Henri III et sa cour/Acte V
ACTE CINQUIÈME.
LE DUC DE GUISE.
LA DUCHESSE DE GUISE.
SAINT-MÉGRIN.
SAINT-PAUL.
(Elle a encore sur la tête les fleurs dont elle était parée au troisième acte ; elle
écoute sonner l’heure.)
Minuit et demi… avec quelle lenteur l’heure se
traîne !… Oh ! s’il pouvait m’aimer assez peu pour
ne pas venir !… Jusqu’à une heure du matin, les
portes de l’hôtel resteront ouvertes : déjà j’y ai vu
entrer les ligueurs qui doivent s’y réunir. Sans
doute, il n’était pas avec eux. Encore une demi-heure d’angoisses et de tourments… et depuis deux
heures que je suis enfermée dans cette chambre,
je n’ai fait qu’écouter si je n’entendais point le
bruit de ses pas. J’ai voulu prier… prier… —
(Écoutant en se rapprochant de la porte.) Ah !
mon Dieu ! Non… non… ce n’est pas encore lui…
— (Allant vers la fenêtre.) Si cette nuit était moins
sombre, je pourrais l’apercevoir, et, par quelque
signe peut-être, l’avertir du danger ; mais nul espoir ! La porte de l’hôtel se referme !… il est sauvé !
pour cette nuit du moins… Quelque obstacle l’aura
arrêté loin de moi. Arthur n’aura pu le trouver ;
et peut-être demain sera-t-il un moyen de lui faire
connaître le piège où on voulait l’attirer. Oh ! oui,
oui, j’en trouverai… je… — (Écoutant.) J’ai cru
entendre. — (S’approchant de la porte.) Des pas,
encore ! ce sont ceux de M. de Guise… non, non…
On monte ; on s’arrête. Ah ! on se rapproche… On vient ! — (Avec effroi.) N’entrez pas ! n’entrez pas ! fuyez ! Fuir, et comment ! C’était derrière lui que la porte s’était refermée. Ah ! mon Dieu ! plus d’espoir !
(La porte s’ouvre; la duchesse de Guise recule à mesure que Saint-Mégrin
paraît.)
Scène II.
Je ne m’étais donc pas trompé, c’était votre voix que j’avais entendue ; elle m’a guidé….
Ma voix ! ma voix ! elle vous disait de fuir !
Que j’étais insensé ! je ne pouvais croire à tant de bonheur.
Cette porte est encore ouverte ! fuyez, monsieur le comte, fuyez !
Ouverte ! oui… imprudent que je suis !
Monsieur le comte, écoutez-moi !
Oh ! oui, oui ! parle ! j’ai besoin de t’entendre, pour croire à ma félicité.
Fuyez, fuyez ! la mort est là !… des assassins !…
Que dis-tu ? quels sont ces mots de mort et d’assassins que tu prononces, avec une robe de fête, et le front couronné de fleurs ?
Des fleurs… ah ! qu’elles soient anéanties !
Que faites-vous ?
Écoutez-moi… écoutez-moi… Au nom du ciel ! sortez de ce délire insensé… il y va de la vie, vous dis-je ; ils vous ont attiré dans un piège infernal ; ils veulent vous assassiner.
M’assassiner ! cette lettre n’était donc pas de vous ?
Elle était de moi ; mais, la violence, la torture… Voyez ! — (Elle lui montre son bras.) Voyez…
Ah !
C’est moi qui ai écrit ce billet… mais c’est le duc qui l’a dicté.
Le duc ! et j’ai pu croire… Non, non, je ne l’ai pas cru un seul instant. Mon Dieu ! mon Dieu ! elle ne m’aime pas !
Maintenant que vous savez tout, fuyez, fuyez ! je vous l’ai dit, il y va de la vie.
Elle ne m’aime pas…
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !
C’est ma vie, dites-vous, qu’ils veulent ! Eh bien ! je vais la leur porter : mais sans rien conserver de vous ! tenez ! voilà ce bouquet, que mon existence a failli payer. D’un mot, vous m’avez détaché de la vie, comme ces fleurs de leurs tiges. Adieu ! adieu pour jamais. (Il veut rouvrir la porte.) Cette porte est refermée.
C’est lui ! il sait déjà que vous êtes ici.
Ah ! qu’il vienne ! qu’il vienne ! Henri… Henri ! n’auras-tu de courage que pour meurtrir le bras d’une femme… Ah ! viens, viens !
Ne l’appelez pas ! ne l’appelez pas ! il doit venir !
Que vous importe ? je vous suis indifférent. Ah ! la pitié ! oui…
Mais si vous m’aidiez, peut-être pourriez-vous fuir.
Moi, fuir ! et pourquoi ? ma mort et ma vie ne sont-elles pas des événements également étrangers dans votre existence… Fuir ! et fuirais-je aussi votre indifférence, votre haine, peut-être ?
Mon indifférence ! ma haine ! ah ! plût au ciel !
Plût au ciel ! dis-tu ? Un mot, un mot encore, et je t’obéirai aveuglément… Dis ; ma mort doit-elle être pour toi plus affreuse que l’assassinat d’un homme ?
Grand Dieu ! il le demande… Oh ! oui… oui.
Tu ne me trompes pas ! ah ! je te rends grâce ! Tu parlais de fuir ! de moyens ! quels sont-ils ?… Fuir ! moi, fuir devant le duc de Guise !… Jamais !…
Ce n’est pas devant le duc de Guise que vous fuiriez ; c’est devant des assassins. Retenu dans une autre partie de l’hôtel par cette réunion de ligueurs, il a voulu s’assurer qu’une fois ici vous ne sauriez lui échapper. Si nous pouvions seulement fermer cette porte, nous aurions encore quelques instants ; mais la barre en a été enlevée ; une seconde clef est entre ses mains, — (Cherchant.) et l’autre…
N’est-ce que cela ? attendez. — (Il brise la pointe de son poignard dans la serrure.) Maintenant cette porte ne s’ouvrira plus qu’on ne l’enfonce.
Bien, bien ! cherchons un moyen, une issue… Mes idées se heurtent ! ma tête se brise !…
Cette fenêtre…
Gardez-vous-en bien ! vous vous tueriez !
Me tuer sans vengeance ! Vous avez raison ; je les attendrai.
Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! secourez-nous ! Oh ! toutes les mesures de vengeance ne sont que trop bien prises… Et c’est moi, moi, qui n’ai pas su souffrir. — (Tombant à genoux.) Comte, au nom du ciel ! votre pardon ! — (Se relevant.) ou plutôt, non, non, ne me pardonnez pas… et, si vous mourez, je mourrai avec vous !
Eh bien ! rends-moi donc la mort plus douce. Dis, dis-moi que tu m’aimes… C’est un pied dans la tombe que je t’en conjure. Je ne suis plus pour toi qu’un mourant. Les préjugés du monde disparaissent, les liens de la société se brisent devant l’agonie. Entoure mes derniers moments des félicités du ciel… Ah ! dis, dis-moi que je suis aimé.
Eh bien oui, je vous aime ! et depuis longtemps. Que de combats je me suis livrés pour fuir vos yeux, pour m’éloigner de votre voix ! vos regards, vos paroles me poursuivaient partout. Non ! pour nous la société n’a plus de liens, le monde n’a plus de préjugés… Écoute-moi donc : oui, oui, je t’aime…. Ici, dans cette même chambre, que de fois j’ai fui un monde que ton absence dépeuplait pour moi ! Que de fois je suis venue m’isoler avec mon amour et mes pleurs ! et alors je revoyais tes yeux, j’entendais encore tes paroles, et je te répondais. Eh bien ! ces moments, ils ont été les plus doux de ma vie.
Oh ! assez, assez… Tu ne veux donc pas que je puisse mourir… Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l’enfer… Oh ! tais-toi, ne me dis plus que tu m’aimes… Avec ta haine, j’aurais bravé leurs poignards ; et maintenant, ah ! je crois que j’ai peur !
Saint-Mégrin, oh ! ne me maudis pas.
Si, si, je te maudis pour ton amour qui me fait entrevoir le ciel et mourir… mourir ! Jeune, aimé de toi ! est-ce que je puis mourir ! Non, non ; redis-moi que tout cela n’était qu’illusion et mensonge !
Ah ! ce sont eux !
Ce sont eux. — (Tirant son épée et s’appuyant dessus avec calme.) Éloigne-toi ; tu m’as vu faible, insensé ; en face de la mort, je redeviens un homme… éloigne-toi.
Saint-Mégrin ! écoute… écoutez. Cette fenêtre est… oui ! je m’en souviens… Il y a un balcon au premier étage ; si vous l’atteigniez une fois… une ceinture… une corde ; vous pouvez descendre jusque-là, et alors vous êtes sauvé. — (Cherchant.) Mon Dieu ! rien, rien.
Calme-toi ! Catherine, Voyons ! — (Allant à la fenêtre.) Si je pouvais seulement distinguer ce balcon… mais rien qu’un gouffre.
On entend du bruit dans la rue. — (Se précipitant vers la fenêtre.) Qui que vous soyez, au secours ! au secours !
Que fais-tu ? veux-tu les avertir ! — (Un paquet de cordes tombe dans la chambre.) Qu’est-ce là ?
Ah ! vous êtes sauvé ! — (Elle le prend.) D’où vient-il ? Un billet. — (Elle lit.) Quelques mots que j’ai entendus m’ont tout appris. Je n’ai que ce moyen de vous sauver, et je l’emploie. Arthur. Arthur ! ô cher enfant ! — (À Saint-Mégrin.) C’est Arthur ; fuyez, fuyez vite.
En aurai-je le temps ? cette porte ; — (On l’agite violemment.) Cette porte…
Attendez.
Ah ! Dieu ! que faites-vous ?
Laisse ! laisse ! c’est le bras qu’il a déjà meurtri.
Ouvrez, madame, ouvrez,
Fuyez donc, mon Dieu ! En fuyant vous sauvez ma vie ; si vous restez, je jure de mourir avec vous, et je mourrai déshonorée… Fuyez, fuyez.
Tu m’aimeras toujours ?
Oui, oui.
Des leviers, des haches… que j’enfonce cette porte.
Pars donc !
Adieu.
Oui… oui… adieu… !
Adieu ! …
Mon Dieu ! mon Dieu ! je te remercie ; il est sauvé. — (Un moment de silence, puis tout à coup des cris, un cliquetis d’armes.) Ah ! — (Elle quitte la porte, court à la fenêtre.) Arthur ! Saint-Mégrin !
Scène III.
entrant suivi de SAINT-PAUL et de plusieurs hommes.
Il sera descendu par cette fenêtre. Mais Mayenne était dans la rue avec vingt hommes, et le bruit des armes… Va, Saint-Paul ; vous, suivez-le. Va, et tu me diras si tout est fini. — (Heurtant du pied la duchesse.) Ah ! c’est vous, madame. Eh bien ! je vous ai ménagé un tête-à-tête.
Monsieur le duc, vous l’avez fait assassiner !
Laissez-moi, madame, laissez-moi.
Non ! je m’attache a vous.
Laissez-moi, vous dis-je… ou bien ! oui, oui. Venez ! À la lueur des torches, vous pourrez le revoir encore une fois. — (Il la traîne jusqu’à la fenêtre.) Eh bien ! Saint-Paul.
Attendez ; il n’est pas tombé seul. Ah ! ah !
Est-ce lui ?
Non, c’est le petit page.
Arthur ! Ah ! pauvre enfant !
L’auraient-ils laissé fuir… Les misérables !
Oh !…
Le voici.
Mort ?
Non, couvert de blessures, mais respirant encore.
Il respire ! On peut le sauver. Monsieur le duc, au nom du ciel…
Il faut qu’il ait quelque talisman contre le fer et contre le feu…
Eh bien ! il n’en a peut-être pas contre la corde ; serre-lui la gorge avec ce mouchoir ; la mort lui sera plus douce ; il est aux armes de la duchesse de Guise.
Ah !
Bien ! et maintenant que nous avons fini avec le
valet, occupons-nous du maître.