Hiers bleus
Haut sur la courbe d’un promontoire de rêve,
Dans le bleu profond des reflets marins
Qui jouent au chant doucement triste de la grève,
Sous la caresse de tulles aériens
Où tremble un essaim de pétales mauve,
Le jardin s’assoupit, — frôlé de ciel.
Au loin s’éploie en blondeurs fauves,
Solaire vision de Hell,
Le vol pétrifié des falaises géantes.
A l’horizon, des îles changeantes,
Les îles qu’on n’atteint jamais,
Protègent de pelucheuses nacres fluides
Les perles fines de leurs sommets
Qu’effleurent de coups d’ailes rapides
Les jalousés, les dédaigneux
Oiseaux de mer chatoyants et floconneux.
Tout près la côte noire et grasse au charme hostile
Carre ses cultures d’un vert épais,
Ses prés, ses bois trapus aux rameaux fous coupés
Et les damiers pesants de sa grisâtre ville
Belle d’art contenu, — de pondération !…
D’où montent, — au mépris des plans géométriques
Raides et vertueux jusqu’à l’obsession, —
Dès que le soir bleuit les palazzi de briques,
Des râles furieux de bestialité.
Dans la chaude diaphaneïté,
La lande claire aux ajoncs barbares
Où pleuvent des gouttes de soleil
Enserre les massifs lustrés et les fleurs rares
Qui tressaillent, pâlissant à l’éveil
Des rudes souffles salins du large.
Mais partout, — des calmes parterres odorants,
Des gazons, des sentiers micacés, de leurs marges
De verveine âcrement exquise et d’iris blancs,
Jaillit aux brises en flammes rosées,
En flammes de fraîcheur et de suavité
Qu’attisent les brillants frissonnants des rosées,
La vivace et la charmeuse gracilité
Des enivrantes, des adorables jacinthes :
Jacinthes, âmes des printemps naissants,
Des printemps défunts aux gaîtés éteintes,
Votre haleine redit nos extases d’enfants
Et nos fuites vers un monde plein de merveilles
Qui n’apparaît plus que si voilé !
— Où des voix douces chuchotaient à nos oreilles
Des mots d’« ailleurs » dont le dernier s’est envolé,
Où nous enlaçait la blanche tendresse
Des Etres familiers qu’a chassés pour un temps
Notre prudente et notre infaillible sagesse ;
— Où nous découvrions sous les grèbes flottants
Et neigeux des lents et longs nuages
Des formes d’une mystérieuse beauté
Qui nous entraînaient aux éblouissants voyages
Dans quel vertige si troublement regretté ?
— Où les arcanes plus accessibles
D’abris floraux voisins du sol comme nos fronts
Se faisaient ingénus, riants, presque « visibles » ;
— Où nous soupçonnions aux cœurs des liserons,
Baignés du crépuscule irisé des calices,
Les petits amis ailés de menus ors bleus
Qui nous guettaient, malicieux complices
Des songes voletant au-dessus de nos jeux ;
— Où nous savions, par les après-midi languides,
Le secret qu’un rayon confie aux lourds étangs
Pénétrés de tièdes ambres liquides, —
Ce qui rend tels appels inexpliqués, tintants,
Si purs et si désolés dans la nuit tombante ;
Le sens des regards lunaires pensifs
Qui paillettent d’argent verdâtre les récifs
Et la houle d’opale mouvante ;
— Ce que traduisent ces cris d’oiseaux inconnus,
Déchirants dans l’air magique et sonore
Teinté de saphir sombre avant l’aurore;
Et même de quels clos mystiques sont venus
Vos affolants effluves de délices,
Jacinthes initiatrices
Qui devez embaumer les paradis rêvés,
Jacinthes d’où se sont tant de fois élevés
Ces brouillards d’incarnat délicieux qui fusent
Dans la limpidité cruelle des matins
Et m’empêchent de voir au si proche lointain
Les Iles de perle qui se refusent.
L’HEURE TRAITRESSE
Le ciel d’une pâleur bleue et si tendre
Est doux comme une main de femme sur les yeux
Voici, sous le vent qui hâle, se tendre
Courbé, l’évoluant essor silencieux
D’une seule voile aux blancheurs comme pennées;
La mer, en ses mollesses de réveil
Mouvant ses gemmes lourdes par traînées,
Garde les teintes des visions du Sommeil.
*
* *
Le rire d’or des fenêtres chante
En le lilas moite des façades
Où biglèrent méchamment des vitres saignantes.
*
* *
L’air pur encore des monstrueuses fumées
Est un baiser des bois aux sirènes des rades.
Les haines tristement bramées
Dans les navrantes, les déchirantes bises du soir
Dorment au clair — et dur — et froid métal des cloches.
Les quais, enfers sonnants de blocs, de chaînes et de pioches
Sont des cygnes sur des miroirs de nonchaloir
Des promesses de si neuves joies
Soufflent des collines blondes — à fleurs ouvertes.—
Assaillant les vouloirs encore inertes :
O l’enlacement des éperviers et des proies,
O les encombrantes moissons des poésies !
Mais, « par bonheur », — sous les spartiates damas
Et les eiders, cilices d’orties,
On devine les longs étirements moins las
Des « dirigeantes », des sublimes énergies ! —
Bientôt dans le reflet purpurin des brasiers,
Soleils du Sud pour les casanières paresses,
Les corps seront, aux doux climats des ateliers,
La grappe trop gonflée « heureuse qu’on la presse »…
Et les esprits les moins vagrants d’affreux sentiers.
L’ILE
Pour D. Caillé
L’Ile qui somnolait dans ses tulles de rêve
Se dresse, à présent, bloc de granit bleu, brutal,
Donjon sombre cerné d’un trait net de métal
Qui se mire tout fauve en le béryl des grèves.
*
* *
Puis dans le soir plus doux, — clair encore, — des bois
Moutonnant sur le roc l’animent de feuillages;
On devine les murs fleuris de blancs villages
Et le planant parfum des choses d’autrefois...
*
* *
Retour!... Mais la prison brumeuse aux lourdes gazes
Qu’étoile le couchant de mouvantes topazes
Se referme sur l’Ile entrevue un moment
*
* *
Et l’on songe aux cités pour une heure éveillées,
Aux Vinlands populeux jetés distraitement
A l’effroyable nuit des terres oubliées.
CETTE LAGUNE
Pour H.T.
Cette lagune d’absinthe et son passeur noir,
Si loin que tout s’éclaire d’un jour de songe,
Ce miroir trouble où de l’or pâle fait des moires
Sur les fantômes des palmes élongées,...
Ce souvenir est-il de cette vie ?
(Une étrangeté si élégiaque imprégnait l’air)...
Ou d’une autre existence incroyablement vieille ?...
...Je sais que de grands vols criards passaient, alertes,
Des vols d’oiseaux de formes jamais retrouvées;
Qu’à terre croissaient des fleurs nacrées, gigantesques,
Dont les parfums trop vivants énervaient,
Instillaient une inquiétude si complexe,
Une inquiétude un peu douloureuse mais exquise.
Et, sur l’eau verte, filaient, penchés, des navires
Tout blancs d’une lourde et haute neige de voiles
Vers une passe lointaine, voilée
De grandes gazes d’opale et de saphir...
HIERS BLEUS
————————————————————————————————————————————————————————————
Sur le dernier dont la fuite glissante nous frôla
Une femme s’accoudait, languissante, sur la lisse :
Elle avait un sourire d’une grâce lasse
Comme résigné à de l’inconnu triste :
La caresse de ses yeux passa sur mes yeux
Et je rappris par une voix intérieure
Qu’elle vivait depuis toujours dans ma mémoire
Et que fuyait la mystérieuse heure propice
Avec la Triste appuyée sur la lisse,
La Triste que j’aimais depuis toujours sans le savoir.
*
* *
Et la seule chère allait aux périls des brumes,
Moi vers les vénéneuses profondeurs boisées,
Prisonnier de la barque, du passeur noir,
De l’enchantement vert de la lagune,
Trop sûr de poursuivre à jamais, sans grand espoir,
Dès que faibliraient les sournoises magies,
Un vain fantôme, peut-être, de l’Aimée,
Par les confuses écumes de vieux sillages
Illisibles sur l’immense Mer...
CRUAUTÉ SENTIMENTALE
Pour Félix Fénéon.
O bonheur d’oublier la rue âtre
Qui flue en reflètant les astres malveillants
Des quinquets rougeâtres;
Les spectres hâtivement se coulant
Près des portes, ces transparences rousses
D’écaille fauve aux couchants d’hiver
*
* *
Et l’haleine effroyablement fiévreuse et douce
Qui soufne des huis entr’ouverts
*
* *
Et la moite brûlure des salles barbares
Où tournent des soleils aveuglants et brumeux
En d’ardents Simouns de parfums vénéneux
Dont les sens exultants s’effarent;
*
* *
HIERS BLEUS
————————————————————————————————————————————————————————————
O joie et fraîcheur d’âme : S’évader
De l’hypnotisme des étoffes miroitantes,
Satins, ors tissés, aubes de feu flottantes —
Ivres d’irradier;
*
* *
De la maléfique et suave emprise :
L’orient des chairs qui s’irise
D’un lait de roses fulgurant, —
Neige florale plus follement lumineuse,
Sapide neige tiède aux parfums torturants,
Abominable et délicieuse !
*
* *
...Réconfort du grand frais marin sauvage et vert
Au tardif crépuscule du large,
D’or vert si pâle sur le grand Vague désert, —
—Des senteurs vertes du quai bas et de la barge !
*
* *
Le rythme des rames tinte dans le chenal
Aux brusques échos de cristal triste
Et fait vibrer la flèche de feu du fanal,
Jet de topaze ou fluent des filets d’améthyste.
*
* *
HIERS BLEUS
————————————————————————————————————————————————————————————
Dehors, la libre nuit glaciale s’abat,
Grand dôme d’un noir bleu diaphane :
La ville atroce est constellation, là-bas.
*
* *
Soudain ces masses de cauchemar d’où émane
L’âme exquise des jardins mouillés
Et des bois dont pleurent les fragrantes écorces,
D’où m’attire comme une affectueuse force
Pleine de frissons familiers,
Se font plages de la côte amie.....
*
* *
Les feuilles craquent, grisantes, dans le sentier
Qui mord profondément la roche humide
Sous des arceaux noirs criblés d’étoiles.
La sève des puissantes ambiances,
Rassurante, semble instiller dans les moëlles
La vie et simple et forte des essences.
*
* *
Et comme la nuit s’éclaire faiblement
Vers les hauteurs, sous les branches plus aériennes,
D’un brouillard d’émeraude poudré d’argent,
Un encens comme plus intime et plus amène
M’envahit irrésistiblement.
*
* *
HtERS Bt.EUS
1)
11 n’est ptus de sinistre ville
Souitinnt les pures ténèbres de jaïet
Où des lueurs fastes scintillent
Des flammes d’un soir diabolique et brouillé,
Dansantes aux piteux lacs d’Erèbe des naques
Plus de couchants factices de fluide or
Où de magiques étoffes ruissellent et craquent,
Se froissent sous des chairs de luxe et de décor.
(Les navrantes chairs plus radieuses !)
Rien n’est plus que les rochers veloutés de bois,
Que les falaises embaumées, silencieuses,
Puisque les encens en émoi
De mes ensorcelantes Heurs-fées,
De mes jacinthes aux parfums de ciel
Viennent au loin me faire accueil et comme appel
Et me jettent du rêve ami par bouffées.
<
t w
Qu’importe, à présent que vous me parlez tout bas,
Mes roses, mes charmeuses confidentes,
Tout ce stupre dolent dont j’ai souffert là-bas,
Froid complice aux curiosités malfaisantes?
< w
Et que me font ces cœur: qui n’ont jamais neuri
Ou qui se sont nétris de l’éclosion même,
Ces blessés répugnants qu’ont pansés le mépris
Et la risée et qui salissent quand ils aiment P–
HÏERS BLEUS
’4
Ces corps passifs qui n’ont plus !e droit de souffrir,
Qui se </o<fM/ fibre par fibre,
Cadavres somptueux bons à tout assouvir,
Menteurs dans la mort quand ils vibrent
Hantés de cauchemars au fond du noir sommeil
Sans !a piété d’un bon dédain chairs meurtries
Beaux débris harcelés, embaumés et vermeils
A faire pleurer des valets de boucherie 1
Oui, qu’importent ces inertes douleurs
Puisque vos silencieuses voix me pénètrent
D’une languide et comme poignante douceur
Inquiétante comme une souleur
Et si neuve de vous à mon être
Je sens qu’une tristesse a frôlé le jardin
(Vos effluves mettent en moi l’angoisse frêle
D’une rancœur plaintive et sans rien de hautain,
D’une peine dont rien ne se révèle,
Qu’exprime un mot de douloir humain,
Que je ressens très loin en moi sans bien comprendre,
Mais avec un térébrant remords,
D’Me rancœur cruellement blessée et tendre.
MtMM BtMM
’)
Vous dites qu’en le jardin qui s’éplore
La visiteuse indéfinissable est entrée,
Celle qui vient, comment? et d’où ? 1
De tous hormis vous et moi-même ignorée,
L’indiscernable de mes rêves blancs et bleus,
Qui n’est pas un esprit des suprêmes royaumes,
Puisqu’en elle tout n’est pas robuste et joyeux,
Puisque sa nostalgie errante nous effleure
Aux jours de mélancolique félicité,
Puisque vous m’avez (si bas 1) chuchoté
Qu’elle plenre 1
Oui, l’indicible a flotté sur la mort des lys,
Sous les berceaux effeuillés, sans fragrance,
Où n’arrivent plus vos haleines de délices
Car, sous les rameaux sans fleurs et comme souffrants,
On dirait une senteur des Printemps qui dorment
Sous le prisme a peine blêmi du Passé.
Fut-elle même, en ce Passé, l’une des formes
Qui venaient, en mes rêves solaires, glisser
Sur la frange des longs rayons ûaves qui tremblent,
Elle rien qu’ < approche duvetée et qui semble
De l’air plus fraîchement ailé P
t6 NtBM BttM
Et moi, frigide égoïste à peine troublé
Par la misère fastueuse de ces femmes,
Là-bas, dans la fauve fournaise d’or,
De ces brillants, de ces charnels décors
Où hurlèrent et gémirent cent drames
De faim, d’horreur et de royale abjection.
Je sens mon cœur s’ouvrir < comme <d soc un sillon
Mon cœur où va germer la tendresse navrée,
A la problématique et vague affliction
De la Devinée. ou de l’Espérée,
De cette qui n’est peut être pas encore,
Qui <M/ sans que son être soit plus lin
Que le bonheur qui plane au rose d’une aurore,
Qu’un mirage, qu’un pressentiment de parfum 1
NOUVELLE TERRE
Po<M’ A//r /<rry.
C’est un premier rayon du couchant
Cette blondeur rousse de cuivre qui bgc
D’une lumière trouble, on dirait méchante,
L’île proche, d’expression incertaine.
Et déjà la lueur rougit des trissons passent
Dans l’air moins tiède, ridant les voiles orange
Le navire, très lentement, roule et tangue
Sur les grosses vagues comme lassées,
Roule et tangue et se cabre mollement,
Longtemps, sur les grosses vagues qui se mordorent.
Et voici que nous entourent, nous emprisonnent,
Comme de fluides mailles odorantes,
Les émanations vitales du rivage
Et plus les lignes se font noyées et mourantes,
Plus la face des choses s’ennuage
De cendre mauve, puis de violâtres ténèbres,
Plus la possession de la terre s’affirme,
HTEM BLEUS
t8
Plus son soufHe nous la révèle et nous pénètre
De sa secrète essence intime.
0 terre inconnue qui t’endors si près de nous,
Si près et si loin, par-delà ces masses d’ombre,
Serons-nous mieux initiés à ta vie profonde
Demain, par le bleu mensonge du jour,
Qu’en cette heure où tu t’abandonnes,
Où tes nocturnes effluves parlent et avouent ? i’
Je devine ce qui frissonne
Dans tes rues humides sonores de solitude
ht ces odeurs chargées comme d’inquiet ennui
M’apportent ce qui sourd de trouble incertitude
Angoissée des fumées de pauvres nourritures.
Aussitôt m’apparaissent, brûlants et rougis,
Derrière d’invisibles fenêtres,
Les yeux navrés qui cherchent dans la nuit
Sous les étoiles des fanaux rouges et verts
Dont les longs rais se brouillent sur le ciel funèbre
Un astre ami prévu qui tarde à s’allumer.
Ht voici, toute froide et comme murmurante,
L’haleine si poignante des jardins mouillés,
Pleine de confidences pleurantes
0 tant d’amours qu’avivent les renoncements,
Qu’exaspèrent le < jamais plus » et l’impossible,
Tant de vieux amours douloureux et charmants
Fleurirent donc parmi les floraisons captives 1
HtMS BLBUS
’9
Terre inconnue qui t’endors si lugubrement.
Je sens que tu ne me parfumeras pas l’âme
De cette poésie surhumaine qu’exhale
En l’ambre lumineux des étés triomphants
Ma blonde Plage des plages
Où chantent de presque immatériels ombrages
D’un vert blond si diaphane,
Toujours voisine et encore fuyante
Et que je n’ai bien contemplée jamais
Que dans l’or tiède, embaumé, des rêves d’enfance.
Mais si tu me refuses le site aimé
Caché ailleurs, loin de l’embrassement de tes collines,
Si tu n’es celle qui me retiendrait,
Bercé comme par des tendresses féminines
Par les iéeries du seul songe qui renaîtrait,
Je vais trouver chez toi, sapide et franche hôtesse,
Et je le sais pour t’avoir à peine approchée,
Ce qu’après tout je venais peut-être chercher
Une tristesse harmonieuse à ma tristesse.
AUBE ANTILLAISE
Pour 0/tcr GoKry.
Le ciel net et floral, conscient de ravir,
Dôme en cristal vermeil qui tinte au chant des cloches,
Miroite, lumineux et doux au pied des roches,
Des noirs plongent au flot rosé qui va bleuir.
Dans les tamariniers des franges de frémir
De clairs gosiers d’oiseaux perlent des triptes-croches;
Les palmistes roidis lâchent leurs plumes floches
Les nacres du Matin se fondent en saphir.
Les bons nègres semés sur l’eau comme des mouches,
Sombre puHuteent rieur aux escarmouches
Promptes, raillent t’essor des longs canots pointus.
HtMS BLMS
at
Le /« corne avec des rauquements de fauve
Et tes pêcheurs au bleu des embruns fous perdus
Guettent, le cœur serré, mourir les pitons mauve.
MtrtiniqM t<8;.
L’HVIL
Pour /M/M tP/ff.
En ie rêve accompli du matin finissant
Et le fluide cristal velouté de l’altitude,
Comme s’épand le grand bonheur alanguissant
De l’onde solaire,
Vers la cime où se trient les bruits des multitudes
Une haute voix monte claire
Des clochers neigeux d’ardente lumière.
Elle monte comme entr’ouvrant le splendissement bleu,
Comme une blanche émanation d’âme adorante
Et la tiédeur des fleurs plus timidement odorante
Semble suivre !e verbe épuré dans les cieux.
L’enfant maigrelet dont le teint bione
Se rose, à vos senteurs, de votre sang nacré,
Jacinthes, révélation d’un ignoré
Qu’il sent confusément, qu’il redoute et qu’il aime,
HtERS BLEUS
’)
S’emplit les yeux du féérique jardin,
Craignant de mal faire et qu’on le rudoie.
Profanateur de quelque inviolable Eden
Et songe, trop grisé pour montrer de la joie.
0 ces arbres pareils à des bouquets énormes 1
0 les bijoux d’or pelucheux des mimosas
Ht le prisme dont le sumak s’irisa
Sous cette ombre qui n’est rien qu’ombre de fleurs, des formes
D’une imprécise beauté glissent aux longs frissons
Des calices, des grappes de corolles
Et s’il ignore les syllabes rauques ou molles
Qui gardent tout l’Occulte floral dans leurs sons,
L’enfant nommerait presque les êtres
Que disperse dans une moire de soleil
Le balancement des branches en gerbes,
Et qu’une autre moire bieuatre accueille
Sous des rame’ux voisins refermes.
L’Océan luit, proche et lointain, rayé de tiges
Où pointent des bourgeons menus, comme aHumés;
Bricks hérissés de flèches, pécheurs essaimés,
Ces mouches blanches de l’abîme de vertige,
Evoluent dans l’Enorme entre les dahlias;
Et l’enfant sent renaître il ne sait quoi d’intense,
HIERS BLEUS
24
De sublimement cher qu’il oublia,
Une douceur comme un peu douloureuse, immense
Pour sa frète pensée et qui s’évanouit
Et revient, l’inondant, 6 pourvu qu’elle dure
Et flotte loin, ondoyante et se dénature
Et plus troublante, rentre insaisissable en lui.
Il ne sait que l’éternel tourment est son maitre
Que dès cet instant il est paria
Qu’il a ressenti ce qui n’a pas le droit d’être,
Qu’aveugle au Réel sage et laid, il devient traître
Et complice de l’ensorceleuse Maïa
Qu’il sera dans l’esprit des hommes, ses bons frères,
Le chasseur ridicule et peut être maudit
Qui confondra ses bulles roses favorites
Avec le sinistre oiseau rouge de l’éclair
Bien pis L’évocateur des croyances haïes
Péril pour l’Espèce, ennemi de tout pays,
Le noir scélérat qui minera le donjon
Du vraisemblable, du profitable Mensonge 1
Mais son âme où surgit à peine te Futur
Plonge au gouffre d’or bleu des Mystères diurnes
En une mélancolique sérénité
Trop de bien-être indénnissabte l’oppresse
Et c’est l’exquis éveil de t’âme à la tristesse,
A l’enivrante tristesse de la Beauté.
HtERS BLEUS *5
2
Des musiques vaguement entendues
Passent fugaces en lui, disant mieux
Que les paroles qu’il murmure confondues,
Ce qui veut pénétrer dans son cœur anxieux
Par les faibles sens qui naissent et qu’il ignore.
Mais voici qu’un doux air banl qu’il reconnait
Le ramène en-deçà de l’imprévue aurore
Vers hier qui déjà s’embrumait
<
C’est loin du tiède jardin de lumière,
De luxueuse joie et de baumes errants
Que de hauts murs où se cramponne un maigre lierre
Font une demi-nuit sur des lilas souffrants.
Sous les sarments secs croule un lambeau de tonnelle
Où se perchent les oiseaux gris
Aux lamentations sempiternelles
Une obsédante plainte d’eau sur des débris
Amoncelés en roches affligeantes
Au prisme indigent dans tes pâtes rmous froide
Tinte et pleure et douloureusement chante.
Penchant leurs lourdes couronnes de rois,
En exil dans la pénombre humide,
Des soleils blafards sur leur tige qui jaunit
Cherchent inconsolablement leur dieu splendide.
HtBM BHUS
a6
Et l’on dirait que dans leur prison de granit,
Interrogeant !e jour funèbre qui se glisse
Entre les toits moroses glacés de bleu noir,
Les tristes fleurs reprochent leur supplice,
Leur langueur et leur désespoir
Aux maîtres miséreux qu’elles consolent
D’une apparence de rayons,
Aux poétiques égoïstes qui les volent
A la joie ample des protéens horizons,
A la gloire du divin sol aride
Poreux et saturé de fauve jour fervide.
Et tandis que l’air chante en lui comme exhalant
Le charme noir de la pauvreté familière,
L’enfant se sent chérir le coin morne et dolent
Dont il craignait l’éternel froid crépusculaire
Du même amour que le beau jardin enchanté
Qui fait vibrer en lui les tendresses discrètes
Du Non-Humain plein de silence et de bonté.
Voit-il que désormais une chaîne secrète,
Le lie à tout un Monde incompris, inconnu
Dans son être profond et ses métamorphoses
Et qu’il partagera d’un esprit ingénu
Toute la joie et toute l’angoisse des Choses ? P
Peut-être ! Ses pensers éclosent par milliers
Voletants dans l’extase heureuse.
Tout ce qu’il va pouvoir aimer ! Terre charmeuse !....
… Et son âme est une abeille dans les rosiers…
TEMPS PALE
PMf A. CAote.
I) y a sur la Mer comme une pâleur bleue,
Comme une langueur de chers passés indistincts
Qui reparaissent et se renoient plus lointains,
Un calme trouble qui-bizarrement-console et pleure.
La brise vibre a peine aux harpes du gréement,
Traînant de si faibles musiques nostalgiques
Le soleil adouci de lents grèbes qui glissent
Caresse les eaux si mélancoliquement
Debout au bossoir, -buvant la fraîcheur saline,
Toute la douceur de l’Océan dans mes yeux,
Je te vois approcher en vapeur opaline
Et ta forme, vaguement connue, se dessine
Presque familière et presque mystérieuse.
Pourquoi viens-tu ? Ah je pensais brumeusement à toi,
Moins à toi qu’aux parfums qui ondaient
Dans ce beau jardin si frais et tiède, st loin 1
Et que tu personnifias une seconde.
HIERS BLEUS 29
2.
H faisait un doux temps pâle aussi, ce jour-là
Les verdures chantaient au-dessus des volières
Et des neurs cachées disaient d’étranges « Là-bas »
Dans le souffle nacré de !a Mer.
J’étais auprès d’une autre, inconsciente et nonchalante
Qui guettait l’essor de fantômes bleuâtres,
Dans les nuées changeantes,
Entre les arbres.
Quand je te devinai, voisine d’âme et belle,
Perdue parmi des femmes et seule présente,
Qui me regardais suivre tes visions frêles
En les prunelles indifférentes
Tu captas mon être entier dans tes yeux
Des ères mortes semblaient renaître,
Et tu fus comme affligée de me reconnaître
Et tant et si peu
Sur des grèves plus belles, en plein rêve ?
Dans l’alanguissement de plus immatériels parfums,
Avions-nous eu, durant des éternités brèves,
Un secret adorablement triste en commun ir
0
0 !e pourquoi de nos âmes désentacées ? P
0 !e Passé, fuir dans le Passé avec toi 1
Mais déjà pàlit ta forme en l’air bleu plus froid
Comme j’ai dû pâtir vite dans ta pensée.
D’APRES SCHUMANN
Ce sera dans longtemps et très loin,
Sans doute, et par un soir mélancolique
En deuil de son bleu incertain,
En deuil royal faiblement purpurin
Des vagues pleureront une glauque musique.
Car ce sera le soir et sur une plage,
Puisque, sous le voile des ans,
Tu ne m’apparais un peu moins fuyante
Que baignée de l’inquiétude âpre du large
Et de crépuscule.
11 y aura de grands bois noirs sur la dune,
Pareils à ceux où les soupirs des feuilles
Semblent chuchoter, si-bas ton nom.
Que je le veuille
Ou non.
Il y aura de lents oiseaux attardés
Qui feront, dans l’air, des cercles tristes,
Des senteurs tendrement tristes, comme oubliées
Et retrouvées
De tamarix.
HMM BLEUS
)’ 1
H y aura en tout une grande douceur lasse
Comme après des larmes.
Et tu ne seras plus !e songe consolant qui passe
Mais !a Poursuivie, la Redoutée, chair et âme.
(La brise gémira des Enfin et des Hélas !)
Et malgré l’exultante folie de ma joie,
Je n’irai que bien lentement vers toi,
Tout angoissé, de moins en moins vite,
Si comiquement honteux de n’ moi.
Que tu me reconnaîtras tout de suite.
Tu me souriras charitablement, des yeux.
De tes larges, de tes profonds yeux, radieux
Encore dans la nuit tombante.
Et comme je ne saurai que te regarder,
Pensant rêver ce bonheur toujours retardé,
Oublieux des longues années suppliciantes,
Des longs désespoirs avivés de faux espoirs,
Tu me tendras, plutôt condescendante,
La pâle main qui m’a pétri sans le savoir
Et tu te croiras la plus aimante.
MARINE
POM- Jfc-t ifMH.
L’Océan lisse et froid dresse un glauque miroir
Au-dessus des rochers et de la lande morne
Un pâle goëland monte dans l’air et s’orne
D’un clair rayon cueilli dans les roses du soir.
<
w
Tout s’alanguit en un torpide nonchaloir
Le promontoire aigu s’arrondit, tel un morne
Un exotisme doux envahit tout la corne
Des bananes se cambre en la lune au bossoir
<
Et sur les gouftres d’eau crépusculaire et lente
Je vois la vision surgir, qui violente
Mon âme éprise des flots vides, incertains
<
Un long trois-mâts qui va par filantes glissées
Berceuses, dans la Nuit, vers d’éclatants lointains
Comme un grand cygne noir aux ailes rebroussées.
Les murs blancs. et mon cœur qui semble se fermer.
Des voix. et les lourdes ailes d’azur des orgues.
Et c’est le vague bleu de la mer
Immense et trouble où le navire vogue
Sous la lumière hostile et dure du Nouveau.
Des plages
Inquiétantes en l’énorme du Beau
Concentrent l’Etrange épars au large
Et si craintivement espéré
Après les claires splendeurs barbares
La vaste houle engloutissante des forets
M’absorbe en sa nuit d’or vert qui se moire
De vols de flamme sourde et de renets captifs.
L’IMAGE
Pour E. rM
HtERS BLEUS
34
La cabane que, doucement. reprend la sylve.
Sous les stalactites des banyans,
Craque aux souples efforts impulsifs
Des noires couleuvres des lianes.
Rien n’y dit plus le roux pays brûlé,
Loin sur une autre courbe du globe,
Plus même ces portraits jaunis qui se dissolvent,
Fantômes déjà distants et brouillés
Dans l’air mortel aux ombres d’Europe.
Dans l’air perfide où ce qui fut le Moi d’antan
Lentement et tristement s’évapore
Rien pour me protéger contre le flot montant
Des impressions angoissantes et sauvages
Qui ravagent de pauvres êtres devinés
Tout près de moi, sous l’insondable des feuillages,
Dans la sublime horreur des lois disséminés,
«
w <
Rien qu’une image
w
Une image dont l’or s’éteint,
Dent le lourd coloris d’ineffable se teinte
Dont le dessin brutal prend une grâce
Evanescente dans la pénombre verdie,
Une douce fluidité mystique éparse
HÏBRS BLEUS
_35
La compatissante Marie,
La Vierge maternelle dont ’’œil brille
Des diamants divins des larmes implorantes,
Vêtue ainsi que les Madones de Castille,
Descend vers nous, lente, en des blondeurs transparentes
Vers nous. les abandonnés des îles torrides
Puisque le ciel aux violences bleues
Inonde les palmes fastueuses
Puisque les forêts menaçantes, comme avides,
Cernent la plage étroite qui s’éclaire
Des conquérantes blancheurs d’une pauvre église
Aux courts et lourds clochers ibères.
Et la vision rassurante qui s’irise
D’une lueur que l’on voulut surnaturelle
N’est plus la Vierge alhe des chapelles
Où s’ailèrent nos âmes enfantines
Montant si haut, si droit, si peu craintives
Entre les élancements des ogives
La < Bonne Vierges qui veillait près des courtines
Des petits lits aux longs songes
Légers de nacre aérienne et duveteuse
Dont l’image, mystère exquis, en nous prolonge
Celle si jeune et si tendrement soucieuse
Que nos mères ont oubliée
L’image d’alors d’HHes-mëmes;
La Sainte Vierge avec des mots tout blancs priée,
HtERS BLEUS
Des mots d’une blancheur transparente de gemmes,
La ncur céleste si neigeusement candide,
Le tys nimbé de rayons stellaires
< <
Non. Celle qui fait ma tristesse moins aride,
Qui veut bien partager du regard ma misère
Et donne un charme d’exotique sanctuaire
A la frêle cabane des grands bois
Où sans elle, à ce jour smaragdin qui s’égare
Sur te sol brut, tes vertes parois
Ht de rares engins primitifs et barbares
Natvement peints et sculptés,
Ne se révélerait qu’un refuge d’attente
De malheureux natifs sans cesse dépistés
P:;r les terreurs des Solitudes foisonnantes.
Celle qui parle si nettement et si bas
D.’ns l’énorme et confus frissonnement des feuilles,
Dont le geste pitoyable m’accueille,
Parfois désespéré, toujours souffrant et las,
Mieux que le prêtre plein de craintes fraternelles,
De pitié tendre pour les âmes dans la nuit,
Sait venir aux humbles qu’Elle appelle,
Qu’Elle arrache à la force âtre qui les poursuit.
La blanche Reine des Souveraines,
Celle qui donna la chair de son cœur,
HIERS BLEUS
37
Son divin Torturé souriant dans les peines,
Mort plein de pardon et de douceur,
Aux pauvres gens de /M/ les races humaines,
Se veut pareille aux tristes errants des forets
<
< «
Vous qui fuyez la case des lianes
Qu’elle neurit, voyez Son front sombre, ses traits
Sont les vôtres Ce lys qu’elle tient, d’où émane
Comme !’âme de ce paysage d’exil
L’église ibère en la sylve de Malaisie, 1
Est un lys noir, dans quels jardins secrets cueilli ?
,t
<
Et ces fleurs ceignant la coupe mystérieuse
Ne disent-elles pas des mots d’avant-printemps,
Voilés et si discrètement intenses,
Essences des bonheurs estivaux épandus,
Ces suavités insinuantes,
Ces haleines des hauts espaces embaumés,
Ces jacinthes de Promesse ? a
LA VOIX TINTANTE.
La voix tintante, insistante de la sonnette
du jardin,
Cette voix ni très mélodieuse ni très nette,
E
Dans le jardin clair, un peu nu, aux fleurs criardes,
Brutal après la chaude ombre de l’avenue,
Et l’améthyste vague des iris dans l’herbe Jrue,
Evoque, pourquoi ? une eau solaire où s’att\rde
Le bleu fantôme d’un fantôme qui se pleure.
(Eau de topaze du fauve cuivre qui tinte
Dans l’énorme silence des heures trop bleues ?)
Haut perron blanc, maison blanche, parfums de l’Inde,
D’iles chaudes fleuries, issus de soies ternies,
De nattes, de coffrets en bois d’essences .nc.nnu
Meubles Empire comme en de lointaines colonies,
Harpe érigée qu’étreignirent de be.ux bras nus
Vous êtes les familiers de mes rêves troubles.
Hiata BLBOS
39
Degrés où ondulaient tes serpents irisés des tra!nes.
Senteurs où revit la tiédeur des tailles souples,
Miroirs où glissent tant d’apparitions incertaines,
Harpe qui dus trahir à demi bien des secrets
Je te connais, maison blanche, et m’est familière,
Dans ce pré blanc et mauve tendre, cette rivière
Lente, lente, qui perd ton image à regret.
Voici, longue et menue, penchée sur l’eau solaire,
Une fillette vêtue de gaze bleue qui chatoie,
Une fillette pâle, étrangement languide
Qui frissonne, se retourne et vient droit a moi.
0 ta poignante douceur du regard humide,
Le navrement passionné de ces grands yeux noirs 1
Elle me prend la main sans parler et me guide
Vers une pièce fraîche au jour comme bluté
Ces portraits flous, ces paysages de mystère
Sont des visages et des sites qui hantèrent
Les visions de l’enfant bizarre que j’ai été.
De vieux airs oubliés renaissent ils chantèrent
En mes nostalgies, où et quand ? Je ne sais plus.
Mais leur tristesse est plus charmeuse, reconnue.
HIERS BLEUS
40
Tout a son double en moi, jusqu’aux choses banales
Ces stores bêtes où d’affreux Mongols de carnaval
Exultants sabreurs à barbes de fil de fer
Se livrent à d’écœurantes danses guerrières
Ces tentures ornées de Chinoises qui baillent
Et bâillent le hurlant ennui qui les ravage,
Ces écrans où se ruent en vols fous, en nuages,
Les diables des fumées d’opiuru, ces éventai ts,
Monstrueux papillons souffletant les murailles.
Puis tout s’efface Plus rien que des parois nues
Fendillées par les fresques blêmes de la pluie.
Je suis seul La petite amie bleue s’est enfuie
Et les prunelles noires, je ne les ai pas lues
Il ne reste plus rien, dans le désert de plâtre,
Qttedeux toiles jetées contre un mur deux ébauches
Sur l’une d’anxieux grands yeux noits me regardent,
Emergeant de la brume où le visage plonge,
Beaux yeux très amis, ttès doux, mais pleins d<- rEproche
Qui m’attirèrent, à mon insu, jusqu’ici
De l’avenue aux parfums de lourde verdure.
L’autre, c’est un étang chryséen qui fure
Près d’un bois mo’te d’arbres pleureurs et transis
Flottante, à la surface, une robe s’azure
Sous un morne vol d’oiseaux de mer égarés.
HIERS BLtU<
41
Et m’obsède cette fillette rencontrée
Dans !a maison magique aux reflets d’autres temps
Je crois maintenant l’avoir aimée, ou revce
Et peut-être pleurée lorsque j’étais enfant.
Etes-vous un appel, un avertissement,
Le remords de telle existence révolue.
Un charmant spectre qui me hait et me tourmente ?
Il se peut que ma folie seule vous ait vue,
Fillette bleue qui n’êtes pas ou n’êtes plus
LIED DÉMENT
Que n’es-tu t’He ? Tu fais parler
Ces cordes métalliques, ces cordes froides
Comme toutes mes joies exhalées
Comme sa voix 1
Sous le vol frôleur, la caresse blanche de tes doigts,
0 cet éveil d’une harpe lointaine
Qui LA dit cruellement. doucement pour moi
Qui traduit, en la suavisant, ma peine
Ou m’exalte d’un bel orgueil mélancolique 1
Une harpe?. Non (Ces paroles magiques!)
C’est Elle Nulle autre qu’Elle,
La Sérieuse tendre, un peu mystique,
N’eut l’âme ainsi de bleu pâle ailée
Nulle autre n’eût dit, si charmeusement apitoyée.
Ces mots de caresse qui font pleurer.
HtBRS BLBUS_
Mais la "o’t "°’ la voix °
Ne sonne p’q..<
Ce frisson dans l’air! Elle est tout près!
0 ce chant si pur et si frêle! 1
Puisqu’elle revient, pourquoi pleurer? T
Une exquise folie me prend Td deviens EUe
H me faut venir près de toi
Sans bruit, eiileurer ta chevelure pareille
Ou les moires de mes rêves défunts ondoient.
0 les rosiers blancs de ta gorge. Etre l’abeille
Je te laisse Demeure 2 Si je me penche,
Je verrai tes yeux pleins d’un ciel
Et saurai toute ma démence.
Que n’es-tu Elle ? P
Mais le motif reprend, douloureusement calme,
Plainte résignée dans l’Automne qui se hne.
0
0 qu’il torture délicieusement l’âme.
Le dieu triste, Robert Schumann 1
CALADORAS
(TÉNÉRtFFB)
PoMr A< F. F<ow.
Elles demeurent en d’étroites rues humides,
En de vieilles maisons basses, crépusculaires
Maré le jour d’or bleu fervide
Où semblent s’évaporer les tuiles solaires,
Les Saharas de blanches terrasses
Et les squameuses végétations d’Afrique.
EUes brodent, sur de petits métiers bizarres
Faits de lattes asymétriques,
De vieux clous tordus et de ticeHes,
Des fleurs déformes surnaturelles,
Des croix fantasques de vitraux antiques,
D’arachnéennes, d’aériennes rosaces
Ou des papillons qui vivent sur d’autres astres.
Et tous ces motifs s’isolent ou s’entrelacent
Sur la toile ajourée ou sur !a soie,
Si clairs et d’une si ferme finesse
Qu’on dirait de l’ivoirerie chinoise.
HIERS BLEUS
45
3*
FUes passent des semaines dans la tristesse
Des chambres aux volets clos, en les limbes gris
D’un automne factice que rien ne fleurit
De lumineux qu’un rayon pâle
l’-ané. cendré par les treilles du patio
Où roucoule et pleure la lamentable,
La lente complainte d’un utet d’eau.
Et leurs yeux las qu’éblouit un lacis de fibres
Se brûlent à prêter aide au soleil voilé.
Elles vivent, si c’est là vivre,
Dans l’angoisse des heures trop vite écoulées
0 ces minutes qu’elles ont perdues
Parce qu’un brouillard rouge noyait les dessins,
Parce que des lames aiguës
Fouillaient leurs tempes ou que dans leur crâne étreint
Par un étau féroce aux pressions broyantes
Eclatait le vacarme de cent rues hurlantes 1
0 h honte des tâches non finies,
Du travail refusé pour un jour de retard,
Les durs sermons et les avanies
Des acheteurs méprisants ou hilares
Chez qui les broderies tombent en avalanches
Ou s’accumulent en névés
Dans l’été floral des hautes galeries blanches
Alors ce sont les nuits abolies, les levers
Deux heures avant l’aube, après des veillées folles
HIERS BLEUS
46
Dans une indigente lumière jaune
Où volettent des monstres d’un noir bleu,
Aux crépitements des mèches qui charbonnent,
C’est la hâte qui se change en fureur,
L’aiguille qui glisse,
Entre les doigts moites moins crispés,
Voici les neurs et les papillons qui s’irisent.
Et les réveils, les reins brisés,
Après de longs sommes de vingt secondes.
Vite une gifle d’eau glaciale sur les yeux,
Dans le patio sonore, d’un noir de tombe,
Et la lutte reprend, plus enragée, plus anxieuse
Aussi leur parait-il qu’une aurore de fête
Egaye de feux roses les murs rechignés
Les matins chantants où l’ouvrage terminé,
Orné de faveurs bleues ou cerise, elles guettent
Dans un miroir piqué l’effet de leurs toilettes.
Car elles vont prendre le large, pavoisées
De robes claires et de rubans d’arc-en-ciel,
Leurs joues roses, mates, bistrées,
Insidieusement poudrerizées
Et peut-être une idée <r au pastel.
HIERS BLEUS
47
Files vont franchir, sous l’azur et dans la brise,
Des espaces géants, des centaines de pas
Voir de vraies fleurs, de vrais papillons qui s’irisent,
Des branches qui secouent leur neige d’incarnat
Légère, tournoyante, embaumée
Et dans l’air chatoyant des rues hautes
Qui ne domine plus qu’un diadème de monts
Flaves et rouges et poudrés de pierreries,
Leurs prunelles de diamant noir ou de béryl
Libérées du crépuscule, renèteront
Un décor de lumineuse féerie
Tout d’ors embrasés qu’avivent les bleus profonds
Des ravins de saphir striant l’incendie fauve,
Sous l’étinceUement himalayen
Du Pic, monstrueuse gemme de neige mauve.
Bientôt, groupées sur une véranda qu’elles émaillent
Comme de bouquets criards et charmants,
Elles s’étudient, se complimentent, se raillent,
Si expertes inquiètes pourtant
Du sort qu’emprisonne encore la porte close.
Que dira le Senor suizo (?) francés (?) inglés (?)
Dans son espagnol incorrect mais choses ?
Refus ? amende ? ou prime de dos J/
Récompensant royalement les ophtalmies P
HtFRS Pf.RUS
R
Ah sait-on Des voix claires chantent, caquetantes,
Mais que le vermillon factice est éclatant
Sur telles joues rondes, blêmies,
Et quel éclipse du blanc soleil des sourires
Ah vivre loin du marchandise, des niaises transes,
Des sous jetés, repris, du perpétuel v <-Ktp
Ah bien loin, souffrir plus de souffrances w viles 1
Et les regards vont, instinctivement au Bleu immense
Qui baigne l’ile splendide et mesquine d’infini
Ce port à jamais estival et endormi,
Ce port triste et blanc, si africain où se révèle
Le voisinage du chaud, du morne Maghreb,
A vu passer les caravelles aux lentes ailes
Parties à la découverte de nouveaux rêves.
Plus tard, en des siècles moins héroïques,
Des nefs lourdes à faux airs de galions
Mouillées là, sournoisement pacifiques,
Près des [notes en pierres volcaniques,
Emportaient, à la nuit, dans leurs sourds entreponts,
Les reines futures des Amériques
Vers des palais d’ambre solaire.
D’ivoires, d’ors et de bois partumés,
Tout chantants de beaux oiseaux, emplumés
D’aubes de perle mauve et de couchants incendiaires.
HIERS BLEUS
49
Elles, quand l’oracle aura prononcé,
L’oracle boréen, féroce ou débonnaire,
Elles redescendront vers ces maisons basses, tassées,
Qui forment comme un crayeux cimetière.
Maintenant ce sont les <M et les maris
Qui s’en vont au loin par les routes bleues
Elles, s’étioleront au jour pauvre des patios gris,
Fiancées et femmes, captives autant que veuves.
C’est pourquoi les œillades sont si tristes,
De leurs yeux, joyaux nocturnes sous les cils lourds,
Les œillades qui vont à l’espace, aux joies libres
Bien plus qu’à tel espoir de fortuites amours,
C’est pourquoi ils inquiètent, poursuivent, géhennent,
Haineux parfois, éloquents toujours,
Ces beaux yeux déments qui seplaignent, qui se plaignent
POUR LES < BONNES SŒURS DES FOUS
Fantômes errants loin des routes du Soleil
Dans !e jardin enchevêtré des limbes grises,
Un instant surgis des gouffres de quel sommeil ? i’
Feuilles mortes, fétus pour les mauvaises brises,
<
<
Les pauvres êtres vont, passifs, entre deux crises,
Par le jardin réel mais aux songes pareil
Que vous avez créé pour leurs jours de réveil
Tout calme et souriant, paré de fleurs exquises
Des (leurs C’est le Passé, l’Enfance aux clairs matins
/<M’t7.M’M/, voila les beaux rcves oint.uns
Qu’ vous leur rendez en les baumes des coroHcs,
Les rêves des <jadis aux lucides espoirs
Vous, fleurs mystiques, vous les grands lys blancs et noirs
Dont !e parfum s’exhale en si douces paroles.
PARAPHRASE D’UN CHANT D’ENFANT
DANS LE SOIR
Pour CMM K.
Des voiles tremblotent au vent dormant
Comme des papillons qui se posent.
Sous le ciel où s’éploient des ailes de flamant
La mer froisse sa soie aux n!s de souple r.acre rose
Et mon désir vogue au loin
Sur l’ample lenteur des houles.
<
w
Les maisons noires du monotone chemin
Malgré moi, là-bas m’attirent comme des goules
0 leurs regards jaunes de trahison
Rënëtés par le ruisseau nocturne qui rampe,
Leur pauvreté méchante de prisons,
Leurs recoins louches, l’eau cuivreuse de la lampe
Baignant d’ennui triste les murs luisants
Où glissent de longs fantômes évanescents,
Les frustes portraits hostiles qui me regardent,
Qui rient quand les voix brutales me font pleurer
- )a HtBRS BLEUS
0 quitter
Le crépuscule adorab!ement ami qui s’attarde,
L’horizon encore faiblement doré
Et la touffeur suave de la sente
Où les ardents genêts versent !c trouble exquis
De soleils inconnus et d’étranges tendresses
Dont les inquiétantes douceurs caressantes
M’exahent et m’oppressent
Pour m’asseoir près du foyer sans flamme, conquis
Par la cendre funèbre et par la nuit.
<
<
0 l’horreur semble entrer en moi Les murs se dressent
Tout près La porte bâille, gouffre clair et froid,
Les chats affamés vontrôdet autour de moi,
Leurs larges yeux phosphorescents pleins de détresse.
<
< <
Adieu grand ciel, pâle a présent et qui souris
De ton dernier nuage voyageur de mauve agathe
Adieu bel espace tout à moi où de longs bruits
Tintants et veloutés montent, où des ailes battent
Adieu libres parfums des herbes dans la brise,
enchanteurs des heures bleu-sombre de mystère 1
Tandis qu’en moi des vols illimités s’ébattent
Mon corps fluet grelotte des proches colères.
<
w
HIERS BLEUS 53
Mais qu’importent les cruels grondeurs s’ils ne lisent
Le secret dont mon cœur s’est fleuri,
S’ils ne soupçonnent que je sais ce qu’ils ignorent,
Ce que fanerait leur imbécile mépris,
Le sens prodigieux de balsamique aurore
Profané, hideusement incompris
D’un mot qu’ils disent sans frisson, la voix railleuse,
Le sens âcre et délicieux d’<7<
Ah tout m’est clair dans la nature merveilleuse
Soupirs d’extase de l’air qui frôle la mer,
Rayons tremblants aux larmes d’aube des jacinthes,
Trouble pourpre du soir charmeur, enveloppant
Si passionnément la sylve tiède en son étreinte.
Candide langueur des lys pâmés, contemplant
Lea étoiles qu’approche un songe de rivière,
Fluide ivresse du neigeux nuage et des oiseaux
Qui s’azurent dans la haute lumière
Je vois les moelleux, les insidieux réseaux
De la mélancolie emparadisante qui flotte,
Magicienne enlaceuse aux persuasions
Souples qui changent la frêle aspiration
En un ravissement adorant qui sanglote
54 HIERS BLEUS
Car dans le val rosé de pâles tamarix
Où la lueur d’or bleu des vngues met ses moires
Mes yeux ont connu la caresse de te voir
0 toi qui sais aussi quel mystère sourit
Dans les délices qu’on peut boir
En l’incertaine émotion d’un jourd<* juin,
Fraîche et fiévreuse
Toi qui passais et qui t’en vins
Si grande et belle en ton rayonnement de fleur heureuse,
Et me pris calmement les bras et les tins,
Me regardant, comme étonnée et plus rêveuse
Devant ce qui naissait de tes yeux dans mes yeux
Toi qui partis plus grave et presque apitoyée,
Puis réaccourus près de l’enfant anxieux
Tout tremblant, l’âme conquise et noyée
Et m’embaumas de cette ardente floraison,
Ta bouche, en un baiser lent qui frémit encore
En moi, le cher baiser où plus s’éplore
De quel regret charmeur? que de compassion.
<
<
Que je sounrirai si ton nom
Sort de A’/< lèvres grossières et méprisantes,
Ton nom auquel tous mes rh’es chantent,
Que je voudrais pouvoir seul prononcer.
Rarement d’une voix autrement nuancée
Pour mieux en goûter la musique ensorcelante
<
w w
HIERS <tLBUS
5
0 savoir m’envoler comme un sylphe, en la nuit,
Vers ta fenêtre ouverte au souffle des glycines,
Dire adieu pour jamais à ce qui me ravit,
A mon royaume d’espace et de brises hyalines,
D’espoirs imaginairement réalisés
Par de bleues et lumineuses magies,
Ecarter les rideaux de fleurs et me glisser
Près de toi comme un tout petit se réfugie
Dormir de ton sommeil en tes bras parfumés,
A ton insu et sans que tu le rêves même
Et sans que nous puissions nous éveiller jamais
Pour que tu ries de ce que je t’aime
La haute baie qu’ensoleillent tes cheveux d’ambre
Semble planer du vol des tourc!)es
Vaporeuses, presque rosés et si <rc!es
Dans le ciel lilas tendre,
<
La baie entre le sourire des raveneUes
Ouverte sur le bleu glacé des c!mes,
La btondeur de longues terres ondutantcs
Sous la brise putvérutente
Des poHens d’aurore d’un Mai qui ne se termine,
Et ce mur de froide turquoise
De la mer montant dans la nue.
<
A demi so:nnotente en l’extase
De l’altitude sublime et de retendue,
Tu vis mélancoliquement sereine,
Mctee aux nottants secrets de l’air plein de rcves.
w
HIERS BLEUS
57
Ta beauté faite des quintessences
Harmonieuses des beautés qui te sertissent
Avec plus de liliale radiance, que triste
Suave comme un parfum d’aube et presque triste
Gonfle mon cœur ainsi qu’un adorable
Sanglot plein de trop exquise désespérance.
<
w
Mais tes yeux qui reflètent l’Inconnaissable,
Le suprême azur où nos vœux n’arrivent
Par-delà tant de cieux invisibles,
Disent à ma vaine tendresse
Ton divin spleen de n’aimer et de ntre aimée
Que dans le Songe et dans l’Impossible.
<
<
Puisque tu ne saurais, ma uivéenne enchanteresse
Prisonnière des hautes zones embaumées
Sans souillure à ta Hor.u.on miraculeuse
Enivrer d’âmes qu’aux régions
Toi dont le charme blanc vaut toutes Kabbalcs
Fais de moi, pour qu’au moins je m’affole et je .eurc
De tes transports en tes communions astrales
L’oiseau fougueux dont le vol noir ne s’cpcure
Tout noir sous les flammes de ta chevelure,
L’oiseau douloureux dont les ailes jamais lasses
Te porteront, o la plus cruelle des pures
Des jacinthes aux roses de l’Espace
DEV ADASSI
Pour ZM)-FMOM<7. Ct-Ot.
Les parfums se font si morbidement doux,
Des jacinthes au crépuscule mauve,
Si tournoyants sous les dômes de velours
Des lourds catalpas et des aigarrôhas,
Que tout vire en un trop capiteux bonheur,
Pensée et sens confondus;
tt que le paysage ne vit plus
Que de visions intérieures
<
«
Des feuillages d’or vert pelucheux
Poudrent d’un pollen de pierreries
Les étangs sacrés aux nappes cuivreuses
ŒiHes (ss reflets des lotus et des iris.
w
< <
Puis un bois de nacre fluctuante,
D’aérien et palpitant satin.
Dont chaque arbre est une fleur géante,
N’a qu’un murmure si duveteux et lointain
Que l’on dirait des âmes d’oiseaux morts qui chantent.
HIERS BLEUS
59
Et dans !e dernier jour nuancé
Par les pétales diaphanes,
Des ombres aux chaudes muances
Surgissent des fragrants gazons fanés,
TourbiUonnantcs comme un vol
De grandes guipes de gaze
w
Et tout s’endort dans ta nuit molle
D’un sombre saphir d’nb!
Fiévreuse de l’extase
Des corolles.
<
<
Mais peu à peu l’ombre s’anime
D’ondulations d’un bleu vert indécis
De luciole ou de phosphore
Et d’une lueur tiède qui vacitte
Nait une forme.
<
<
Un rayon de nuide argent rosé,
D’un rose délicieusement triste
L’éc!aire seule, âme d’astre fé’ninisée,
Que voile une brume d’opate qui gtisse,
S’enroule et se dérouie, revêtant
Sa vénusté frctement neuric
<
Elle se penche et se cambre au rythme lent
De sanglots de harpes stellaires qui supplient
Ses gestes divins de lasse souffrance
Disent l’amour navré qui renonce
Et son sourire est douloureux d’être crue !
Les roses-thé de ses mains se tendent
Pour repousser si tendrement !
Implorer l’enviée angoisse d’être seule !
Et les Mondes, scintillants ors pâtes qui passent
Dans l’insondable et le ténébreux
Des gouffres de l’Espace
Se meurent de la nuit solaire
De ses yeux.
Lorsque mon âme et les âmes qui errent
Vers l’au-delà des bonheurs d’effroi
Gravitent captées et ravies au Moi
Se perdent en des prunelles énormes
Qui les baignent d'un inconcevable dément
Et les éblouirent pour éternellement
De leurs visions splendides et mornes.
Majorque, 1898.
Sur l’arc vert de la plage apaisée
Où le matin mélodieux descend,
Ta maison pa!e entre les paites balancées
Est un sourire las sous un voile Hottant.
w
Ces longs stores sont des paupières afHigées
Des Heurs se meurent dans la nuit des banyans,
Des neurs du violet ve)oute si souffrant
Des tes doux yeux couieur de pensée.
w
t
Ces lourds parfums égarants, confondus
Des bosquets fragrants comme des temples d’Asie.
Brouillards embaumés sur l’horizon défendu ?.
<r
Est-il vrai qu’il soit cruellement revenu,
Cédant à quelque nostalgique fantaisie,
Trop tard, le trop aimé que tu n’.ittcnj.us p ? r
L’INITIATRICE
Pour Mt FMtt/.
Tu m’apparais dans les sentes d’un vert ombreux
Où les feuillages sombres et luisants font prendre
Aux iacs de ciel baignant leurs rameaux ténébreux
Des profondeurs plus diaphanes et plus tendres;
Dans les jardins abandonnés et somnolents
Où veille l’ennui blanc des statues
Sur tes < hauLs-Heux touchés d’automne consolant,
Exquisement grave après les splendeurs perdues,
Si pitoyable aux pauvres hommes anxieux,
Surtout dans ce doux or des collines d’automne
D’où l’on domine des plages de Tennyson
Blondes, presque roses et rêveusement bleues,
Où l’air bruit si métancoiiquement
Qu’il semble parler comme une voix qui regrette
Et promet un renouveau p:’t!e et plus charmant,
Avec plus d’ « ouhHu » dans !’ame des fleurettes.
HIERS BHUS
J
Tu m’apparais ou je te devine plutôt
A ce frisson qui fait onder les not
D’herbes grises presque violettes.
Et les feuilles de cuivre tachées de lilas
A cette clarté non solaire, adamantine
Et comme fraîche, née en un ciel plus lointain,
Qui refleurit pour un instant les plantes lasses
Leur instille un parfum qu’elles n’ont pas connu
Ht rapproche un mystérieux Inaccessible
Oui je t’ « <.ntt’cvuis » transparente en ia nuée
IHuminante d’air plus timpideet plus !i
Et t’entrevoient aussi tous mes irères soutlrants,
Déments qui brûlent d’exaspérer leur martyre,
Leur fureur de rendre la Rcauté, de traduire
Par de sourds accords d’ingrats mots indifférents
Ce qui les enivra d’adorable tristesse.
Et tu es bonne car tu révèles tout bas
L’Indicible promis à celui qu’on délaisse,
Le sens des secrètes voix qui ne sonnent pas
Mais s’insinuent en les sommeils morts de nos âmes,
La charmeuse langueur des cœurs inconsolés
Par des soirs émouvants comme un Passé, voilés
D’apitoiement gris-bleu comme tels yeux de femme,
L’espoir sans forme et d’autant plus magiquement
Berceur, grand flot roulant dont l’azur berce et noie
Et ces lents, profonds et discrets déchirements
Plus divinement caressants que toute joie
HIERS BLEUS
64
I-’tLiL temme, tu es feounc, intensément
!etnme! puisque si Huide.
Siuttra-stcHaireetnitidc
Que soit ton être éclos d’un bleu ravissement
Tu sais les torturer, les inquiets poètes,
Voyants inassouvis bornés de vision,
Du demi-bonheur de ta présence imparfaite
En instillant en eux la persuasion
Que, seule, tu connais le parfum de leurs songes
Ht !e regard toujours vainement imptorë
Plein d’Eternel après trop de si courts mensonges
Et tout le « Voité nostatgiquement pleuré
EINSAMER WANDERER
(D’EDWARD GRtEG)
Pour B. Coulenibier.
La monotonie
Des longs versants roux
M’oppresse avec le désir fou
D’un « ailleurs » d’une molle grâce indéfinie.
Un oiseau fauve et cendré
Comme le chemin brûlant et pâle
M’accompagne entre les rigidités spectrales
Des grands pins noirâtres altérés.
De loin en loin il plonge avec un sifflement de joie
Entre les rochers bleus d’une source tarie,
Puis de nouveau sa soif lugubre crie
Comme mon désir clame au fond de moi.
HIERS BLEUS
66
Et si haut d’un azur charmant, -presque liquide.
Visé de loin par les ultimes flèches végétales,
Raille le glacier au sourire de cristal,
Le barbare, l’énorme gemme translucide.
L’Eté du Nord plein de sourds avertissements
Me ravage de sa violence triste,
Et je vais, cheminant si lentement 1
Vers cette reculante vallée où persiste
Une fumée en fil d’opale dans le Vert,
Rassurante comme une voile sur la Mer 1
t
Je pleure en frère sur la saison Unissante
Devant moi rien qu’automne et qu’hibernale nuit
Dès que s’arrêtera, dans quel recoin d’oubli ?
Ma solitaire, ma débile force errante.
t
Si j’approche, ce soir, du sauvage foyer
Vers lequel un espoir lamentable me porte
Quelque belle it!!c viendra m’ouvrir ta porte,
beHc. du la beauté du roc et du hallier,
Qui scrutera d’un regard âpre ma détresse
ht s’indignerait de savoir qu’un seul instant
J’aie pu faire en des jours défunts, presque récents,
Un des yeux ingénus Heurir de la tendresse
ETRES FAMILIERS
Pour A. PttWM<<
D’autres sont nos fiers inspirateurs
Et les guides impérieux de notre vie
Parfois nous les voyons flotter, dans les hauteurs
Ouraniennes comme tièdement ravies
D’être inaccessibles et bleues
Parfois, plus rapprochés et peut-être abordables,
Ils glissent en des paysages vaporeux
Qu’ils nimbent d’une beauté presque redoutable
Mais toujours, semble-t-il, fuyants, aériens,
Ils nous oublient bientôt dans le Réel mélancolique.
Sans rien qui dise leur divin sillage, rien
Que la tristesse des grands horizons nostalgiques,
Mais Ff rarement nous délaissent
Ils guettent nos joies et nos angoisses,
Font plus pcnctrant ce qui nous caresse
Lt vetoutent ce qui nous froisse.
HIERS BLEUS
S’ils nous abandonnent, rebutés,
Et retournent pour un long siècle d’une heure
Vers leur excelse et florale demeure
Toute de parfums, d’harmonieuses clartés
Fines et légères,
Où nos songes d’enfants nous menèrent,
En un ciel d’une si grisante volupté
Qu’il semble un cœur de jacinthe pâle
D’une roseur imperceptiblement bleutée,
Tout revêt pour nous une teinte fatale
<
Le monde entier sous les nuages effrayants
Qui roulent de livides horreurs chaotiques
N’est plus qu’un HeU d’expiations tragiques
Où nous peinons, faibles et grelottants,
Sous la A/<’M informuiabte et trop comprise.
w
Mais dès que nous refrôle leur protection,
Comme un duvet de grèbe qui serait rayon,
I! nous parait que toute notre âme s’irise.
<
Eux ne se montrent pas Nos cœurs les voient;
Comment nier et comment douter
HIERS BLEUS
69
Alors que devant un absolu de Beauté,
Quand notre pouvoir d’admiration se noie,
Nous sentons, confondus, muets, presqu’hébétés,
Qu’un autre pour nous et en nous pleure de joie ? i’
RADE NOCTURNE
.PfMr 2:’W!/<’ V/tM.
Ces maisons louches, ces quais verdis. ces ruelles
Qui s’ouvrent, plus sauvages que d ,ois hantés
Dans la muraille de briques obséc ite,
Où les fenêtres font vivre des yeux cruels
D’une malice bestiale,
Ou si tristes, le soir, avec leurs regards de cuivre pâte,
iout cela m’a tant fasciné quoi que j’en aie,
De ma colline sur l’autre bord de la baie,
Entre les fûts grêles des mâtures,
Que j’en viens, non plus à me figurer,
.s à voir, à sentir, à < vivre en double
atgrë la distance et les tulles troubles
Miroitants sur l’opale verdie ou la cendre violâtre
De la nappe morne où sommeillent des frissons houleux,
Toute la vie étrangement brutale et âpre
Qui grouille en la ville sourdement tempétueuse.
Même, il n’est plus pour moi d’opacité
La nuit, derrière les bastions et les tours,
A travers les bancs de masures concrétées,
Je découvre au fond des arrière-cours
Que la houille a comme polies
Le flux noir et pressé des « Sorties
…La porte souffle un rougeoiement
Fervide et âcre de l’enfer de braise
Dont s’empourprent splendidement
Les perles de ! a bruine traîtresse
Ou s’enfoncent les corps déietés par la toux,
La féroce, l’atroce toux aux rauquements fous,
Plus navrante qu’un sanglot d’enfant qu’on maltraite.
Qui râle et tinte et râle dans le faubourg sépulcral.
Là sont les taudis puants de musc où s’apprêtent
De pauvres vieilles au teint caricatural
Fleuri de brique tendre et neigeux de céruse
Les yeux pleins d’un gros sommeil puéril,
Plus loin, dans les venelles confuses
Et ténébreuses, les chenils
Humides, empestés, où s’atrophient
De petits êtres nus, grelottants, qu’horrifient
Les glaçants sifflets brefs, les rêches frôlements
Des rôdeurs le long des murs friables
Ou les pas lourds des argousins plus redoutables…
7 HtERS BLEUS
Ht se personnifient, )ugubrement
Planantes au-dessus des bouges, des sentines
Et des scintillantes otficines
Ou se transmuent en or les sousvert-de-griscs
Extorqués à des méfiances besogneuses,
Les malédictions dispersées
Et les muettes haines peureuses
Qui montent de ces !ieuxd’a))uminatiun
Lupanar’ prisons, casernes, hospices.
Combien d’ailes noires battent à l’horizon.
Combien d’anreuses bouches noires hurlent et crissent
Tandis que des renets d’or et de sang
Dansent sur la rade aux vagues de sanic.
Et sur le voilier qui s’en vient, lissant
Si lentement, au creux des values appesanties,
Pour t’homme du bossoir fiévreux, troublé
Par t’approche sourdennt révélée
De la Grande Terre espérée et menante,
Surgit une )lur;)ison d’étoiles rassurantes
Les vils qninquets ont des feux roses. print:)niers,
Qui lui mettent un Avritsensue) d:tns)’.nne:
Les (.tihtcs rumeurs de iavn)c qui hr:))))e
Répondent, tendres et fauntiëres
HIERS BLEUS
73
A des musiques renaissantes en lui.
Plus d’un sentiment regretté sépanouit
Tout nouveau mais si reconnaissable
En son être qui se réveille des lointains.
<
< <
0 vieille ville appelée en songe et secourab)e
Aux désirs épars sur le désert marin,
Qui vas tendre tes coupes banales
Mais pleines d’énorme et de riche illusion
Aux errants assoiffés par les privations
Et le mirage des Sybaris tropicales,
Qui feras, pour leurs exigences de na)ts
Flamboyer ton luxe de parodie
Et combleras leurs vœux insanes, excessifs
De ninivite luxure et d’ardente poésie
En leur livrant tes étranges filles dont les yeux
Finissent par répéter le brûlant mystère
Des profonds cieux du Sud ou montèrent ces vœux.
<t
<
Ville infâme, despotique et meurtrière,
Bagne, dépotoir et charnier,
Parfois je suis tenté de t’aimer
Squalide sur ta pestilentielle grève,
Toi qui veux assouvir les misérahtes rcvcs
Des parias mégalomanes de la Mer 1
PHRASES
Pour C.tM/ZoK<M Brisset.
Des phrases de ce Chopin que l’on oublie,
Qu’on admire mal ou qu’on mëconna!t.
De ce « pianiste rien que pianiste halluciné
Qui sut tout l’Occulte de !a Poésie
De cet < acrobate de cet < ignare »
De ce < brouillon follement compliqué
Dont tels équarrisseurs ont, malchance plus rare
Reconnu le « côTÈ DISTINGUÉ ».
<
<
Du précieux trouveur de plaintes stellaires,
De ravissements pleurants de sylphes des nuits,
De cris d’amour navré sous la lune froide et claire,
De chants de ténébreuses tendresses qui errent
Frôlant les ondoiements de luisants feuillages bleuis,
Du sensitif remueur d’âmes soufirantes
Dont !’ame, seule entre celles que la douleur
Fit magiquement voyantes,
Sut pénétrer la trouble profondeur
H!BRS BLBUS 75 S
D’émotions délicieusement démentes,
Cruelles et paroxystes
Adoration haineuse et désespoir aimé,
Glorieux orgueil de la ûdéhté qui persiste
Dans un cœur au gouffre d’abandon abîmé,
Enthousiasme de la passion triste.
Des phrases lentes et douces qu’un cri déchire,
De fuyantes, sibyllines comme un soupir,
De furieuses où passent les torrents
Infernaux des Transes,
Et qui s’éparpillent en cascatelles
Perlées où se pulvérise l’arc-en.ciel,
Et de mornes, dormantes, à funèbres moires
Où luisent comme des rayons qui seraient noirs
<
Combien me ratteignent et m’enveloppent, de ces phrases,
Métamorphosant les apparences qui m’entourent,
(Et l’Invisible famiiier s’effare
Aux nuances d’émois insoupçonnés qui sourdent)
<
w
Des paysages d’une mélancolie inconnue
S’évoquent sous des cieux d’un orient de pâle nacre
Miroitantes rien que de gris pâles où flue
Non du soleil mais la froideur d’un lointain astre
76
HIERS BLEUS
Des végétations confuses
Se tordent au vent glacial qui s’éternise
Blancheurs mornes d’étranges demeures apparues,
Déesses de marbre à demi brisées,
S’érigent comme des phares sortant des brumes
Et l’on sent que dès souffrances si poignantes,
Si mystérieuses à jamais tues,
Ont ravagé des âmes, là stagnantes,
Qu’il n’est plus de vie et de pleurs qu’en les statues.
Par le long crépuscule bleu de juin finissant,
Sur l’eau du bassin mollement plissée
De roulants sillages dont l’argent va pâlissant,
Des cygnes noirs glissent comme des pensées
En le miroir oscillant que brouille
Leur calme essor d’une insensible houle
Des fleurs, des feuillages et des monstres de bronze
Surgissent et replongent comme des songes.
Un souffle d’une fraîcheur sidérale.
Et dans la glace fluide brusquement claire
Apparaît, charmeusement spectrale,
Une forme qu’on dirait la florale
Expression d’une tristesse de lumière,
Une forme dont les grands yeux de femme
D’une désolation comme pâmée
HKM BMUS 1
Veulent capter ce qui demeure
D’un cher passé dans la solitude fleurie.
Une musique d’une douceur véhémente
Qui se lamente sous les transparences
Semble violenter la masse hyaline qui frissonne
Pour qu’elle s’entr’ouvre et désemprisonne.
Mais déjà quelque force irrésistible
Et féroce fait trembler pâles et blondes lignes
Qui se diluent en le sombre bleu paisible
Sous le glissement indifférent des cygnes.
<
< <
En la nuit de crêpe verdâtre
Ardente des parfums de corolles tragiques
Irritants comme des souffles de solfatares,
Aux hululements bas des striges,
Sous la menace poursuivante des lamies,
Une âme appelle douloureusement une âme,
Et plane sur d’interminables régions inconnues,
Des Océans et de longues îles
Aucune voix ne lui répond, aucune 1
Et brusquement c’est la douce plage encore embellie
Après les vains cris dans le vide énorme,
La plage où l’âme que ses tortures implorent
L’évoque elle-même. l’Envolée,
Peut-être frissonnante aux rayons d’une étoile.
HtEM BMM
7
Mais la Terrestre, en sa pure incantation
Dont les froides splendeurs blanches s’émotionnent,
En l’exaltation de sublimes regrets
Ne connaît plus l’effleurement qui la caresse 1
T!NERFENA
Pour TtO tW M/&
Sous le volet mobile d’un vert cruel
Dont rougit la rousseur de cuivre de ta main fine,
Avec ce long madras orange, rubis et bleu-ciel
Qui darde une pointe gaillarde,
Tu sembles un oiseau de l’Afrique voisine
Abrité sous des frondaisons criardes,
Mais l’éclat morne de tes yeux dormants,
Deux topazes sombres constellées
D’ors pâles, comme lointains et mouvants,
Dit la résignation inconsolée
Tu ne connais rien que ta petite rue
Où battent doucement les stores écrus,
Mi-claire, mi-ombreuse, aux murs roses et ambrés
Où luit non la grande flamme qui caresse
80 HIERS BLEUS
Les dattiers cambrés et les tamarix
Mais le reflet dansant de l’eau solaire.
<
Les Sierras peuvent onduler dans la lumière,
Les pics d’albe perle ou d’onyx
Jaillir, crevant le ciel et menaçant un monde,
Tu ne vois que la pente rude aux pavés blancs
Qui te cache les fortins branlants
Et les cactus de l’aride colline blonde.
w w
De la Nature, du grand Vert farouche et nourricier,
De sa ruisselante gloire et de ses plaintes,
Tu sais les luisances vertes d’un bananier
Dans le patio sombre et frais où l’eau tinte.
<
w
A l’enrayant effort humain vers l’Or maudit
Qui mêle ces villes de fer nomades
Et le sel de tous les océans dans la rade,
Tu gagnas quelques jurons marins affadis
Par l’ignorance de leur hideur soupçonnée,
De vagues, de fugitives monnaies,
Ces portraits qui meurent dans un brouillard
Et de neuves superstitions qui te hantent
Au noir des nuits, quand des monstres de cauchemar
HtBM BUUS 8t
Brutaux et prompts aux cent prunelles rougeoyantes
Se ruent, là-bas, au ras des maisons,
Hurlant sinistrement sur l’eau d’Erèbe.
<
Tu flottes au fil des monotones saisons
Sans que jamais t’enlève un rêve,
Plutôt craintive de l’angoisse du Nouveau,
Sans même envier à d’autres leurs joies
Quand passent avec leurs novios
Les Senoritas froufroutantes de soie,
Dont le rire blanc chatoie et dont l’œit se noie,
Ton sourire un peu machinal se nuance
D’admirative compassion,
Car elle dit l’attiédissante < expérience
Que le bonheur est le néant d’impression,
Le repos neutre, sans sounrance.
<
<
Tu vis en tout au seuil de l’Inconnu,
D’une existence passive et repliée
Qu’absorbent des soucis menus,
Sans connaître, même de nom,
L’énorme terre âpre, sauvage, incendiée,
Proche sous l’anneau de béryl de l’horizon,
La libre terre d’errance vaste où se jouent
De grands drames féroces et mystérieux,
Le Sahara dont le vent sec brûle ta joue,
Dont la tristesse d’or fauve couve en tes yeux.
6’
BIADJAWS
Po«r G. PeM.
Dans l’immense vide lumineux
A des semaines des rades connues,
Le voilier envolé dans le bleu,
Eblouissant, comme brumeux
De blancheurs vibrantes et tendues,
Turgides cumulus au fil du vent.
Croise un praw lentement dérivant
Comme abandonné, qui roule
Bord sur bord en un chatoyant sommeil,
Sur le cristal croulant de la haute houle
Toute diaphane de soleil
Déjà l’étrange coque oscillante,
Les balanciers en pattes de faucheux,
Les voiles de natte rousse ballantes,
Mous vampires de contes chinois fabuleux
Se bercent loin derrière le sillage;
Mais dans la rapide glissée ont défilé
H!BM BLEUS
83
Le pont déclive, les crêtes sauvages
Des roofs de bambous dépenaillés
Et parmi les agrès fantastiques
Une jonchée inerte de corps mordorés
Anublés de loques prismatiques,
Songe et somnolence vautrés.
w
<
Et perché sur un balancier comme une mouche
Sur une herbe frêle un mousse veilleur,
De ses prunelles de laque farouches,
Miroitantes suit avec un dédain rêveur
L’essor hâtif de la blanche fuite.
<
<
Quand la mer va chanter en bouillonnant
En fripant ses tulles boullants, vite, vite,
Au grand frais de l’heure violette,
L’airain profond d’un gong bourdonnant
Chassera les molles visions quiètes,
Souffles nacrés des Sirènes indiennes
Les voiles qui ûottaient comme aux courants,
Des chevelures, s’enfleront d’aériennes
Vélocités, de vouloirs impulsifs grondants
Et tout secoué d’une vie exaspérée,
Sous les dragons de pourpre lancés dans le ciel,
Le praw biadjaw aux sursauts des vagues cabrées,
Fouetté d’embruns, poudré d’améthystes de sel,
Bondira vers quelque baie ignorée,
HiMS BLEUS
84
Calme gemme qu’un atoll de corail sertit,
Derrière les brisants fumants d’écume,
Ou mince lame hyaline qui se blottit
Sous les nipas mirant leurs gros bouquets de plumes.
w
Ils voguent ainsi, les Biadjaws errants,
Peuplade éparpillée au creux des lames vertes,
Des ports silencieux et transparents
Celés par les droits murs décevants
Des côtes barbares ou désertes,
Des arcanes que la gangue des rocs étreint
Aux grands mystères libres qui s’épandent
En les deux gouffres clairs de l’Espace Marin,
Ils voguent, frôleurs d’irréel et de légende.
<
w
Seuls des hommes, en des parages innommés
Ils ont reHété dans leurs yeux les splendeurs neuves
De forêts pdradisiaques près de fleuves
Où nul sillage n’avait jamais
Troublé le clair sommeil des images plongeantes.
<
Ailleurs en de ténébreuses sentes,
Tandis que fuyaient en hurlant d’ellroi,
Au hasard dans les brousses confuses,
Semant les traits empoisonnés de leurs carquois,
HtMS BLIUS
85
Les petits guerriers noirs, agiles et sournois,
Chevelus ainsi que Méduse,
N’ont-ils pas entrevu, sous les rideaux flottants
Des lianes et des verdures,
Les milliers d’yeux flambants, inquiets, clignotants,
D’une autre humanité plus vague et plus obscure,
Comme honteuse hispide qui cherche un abri
Aux cimes tremblantes des futaies
Et dont l’idiome rauque et grinçant est compris
Par les femmes des peuples nains épouvantées.
Et las des aveux toujours renaissants
Des terres vierges aux parfums d’autres planètes,
Saoulés du merveilleux naïf qu’ils vont puisant
Aux sylves des lys bleus et des coupeurs de têtes,
Ils aspirent au grand calme vide, apaisant.
A la suspension de vie en plein azur,
Trafiquants ? -on l’a dit pirates ? C’est plus sûr
Peut-être absurdement poètes ?
ORGUEIL
Pour LCMt’DAtMO.
Dans la cour doucement monastique
Où monte des jasmins et des rosiers blancs
Une albe lueur ûorate et mystique
Comme un tulle de claire brume tremblant,
Argentant le profond cristal bleu céleste,
Tu songes et ton front semble nimbé,
Et l’abandon fervent de ton geste
T’offre, martyre, au supplice rêvé.
<
Pour toi, des cieux s’entr’ouvrent et sourient.
.Sens-tu cueillir ton âme– tendrement
A ta forme pâle, endolorie ?
w
Tu vas monter, dans un tiède enveloppement,
Vers la lueur Horale et candide.
<
< w
HIERS BLEUS 87
T’élèveras-tu sur un nuage nacre ?
Sur les ailes de colombes nitides
Dont le vol soyeux, câtinement serré,
Répandra dans la cour mélancolieuse
Une neige de molles plumes duveteuses ?
Viendront-ils des ultimes Hauteurs,
De ces fonds d’or où Dit la Lumière,
Te prendre, fraternels, tout en pleurs,
Les beaux êtres de mystère
Ai!ës de rayons flavescents
Et caressants ? ir
<
<
Non Ton rêve plus hautain ne t’allie
Nul secours de l’au-delà
Tu ne veux pas être la neur cuei!iie
Mais celle que nul effleurement n’effeuilla.
w <
Qui s’e!ève droite et seule et fière,
Qui, d’elle-même, sur-sa tige, atteint !à.haut
Le calme embaumé du chryséen sanctuaire,
Non pas blanche comme tes rosiers virginaux,
Plus pure encore
Du rosé naissant de ton âme d’aurore.
EGLISE DES BOIS
Pour G. <W.
Seule dans la blondeur verte des feuilles
Neuves, gardant encor l’empreinte des baisers
D’ambre pale des jeunes Soleils
Amène, sous un veloutis de fleurs pressées,
Tapie en l’étreinte des collines, si bien seule 1
L’église entr’ouvre sa porte aux frissons de Mai.
Ils glissent leur magique et rosé myrrhe
Où l’encens bleuâtre a fumé,
Passent, accentuant les placides sourires
Nivéens des saints de plâtre songeurs,
Irisent la douceur terne qui flue
Au travers des vitraux nuageux
Et tout craintivement insufflent
Aux noires orgues vibrant tout bas
La délirante émotion éparse aux bois.
HtBM BUtUS
j9
Sur l’autel, les pauvres ors de miracle
S’étoilent, tremblent des clartés adorables
De rayons, on dirait de bonté.
Dehors, unis en longs flottements perlés
Et comme teints aux cœurs de jacinthes et d’azalées,
Des vols allègres s’échappent, sinuent et montent,
Portant plus d’indicible aux sentes ieuillues
Dans la pénombre exquise recueillies,
Aux flancs des collines fuuinutes d pjifd’ns.
Et je comprends, tandis que s’allument
Au ciel qui semble se rapprocher peu à peu
Les vitraux du soir peints de suaves trophées
Souriants dans la pourpre en feu,
Que la petite église exauça quelque vœu
D’implorantes âmes de fées.
D’APRÈS SCHUMANN
PMf C/<M M<W
Maison blanche, maison pâte
Où sonnaient, tristes, tes voix,
Je ne sais plus où bleuit ta vallée
Comme éternellement automnale,
Mais ta pâleur vécut en moi.
Toutes tes poétisées
Qui m’ont souri sans tendresse
Ont encadré dans tes croisées
Leurs fiertés ou leurs morbidesses
Toutes, sous le portique ou !a brise pleure.
Ont eMeuré du parfum de leurs cheveux
Tes flottantes glycines frôteuses
HIERS BLBM
9’
Et leurs yeux barbares et doux,
De regards dont les gemmes se veloutent,
Enrichirent tes reflets précieux que roule
Le torrent fastueux qui se calme en rivière.
Tes chambres où rêve une lumière
Mélancolique d’aigue-marine
Gardent la trémeur de l’accent
Prédestine, charmeusement chagrin
De leurs spleens comme crépusculaires qui chantent
Les étoffes aux tons agonisants,
La tiédeur suave et satinée
De leurs mains distraitement câlines
Et tes meubles bas d’un rythme de paresse
Harmonieusement assouplis,
La courbe de leurs poses lassées.
<
Et je sens qu’un dernier lien se brise
Entre mon vouloir tache et mes espoirs vieillis,
Puisque jamais plus à la caresse grise
Des heures tardives
HtMS BMM
9
Je ne m’envole en esprit
Vers les beaux pays troubles qu’on veut illusoires,
Vers le consolant monde fraternel
Baigné par l’au.dela des miroirs,
Où pour d’autres, éternellement vespérale,
En l’ondoiement berceur des futaies,
Maison blanche, maison pale,
Tu vacilles encore au torrent qui s’apaise.
ANDALUCIA
Pour FwtM MeMtttf.
< On dit que tes âmes ne meurent pas
Ay Pepa Je sens que la mienne se consume
Au feu dévorant de tes yeux, Pepa 1
Tes yeux, la fête sacrilège qui s’allume
Dans l’Enfer dont pâtissent les brasiers
Car je tremble que me navre moins la brûlure
Et que se meure, après m’avoiT extasié.
Mon effroyable et délicieuse torture. »
a a 0 0 0 0 0 0 6 a 0 0 0 0 0 0 0
< Angela, je pourrais être oublieux
De l’ange qui m’arracherait a ma misère
Et m’ouvrirait le seuil d’or bleu
Des adorables Songes Vrais dans la Lumière
Mais pour l’Eternité, -.pile ange dédaigneux,
94 HIERS BLEUS
Je bénirai, si férocement que je souffre,
Ta petite main qui me jette au gouffre
<
< w
« Oh mon désespoir, mon hurlant délire
Vous touchent, pics terrifiants et rocs d’horreur,
Puisque votre désolation me déchire
Si fraternellement le cœur,
Depuis qu’Elvira, dure et froide Elvire!
Dont l’image meublait ce cœur comme un palais,
Est morte alors qu’elle voulait
Pour la première lois me sourire
<
w
Les Andalouses, de leurs yeux de nuit stellaire,
Du saphir des abîmes ou de soleil roux,
Couvent le < mùsico » hâve et patibulaire
Des ondes glissent du satin bis de leurs cous
A leurs courtes mains brunes et nerveuses
Elles hanchent tout doucement au rythme lent,
Tressaillantes aux notes caverneuses;
Et :e chanteur, nez à l’évent,
Œil de neige, front aux nuages,
Gronde ses invocations sauvages,
Ou paupière frisante et mâchoire en avant,
Guette, vaniteux, la houle des corsages,
HIMS BLEUS ç
Les battements des longs cils jatoux,
Ce qui passera de ses ardeurs machinales
Dans les âmes violentes et banales
<
.On le < boit homme, accords et glouglous,
Et plus d’une se prend à se rêver fatale.
Lui, déjà héros, songe, anxieux,
A bengaliser le prestige qui le pare
D’un < finale follement audacieux
Hululements, feux d’artifice de guitare
<
<
Et fffff. la brise qui rôdait sournoisement
Apporte la fraîcheur de plates-bandes proches,
Vive, émoustillante, embaumant
Le jasmin et la < senora de medianoche
Qui se mêle sous les dracœnas du /<o
A la grisante âcreté des cigarrillos.
.Les belles, vite descendues
De mélodramatiques firmaments,
Sentent, après les transes indues,
Des frissons vrais parcourir leurs moelles
HÏBM BLIUS
« Qu’il ferait bon aimer simplement, bêtement,
Dans les sombres jardins entrenacrés d’étoiles s
<
< w
Et les éventails, d’un battement sec,
(Foin des guitares et des grimaces pâmées !)
Chassent l’émotion factice avec
Les papillons bleus de la fumée.
à
6
HORTELANO AFICIONADO
Pour /0f 3<<tr<Mt.
Parcelles des splendeurs irisées,
Ils tournoyèrent dans les rayons
Et de l’horizon bleu à l’horizon d’or blond
Ils eurent des ailes de brise
Puis ils furent l’encens des nefs de la forêt,
La manne des champs et des prairies,
Ces germes de parfums et de vie,
Ces reflets de mondes espérés.
Et les voici, joyaux sertis de murs de pierre,
OMMM/ l’exaspérante vénusté
Des jardins somptueux eYotgau-es,
Essors captés,
Beauté prisonnière! j
HIMS BLEUS
98
Et s’insinuant dans la tiédeur âcre
Des salles aux brumes bleuâtres,
Leurs émanations d’espaces divins,
Révélatrices de hautes et calmes tendresses,
Corrigent les fumets lourds des chairs et des vins,
Adjuvant le pouvoir digestif des londrès
<
t W
Choses pour les promeneurs graves
Qui les critiquent distraitement
Leur terre mesurée, esclaves
Des symétries et des alignements,
Les fleurs et les verdures qu’oppriment
Les AorMM combatifs
Ont des airs de belles victimes
Et leur grâce passive est plaintive.
w
<
Aussi, quand paraît celui-là
Qui sait leur âme et leur tristesse
Et l’infini d’extatique liesse
Où leur bruine solaire vola,
Dont l’apitoiement est sincère
Et se méle d’un peu d’amour,
Qui leur parle doucement, en mystère,
Les interroge, vient à leur secours,
Au fait de leurs délicates souffrances,
HttM BKM 9
Met une caresse dans chaque soin
Et comprend tout de leur magique essence,
Les plantes et les corolles, de loin,
Semblent l’enlacer de suaves liens,
L’attirer, puissantes et câlines
Et trouver une balsamique voix
Que lui seul devine,
Plein d’une rêveuse joie
« Pour toi qui t’es si fraternellement penché
Sur de nostalgiques misères,
Nos haleines vont tisser un voile léger
Diaprant la laideur des proses journalières
Des fluides gemmes d’illusion
Que renète l’aile d’un papillon
Et puisque l’amour est échange,
Ton âme sera faite de nos âmes
Et pareille à ces grands offensés qui se vengent
En ignorant et l’infamie et les infâmes,
Aux jours trop éclatants d’abomination
Elle s’élancera vers les clartés profondes
Vers les zones de beauté, par delà les mondes,
Où les hauts faits humains n’ont plus de nom,
Vers l’enchantement des aurores de miracle
Roses des bonheurs que l’on croit défunts
Montant toujours plus ample sans obstacles
Comme s’épandent les libres parfums.
COURANTS ANTILLAIS
Pour Louis tM-VcM.
!1 me semble qu’une musique passe en moi,
Une musique de mélancolie et de désir,
Qui dirait le trouble doux qu’éveille un sourire
Ou l’ineffable tremblement de tendres voix,
<
w t
On croirait que ces eaux plus profondément bleues,
Plus vivantes que l’azur froid du large,
Plus lourdes avec ces gemmes qui les chargent,
Rapprochent de leur glissement lent les pays bleus
Qui sourient là-bas à des centaines de lieues,
w
Et répercutent musicalement les voix troublantes
Dont tinta leur diaphanéité céleste
Qui depuis lors chante
HtBM’BLBUS
!0t
6’
Et toutes les formes reflétées
Dans le mouvant miroir chatoyant de soleil
S’évoquent, pour moi, ressuscitées,
Comme si des ondes toujours pareilles
De passe flottaient vers ma contemplation.
0 les rires blancs des cases des mornes
En la fragrante nuit des végétations,
La houle molle des cocotiers sur les accores,
La rythmique floraison,
Dans la brise, des madras multicolores
Sur les tiges des beaux corps balancés 1
<
t
Et les formes et les couleurs
Ne voguent pas seules au devant de ma pensée
Le fleuve de saphir roulant la vie en sa tiédeur
Victorieuse des colères de l’abîme
Parait dégager l’atmosphère merveilleuse,
Comme plus jeune et tyranniquement berceuse
Où les rêves de là-bas sourdent et s’animent,
Impatients d’absorber l’être,
De charmer jusqu’à l’obsession,
Où la bonté de la Création
S’épand comme un parlant bien-être,
0 la caresse des rayons
Se mirant dans les sourires des grands yeux sombres 1
HUM BLEUS
<09
Mais voici que tes flots de joyaux qui se souviennent
Scintillent plus pâles et s’éteignent
Dans le frisson nocturne qui tombe.
<*
< <
Et tandis que les montagnes de l’Océan,
On dirait plus qu’au jour hautes et menaçantes,
Si noires entre leurs éclairs phosphorescents,
Semblent se bousculer, croulantes et géantes
Pour étreindre plus sauvagement l’île atlante,
Je suis en esprit le courant magicien
Vers les plages du Nord vertes et grises
Où les pêcheurs guetteront au matin,
Sous le deuil flagellant des bises,
Le flux teinté d’un souvenir de ciel lointain.
<
< w
Je pense au mousse crochant le filin givreux
De ses mains violâtres et gonnées,
Au mousse qui <t prenant sa première envolée
Loin du bon foyer saur d’être fumeux,
Se croit devant le ruissellement radieux
Le jouet de cruelles fées
w
«
Et que torturera, pour de longs jours maussades.
Aux affreux cris de faim des goëlands, —
Damnés livides tournoyants, —
Par l’horreur des forces glauques ameutées, —
Des havres de brume à l’Erèbe des rades
La hantise d’une impossible beauté.
D’APRÈS LONGUS
Pour Paul D’orlians.
Las des chuchotements voluptueux des fleurs
Nounoune et Louisy, boucles mêlées, mains unies,
Lui de bronze pâle, elle d’or bruni,
Sur la colline comme baignée de bonheur
Ecoutent le chant bleu des vagues amoureuses.
Ils ont appris en ce jour a demi prévu
Ce que peut faire un mot de la simple tendresse,
Comment leirôlement ami devient caresse,
Combien plus douce, le secret connu,
La joue aimée contre la joue
Et fervide la bouche aux roses-thé du cou.
Sous les palmes lourdes et la dentelle
Des clairs filaos les petits, leurs yeux noyés,
S’étonnent, avec une ironique pitié,
D’entendre, au fond des bois, pleurer les tourterelles.
RIVES DE BRUMES
P<W M«JHM</MM W.
Une lueur de Kriss terni
Serpente dans le désespoir des lentes plaines,
Sous les blancheurs des fumées lourdes qui s’uniuent
En suaire tendu par les bras noirs des chênes.
Des étoiles rousses vacillent et pleurent
De longs rayons brouillés
Aux carreaux vibrants de rumeurs et de heurts
D’infernales fabriques rouges isolées.
C’est le retour impitoyable du matin
Un bachot rampe en un remous d’étain
Les cloches n’enrouent plus la bise faible des collines.
Kate, vite chemine, halette et chemine
Sous la cape qui froisse tes frisons châtains
HtMS’BMUS
<o6
0 la source bleue en la combe rocheuse,
Sous tes cerisiers sauvages étoilés.
La lame grise se fait ample, sinueuse
Encore, plus fluide aux images tremblées,
Candeurs frêles qu’évoque un rêve des lys d’eau
Et voici, dans l’étreinte molle des coteaux,
Des intimités de verdure
Où fuse la nuée en veinules d’agathe,
Des cottages roses qu’on se figure
A demi éveillés sous l’abri délicat
Et moelleux des plantes grimpantes enroulées,
Tant semble doux et vague et trouble le regard
Comme lointain des vitres un rien embuées.
<
0 passante une longue seconde entrevue
Sous le jour de brume
Qui filtrait comme iatal en ce hall blafard,
Si pâle, avec un si tendre et navrant sourire,
Avec ces yeux voilés de pleurs anciens, ces yeux d’or brun
Qu’il serait exquisement cruel, à travers la brume
Légère de ces fenêtres, spleen d’un sourire,
De regardertous deux la mort des fleurs sans nous rien dire,
Possédant quelque vieux deuil très cher en commun 1
<
HIERS BLEUS
107
Cottages enfouis dans le repos vert,
Songes en des limbes d’opale,
Entre le réveil des géhennes matinales,
Dur et poignant comme le fer
Et le’cauchemar de ténèbres foisonnantes,
De confuse horreur, d’engouffrement noir!
<
Les steamers charbonneux, à l’ancre,
Se bousculent sur des bouillonnements de poix
Grondante
Le fleuve est un vomissement géant de nuit.
0 les milliers d’yeux des maisons de suie
Allumés sous l’immobile voile bistré,
Des maisons qui se tassent comme effarées,
Troupeau captif de quel tragique ennui ?
Yeux voyants d’un monde humainement invisible,
Guettant avec un affreux plaisir
Dans les bourbes tumultueuses s’engloutir
Les libres reflets des espaces libres.
Rhoda, sweet Rhoda, mon éblouissante amie
Aux cheveux de couchant vermeil,
Le vieux fleuve d’atre sanie,
Ce torrent de désespérance dont la vue
Fait rouler tous les Styx dans mon être éperdu,
Devrait s’épancher en des nappes de soleil,
HttM BMOS
to8
Plus chargé d’or que les étés morts dont on rêve,
Tant il entraîna dans ses tourbillons,
Vers les cloaques des grèves,
De pauvres toisons fulgurantes de rayons
7
CHANSONS TRISTES
Pour H. DHf<t/.
La rue herbue où chantent des enfants,
Avec ses murs plâtreux arqués par les rafales,
Ses toits disloqués et tombants
Désole sous le ciel jaune si pâle
Des seuils ouvrant sur une acre nuit de misère
Aux odeurs de fièvre et de mort,
Tels refrains prennent leur funèbre essor
Comme des oiseaux noirs d’un cimetière
Et planent sur le deuil automnal de la mer.
Dans les faubourgs tout hérisses de tours fumeuses
Comme des burgs de rêves possédés,
Où peinent les servitudes houleuses,
D’où semblent s’exhaler des râles excédés
En la grondante plainte des machines,
De lentes cantilènes que font plus chagrines
«O HIERS BLEUS
Ces fictions tendresse humaine, espoir, printemps,
Sourdent,p!us cruelles par instants,
Que la rumeurangoissante qu’elles dominent.
<
Et partout des tristesses chantent
Dans l’aridité farouche des plaines
Interminablement affligeantes
Ou bruit une haletante
Poussière deTourmis humaines,
<
Sur les grises fureurs de l’Océan,
Aux ras des vergues oscillantes qui secouent
Des grappes de corps ruisselants,
<
< <
Par les flots immobilisés des sables roux
Où vaguent les détresses nomades,
<
< <
En les taudis hantés des mornes visions
Dont s’agrandissent les yeux des enfants matades,
<
w
HtBM BLEUS
m
Dans tous les lieux d’abomination,
De vie atroce et d’épouvanté.
Couvrant les lamentations,
Partout des tristesses chantent.
Et ne sont-ils pas, ces chants qui font mal,
Dont notre inquiétude s’effare
Comme de rires en un caveau sépulcral
De hideux sanglots qui se parent ¡
RUE DES HAUTEURS
/M GoM r
Après le brumeux enfer ivre de clameurs,
Aux roulements de métalliques avalanches,
Le cauchemar apocalyptique où s’épanche
Un aux d’hommes et de bêtes comme en fureur,
La haute rue a la traîcheur des sentes blanches,
<
< w
Des sentes où fleurit le sourire des haies
Où le ciel libre de murs et de toits en deuil
Semb!e descendre caresser entre les feuilles
Un givre de candides étoiles tombées
<
<
D’un bois de plage où le soleil d’or vert
Filtre comme un rayon liquide entre les algues,
Jusqu’où volent parfois les diamants des vagues
Et dont le repos est plus intime et plus cher
Près des tonitruantes plaintes de la mer.
NOCTAMBULE
Pour G. Fer
Un tintement glacial de cuivre au noir des nuits
Un bond et l’on s’éveille en la rue hiémale,
Le< yeux encore pleins de glissées fantômales
Maintenant des degrés montent à l’infini
< 0
Dnns l’humide et l’opaque, en dantesques spirales
Et c’est l’horreur déjà funèbre des taudis,
Le fiévreux en dérive au loin qui hurle ou raie,
La Gnetteuse allongeant sa griffe sur le lit.
<
w w
Lors on livre le bon combat, tempes battantes,
Cœur serré, nerfs tendus, poitrine sursautante
Et plus tard on ira. sans trop d’étonnement,
Oublie, coudoyé sur la route suivie
Far des passants auxquels on a fait simplement
Ce don modeste d’un peu de sa propre vie.
RAMBLES
La bonne terre, la seule amie
Prête à nous répondre toujours
Sait varier, suivant le cours
Capricieux de nos mélancolies
Ses compatissantes physionomies.
Po«r .M"’ B. D«M/.
Quand, ingrats suiveurs de folles nébuleuses,
Nous retombons de factices firmaments
Nos ailes d’orgueil sanglantes et boueuses,
Plus troublés de sombre éblouissement
Que ces nappes d’eau, sous bois, où les feuillages
Font miroiter, tourbillonner au vent sauvage
Des papillons noirs et des papillons d’argent,
Plus eiïarés, plus écrasés de crainte
Que les reptiles loin des protectrices plantes,
Comme elle sait panser et calmer d’une étreinte
En nous reprenant dans ses sentes caressantes
Comme il tombe des fraîcheurs alertes
HtBM BLBUS
"5
De ses feuilles douces comme de verts regards
Une fraîche et douce consolation verte 1
w <
Si toutveules après les abandons,
Les dédains qui ploient et qui brisent
Et font que notre cœur lui-même se méprise,
Tout endoloris, tout indignes nous allons
Par cette vie, en mendiants qui abusent,
Nous souhaitant morts et tout gonflés d’excuses
Pour un monde où nous ne sommes plus rien,
Où partout notre présence est intruse,
Guetteurs et fuyards comme les vieux chiens,
Elle se fait si dolente, la bonne terre,
Si accablée avec une câlinerie
Discrète qui peu à peu se suggère,
(On dirait moelleusement) à nous
Et veut si fort notre peine guérie!
La bonne terre, la seule amie
Qui veuille de nous jusqu’au bout,
Si veuve en le charme penché des paysages,
Qu’il faut bien que notre deuil soit le même
Et qu’etle au moins la pauvre nous aime.
<
w w
Voici que nous tourmentent les images
D’un passé dont toute laideur s’entr’azure.
HtBRS BLBUS
n<
Dont toute âcreté a pris un goût exquis,
Dont les fantômes de parfums, même impurs,
Glissent en nous d’enivrants sanglots de délices
Et d’adorablement poignante douleur.
Tout st bien métamorphosé dans notre cœur
Que si l’enfui pouvait reprendre
Sa forme ancienne et sa coutumière saveur,
Nous gémirions de ne retrouver qu’une cendre
Et si froide et presque ironique
C’est alors que la bonne terre amie
Va faire flotter son voile magique
« Couleur du temps s couleur d’illusion bénie,
Sur les montagnes et les plaines et la mer.
Quelque horizon baigné de grave joie immense
Va s’ouvrir ainsi qu’une nouvelle existence
Insoupçonnée et plus familière qu’Hier,
Un monde avec des chemins d’âme inexplorés
Avec, pourtant, du regret apaisé dans l’air
Comme imprégné des tendresses pleurées.
HEURES D’EFFORT
PoMr F. Fry.
C’est un champ de neige blafard
Hideusement nu, sous un éclair métallique
Des neurs-fantômes de la brume en leurs calices
L’effleurent, se dissipant en fumeuses nacres.
w
< w
Des harpes chantent comme une eau bleue
Par les Juillets de saphir et d’ambre
Et voici que rugit et pleure
Un simoun de cendre.
<
<
L’être a forcé la prison des nuées
Et flotte en les houles aériennes
D’azur lacté de perle confuse
Le calme ouranien le baigne
Avec une caresse de tristesse.
"8 MtBM BLEUS
C’est comme un espoir languidement doux
De minces fils de rayons se tissent,
Brillent d’un or frêle qui se veloute.
<
w <
Mais le ciel s’émeut des vibrations
Qui s’approchent comme sournoises,
S’approchent et croissent
Et tonnent.
w
w
Et c’est la chute vertigineuse
Qui roule, tourne et roule des heures,
Comme au noir d’insondables barathres,
Tandis qu’en les ténèbres mortes, seules
Deux ailes de feu sombre battent, battent.
< <
Etroit gouffre, un puits guette des lueurs
Si lointaines, livides et troubles 1
Un puits lugubrement lisse et visqueux
Où l’on monte des genoux et des coudes
Sans jamais approcher du haut,
Sans que même jamais grossisse
Le disque où des blancheurs tremblotent.
< <
…Et tout le corps s’immobilise
De froide épouvante… un membre ploie,
Se tord, va céder comme sous un poids,
Va glisser, — tout doucement glisse.
VERS LA BONNE DEMENCE
e« /’<M«f.
Affalé sur Je bord du chemin
D’où l’on fuit à sa voix laide et fausse,
Le chanteur minable cherche en vain
Sur l’absurde mandoline dont on se gausse
Les accords d’azur et d’or tintants,
Azur grave, or de cristal solaire
Qui diront tous les matins exultants
A l’étroit dans son pauvre cœur vulgaire
w
<
Et les champs de roses sous la bonté bleue,
Et l’émail des golfes encadrant les toits,
Rousseurs lihcéessous la brise mollement vitreuse,
Les bercements de lumineuse douceur.
Les clairs luisants de ciel qui chatoient
Sur les fronts et sur l’ondulance des grandes plantes.
<
<
…O le retour frais du vieil amour confondu
Avec cette ivresse envahissante
Des roses — toujours neuve, toujours imprévue,
L’immortel « Jadis qui s’exhale
En tout le Divin épandu, —
O les chères mélancolies aurorales
Mais soudain la voix discordante qui clangore
Et l’invraisemblable mandore
Semblent triompher sans mesure et sans pitié…
Plus de bienfaisant sortilège qui tempère
Les stridences cruellement associées !
Et tandis que des vieux arbres noirs et des aires,
Les hulottes sinistres et les éperviers
S’envolent avec des cris de colère,
L’hurleur grimaçant un sourire attendri
Croit s’élever sur des ailes mélodieuses
Vers les océans aux houles d’astres, fleuris
De sillages nacrés de nébuleuses,
Où se gonflent les voiles heureuses.
PAYS NEUF
Pour S. D<MM<
Aborder pour la première fois
C’est un instant changer d’âme
L’espoir d’anormal charmant qui nous enflamma
Meurt des réalités sournoises
Et si le nouveau désenchanteur
Se renimbe plus tard de l’ancien rêve
Quand il devient le regretté, le cher« Ailleurs
Nos rancœurs de faux voyants bernés se soulèvent
Lorsque nous touchons l’inédite grève
<
<
Nous voici transformés pour nous-mêmes
En pauvres diables imprévus,
Prisonniers d’une terre ennemie
Qui referme ses quais, ses murs bourrus
Sur l’horizon libre où vaguaient nos songes.
<
HIERS 6LBM ’3
0 l’essor brutalement arrêté,
La nostalgique Cèvre qui nous ronge,
Le sentiment d’être guettés
Par un sol haineux que réjouit notre haine,
Qui domine, miroite et cerne de partout 1
<
Voici la rue emphatique et malsaine,
Banale jusqu’au dégoût,
Avec on ne sait quoi de sauvage,
De rude, qui serre !e cœur,
lt par des brèches dans ses laideurs,
Des ébauches de paysage
Où des éléments ressassés
Se groupent en visions inquiétantes
Sous le soleil brutal et mélancolisé,
Sans magie après l’attente.
<
Et nous allons, frôlant les passants
Dont l’ironie entre au fond de nos êtres,
Les passants apitoyés ou méprisants
Que nous envions de fouler en maîtres
Impavides et sûrs du but
Le terrain équivoque et traître,
Sans que rien de ce < toujours vu
Les touche d’une ombre de tristesse.
w
<
4 MïBM BLBU<
Des brises coulent de monts ignorés
Et nous imprègnent du trouble agreste
De cultures et de forêts
Sans doute à jamais pour nous mystérieuses ?
Ou peut-être de sites fraternels
Qui seuls guériraient nos trémeurs anxieuses.
<
w <
Et c’est le froid, l’ennui cruel
Qui nous empoigne et nous affale,
Des affligeants logis d’escale,
Des caveaux meublés entr’ouverts
« Aux croassements gais des foules
Des murs nus qu’illustre un pressentiment pervers
De tableaux d’affreux jours pareils qui se déroulent.
<
Où sonnent sous les horizons
Les rassurantes voix amies ?
0 qui sait? n’est-ce pas fini,
L’errance et l’espoir ? Si nous mourrions
Perdus là sur l’énormité du globe,
Dans l’air hostile, avec dans nos yeux
Implorants, pour images d’adieu,
Ces toits d’indifférents qui nous dérobent
Le rien demeuré familier dans le ciel bleu 1
<
w <
tHEM BLEUS
5
0 devenir une parcelle
De l’ingrat, du morne passé
De la terre inconnue et mortelle 1
La hanter pleins d’horreur, toujours chassés
Par les âmes qui l’aimèrent,
Et deviner par delà les brumes des mers,
Si prenantes et déchirantes
Et divines d’expression
Les tendresses vainement clâmantes
0 l’atroce besoin d’évasion
Et les murailles d’espace géantes 1
APPELS
PoMr G.-M. JOMMW.
Le soir est comme un parfum bleu
Qui s’insinue en la mollesse de la plaine
Où moururent les topazes des derniers feux
Des vapeurs rousses tournent comme des phalènes
Puis tout se fond dans l’immobile et sombre bleu
Où tintent les soupirs lourds et frais des fontaines.
Des mots chuchotés, les rares accords
D’une mandore qui s’endort
Accentuent le grand-silence déjà nocturne
Des terrasses planantes où s’enlacent
Des fleurs géantes ouvrant leurs délicieuses urnes,
Des mots angoissés, comme retenus
Où le mystère du chaud azur sombre passe,
De profonds accords brefs sans vibrations tus,
Comme disant l’impatience lasse.
MitM BLEUS
!a7
Une tiède et balsamique senteur
Exquisement subtile et qui étreint 1 cœur
Dénonce des présences de femmes;
Et l’on perçoit en la suave torpeur
On croirait un frissonnement d’âmes
Qui n’osent trop provoquer l’approche attendue
Et douloureusement charmeuse
Imminente en la fraicheur accrue
D’un souffle ou d’un essor d’aile silencieuse.
Alors toute mélancolique et divine,
S’exhalant de quelles florales grèves
Extra-terrestres et voisines ?
Une caresse aérienne en l’air de grèbe
Lentement, mollement, flotte et glisse.
Laissant comme un blanc sillage stellaire.
Et dans la pâleur lumineuse qui persiste
Voici qu’une vision s’éclaire
De beaux yeux tendres qui pleurèrent naguère,
De bouches au sourire cé!estement triste
Qui se pose et tremble et demeure à peine
Comme un papillon rouge sur des verveines.
JARDINS PERDUS
PoM- CAj/M 7eM
L’un me parut splendide et magique
Avec je ne sais quoi de grave sous les ondes
D’une lumière presque më!anco!ique
A force d’être intense, comme profonde
Et telle que je n’en revis jamais.
Tout. même les sentes ombreuses
S’y pénétrait du prodigieux
Sone azuré de la calme baie
Aux torpeurs divinement monotones
Où mon souvenir plonge et s’abandonne.
w
< w
Les grands oiseaux cruels des contes chinois
Innommés, inconnus, invisibles
HtEM BLEUS
t
Si lointainement soupçonnés par moi
7)<’M<M/ chanter sur les branches inaccessibles
Des poèmes aux musiques pensives,
Délicieux bien que pleins de trouble et sans joie.
Des roses d’un rose pour toujours disparu
Disaient la fraîcheur des matins d’âme
Et les gencts que les Midis nimbaient de flamme,
De halos d’or comme éperdus,
Chuchotaient ardemment par les chauds crépuscules
Des mots que, si petit, je ne devinais pas
Mais qui se prolongeaient tout bas
Dans mon cœur d’enfant grisé par les heures brunes
Où les parfums deviennent fous.
0 la vieille voix qui chantait je ne sais où,
Là-haut dans le mystère des chambres,
Regina Co?/t sur un air lent et doux
Qui se mêlait aux longs effluves d’ambre
0
Et dans l’exqutsité matinale,
Sur la terrasse blanche et mauve de pétales,
’3 HIERS BLEUS
Les bras aimés que je voyais se tendre,
Où je m’abritais, comprenant mieux
Sans bien le savoir, sous leur protection tcnJre
Le tiède enveloppement du ciel bleu.
Il
Sans trop de souillures de réel,
L’autre mêlait moins de vénusté plus gracile
A la mélancolie enivrante du ciel
Toujours voilé en des mousselines subtiles
Ou filtrant par les jours d’un lourd dôme d’acier.
<
w <
Mais ses fleurs brillaient comme les étoiles
D’un étrange firmament rénéchi.
Et par des jours de charmante brume d’opale
Ou de pâle soleil aux pelucheuses lèches
De mol argent à peine fauve.
Sortaient d’un calice en clochette, leur alcôve,
De sveltes et prismatiques fées
Qui, déployant à l’insensible brise
Leurs mignonnes ailes irisées,
Comme en impalpable cristal de Venise,
Voletaient gaiment tout près de mes yeux.
HIERS BLEUS ’3’
Et leurs yeux, à elles, moins malicieux
Qu’inviteurs aux vagabondes joies
Si menus et profonds et clairs
Où ondoie
Si doucement l’infini des reflets de l’air
Parlaient plus suavement que des voix
< w
< Nous savons une île en un lac immense
< Que ne contiendraient pas les cent volubilis
< Dont le sourire teint sa transparence,
< Une île chatoyante en pétale d’iris
< Où les pensera ont la couleur primavérale
< Du jour bluté par le tissu ûoral.
w
w
< Nous savons des collines blondes et saphir,
< Flottantes en les bois moutonneux des nuages
Où versent vraiment du bonheur que l’on aspire
< Des lilas blancs plus gros que les dômes du Tadj
< w
< Et des grottes de cristal aurore
« Où comblé on peut désirer encore.
<
< <
1’2 HIERS BLEUS
< Et des clairières d’un vert de lune de Juin
< Que fréquentent des ombres câlines
< Dont vaguement et chèrement tu te souviens. »
<
< <
Et les petites ailes cristallines
Fuyaient à quelque bruit vers la nuit smaragdine
De l’informe Dommderr, l’arbre magicien,
Comme, plus tard, elles m’abandonnèrent,
Pour me revenir mais après si longtemps
Quand vos mensonges les chassèrent,
Hideux bouquins pseudo-savants
Et trop sûrement imbéciles,
Qui m’instillâtes de vos proses délétères
Mon premier désespoir complet d’exil.
H!
Cetui-ci dormait dans Poterne! soir
Des marronniers penchés sur les parterres
Et des murs frémissants de lierre
Aux hnsances de sombres miroirs
<
HtERS BLEUS 133
On le sentait bien un cadre crépusculaire
De douce vieillesse souffrante,
Toute résignation et débonnaire
Aux empiètements des enfants et des plantes.
<
t
Tonnelle en ruine sous les capucines
Dans un vert trouble de haut fond marin,
Rideaux bleus enrangés des glycines,
Banc gagné par les hautes herbes, qui retins
Les demi-somnolences accablées,
Vous m’apprîtes la douloureuse quiétude,
Le rayonnement las des pensées
Captives d’une étroite destinée,
Les retours souriants aux jours plus rudes,
Aux jours aimés d’où émanent
De rares souvenirs de bonheur qui se fanent
Mais subsistent,
Exquisement, balsamiquement tristes;
Et la tendresse qui se fait espoir.
<
<
Dans ce nid d’âme si mollement recouvert
Les heures tombaient, lentes et légères,
Telles ces feuilles que l’on souffre de voir choir,
Du mince clocher dont la nèche noire
Guettait l’immense drame brumeux de la Mer.
<
W
’34 HIERS BLEUS
Et j’attendais du pénétrant silence,
De toute l’émotion comme repliée,
Quelque chose de poignant et d’intense,
De transfigurant comme une occulte science
Et d’adorable. et d’oublié 1
CRÉPUSCULE DE BANLIEUE
Pour H. t..
Avec des chocs sourds, des plaintes de chaînes,
Des cahots rythmés et des rauquements qui raient,
Le train rampe dans la grande plaine
Encore tièdement automnale,
Dans l’énorme plaine lilas
Qui s’assombrit comme de plus en plus dolente.
w
< w
Tout près passent des bosquets bas,
On dirait façonnes en tonnelles galantes,
Où demeurent des échos de lentes chansons
Et peut-être un parfum d’histoires d’amour tristes.
Lambeaux de laine, lambeaux de cœurs aux buissons.
Comme s’orchestrent sur les basses fantaisistes
Du fer profond, tintant et roulant,
D’étranges musiques presqu’ignorées.
Mais depuis toujours a bruit discret
En nous pleurantes.
M!BM M.MS
Et prisonniers d’une incomplète vie
Plus songeuse que l’on ne croit,
De grands arbres maussadement courtois,
Tout noirs sur les premières étoiles livides,
Géants bossus à panaches dansants
Et mornes dames aux vaniteuses coiffures
Soupirent, chuchotent, conjurent,
Echangeant de longs saluts frémissants.
Les bourgades un instant frôlées
Ne dégagent plus la fraîcheur de repos,
La langueur d’abandon comme consolée
Des villages d’heureux exil près des flots
Ou dans la moiteur fragrante des feuillées,
Sous l’aile délicieuse de la Nuit
Qui s’approche en veloutant les âmes.
Ici du drame s’éveille et bruit
Des appels lointains sifHent et brament
Et dans le grand mystère qui s’abat
Sur le décor factice et puéril,
Déjà volettent, prêts à s’ébattre,
Plus de rêves fiévreux que sur l’immense Ville.
tïïBM BLBUS
7
0 Trianons diminutifs
Assoupis le long des fuyantes avenues,
Derrière le pelotonnement des massifs
D’où, vers les limbes des reflets tardifs
S’évaporent des fantômes gris de statues,
Chalets suisses, un peu birmans, près de menhirs
De coquilles jouant la roche,
Vos murs fragiles faits pour sertir
Des existences de fantoches,
Pour sonner au soir bleu de rires aigrelets.
Etoufferont bien des longues plaintes furtives
Combien d’yeux taris et brûlés,
De ceux qui firent tragiquement expressives
Les vitres faiblement luisantes dans 1& noir,
Guetteront avec plus de haine que d’espoir
De vos tépides chambres quiètes
Le reflet brasillant des milliers d’yeux cruels
De la Ville qui se refuse à la conquête,
Chassant toujours plus loin vers l’effroyable Hell
Des renoncements pleins de fureur et d’envie
Ceux des vaincus meurtris qu’elle n’a pas gardés
Sous les spires de ses maëlstroms de sanie.
Et les sites peignés, émondés,
Par des jardiniers M
Ne sont plus pour moi tes médiocres oasis
Où nos maîtres, les vertueux banquistes,
tg HtBRS BLEUS
Oublient un moment les simouns de leurs soucis,
Mais la chaîne de récifs aigus, sous les brumes,
Où la Grande Terre, sans fracas,
Rejette avec les détritus et les écumes
De lugubres déchets humains vivants, hélas 1
CAUCHEMAR
Pour Lion f<w<e<t<tr.
En les vitres d’une eau verdie
Stagnante haut dans la paroi,
Des fronts durs et des yeux narquois,
Qui semblent flotter sur un gouÛre nocturne,
Evoquent les ébauches de vies
Des grands fonds troubles et taciturnes.
Un tronçon de campanile efHorescent
Aux ajours de ciel sans base ni faite
Oscille aux bonds de monstrueuse* cloches en tête
Ouvrant et fermant leurs gueules luisantes
Sans que ric:i s’éveille en la mort du silence.
Une cime rougeâtre, isolée,
Monte d< ns la nue aux blanches fumées envolées,
Houleuse d’un grouillement d’insectes gravides
Sous d’affreux éclairs de métaux livides;
HtERS BLEUS
to
Un ultime fil de branche frô’e un carreau
De ses merveilleuses feuilles inconnues
Où frémit l’étrangeté d’un monde nouveau
Qui roule, au loin, dans l’air libre, à perte de vue,
Le vert torrentueux de ses futaies
D’une redoutable et transportante beauté
Et cent nèches de mâts éblouissantes
On dirait teintes des chers soleils regrettés
Dont la parlante douceurnous hante
Comme les parfums morts et tes vieilles chansons,
Filent, filent en des fuites d’épouvante
Au-dessus des toits impassibles des maisons.
CANTILÈNE
J’aimeIemot:Mj’aimeIemot:M,)’aimelemot/r/
Ils me caressent, ils me bercent, ils me noient,
Ils me roulent dans une houle qui chatoie
Comme l’eau des lagunes de Venise, l’Irisée.
Ils miroitent comme les grottes marines
Troubles et claires, qu’un retlet du large baigne,
Où flottent, blondes, les flexueuses Néréides
Et les souples torsions des pales Sirènes.
Ils m’endorment comme une chanson lente
Dans le saphir des soirs diaphanes de l’Inde
Ils m’émeuvent comme une balsamique plainte
D’invisibles fleurs dans les arcanes des sentes.
Ah 1 surtout le doux mot bleu triste 1
Combien il se prolonge par les crépuscules,
Alors qu’est morte au ciel la dernière améthyste
Et que de pâles feux bleus tremblent dans la bruim.
Telles de frissonnantes et lointaines lucioles,
Vagues âmes qui s’éveillent, craintives,
Rien encore que promesses d’étoiles
H!ERS BLEUS
t49
Déjà s’évoquent, dans les bois et sur tes rives
Les fantômes plaintifs des amours malheureuses,
Des amours voluptueusement déchirantes,
Sues fatales d’avance et d’autant plus fougueuses 1
Et ceux des amours menacées, toujours errantes;
Et ceux des amours qui furent à peine,
Dont, à peine, de bleues vapeurs nacrées subsistent
Ne furent-elles pas les plus doucement tristes ?.
Tendresses pour des inconnues, recherches vaines.
0 tes longs et doux yeux bleus, d’un bleu gris si triste
VOGUER SEUL.
Pour G. B. M.
Voguer seul dans tout ce bleu qui semble si froid
0 que n’est-ce là un mauvais rêve,
Un cauchemar très beau mais très eiïrayant dont m’éveille
Bientôt une forme aimée, serrée contre moi 1
C’est trop vrai, ce que dit la Voix
Cette pauvre chose affreusement quiète,
Ce faible poids de maigre chair livide
En une blancheur qui fut un asile tiède,
Là-bas, en une blancheur maintenant sinistre,
C’est moi Et pourtant je m’en vais si haut, si loin
Des bonnes tendresses protectrices
0 vais-je errer à jamais dans l’énorme splendeur triste
Sans que rien de familier me rejoigne,
Ne fût-ce que l’écho d’une parole douce,
Me caressant d’une consolante musique,
Murmure profond de la chère vieille source 1
HIERS BLEUS
44
Est-il éternel, ce vertige si tragique,
Ce vertige d’âme désespérée ?
Où mène cette fuite atrocement facile,
Peut-être même autrefois désirée,
Cette envolée au bleu transparent de l’Abime ?
Ne me dis pas, surhumaine et cruelle voix,
Odieusement apitoyée,
Que peu à peu mon être conscient se noie
Dans le sommeil Icthéen de l’Azur,
Mais que je renaîtrai, tant de fois! pour voir luire
D’étranges clartés dont l’idée seule me glace
En des terres voilées à w Terre, en tant d’astres
Des gouffres céruléens inconnus
Que je serai MM <!M/ oublieux des anciennes vies
Et des âmes que je crois à jamais chéries
En des mondes où l’on n’aimera plus,
Où j’irai, isolé, vers de sublimes huts,
Ebloui de blanche beauté indifférente
Mais répète, exquise Voix amie,
Toujours plus lente et plus pénétrante.
Que toutes les âmes ne sont qu’une seule âme
Eparse en nébuleuses lueurs d ns l’Infini,
Fulgentes pâleurs qui se cherchent, se devinent,
Puis, dissipé le Songe des Temps,
HÏMS BLEUS
’45
Se retondront en claire et unique pensée.
En aurore sans fin, reflétant
Les radieuses gloires incréées,
En un bienheureux Eire à jamais conscient
De l’horreur sombre des dispersions passées.
RIVAGE
Le rivage se veloutait d’or vert
Des branches rosées frôlaient l’eau bleue
Des senteurs de poivre et d’anis aiguisaient l’air
Tout d’azur tiède sous le ciel clair
Moucheté d’ailes nacrées et neigeuses.
Des maisons blanches avec des bois pour jardins
Somnolaient dans le mystère des avenues
Où guettaient des voilures d’opale au lointain
Entre les colonnades feuillues.
Et la vie semblait très douce et très lente,
Eût même lassé, trop langoureuse,
Sans le frémissement, dans les allées fragrantes,
D’une sorte d’inquiétude amoureuse.
Des femmes pâles aux bouches trop rouges
Passaient en balançant leurs longues tailles
Leurs grands yeux battus, d’un noir de nuit estivale,
Caressaient et brûlaient, à la fois tendres et farouches.
HtMt BMM
’47
Elles laissaient, dans leurs sillages de parfums
Plus grisants qu’un souffle de selves fleuries,
Les charmeuses, les pâ!es brunes,
Comme une fièvre d’amour au délire triste.
Cette belle fille qui < avait une peine
Qui s’en allait, muette, aux sentes les plus noires,
La seule qui fût rose et fauvement châtaine
Avait la grâce d’un jeune automne ou d’un beau soir.
Comme je n’étais qu’un tout petit, très timide,
Elle me souriait, apitoyée et soucieuse
Et ses yeux bleus m’ont fait aimer le ciel splendide,
Quand ils lisaient, peut-être, un avenir triste en mes yeux.
Ses beaux yeux 0 lacs d’élégiaque lumière
Tous mes rêves d’azur ondaient sous leurs cils bruns
Et c’est d’eux que j’appris, et pour la vie entière,
Le charme des reflets d’espérances défuntes.
SUNNY SUMMER DAY
Un soleil des < là-bas splendides a souri
Et joué sur une grève blonde
Où venaient mourir de grands jardins vagues
Aux houles longues,
Aux faibles houles de roseaux mauves et gris,
Moins jardins encore que terrains vagues
Attristés de fauves bosquets jadis fleuris.
Seuls des tournesols parodistes,
Fleurs de lumière et de pauvreté,
Caricatures très douces de soleils tristes,
Prêtaient un semblant de vie au sol dévasté
Si mornement et plus que tous autres solaire.
J’étais dans les limbes de l’enfance,
Car une lourde fille débonnaire
Semblait veiller un peu distraitement sur moi
Nous regardions la mer diamantée, aux scintiltat.ces
Plus troublantes que gaies et dont la voix
Soupirait lente, basse et lente,
Dans l’éblouissement et le silence.
HÏBM BLEUS t4
Pui la fille chantonnait des mots (pour moi) glauques
I! y passait toute la mélancolie de la mer,
Tout un vaste Océan de plus en plus frigide et vert,
De longs sillages luisants, des baies d’émeraude,
Crépusculaires dans leurs murailles de rocs
Et d’étroites vallées si humidement vertes.
C’est un < sunny summer day ())
Une tiède pâleur de topaze, un pré d’or,
D’ur éteint d’où monte une grêle flore
De très navrants soleils lividement teintés
De soufre blanchâtre et si peu solaires
Mais la n!!e les veut plus exquisement blonds
Que les grosses fleurs jaunes des régions claires
Qui sèment des astres sur la mer.
Qu’importe C’est toujours un terrain pauvre à l’abandon,
Oit jouent de larges taches de lumière.
Et pour elle s’évoque, en mots barbares,
Toute une gémissante histoire d’amour
Des veillées aux feux roux dans les chaumières noires
Où, tandis que tes vieux pleurent les anciens jours,
Deux mains jeunes, déjà un peu rudes, s’étreignent
Dans la pénombre, loin des couchants du foyer.
Les yeux s’éteignent, scintillent, s’éteignent.
0 espoir, cendre rose en les cendres noyée 1
(ï) Jour d’été ensoleillé.
H!BM BLEUS
!0
Les haies franchies et les baisers sous les tonnelles,
Un bonheur de naïfs plus doux d’être inconnu.
Puis la misère accroupie sur les toits moussus
Et le départ dans un navire aux sombres ailes.
Des ans et la dispersion, ta vie servile,
L’inglorieux retour d’un mendiant vieilli.
Masures doùmontaientdesfumées bleues tranquilles,
Vous êtes des gravats que la ronce envahit,
Un ossuaire de chaumines démembrées,
Sous les larges visages blafards des soleils.
t.< 0
Et suis-je bien sur un navire, en une baie
D’un vert étrange, angoissant et toute pareille
A celle qu’évoquait la fille aux récits glauques.
Ou dans un cabanon aux murailles de rêve ?
Voici un village mort, sur la grève,
De verts décombres sous le vert moisi des rocs.
Et il pleut des corolles pâles sur la plage,
De grands astres de soufrè, en la tristesse glauque,
Monstrueuses larmes jaunes du paysage.
LILY DALE
And thé moon thinet bfight
On thé grave of poor Lily Date
0 Lily <weet Lily 0
(CA<<HM« «MtMtw.)
Lily, tûtes-vous une barmaid poétique
Dans un vieux bar de l’Est, bleu de fumée,
Où l’ivrognerie était douce et romantique,
Où des loups de mer et des gamins pâles vous aimaient t
Eûtes-vous un chignon blond, comme poudré d’or,
Des yeux d’un bleu de cobœa
Ou de matin printanier de l’extrême Nord ?
Sous le grèbe de brume argentée du boa
Votre col fut-il une aurore sur la neige?
Versiez-vous avec de gentils manèges,
(Le petit doigt envolé comme une colombe,
Une lueur filtrant sous vos paupières longues,
La taille coquettement penchée),
Les gins corrosifs et les torrides whiskies,
HIERS BLEUS
t59
Laves que votre geste magique épanchait
Plus fraîches que les sources des Alleghanies,
Glacialement bleues, si haut cachées
En de mystérieuses coupes de granit ?
« Dignement » tendre avec tous, étiez-vous plus tendre
Pour un craintif Jack ou Jim aux yeux suppliants
Qui vous rêva fée des bois roses de Novembre
Ou des lacs de lunaire opale miroitante
Et mourut de vous et vous fit mourir,
Haineux de la vraie femme pour tous enivrante ?
Sous les sombres pacaniers qui se mirent
Dans l’ea’i vitreuse des bayous margés de huttes,
Lily, étiez vous la négrillonne du Sud,
D’un noir luisant, presque doré de tant reluire,
Soleil nor avec un soleil blanc pour sourire ?
Etiez-vous la petite proie traquée, forcée
Par de vieux chasseurs blancs obscènes et velus,
L’animal favori cajolé, puis battu,
L’excitante poupée bientôt brisée
Qu’on enfouit un soir, pauvre chose fluette,
Près d’un marais de jade où chantaient les rainettes
Sous la lune qui grimaçait i*
N’auriez-vous été. c Lily, ombre plaintive
Qu’un sujet de chromo insane,
L’atroce < fi-tancée consomptive et poncive
Du < contrebandier ou du < jeune clergyman » i’
153
..... Non, l’air qui vous pleure est trop sauvagement triste,
Trop sincèrement naïves sont les paroles ;
Et que votre joue fût noire, florale ou bise,
Pour moi vous aurez été âcrement exquise
Et je sens que votre âme, dans les brises molles,
S’envola quand vous mourûtes, comme s’envole
L’encens de l’iris des Prairies vers les étoiles.
SUR LA HAUTEUR
(MARTINIQUE)
PoMf t. 7orf<f/.
Il y avait des goyaves qui embaumaient
Comme la peau des femmes créoles,
Dans le jardin crépusculaire d’arbres épais
On eût dit que leur fragrance évoquait
Des pâleurs fauves, pourtant subrosées
Et la fraîcheur poivrée de telles fleurs
En une joie un peu trouble mais capiteuse.
En un vertige de trop berçante chaleur.
Aux lentes fluences des brises savoureuses
Les lisses mangos jaunâtres avaient aussi
Un parfum musqué de fines chairs brunes,
De chairs de bistre et d’or adoucis.
Même les corossois à vertes peaux grenues,
Les < doudous » mêtaient un arôme féminin
A leur cordiale âcreté de valériane.
HIERS BLEUS
’55
Vêtus d’éclairs, de soleil rouge ou smaragdin,
Des djinns ailés et nains becquetaient les bananes
Qui sont de lourds bonbons à l’ambroisie
Et tout l’air était lourd d’ambroisie sous le4acis
Des longues et flexueuses lianes.
Les bruits de la rade montaient veloutés
Comme des précipices bleus des rêves
Mais, apparaissaient, irisées en la clarté,
Par les jours entre les feuilles gonflées de sèves,
Les maisons du port, bijoux diaprés
De l’écrin vert et saphirin des grèves.
C’était du bonheur oublié sur la hauteur,
Dans la lumière et l’ombre divinement chaudes.
Par les matins de satin bleu et les soirs mauves
Des formes d’une brune pâleur
Hantaient la tiédeur mystérieuse des atlées
De l’eau volait en vaines pierreries,
Dans une faible musique de rires,
Des feuilles houlaient, des branches ployaient
Et se redressaient élastiques et vibrantes
Et, baigné d’aurore ou de splendeur vespérale
Le bois édénique aux lianes enlaçantes
Se duvetait d’une bruine de pétales.
HIERS BLEUS
t56
Sur le morne blond d’où le songe s’élançait
Aux pointes des mâts aériens des navires,
Pour revenir teint de ciel, moins las que grisé,
Planait le je ne sais quoi des trop longs sourires.
Quelque chose de trop heureux qui angoissait.
CHOSES MORTES
La brise des rues claires, l’âme des jardins,
Des jardins de fleurs et de femmes.
Pleine de parfums pâtes, bruns, incarnadins
Qui ravivaient tant de souvenances amies,
Est maintenant le souffle de gorges affreuses,
Noires du flux figé des laves
Dont les gigantesques vagues silencieuses
Charrient lugubrement d’immobiles épaves.
Sentiers de béry! sous les branches enlacées,
Edens glauques tintants des rires blancs des sources,
Nids de fraîcheur dans la grande brousse
Luisante et moite, baignée de bleu embrasé,
Vous êtes des ravins infernaux où se dressent
D’atres blocs tristement semblables à des corps
De femmes convulsées hurlantes de détresse
Ou de titans humains que la soufirance tord.
Maisons gris-bleu, maisons gris-rosé, maisons blanches,
Ou presque ambrées, un peu lilas, une idée mauve,
Cases des mornes sous des fleurs en avalanches.
Vos tuiles brisées fleurissent des chaos fauves
HIERS BLEUS
158
D’horribles corolles de sang caillé
Murs légers et riants où semblait transparaître
La tranquille ga!té des hôtes et des aitres,
Débris amoncelés, calcinés et broyés,
Vous avez l’aspect de ruines séculaires,
Hantées, mais hantées de cadavres enfouis 1
Ville aux toits accueillants, ville des cœurs amis.
Ville-sourire en la verdure et la lumière,
Asile dont rêvaient les errants de la mer,
Tu es plus morte que les Suse et les Palmyre,
Toi dont parleront peu les chroniques guerrières,
Toi dont l’effondrement n’ébranla pas d’empires
Et qui ne fus qu’une caresse en des parfums.
0 ville, tu n’auras pas même été chantée
Nul vers glorieux na dit tes charmes défunts;
Toi qui fus tant de grâce et tant de poésie,
Toi beau rcve de douceur bleue réalisée
Tu seras comme si tu n’avais pas été
Tu n’inspireras point de lentes songeries
Aux nostalgies des futurs chercheurs de beauté;
Tu seras un brouillard de lettres incomplètes
Dans les textes palis de médiocres poètes,
0 Saint-Pierre qui semblais défier l’oubli
Ville aux toits accueillants, ville des cœurs amis,
Ville-sourire en la verdure et la lumière,
Asile dont rêvaient les errants de la mer
MATIN VEULE
Le ciel est d’un bleu mystérieux d’œil humain.
Pur et doux comme ces longs chagrins qui persistent
Et dont on ne souhaiterait jamais la fin
L’eau bleue qui le rlète est sereinement riste.
Voici des rues d’une expression résignée
Qu’ont transformées peu à peu des regards pensifs
Elles gardent on ne sait quoi de maladif
Des mornes rcves d’existences confinées.
Puis hora de ces couloirs gris de maisons hantées
C’est un quai tout mélancolique de matin
Qu’efneure, voilée, la poésie des lointains
Avec un lourd regret des envolées manquées
Devant le libre essor des nuages marins.
PAYS VAGUE
POM f. CoMMtr.
La plage s’alanguit, parée d’opales vertes
Sous le pâte et si lointain soleil d’or cendré,
La plage ondulante de blondes herbes,
Trëmuiante de souples branches qui trempent
Au flot de grandes fleurs comme teintées de clair de lune.
D’un rose clair de lune de rêve d’enfant
<
L’air a, tout ambré des genêts de la dune,
La douceur d’un rappel d’amoureuse souffrance.
w
<
Dans la profondeur comme songeuse de l’eau,
Atmosphère plus reûétante et cristalline,
Au voile plus transparent qu’une gaze d’aube,
Un rayon liquide illumine
HtBRS BLEUS
t6t
D’un éclat froid les fenêtres de diamant.
Des palais tremblants sous les vibrations claires,
Non maudits, écroulés dans l’engloutissement
Mais éclos de la mouvante et glauque lumière
Et peuplés d’une foule de prisme.
Voici foisonner les floraisons de l’abîme
Sur cette vie exubérante en son mutisme.
<
< <
La grevé en est plus dolente qui ne s’anime
Que des voix faibles des végétaux et des vagues
Et d’un frisson de souvenir planant,
<
Et l’on sent qu’on a déjà connu aux temps vagues,
En un passé douloureusement renaissant,
Ce morne nonchaloir d’élégiaque plage
Ht que c’est bien le définitif abandon.
w
< <
Dans le deuil violet de la nuit brusque
On ne s’angoisse plus de la cruelle ruse
Des astres qui n’écrivent au ciel qu’un seul nom
Qui vous torture jusqu’aux moëlles,
Tandis qu’un sylphe ailé d’améthyste et d’argent,
Jailli des rameaux noirs, souffle railleusement
Des bulles de nectar de fleurs au clair d’étoiles.
Le trente avril n)i) neuf cent quatre
PAR
BUSStËRE
A SAtXT-AMAiD (CHER) pour le compte
DE
M. À. MESSES
éditeur
QUAI SAT-MtCHEL
PAR)S
LIBRAIRIE LEON VANIER, ÉDITEUR A. MESSEIN, Succ’
9. Quai Saint-Micbel, Paris
Dernières nouveautés (Poésies) PAUL VERLAINE
OEMt’rcs potfhMfnes. Vers et prose. ) tort volume in-)’. ’t;u)s ).’ n)’n)e torm.d et sur le même papier ue t’ <«r<T-i "<;)s en H vohttnes dont i) termine )’edi. )i..n.t<n-)’e:6fr.Me)"))(ntteur. lOfr.t r TRISTAN CORBIERE
Les fnour<! jaunes. CEnvrescomptètes du poète en un t.rt vul. in-t8 avec un portrait de l’auteur p." LuQUK. )M. 3 fr. 60 MARIE KRYSIN8KA
Mft’rfnJdcs. Nouveaux rythmes pittoresques, t tort vol. in-tsb. 8fr. 60 F T. MARÏNBTTÏ
Destruction, poème lyrique. 1 vol. in-t8 jës. 3 fr. 60 GABRIEL FAUCONNEAU do PRENNE Printemps d’E t vol itt- 8 f’. 60 VICTOR LÏTSCHWOU8SE
Loques et paillons. )n- d luxe ave< couverture ot’in.de dettARKKRt. 2 tr. JEAN ROYÈRE
Eurythmies. tn-Kdetuxe. 3 s ALBÏN SABATTER
Au Pas de la Mer. (w<’<MM<). t vo) ih-ts. 3 fr. JACQUES DADEL8WARD
L’nOMr enseveli, avec Utte préface de l’auteur sur sa vie. Fort volume in-ts broche. 3 fr. 60