Histoire abrégée de l'île Bourbon/V

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 31-34).

TROISIÈME ÉPOQUE — 1710 À 1735
Le Tribunal, le service religieux et la découverte du café déterminent une ère de prospérité et de développement, qui fait placer Bourbon au rang des principales colonies de la France.

CHAPITRE V

De Parat, gouverneur — Création du Tribunal — Les Lazaristes — la Gaulette — L’île Maurice — le Café

Antoine de Parat — 1710 à 1715

1. Au Conseil des Six succéda le Conseil provincial, relevant en dernier ressort du tribunal de Pondichéry. Il était composé des Directeurs de la Compagnie, du Gouverneur, de deux missionnaires et de quelques notables colons. Les causes étaient jugées par cinq membres pour affaires civiles, et par sept dans les cas criminels. La difficulté d’en appeler à Pondichéry en causes civiles, et plus tard, la création d’un conseil à l’Île de France dépendant de celui de Bourbon, détermina l’érection du Conseil de Saint-Denis en conseil supérieur (1724).

2. Les questions les plus nombreuses qui occupèrent d’abord le conseil provincial furent celles des concessions ; celles-ci n’avaient été faites qu’en termes vagues, sans limites positivement déterminées. De là une source de contestations et de procès. Pour y remédier, on avisa au mesurage de toutes les propriétés ; cette opération eut lieu au moyen d’une gaulette de quinze pieds. Telle fut l’origine de la mesure de superficie légalement usitée dans le pays, jusqu’à la substitution des mesures métriques, vers 1842[1].

3. Depuis l’arrivée des premiers colons, le service religieux n’avait été représenté que par des religieux de divers ordres ou des prêtres des missions, relâchant à Bourbon pour cause de santé, M. de Parat obtint de la Compagnie l’institution d’un service régulier, en rapport avec les besoins de la population qui augmentait de jour en jour. En conséquence, la mission de Bourbon fut confiée, en 1711, aux pères Lazaristes ; toutefbis leur apostolat ne date que de 1714.

4. En 1715, l’île Maurice abandonnée depuis peu par les Hollandais fut rattachée à l’île Bourbon par le capitaine Guillaume Dufresne qui en prit possession au nom de la France. Le chevalier Dufougerais-Garnier en prit une seconde fois possession en 1721 ; l’année suivante, le gouverneur Beauvolier y envoya quelques colons de Bourbon sous les ordres du commandant Nyon.

5. Mais l’événement le plus important du gouvernement de M. Parat fut la découverte du café. Le sieur de la Boissière, capitaine de l’Auguste avait été envoyé de France à Moka, pour prendre des plants et des fèves de caféier, que les Hollandais cultivaient avec succès aux Antilles. Pendant son escale à Bourbon, il céda quelques plants aux habitants qui constatèrent bientôt un similaire de cet arbrisseau dans les forêts.

Les plants cédés par le capitaine de l’Auguste périrent tous, à l’exception de deux, dont l’un fut confié à Laurent Martin, habitant de Saint-Denis ; l’autre à M. Houbert, curé de Sainte-Suzanne. En 1719, les premiers grains de ces caféiers se vendirent à raison de 16 pour une piastre.

6. Le café indigène, appelé vulgairement café de la forêt (café marron), était assez abondant ; on entrevoyait de belles récoltes, des bénéfices considérables. L’émotion fut si grande que les principaux habitants chargèrent le gouverneur d’aller informer la Compagnie de cette heureuse découverte. Il s’embarqua sur l’Auguste, laissant M. Justamond pour le remplacer en son absence.

La colonie comptait alors 107 familles blanches (643 personnes) dont les plus riches ne possédaient pas au-delà de 5,000 écus (environ 15,000 francs.)

M. Antoine de Parat réunissait à un haut degré les aptitudes requises pour un bon gouvernement ; mais sa fermeté ne pouvait rencontrer auprès des insoumis un accueil plus conciliant que sous les administrations précédentes. « Que le sieur Parat ait précisément satisfait ses administrés, c’est ce qu’on ne saurait affirmer ; en tout cas, la négative ne prouverait pas beaucoup contre lui, car les habitants d’alors ne paraissent pas avoir été gens fort gouvernables. Il est de chronique certaine qu’on avait organisé contre le gouverneur un singulier système de persécution : c’était de le poursuivre en quelque lieu qu’il fût, au logis, au dehors, à table ou au lit, avec une pluie de gravier ou de sable venant de mains invisibles. Selon toute apparence, le conseil provincial n’était pas trop mécontent de ce qui se passait ; il résolut de profiter des dégoûts du gouverneur pour se débarrasser de lui. L’occasion s’offrit d’elle-même par la découverte du café indigène : ce fut un événement ; il parut si important, qu’on arrêta immédiatement l’envoi du gouverneur en France, afin de renseigner soit la Compagnie, soit le gouvernement. De Parat, lui aussi, accepta de bon gré ce qui n’était peut-être au fond qu’une expulsion déguisée[2].

  1. La Gaulette carrée est de 23 mètres 74 centimètres.
  2. Pajot.