Heures de récréation/01/07

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Eugène Ardant et Cie (p. 34-38).

vii. — Pierre apprend à écrire.


Le lendemain Pierre revêtit ses plus beaux habits et suivit son oncle chez le bon curé, où il allait s’installer pour quelques années. Au moment où ils ouvraient la porte du jardin, le curé reconduisait un homme de grande et noble taille ; cet homme détourna la tête, rabattit avec soin un large chapeau de feutre noir, s’enveloppa dans un manteau de drap brun, salua en silence et s’éloigna.

Pierre crut remarquer que le regard de cet étranger s’était arrêté sur lui à la dérobée, au moment où il avait salué ; cette pensée l’empêcha de faire attention au curé, qui causait avec son oncle ; mais à la voix de celui-ci, il oublia l’étranger et s’inclina devant l’homme respectable qui voulait bien se charger de son instruction.

Le bon curé, chez lequel il venait d’arriver, était un homme profondément instruit, modeste comme l’est toujours le vrai mérite, et mettant au-dessus de la science les qualités du cœur : sa belle figure, sillonnée de rides, appelait le respect et l’affection. Pierre sentit dès le premier abord qu’il l’aimerait, et lorsque son oncle prit congé de lui, il l’embrassa et lui dit tout bas :

— Je crois que je serai heureux ici.

La chambre que l’on donna à Pierre ne ressemblait en rien à la cabane de son bateau et à la hutte de son oncle. Elle était grande et commode ; les murs, blanchis à la chaux, étaient unis comme une glace ; les solives du plafond étaient propres et réguliers ; une grande et large fenêtre ouvrait sur un jardin, et les meubles consistaient en un lit doux et bon, six chaises de paille, une belle commode de noyer et une petite table de cerisier. Pierre fit plusieurs fois le tour de cette chambre ; elle lui semblait un véritable palais.

Les premières leçons que notre jeune sauvage reçut lui parurent bien arides et le découragèrent ; il ne pouvait se plier à apprendre la grammaire et à faire des lettres ; il éprouvait cependant le désir de savoir écrire, et ce désir lui donna de la patience, il étudiait bien des heures par jour, il barbouillait bien des feuilles de papier, faisait des bâtons tout tordus, des O plus carrés qu’ils n’étaient ronds, et semait tout cela de grosses taches d’encre : il fut longtemps, bien longtemps avant que de parvenir à écrire toutes ses lettres et à les réunir en mots. Il était cependant rempli de bonne volonté et d’intelligence ; mais il est bien plus difficile d’apprendre à lire et à écrire lorsqu’on est arrivé à un âge raisonnable, que lorsqu’on a six ou sept ans, et voilà pourquoi les parents ont toujours soin de commencer de bonne heure l’éducation de leurs enfants. La mémoire est meilleure, plus souple, plus facile, et l’intelligence, n’étant pas distraite par une foule de choses, se concentre sur un seul point. Ce qu’on apprend étant enfant, on l’apprend beaucoup plus vite, et on ne l’oublie jamais.

Six mois s’écoulèrent avant que Pierre sût écrire en demi-gros d’une manière propre et lisible ; mais quelle fut sa joie lorsqu’il put faire une lettre à son père, puis une à sa mère, puis une autre à Loubette ; il aurait voulu écrire des lettres toute la journée. Pierre apprenait la grammaire et le latin encore plus difficilement que le reste, et cette étude ne l’amusait nullement ; il lui fallait un grand courage pour rester des heures entières les yeux fixés sur des livres qui lui paraissaient contenir de l’hébreux, tant il les trouvait incompréhensible.

Le printemps finissait ; Pierre avait déjà visité plusieurs fois sa bonne mère et son père ; celui-ci lui demandait toujours s’il chassait et pêchait encore.

— Hélas ! répondait Pierre, je n’ai que bien peu de temps pour cela, et son père soupirait et lui disait :

— Tu viendras ici aux vacances et nous chasserons et nous pêcherons encore ensemble.

Cependant plus le temps s’écoulait et plus Pierre s’attachait au bon curé et à l’étude ; il avait reçu une grande quantité de livres. La caisse portait ces mots : la Providence veille sur les enfants studieux. Il lisait beaucoup ; l’histoire l’intéressait plus que toute autre chose ; c’était un monde nouveau ouvert devant lui : il avait été si longtemps persuadé que l’univers se bornait aux côtés de l’Océan. Il lut surtout attentivement les historiens du Poitou, et parvint à se former une juste idée de l’origine de ses compatriotes, de leurs mœurs, et de leur première patrie.

Il finit par trouver tant de charmes au travail, qu’il le plaça sur la même ligne que la pêche et la chasse, ce qui était beaucoup pour lui. Il ne se passait pas de jours qu’il n’allât le soir chez son oncle ; s’il pleuvait, tressait avec Loubette de jolis paniers en osier ; s’il faisait beau, il courait avec elle dans les prairies voisines, s’arrêtait pour cueillir une fleur, pour attraper un papillon ou chercher des nids d’oiseaux ; et lorsqu’il voyait Loubette, heureuse et folâtre, s’amuser du brin d’herbe qu’elle cueillait, de l’insecte qui rasait son front en bourdonnant, il était heureux et il oubliait Cicéron, Horace et les pensums, qui étaient quelquefois son partage lorsqu’il rentrait trop tard.

— Car, disait le curé, tu passes plus de temps à jouer, qu’il ne convient à ton âge ; tu ne peux rester plus de deux ou trois ans encore chez moi, et il faut que ton éducation soit finie alors.

Pierre sentait que son maître avait raison ; il redoublait d’attention, tâchait de ne plus s’oublier dans la hutte de son oncle, ou dans les prairies environnantes.

Le bon curé disait sa messe à cinq heures du matin tous les jours, et il avait coutume de faire une promenade avec son élève, qu’il aimait tendrement ; ils faisaient quelquefois une lieue en s’avançant dans les terres, et Pierre prenait un grand intérêt à tout ce qu’il voyait ; il est vrai que son digne instituteur lui expliquait chemin faisant une foule d’usages qui excitaient sa curiosité et son étonnement.

Il lui racontait les chroniques du pays, et il lui faisait sentir combien on doit attacher de prix à s’instruire, quel que soit l’état que l’on veuille embrasser.

Il le conduisait souvent chez des bons fermiers dont la chaumière hospitalière était constamment ouverte aux pauvres et aux voyageurs.