Hercule et les Centaures

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Hercule et les Centaures
Revue des Deux Mondes3e période, tome 85 (p. 429-432).


POÉSIE


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HERCULE ET LES CENTAURES


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NÉMÉE.
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Depuis que le Dompteur entra dans la forêt
En suivant sur le sol la formidable empreinte,
Seul, un rugissement a trahi leur étreinte.
Tout s’est tu. Le soleil s’abîme et disparaît.

À travers le hallier, la ronce et le guéret,
Le pâtre épouvanté qui s’enfuit vers Tirynthe
Se tourne, et voit d’un œil élargi par la crainte
Surgir au bord des bois le grand fauve en arrêt.

Il s’écrie ! Il a vu la terreur de Némée
Qui sur le ciel sanglant ouvre sa gueule armée
Et la crinière éparse et les sinistres crocs ;

Car l’ombre grandissante avec le crépuscule
Fait, sous l’horrible peau qui flotte autour d’Hercule,
Mêlant l’homme à la bête, un monstrueux héros !

STYMPHALE.


Et partout devant lui, par milliers, les oiseaux,
De la berge fangeuse où le Héros dévale.
S’envolèrent, ainsi qu’une brusque rafale,
Sur le sinistre lac dont clapotaient les eaux.

D’autres, d’un vol plus bas croisant leurs noirs réseaux,
Frôlaient le front baisé par les lèvres d’Omphale,
Quand ajustant au nerf la flèche triomphale,
L’Archer superbe fit un pas dans les roseaux.

Et dès lors, du nuage effarouché qu’il crible,
Avec des cris stridens, plut une pluie horrible
Que l’éclair meurtrier rayait de traits de feu.

Enfin, le Soleil vit à travers ces nuées
Où son arc avait fait d’éclatantes trouées,
Hercule tout sanglant sourire au grand ciel bleu.


NESSUS.


Du temps que je vivais à mes frères pareil
Et comme eux ignorant d’un sort meilleur ou pire,
Les monts Thessaliens étaient mon vague empire
Et leurs torrens glacés lavaient mon poil vermeil.

Tel j’ai grandi, beau, libre, heureux, sous le soleil;
Seule, éparse dans l’air que ma narine aspire,
La chaleureuse odeur des cavales d’Epire
Inquiétait parfois ma course ou mon sommeil.

Mais depuis que j’ai vu l’Épouse triomphale
Sourire entre les bras de l’Archer de Stymphale,
Le désir me harcèle et hérisse mes crins ;

Car un Dieu, maudit soit le nom dont il se nomme!
A mêlé dans le sang enfiévré de mes reins
Au rut de l’étalon l’amour qui dompte l’homme.

LA CENTAURESSE.


Jadis, à travers bois, rocs, torrens et vallons,
Errait le fier troupeau des Centaures sans nombre ;
Sur leurs flancs le soleil se jouait avec l’ombre,
Ils mêlaient leurs crins noirs parmi nos cheveux blonds.

L’été fleurit en vain l’herbe. Nous la foulons
Seules. L’antre est désert que la broussaille encombre ;
Et parfois je me prends, dans la nuit chaude et sombre,
A frémir à l’appel lointain des étalons.

Car la race de jour en jour diminuée
Des fils prodigieux qu’engendra la Nuée,
Nous délaisse et poursuit la Femme éperdûment.

C’est que leur amour même aux brutes nous ravale ;
Le cri qu’il nous arrache est un hennissement
Et leur désir en nous n’étreint que la cavale.


CENTAURES ET LAPITHES.


La foule nuptiale au festin s’est ruée,
Centaures et guerriers ivres, joyeux et beaux ;
Et la chair héroïque au reflet des flambeaux
Se mêle au poil ardent des fils de la Nuée.

Rires, tumulte... Un cri!.. L’Épouse polluée
Que presse un noir poitrail, sous la pourpre en lambeaux
Se débat, et l’airain sonne au choc des sabots
Et la table s’écroule à travers la huée.

Alors celui pour qui le plus grand est un nain
Se lève. Sur son crâne, un muffle léonin
Se fronce hérissé de crins d’or. C’est Hercule.

Et d’un bout de la salle immense à l’autre bout.
Dompté par l’œil terrible où la colère bout,
Le troupeau monstrueux en renâclant recule.

FUITE DE CENTAURES.


Ils fuient, ivres de meurtre et de rébellion,
Vers le mont escarpé qui garde leur retraite ;
La peur les précipite, ils sentent la mort prête
Et flairent dans la nuit une odeur de lion.

Ils franchissent, foulant l’hydre et le stellion.
Ravins, torrens, halliers, sans que rien les arrête.
Et déjà, sur le ciel, se dresse au loin la crête
De l’Ossa, de l’Olympe ou du noir Pélion.

Parfois, l’un des fuyards de la farouche harde
Se cabre brusquement, se retourne, regarde
Et rejoint d’un seul bond le fraternel bétail ;

Car il a vu la lune éblouissante et pleine
Allonger derrière eux, suprême épouvantail,
La gigantesque horreur de l’ombre Herculéenne.


José-Maria de Heredia.