Histoire abrégée de l’île Bourbon/XXIV

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Anonyme
Imprimerie de Gabriel & Gaston Lahuppe (p. 157-164).

CHAPITRE XXIV

Delisle (suite) — Muséum — Conseil général — Comptoir de prêts — Bibliothèque — Le major Hay — Société des Sciences et Arts — Association scolaire — Léproserie — Pénitencier — La Providence, l’Hospice et les Filles de Marie — Secours divers — Exposition Internationale — Améliorations — Route Henry Delisle — Tournée — Salazie — Départ.

34. Les titres dont M. Delisle fut honoré et les éloges dont on le combla, n’eurent point pour résultat de lui faire croire qu’il avait assez fait pour son pays ; cet homme éminent continua avec un égal dévouement la série de ses nombreuses améliorations qui le feront vivre dans la postérité et l’ont fait surnommer le Labourdonnais du XIXe siècle.

55. 1855 vit la création du Muséum dans le bâtiment affecté primitivement aux séances du Conseil colonial. M. Gustave Manès, maire de Saint-Denis, en fut le premier administrateur, et le dota de riches collections ; il allait étendre ses bienfaits au Jardin d’acclimatation, lorsque les suffrages de ses concitoyens le portèrent à la députation.

36. L’Assemblée non reconnue de 1848 n’ayant pas été reconstituée, les affaires se discutaient dans un Conseil choisi par le Gouverneur ; M. Delisle rétablit le Conseil général sur les bases édictées dans le décret du 26 juillet 1854.

37. L’école des Arts et Métiers instituée par décret colonial, le 11 septembre 1840, fut dissoute par arrêté du Gouverneur en date du 26 juin 1855. Le but de cette institution était la formation de bons ouvriers dans le pays ; on y consacra des sommes considérables « que les résultats ne justifièrent point. Les élèves entraînés par l’esprit d’insubordination se révoltèrent ; ils construisirent dans leur caserne des barricades et se livrèrent à des dégâts de toute nature[1]. »

Cette institution, confiée ensuite aux Pères du Saint-Esprit, se trouva peu après confondue avec leur école libre d’agriculture.

L’école professionnelle agricole prit naissance au Quartier-Français, sous la direction du R. P. Horner. Les élèves, peu nombreux d’abord, augmentèrent promptement, grâce à l’esprit de sage initiative qui caractérisait le supérieur. On vit bientôt des maçons, des charrons, des cordonniers, des charpentiers et des tailleurs de pierres parmi ces enfants ; aussi laissèrent-ils au Quartier-Français un souvenir non moins honorable pour eux que pour leurs dignes maîtres : l’église bâtie de leurs propres mains.

Transférée ensuite à la Rivière des Pluies, l’institution continua sur le même pied jusqu’en 1855, époque à laquelle les Pères du Saint-Esprit reçurent du Souverain Pontife la mission de Zanzibar.

38. Par ordonnance royale du 14 mai 1826, une Société anonyme avait été formée sous le titre de Caisse de Prêts et d’Escompte, pour une durée de vingt ans. Une autre association, le Comptoir de Prêts et d’Escompte, fonctionna provisoirement depuis le 16 avril 1849, jusqu’en juillet 1853, époque fixée pour la mise en activité de la Banque, dont l’institution remonte à la loi du 11 juillet 1851.

39. Un sentiment de sage prévoyance porta le Gouverneur à régler le nombre des passagers à transporter sur les bateaux de côte, afin d’empêcher les malheurs survenus plusieurs fois par l’effet de chargements trop considérables.

40. La culture des intelligences n’échappa point à la sollicitude du Chef de la colonie ; dans ce but, une bibliothèque, formée de dons particuliers et d’envois métropolitains, fut installée dans une des salles de l’Hôtel de Ville, construit en 1855. Des collections de nombreux ouvrages, considérablement augmentées aujourd’hui, sont à la disposition des amateurs de tous les goûts.

41. Vers la fin de l’année, le major-général Hay, gouverneur de Maurice, vint féliciter M. Delisle sur sa brillante administration. La tournée qui eut lieu à cette occasion fut splendide ; mais les habitants de l’île-sœur, jaloux d’honorer celui qu’ils appelaient le Gouverneur modèle, rivalisèrent de courtoisie, lorsque M. Delisle alla visiter le Major et l’exposition mauricienne.

42. L’année 1858 ne devait pas être moins féconde que les précédentes. Ainsi l’on vit établir la Société des Arts et Sciences, un nouvel atelier colonial, l’Association des anciens élèves du Lycée, une seconde Léproserie avec des bâtiments plus spacieux et mieux distribués, la Providence, institution d’arts et métiers, confiée aux Pères du Saint-Esprit, pour les jeunes gens des divers points de la Colonie, le noviciat et la maison-mère des Filles de Marie, l’hospice des vieillards et des invalides, confiés aux Pères du Saint-Esprit et aux Filles de Marie.[2]

43. Les bons résultats constatés au Quartier-Français, puis à la Rivière des Pluies, ne pouvaient manquer d’attirer l’attention du Chef de la Colonie, surtout au moment où l’école des arts et métiers venait de succomber à la suite d’une mutinerie. Les Pères, déjà fixés à la Providence, pour l’hospice des vieillards et le Pénitencier, acceptèrent la réouverture de l’école professionnelle.

Pendant onze années, cet établissement utile a pleinement justifié l’attente du Gouvernement, en fournissant de bons ouvriers à toutes les branches d’industrie propres au pays. Il rendrait sans doute encore les mêmes services, s’il n’avait été violemment anéanti en 1868.

Dans un article intitulé : « Visite à la Providence, » M. Alexandre de La Serve écrivait le 10 novembre 1863 : « En résumé, tout en maintenant les critiques que la justice et l’impartialité nous ont fait un devoir de produire, la Colonie a le droit d’être fière d’un établissement qui prouve combien les idées d’humanité, d’égalité, de progrès social y dominent. »

44. La reconnaissance et la générosité avaient aussi leur plaie dans l’âme de M. Delisle. Cet homme, qui cherchait à faire le bien partout, se montra heureux de soulager l’infortune. Maurice étant affligé une seconde fois par le choléra, des secours abondants lui furent expédiés. La statue de Labourdonnais fut érigée sur la place du Gouvernement, et un monument s’éleva à la mémoire des braves tombés glorieusement pour la défense de la patrie en 1810[3].

45. À l’exposition universelle, M. Delisle eut la gloire de voir la Réunion passer au premier rang des possessions françaises ; 31 médailles ou mentions furent attribuées à notre Colonie tandis que la Martinique en recevait 24 et la Guadeloupe, 14.

Le 6 mai la paroisse de à Saint-André eut à déplorer la perte du vénérable M. Minot, vice-préfet apostolique. Arrivé en 1817, le père Minot était l’un des premiers prêtres envoyés par le séminaire des Missions étrangeres, pour remplacer les Pères Lazaristes. Durant sa longue carrière sacerdotale, il eut à occuper plusieurs postes, néanmoins sa mission spéciale, le théâtre de ses nombreux travaux, devait être à Saint-André.

Comme on l’a vu ailleurs, l’église n’existait plus, et le troupeau vivait sans pasteur depuis plus de vingt ans. M. Minot réorganisa le service divin, puis il entreprit la construction de son église, expression fort juste, car M. Minot eut à lutter contre mille obstacles : lenteurs administratives, oppositions de toute sorte, malveillance, défaut de numéraire ; mais rien ne l’arrêta. Architecte, puis entrepreneur, on le vit ensuite simple ouvrier, maniant le marteau, la truelle, la hache du bûcheron et traînant avec ses manœuvres les arbres sur le chantier. Pas une pierre de l’édifice qui n’ait été, arrosée de ses sueurs, pas une pièce de charpente que ses mains n’aient consolidée.

L’église achevée, l’homme de Dieu voulut grouper ses paroissiens encore disséminés ; à cet effet, il divisa le terrain curial en petites portions, les cédant comme emplacement à bâtir, moyennant une faible redevance destinée à l’entretien de l’église.

Vinrent ensuite le canal de dérivation pour donner l’eau potable au quartier, le pont Minot, la cure, l’école des Sœurs et enfin celle des Frères.

Après tant de travaux, tant d’œuvres de dévouement, il est presque superflu de dire que le cœur du bon père Minot était ouvert à toutes les misères, à toutes les afflictions, à tous les besoins. Vrai père de famille, son seul bonheur était de faire du bien à ses chers enfants, qui, de leur côté, l’entouraient de vénération et d’amour. Ils en donnèrent un éloquent témoignage par la profonde douleur que leur fit éprouver la nouvelle de sa mort ; leur piété finale voulut que ks restes vénérés du saint-pasteur reposassent dans son église.

46. 1857 vit l’ouverture de la seconde route de ceinture, très utile aux habitants des hauts de Saint-Benoit, Saint-Joseph, Saint-Pierre, Saint-Louis, et Saint-Leu ; l’exposition permanente des produits coloniaux à Paris, la création de deux bourses à l’école centrale des arts et manufactures, la réduction sur la taxe des lettres, l’application des règlements sur l’inscription maritime, etc. La même année, le 24 septembre, eut lieu l’arrivée de Mgr Maupoint, deuxième évêque de la Réunion.

47. Mme Delisle, pour des raisons de santé, était rentrée en France en décembre 1856. Le Gouverneur ne tarda pas à ressentir lui-même les fatigues d’un climat dont il s’était déshabitué. Le Conseil général présidé par M. Charles Desbassayns, terminait sa session (décembre 1857) lorsque M. Delisle écrivit aux représentants du pays, que les médecins avaient déclaré sa santé sérieusement compromise, et que sa rentrée en France devait être immédiate.

Le Conseil vota au Gouverneur une adresse de condoléances ; les conseils municipaux et toutes les institutions publiques firent parvenir à M. Delisle des témoignages de leurs regrets.

Dans sa réponse au Conseil général, le Gouverneur s’exprima ainsi : « J’ai donné à mon pays tout ce que j’avais de cœur, d’âme, d’intelligence et d’activité ; je lui aurais donné jusqu’à ma vie. Je comprends ces sacrifices du patriotisme, mais vous savez pour quels êtres chéris je dois conserver mon énergie et mes forces. Quoi qu’il en soit, si c’est comme vous le dites, M. le Président[4], un peu à mes efforts qu’est due la prospérité de la Colonie, je le jure, je ne regrette pas ma santé compromise, et de plus, je recommencerai encore ces mêmes travaux, ces mêmes fatigues. »

Ailleurs, M. Delisle ajoutait : « J’éprouve une satisfaction légitime en voyant la situation florissante dans laquelle je laisse la Colonie. Cet ensemble de prospérité générale est proclamé par le chiffre de vos recettes locales qui, en cinq ans, sans augmentation d’impôts, se sont élevées de 1,800,000 francs à près de cinq millions. »

48. Les soins de l’administration l’occupèrent jusqu’à la fin ; quelques instants avant son départ, il nomma M. Morel à la présidence de la Commission administrative du Muséum : nul n’était plus digne de succéder à l’honorable M. Bernier.

49. Embarqué à bord de l’Azof, le 8 janvier 1858, M. Delisle apprit à Aden son élévation à la dignité de sénateur. Peu après, les colons lui offrirent, avec l’agrément du Gouvernement, son buste en marbre, en témoignage de leur reconnaissance.

  1. Nanteuil.
  2. On posa sur un plan grandiose les fondations d’une Cathédrale, qui ne sera probablement pas achevée.
  3. Un autre monument, élevé dans la plaine de la Redoute par le Gouvernement anglais, rappelle la mort des assaillants frappés par les balles créoles.
  4. M. Charles Desbassayns.