Hippocrate - Œuvres complètes, traduction Littré, 1839/Tome VI/Des fistules

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Hippocrate - Œuvres complètes, traduction Littré, 1839/Tome VI
Traduction par Émile Littré.
(p. 446-461).



ΠΕΡΙ ΣΥΡΙΓΓΩΝ.


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DES FISTULES.


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ARGUMENT.


Cet opuscule traite des fistules du rectum, de l’inflammation et de la chute de cet intestin. On y trouve un pronostic fort exagéré sur la gravité des fistules abandonnées à elles-mêmes.

Il n’est pas fait mention, pour la fistule rectale, de la méthode par incision, qui est aujourd’hui très-communément employée.

Cependant l’auteur conseille, en cas de fistule borgne, d’inciser le trajet fistuleux.

Les Hippocratiques avaient fort bien reconnu l’espèce de membrane que les fistules présentent. Ils donnent à cette membrane le nom de tunique, χιτών. C’est pour la détruire, pour renouveler le trajet de la fistule, et y rendre possible uu travail de cicatrisation, qu’ils introduisent des préparations cathérétiques.


BIBLIOGRAPHIE.

MANUSCRITS.

2254 = D, 2144 = F, 2141 = G, 2142 = H, 2440 : = I, 2143 = J, 2145 = K, Cod. Serv. ap. Foes = L, 2332 = X, 2148 = Z, Cod. Fevr. ap. Foes= : Q’.

ÉDITIONS, TRADUCTIONS ET COMMENTAIRES.

Vidus Vidius, voy. p. 398. — Manialdus, voy. p. 434.





DES FISTULES.

1. (Mode de production des fistules.) Les fistules proviennent de contusions et de tumeurs ; elles proviennent aussi du travail de la rame et de l’exercice du cheval ; il s’amasse du sang à la fesse, près du fondement ; ce sang, se corrompant, s’étend dans les parties molles (le rectum est humide et la chair où il s’étend est molle), jusqu’à ce que la tumeur se rompe et que la corruption gagne le bas du rectum. Cela fait, il y a une fistule, donnant issue à de l’humeur, à des matières stercorales, à des gaz et à toutes sortes d’ordures. Les contusions produisent la fistule, quand un point de la région anale est contus, soit par un coup, soit par une chute, soit par une plaie, soit par l’exercice du cheval, soit par le travail de la rame, soit de toute autre façon analogue ; en effet, du sang se rassemble, qui se corrompt et suppure ; et la suppuration donne lieu aux mêmes accidents qu’il a été dit pour la tumeur.

2. (Inciser la tumeur à l’état de crudité.) D’abord, quand on sent qu’il se forme quelque tumeur de ce genre, il faut l’inciser aussitôt que possible, à l’état de crudité, avant que la suppuration ne pénètre dans le rectum.

3. (Traitement de la fistule par les cathérétiques portés à l’aide d’une tente.) Si le malade vient entre vos mains étant déjà porteur d’une fistule, prenez la tige creuse et fraîche d’un pied d’ail, couchez l’homme sur le dos, écartez les jambes l’une d’un côté, l’autre de l’autre, enfoncez la tige jusqu’à ce qu’elle heurte, mesurez la profondeur de la fistule par celle tige ; coupez la racine de séséli (tordylium officinale, L.) aussi menu que possible, versez de l’eau et humectez pendant quatre jours. Le patient, ayant fait préalablement diète, boira, par trois cyathes (Olit, 135), cette eau où du miel aura été mêlé. Par ce moyen faites sortir aussi les ascarides. Les patients qu’on abandonne sans les traiter succombent. Puis huhumectez une toile fine de lin avec le suc du grand tithymalle euphorhia characias, L.), enduisez-la de fleur de cuivre (limaille de cuivre) grillée et pilée, faites une tente égale en longueur à la fistule, passez un fil par un bout de la tente et puis par la tige d’ail ; couchez le patient sur le dos ; examinez avec un spéculum la partie corrodée du rectum, et faites passer la tige par là ; quand elle γ est passée, saisissez-la et attirez-la à vous jusqu’à ce que la tente ait pénétré et ait occupé la fistule du haut jusqu’en bas. Cela fait, mettez dans le rectum un suppositoire en corne enduit de terre cimoliée, et laissez les choses à elles-mêmes. Quand le patient ira à la selle, il ôtera le suppositoire et le remettra, jusqu’à ce qu’on arrive au cinquième jour. Au sixième, tirez la tente hors de la chair et ôtez-la. Puis pilez de l’alun, remplissez-en le suppositoire, mettez-le dans le rectum et laissez-l’y jusqu’à ce que l’alun devienne humide. On oindra le rectum avec de la myrrhe jusqu’à ce que la cicatrisation paraisse accomplie.

4. (Traitement de la fistule par la ligature,) Autre traitement : prenez un fil de lin écru, aussi fin que possible, d’un empan de long, pliez-le en cinq et passez-y un crin de cheval ; puis ayez une sonde d’étain percée à une extrémité ; introduîsez dans ce trou de la sonde le bout du fil plié en cinq ; faites entrer la sonde dans la fistule, et en même temps introduisez l’index de la main gauche dans le fondement ; quand la sonde touchera le doigt, vous l’amènerez avec ce doigt au dehors, courbant le bout de la sonde et le fil qui y est attaché. Alors vous retirerez la sonde, et vous ferez deux ou trois nœuds avec les bouts du fil ; ce qui reste du fil sera tordu el maintenu contre le nœud par un bandage. Cela fait, vous direz au patient d’aller à ses affaires. A mesure que, la fistule se corrodant, le fil se relâche, il faut le tirer et le tordre régulièrement chaque jour. Si le fil de lin se pourrit avant que la fistule soit coupée, attachez au crin un autre fil que vous nouerez ; le crin est, dans cette prévision, joint au fil, parce qu’il ne se pourrit pas. Quand la fistule est coupée, taillez une éponge molle aussi mince que possible et appliquez-la ; puis introduisez dans la fistule, à l’aide de la sonde, beaucoup de fleur de cuivre grillée. Vous enduirez l’éponge de miel, vous en placerez le milieu sur l’index de la main gauche, et vous l’enfoncerez. Vous placerez une autre éponge et vous maintiendrez le tout avec le bandage dont on se sert pour les hémorrhoïdes (voy. § 2 ; p. 439). Le lendemain, levant l’appareil, vous laverez avec de l’eau chaude, vous essayerez à l’aide de l’éponge avec le doigt de la main gauche de mondifier la fistule, et derechef vous appliquerez la fleur de cuivre. Vous ferez cela pendant sept jours. Il faut environ sept jours pour corroder la tunique de la fistule. Du reste, jusqu’à guérison, vous emploierez l’éponge. En effet, avec cet appareil, la fistule dilatée et étendue par l’éponge ne peut ni s’affaisser de nouveau, ni guérir en un point de son trajet, tandis que le reste se remplirait de nouveau, mais elle sera saine tout entière en elle-même. Dans ce traitement il faut faire d’abondantes affusions d’eau chaude et mettre le malade à la diète.

5. (Fistule borgne, Traitement.) Si la fistule n’a pas pénétré, introduisez la sonde et incisez jusqu’où elle est arrivée. Saupoudrez de fleur de cuivre que vous laisserez pendant cinq urs. Vous ferez des affusions avec l’eau chaude ; vous pétrirez de la farine d’orge avec de l’eau et vous l’appliquerez par-dessus ; vous maintiendrez des feuilles de bette avec un bandage. Quand la fleur de cuivre sera tombée et que la plaie de la fistule aura été mondifiée, vous traiterez comme dans le cas précédent.

6. (Fistule située dans une région où l’on ne peut faire d’incision.) Si elle est dans un lieu qu’il ne soit pas possible d’inciser, et que la fistule soit profonde, vous prendrez de la fleur de cuivre, de la myrrhe et du nitre, vous les délayerez dans de l’urine, et vous injecterez certe préparation, ayant soin de mettre une lige de plomb dans l’orifice de la fistule, afin qu’elle ne se referme pas. L’injection se fait avec le tuyau d’une qu’on attache à une vessie et qu’on introduit dans la fistule. Le patient ne guérit pas à moins d’une incision.

7. (Inflammation du rectum.) Si le rectum s’enflamme, il y a douleur, fièvre et envie fréquente d’aller à la selle sans cependant rien rendre, il semble, par l’inflammation, que le fondement sorte au dehors ; et parfois il survient de la strangurie. Cette maladie naît quand du phlegme, venant du corps, se fixe sur le rectum. Les choses chaudes conviennent ; car, appliquées, elles peuvent atténuer, fondre le phlegme et faire sortir en eau l’âcre en même temps que le salé, de sorte qu’il n’y ait plus dans l’intestin ni de l’ardeur, ni une sorte de mordication. On traitera donc ainsi cette maladie : on mettra le patient dans un bain de siége chaud. On écrasera soixante baies de l’écarlate de Gnide, on les délayera dans une cotyle (0lit., 27) de vin et une demi-cotyle d’huile, on fera chauffer ce mélange, qui sera pris en lavement. Il évacue le phlegme et les matières stercorales. Quand le malade n’est pas dans le bain, prenez des œufs cuits dans un vin noir qui a du bouquet et appliquez-les sur le fondement, étendant par dessous quelque chose de chaud, ou remplissant une vessie d’eau chaude, ou appliquant aussi chaud que possible un cataplasme de graine de lin grillée, moulue, pilée et mélangée avec partie égale de farine de blé dans de l’huile et du vin noir ayant du bouquet, ou bien, mélangeant soit de l’orge, soit de l’alun d’Égypte pilé, appliquez-les en cataplasme, et faites des fomentations. Puis faites un suppositoire long, et, le chauffant au feu, donnez-lui la forme avec les doigts ; alors introduisez-le bien chaud dans le fondement ; on oindra les parties extérieures avec du cérat, et on appliquera un cataplasme fait d’ail cuit dans un vin noir coupé d’eau. Après avoir retiré le suppositoire, vous ferez prendre un bain de siége chaud ; et, mélangeant du suc de strychnos (solanum nigrum, L.), de la graisse d’oie et de porc, de la chrysocolle, de la résine et de la cire blanche, puis faisant fondre le tout ensemble et mélangeant, on oindra la partie avec cette préprépparation. Tant que durera l’inflammation, on appliquera de l’ail cuit chaud. Si ces moyens enlèvent la douleur, cela suffit ; sinon, faites prendre le meconium blanc (euphorbia peplis, L.) ou toute autre substance qui évacue le phlegme. Tant qu’il γ aura inflammation, le malade sera aux potages légers (d’orge).

8. (Strangurie, suite de l’inflammation du rectum.) La strangurie vient de cette façon : la vessie, échauffée par le rectum, attire le phlegme, et le phlegme produit la strangurie. Si elle cesse avec la maladie du rectum (et c’est ce qui arrive le plus ordinairement), cela est bien ; sinon, donnez les remèdes pour la strangurie.

9. (Chute du rectum.) Quand il y a chute du rectum, repoussez la partie avec une éponge molle, frottez-la avec des escargots ; attachez les mains du malade et suspendez-le pendant quelques moments : le rectum rentre. Si la procîdence est plus considérable et que le rectum ne demeure pas au dedans, passez une ceinture autour des flancs, attachez par derrière à cette ceinture une écharpe, repoussez en dedans le rectum, appliquez une éponge molle, humectée d’une eau chaude où auront bouilli des sciures de lotus (celtis australis, L.) ; vous ferez aussi avec celte eau des affusions sur l’anus même ; vous exprimerez l’éponge, puis vous passerez l’écharpe entre les cuisses et vous l’attacherez au nombril. Quand le patient veut aller à la selle, il se mettra sur une chaise percée aussi étroite que possible ; si c’est un enfant, il sera posé sur les pieds d’une femme, contre les genoux de laquelle il aura le dos appuyé, rendant la défécation, le malade étendra les jambes ; c’est dans cette position que le rectum est le moins exposé à tomber. Si le, rectum est humide et qu’il s’écoule de la sanie, on le lavera avec de la lie de vin bridée et de l’eau de myrte. Faites sécher de l’adiante (adiantum capillus Veneris, L.), pilez-la, passez-la au tamis, et saupoudrez-en la partie. S’il y a hémorrhagie, lavez avec les mêmes eaux ; prenez parties égales de chalcitis (quelque sulfate de fer) et de sciure de cyprès ou de cèdre, ou de pin, ou de térébinthinier, broyez, mêlez et appliquez en cataplasme. Vous enduirez les parties extérieures avec le cérat épais (cérat fait avec la résine, νογ. t. III, p. 509). Quand le rectum tombe et ne veut pas demeurer en place, prenez du silphion[1] aussi bon et dense que possible, râclez-le menu, et appliquez-le en cataplasme. Mettez aussi le médicament sternutatoire sous les narines (Épid., IV, 40 ; Épid. VI, 6, 13) et excitez le malade. Ou bien arrosez des grenades avec de l’eau chaude, broyez de l’alun dans du vin blanc, et faites des affusions sur l’anus ; puis mettez des chiffons et attachez les cuisses ensemble pendant trois jours. Le patient sera à la diète et boira un vin doux. Si même ainsi on ne réussît pas, mêlez du miltos (argile ocreuse) à du miel et faites les onctions avec ce mélange. Pour la chute du rectum avec hémorrhagie, prenez la racine de l’arum (arum colocasia, L.), ôtez-en l’écorce, faites-la bouillir dans l’eau ; puis écrasez-la en y mêlant de la farine de blé, et appliquez chaud. Autre : prenez la vigne sauvage nommée par quelques-uns psilothrion (épilatoire) (bryonica eretica, L.), choisissez-en les racines les plus tendres, râclez-les, faites-les bouillir dans du vin noir et astringent pur ; puis écrasez-les et appliquez tiède ce cataplasme ; mêlez-y aussi du gruau d’orge, et pétrissez dans un mélange tiède de vin blanc et d’huile. Autre : prenez la graine de cigüe, broyez-la, versez-y du vin blanc ayant du bouquet, et appliquez tiède ce cataplasme. Pour l’inflammation, prenez la racine du lierre, faites-la bouillir dans de l’eau, écrasez-la bien, ajoutez-y le plus beau gruau d’orge, pétrissez le tout dans du vin blanc, et appliquez en cataplasme ; on y ajoute aussi un corps gras. Autre : prenez la racine de mandragore, fraîche si vous pouvez, sinon, sèche ; la fraîche, vous l’éplucherez, vous la couperez, vous la ferez bouillir dans du vin étendu d’eau, et vous l’appliquerez en cataplasme ; la sèche, vous la broyerez, et vous l’appliquerez pareillement. Autre : écrasez bien le dedans du melon et appliquez-le en cataplasme.

10. (Douleur au rectum sans inflammation.) S’il y a de la douleur sans inflammation, faites griller du nitre rouge, broyez-le bien avec de l’alun, passez au feu du sel, écrasez-le bien fin, et mêlez chacun de ces ingrédients à dose égale ; puis mêlez-y la meilleure poix ; enduisez de ce mélange un chiffon qu’on introduira et qu’on maintiendra par un bandage. Autre : prenez les feuilles vertes du câprier, écrasez-les, mettez-les dans un sachet qui sera maintenu contre la partie ; quand elles causeront de la cuisson, on les retirera pour les appliquer de nouveau. Si on n’a pas de feuilles de caprier, on prendra l’écorce de la racine, on la hachera, on la pétrira dans du vin noir, et on l’appliquera de la même façon. Ce moyen est bon aussi pour la douleur de la rate. De ces cataplasmes les réfrigérants ont la propriété d’empêcher les flux, les émollients et échauffants de résoudre, et ceux qui attirent à soi, de sécher et d’atténuer. Cette affection du rectum survient quand la bile et le phlegme se fixent en cette région. Dans l’inflammation du rectum, oignez la partie avec le médicament où entrent la résine, l’huile, la cire, la molybdène (massicot) et la graisse ; on l’appliquera le plus chaud possible.


fin du livre des fistules.

  1. Le silphion, avec son suc le laser, était une plante fort célèbre dans l’antiquité, mal connue des modernes, et qu’on rapporte au thapsia silphium, L.