Histoire apocryphe de la France de 1830 jusqu'à nos jours (Bossange)

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Histoire apocryphe de la France de 1830 jusqu'à nos jours
paru dans La Gazette de France le 15 novembre 1841
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VARIÉTÉS.

HISTOIRE APOCRYPHE DE LA FRANCE DEPUIS 1830 JUSQU’À CE JOUR.

Nous jouissons depuis onze ans d’un bonheur si parfait, la tranquillité générale est si complète, la sécurité si profonde, la France si puissante et si fière, que les publicistes auraient brisé leurs plumes s’ils n’avaient imaginé une mystification des plus originales et des plus audacieuses. Ils ont supposé que les évènemens de 1830 avaient enfanté une révolution. Une fois cette hypothèse admise, ils se sont amusés à composer une histoire fort ingénieuse qu’ils ont conduite fort habilement d’année en année jusqu’à ce jour, ils ont élevé un trône tout neuf, ils ont nommé des ministères qui se succèdent avec une rapidité merveilleuse, ils ont raconté des guerres coûteuses et stériles, supposé des émeutes et des massacres, inventé des guet-à-pens infâmes, creusé l’abîme du déficit, désorganisé la société jusque dans ses bases, et fait décheoir la France du premier rang qui lui a toujours appartenu. Cette histoire est des plus complètes, il n’y manque rien, absolument rien que la vérité, ce qui est peu de chose. Elle est devenue très-populaire, et je dois en féliciter les auteurs, mais je ne puis leur en faire reproche, car il y a au fond de leur œuvre un grand enseignement et une admirable moralité. Ils ont accumulé avec tant d’art les conséquences désastreuses qui naissent toujours de l’oubli des principes, ils ont si bien déchiré le voile dont la corruption ne manque jamais de s’envelopper, que je ne crois pas qu’il y ait de lecture plus propre à dégoûter des révolutions, — et si bientôt il sera si difficile de trouver un seul révolutionnaire en France, je ne balance pas à en attribuer tout l’honneur à cette curieuse histoire. Je me prends quelquefois à désirer qu’elle soit vraie pour que la leçon soit plus forte, mais elle est fausse, tout le monde le sait. Il n’y a donc pas lieu à la réfuter, aussi ne veux-je pas perdre mon temps à le faire, mais pour me reposer de cette lecture qui, toute salutaire qu’elle est, n’en porte pas moins avec elle son dégoût et sa fatigue, il me plaît de jeter un regard sur l’ensemble des grands évenemens véritables qui ont fait de la France le pays le plus puissant et le plus heureux de la terre.

Vous n’avez pas oublié que, trois jours après la publication des ordonnances devenues fameuses, Paris présenta un spectacle étrange. On aurait dit qu’un tremblement de terre avait tout bouleversé. Les rues étaient dépavées, des monceaux de décombres interceptaient le passage, le palais des rois était désert, le sang avait coulé, et le peuple, effrayé de sa victoire, regardait autour de lui avec stupeur. C’est alors qu’on vit s’avancer le duc de Mortemart, qui apportait la révocation des ordonnances, la convocation des chambres, les abdications de Charles X et du duc d’Angoulême en faveur de M. le duc de Bordeaux et la nomination de M. le duc d’Orléans à la lieutenance générale du royaume ! C’est alors aussi que M. de Lafayette, qui cette fois n’était pas monté sur son cheval blanc, prononça ce mot sublime qui lui fit tant d’honneur : Il n’est jamais trop tard !

Dès le lendemain, tous les députés se trouvèrent réunis comme par enchantement et s’empressèrent de déclarer, sur la proposition de M. Laffitte et de M. Casimir Périer, que, trouvant leurs mandats insuffisans devant la grandeur des circonstances ils en appelaient à la nation et invitaient le lieutenant-général du royaume à convoquer une assemblée générale, ce que M. le duc d’Orléans se hâta de faire avec autant d’empressement que de joie.

— Tout homme payant une contribution équivalant à cinq jours de travail fut donc invité à se rendre dans sa commune pour élire des électeurs qui se réunirent eux-mêmes, huit jours après, aux chefs-lieux d’arrondissement pour élire les députés. Ces élections se firent dans le plus grand ordre, et l’assemblée générale composée de 918 membres investis de mandats spéciaux, tint sa première séance le 25 août suivant, jour de la Saint-Louis. Le choix de ce jour était une attention délicate et significative de M. le duc d’Orléans.

Après d’importans débats qui durèrent plusieurs jours et dans lesquels brillèrent MM. Berryer, Laffitte, Royer Collard, Dupin Périer, Barrot, Mauguin, Lafayette et tant d’autres, il fut unanimement reconnu que l’origine du mal se trouvait dans l’importation en France des idées anglaises. On se souvint alors du mot de M. de Pradt, qui avait conseillé, en 1814, de convoquer les états-généraux, et on déplora la funeste influence exercée à cette époque par M. de Talleyrand, qui avait fait octroyer une charte quasi-anglaise. On repoussa tout d’une voix la charte de 1814, qui n’était qu’un piège où tout le monde fut pris, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. Voire même que j’y ai été pris comme les autres, tout enfant que j’étais ; mais je n’y tomberais plus, tout candide que je suis encore !

Personne n’a oublié la solennelle séance dans laquelle l’assemblée unanime proclama Henri V roi de France et fixa la majorité à quinze ans. Elle investit en même temps Mgr le duc d’Orléans du gouvernement du royaume, et tout le monde admira dans ces grandes circonstances la haute sagesse de ce prince, son noble caractère et sa fidélité décidée. Il refusa le titre de régent et accepta celui de président du conseil de régence, qu’il composa des plus grandes illustrations du pays. Il ne se réserva à lui seul que le droit de faire grâce, et refusa noblement toute liste civile, ce qui n’étonna personne. Il nomma M. de Villèle premier ministre, ce qui rassura tout le monde.

Dès le lendemain, l’assemblée déchira les traités de 1815, aux acclamations de la France entière.

En conséquence de ce grand acte national, M. le duc d’Orléans prit le commandement de l’armée, et envahit la Belgique, qui se sépara avec joie de la Hollande, et redevint française sous le titre de province de Belgique. Le prince s’avança sur la ligne du Rhin. Les populations venaient au-devant de lui, les habitans ouvrirent les portes des villes, et les garnisons étrangères furent renvoyées honorablement avec armes et bagages. En moins de trois mois et sans combat, la France reconquit ses limites naturelles au milieu d’un enthousiasme qui tenait du délire ! — Vous voyez que l’histoire véritable vaut bien le roman révolutionnaire de mes collègues les publicistes !

C’est alors que parut cette sainte et énergique déclaration que l’assemblée nationale fit signifier à toutes les puissances du globe. Elle proclamait l’indépendance de la France, sa prise de possession de ses véritables limites et sa résolution de s’abstenir de toute autre conquête continentale. — L’Europe se troubla et fit mine d’armer. Mais l’Angleterre était embarrassée dans l’Inde, la Russie avait la Pologne à contenir, et l’Autriche l’Italie à conserver ! Chaque souverain avait ainsi un bras en écharpe. L’armement n’eut pas lieu. Les puissances du continent savaient bien ce qu’elles perdaient, mais elles savaient aussi la force de la France, et d’ailleurs le principe les rassurait, car ce qu’elles craignaient le plus, après tout, c’était une propagande révolutionnaire. Après quelque hésitation, les ambassadeurs revinrent.

Pendant six ans, l’Europe et le monde jouirent d’une paix profonde, qui ne fut même pas troublée par les échos des guerres qui éclataient en Orient et sur quelques points de l’Amérique méridionale.

Mgr le duc d’Orléans et M. de Villèle employèrent ce temps à réorganiser la France, et à reconstruire l’édifice gouvernemental sur des bases inébranlables. Ils furent admirablement secondés par l’élite de la nation en hommes d’état, en grands citoyens et en écrivains célèbres. Grâce à la liberté de discussion, et pour me servir du mot que fit alors entendre M. le duc de Broglie, le public connut tous les faits et le gouvernement connut les opinions. La presse ne fut pas une entrave, elle fut un immense levier. — À la tête du grand mouvement des idées, on distingua M. de Chateaubriand, le roi de la parole, M. Lafitte, M. de Fitz-James, M. Barrot, M. de Dreux-Brézé, M. Mauguin, M. de Larochefoucault, M. Dupin, M. Ravez et une foule d’autres. C’est alors qu’on commença à parler de M. Thiers, toujours prêt à combattre les idées révolutionnaires, et de M. de Cormenin, toujours ardent à les accabler de sa puissante ironie.

La couronne reçut une dotation en forêts de l’état. Le clergé eut aussi une dotation particulière. Le budget fut fixé sur le pied de paix. L’assemblée générale fut seule investie du droit de voter les impôts nécessaires pour faire face aux dépenses extraordinaires. L’élection à plusieurs degrés assura la représentation de toutes les opinions. La gauche et la droite étaient toujours d’accord pour le progrès en toutes choses, le centre votait avec la droite sur toutes les questions d’ordre et de sécurité, la gauche et le centre s’unissaient en faveur de la liberté, que d’ailleurs la droite ne refusait pas, mais réglait dans sa marche. Dans une pareille assemblée les grands intérêts du pays avaient ainsi une majorité assurée.

La chambre des pairs brilla d’un immense éclat et devint le grand conseil de la couronne. Elle fut composée de toutes les illustrations de la France. On y vit le banc des maréchaux, le banc des archevêques et des évêques, celui des généraux et celui de la magistrature. On y voyait aussi des manufacturiers célèbres, d’illustres écrivains et de grands poètes. Lamartine y fut appelé. Elle était principalement chargée de la confection laborieuse des lois, soumises ensuite au vote de l’assemblée générale.

La France fut divisée en provinces qui s’administraient elles-mêmes, entretenaient leurs routes et leurs ponts ; et faisaient face à tous leurs besoins locaux avec leurs propres ressources. Il n’y eut plus besoin d’avoir recours aux ministres pour la construction d’une écluse, la réparation d’un chemin vicinal ou l’amélioration d’une rivière. Les ministres purent consacrer tout leur temps aux intérêts généraux, et la race des solliciteurs le perdit.

Cependant le gouvernement ne perdait pas de vue notre belle conquête d’Alger. On avait fait appel aux populations de l’Europe, et les colons s’étaient présentés de toutes parts. On en compta un million la première année ! Aujourd’hui l’Algérie compte déjà, comme chacun sait, six millions d’habitans européens et quarante deux villes nouvelles. La confiance est grande, et l’ombre du drapeau de la France est une protection efficace. Vingt mille hommes suffisent pour assurer la police des routes de ces vastes contrées, et les colons offrent une milice armée de plus d’un million d’hommes. Plus de cinq cent mille Arabes ont embrassé le christianisme, et Abd-el-Kader a obtenu le grade de maréchal-de-camp.

Toute cette immense organisation de la France et de l’Algérie a demandé six années. Il faut du temps pour tout.

En 1836, le roi prit les rênes du gouvernement, sollicita M. le duc d’Orléans de lui continuer son loyal et habile concours, et conserva son ministère.

Le pape voulut venir le sacrer, et M. de Quélen, le saint et fidèle prélat, fut chargé d’aller le recevoir à la frontière. L’imposante cérémonie eut lieu à Aix-la-Chapelle. Lorsque le roi reçut la couronne des mains de Mgr le duc d’Orléans, il s’éleva une acclamation si immense qu’elle fut entendue à une grande distance, et couvrit la voix de l’artillerie. Tout le monde a remarqué qu’en présentant la couronne, M. le duc d’Orléans pleurait de joie, et les cris d’approbation qui s’élevaient de toutes parts furent, disait-il, sa plus belle récompense.

Le jeune roi voulut marquer son avènement par quelque chose de grand et d’utile. Tout le monde sait que c’est à sa ferme volonté que la France doit cet immense réseau de chemins de fer et de canaux qui la couvre, et qui unit tous les points du royaume. Son système fut simple et habile. Il voulut que chaque province fournît le terrain ; l’état tous les travaux d’art, de déblai et de remblai ; les compagnies les rails, le matériel et l’exploitation. Chacun fut propriétaire d’une portion des revenus correspondans au capital fourni. Le roi voulut aussi que la jouissance fût perpétuelle et non pas pour un temps déterminé. C’est à cette occasion qu’il dit que le principe de la légitimité étant perpétuel, devait assurer la perpétuité de la propriété.

Pendant que ces grandes choses s’accomplirent, et sans que leur exécution en fût ralentie, d’importans événemens se passèrent. L’Europe fut troublée et la paix générale compromise. Mehemet-Ali avait secoué le joug du sultan, et le menaçait aux portes de Constantinople. La Russie fit marcher ses armées, l’Angleterre envoya ses flottes, l’Autriche intervint, et la France ne balança pas à faire entendre sa voix pour proposer la réunion d’un grand congrès qui se tiendrait à Rome.

Des négociations s’entamèrent, et pendant ce temps toutes les puissances coururent aux armes. L’Europe présenta l’aspect d’un camp immense !

L’assemblée générale du royaume fut réunie pour voter cinq cents millions, et le fit par acclamation, avec une unanimité bien faite pour faire réfléchir les rois de l’Europe. Quelques députés proposèrent de fortifier Paris, et cette opinion désastreuse faisait des progrès, lorsque parut une brochure de M. Thiers. Cet habile écrivain traita la question de haut, il dit que les fortifications de Paris, c’étaient l’Océan, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ! Il fit honte aux cœurs pusillanimes de placer la force de la France autre part que dans le courage et le patriotisme de ses enfans. Il groupa des chiffres et démontra qu’on gaspillerait un demi milliard en pure perte ! Puis, invoquant le nom de la liberté, il déclara que Paris, le foyer de l’intelligence et du génie, dégénérerait à l’ombre des bastilles, et fut jusqu’à accuser de haute trahison tout député qui oserait voter une semblable mesure ! — La brochure de M. Thiers renversa le projet, et le roi de France satisfait lui envoya le grand cordon de la Légion-d’Honneur. « Celui qui a seul empêché une si grande faute, lui fit-il dire, a remporté une victoire nationale ! »

Cependant le congrès de Rome s’assembla. Le roi y envoya M. Berryer, M. le duc de Fitz-James, M. le marquis de Dreux-Brézé, le maréchal Soult et M. le baron Pasquier, son ministre des affaires étrangères, M. de Chateaubriand. Ce fut dans la basilique de Saint-Pierre que fut résolu l’anéantissement de l’islamisme. La Russie s’empara de la Turquie, l’Angleterre reçut l’Égypte, la Prusse par compensation refit et compléta son territoire. La France se réserva Jérusalem et la Palestine, mais, toujours grande parce qu’elle est forte, elle n’en voulut pas la souveraineté. Elle releva l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, le divisa en autant de langues qu’il y avait de nations en Europe, et le constitua gardien des lieux saints. Les juifs s’y rendirent de toutes parts et reconquirent enfin leur nationalité après avoir reconnu, aux pieds du saint pontife, que le sanhédrin de Jérusalem avait crucifié le Messie. M. de Rothschild, qui avait donné l’exemple et fondé dix collèges, reçut le titre de duc de Saint-Jean-d’Acre.

Ces événemens qui avaient failli mettre le monde en feu et bouleverser l’Europe, sont devenus, grâce à la noble attitude et au désintéressement de la France, les bases sur lesquelles repose encore aujourd’hui la paix universelle. Les grandes alliances qui se contractèrent alors en Europe et qui en furent la conséquence, sont des liens et des gages de plus entre les souverains et les peuples.

La joie fut générale lorsqu’on apprit que le roi allait épouser la princesse Alexandra, fille de l’empereur de Russie ! Le marquis Henri de La Rochejaquelein fut nommé ambassadeur extraordinaire. Le choix qu’on fit de lui était un compliment à l’empereur qui n’avait pas oublié avec quelle brillante valeur M. de La Rochejaquelein avait combattu à l’avant-garde russe dans une campagne mémorable contre les Turcs. L’empereur Nicolas ne voulut pas le recevoir dans les salons du palais, l’ambassadeur fut conduit en grande pompe au milieu de la place entourée par la garde impériale. Dès qu’il arriva, l’empereur fut au devant de lui et tendant la main lui rappela en souriant cette noble devise : « Si j’avance suivez moi, si je meurs vengez moi, si je recule tuez-moi. »

Bientôt la jeune princesse partit pour la France, elle traversa l’Europe. Les populations se pressaient tellement sur le passage de la jeune reine de France, que de Saint-Pétersbourg à Paris, ce ne fut qu’une longue acclamation ! Mais c’est en France que l’enthousiasme fut au comble ! Une alliance avec la Russie était une chose toute nouvelle, les deux peuples ne s’étaient rencontrés jusqu’alors que sur les champs de bataille où ils avaient appris à s’estimer, ils savaient que leurs intérêts en toutes choses étant différens, il n’y aurait jamais entre eux ni rivalité ni concurrence. La princesse était dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Sa vue et ses gracieux sourires lui gagnèrent tous les cœurs. Dès que son pied eut touché le sol de la France, elle fut française pour tout le monde et n’eut plus qu’à se laisser aimer.

Dans cette grande occasion, le roi, voulant témoigner à la branche d’Orléans toute son affection, daigna consentir au mariage de sa sœur, Mademoiselle, avec M. le duc de Chartres, fils aîné de M. le duc d’Orléans. Ce jeune prince avait servi avec distinction en Afrique, et s’était toujours fait remarquer par son dévouement à la personne du roi.

L’année suivante fut remarquable par deux autres alliances qui firent de la maison d’Orléans une maison souveraine, et prouvèrent à quel point M. le duc d’Orléans s’était élevé dans l’estime publique par sa noble conduite et son admirable fidélité. Le duc de Nemours épousa la reine Victoria et s’assit prés du trône d’Angleterre aux acclamations de l’Irlande catholique. La princesse Clémentine épousa le prince des Asturies, héritier présomptif de la couronne d’Espagne.

C’est à cette époque que se passa un singulier événement qui faillit enlever aux lettres une de ses plus grandes célébrités et à l’université sa plus belle gloire. Le savant professeur Guizot avait lu le roman politique dont je vous ai parlé, et ne pouvait s’empêcher de le relire sans cesse. Il était indigné du râle épouvantable qu’on lui faisait jouer dans cet ouvrage d’imagination. On y supposait qu’il avait été plusieurs fois ministre par suite d’intrigues parlementaires, qu’il avait donné des ordres impitoyables, et voulu gouverner par l’intimidation ! On lui faisait porter une main parricide sur la liberté de la presse, et on abaissait son caractère de citoyen au point de le représenter comme le jouet complaisant de la diplomatie anglaise ! Ambassadeur nommé par M. Thiers, il le trahissait pour le renverser et le remplacer ! — M. Guizot s’arrachait les cheveux de désespoir ; il tomba dans un long délire, et s’écriait sans cesse : « Non, cela est faux ; je ne suis pas un austère intrigant, je ne suis pas un mauvais Français ! »

Il fallut le saigner abondamment, lui donner des douches glacées et le garder à vue. Le savant docteur Blanche imagina de le revêtir de sa robe de professeur d’histoire, de le coiffer du bonnet carré et de le placer ainsi devant une glace. Ce stratagème réussit complètement. En se voyant professeur, le malade oublia qu’on l’avait supposé ministre. Il recouvra la raison en grande partie, et pleura de bonheur à la seule pensée que, grâce à Dieu, il n’avait eu que le cauchemar. Cependant il voulut une sorte de réparation, et se résolut à intenter une action en calomnie contre le Journal des Débats qui avait inséré le roman politique dans ses colonnes. Le journal fut condamné à l’unanimité et ses abonnés le quittèrent, ce qui lui fut plus sensible que la condamnation. Ce fut le seul exemple d’un procès de la presse pendant ces onze années.

Et maintenant, comparez ces deux histoires et choisissez ! Dans l’une, la France est grande, puissante, riche et heureuse ; dans l’autre, elle est petite, faible, pauvre et malheureuse. — Dans la première, qui est la vraie, M. le duc d’Orléans est l’homme le plus considérable et le plus aimé de la terre ; on se presse dès qu’il paraît et on le porte en triomphe. — Dans la seconde, où il est connu sous le nom de Louis-Philippe, il est accablé de soucis entouré d’ennemis, menacé par d’infâmes sociétés secrètes sorties des barricades, et le point de mire de lâches meurtriers ! Il tremble même pour ses enfans ; ce qui est la plus grande torture qu’un homme puisse éprouver ! — Dans mon histoire apocryphe, toutes les places sont données au mérite. ; il ne faut que du talent pour parvenir, chacun a sa fortune dans sa main. — Dans l’histoire de la prétendue révolution, les fonctions publiques sent le prix de la faveur, la monnaie de la corruption, et nul n’est sûr de son lendemain.

Croyez-moi, la mienne est la vraie, et j’en sais quelque chose puisque c’est en récompense de bientôt dix années de travaux dans la Gazette que j’ai été nommé historiographe de France, glorieuse tâche que je viens de remplir à ma satisfaction personnelle, — et j’oserai dire à la vôtre, si, comme moi, vous aimez les beaux rêves.

A. BOSSANGE.