.

Si des études fort différentes occupèrent ses jours, — de 1867 à 1910, — lui faisant en quelque sorte deux vies successives, l’historien de Napoléon ne brûla jamais ce que, sur l’Acropole, il avait adoré. Sortant des combats de 1871, il reprendra la plume pour consacrer de nouveaux volumes à la bien-aimée Hellade et même, lorsque, longtemps après la guerre, un hasard l’aura, pour notre fortune, jeté dans l’étude de l’histoire impériale, Homère restera ouvert, à côté du Mémorial, sur sa table de travail.

Son âme généreuse qui s’était, devant le Parthénon, épanouie au contact de la grande Beauté, ne s’en déprendra pas. Prématurément épurée, fortifiée par l’épreuve de la Patrie, elle se transformera sans rien renier. A la lueur des combats, Houssaye aura simplement découvert une beauté supérieure à cette splendeur de l’art pur qu’en 1869, il proclamait supérieure à toutes : celle qui jaillit des grandes actions et des sacrifices héroïques. La constante noblesse de ce cœur fait l’unité de cette vie, en apparence disparate, et de ce caractère complexe.


Caractère complexe : lui-même se découvrait et avouait « des sentimens contradictoires. » Et nous les lui connaissions. Il était aristocrate d’esprit et démocrate de sentiment, de goût raffiné et de cœur simple et, portant dans le « monde » un masque légèrement sceptique et comme un peu railleur, il se révélait, dans les entretiens familiers, homme de foi, passionné jusqu’à la violence.

Ces « sentimens contradictoires » se traduisaient par des opinions très nuancées (s’il avait le cœur bleu, ainsi que le dit justement M. Frédéric Masson, il l’avait assez large pour n’être à certains jours que « du parti de la France, ») et il les expliquait par ses origines disparates. Les Housset (l’orthographe du nom s’était modifié) étaient, confiait-il à M. Paul Acker, des « aristocrates, » des « réactionnaires. » Ces terriens de Picardie, — les Housset cultivaient, écrit l’historien lui-même, « la bonne terre » à Bruyères, dans l’Aisne, — descendaient d’un intendant d’Ancien Régime et restaient attachés aux choses d’autrefois. « Mais, ajoutait Houssaye, mon grand-père Maillefer, commissaire du Directoire, était de souche populaire et ma grand’mère maternelle, une élève de Prud’hon, avait épousé le chef d’escadron Bourgeois, aide de camp de Hullin, dit Bouffe-la-Balle et, en 1815, Brigand de la Loire. »

Ceux qui, avec raison, attachent grand intérêt à l’hérédité, feront, en toute cette ascendance, une place d’honneur à la grand’mère paternelle de l’historien de 1814. C’est Arsène Houssaye qui, cette fois, nous présente cette « bleue » que son petit-fils a lui-même beaucoup connue. « Comme beaucoup de femmes de son temps, écrit Arsène, ma mère avait l’idolâtrie de Napoléon parce qu’elle était romanesque et qu’il représentait son idéal épique. » Un jour de 1814 précisément, cette fille de républicains devenus bonapartistes s’aventura, enceinte du futur Arsène Houssaye, sur le champ de bataille de Laon, et, s’il faut en croire son fils, se jetant devant Napoléon « et lui montrant son sein, » elle lui cria : « Sire, mon mari se bat pour vous et il y a un soldat là. » Cette dame était bien de style Empire.

Ce qu’il y a d’assurément vrai, c’est qu’Arsène Houssaye fut élevé par sa mère dans le culte du « Héros, » auquel il resta fidèle, — ses Confessions en témoignent assez. Henry, de très bonne heure le confident de son père, a déclamé, dès l’enfance, l’Ode à la Colonne. Ne lui cherchons donc pas trop obstinément, dans les redoutes de Paris assiégé en 1871, un chemin de Damas.


Que ce capiteux Arsène Houssaye ait exercé sur son fils quelque influence et surtout qu’elle se soit exercée dans le sens héroïque, voilà qui paraîtra invraisemblable. De fait, le futur historien eut le bon sens d’emprunter seulement à son père ce que celui-ci, entre pas mal de défauts brillans, pouvait présenter d’aimables qualités.

Brillant conteur, enragé mondain, Arsène Houssaye semble, aussi bien, un paradoxe vivant entre son père, rude agriculteur qui l’avait voulu mettre à la charrue, « altier, avec des colères de lion, » et son fils, historien qui, dès dix-sept ans, prendra au sérieux et presque au tragique la mission de l’écrivain. Cet homme de lettres prodigieusement fécond (seule l’Histoire du 41e fauteuil surnage, parce que l’idée en fut amusante) avait, lui, rarement pris au sérieux le passé, encore moins le présent, « ayant eu pour maîtres dans l’art de vivre, dit-il, d’Orsay et Morny : » séduisant, galant, superbe de prestance et charmant de traits, il était une fleur éclatante épanouie sur le vieil arbre solide et rugueux des Housset, fortement enraciné depuis des siècles dans le meilleur sol de France. La fleur se fit fruit : le fruit, ce fut l’œuvre d’Henry Houssaye.

Arsène Houssaye s’en montrait fier. Enumérant à la fin de sa vie, non sans un orgueil mêlé de mélancolie, les innombrables œuvres sorties de son infatigable et légère plume, il ajoute : « J’oubliais un livre, le meilleur. Celui-là a pour titre : Henry Houssaye. C’est mieux encore de faire des hommes que des volumes. »

Il avait fait un homme, et un homme qui, si supérieur qu’il fût à l’aimable écrivain dont il sortait, s’enorgueillissait de l’avoir comme père. Il y avait entre eux commerce d’enthousiaste tendresse. Lorsque, le 12 décembre 1895, Henry Houssaye prendra séance à l’Académie, ses premiers mots seront pour s’affliger de ne pas trouver, pour l’accueillir sur les bancs de la Compagnie, l’homme de lettres abondant qu’elle avait écarté. Tous les regards cherchaient le vieillard qui, plus qu’octogénaire, venait de faire son entrée au bras d’une gracieuse Antigone et que la joie redressait. Cette joie, je l’imagine volontiers après avoir feuilleté la correspondance qu’échangeaient le père et le fils, — quelque trente-cinq ans plus tôt. Le père s’y montre aussi fier du talent naissant de son fils que de sa beauté. « Je t’embrasse sur ta gerbe de cheveux, » lit-on en bas des courts billets d’Arsène Houssaye. Quant au fils, « il portait à son père, a dit un éminent témoin de la vie de Houssaye, une tendresse raisonnable, attentive, vigilante, et c’était lui qui, avec des soins filiaux, remplissait le rôle paternel. » Fort différent de son père, il ne cessa de l’admirer. Un jour que nous parlions des Dumas, il me dit : « Le Père prodigue, c’est une belle pièce ; mais il faut donner tort au fils. Un père peut être prodigue ; il n’y a que son (ils qui ne doit pas s’en apercevoir. » Le propos, — dans cette bouche, — me frappa. Arsène Houssaye ne fut jamais aux yeux de son fils un « père prodigue. »


Le 14 août 1859, Henry Houssaye, qui avait onze ans (il était né le 24 février 1848, en pleine journée de barricades), fut mené par son père sur un balcon du boulevard des Italiens : les troupes d’Italie rentraient victorieuses sous une pluie de fleurs. « Ce fut, écrira-t-il, la journée des armes et des fleurs. » Quarante ans après, en effet, l’historien, dans un article vibrant, — comme tous ceux qu’il écrivait, — évoquait l’émotion qui saisit son âme d’enfant. Les grenadiers surtout lui retournèrent le cœur : « Avec leurs longues capotes bleu foncé, leurs buffleteries blanches croisées sur la poitrine, leurs bonnets à poil, ils donnaient la vision des grognards de l’Empire. »

Enthousiasme rétrospectif, diront les sceptiques. Non pas : Arsène Houssaye lui-même ignorait sans doute que ce petit bonhomme, « caporal de huitième au lycée Napoléon, » s’intéressait plus que tout autre à cette apothéose, s’étant fait en secret l’historien de la campagne. Qu’on ne se récrie pas ! L’un des manuscrits les plus singuliers parmi ceux qu’une pieuse sollicitude a fait passer sous mes yeux, est un cahier d’écolier, sur la couverture duquel une main enfantine a tracé ces mots : Guerre de l’Indépendance italienne. Plus bas, cette fois de la forte écriture que nous avons connue, je lis cette autre mention : « Ecrite avec la plus belle insouciance de l’orthographe par Henry Houssaye âgé de onze ans. » Le collégien, enflammé de patriotisme, dépouillait, depuis quatre mois, le Moniteur et, jour par jour, notait les victoires ; parfois il mettait une note personnelle dans ces éphémérides, écrivant qu’à Palestro, nos soldats s’étaient élancés sur les Autrichiens « comme des lions affamés. » Le « caporal de huitième » dissertait, avec un sérieux imperturbable, des alliances et de la force du « Quadrilatère. » Il s’entraînait, ce petit caporal.

C’était dès lors, — si je lis bien les lettres du père, — un enfant expansif et terriblement tapageur, ainsi qu’il convient. Par certains traits de sérieux cependant, il étonnait Arsène Houssaye qui, veuf, avait essayé de ne pas assombrir de tristes souvenirs le cœur de « son garçon. » Celui-ci, cependant, voulut « garder la religion de la tombe qui se rouvrirait[1]. » Ce n’était pas le style de l’hôtel Houssaye et de ses redoutes travesties. A dix-sept ans, cet « éphèbe charmant » eût pu se laisser entraîner par le tourbillon ; le professeur Patin, secrétaire perpétuel de l’Académie, devait, chose un peu bizarre, quelques années après, en le couronnant, féliciter le jeune homme d’avoir su s’arracher « à la séduction du monde. » De fait, on apprit un beau jour avec surprise que ce joli garçon passait ses journées et maintes soirées plongé dans les auteurs grecs que Philoxène Boyer, devenu son précepteur, lui avait appris à lire et à chérir. Audacieusement, ce jeune homme de dix-sept ans publiait une Histoire d’Apelles. « Qui ça, Apelles ? » durent se dire bien des habitués des fêtes vénitiennes de l’avenue Friedland ; car certains, de la Grèce, ne connaissaient guère que la belle Hélène remarquablement incarnée, en cette année 1867, par Mlle Schneider, des Variétés.


Henry Houssaye, dans les dernières années de sa vie, exprimait le regret d’avoir publié l’Histoire d’Apelles. Ayant, depuis, appris à penser et à écrire dans un tout autre style, il déplorait en cette publication un péché de jeunesse. A quel âge en commettrait-on, sinon à dix-sept ans ?

Il avait raison et tort. Le premier livre d’un historien est bien rarement un excellent livre. Les uns y mettent trop de sentimens mal éprouvés, les autres trop d’érudition mal digérée. On peut être un très grand poète à vingt ans, un très grand romancier à trente : l’histoire demande non seulement l’expérience de la documentation, mais celle de la vie ; comment donc serait-on un grand historien avant quarante ans ? L’Histoire de la Révolution d’Adolphe Thiers est une œuvre de jeunesse, mais ce sont les critiques justifiées dont elle fut l’objet qui induisirent, nous le savons, le jeune Marseillais à discipliner sa plume et tout d’abord son cerveau. Thiers écrivit à quarante-cinq ans l’Histoire du Consulat et de l’Empire ; il ne l’eût peut-être pas écrite avec la maîtrise qu’on sait, s’il n’eût pas, à vingt ans, publié un médiocre livre.

Il en fut de même pour Houssaye ; il n’aperçut les défauts de son style et ne les corrigea qu’en en faisant très tôt l’expérience. Il est de fait que, lisant récemment l’Histoire d’Apelles, je croyais rêver. Cela est pourtant bien signé Henry Houssaye.

Il ne nous reste rien de l’œuvre du peintre Apelles, sauf d’incertaines répliques, et la chronique est presque muette sur sa vie. Ecrire l’histoire d’un artiste en ces conditions, c’était, suivant l’expression d’un historien fort averti, « une gageure. » Ayant à sa disposition peu de témoignages, Houssaye est amené à les accepter tous, et d’ailleurs quelle critique peut apporter un adolescent dans le choix des textes ? Voilà pour le fond.

Quant à la forme, c’est pire. Henry Houssaye avait été élevé dans un milieu romantique, — arrière-romantique. Cet historien dont l’œuvre précisément se recommandera plus tard par la sobriété du style, était trop hugolâtre pour ne pas tomber, au début de sa carrière, dans l’enflure propre aux disciples hypnotisés par le maître. Il l’était allé visitera Guernesey ; il avait vu ce « fameux salon rouge » dont il a parlé ; il en était sorti transporté. Il restera d’ailleurs fidèle au culte qui y était pratiqué, si j’en crois une lettre bien postérieure à Hugo dont la minute est restée dans les papiers d’Houssaye. J’y lis : « Les romanciers cherchent à donner la vie à leur héros par de petits moyens. Vous faites les vôtres vivans par votre seule puissance créatrice, surhumaine, presque divine. » Cette lettre dut beaucoup plaire à Hugo : tout au plus put-il estimer qu’il s’y trouvait un presque de trop.

En 1867, le style de Houssaye se ressent de cette hugolâtrie. Il est à l’excès déclamatoire. Voici par exemple que les Hellènes substituent le culte des divinités de l’Olympe aux religions barbares reçues des vieux ancêtres : « Fuyez, divinités horribles à formes sinistres et burlesques, inspirant une terreur comique, s’écrie le jeune historien. Evanouissez-vous, abstractions quintessenciées, symboles obscurs, subtilités mystiques. Tombez, idoles informes, créatures hybrides, gigantesques horreurs, monstruosités sacrées ! Voici la sublime phalange des Dieux grecs qui descend lentement des cimes dorées de l’Olympe. »

Doit-on cependant regretter avec Houssaye lui-même que l’Histoire d’Apelles ait été écrite ? Je ne sais. Tout d’abord l’œuvre témoigne d’un travail de recherches dont la preuve se trouve dans les références que, suivant une méthode à laquelle il restera fidèle, le jeune historien accumule. D’autre part, l’œuvre qui est, en apparence, une simple biographie, doit être tenue réellement pour un très curieux essai sur l’histoire de l’art grec et l’on y trouve des pages vraiment bien venues. Enfin, si le style est outré, il révèle une bien riche nature. Houssaye dut à cette abondance romantique des débuts et à cette liberté de composition une aisance extrême. « Quand j’ai commencé d’écrire, disait-il, je poursuivais le mot rare… Depuis bien longtemps, je ne poursuis plus que le mot juste. Si même il me vient un mot rare, je m’efforce de le remplacer par un autre. Je crois qu’on peut tout dire, et avec une extrême précision, à l’aide d’un vocabulaire très restreint. » Rien de plus vrai ; mais la recherche des « mots rares, » lorsqu’on est jeune, prépare fort souvent à trouver plus tard « les mots justes. » Connaître, comme Hugo, le plus de mots possible, c’est amasser un riche trésor où puiser. A y bien regarder, Houssaye accumulait lui aussi des richesses qui, un jour, lui permettront de n’être jamais sec dans la concision, ni pauvre dans la simplicité.

L’Histoire d’Apelles méritait d’arrêter : elle permet de mesurer, en dernière analyse, ce qu’un homme d’esprit peut tirer de leçons de ses propres avatars.


« Voici la sublime phalange des Dieux grecs qui descend lentement des cimes dorées de l’Olympe. »

Le jeune homme qui écrivait ces lignes n’avait pas encore vu les « cimes dorées de l’Olympe. » L’invocation à Aphrodite, — cette Kypris Anadyomène dominant l’œuvre d’Apelles, — c’était de l’avenue Friedland qu’elle partait. Mais l’Histoire d’Apelles n’avait pas paru en librairie que, déjà, son auteur, frémissant de passion, courait vers l’Acropole, comme les jeunes gens de son âge courent à un rendez-vous d’amour. Il allait faire sa prière à Pallas Athéné.

Le 19 septembre 1868. Henry Houssaye, du pont du bateau, considérait, au soleil couchant, avec une émotion indicible, les côtes de l’Hellade ; le lendemain, à cinq heures du matin, il apercevait, sous la caresse du soleil levant, Athènes, la chère Athènes dont, il y a peu de mois, j’ai vu le nom rallumer une étincelle dans son regard presque éteint. D’avance il l’adorait ; elle dépassa son attente et porta son amour au paroxysme.

Dès la veille, son œil d’artiste avait embrassé d’une caresse les côtes du Péloponèse et ces chaînes de montagnes « modelées comme par Phidias. » « L’harmonie, écrivait-il, l’harmonie en tout, voilà la grande règle de l’art, de la poésie et de la politique des Grecs. De même que les premiers sculpteurs ont copié pour les frontons des temples divins les légères inclinaisons des versans des montagnes, de même la grande race des Hellènes a pris pour règle toute la magistrale harmonie que lui montraient les paysages. »

Après avoir fendu une « mer d’améthyste, » il débarquait au Pirée et, au trot de petits chevaux rapides, ne courant pas encore assez vite à son gré, il gagnait la ville de ses rêves entre cinq et six heures du matin. « La route est belle. On suit les ruines des Longs Mars construits par Thémistocle ; on passe à travers des bois d’oliviers et des vignes verdoyantes qui s’étendent à perte de vue. On a devant soi le Temple de Thésée, l’Acropole avec le Parthénon, l’Erektheion, le Temple de la Victoire sans ailes et les Propylées, enfin le Mont Lycabète et, à l’arrière-plan, l’Hymète, le Parnès, le Penthélique. Je ne veux pas, écrit-il à son père, te parler de ces admirables choses avant de les avoir vues ; je ne les ai encore qu’entrevues au galop de deux coursiers rivaux de ceux d’Hippolyte. »

Il était pris : lorsque, le lendemain, son compagnon de voyage lui parla d’un voyage projeté à Constantinople, il rejeta la proposition avec une sorte de scandale. Quitter Athènes, pensée sacrilège !

Dès lors, le voici battant la ville avec une ivresse joyeuse et presque délirante. Il monte à l’Acropole avec une sorte de respect touchant qui se peint en termes dévotieux. Jamais pèlerin ne mit tant de piété recueillie à s’agenouiller devant les reliques saintes. Parvenu au sommet « par le splendide escalier des Propylées, » il embrasse d’un coup d’œil « émerveillé » les ruines de la Victoire Aptère, de la Pinacothèque « où l’on exposait les tableaux de Polygnote, de Zeuxis, de Mikon et de Parrhasios, » et ce Parthénon qui, dégradé, dépouillé, souillé, « est encore la plus admirable, la plus idéalement parfaite des créations humaines… Les descriptions les plus enthousiastes et les plus belles, celles de Lamartine, de Chateaubriand et de Théophile Gautier restent encore de beaucoup au-dessous de la vérité, ajoute-t-il ; je crois qu’il est téméraire, impossible de faire la description du Parthénon éclairé par le soleil d’Athènes qui, non content de l’avoir déjà peint des plus chaudes couleurs de la palette des Ziem, des Titien, des Corrège et des Rubens, lui donne, tous les jours, dans sa marche de l’Orient au couchant, mille tons divers et mille aspects nouveaux. »

Il souffre, — c’est la marque du vrai amour, — de voir avec d’autres l’objet de sa flamme. Il se promet de « retourner tout seul au Parthénon avec ses yeux et sa pensée. » Telle est son ivresse que tout lui sourit en ce pays béni des dieux, — même les habitans. Il veut qu’ils soient les descendans authentiques des vieux Hellènes ; ils leur ressemblent, proclame-t-il, par la bonhomie de leurs façons (« ces mœurs grecques sont adorables, ») par leurs habitudes égalitaires (son tailleur Lambikis « est ù tu et à toi avec le roi Georges… de même que Cléon, au temps d’Aristophane, était corroyeur et gouvernait la Grèce ») par la beauté de leurs femmes (« les beaux yeux sont communs ») et par « un goût inné pour la politique… comme au beau temps de l’Agora et du Pnyx. » Tout l’enchante et l’accueil des ministres aux prénoms antiques le grise presque autant que les « vins excellens de Santorin, de Patras et de Samos. »

S’il s’arrache à Athènes, c’est pour aller « de lieu sacré en lieu sacré : » Salamine, Nauplie, le lac de Lerne où il évêque Hercule, les cavernes de Tyrinthe, le trésor des Atrides où il ressuscite dans un décor « de grandeur sinistre » les crimes de la famille. Certes on court le pays, « la main sur les crosses de ses revolvers, » mais qu’on ne médise pas des brigands : ceux qu’il a vus prisonniers lui ont paru « charmans. » Ainsi se révèle la vraie passion qui fait adorer un visage jusque dans ses verrues.

Le voici qui court encore la plaine et les ruines de Corinthe, la plage d’Égine. A Mégare, il est resté saisi devant la beauté des femmes : « Le type de la Vénus de Milo… » « Sur 80, il y en a 80 de bien faites, d’idéalement bien faites. » Les hommes eux-mêmes sont admirables. « Hier j’ai rencontré un boiteux en fustanelle et je l’ai regardé avec étonnement. A Paris, un boiteux semble tout naturel. »

Il revint d’Athènes dans un état d’exaltation extrême, adorant les dieux de l’Olympe. Le ciel de Paris lui parut presque celui de la terre d’exil. Il ne s’y attarda pas, revint en Grèce et y retrouva ses extases.


Il devait rester un philbellène autant qu’un helléniste passionné. De sa visite à l’Agora, il avait rapporté l’idée, le plan, les élémens d’une Vie d’Alcibiade. Il s’y plongera. Il projetait encore une Histoire d’Athènes à Athènes « bien plus facile à écrire, dit-il, que l’Histoire de Rome à Rome. » Au surplus Rome, vue au retour, lui a déplu : les Romains antiques sont pour lui des « barbares, » tout comme ils l’étaient pour les Grecs du IIe siècle. Toutes les fois qu’il parle de Rome (nous avons dix articles de lui sur les Romains), c’est avec une sorte de rancune, de la Rome républicaine « qui fut sans équité et sans pitié » aux Césars, « des monstres ! » D’ailleurs cette ville de Rome sans « eurythmie » est devenue « un manteau d’arlequin, » entre les mains des prêtres qui ont chassé les dieux de l’Olympe. Au fond, il a contre ces Romains la haine des Grecs opprimés, d’Aratus et de Philopœmen vaincus ; et c’est le même sentiment qui l’anime contre les Turcs auxquels il ne pardonnera jamais la servitude trop longue de l’Hellade.

Jamais religion ne pénétra plus un fidèle. Il a du fanatique les susceptibilités ombrageuses. En octobre 1871, il accusera formellement les auteurs de la Belle Hélène et d’Orphée aux Enfers, en persiflant les héros et les dieux antiques, et Jules Vallès, « en envoyant le vieil Homère aux Quinze-Vingts, » d’avoir livré la nouvelle Athènes pervertie aux Barbares germains. Dès 1869, il montrait de l’humeur à About. C’est le seul sujet sur lequel, homme d’esprit, il n’entendra jamais raillerie. Étendant à tout ses goûts et dégoûts, il concédait que Paris se devait estimer heureux de ressembler par certains côtés à Athènes, encore que les courtisanes y fussent fort inférieures à la belle Bacchis dont il évêque quelque part « la tombe de marbre rose ; » et la religion chrétienne lui paraît avoir assombri le monde en n’admettant pas la femme dans la Sainte-Trinité. Telle est son exaltation qu’elle inquiète Arsène Houssaye qui, tendrement, le rappelle (lui qui prêchait peu) au culte du pays de France, aux souvenirs familiaux et même aux vieilles croyances. « Cher Henry, trois fois Grec !… » écrit-il. Mais peut-être trouve-t-il, — lui le Parisien le plus Parisien de Paris, — que c’est Athènes qui, — rétrospectivement, — se doit féliciter d’avoir ressemblé quelque peu à Paris : « Henry-Alcibiade » exagère.

« Henry-Alcibiade » était en Grèce quand les bruits de guerre le ramenèrent en France. Les Barbares étaient aux portes de la nouvelle Athènes.

À cette heure, la griserie grecque avait positivement jeté Henry Houssaye dans un dilettantisme passager qui, aussi bien, cadrait fort bien avec ce qu’on a appelé « l’état d’âme de 1867. » Chose curieuse, à ce jeune homme qui, dès onze ans, s’enthousiasmait pour nos victoires jusqu’à les célébrer naïvement sur son cahier de collégien, la Grèce, qui certes a tout un côté d’héroïsme guerrier, n’était apparue que comme un adorable reposoir de Beauté. L’Olympe et le Parnasse l’avaient sollicité, et il n’était pas allé aux Thermopyles. En 1867, il avait terminé son Apelles par une phrase qui en dit long sur le pacifisme ambiant, surtout si l’on songe à quelle bonne race appartenait l’écrivain et à quel degré il devait un jour porter le culte des héros.

« Homère, Phidias, Apelles, s’écriait l’effervescent adolescent… vos gloires sont plus pures que celles de Miltiade, d’Epaminondas et d’Alexandre. Les âmes des guerriers qui n’ont créé que la mort s’agitent dans l’atmosphère terrestre, évoquant des souvenirs de deuil et de destruction… Sur la plume, sur le ciseau, sur le pinceau, il n’y a pas, comme sur l’épée, de sinistres taches de sang. La guerre gouverne un instant les hommes, l’Art illumine éternellement l’Humanité. »

C’est l’honneur d’Houssaye que de s’être aperçu, à la lueur des combats héroïques, qu’au service d’un pays aimé, l’épée ne se souille pas en s’ensanglantant, et de l’avoir désormais crié très haut.


Le 21 juillet, Houssaye était nommé sous-lieutenant de mobiles : 4° bataillon de la Seine. Quelques mois après, on se battait sous Paris assiégé. Le colonel Champion, commandant la première brigade, choisissait le jeune homme comme aide de camp. Ses futurs compagnons d’armes ne l’avaient pas vu tout d’abord arriver sans méfiance. L’un d’eux, M. Bosquillon de Jarcy, m’écrit : « Lorsqu’il fut présenté à notre colonel au Palais du Luxembourg…, j’avoue qu’il me fit une impression fâcheuse. Grand, mince, fluet même, timide et très réservé, il était loin d’avoir l’air d’un foudre de guerre… Hé bien ! nous nous étions trompés. Cet adolescent aux cheveux bouclés…, cet adolescent à l’allure timide et presque efféminée était un rude compagnon que rien ne rebutait, ni le froid intense, ni les privations, ni le manque de sommeil, et il était au contraire le premier à aller, la nuit, surveiller et réconforter les hommes qui grelottaient de froid dans les tranchées… Houssaye était un brave garçon et un garçon brave. »

Ce témoignage, si rondement formulé par un homme qui s’y connaît en courage, est corroboré par les courts billets qu’Henry Houssaye adressait à son père, « du quartier général d’Ivry. » Ce n’est plus le style des lettres de Grèce, ou, du moins, Houssaye a passé momentanément de l’Attique à la Laconie. C’est un Spartiate ; disons mieux : c’est un soldat de France. Alerte, vaillant, dur à lui-même, bon compagnon et de joyeuse humeur, la défaite l’irrite, mais ne l’abat pas. Sans doute il ne dissimule pas à son père que, chargé de porter un ordre à un bataillon isolé, il a été, le long d’une « maudite route,… » « tiré comme un lapin, » mais si le bataillon se repose quelques jours, il trouve cela « d’une monotonie insupportable, » et si la bataille recommence, il exulte : « La fête continue aujourd’hui. » Bon fils d’ailleurs, s’il s’exalte au danger, il entend rassurer son père. « Ne t’inquiète pas trop, j’ai mon étoile… Ne dois-je pas finir l’Histoire d’Alcibiade ? Et je t’aimerai encore longtemps. »

M. Frédéric Masson, qui se battait dans un bataillon voisin, a raconté à quelles affaires Houssaye avait été mêlé sous le haut commandement de l’amiral Pothuau. C’est à celle de la Gare-aux-Bœufs, — très meurtrière, — que, portant à travers la mitraille un ordre de son chef, il conquit cette croix dont l’espoir le faisait frémir de joie, le 30 novembre. M. Bosquillon de Jarcy se le rappelle au feu ; il évêque une scène de gentille crânerie : une petite colonne gravit sous des rafales de boulets la pente du fort d’Ivry ; entête l’amiral qui, un instant, s’arrête pour tirer de sa poche un cigare ; et, empressé, mais aussi calme que dans un fumoir, le lieutenant Houssaye frotte une allumette et, d’une main qui évidemment ne tremble pas dans cette tempête de fer, offre du feu à son grand chef. Celui-ci dut plus d’une fois par la suite envier au monde des lettres le soldat du fort d’Ivry. « Courage inné et sang-froid extraordinaire, » écrit mon témoin.

Le 29 janvier 1871, Houssaye rentrait dans Paris : c’était fini ; la ville capitulait. L’historien a écrit sur ces journées une des pages les plus émouvantes que je connaisse. « A peine abandonnait-on le cantonnement, qu’on vit déboucher des tranchées ennemies, comme de longs serpens noirs, les -colonnes prussiennes… Ils avaient hâte de jouir du triomphe et de pénétrer l’arme au bras dans ces retranchemens qu’ils n’avaient jamais voulu aborder la baïonnette en avant. Et nous avions nos fusils, et nos cartouchières regorgeaient, et nous abandonnions notre poste et nous fuyions devant eux. Ceux qui ont vu cela gardent au cœur une haine impérissable. » Ce n’est point là de la littérature : « Je ne puis m’empêcher de revoir encore, à l’heure actuelle, la physionomie d’Houssaye, m’écrit encore son compagnon d’armes : il était livide, le nez pincé, les lèvres exsangues, sa main tenait fébrilement les rênes de son cheval et une grosse larme roulait dans ses yeux. » Nous venons de voir tomber cette larme sur le papier.

Il pleurait d’être vivant : que de fois il m’a dit qu’il regrettait de n’être pas mort, — en 1870 ou plus tard, — de la mort du soldat ! Et comme l’helléniste n’était jamais loin, il ajouta un jour : « La mort du soldat, mon ami : εὐθάνατος (euthanatos) ; (l’heureuse mort) ! »

Mais s’il n’était pas mort, son âme s’était trempée à l’épreuve et son esprit mûri. Il n’était pas exalté, il était remué jusqu’au tréfonds de l’être. En décembre 1871, dans un article sur l’Allemagne, il ménageait peu le vainqueur, disant l’affreuse désillusion que causaient aux intellectuels de l’époque « les petits-neveux de Gœthe, » vrais barbares. Mais il ne déclamait pas et soudain, en homme qui a appris à réfléchir, il tirait la vraie leçon de l’événement. L’Allemagne avait vaincu grâce à « la discipline : » par cette discipline « la France, si elle s’y veut assujettir, vaincra un jour l’Allemagne. » Il ajoutait cette simple parole « La discipline, c’est le devoir. »

Tel nous le voyons au lendemain de la guerre, tel il restera. Militariste, oui, mais militariste sans illuminisme : avant tout, faire que le soldat aime son métier et que le pays aime ses soldats, établir la discipline nationale, la faire aimer et honorer. « Si je reconnais avec les philosophes pacifistes, écrit-il dans une lettre dont la minute est sous mes yeux, qu’il y a vingt façons de bien servir, je pense aussi que le soldat est celui qui la sert de la façon la plus rude, la plus désintéressée et la plus efficace. Trop de jeunes gens regardent le service militaire uniquement comme une servitude. A ceux-là il faut rappeler que c’est un honneur. A tous, il faut faire sentir l’utilité et la grandeur du rôle où les appelle la Patrie. Haut les cœurs, dites-vous. Il faut dire aussi : Haut les yeux ! Il faut mettre la fierté dans l’âme inconsciente et timide des conscrits. J’admire ce vieux sergent qui, passant l’inspection de ses hommes, disait à une recrue : « Ayez donc le regard assuré ! Fixez-moi dans le blanc des yeux. Faites-moi trembler, f… ! Vous êtes soldat ! »

Nous retrouvons tous en ces lignes le Houssaye des dernières années. Mais il les eût signées en 1871. Il continua de lire Homère, mais il aima Paul Déroulède ; son peintre favori ne fut plus Apelles avec ses Aphrodite, mais Edouard Détaille : le Rêve troubla désormais plus d’une de ses nuits.


Rien n’est plus contraire à la vérité, cependant, que de représenter Houssaye roulant dès lors de grands projets d’histoire nationale. Comme l’a fait observer M. Frédéric Masson, si Houssaye eût, à cette époque, pensé écrire sur Napoléon, il n’eût pas attendu dix-sept ans pour le faire. Il est juste toutefois d’admettre que l’état d’âme créé, ou plutôt réveillé chez lui par la guerre, le prédisposait à se faire un jour l’historien de nos batailles.

L’histoire moderne, en tout cas, ne le sollicitait pas : si, au lendemain de la guerre, il entend raconter un siège de Paris, il ne songe ni à 1814, ni à 1815. Il dédie à l’amiral Pothuau un opuscule intitulé : Le Premier Siège de Paris : an 52 avant l’Ere Chrétienne, où il se déclare, bien entendu, pour le Gaulois Camulogène contre le Romain Labiénus. La conclusion de l’ouvrage, traversée d’un beau souffle, est évidemment inspirée par une pensée mélancolique : « Les flammes avaient détruit Lutèce, mais les vétérans de César n’avaient pas planté sur les ruines fumantes de la ville leur aigle victorieuse. Les Parisiens avaient bien mérité de la Patrie : ne pouvant défendre leur ville, ils l’avaient brûlée ; ne pouvant vaincre, ils étaient morts. »

C’était aller chercher bien loin, — en l’an 32, — de fortifiantes leçons. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres fil bon accueil au livre qui, en dépit de son caractère de quasi actualité, était, dit un des rapports de la savante Compagnie, « plein d’érudition. » Houssaye restait donc un « antiquaire, » mais un antiquaire que la passion patriotique travaillait.

En réalité, Alcibiade l’attendait sur sa table de travail. Les notes étaient prises ; le décor, il l’avait brossé à Athènes même et les acteurs s’agitaient dans sa tête, en pleins combats du siège : « Il faut que j’achève Alcibiade », avait-il, d’Ivry, écrit à son père.

Il l’acheva en 1872. Peut-être se sentait-il néanmoins lui-même une âme renouvelée : il tint à s’en expliquer dans sa préface : « Ce livre que nous avons commencé à Athènes, deux ans avant la Guerre, a été souvent interrompu et souvent repris. Nous ignorons si les événemens politiques auxquels nous avons assisté et la vie de soldat que nous avons menée ont pu nous faire voir plus juste sur plusieurs points de l’histoire d’Athènes. Nous savons seulement que rien n’a modifié nos idées sur la République Athénienne. »

Il disait vrai. Tout en s’attachant à cet Alcibiade, si prenant par ses qualités et plus encore par ses défauts, et à cette vie que Montaigne estimait « la plus riche que je scache à estre vescue entre les vivans, » ce personnage singulier n’est, au fond, qu’un prétexte pour Houssaye à revenir sur Athènes, sa Constitution, ses mœurs, ses hommes, son histoire ; et à cet égard, Alcibiade est un héros singulièrement bien choisi : « Vivante personnification de son temps, » il est plus : une sorte de représentant et comme de synthèse vivante de la Grèce antique. Descendant des vieux héros, membre de l’antique famille Alcméonide, neveu de Périclès, mêlé à toutes les luttes de l’Agora, puis à celles qui déchirèrent le monde hellénique du Pont-Euxin à la Sicile, élève de Socrate et camarade de Platon, ami des grands artistes de l’âge, champion des Jeux Olympiques, orateur, magistrat, soldat, diplomate, chef de la République dont il est par ailleurs le plus dépravé des citoyens, maître des élégances, amant de toutes les femmes, courtisanes et femmes de roi, ce don Juan, qui fut disciple des philosophes et généralissime des flottes, permet évidemment à un historien de sortir à toute heure des bornes d’une étroite biographie. Houssaye se fait ici l’historien d’Athènes : toute l’Athènes de ce fiévreux Ve siècle tient dans ces deux volumes.

On ne peut établir aucune comparaison entre l’Apelles et l’Alcibiade. Alcibiade est un vrai ouvrage d’histoire. Certes les hellénistes peuvent, après quarante ans. d’investigations en Grèce, relever dans l’œuvre des erreurs et des lacunes : elle eut sa valeur, comme une forte et attachante synthèse des travaux alors en honneur. On n’y rencontrait d’autre part aucune des fautes de goût qu’on avait relevées dans Apelles. Houssaye s’appliquait, à lui tout le premier, cette discipline qu’il rêvait pour la nation : son romantisme était resté frappé à mort, ainsi que son passager dilettantisme, dans les tranchées du siège.

Ce qu’il faut cependant observer encore, c’est qu’il reste fidèle, ainsi qu’il l’a dit, au culte de la Beauté. Si Alcibiade le séduit, c’est que les statuaires grecs lui faisaient poser les Éros. Cet homme est un demi-dieu en qui s’incarne pour Houssaye l’Athènes bien-aimée : tout en reconnaissant les erreurs et les crimes de ce demi-dieu, son biographe entend qu’il ait été supérieur en toutes choses : ne se récrie-t-il pas lorsqu’il entend prétendre qu’Alcibiade est allé recevoir des leçons de volupté à Abydos ? « Alcibiade, écrit fièrement l’historien, quel que fût le degré de dépravation des Abydiennes, n’avait pas à prendre leurs leçons. Loin d’en recevoir d’elles, il leur en eût plutôt donné. » Cet orgueil de biographe me plaît.

L’ouvrage rencontra bon accueil. L’Académie française le couronna, lui octroyant le prix triennal Thiers. « Prix de bon augure pour une vocation historique, » proclamait Patin. Jamais l’auteur des Tragiques Grecs ne rendit un aussi heureux oracle. Tous les lauréats du prix Thiers ne peuvent, hélas ! avoir la prétention de donner, autant qu’Houssaye, raison au clairvoyant secrétaire perpétuel.


Houssaye alla rendre visite à Thiers. Il m’a souvent raconté que l’illustre historien du Consulat et de l’Empire l’engagea vivement à se cantonner dans l’histoire grecque, ajoutant qu’en ce qui concernait les temps modernes et particulièrement la période de 1789 à 1815, « il n’y avait plus grand’chose à glaner. » Cette scène est de toutes les époques.

L’historien d’Alcibiade n’entendit que trop alors celui de Napoléon. Je ne peux me consoler qu’Houssaye n’ait pas, Alcibiade terminé, porté sur quelque partie de notre histoire nationale ses investigations. Mais la Grèce l’enlaçait vraiment. Elle se présentait maintenant sous les traits, — à la vérité bien séduisans, — de trois femmes. Celles-ci représentaient trois époques de l’Hellénisme : Aspasie, c’est Athènes ; Cléopâtre, c’est Alexandrie ; Théodora, c’est Byzance. D’un coup d’œil, — charmé, — on allait, avec ce guide informé, du lit de Périclès à celui de Justinien.

L’exergue résumait l’histoire des trois femmes : Eros imperat, l’Amour commande. Mais ce livre, rempli de charmantes ou tragiques pages et de notes savantes, m’irrite extrêmement. En ce qui concerne Aspasie, Houssaye ne pouvait guère que se répéter avec art, et ses études spéciales sur la Grèce antique ne le préparaient nullement, par ailleurs, à écrire en quelques mois des pages très neuves sur Cléopâtre et Théodora. A la vérité, — et cela est une excuse suffisante, — il trouvait un extrême plaisir à les écrire, ressaisi de cette « griserie » qui montait à son cerveau des textes grecs, — même de ceux de la décadence. Laissant à Aspasie le sceptre, « muse du siècle de Périclès, » on le sentait cependant avec Antoine sous le charme captivant de la fille dès Ptolémées, « la plus belle des femmes, περιϰαλλιστάτη γυναίϰῶν (perikallistatê gunaikôn) » et avec Justinien (et tant d’autres) sous la prise de cette fille de bateleurs passée Impératrice qui, à Ravenne, exerce encore sur les pèlerins sa séculaire fascination : « Telle beauté, dit Procope, que personne ne saurait l’exprimer. »

Le côté « artiste » de ces trois biographies de luxe lui plaisait d’autant plus qu’il vivait, depuis 1872, — non plus à Athènes, mais à Paris, — dans une atmosphère d’art et de beauté.

Il avait, dans sa prime jeunesse, pensé manier le pinceau et avait, tout comme un autre, installé un atelier. Il avait, en 1872, passé de la pratique à la critique. C’est en qualité de critique d’art qu’il avait vu, la même année, en 1874, s’ouvrir devant lui « les portes d’ivoire, » — ainsi que s’exprime M. Frédéric Masson, — du Journal des Débats et de la Revue des Deux Mondes.

Ce lui furent deux « maisons. » Il a, en recevant à l’Académie M. Francis Charmes, dit quel attrait il avait jadis trouvé au vieux logis de la rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois et dans ce cercle de grands hommes de lettres que les jeunes rédacteurs entendaient avec un intérêt passionné, disserter et discuter. Quant à la Revue des Deux Mondes, où il débuta par des études d’art, il y resta « comme chez lui, » me dit-il un jour. Hier, elle donnait à ses lecteurs les dernières pages qu’a écrites sur Ièna la plume encore si ferme de l’historien.

Articles de littérature, de critique, d’histoire, de beaux-arts pourraient remplir dix volumes. Il n’en édita que trois recueils. L’Art français depuis dix ans retient. On y trouve exposés les principes (assez intransigeans) du critique. Très dur pour le naturalisme et l’impressionnisme, « deux termes du charlatanisme, » il leur opposait le vrai réalisme, celui des antiques. Au fond, il était extrêmement classique, « regrettant les mythologies et les scènes antiques qui comportent le nu. » Ses passes d’armes, — car là comme ailleurs il se passionnait, — ne confirment pas seulement ce que nous savons de son culte pour l’art grec ; elles sont une nouvelle preuve de cette faim de discipline, — si je peux dire, — qui l’avait possédé après 1871. Naturalisme et impressionnisme lui paraissaient des doctrines quasi insurrectionnelles et il eût volontiers affirmé que le naturalisme notamment avait bien pu amener Courbet à coiffer le bonnet rouge et à renverser la Colonne. Cette faim de discipline, elle allait se satisfaire pleinement. Un hasard tout à coup l’amenait au maître des grandes disciplines. Un hasard, oui, si l’on s’en tient aux apparences. Mais y a-t-il des hasards ? La semence vole au gré du vent, mais elle ne germe et ne porte de fruits que sur les terrains prêts à la recevoir.


Le 1er août 1885, la Revue publiait un article intitulé : La Capitulation de Soissons en 1814 et signé de Henry Houssaye.

Cet article fatidique était sorti de circonstances en apparence, je le répète, fortuites.

Quelques mois auparavant, une étude qui portait le titre : Les Commentaires des soldats, et qui présentait les fameux Cahiers de Coignet, avait montré l’historien d’Alcibiade apte à sympathiser avec les troupiers de l’Empereur, — de tout son cœur. Un de ses compatriotes de l’Aisne en avait été frappé. « J’ai lu, lui avait-il écrit, un article de la Revue qui me prouve que vous comprenez les vieux de la vieille, » et il lui avait offert de lui communiquer d’assez curieux documens sur la capitulation de Soissons en 1814. Houssaye accepta, pensant simplement trouver la matière à une courte étude qui ne l’arracherait que pour quelques semaines à un livre projeté sur La loi agraire à Sparte.

La capitulation de Soissons est un des événemens capitaux de>la campagne de 1814 : le général qui commandait dans cette ville, — un Moreau, — eût attendu quelques heures avant de rendre la place, que le sort de la campagne changeait et par conséquent, — qui sait ? — le sort de l’Europe. Houssaye en resta saisi. Pour situer l’événement, il étudia grosso modo la campagne. Il lui parut qu’elle était à récrire. Il ne pensa pas à le faire, mais voulut en avoir le cœur net. Pour la première fois, il alla aux Archives. « Lorsque je lus et palpai ces papiers écrits de la main même des acteurs du drame, disait-il, et dont certains griffonnés sur le champ de bataille semblaient encore sentir l’enivrante fumée de la poudre, j’ai subi une sorte d’hallucination : je les voyais apparaître. Le garçon de salle dut m’avertir que l’on fermait, car, perdu dans mon rêve, je n’avais plus la notion de ce qui m’entourait. »

Il revint aux Archives, il y dévora avidement des papiers. Il y évoqua des ombres. Au-dessus de toutes les autres s’en dressait une : celle de l’Empereur. Elle ne l’avait pas hanté jusque-là. Il avait toujours rendu hommage au génie : il ne semble pas que, sauf lorsqu’il avait feuilleté Coignet, il eût senti battre son cœur pour le grand homme. Depuis 1871, la figure de Napoléon subissait une éclipse, pâlissant fort injustement, aux yeux mêmes des patriotes, de l’effroyable aventure où venait de tomber la dynastie impériale et où la France avait failli sombrer avec elle.

Ce fut chez Houssaye cependant le patriote qui s’émut. En 1814, l’Empereur ne lui apparut point tel qu’il était aux yeux de tant de gens : « l’incorrigible guerrier » de Thiers menant par sa manie guerrière la France aux abîmes. Napoléon n’avait été, en 1814, que le défenseur du sol envahi. Contre l’Europe entière il l’avait disputé pied à pied, pouce par pouce, au prix d’un miraculeux effort ; et derrière lui, l’historien apercevait, le soutenant, l’acclamant, mettant en lui leurs espoirs, les petites gens de France, paysans, ouvriers, troupiers. Ce n’était pas l’Empereur nimbé de lauriers, couronné d’or, drapé de velours et d’hermine du sacre. C’était, sous le « petit chapeau » amolli par la pluie et dans la redingote grise fatiguée par la campagne, un chef populaire autour duquel se groupaient les patriotes sans distinction de nuance. Tout ce que le cœur d’Henry Houssaye renfermait de passion patriotique et guerrière s’émouvait et s’exaltait. Il n’aima peut-être pas alors tout l’Empereur : il aima celui-là à ce moment-là. En tout cas, le trouvant abordable, il l’aborda. Il l’interrogea, l’interpella comme jadis sa grand’mère Houssaye sur le champ de bataille de Laon. « N’allait-il pas rejeter sur le Rhin ces envahisseurs, Prussiens, Kaiserlicks, Cosaques ? N’allait-il pas en nettoyer le sol de France ? »

L’Empereur interrogé le regarda. On sait quel frisson d’amour, d’admiration, de haine ou de crainte, ce regard peut, cent ans après sa mort, faire passer dans nos moelles.

Il y a dans Servitude et grandeur militaires de Vigny une scène que connaissent bien les fervens de l’Empereur : «… Bonaparte se baissa vers moi et, me prenant dans ses bras, m’éleva jusqu’à sa bouche et me baisa le front. La tête me tourna. Je sentis qu’il était mon maître et qu’il enlevait mon âme à mon père… Il m’avait soulevé libre et quand ses bras me redescendirent doucement sur le pont du navire, ils y laissèrent un esclave de plus. » Henry Houssaye avait reçu sur le front le baiser de l’Empereur.

Par ailleurs, la campagne elle-même de 1814 le passionnait. Cet homme était soldat dans l’âme, il l’avait montré ; il se trouva qu’il n’était pas seulement né pour être soldat, mais chef d’état-major. Tactique et stratégie l’attachèrent : il aperçut les desseins, pénétra les plans, suivit les mouvemens, comprit la victoire et la défaite, en analysa les causes et sentit que sa vraie vocation jusque-là méconnue était là. Et il prépara un 1814 qui, trois ans après, voyait le jour.

Dès les premières pages du livre, il dit nettement, franchement, cruel était l’esprit de l’œuvre : « Nous avons consciencieusement cherché la vérité. Au risque de froisser toutes les opinions, nous avons voulu ne rien omettre, ne rien voiler, ne rien atténuer. Mais impartialité n’est point indifférence. Dans ce récit où nous avons vu avant tout la France, la grande blessée, nous n’avons pu ne pas tressaillir de pitié et de colère. Sans prendre parti pour l’Empire, nous nous sommes réjoui des victoires de l’Empereur et nous avons souffert de ses défaites. En 1814, Napoléon n’est plus le souverain. Il est le général, il est le premier des soldats français. Nous nous sommes rallié à son drapeau en disant comme le vieux paysan de Godefroy Cavaignac : « Il ne s’agit plus de Bonaparte. Le sol est envahi. Allons nous battre ! »

L’ouvrage parut au printemps de 1888. Le succès en fut prodigieux. Le volume, bourré cependant de notes, de références, de renvois aux cotes d’archives, le volume où des chapitres entiers consacrés à la stratégie napoléonienne nécessitaient l’emploi des cartes et exigeaient la vue de l’échiquier, le volume, d’apparence compacte et de style sévère, fut enlevé comme un roman. Jamais ouvrage d’histoire ne connut pareille fortune : au bout de quelques mois, les éditions se succédaient ; le nombre de ces éditions atteint aujourd’hui soixante-six, mais vingt furent tirées en bien peu d’années. Et ce devait être la fortune des volumes suivans qui tous dépassent actuellement soixante éditions, Waterloo atteignant le chiffre insolite soixante-dix mille. De la table des salons mondains à celle des élèves de l’Ecole de Guerre, la date fatidique 1814 s’aperçut. Houssaye resta, le premier, saisi de son succès.

Ce succès obligeait : le public réclamait « la suite. » On ne voulait pas rester sur le départ pour l’île d’Elbe. Il était revenu ; on voulait le voir revenir, triompher derechef, se battre derechef, et savoir la fin du drame.

L’historien avait déclanché un mouvement. Frédéric Masson a dit, parlant avec une éloquence passionnée devant la tombe ouverte où allait reposer Henry Houssaye, quel fut ce mouvement prodigieux d’études napoléoniennes et que Houssaye en fut « l’initiateur. » C’est le témoignage que celui-ci eût le plus prisé et, de fait, ce généreux hommage revêt une autorité singulière. L’ « initiateur » se devait de garder sa place dans cet immense « atelier » où, s’inspirant de lui ou simplement travaillant à côté de lui, un monde d’écrivains et de savans se mettaient au grand ouvrage. Houssaye écrivit 1815 : trois volumes qui ont pour sous-titres : Les Cent Jours, — Waterloo, — La Terreur Blanche.

Lorsque l’œuvre, née presque d’un hasard, mais où une nation avait en quelque sorte enfermé l’écrivain, fut achevée, il se trouva que ce 1814, qui avait d’abord paru un volume se suffisant à lui-même, n’était que le prologue d’un drame splendide.


L’œuvre se présente en effet ainsi qu’une de ces trilogies grecques que Houssaye connaissait si bien.

Ce prologue, 1814, est déjà d’une incomparable grandeur. Le lion qui a porté la terreur jusqu’aux lointaines capitales est forcé dans ses terres : l’Empereur d’Occident qu’on a vu se battre dans les Sierras de Castille et sur les bords de la Moskowa, est menacé entre Marne et Seine. Alors il est redevenu le soldat, rien que le soldat. Quel soldat ! Aucune de ses campagnes ne vaut celle-là ! Et c’est le soldat de la nation qui, debout, faisant front, relève, replante le drapeau à chaque instant abattu. Il faut que, derrière lui, les coupe-jarrets conspirent pour que tout à coup, frappé dans le dos par la trahison, le héros tombe. Alors, c’est l’abdication, la relégation de César dans l’île de Sancho Pança, pendant qu’en France la première restauration, par l’acharnement même qu’elle met à l’outrager, prépare fatalement le retour du Dieu.

Nous connaissons par ce prologue tous les personnages du drame, quand, sur le premier acte de la trilogie elle-même, 1815, la toile se lève : Lui d’abord, les maréchaux fatigués, les politiciens traîtres, les soldats admirables depuis les jeunes colonels jusqu’aux grognards révoltés et jusqu’aux petits Marie-Louise d’hier, la Nation exaspérée qui gronde contre le « retour des seigneurs, » le gouvernement impopulaire qui tente, comme le dira Musset, de rouler la nation vaincue « dans un linceul blanc. »

Le premier acte de la trilogie, c’est le Vol de l’Aigle, le retour vraiment miraculeux de l’île d’Elbe, la marche merveilleuse d’un Dieu sortant du tombeau au milieu des dévots que sa vue jette dans la frénésie, précipite dans ses bras, prosterne à ses pieds, tandis que, dans la coulisse, les « traîtres » déjà dressent leurs pièges où prendre l’oiseau impérial.

Le second acte, c’est Waterloo qui remplit un volume : la « morne plaine » d’Hugo s’emplit une fois de plus, devant nos yeux, de « sombres bataillons. » Les terribles scènes qui se succèdent nous font passer par des espoirs fous et de tragiques anxiétés. Et après la charge où Ney brise la cavalerie épique, c’est la mort de la Vieille Garde. Le poète lui-même n’a pas su mieux que l’historien au cœur chaud, mais à la langue si simple, nous faire passer un frisson par le corps, lorsque traquée « comme à l’hallali courant, le sanglier parmi la meute, » la Garde meurt sous nos yeux, paraphant de son sang la dernière page de l’illustre épopée.

La chute de l’Aigle constitue le troisième acte. Frappé à Waterloo, c’est les ailes brisées qu’il reparaît à Paris. Point de refuge assuré dans cet aire. Déjà les rets sont tendus. D’un coup de son bec encore ou de ses serres, il pourrait les rompre. Il préfère ne pas s’engager dans une lutte obscure et basse. Il laisse faire à qui la lui dispute. Il s’élève d’un coup d’aile désespéré, planant très haut, dirigeant son vol vers l’Océan où le filet anglais, finalement, le ramasse.

L’épilogue, c’est « la France crucifiée. »

Et ainsi se termine le drame. Avais-je tort de dire que c’est là une véritable trilogie antique semblable à celles dont, aux côtés de Périclès, d’Aspasie, d’Alcibiade, Houssaye avait jadis suivi les scènes au Théâtre de Bacchus. Mais que les drames mêmes d’Eschyle et de Sophocle paraissent, en dépit de leur grandeur, inférieurs à cette tragédie ! Si la « Fatalité » joue son rôle dans l’histoire des Atrides, — petits princes de la petite Hellade jetés les uns contre les autres, — avec quels sentimens plus poignans nous voyons cette Fatalité dominer le drame où sombre le grand Empereur, où la grande France semble sombrer. Elle est là, cette Fatalité, comme inéluctable ; de sa main, elle paraît bien conduire les peuples et les princes, faire plier le génie et fléchir les âmes, déjouer les plans des uns et servir les projets des autres. Elle jette une note eschylienne dans le drame qui va de Montmirail au Bellérophon.

Le chœur antique est là aussi. C’est la foule, c’est l’armée. Bien avant qu’on nous engageât à écrire pour la démocratie, Houssaye composait pour elle. Nous sommes, avec lui, loin des temps où un général seul se détachait du tableau d’une bataille, où un homme d’Etat semblait avoir vécu seul au-dessus d’une nation. Houssaye a voulu que la masse parlât et qu’on la vît agir.

Les maréchaux joueront leur rôle, mais derrière eux l’armée des humbles soldats surtout et, sous les ministres qui délibèrent, voici les faubourgs qui remuent. Houssaye interroge les petites gens : grognards et conscrits, artisans des faubourgs, paysans des marches de l’Est. Il lui plaît tant d’entendre les émules de Coignet grogner, plaisanter, gronder, pleurer, rugir, de les voir marcher, combattre, mourir. Et voici, avec la nation soulevée, tout un peuple en marche : entendez-vous ce chœur formidable qui s’en lie démesurément au-devant de l’Empereur revenant. Et l’autre chœur, celui des soldats de France qui, à Waterloo, tombant, agonisant sur les aigles brisées, crie comme l’autre : Vive l’Empereur !


Si Henry Houssaye fait parler l’opinion, je le répète, c’est qu’il l’interroge avec une scrupuleuse conscience que n’obscurcit jamais un intérêt passionné. Nous sommes aujourd’hui habitués à voir l’historien ne négliger aucune source. Houssaye nous a, dans cette voie, tous précédé », et c’est lui qui a montré la voie. Il a voulu que se confessassent à lui les policiers de Savary et de Fouché, les agens de Talleyrand, les maréchaux, les chambellans, les ouvriers « fédérés, » les préfets, les troupiers, les paysannes. Les Journaux de marche des vieux de la vieille autant que les papiers d’état-major l’éclairent et le guident de Champaubert aux Quatre-Bras, les rapports de police le font pénétrer des salons du faubourg Saint-Germain aux cabarets du faubourg Saint-Antoine. Et il n’est pas jusqu’aux cours de la Bourse et aux recettes de nos théâtres qui ne lui paraissent précieux documens, capables de le renseigner sur l’état des esprits et presque des cœurs.

De cette masse de documens nouveaux jaillit un Ilot de nouvelle lumière. Elle jaillit d’elle-même, encore que le talent si sobre cependant de l’écrivain serve l’historien informé. Lui intervient peu ; mais on sent un cœur qui se comprime ; parfois un cri d’indignation, de joie ou de douleur s’échappe : ce sont alors quelques mots brefs, mais d’autant plus terribles. Relisons le récit de la soirée où, à l’Opéra, on chanta : Vive le roi Guillaume et ses guerriers vaillans ! Comment l’historien, — ici, — eût-il pu se contenir ? Cependant il est presque toujours -impartial. Il sait blâmer l’Empereur, montrer ses erreurs. Les Bourbons lui sont antipathiques, — en 1814 et 1815 ; — mais le jour où, forcé de signer le traité qui dépouille la France, le duc de Richelieu, leur ministre, un émigré rentré, pousse un grand cri déchirant de douleur, Houssaye le récompense d’un regard amical. Quiconque n’a pas manqué à la patrie a droit à sa sympathie. Mais le plus souvent il se refuse le droit de juger, presque de raconter, laissant parler les témoins et les faits. Pas de déclamation ; pas de théories ; pas de grandes peintures ni de portraits voyans. Peignant à petites touches, innombrables, pressées, en apparence menues, il semble un Meissonier de l’histoire. Soudain l’œuvre finie, il se trouve cependant avoir brossé une immense fresque épique, resplendissante de couleur et pleine de grandeur.


1814 avait paru en 1888 ; la Terreur blanche est de 1903. Ce furent quinze ans d’un fiévreux labeur : car, préparant le volume attendu, sans cesse il réétudiait les volumes parus. Je sais par expérience que le plan de Waterloo resta étalé sur sa table bien après que le livre eut vu le jour : je l’y ai encore revu, il y a quelques mois, quand déjà Houssaye semblait tout à Iéna.

Ce qui était prodigieux, c’est qu’en effet, s’il s’appliquait au labeur de l’heure, il ne s’y absorbait pas. Le 6 novembre 1894, l’Académie l’avait désigné pour le fauteuil de Corneille et de Victor Hugo, que la mort de Leconte de Liste venait de laisser libre. Il s’y était assis, le 12 décembre, avec une joie qu’il ne dissimulait pas. C’est qu’il avait pensé jeune à l’Académie « comme au sortir de l’école, les Saint-Cyriens pensent aux étoiles de général. » Lorsque, plus beau que jamais, droit, ferme, le regard lier, il entra, sous l’uniforme brodé, au son des tambours, sous la Coupole, il semblait bien en effet un maréchal, pénétrant dans une ville conquise après une belle campagne.

Mais avec les « étoiles, » il accepta les charges. Que de fois je le vis, en face d’une pile de livres « candidats aux prix, » se prendre la tête dans les mains ! « Lire, c’est déjà beaucoup. Mais étudier pour choisir avec équité ! Il y en a dix d’excellens là dedans et vingt de bons ! » Il faisait son « métier d’académicien » avec la régularité du bon soldat qui a sa consigne

Par ailleurs, président de la Société des Gens de lettres, président de la Société des écrivains militaires, vice-président de la Sabretache, vice-président de la Société des Amis du Livre, car il était bibliophile, il n’acceptait jamais l’honneur sans la charge et semblait toujours tout à tous. Ajoutons que, lisant tout ce qui paraissait non seulement sur 181-1 et 1813, non seulement sur l’Empire et la Révolution, mais encore sur l’histoire militaire de la France (sa bibliothèque de travail aux livres souvent fatigués en témoigne), il ne se détachait pas de ces premières amours qu’avait été l’Hellade. Il avait succédé à Renan à la tête de la Société des Études grecques en 1892 et restait digne de cet autre bâton de maréchal. A propos de Leconte de Lisle, il avait encore célébré magnifiquement, à l’Académie, ces Grecs qui « non seulement avaient créé les plus beaux monumens de l’art et de la pensée,… » mais « aussi créé cette chose inconnue avant eux et oubliée après eux pendant 12 ou 15 siècles, la Liberté. » Un jour je le trouvai replongé dans l’Anthologie ; un autre jour, il me lut dans le texte vingt vers de l’Iliade eu les commentant avec l’enthousiasme, — c’est tout dire, — qu’il apportait à louer le Victor Hugo de l’Ode à la Colonne. Il continuait à suivre dans le monde ses héros et héroïnes : lorsque M. Guglielmo Ferrero nia que l’amour d’Antoine pour Cléopâtre eût changé la face du monde, il se mit à rompre des lances pour « le nez de Cléopâtre. »

Enfin il aimait s’entretenir avec les confrères et était accueillant aux amis. « Il estimait, a délicatement dit M. René Doumic, que sa journée faite, l’écrivain honnête homme doit secouer la poussière des livres, relever la tête, dérider son front et causer librement avec ses amis. »


C’était un délicieux ami, d’une fidélité sans défaillance, avec des délicatesses dont le souvenir, au moment où j’écris, m’émeut d’inexprimable façon. Il a, en prononçant le discours des prix de vertu, parlé de ces « hommes-Providence » qui « par un heureux conseil ou un appui momentané à un jeune artiste, à un jeune historien, lui préparent une existence féconde et glorieuse. » Le cher bon maître ! Ce qu’il a été de fois, pour un débutant intimidé, l’homme-Providence ! Il tendait une main largement ouverte : sa poignée de main, déjà, vous donnait courage et confiance. Il eût d’un regard, — en 1910 comme il l’avait fait en 1870, — jeté des soldats à l’assaut. Il en jeta à l’assaut de la science. On lui apportait une page, on la lui lisait ; il écoutait, son regard si fin posé sur vous et qui déchiffrait la physionomie du lecteur, tandis que, de toute son attention, il l’écoutait. « Mais, c’est bon, ça ! » Ce mot-là suffisait : on avait de l’ardeur au travail pour des semaines. C’était Napoléon tirant l’oreille au conscrit.

Mais ce qui était surtout communicatif, c’était le spectacle qu’il donnait aux apprentis historiens. On le trouvait, entre les rayons de sa vaste bibliothèque de style impérial, — acajou aux bronzes dorés, — devant le bureau qui, si large qu’il fût, était toujours encombré de notes, de livres et de ces grandes pages bâtonnées de sa forte écriture, tout frémissant d’ardeur et je dirai de plaisir devant le travail fait, et si plein de son sujet qu’il vous entraînait, vous emballait. Que de fois il m’a forcé à m’asseoir à côté de lui dans les conseils de Napoléon, sous la tente de l’Empereur où j’aurais juré qu’il venait de m’introduire ; il m’a fait tirer avec les Marie-Louise, il m’a fait charger derrière Ney. Je sortais éberlué de son cabinet. Comme tous les grands historiens, Houssaye était un visionnaire, mais qui, après avoir contrôlé ses visions, savait vous les faire partager. Je l’ai vu se lever, frémissant d’enthousiasme ou de colère : passant ses mains dans sa chevelure blanchie, il s’agitait et, lui qui ne déclamait jamais dans ses livres, il tonnait ou exultait. Un jour, me parlant de Fouché, il me dit : « L’Empereur eût dû le faire pendre, ce coquin ! » et il eut un geste désolé, comme si l’événement eût été de la veille. Aussi bien, ses livres, écrits d’un style si simple, évoquent de telle façon les scènes et les acteurs qu’il paraît impossible qu’il ne vît pas se dérouler ces scènes et agir les acteurs. « L’historien, a-t-il écrit, ne doit pas seulement raconter les événemens, il doit aussi faire revivre les passions qu’on n’a plus. » Lorsque, avec Houssaye, nous suivons Napoléon, marchant du golfe Jouan à Paris, c’est avec l’anxiété haletante de gens qui ignorent tout du dénouement. Lorsque, à Rochefort, l’Empereur se va livrer aux Anglais, nous nous surprenons à désirer que quelque hasard heureux le détourne de son projet. Michelet contait qu’entrant chez un ami, il le trouva plongé dans un rêve, un livre ouvert devant lui et les yeux remplis de larmes. « Enfin, rapporte l’historien, revenant à lui-même : « Elle est donc mortel dit-il. — Qui ? — La pauvre Jeanne d’Arc ! »

Houssaye a su certainement créer chez beaucoup de ses lecteurs ces surprenantes hallucinations.

Au demeurant, n’ayant rien d’un halluciné, il était parfois narquois, de sens rassis, capable même de fortes espiègleries. Une de ses mystifications est célèbre : il l’a racontée dans un petit article du Bulletin du Bibliophile, en 1902, intitulé, je crois : Napoléon le Grand par Victor Hugo. À cette occasion, il contait comment, ayant à tapisser une porte de sa bibliothèque avec des dos de livres simulés, il y avait inscrit des Comptes mélancholiques de Balzac, un Moi et Eux de George Sand, un Manuel du Démolisseur d’Henri Rochefort, l’Eloge des Jésuites de Michelet, et, entre dix autres, De l’influence des Goncourt sur la Littérature française par Edmond de Goncourt. Après tout, ajoutait-il, « combien de livres dont on se contente de voir le dos. » Il avait de ces côtés de gaminerie malicieuse.

Et ce que la vie l’amusait, — si parfois elle l’indignait ! Avec quelle délicieuse ironie il contait et avec quelle joie il écoutait conter !


À la fin de sa vie, Houssaye était troublé : le sort du pays l’inquiétait. Il était littéralement arrivé, pour la France, à un paroxysme d’amour. Il en adorait le passé guerrier, tout le passé : car il était capable de louer en termes aussi magnifiques un Racine et un Corneille, un Berthelot et un Pasteur, un Hugo et un Lamartine qu’un Condé, un Turenne, un Marceau, un Murât, un Ney, un Bugeaud, un duc d’Au maie, un grenadier Coignet de la Grande Armée, un sergent Sans-Souci des armées royales. Un jour, représentant l’Académie aux fêtes du troisième centenaire de Corneille, il démontrait que la France, dans tous les temps héroïques, avait été « la collaboratrice » du poète. « Cessons donc de l’appeler Romain. Ayons plus de suite. Appelons Corneille un Français, un très grand Français. »

Cette France, il ne se consolait pas de la voir diminuée, entamée, restant, malgré tout, sous le coup de la défaite et de l’amputation. Un jour que je lui avais conté quelle émotion j’avais éprouvée à parler de Lasalle à Metz, il me manifesta le désir d’y aller conférencer lui aussi. Je l’accompagnai. Il parla dans la grande salle de l’Hôtel de Ville de Napoléon et des Poètes. Lorsqu’il déboucha devant ces six cents Français quand même, au milieu desquels se voyaient d’autre part des officiers prussiens bien sanglés dans leur uniforme, je le vis positivement changer de visage et crus, à entendre ses premiers mots étouffés, qu’il ne pourrait continuer. Il parla : sa voix s’éleva ; il lut les odes d’Hugo après les vers de Lamartine sur Lui ; il fut magnifique. Il achevait de lire l’Ode à la Colonne : « Oui, nous t’irons chercher !… » quand, soudain, dans les rues, sonna la retraite prussienne. Il se tut et, de nouveau, nous le vîmes blêmir : il semblait un mort. Je suis sûr que son cœur, un instant, cessa de battre. En sortant, il me dit simplement : « Mon ami, l’épreuve était trop forte. Si j’avais votre âge, je me serais dit : C’est bon : je reviendrai ici entendre sonner les clairons français. Mais moi, moi… Jamais plus je ne les entendrai ici, les clairons français. » S’il m’est donné un jour d’entendre sonner dans Metz les clairons français, je penserai au bon Français qui, jamais, lui, ne les aura plus entendus sonner.

A Metz je l’avais trouvé las. Il l’était de n’avoir vu, et, après tout, de n’avoir conté que des défaites. Il avait alors voulu se réfugier dans la victoire et, tout en préparant l’Histoire des quatorze armées de la République en 1793, il écrivait un Iéna.

Je dirai ailleurs dans quelles conditions ce livre, interrompu environ aux deux tiers de sa rédaction, verra le jour. Avant qu’il fût très avancé, mon maître le parla devant moi. De sa main prématurément glacée qui prenait la couleur et le froid du marbre, la plume maintenant s’échappait. Il voulait cependant que le plan du livre fût connu, compris, — et l’esprit qui le guidait.

Je le vois encore dans les tout premiers jours de 1910 : il venait de me lire le récit de la bataille d’Iéna qui est encore si net. « Il faut que je continue, dit-il, parce qu’Iéna, voyez-vous, c’est une grande, une belle bataille, mais pour moi Iéna, ce n’est pas la bataille d’un jour : depuis la déconfiture et la mort du prince de Prusse à Saalfeld jusqu’à la capitulation de Blücher derrière Lubeck, il y a une bataille continue de trente-six jours, et c’est ça que je veux raconter… La poursuite, mon ami, la chasse, la rafle de cette armée, de cette nation, de cette monarchie de Prusse, quelles pages à écrire ! Vous vous rappelez le mot de Heine : « Napoléon n’eut qu’à siffler et la Prusse n’existait plus. » Il s’animait en parlant ; son œil qui, depuis des mois, se voilait trop souvent, s’allumait, et sa main qui commençait à trembler, sa main se raffermissait, semblant jeter l’épervier et ramener la proie.


Ainsi se consolait-il du présent par le passé. Son cerveau surmené se peuplait de visions glorieuses : il me décrivit Napoléon entrant à Berlin : « Je le vois ! » — il le voyait. Réellement il était payé d’une vie de labeur historique par d’enthousiasmans spectacles.

Il me parla encore de la Grèce : « Il faut y aller, » me dit-il. Et puis : « Mais non, il faut commencer par là. On y a de grandes jouissances. Seulement la grande beauté, ce n’est pas encore là qu’on la trouve : c’est finalement dans l’a me d’un soldat, mon ami, d’un soldat qui, pour un sou par jour, se fait casser la tête pour la France. »

Il résumait ainsi la philosophie que la vie lui avait enseignée. La Beauté, nous l’avons vu, l’avait grisé d’une ivresse déjà bien noble lorsqu’il avait aperçu les chaînes harmonieuses de l’Hellade, la mer violette de l’Attique, et les marbres dorés de la ville. Longtemps il en était resté comme envoûté, adorateur fanatique des déesses olympiennes. Puis, au brutal, mais heureux contact des événemens, son cœur de Français, Français de vieille race et de sang pur, Français fils de terriens et de soldats de France, s’était embrasé d’un bien autre amour. De longues années, il avait continué à célébrer les séductions de la Grèce, mais soudain, mis en présence de soldats incomparables défendant le sol envahi de la Patrie et du plus grand de tous, il s’était dégagé des liens charmans qui semblaient l’enlacer, et l’historien de la Beauté était devenu l’historien de la Patrie : magnifique carrière.

Henry Houssaye, rendu à son pays, l’a servi par la plume comme il l’avait servi et l’eût encore servi par l’épée. Au fait, sa plume vaut une épée : c’est en nous courbant sur nos passagers désastres que nous apprendrons comment la France s’en relève ; et c’est en nous contant nos victoires — toutes nos victoires — qu’on nous enseignera à en remporter d’autres. C’est ce que voulait Henry Houssaye.


LOUIS MADELIN.

  1. « Henry n’a pas fait une seule action sérieuse dans la vie, lit-on dans les Confessions d’Arsène Houssaye, sans aller demander conseil au tombeau. La veille de partir pour la guerre, il a fait tout un voyage pour aller s’agenouiller dans la chapelle de Bruyères. Quand il a eu la croix, il n’a pas voulu la porter sans avoir fait le même voyage. »