Histoire abrégée de l'île Bourbon/XVI

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 108-112).

CHAPITRE XVI

PÉRIODE ANGLAISE
Farquhar deux fois gouverneur — Fraser, Keating deux fois gouverneur — Café Leroy — Désarmement — Révolte des Noirs — Figaro — Fougeroux — Guildive — Numéraire — Séparation des dieux îles.

76. Les détails administratifs de l’occupation anglaise font défaut, soit par l’usage qu’on faisait alors du papier chinois qui ne se conservait pas, soit parce que les Anglais se souciaient peu d’effectuer des réformes dans une colonie qu’ils s’attendaient à rendre à la France.

77. En 1811, le gouvernement anglais résolut de former un régiment de volontaires de Bourbon, mais ses efforts et ses promesses restèrent sans effet ; il trouva à peine trois ou quatre individus dans le pays qui consentirent à porter l’uniforme anglais.

78. Le 25 avril, sir Farquhar fit connaître aux habitants que l’île Bourbon était annexée aux territoires de la couronne, sans dépendance aucune de la Compagnie des Indes.

En raison, dit-il, de la protection immédiate, royale et très gracieuse de sa Majesté Britannique, les nouveaux sujets qui désireraient avoir part à ses bienfaits devaient prêter serment de fidélité ; le refus entraînerait la perte des propriétés et le renvoi en France. 153 individus, parmi lesquels des hommes, des femmes, voire même des enfants aimèrent mieux perdre leurs biens, plutôt que leur nationalité. Parmi ces noms, qui font honneur à l’esprit français de la colonie, figurent les Hoareau, Fontaine, Bellier, Brunet, Lépervanche, Lagourgue, Loupy, Lahuppe, Payet, Delval, Biberon, Seihausen, Robert, Gamin, Ganofsky, Notaise, Beaulieu, Auber, Patu de Rosemont, Perrichon, Pignolet, Rivière, Campenon, Jallot, Bertin, Olivier, Bouvet, etc. etc.

79. Peu avant la prise de l’île — 1810 — un navire français, trompant la vigilance de la croisière anglaise, apportait de la côte d’Afrique un café de nouvelle espèce. Bourdier, ingénieur à Sainte-Marie, en fit le premier semis, et un sieur Leroy, du même lieu, observa que, entre les divers cafés déjà cultivés, celui-ci était le moins susceptible de mortalité. Cette qualité lui valut une rapide propagation, et le nom de café Leroy a récompensé son judicieux observateur.

80. Un acte bien naturel au gouvernement vainqueur fut de désarmer les gardes nationales de toutes les parties de l’île ; les esclaves crurent voir dans cette mesure des dispositions hostiles contre les habitants. Ils pensèrent que les Anglais ne s’opposeraient pas à une révolte dont les Français seraient seuls victimes : le mot fut donné à Saint-Leu et à Saint-Louis ; mais le complot échoua dans cette dernière localité, grâce aux aveux du Cafre Figaro qui reçut en récompense sa liberté, une pension annuelle, et une terre sur la commune de Saint-Joseph.

Les révoltés de Saint-Leu commirent d’affreux ravages avant que les habitants eussent pris les mesures convenables pour leur sûreté. On vit alors des esclaves fidèles défendre leurs maîtres au prix de leur vie. « Nous savons bien, disaient-ils, que, quand ces scélérats auront tué les blancs, ils tueront aussi les bons noirs. »

Fougeroux, ancien sergent, aidé de 22 habitants, parvint à dissiper les bandes et à les refouler dans les ravins. Sur ces entrefaites, arriva un détachement de soldats anglais ; une centaine de rebelles, garrottés, furent amenés à Saint-Denis. Trente des principaux coupables subirent la peine capitale, les autres portèrent la chaîne (11 février 1812.)

81. Pendant la tourmente révolutionnaire, le service religieux ne fut point interrompu dans les églises de la Colonie ; mais, sous la domination anglaise, on eut la douleur de voir transformer celle de Saint-Denis en cour judiciaire, à l’occasion de la révolte des esclaves de Saint-Leu.

« Cependant, au moment où la justice des hommes s’apprêtait à prononcer la sentence, le feu du ciel, sillonnant la nue, vint traverser l’église d’un bout à l’autre et se dégagea avec fracas sur son péristyle. De là, le fluide électrique pénétra dans la demeure de l’un des juges et foudroya sa femme et sa belle-sœur. Il était une heure de l’après-midi, par un temps magnifique, lorsque le sinistre arriva (11 février 1812.) » [1]

82. On doit à l’administration anglaise le rétablissement de l’industrie guldivière, l’introduction d’une grande quantité de numéraire, les vins de Constance[2] et de Madère, les marchandises de l’Inde en abondance, à un prix plus modéré que celui imposé par l’île de France. Bourbon avait trop souffert pour ne pas se montrer satisfait de ces libéralités ; il en résulta sinon une cordiale soumission, au moins une entente avantageuse entre les dominateurs et les vaincus. Grâce aussi à la vigilance des gouverneurs, la rage sur les chiens, qui affligea Maurice en 1813, ne parvint point à Bourbon.[3]

83. (1814) Les événements survenus en Europe dès 1812 semblaient annoncer la Restauration ; or, en prévision d’un traité qui rendrait à la France ses possessions lointaines, les Anglais retirèrent de la circulation le numéraire avancé en 1811 ; de plus, ils prirent, dans les ateliers et dans les habitations, les meilleurs noirs pour en former des compagnies de soldats indigènes qu’ils expédièrent sur la Jamaïque.

84. La paix du 30 mai 1814 confirma les prévisions de l’administration anglaise. Bourbon était enfin rendu à la mère-patrie ; toutefois, la rétrocession n’eut lieu que le 6 avril 1815, entre les mains de M. Bouvet de Lozier, maréchal de camp, assisté de M. Marchant, ordonnateur, et de tout le personnel administratif. La remise de l’île fut solennellement proclamée par le major William Carol et Charles Telfair, délégués de sir Farquhar. Maurice demeurait aux Anglais. Les îles-sœurs étaient désormais séparées par titre de nationalité, mais toujours unies par le cœur.

  1. Notice.
  2. Du Cap de Bonne-Espérance.
  3. On prétend qu’il n’y a jamais eu d’exemple de rage canine à la Réunion ; on assure même que des chiens enragés, introduits ici, ont été guéris par la seule influence du climat. Ce fait, s’il était avéré, mériterait d’être étudié sérieusement.