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Hermia

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Odes et PoèmesMichel Lévy frères (p. 247-284).
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VII

Hermia


 
Un jour, obéissant à ces charmes austères
Qu’exercent les hauts lieux sur les cœurs solitaires,
Il voulut respirer la neige des sommets
D’une chaste blancheur revêtus à jamais.
Sur ces trépieds, où Dieu descend dans la lumière,
Où les forêts, à l’homme unissant leur prière,
Exhalent leurs senteurs et leurs bruits vers le ciel,
Il s’enivra longtemps du souffle universel.

Enfin, désaltéré des divines haleines,
Un plus tiède horizon l’attire vers les plaines ;
Car, poète, il n’a vu qu’en ses rêves encor
Au pays du soleil mûrir les pommes d’or.

Après les régions de la neige éternelle,
Des rocs tumultueux d*où le glacier ruisselle
La mousse et le lichen sillonnent les flancs gris ;
Puis les rhododendrons rougissent tout fleuris ;
Puis, toujours Rabaissant, les cimes étagées
De diverses forêts par zones sont chargées.
Les mélèzes d’abord, les sapins, et des prés
L’émail couvrant déjà des flancs plus tempérés,

Et les hêtres touffus, les bouleaux, et les chênes
Annonçant la douceur des collines prochaines.
Sous leur ombre il marcha jusqu’au premier gradin
D’où l’œil saisit la plaine et son riant jardin,
Et l’extrême horizon du lac aux bords fertiles,
Dont le myrte et l’orange ont embaumé les îles.

Offrant à la fatigue un asile attiédi,
Là s’ouvrait une grotte au soleil de midi.
D’un bois entremêlé de taillis, de clairière,
De longs vergers en fleurs blanchissaient la lisière.
Les coteaux sinueux qui portent les raisins,
Et les plants d’oliviers, de là semblaient voisins,
Et pourtant des sapins la tête haute et sombre
Versait tout près encor la froideur de son ombre.

Amoureux des jardins et des bois tour à tour,
Dans la grotte paisible il se fit un séjour.
La brise et le soleil, par une large entrée,
Des parfums et des voix de toute la contrée
Lui portaient le tribut. Un charmant arbrisseau
Déployé sur le bord de la voûte en berceau,
Sous un treillis de fleurs et de feuilles pendantes,
Arrêtait de midi les flammes trop ardentes.
L’arbre mystérieux, — il ignora son nom, —
Entre la vie et l’être admirable chaînon,
S’ébranlait de lui-même et par sa propre force,
Comme s’il enfermait un dieu sous son écorce ;
Sans attendre aucun souffle il murmurait des sons,
Ses fleurs dans leurs parfums répandaient des chansons,
Des soupirs presque humains, une plainte si douce,
Que sur le seuil de l’antre, et couché sur la mousse,
Souvent, de ces beaux lieux le nouvel habitant
Oubliait tout un jour de vivre en l’écoutant.


Ainsi, sans les compter, il laissait fuir les heures,
Dans ce désert, où Dieu lui donna ses meilleures.
Des sommets aux vallons, quand, las d’avoir erré,
Chaque soir, dans la grotte il s’était retiré,
Un fertile sommeil, inconnu dans les villes,
Sans les appesantir fermait ses yeux tranquilles ;
Par la porte d’ivoire un songe, hôte charmant
Près de lui descendu, l’enivrait mollement,
Et dans toutes ses nuits, d’une image pareille,
A sa vue, à son cœur, répétait la merveille.

Il voyait dans la grotte, au coin le plus obscur,
Une lueur mêlée et d’argent et d’azur,
Comme un reflet du lac lorsque la lune y brille,
Jaillir des blancs contours d’un corps de jeune fille ;
Puis à la voûte, aux murs, sur les cristaux sculptés,
L’auréole agrandie allumait des clartés.
Un arbuste semblable à la plante inconnue,
Et d’où sort comme un fruit la vierge demi-nue,
A sa chaste ceinture attache un vêtement
De rameaux et de fleurs noués confusément ;
De ses seins non voilés la neige ardente et pure
S’élève et resplendit dans la sombre verdure ;
Sur sa hanche onduleuse un de ses bras descend ;
Une urne d’où les eaux coulent en gémissant
A l’autre sert d’appui ; tout est repos en elle ;
Un immobile éclair enflamme sa prunelle ;
Le silence divin sur ses lèvres sourit ;
A peine si la vie autrement s’y trahit,
Tant son souffle est subtil, et dans son cœur paisible
Glisse sans soulever un mouvement visible.
Son âme cependant déborde, et par ses yeux
Sa parole jaillit en ruisseaux radieux,

Et sur l’heureux songeur s’épanchant tout entière,
D’un rayon prolongé va toucher sa paupière.
Lui, sent par tout son être, ébloui, palpitant,
Ce regard de déesse et d’amante pourtant,
Qui, dans sa fixité lumineuse et limpide,
D’un baiser continu lui verse le fluide.

Ainsi, jusqu’au matin, dans l’extase bercé,
Sous un astre amoureux il dormait caressé.
Illuminant son cœur d’une clarté suprême,
La vierge aux yeux perçants le contemplait de même ;
L’urne et les rameaux verts chantaient divinement ;
Et c’était chaque nuit égal enivrement !

Or, dans la grotte, après quelques jours, son vieux maître,
Un homme au large front, des bois auguste prêtre,
Descendant des hauts lieux, rentra : car, tous les ans,
Sa main savante et douce aux mortels languissants,
Dans le désert, aux pieds des neiges virginales,
Cueillait, sous l’œil de Dieu, les fleurs médicinales.

Confiant pour cet hôte, et pieux comme un fils,
Le jeune homme eut bientôt dit son nom, son pays,
Son invincible amour des monts, des forêts sombres,
Les désirs infinis qui pleuvent de leurs ombres,
Ses courses, son sommeil dans la grotte abrité,
Et le rêve charmant qui l’avait visité.

Et le sage l’aima ; dans les âmes brûlantes
Il savait lire, ainsi que dans le sein des plantes ;
Il comprit cet enfant au désert envoyé
Pour y lire de Dieu le livre déployé.
Un soir, assis tous deux, sous les roches voûtées,
Ayant pour frais tapis les mousses veloutées,

Tandis que sur le lac la brunie s’épaissit,
Il prépara son cœur et lui fit ce récit :


I

C’est du soleil de mai qu’Hermia nous est née ;
Sa mère, au bout des prés par les fleurs entraînée,
Sous les rameaux en sève et les nids palpitants,
Avait tout le matin respiré le printemps.
Au bord du lac assise, appuyée au vieux saule
Dont les feuilles d’argent pleurent sur son épaule,
A ses pieds les iris, les joncs peuplés d’oiseaux,
Les cygnes amoureux jouant dans les roseaux ;
Ses yeux plongent au loin sur l’eau bleue et vermeille
Comme une large fleur où va boire une abeille,
Et sa bouche entrouverte aspire le baiser
D’un rayon de soleil qui vient de s’y poser.
Là, seule et devant Dieu, sans assistance humaine,
Ainsi que l’épi mûr laisse tomber sa graine,
Comme l’écorce ouvrant un passage au bourgeon,
Le calice à la fleur, le nuage au rayon,
Comme si dans les airs dont l’esprit la pénètre
Son sein eût recueilli le germe de votre être,
Sans craindre de mourir, sans plainte et sans douleurs,
Elle vous mit au monde, Hermia, sur les fleurs !

On se rappelle encor ce jour dans nos contrées,
Tant le soleil fut beau, tant les forêts sacrées,
Et l’onde étincelante, et les plaines en feu,
Semblèrent s’éveiller plus près de l’œil de Dieu

!


Tout le ciel était pur des vapeurs de la terre,
Comme un front virginal que nul souci n’altère ;
Les rêves infinis pouvaient prendre l’essor
Sans qu’un nuage heurtât, là-haut, leurs ailes d’or.
De cette matinée on cite des prodiges :
Mille boutons éclos tout à coup sur leurs tiges,
Les serpents disparus dans leurs antres obscurs,
Et Dieu paralysant tous les êtres impurs,
Et d’invisibles voix sous l’ombrage entendues,
Et des gouttes de miel aux feuilles suspendues.
Dans la vigne et les prés, sur les bruns travailleurs
Il tomba de chaque arbre une neige de fleurs ;
De gais oiseaux volant au bord des toits champêtres
Posèrent des rameaux sur toutes les fenêtres.
L’air entrait comme un baume au cœur des affligés,
Les outils du labeur paraissaient plus légers ;
Chacun se sentait pur de ses haines passées,
Une heure enfin coula sans mauvaises pensées.
Sur le sein maternel, enfant joyeux et fort,
A la vie Hermia souriait dès l’abord ;
Les oiseaux lui parlaient, les plantes inclinées
La touchaient doucement comme des sœurs aînées,
Et, prompt comme ses yeux à s’ouvrir au soleil,
Son cœur semblait comprendre et bénir ce réveil.

Or, les jours de présents sont prodigues pour elle ;
Chacun vient apporter une grâce nouvelle,
Et tourne avec amour autour de son berceau,
Offrant pour la parer ce qu’il a de plus beau :
L’un verse à ses cheveux tout l’or des moissons blondes
Et donne à son regard l’azur profond des ondes ;
L’autre pour la pensée et les rêves naissants
Dessine de son front les contours grandissants,

Des vertus en son cœur sème avec soin les germes ;
L’autre sur le gazon soutient ses pieds plus fermes ;
Elle courut bientôt comme un jeune chevreuil.
La nature, inquiète et la suivant de l’œil,
Lui cachant les douleurs d’où plus tard naît le doute,
Rien qu’en leçons d’amour abondait sur sa route ;
Et l’enfant, par chaque être au bonheur invité,
Respirait de partout la vie et la beauté.

Mais, comme les sapins qui vivent Sur les cimes
Nourris de la rosée et des neiges sublimes,
Et ces herbes sans nom, et ces fleurs du haut lieu,
Et ces jardins jamais arrosés que par Dieu,
Son cœur, ayant racine au sein de la nature,
Refusait des mortels la savante culture,
Et le langage humain à sa bouche inconnu
Jusqu’à son âme encor n’était pas parvenu.
Elle comprenait bien tout ce que peuvent dire
L’accent qui vient du cœur, les soupirs, le sourire ;
Ses lèvres des oiseaux recevant les leçons,
Répétaient des accords appris de leurs chansons ;
Sa voix se répandait en des murmures vagues
Comme les bruits touffus des feuilles et des vagues ;
Il semblait que ces sons, de nous tous incompris,
Autour d’elle évoquaient d’invisibles esprits.
Les hommes exceptés, sans avoir eu de maître,
Elle savait parler dans sa langue à chaque être.
Et sa mère pleurait de n’avoir pas encor
D’un seul mot prononcé recueilli le trésor :
Car des lèvres d’un fils la syllabe première
Coule comme le miel dans le cœur d’une mère.
Or, celle d’Hermia bien des jours attendit
La douceur de son nom par son enfant redit.
Déjà grande et pensive, aux travaux de famille

Les parents avaient su plier la jeune fille,
Avant qu’à son murmure un mot se fût mêlé ;
Elle chanta longtemps avant d’avoir parlé.

Trompant de tous les siens la tendre vigilance,
Comme un jeune chevreau loin du troupeau s’élance,
Vers les taillis lointains, dès qu’elle put courir,
Du chaume paternel elle cherchait à fuir.
Nul n’aurait deviné sur ce tendre visage
L’amitié du désert si fière et si sauvage ;
En vain d’autres amours dans son âme ont lutté,
Le charme des forêts Ta toujours emporté.

Lorsqu’après tout un jour passé dans les bois, seule,
Le retour lui montrait et la mère et l’aïeule
Encor pâles d’effroi pour l’enfant hasardeux,
Au lieu de la gronder pleurant toutes les deux,
Elle pleurait aussi, puis toute la soirée
Rendait de ses baisers la famille enivrée,
Mais, comme une eau mobile échappe de la main,
Au bois dès son lever fuyait le lendemain.
Là, sans s’inquiéter des soins qui nous poursuivent,
Robuste, elle vivait comme les oiseaux vivent ;
Ainsi qu’eux vagabonde, et trouvant sous ses pas
Mille fruits abondants tout prêts pour ses repas,
La fraise, et la framboise, et la faîne, et l’airelle,
La mûre, et l’aveline, encor plus doux pour elle
Que les fruits les plus beaux mûris dans nos vergers ;
Et parfois la noix fraîche et le pain des bergers ;
Et le miel s’écoulant des chênes par les fentes,
Et des troupeaux hardis qui broutent sur les pentes
Le lait tiède et chargé de ce parfum vital
Que donne la montagne à chaque végétal.
La chèvre aux bonds joyeux et l’es lentes génisses,

Et les blanches brebis s’offraient pour ses nourrices ;
Les chiens fauves léchaient ses mains, et les taureaux
Flairaient ses cheveux blonds de leurs sombres naseaux.
Les libres habitants des nids et des tanières
Autour d’elle marchaient en troupes familières ;
Son seul regard calmait les faibles effrayés,
Et les instincts cruels s’endormaient à ses pieds.
Elle semblait ainsi, mêlée à la nature,
Commander par l’amour à toute créature.
Tels, unis à Dieu même et du mal ignorants,
La terre aux anciens jours vit nos premiers parents.

Caché dans le feuillage et muet de surprise,
Plus d’un pâtre aperçut la jeune fille, assise
Au milieu de sa cour étrange et du concert
Que forme à ses genoux le peuple du désert.
Sur la pente où des bois un pré suit les lisières
Les arbres sont épars dans les grandes fougères ;
Un chêne aux pieds noueux de mousse tapissés
Offre à l’enfant son dais et son trône dressés
Sur les rebords touffus d’une nappe d’eau sombre
Que la forêt protège et nourrit de son ombre.
Là, dans les hauts gazons fleuris et fourmillants,
Se croisent par milliers les insectes brillants.
Près des lits argentés rougit la digitale ;
Le large nénuphar sur les cressons s’étale.
Pendus en noire grappe aux bras d’un frêne clair,
Des essaims bourdonnants s’éparpillent dans l’air ;
Sur chaque arbre, pinsons, mésanges et linottes,
Bouvreuils à plein gosier font gazouiller leurs notes.
Les chamois défiants, hôtes des grands rochers,
Pour Hermia venus à ses pieds sont couchés ;
L’aigle, planant là-haut, a jeté sur sa robe
Une fleur des sommets que lui seul y dérobe ;

Sur l’herbe, à ses côtés, le daim et le chevreuil
Dorment las de bondir ; le joyeux écureuil
Autour de son cou glisse, et court sur ses épaules ;
Les oiseaux envolés des buissons et des saules
Vont jusque dans sa main becqueter par instants
De sorbe et d’alizier quelques grains éclatants.
La vie ainsi près d’elle abonde, et la nature
Lui sourit par les yeux de chaque créature :
Car l’invisible mère, en son sein triomphant,
Berçait avec orgueil son plus divin enfant.

Cet exil dans les bois, ces ébats sur les cimes,
Dans les prés suspendus au bord des verts abîmes,
Avec les jeunes faons les luttes et les jeux,
Des mutuels instincts cet accord merveilleux,
Le babil des oiseaux et ses propres réponses,
Les nids faits, sous ses yeux, dans les blés ou les ronces,
Les sources et les fleurs devinant ses désirs,
C’étaient là d’Hermia l’enfance et ses plaisirs.

Pour les bois, de ses sœurs elle fuyait les rondes,
Et ces groupes joyeux de jeunes têtes blondes
Qui se roulent dans l’herbe, au pied des grands noyers,
Et de leurs cris, le soir, égayent les foyers ;
Préférant pour amis, dans son humeur sauvage ;
Les hôtes du désert aux enfants du village.
De l’arracher une heure à sa chère forêt
Les baisers de sa mère eurent seuls le secret.

Pour être ainsi rebelle aux amitiés humaines,
Et régner dans les bois comme en ses vrais domaines,
Dans le sein d’une femme avant d’être enfermé,
De quels esprits divins le sien fut-il formé ?
S’était-il exhalé du souffle des fontaines ?
Avait-il voyagé dans les eaux souterraines,

Dans les grottes en prisme amassé les cristaux,
Condensé les vapeurs des liquides métaux ?
Sous l’écorce, avait-il circulé dans la sève
Que la lune à son gré fait descendre ou soulève,
Et connu le bonheur des bourgeons entr’ouverts,
Et réveil du printemps, et, dans les noirs hivers,
Ces rêves dont la terre, en ses veines plus lentes,
Dans un tiède sommeil berce l’âme des plantes ?
Fleur offrant son calice à la soif de l’été,
Sous un rayon avide avait-il palpité ?
En poussière enlevée à For des étamines,
Les Zéphirs l’avaient-ils semé sur les collines,
Avec ces frais baisers que les lis amoureux,
Sous leur voile d’argent, se prodiguent entre eux ?

Avant ces blonds cheveux, ces bras roses et frêles,
Aviez-vous, Hermia, des plumes et des ailes ?
Aviez-vous fait des nids, et sifflé des chansons,
Et joué, sous la feuille, avec les gais pinsons ?
Vous habitiez, sans doute, en ces forêts plus chaudes,
Où le soleil revêt les oiseaux d’émeraudes,
Où les arbres géants sont constamment fleuris
De papillons nacrés et de verts colibris,
Et sur leurs troncs vêtus d’un réseau de lianes,
Ont, la nuit, des colliers d’insectes diaphanes ?
Peut-être qu’en mourant, sur un lac argenté,
Vous étiez un beau cygne, et vous avez chanté ?
Ou plutôt, tour à tour source, oiseau, chêne et rose,
Vous avez recueilli l’esprit de toute chose,
Et des êtres divers traversés jusqu’à nous,
Gardé ce qu’en chacun Dieu sema de plus doux.
Comme au seuil d’un tombeau, triste au moment de naître,
Devant l’humanité vous hésitiez peut-être

Dis-nous, âme du lis et du cygne chanteur,
L’homme sombre et pensif sans doute fa fait peur ;
Et, pour rester encor calme, ignorante et pure,
Tu voudrais prolonger ta première nature
Au sein de l’univers, heureux d’être toujours
Exempt de la pensée et débordant d’amour !
Tu pleures des oiseaux les plumes vagabondes
Et la robe d’azur dont s’habillent les ondes ;
Des bourgeons au soleil l’épanouissement,
Et de l’être en ton cœur ce vague sentiment
Dont s’abreuve, ignorant toute crainte insensée,
La paisible nature aux bras de Dieu bercée !

Pour toi la terre parle, et tu comprends chacun
De ses signes profonds, bruit, couleur ou parfum.
Tu sais lire, au milieu des spectacles champêtres,
Ce langage sacré dont les mots sont les êtres,
Ce merveilleux symbole à notre âge voilé ;
Et c’est l’amour tout seul qui le l’a révélé !

Aussi, pour vous chérir oiseaux et fleurs s’unissent ;
A votre voix les eaux et les vents obéissent :
Car, avec la pensée, hôte encore inconnu,
Dans votre corps nouveau Dieu lui-même est venu ;
Et pourtant, Hermia, dans l’âme d’une femme
Des cygnes et des lis vous avez gardé l’âme !

Les oiseaux ses amis et les forêts ses sœurs
Ont tous de sa puissance éprouvé les douceurs.
Près des grands feux assis, les pasteurs dans leurs veilles,
En secouant le front, parlent de ses merveilles.

Sur la bruyère, un soir, dans les genévriers,
Pensive, elle écoutait les airs des chevriers ;

Enivrés de bourgeons et de sève nouvelle,
Les folâtres chevreaux bondissaient autour d’elle,
Se cherchaient, se fuyaient, l’un par l’autre assaillis,
De grâce et de fierté luttaient dans les taillis ;
Quand d’un bouquet de chêne heurté dans cette lutte
Tombe un nid qu’une branche entraîne dans sa chute,
Et la mère accourant l’abritait de son corps,
Avec des cris plaintifs couvait ses petits morts,
Volait et revenait d’eux à la jeune fille.
Hermia s’inclina vers la triste famille ;
Elle resta longtemps comme pour lui parler ;
Les pleurs entre ses cils commençaient à couler,
Et la nuit vint mêler sur ce tombeau de mousses
Des perles de rosée à ces larmes si douces.
Comme un céleste grain par la brise semé,
Dès l’aube, sur le sol ces pleurs avaient germé ;
Sur d’abondants rameaux des fleurs étaient venues,
Des fleurs à nos climats jusqu’alors inconnues ;
Et quand pour les cueillir parut l’enfant béni,
Chaque tige chantait joyeuse de son nid ;
Un doux frisson courait entre les branches frêles ;
Mille oiseaux effleurant Hermia de leurs ailes,
Dans l’air tout plein d’odeurs et de bruits merveilleux,
Comme en un frais baiser agitaient ses cheveux.

Elle semblait porter le printemps avec elle.
Du sol qu’elle a touché la vie à flots ruisselle ;
Une source, un arbuste, ou le gazon plus vert,
Marquent de son repos la place en ce désert.
Cherchez dans le granit, sur ces cimes lointaines,
Ces touffes de bouleaux d’où coulent des fontaines ;
Les pâtres vous diront qu’en ces lieux Hermia
Tout un beau jour d’automne à rêver s’oublia.
Elle a marché là-bas, où les herbes plus grandes

Ont chassé la bruyère et les genêts des landes ;
Plus d’un troupeau nombreux paît aujourd’hui parmi
Les stériles rochers où la fée a dormi.
Espoir de la vendange, à nos pieds, ces collines
Jadis se hérissaient de cailloux et d’épines ;
Mais on a vu l’enfant, sorti du bois voisin,
Sur elles en passant égrener un raisin.
Les bergers sérieux savent toutes ces choses.
Son jardin tout l’hiver était peuplé de roses,
Et les rameaux grimpants qui couvrent sa maison
Avaient feuilles et fleurs durant chaque saison.
Après ces jours brûlants où, d’amour épuisées,
Les fleurs touchent du front les herbes embrasées,
Lorsque l’autan mortel à tout bourgeon nouveau
À des prés jaunissants tari la sève et l’eau,
Que pour fuir le soleil, dans la soif qui l’altère,
L’âme des végétaux rentre au fond de la terre,
Hermia descendait, triste, et les yeux en pleurs ;
Elle allait visiter toutes ces chères fleurs,
Leur parlait en marchant, et des plus rapprochées
Relevait de ses mains les tiges desséchées,
Appelait par leur nom les autres, et dans l’air
Répandait de son chant le flot sonore et clair ;
Et comme une rosée au fond de leurs calices
Ces plantes recueillaient sa voix avec délices.
Elle faisait ainsi le tour de son jardin,
Des prés et des vergers paternels, et soudain,
Comme par une pluie ou par l’aube lavées,
Toutes les fleurs dressaient leur tête ravivées !

Puisant partout la vie et donnant à son tour,
Dans chaque être Hermia s’épanche avec amour.
Ce doux échange a fait la terre plus féconde.
Tel un bel arbrisseau, buvant la brise et l’onde,

Nous rend en fruits, en ombre, en murmure, en parfum,
Tous les sucs nourriciers pris au trésor commun.

Des pâtres du désert l’existence hardie,
L’air généreux des monts par qui l’âme est grandie,
De la vierge rêveuse écartant la langueur
Ont doué son beau corps d’une saine vigueur ;
À la voir des torrents fendre l’onde avec grâce,
Du cerf à pas égaux suivre en jouant la trace,
Et courber l’herbe à peine, et glisser sur le sol,.
On dirait qu’un esprit l’emporte dans son vol,
Comme un flocon de plume errant sur une grève,
Ou le duvet des fleurs que notre souffle enlève :
Car, frêle d’apparence et svelte comme un lis,
L’enfant aux regards fiers de pudeur embellis,
A dans ses traits, malgré sa force et sa souplesse,
Le charme insinuant qui pare la faiblesse.

Dieu la fit pour les bois et pour la liberté ;
Nos arts et nos plaisirs, elle a tout rejeté ;
Jamais ses pas légers, qui semblent une danse,
Sur un rhythme prescrit n’ont réglé leur cadence,
Et la corde sonore, inconnue à ses doigts,
Jamais d’un seul accord n’accompagna sa voix.
Les divines chansons à sa lèvre échappées
Ruisselaient comme l’eau des neiges escarpées,
Son cœur pour les verser les engendrait en lui,
Sa voix n’eut pas d’échos pour les chansons d’autrui,
Comme, après elle aussi, jamais ni voix, ni lyre,
Des airs qu’elle trouvait n’ont rien pu nous redire.

Elle grandit ainsi, se mêlant aux oiseaux,
S’assimilant l’esprit des plantes et des eaux,
Inattentive à l’homme, ayant une famille
Partout où la nature et végète et fourmille.

Vie étrange empruntée à tous les éléments,
Prise aux forêts, aux flots, aux nids les plus aimants,..
Mais comme un clair rayon dans l’épaisse feuillée,
La pensée en son sein déjà s’est éveillée.


II

A cet âge où la vierge, avec des yeux baissés,
Éveille innocemment les amoureux pensers,
Où l’enfant avec qui Ton jouait tout à l’heure
Vous met le trouble au cœur, si sa main vous effleure ;
Où déjà du pêcher les rameaux rougissants
Font rêver aux doux fruits de ses boutons naissants ;
Où la jeune pudeur sème, aux moindres caresses,
Sa neige purpurine, abondante en promesses ;
Quand vint pour Hermia cette fraîche saison,
Chaque jour, sur ses pas, au seuil de la maison,
Aux champs, à la fontaine, elle vit, sans comprendre,
Les jeunes gens rivaux s’empresser d’un air tendre,
Implorer d’elle un mot, un sourire, un regard,
Fleurs que l’enfant distraite effeuillait au hasard.

L’arrachant pour une heure à sa chère retraite,
Si sa mère au hameau l’entraîne, un jour de fête,
Les jeux sont oubliés ; ni danses, ni chansons
Ne peuvent captiver la foule des garçons.
Autour d’elle un essaim de paroles flatteuses
Bourdonne, et des pasteurs les troupes curieuses
Se croisent à l’envi. Tels de gourmands oiseaux
Par bandes voltigeant, merles et passereaux,

Inquiets d’un passant qui siffle au bord des haies,
L’hiver, d’un sorbier mûr guettent les rouges baies.

Mais auprès d’Hermia, soupirs, soins assidus,
Et fleurs et gais propos, hélas ! étaient perdus ;
Un sourire naïf, une parole errante,
Animaient par instants sa lèvre indifférente ;
Sa pensée était loin, et son cœur s’envolait
Pour suivre au fond des bois un dieu qui l’appelait.
Et tous croyaient, cherchant à deviner cette âme,
Qu’elle restait enfant sous les traits d’une femme.
Elle s’offrait à nous comme une jeune sœur
De son affection partageant la douceur :
Car, dans un cœur épris de l’auguste nature,
L’amitié gardé encor sa place large et pure ;
Outre les fleurs et l’onde et les oiseaux soumis,
Même chez les humains, la vierge eut des amis.

Mais son amant unique, éternel, invincible,
— Moi je l’ai su — c’était ce chanteur invisible,
Cet hôte lumineux qui remplit les déserts,
Verse du haut des pins, sous l’ombre, ses concerts,
Avec l’odeur des prés, des étangs, des résines,
Flotte sur les coteaux et franchit les ravines.
Esprit au souffle agile, aux vivantes senteurs,
En lui s’épanouit l’âme sur les hauteurs ;
L’aigle aime à s’y bercer, et l’avide génisse
L’aspire en mugissant au bord du précipice ;
C’est lui qui, sur le sable aux ardents tourbillons,
D’un étrange vertige enivre les lions ;
A travers tout c’est lui que nos désirs poursuivent,
L’immortel aliment dont toutes choses vivent !

Entre ceux dont l’amour pour elle inaperçu
Par sa chaste ignorance était ainsi déçu,

Un, plus silencieux, épris des solitudes,
Faisant aussi des bois ses chères habitudes,
Fut choisi d’amitié, mais sans espoir plus doux.
Inégaux en pouvoirs, ils avaient mêmes goûts,
La sainte affection des sources et des plantes,
Et le don de trouver toutes choses parlantes.
Ces mutuels besoins les avaient réunis.
Lui, semblait familier aux habitants des nids ;
En le voyant chéri du ramier et du cygne,
D’intime confiance Hermia le crut digne :
Car les oiseaux du ciel ont des regards perçants
Pour choisir leurs amis chez les cœurs innocents.
Souvent guidé vers elle au fond de ses retraites,
Il surprit dans les bois ses paroles secrètes ;
Vers les ruisseaux charmés dont il suivait le cours,
Il entendit couler ses mystiques discours,
Et des fleurs et des eaux, à sa voix enchaînées,
De musique et d’encens les réponses ornées.

Oh ! vous la compreniez, êtres puissants et doux,
Plongés au sein de Dieu bien plus avant que nous :
Car vous avez l’amour, ô forêts pacifiques,
Votre sève est docile à des lois harmoniques,
Et le souffle d’en haut, qui vient la diriger,
Ne lutte pas en vous contre un souffle étranger ;
Vous ignorez la haine ; une ambition folle
Comme nous du grand tout jamais ne vous isole.
Nous seuls errons sans guide, et cherchons sous le ciel
Par où reprendre vie au tronc universel ;
Mais vous, arbres et fleurs, vous nature où tout aime,
Attachés à ses flancs vous vivez de lui-même !

Les grands arbres ainsi, les herbes des forêts
Étaient ses confidents et ses maîtres secrets ;

Mais chez l’homme, où la foule eût insulté ses rêves,
Ses paroles, toujours, étaient rares et brèves ;
Pourtant sur l’âme ou Dieu des mots inattendus
Ont laissé bien souvent les sages confondus.

Par une voix magique au désert appelée,
Quand la vierge, aux lueurs de la nuit étoilée,
S’en allait respirant l’extase au fond des bois,
Entre elle et sa pensée elle souffrait, parfois,
Le disciple amoureux dont l’âme ardente et pure
Sut l’adorer comme elle adorait la nature.

Sous les chênes sacrés, sans suivre de chemin,
Ensemble nous marchions nous tenant par la main,
Tous les deux le front ceint des fleurs qu’elle a tressées
Et le cœur enchaîné dans les mêmes pensées.
Par les grandes forêts et les prés, jusqu’au jour,
Nous montions sans fatigue, oublieux du retour,
Pas à pas dans la nuit azurée et limpide,
Échangeant d’un regard l’étincelle rapide ;
Sans parole tous deux, mais plus étroitement
Sa main serrait la mienne et tremblait par moment.
Et moi, dans ce silence aux douceurs infinies,
J’entendais à grands flots jaillir les harmonies.
Son cœur, ouvert dans l’ombre, exhalait des accents
Qui coulaient dans le mien sans passer par mes sens ;
La brise entre les pins, l’onde au fond des abîmes,
Accompagnaient ce chant de leurs notes sublimes.
D’un vent mélodieux j’étais enveloppé ;
Comme un lis de rosée et de soleil trempé,
Je sentais goutte à goutte une clarté divine
Descendre avec le son et remplir ma poitrine.
De radieux tableaux, subitement tracés,
Couvraient dans mon esprit les doutes effacés,

Et je ne songeais plus à scruter toutes choses,
A demander au monde et ses fins et ses causes.
La terre m’entr’ouvrait ses flancs mystérieux ;
Dans leurs replis secrets je voyais de mes yeux,
Et lisais un instant, à cette sainte flamme,
Les lois de la nature et l’énigme de l’âme.

Qui te rendra, mon cœur, ces chastes voluptés,
Ces saints ravissements dans le désert goûtés,
Quand je tenais sa main, étreinte fraternelle,
La plus tendre faveur que l’homme reçut d’elle,
Réservée à sa mère, et dont, heureux amant,
Moi seul, aux plus beaux jours, j’obtins le don charmant ?

O forêt ! ô bruyère ! ô gazon des vallées !
O fleurs qu’à ses côtés j’ai doucement foulées !
J’appris tout d’Hermia ! Si je sais aujourd’hui
Ce que Dieu mit en vous pour nous parler de lui,
Si je connais les biens que le désert recèle,
C’est que j’ai vu s’ouvrir tous ses trésors pour elle,
Et de parfums, d’accords, de clartés revêtus,
Les terrestres esprits exhaler leurs vertus !

Comme en un frais vallon, sous la forêt ravie,
Le soleil qui descend éveille toute vie ;
Bruits d’ailes et de voix, bourdonnements confus,
Chantent avec le vent dans les rameaux touffus ;
Des feuilles, des gazons, des mousses remuées,
Insectes et vapeurs s’envolent par nuées ;
A travers la verdure et dans un clair-obscur,
Comme des gouttes d’or, et d’argent, et d’azur,
Jaillissent violier, liseron et pervenche ;
La rosée en anneaux s’empourpre à chaque branche,
Et des troncs, réchauffes par ce regard du ciel,
Court sur la noire écorce un blond sillon de miel.


Ainsi, lorsqu’à travers les plantes sans culture,
Rayon d’une clarté plus intime et plus pure,
Hermia paraissait, sous ses yeux pénétrants
Les esprits des forêts jaillissaient à torrents,
Et tout ce qu’à nos sens, sous le soleil visible,
Cybèle en ses replis garde d’inaccessible,
Ces bruits intérieurs plus féconds et plus doux
Que l’âme seule entend, se révélaient à nous.
Alors c’était parmi les choses réjouies
Un réveil des splendeurs sous la forme enfouies,
Des âmes le concert entendu sous les corps,
Une apparition de leurs secrets ressorts,
Et Dieu manifesté nous laissant apparaître
Quelle est dans le grand tout la raison de chaque être.
Dans la nature ainsi je prenais des leçons ;
Sur les pas d’Hermia parcourant les saisons,
J’épelais sous son doigt les divins caractères
Dont la vie a formé les mots de ses mystères,
Et, lisant le symbole en tout ce monde écrit,
J’apprenais à percer les voiles de l’esprit.
Tous deux interrogeant les eaux vives ou lentes,
Nous discernions leurs voix différemment parlantes,
Les échos variés mourant dans les ravins,
Le bruit distinct du chêne et celui des sapins,
Et les vents dont chacun des branches qu’il traverse
Fait sortir, selon l’arbre, une note diverse.
Des nuages sculptés en mobiles tableaux,
Nous voyions au couchant s’enflammer les signaux ;
Sur chaque lettre sombre ou de pourpre vêtue
Nous cherchions de quel ton le soleil l’accentue,
Et la nuit, dans l’azur où Dieu les a tracés,
Lisions ces chiffres d’or qui roulent enlacés.
Elle savait dans l’air les routes parcourues

Par les migrations des cygnes et des grues,
De chaque oiseau les mœurs, le langage, et comment
L’art de bâtir les nids leur échoit en s’aimant,
Et quel est de chacun la sœur entre les plantes :
Car, les rapports secrets des natures vivantes,
Par quel lien sacré, mystérieux, profond..
Chaque degré de l’être aux autres correspond,
Elle avait tout senti ; nos désirs, nos pensées
Dans les fleurs, dans les nids, intimement versées,
Sous la feuille ou la plume, à travers tous les corps,
Elle en suivait le germe ; et savait quels accords,
Dans l’évolution par Dieu même guidée,
Unissent la couleur et la forme à l’idée.

Vous plantes, vous, surtout, dont le soleil revêt
Cybèle aux larges flancs comme d’un frais duvet,
Fleurs qui brodez les plis de sa verte ceinture,
Arbres, des monts courbés mobile chevelure,
Hermia vous aimait ; la paix et la douceur,
Et la sérénité, la firent votre sœur.
Elle connut les noms dont Dieu vous a nommées,
Et de quels sucs choisis vos sèves sont formées,
Vos rêves printaniers, vos plaisirs, et les lois
De vos amours lointains déterminant le choix,
Et votre langue habile aux tendres mélodies,
Et toutes vos vertus longtemps approfondies.
Elle comprit pourquoi, montant ou s’abaissant,
Et par des nœuds secrets attachés au croissant,
Dans vos soyeux tissus les arômes qui glissent
A la reine des nuits de si loin obéissent.
A vous initié, j’appris d’elle à savoir
Des simples sur nos corps le magique pouvoir,
A quelle heure, en quel lieu, toute plante sacrée
Doit être recueillie, et comment préparée,

Et quel mot prononcé sur vos philtres puissants
Verse un charme infaillible aux membres languissants.
Elle enseignait aussi que, pour les maux de l’âme,
Toutes les fleurs des bois renferment un dictame ;
Et quels sont leurs conseils, et quels signes certains
Dans les fleurs à l’amour prédisent ses destins ;
Quelle ombre rafraîchit l’espoir et le relève ;
Quelle orne le sommeil des prestiges du rêve ;
Et comment des forêts les émanations
Dans les cœurs orageux calment les passions.
La vierge m’instruisait dans son silence même.
Quand la création me posait un problème,
Souvent le mot auguste, à tout esprit voilé,
A l’aspect d’Hermia s’est pour moi révélé :
Car ta vie, ô nature ! a les lois de la nôtre,
Et l’homme et l’univers s’expliquent l’un par l’autre.

Des globes confiants qui montent dans les cieux
Elle avait les clartés et l’amour dans ses yeux,
Et des grands horizons la paix insinuante
S’épanchait de sa face et de sa voix calmante ;
Et pourtant Hermia, cet être pur et doux,
A connu la douleur et pleuré comme nous !

Parfois, près d’elle assis sous un tranquille ombrage,
Et respirant le calme empreint sur son visage,
J’ai, dans nos plus beaux jours, vu ses yeux adorés
De sinistres vapeurs se charger par degrés.
Telle agitant les flots la flamme sous-marine,
Un orage étouffé soulevait sa poitrine ;
Les soupirs, les sanglots, les mots tumultueux,
Sortaient sourds et pressés, et les pleurs, après eux,
De ses yeux obscurcis qu’en vain ma lèvre essuie,
En allégeant son cœur, tombaient comme une pluie ;

Et moi, non sans terreur, apaisant ses esprits,
Je cherchais le secret de ce trouble incompris, ;
La nature, bientôt m’expliquent cet orage,
M’en montrait dans son sein et la cause et l’image.

Un nuage amassant la foudre et les éclairs
Déploie avec lenteur ses flancs noirs dans les airs ;
Les forêts devant lui, de leur frisson sonore,
Tremblent comme Hermia sans qu’un vent souffle encore ;
Il éclate, et soudain à torrent sur les bois
L’eau, la grêle et le feu descendent à la fois ;
Le tonnerre grondant sur les hauteurs prochaines
Fait voler en éclats le granit et les chênes.
Adieu feuilles et fruits, et vignes et moissons,
Dans les sillons fangeux broyés par les glaçons ;
Sur les monts décharnés, de pierres et de branches
Les eaux avec fracas roulent des avalanches.
O nature ! Hermia ! ce repos que j’aimais
A-t-il de votre sein disparu pour jamais ?

Non, déjà le soleil revient panser vos plaies,
Les oiseaux reparus chantent au bord des haies ;
D’un feuillage plus vert et de plus frais pensers
Je vois se parer l’âme et les rameaux blessés ;
Les fleurs ont relevé leur front dans les prairies ;
L’esprit s’est émaillé de tendres rêveries,
L’œil, lavé par les pleurs, dans son ardent azur
A des cieux plus sereins offre un miroir plus pur,
Et l’hymne au double chœur qu’à Dieu la terre envoie,
Un instant suspendu, monte avec plus de joie ;
Mais chaque être a souffert, et cet instant fatal,
Nature, en toi suffit pour attester le mail

L’orage ainsi descend sur les plus saintes choses ;
La douleur germe au sein des vierges et des roses ;
Et quoiqu’un

divin souffle y coule à tous moments,
La terre ainsi que l’âme a ses déchirements !

O mal, d’où venez-vous ? qui sait ce que vous êtes ?
Dans quelles régions se forment les tempêtes ?
Quand l’orage s’abat sur nos fronts foudroyés,
Est-ce vous, ô mon Dieu ! vous qui nous l’envoyez ?
Mais vous êtes l’amour, mais vous êtes la vie,
Et la perfection d’elle-même assouvie ;
Être, pour vous, ô Dieu ! c’est créer, c’est bénir ;
Non, ce n’est point d’en haut que le mal peut venir !

C’est de ton propre sein que sortent les nuages
Et les noirs éléments du trouble et des orages,
O terre ! en toi dormaient tous ces éclairs brûlants
Que t’arrache le ciel pour en frapper tes flancs !
Ainsi crainte, remords, doute, orages suprêmes,
Votre invisible cause habite dans nous-mêmes.
Des assauts répétés que subit notre cœur
En vain nous accusons le monde extérieur ;
L’homme en lui, comme toi, porte, ô triste nature !
Le germe renaissant du mal qui le torture.

Et cependant, ô père, ô créateur d’heureux !
De toi, pour y rentrer, nous sortons tous les deux !
Dans l’œuvre où tu te plais, et qui vit de ton être,
Si rien n’est que par toi, d’où vient le mal, ô maître ?
Comment au fond du bien le mal s’est-il produit ?
De ce problème en vain j’interrogeai la nuit ;
Ni les bois, ni les mers, ni ma vierge divine,
Ne m’ont rien révélé de la triste origine.

Dieu garde ce secret ; mais, ô sainte Hermia !
Nature que mon cœur de parler supplia !

Ce que vous m’avez dit dans vos deuils, dans vos fêtes,
Ce que vous m’avez dit même au fort des tempêtes,
Ce que l’onde, et la feuille, et les oiseaux des bois,
Et son cœur, me chantaient avec toutes leurs voix,
Ce que je veux redire en paroles sans nombre,
C’est qu’au sein du grand tout le mal n’est rien qu’une ombre,
Qu’il sera par l’amour à jamais effacé.
Oui, le mal finira, car il a commencé ;
Oui, l’être est bon, oui, tout doit bénir l’existence ;
Le bien seul est réel, le bien seul est substance ;
Et, sans cesse agrandi, chaque être doit, un jour,
De l’amour émané, retourner dans l’amour !

Sous l’œil de Dieu, perdus au fond des solitudes,
Et des plantes faisant nos charmantes études,
Par l’attrait du désert sur les sommets conduits,
Tout l’été nous passions les jours, souvent les nuits.
Mais sitôt que le froid dépouillait les collines,
Et refoulait la sève au profond des racines,
De son chaume Hermia ne passait plus le seuil,
Objet d’étonnement pour nous tous, et de deuil,
Se cachant même aux siens, et comme enveloppée
Dans le sommeil pesant dont l’hiver l’a frappée.
Une blancheur de neige avait glacé son teint ;
Comme l’azur des flots que la gelée éteint,
Ses grands yeux sans rayons, et d’où l’âme s’absente,
Perdaient leur profondeur lumineuse et vivante.
Son souffle et sa parole, enchaînés et taris,
N’embaument plus sa lèvre où meurt son fin souris ;
La mauve, ouvrant sa feuille avec mélancolie,
Remplace le corail de sa bouche pâlie ;
Et, tel que le soleil enfui sur d’autres bords,
Son esprit semble avoir abandonné son corps.

Tant que dure l’hiver on la voit, morne et sombre,
Au foyer qu’elle attriste assise comme une ombre.

Dormiez-vous tout ce temps d’une étrange sommeil ?
Votre esprit suivait-il les courses du soleil ?
Peut-être il descendait dans ces grottes profondes
Où l’hiver enfouit les sèves et les ondes.
Là, du gouffre divin où tous les éléments
Confondus en un seul bouillonnent écumants,
Sous l’effort de l’amour excitant la puissance
Vous avez vu jaillir la divine substance,
Se répandre à grands flots en des moules divers
Cet unique métal dont est fait l’univers,
Et compris par quel art la force intelligente
Varie à l’infini cette unité changeante ;
Comment tour à tour onde, oiseau, granit, ou fleur,
Elle sait combiner la forme et la couleur.

A vos yeux, dans chacun des grands sillons de l’être,
Les graines se triaient pour les moissons à naître.
Vous saviez quel rocher ferait jaillir des flots,
Combien chaque buisson verrait de nids éclos,
Et de toutes les fleurs que le printemps nous donne,
Ce qui nous resterait de fruits mûrs pour l’automne.
Tous ces germes confus, qu’enchaînent les frimas,
En attendant leur jour, sont-ils oisifs là-bas ?
Dans l’ombre préludant au concert qui doit suivre,
Déjà bourdonnent-ils, impatients de vivre ?
Car, dans tous ses degrés, et jusqu’au noir chaos,
L’immortelle nature ignore le repos :
Dans l’espace sans borne où Dieu la fait s’étendre,
Elle détruit sans cesse, et toujours elle engendre
Et partout, dans son sein, ton âme, en s’abîmant,
A trouvé, n’est-ce pas, l’éternel mouvement ?


Tu nous raconteras tes merveilleux voyages
Dans les flancs de la terre et dans ceux des nuages.
Le peuple des esprits, sur la brume bercé,
Dans sa langue, avec toi, n’a-t-il pas conversé ?
Les ombres t’ont guidé sur leurs grèves funèbres ;
Tu sais ce que la mort couve dans ses ténèbres.
Tu connais la cité des rêves, leurs travaux ;
Tu vis, avec les fils de leurs mille écheveaux,
Leurs doigts industrieux tresser les broderies
Dont le sommeil déroule à nos yeux les féeries.
Dans leurs champs nébuleux quelles fleurs cueillent-ils,
Pour en tirer ces sucs et ces philtres subtils
Qui, versés par les airs de leur urne d’ivoire,
Font certains jours chargés de vague et d’humeur noire ?
Créant, à notre insu, dans nos cœurs agités,
L’aversion sans cause ou les affinités,
Quelle main lie et rompt ces invisibles trames
Qui, du premier regard, unissent quelques âmes ?
Car dans tous ces secrets tu lis à découvert
Sur ce pâle rivage où t’emporte l’hiver.

Mais ne montais-tu pas vers la sphère meilleure
Que le soleil de vie enveloppe à toute heure,
Dans un globe encor pur et dont les habitants
Portent au fond du cœur un éternel printemps,
Dans un de ces palais où l’âme se repose,
Quand l’idéal l’attire et la métamorphose,
Quand, reine après la lutte où te mal est dompté,
Elle dépose en Dieu sa libre volonté,
Et que, prêt à s’unir avec sa créature,
Pour l’ineffable hymen Dieu la juge assez pure ?



III

Or, sous un soleil libre, au désert, chaque été,
Mon amour grandissait ainsi que sa beauté.
Excité par les feux de l’ardente jeunesse,
Pour la femme souvent j’oubliais la prêtresse,
Et des secrets divins le grave enseignement
Pour le tendre sourire et les propos d’amant.
Mais elle, près de moi sans désirs et sans crainte,
Me rendait d’une sœur l’amitié calme et sainte,
Et dette sympathie étrange dont les fleurs,
Les oiseaux et moi seul partagions les douceurs.
EDe m’aimait ainsi que menthes et verveines,
Lilas avec son souffle échangeant leurs haleines,
Cerfs et lévriers dans l’herbe à ses pieds accroupis,
Et ramiers à sa main becquetant les épis.
Pour chaque être c’était une affection pure,
Allant des fleurs à moi, sans changer de nature :
Car la jeune sibylle au mystique savoir,
Par qui Dieu même en tout se laisse percevoir,
Dont l’œil voit, à travers la roche et les écorces,
Des éléments sacrés se pondérer les forces,
Dont la main, s’emparant des fluides vitaux,
En fait couler l’effluve au sein des végétaux,
Elle, qui sent germer et prédit toute chose,
Ignore le tourment des désirs qu’elle cause,
Et, pleine de candeur en ses rêves puissants,
N’a jamais soupçonné le trouble de mes sens.

Elle avait avec moi l’abandon de cet âge
Où, semblables tous deux de taille et de visage,

Et de même velus, l’un près de l’autre assis,
Nos longs cheveux laissaient nos sexes indécis.
Des forêts, sur mes pas, elle affrontait les ombres ;
Sur les fleurs en amour, au bord des grottes sombres,
A l’heure où midi vient chargé de voluptés,
D’un paisible sommeil dormait à mes côtés.
Dans ma barque entraînée, elle suivait son rêve
Sans jeter, inquiète, un regard vers la grève ;
Chaste couple, flottant étroitement uni,
Comme deux alcyons seuls dans le même nid.
Et quand de mes soupirs, de mes airs de tristesse,
La plainte répétée alarmait sa tendresse,
Étonnée, et croyant à quelque mal soudain,
Et des larmes aux yeux, et me prenant la main,
Elle m’interrogeait : « Est-ce le corps ou l’âme ?
Pour tous deux le soleil verse un puissant dictame.
Le printemps ne peut rien, ami, sur vos douleurs ?
Dites où vous souffrez. Les arbres sont en fleurs,
L’air embaume, les flots chantent, le ciel rayonne ;
Les hommes sont bien loin, et Dieu nous environne,
Et vous êtes mon frère, et nous sommes tous deux :
Que vous faut-il de plus, ami, pour être heureux ? »
Et moi, plus ivre encore, et par tant d’innocence
Troublé, je l’accusais de froide indifférence,
Et parlais de bonheurs inconnus, et qu’un jour
Je voudrais être enfin aimé d’un autre amour.
Elle : « Entre Dieu, ce monde et tous ceux que l’on aime,
L’amour est divisé ; mais c’est toujours le même.
Comment désirer plus, et pourquoi me blâmer ?
Est-il dans votre cœur deux manières d’aimer ?
J’aime de cet amour dont les plantes nouvelles
Chérissent le soleil, et s’unissent entre elles,
Que les flots caressants ont pour les grands roseaux,
Qu’avec l’ombre et les fleurs échangent les oiseaux,

Dont le souffle éternel, courant d’un pôle à l’autre,
Vient effleurer toute âme, et fait chanter la vôtre.
Ce que Dieu m’a donné de sa vie en m’ai ruant,
Moi je le rends à tous, quoique inégalement ;
Et vous qui vous plaignez, vous n’avez de rivale
Que ma mère : sa part à la vôtre est égale. »

Et, pour un jour encor, j’enchaînais dans mon sein
Des profanes désirs le turbulent essaim.

Un matin, du printemps les effluves errantes
Sur les sens réveillés tombaient plus pénétrantes ;
Des gouttes de cristal, scintillant sur les prés,
Les avides rayons s’étaient désaltérés ;
Un zéphir déjà tiède, entr’ouvrant les calices,
Dès l’aube avait des fleurs savouré les prémices,
Et s’envolait, chargé de fécondes senteurs ;
La terre tressaillait dans ses flancs créateurs ;
La nature exhalait comme un trop plein de vie,
Et d’aimer avec l’air on respirait l’envie.

Elle et moi, nous glissions sur le lac flamboyant
Qu’embrase au loin le feu dardé de l’Orient ;
L’eau, de ses vifs reflets empourprant la nacelle,
Sous la lame éclatante en flots d’or étincelle ;
Ivres des fleurs, de l’air, de toutes ces splendeurs,
Du monde rajeuni partageant les ardeurs,
Vers les pieds sinueux de ces monts où nous sommes,
Nous allions adorer le printemps, loin des hommes.

Notre barque attachée à cet aune encor vert,
Pour gravir les hauts lieux et trouver le désert,
Nous marchons par les prés tout blancs de marguerites.
Dans les gazons touffus mille fleurs plus petites
Tentaient de soulever leur front pâle ou vermeil,
Pour prendre aussi leur part des baisers du soleil.


Dans la vigne, où déjà les feuilles sont écloses,
Où les pêchers hier ont répandu leurs roses,
La violette abonde et la pervenche aux pieds
Des ceps sur la lisière aux ormeaux appuyés ;
Et plus haut, des vergers où finit la culture
La neige des pommiers argenté la ceinture.
Déjà, dans la bruyère et dans les genêts d’or,
Les taillis clair-semés, et nous montons encor.

Bientôt, de cette grotte aujourd’hui consacrée,
Légers et souriant, nous atteignons l’entrée.
Un soleil plus précoce et de plus tièdes eaux
Hâtent dans ce doux lieu les fleurs et les rameaux ;
La paix féconde y règne et mai vient d’y conduire
Tous les êtres pressés d’aimer et de produire ;
Le gazon en fourmille, et tout chargé de nids
Chaque arbre offre au printemps des hymnes infinis ;
Des baisers de l’époux la terre au loin s’enivre.
Levant au ciel son front plein de bonheur de vivre,
Belle à faire descendre un dieu pour l’écouter,
La Vierge alors s’arrête et se prend à chanter :

« Soleil, ô créateur ! la terre te salue ;
L’être coule de toi, l’être vers toi reflue ;
Le monde épanoui sous tes yeux bienfaisants
Vient t’offrir un tribut riche de tes présents.
Avec toutes leurs fleurs les prés joyeux te louent,
L’arbre avec ses rameaux où mille voix se jouent,
L’onde avec la splendeur des torrents irisés,
La nue avec ses flancs de ta pourpre embrasés.
L’esprit de toute chose à tes flammes s’envole.
L’herbe avec ses parfums, l’homme avec sa parole,
Et tous avec la vie, et tous avec l’amour,
Tous t’adorent, ô Dieu qui nous fis ce beau jour.
La forme te sourit, marbre, écorce ou plumage,

Pour toi dans l’univers la forme est un hommage ;
En des tons variés, sur les flots et les fleurs
Chante en te célébrant le concert des couleur »,
De leur plus pur encens les âmes et les roses
Chargent les doux rayons dont elles sont écluses,
Et chaque atome d’air se balance, animé
Du rhythme par ton souffle à son aile imprimé.

» Car c’est ta flamme, ô roi ! qui meut tout, et qui verse
Au sein du froid chaos la vie une et diverse.
C’est toi qui donnas l’âme aux éléments grossiers ;
Tu fais courir la sève en fleuves nourriciers ;
Chacun de tes regards jette à la terre avide
Et lumière et chaleur en un même fluide.
L’arôme intérieur dans tout objet caché,
Ne saurait en jaillir, si tu ne l’as touché ;
Sans toi pas d’œil qui voie et pas de cœur qui sente ;
Tout se renferme en soi quand ton rayon s’absente ;
Et ces esprits féconds qui se cherchaient entre eux
Rentrent dans un repos stérile et ténébreux.
Mais, égal en ta course, autour de tes domaines,
Vigilant et paisible, ô roi ! tu te promènes,
Jetant du haut d’un char à ton peuple indigent,
Sans t’appauvrir jamais, des flots d’or et d’argent ;
Et la terre,’à ta suite, amasse une étincelle
De ces chaudes clartés dont ta face ruisselle.

» Pour toi l’ombre n’a pas d’infranchissable seuil ;
De flots ou de granit tu perces son linceul ;
Tu fais dans la montagne aux entrailles de pierre
Germer les diamants d’un grain de ta lumière ;
Sous le noir Océan une perle qui luit
Nous atteste un rayon déposé dans sa nuit.
Seul tu peux traverser de tes flèches de flammes
La triple obscurité qui recouvre nos âmes.

Dans les détours du cœur, comme en ceux des vallons,
Tu parais, et les blés jaillissent des sillons,
L’eau coule des rochers, les nids se font entendre,
La feuille printanière exhale une odeur tendre,
Et l’homme tout entier est rempli d’un doux feu
Qu’il répand sur chaque être et qui remonte à Dieu !

» Père de la beauté, toi seul nous la révèles ;
Dans ton sein créateur tu portes ses modèles.
C’est par toi qu’au désir l’intelligence naît,
Roi sage et lumineux, par toi qu’elle connaît.
C’est toi qui fais sortir tout être de lui-même,
Et de chacun à tous fais le lien suprême ;
Tout s’ouvre, et tout se mêle, à ta sainte chaleur ;
O père de l’amour ! tu fais vivre le cœur.
Sans toi la nuit, le doute, et les terreurs funèbres,
Et l’immobilité dans le froid des ténèbres,
Et l’esprit infécond dans son isolement :
Par toi l’espoir, la foi, l’épanouissement,
Et le ciel en largesse, et la terre en prière,
Et la communion au sein de la lumière !

» Mais, dis-moi, tous ces dons versés à pleines mains,
La vie à la nature et la vie aux humains,
Ces effluves d’amour en qui flottent les mondes,
Où les v&s-tu puiser, toi qui nous en inondes ?
Quand tes feux sont taris, pour les renouveler
Quelle âme plus divine en toi sens-tu couler ?
Mais il donne sans perdre, et de sa propre essence
Tire éternellement les rayons qu’il nous lance ;
Ce n’est pas un flambeau prêt à s’évaporer ;
Il n’a rien de mortel, et je puis l’adorer !
Non, ce torrent de vie animant tout l’espace,
Ce n’est pas dans l’azur un globe en feu qui passe ;

Sa lumière qui luit et qui crée en tout lieu,
C’est ton regard lui-même et ton verbe, ô mon Dieu !

» Répands, répands, ô toi par qui le printemps règne !
Cet or fluide et tiède où la terre se baigne,
Dont tout être vivant s’imprègne et se nourrit ;
Enveloppe-nous tous, ô radieux esprit !
C’est ton heure, ô soleil ! les plantes et les âmes
S’ouvrent de toutes parts pour absorber tes flammes ;
Toute écorce est gonflée, et toute sève bout ;
Mêlée à tes rayons, la vie entre partout.
O vie ! ô douce vie ! oh ! qu’il est heureux d’être
Quand de ses longs baisers le soleil nous pénètre !
Au sein des prés fumants, sous cet azur serein,
Des choses qu’il est doux d’aspirer le trop plein,
Et ce double courant d’haleine ardente et pure
Qu’avec le Créateur échange la nature !
Souffle amoureux, parfums de la terre exhalés,
Passez en moi, mon cœur s’élance où vous allez !
Chaste fluidité de l’eau qui s’évapore,
Frémissement de l’air et du rameau sonore,
Embrasement des pics par la neige blanchis,
Rayonnement des flots dans mes yeux réfléchis,
Ame avec qui je sens mon âme correspondre,
Nature, viens à moi t’unir et te confondre !
Je te dois, ô désert chaque jour visité,
Ce que j’ai de lumière et de sérénité ;
Par toi de l’infini l’image m’est connue,
Et la divinité dans mon cœur s’insinue.
Mais, ô forêts ! ô brise ! ô fleurs ! à votre tour,
Recevez, recevez mon souffle et mon amour,
De ma bouche reçois les rumeurs embaumées
En verbe intelligent dans mon sein transformées,
O nature ! et, mêlés dans le père commun,

Que chacun vive en tous comme tous en chacun !

» Soleil, sur les hauts lieux j’irai te voir sourire :
C’est là que l’air est pur, et c’est là qu’on respire.
Là, qu’avec mon esprit plus libre et plus léger
L’esprit universel est prompt à s’échanger.
Là, sur toutes les fleurs mon âme se disperse,
Là, de tous ses rayons le soleil la traverse ;
Et comme cette cime exposée à tout vent,
Je sens de toutes parts ton souffle, ô Dieu vivant ! »

Moi, j’ouvrais tout mon être aux langueurs printanières,
Baigné d’ardents parfums et de chaudes lumières,
J’aspirais à longs traits ces regards, cette voix,
Et les brises d’amour qui s’exhalaient des bois.
Elle, cet enfant calme, aux visions profondes,
Ce chaste nénuphar trempé de froides ondes,
Ce lis ferme et sans tache et de rosée empli,
Ce cœur de pur cristal semblait s’être amolli.
Tout tremblait près de nous d’un amoureux vertige,
L’onde entre les cailloux et les fleurs sur leur tige ;
Les oiseaux frémissaient mêlés dans les buissons…
Or, s’animant comme eux à ses propres chansons,
La vierge a respiré des voluptés nouvelles,
Un rayon inconnu jaillit de ses prunelles,
Sa main brûle la mienne, et je crois que son cœur
Comme moi du désir sent l’aiguillon vainqueur.
Le printemps, le soleil, ces bois pleins de délices,
De ma fatale erreur, hélas ! furent complices…
J’aspire en un baiser son âme, et sens frémir
Avec bonheur sa lèvre et doucement gémir…
Mais, ô terreur ! ô prix de mon amour farouche !
C’est un frisson mortel qui passe sur sa bouche !
Sous son front sans couleur se ferme un œil glacé ;

Sur ses reins fléchissant son cou s’est renversé,
Et, vierge, sur les fleurs et la mousse odorante,
Le lit prêt pour l’hymen la reçut expirante !

J’implorai tous les dieux ; des rameaux bienfaisants
Pour elle j’exprimai les sucs les plus puissants ;
Comme l’âme d’un lis, que le zéphyr emporte,
De ce premier baiser mon amante était morte !

Dieux que je sers ici ! dieux des grandes forêts,
Seuls vous avez connu l’horreur de mes regrets,
Et quelle vision, obstinée à me suivre,
Depuis ce jour cruel sut me forcer à vivre,
Son ordre, et de l’oubli votre culte sauvé,
Et votre sacerdoce à mes mains réservé,
Seuls m’ont pu retenir sur la terre attristée
Que par mon crime, hélas ! votre fille a quittée.
Je reste pour garder, sous ces arbres chéris,
Vos rites éternels qu’elle m’avait appris,
Et répandre, en son nom, les vertus salutaires
Dont les fleurs du désert lui livraient les mystères.

Je tressai de feuillage un verdoyant linceul,
Et le soir, de la grotte ayant creusé le seuil,
J’y couchai de mes mains la blanche trépassée,
Gravant sa douce image au fond de ma pensée.
L’invisible nature a repris, dès ce jour,
Et cache dans son sein tout ce que j’ai d’amour.

Sur la tombe, à genoux, durant la nuit entière,
J’y versai devant Dieu mes pleurs et ma prière,
Vers l’aube, un sommeil plein de songes merveilleux,
Sans assoupir mon cœur, descendit sur mes yeux ;
Et quand vint le soleil et l’hymne qui s’élève
Des sources et des nids, faire envoler mon rêve,

Sous l’émail odorant d’un gazon déjà vert
De son lit de repos le sol était couvert,
Et cet arbre divin, l’orgueil de la contrée,
Tout en fleurs de la grotte ornait déjà l’entrée.

Dès lors, hôte assidu de ce temple nouveau,
Je vis loin des humains, veillant sur ce tombeau ;
Des sources, des rochers, des fleurs, j’y fais l’étude ;
Les oiseaux qu’elle aimait peuplent ma solitude ;
Ils me fêlent comme elle, et de son souvenir,
Dans leurs chants, près de moi, viennent s’entretenir ;
Nous avons un langage avec eux et les plantes ;
Ensemble nous faisons des prières ferventes ;
Nous parlons d’Hermia, du soleil et de Dieu.
Jaillissant du rocher, cette source au flot bleu
Où se baigne la lune, où les chevreuils vont boire,
De la divine enfant garde aussi la mémoire,
Et, comme ces rameaux par son âme agiles,
Murmure avec amour les airs qu’elle a chantés,
Mêlant sa voix plus grave aux bruits que je consulte,
L’arbrisseau merveilleux, à qui je rends mon culte,
De feuilles et de fleurs paré dans tous les temps,
Verse à mon front blanchi l’espoir d’un beau printemps.

Ainsi, je vis au fond des forêts fraternelles,
J’attends le jour certain des noces éternelles ;
Le jour où, pardonnant mon précoce larcin,
Hermia doit m’ouvrir l’asile de son sein.
Dans cet antre sacré reste, toi qui m’écoutes,
Recueille les pensers qui pleuvent de ces voûtes,
Et parfois, si tu veux, sur ces lointains rochers,
Visiter les jardins dans les neiges cachés,
Je t’y ferai choisir ces fleurs humbles et pures
Que Dieu sème au désert pour toutes nos blessures.