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Histoire amoureuse des Gaules/Tome 2/Préface

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PRÉFACE.


Lorsque parurent pour la première fois les libelles que nous publions, ils n’eurent, pour s’accréditer auprès des lecteurs, ni le charme élégant du style, ni l’autorité du nom de Bussy ; le scandale seul fit leur succès.

Il se trouve peut-être encore, après deux siècles, des lecteurs attardés qui cherchent dans ces livres ce qu’y voyoient leurs aïeux : ce n’est point à eux que nous nous adressons ; nos visées sont plus hautes. Le scandale est devenu de l’histoire, et c’est pour montrer dans quelle mesure on peut y ajouter foi que nous y avons joint le commentaire qui sert de contrôle aux récits du pamphlétaire. Composés on ne sait où, les uns en France, les autres à l’étranger, et publiés en Hollande, ces libelles eurent vite passé la frontière ; à défaut des livres, dont un nombre fort restreint put pénétrer dans le royaume, les copies se multiplièrent, et Dieu sait quel aliment y trouvèrent les conversations ! Tout hobereau qui, après un voyage à Paris, dont son orgueil faisoit un voyage à la cour, rentroit dans sa province, y affirmoit hardiment tous les dires des pamphlets ; il y croyoit ou feignoit d’y croire, et disoit : Je l’ai vu. Quel honneur ! Des autres, qui n’avoient pas quitté leur pays, ceux-ci, par esprit d’opposition, admettoient aveuglément comme vraies toutes ces turpitudes ; ceux-là, par un sentiment de respect, s’efforçoient de douter. Mais on voit ce qu’étoient alors ces pamphlets : une proie offerte à la malignité, une ample matière livrée aux discussions.

À un intervalle de deux cents ans, que sont maintenant pour nous ces ouvrages ? Osons le dire : ce sont de précieux documents historiques, et ceux même qui affectent de les mépriser les ont lus, et y ont appris, à leur insu peut-être, plus qu’ils ne veulent en convenir. Quelques érudits seuls, qui ont beaucoup lu et beaucoup retenu, ont pu glaner çà et là et réunir en gerbe les mêmes faits qu’on trouve ici rassemblés ; mais ceux-là sont rares, et sans ces pamphlets le lien de tous ces récits échapperoit à plusieurs, beaucoup n’auroient dans l’esprit que des traits épars et des lignes confuses : où seroit le tableau ? — Nulle part ailleurs on ne trouve réunis autant de détails vrais sur les relations du Roi avec La Vallière et ses autres maîtresses, de Madame avec le comte de Guiche, de Mademoiselle avec Lauzun, etc. — Je vais plus loin : si l’on excepte les pamphlets de la Fronde, qui n’ont jamais un mot blessant pour le Roi, où trouvera-t-on mieux qu’ici la preuve de ce prestige inouï qu’exerçoit la royauté ? Toutes les foiblesses du Roi sont racontées dans le plus grand détail, et, c’est une remarque fort caractéristique qui ne peut échapper à personne, jamais un mot de blâme ne lui est adressé, jamais une raillerie ne l’attaque, jamais les auteurs n’invoquent la morale pour avoir le droit de ne pas admirer.

Or, sans parler des événements, une tendance si manifeste, qui paroît sous des plumes différentes, est un fait précieux acquis à l’histoire.

Cette opinion de l’importance historique des libelles que je publie pourra paroître exagérée ; mais ce n’est pas sans réflexion, ce n’est pas sans preuves, que je me la suis faite ; si je n’avois pas été convaincu qu’elle est fondée, j’ai trop l’horreur des scandales pour avoir entrepris cette publication. Je le répète, c’est l’histoire seule que j’ai eu en vue ; je dois dire comment je l’ai trouvée.

Les auteurs de ces libelles, on le conçoit, n’ont point eu la prétention d’être des historiens. Le succès du livre de Bussy les a seul provoqués à marcher sur ses traces, ils ont exploité la vogue de son roman ; l’intérêt des libraires a fait le reste. C’est donc à une opération de librairie que nous devons tous ces petits volumes composés dans un genre prisé des acheteurs. Comment les auteurs ont recueilli les faits, je l’ignore. Des exilés français les leur ont-ils fournis ? Ont-ils reçu de la cour des mémoires ? Ont-ils écrit en France et fait imprimer en Hollande ? Nul, je crois, n’en sait rien. Pour nous du moins, si les suppositions ne manquent pas, les preuves font défaut, et nous n’osons rien affirmer. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils étoient généralement bien informés, et notre commentaire ne laissera pas de doute à cet égard.

Toutefois nous devons faire une distinction. Quand nous constatons l’authenticité des faits, nous n’avons garde d’entendre parler des descriptions, des conversations ou des lettres : le fait étant donné, l’auteur en a souvent tiré des conséquences qu’il restera toujours impossible de vérifier, et qui, pour cette raison, compromettent sa véracité et tendent à diminuer la confiance. Telle entrevue, tel discours, tel billet, n’a peut-être jamais existé que dans l’imagination de l’écrivain ; s’il est resté, en les inventant, dans les limites de la vraisemblance, s’il n’a pas démenti les caractères ou introduit des circonstances qui se contredisent, il n’a rien fait dont nous puissions le reprendre, il ne nous a pas fourni d’armes contre lui, et, tout en observant à sa manière les lois du roman, il n’a point failli au rôle d’historien que nous croyons pouvoir après coup lui imposer.

Notre préoccupation unique, dans le commentaire qui accompagne ces libelles, a été de montrer dans quelle mesure on pouvoit en accepter comme vraies les données ; nous avons cru utile de présenter à des lecteurs plus ou moins portés au doute le contrôle des faits qui leur étoient soumis, d’indiquer parfois les erreurs, de confirmer les vérités, de provoquer l’examen. Notre tâche étoit donc tout autre que celle dont s’est acquitté, avec tant d’esprit et de savoir, M. P. Boiteau, le commentateur de Bussy. De ce que ces livres ne doivent point à leurs auteurs un mérite propre qui les soutienne, et de ce que les récits graveleux qu’on y rencontre sont de nature à éloigner le lecteur plutôt qu’à l’attirer, il résultoit pour nous la nécessité d’être grave et sévère, là où il pouvoit paroître enjoué comme son auteur ; avec autant de soin qu’il visoit à rester dans l’esprit de son texte, nous avons cherché à nous séparer du nôtre. Le tableau qu’il présentoit permettoit une riche bordure ; ceux qui suivent réclament un cadre plus simple. Le livre de Bussy est signé, le nom de son auteur le patronne et le pousse merveilleusement ; les libelles qu’on va lire sont anonymes, et ils ont besoin d’être accrédités pour obtenir, non pas le même succès, mais autant et plus de confiance.

Quelques mots encore sont nécessaires pour faire connoître en quoi cette édition nouvelle diffère des précédentes.

Tout le monde sait que chacun des éditeurs de Bussy a ajouté quelques pièces nouvelles à son œuvre, qui leur servoit de passe-port. C’est ainsi que l’Histoire amoureuse des Gaules a fini par comprendre, outre son livre, qui ouvroit la marche, un certain nombre de pamphlets, soit contemporains, soit postérieurs à sa mort, mais que son nom protégeoit, en vertu de cet axiome : « Le pavillon couvre la marchandise. » Toutes les éditions n’ont pas donné les mêmes ouvrages. Ainsi, Alosie, ou Les amours de M. T. P., qui avoit paru sans clef et qui racontoit des aventures toutes bourgeoises, a bien vite disparu ; Junonie, dont les personnages n’étoient guère plus relevés, s’est conservée parce que les noms propres qui s’y trouvoient piquoient la curiosité. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le texte a été définitivement arrêté, et, depuis, toutes les éditions qui se sont succédé ont reproduit les mêmes pièces, dans un ordre plus ou moins arbitraire.

Les lecteurs sont en droit de nous demander tout ce qu’ils sont habitués à trouver dans l’Histoire amoureuse des Gaules, telle que l’ont faite les libraires. Nous avons dû suivre, à cet égard, la tradition, bien qu’il nous eût paru préférable de supprimer tel écrit où le nombre des faits, fort limité, a fait place à des descriptions moins utiles ; mais, dès le début, on verra que nous avons comblé quelques lacunes. Ainsi nous avons introduit la pièce intitulée : les Agrémens de la jeunesse de Louis XIV, qui raconte les amours du grand roi avec Marie de Mancini [1], et dont le manuscrit appartient à un amateur distingué, aussi obligeant qu’il est modeste. Un autre amateur, pénétré de l’intérêt qu’offrent ces livres aux érudits, nous a confié le manuscrit où nous avons emprunté la fin, également inédite, de la Princesse, ou les Amours de Madame [2]. C’est avec une vive reconnoissance que nous les prions l’un et l’autre de recevoir nos remercîments.

Le volume qui suit, augmenté aussi, sera précédé d’un avis qui indiquera nos additions, et suivi d’une étude bibliographique sur les éditions publiées jusqu’ici de l’Histoire amoureuse et sur l’histoire de ces pamphlets.

Notre soin ne s’est pas borné à donner un texte bien complet ; nous l’avons collationné avec une scrupuleuse exactitude sur les manuscripts originaux ou les premières éditions ; des notes nombreuses indiquent les variantes que nous avons ainsi recueillies, les passages que nous avons restitués, les morceaux que nous avons enlevés à certains pamphlets pour les rétablir dans les textes plus anciens où ils avoient paru la première fois, et d’où ils avoient été maladroitement enlevés. C’est à ces notes que nous renvoyons pour prouver, en faveur de notre texte, une supériorité à laquelle nous prétendons hardiment sur toutes les éditions qui ont précédé celle-ci.

Ch.-L. LIVET.

  1. Voy. p. 1-24.
  2. Voy. p. 176-188.