Hermine Gilquin/X

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E. Fasquelle (p. 47-50).
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X


Elle eut un enfant de ce misérable homme, — un petit garçon qu’elle nomma Jean, du nom du malheureux qui était mort de désespoir pour elle. Elle prit ce nom instinctivement, comme elle avait mis le morceau de papier dans son coffret, où il était toujours.

Pendant ses couches, sa mère la soigna à travers mille difficultés. Les deux femmes ne semblaient plus être chez elles, n’obtenaient rien de ce qu’elles demandaient, rudoyées par le maître, moquées par les servantes. Pendant qu’Hermine était encore au lit, son nouveau-né auprès d’elle, elle fut frappée au visage par ce Jarry, ce passant qu’elle avait accepté et installé chez elle ! De grosses larmes ruisselèrent sur ses joues, tombèrent sur l’innocent blotti contre son sein maternel.

L’enfant, né parmi ces frayeurs et ces peines, mourut. Le ménage devint un enfer, François de plus en plus brutal, Hermine de plus en plus abîmée dans le chagrin et l’inquiétude. Sa gentille beauté, peu à peu, avait disparu. Elle n’était plus que l’ombre chétive de son passé.

Son mari eut alors la lubie de prendre chez lui une fille de sa sœur, l’aînée de neuf enfants, Zélie, âgée de onze ans.

Hermine crut avoir trouvé un être à aimer, et qui l’aimerait. Elle s’attacha la fillette par des gâteries, sut lui plaire par une bonté prévenante que ne connaissait pas cette petite pauvresse. Hermine l’aima comme une gentille sœur retrouvée, ou comme une fille dont elle aurait été séparée et qui serait revenue à la maison. Il lui sembla que c’était un peu de joie qui entrait chez elle.

— Pourvu qu’il ne lui arrive pas quelque malheur, quelque accident ! — songeait-elle en son triste cœur au souvenir de la malechance qui sévissait sur tout ce qui l’approchait.

Ce fut encore elle que la malechance choisit pour victime. Brusquement, la reconnaissante et affectueuse Zélie devint sournoise et méchante. Son caractère fléchit du fait des scènes violentes auxquelles elle assista. De voir ainsi traiter Hermine, elle conçut d’elle une piètre idée, se mit du côté du plus fort. Elle devint l’espionne de son oncle auprès de la malheureuse femme, rapportant à faux les actes et les paroles d’Hermine, la desservant auprès de tous et de toutes. L’enfant aux instincts lâches devina la timidité de sa bienfaitrice, se ligua avec tous ceux qui s’acharnaient contre elle.