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Histoire artistique des ordres mendiants/Première leçon

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PLANCHE II

SANO DI PIETRO
Sermon de saint Bernardin à Sienne sur la Piazza del Campo.
Voir p. 23, 58.
(Sienne, chapitre de la Cathédrale).

Au fond, le palais public avec sa fameuse « Tour du Mangia » et la petite chapelle en plein air construite après la peste de 1348. Le prédicateur tient en mains le « monogramme du Christ ». On remarquera la barrière qui divise l’auditoire et sépare les deux sexes.

Cliché Alinari.


SANO DI PIETRO Sermon de saint Bernardin à Sienne sur la Piazza del Campo.
SANO DI PIETRO Sermon de saint Bernardin à Sienne sur la Piazza del Campo.



PREMIÈRE LEÇON

L’ÂME RELIGIEUSE AU XIIIe SIÈCLE
SAINT FRANÇOIS ET SAINT DOMINIQUE


Idée générale du sujet : importance artistique des ordres religieux. — Caractère des Ordres Mendiants. — Actualité de cette étude ; son sens et son objet. — I. Saint François et la Renaissance. Saint François et l’ordre franciscain. L’art franciscain est « fonction » de l’ordre franciscain. — II. Franciscains et Dominicains. Leurs luttes et leurs rivalités. Pourquoi on ne doit pas séparer les deux grands Ordres Mendiants. Saint Dominique et saint François. — III. Circonstances historiques de leur avènement. L’Europe mystique au XIIIe siècle. Cathares, Albigeois, Vaudois. La crise sociale et la crise religieuse. Diffusion des Ordres Mendiants. — IV. L’art des Mendiants exprime une révolution de la sensibilité. — Conclusion.

Il y a, pour l’historien de l’art depuis le Christianisme, un fait essentiel, fait signalé depuis longtemps par tous les écrivains de l’école catholique, mais qu’on n’a pas encore utilisé comme il convient, ou dont les conséquences sont loin d’être épuisées : c’est le rôle artistique des ordres religieux.

Tout le monde sait aujourd’hui quels services incomparables ont rendus, aux époques barbares, les grandes colonies religieuses. Si, dans le naufrage du monde antique, la civilisation a pu être sauvée, c’est à elles que nous le devons : elles furent dans cette tourmente l’arche de l’avenir. Sans elles l’humanité menaçait de subir une régression irréparable : toute l’avance acquise était anéantie ; l’histoire était à recommencer.

Les moines furent vraiment alors le sel de la terre, l’élite qui travaille et mérite pour l’espèce. C’est leur faire tort que de les réduire au rôle de scribes ou de copistes, de bibliothécaires de la chrétienté. Ce ne sont pas seulement des livres, ce sont les habitudes et les semences de la culture qui nous furent transmises par les religieux. Grâce à eux, les traditions ne devinrent pas lettre morte. Les fonctions libérales, les applications de l’industrie ne cessèrent pas d’être exercées. Partout où il y eut des moines, il y eut prescription contre la barbarie. Les arts furent pratiqués. Des constructions s’élevèrent. La vie intelligente ne souffrit pas d’interruption.

Toutefois, quelle qu’ait pu être l’ampleur de quelques individus, les grandes créations monastiques frappent par leur caractère impersonnel et collectif. Elles respirent en quelque sorte l’institution sociale. Ce sont essentiellement des styles d’architecture, des « ordres », comme les appelle excellemment la langue latine : et l’expression semble inventée pour les créations de l’Église régulière. Quel ne fut pas le rôle de Cîteaux dans la diffusion de l’art roman ou ogival ! On se rappelle la belle image du chroniqueur Raoul Glaber. Après avoir dépeint la terreur de l’an mil, il exprime l’espoir renaissant, le retour à la confiance. « La terre, écrit-il, revêtit une robe nuptiale, une parure de blanches églises ». Eh bien ! cette robe de fiançailles, cette candeur des jeunes cathédrales, c’est le présent que firent au monde les moines de Saint-Bernard. Dans toute l’Europe, jusqu’en Orient, à Rhodes ou à Chypre, on suit encore les traces de cette croisade monumentale.

De ce monopole religieux dérivent deux caractères de l’art du moyen âge : l’un est son attitude constamment méprisante à l’égard de la virtuosité, l’absence de dilettantisme, le dédain de « l’art pour l’art ». L’Église n’est nullement l’ennemie du talent, mais veut qu’il serve, se subordonne. Il est un moyen, non une fin. Il a son principe et son but en dehors de lui-même. Il ne se justifie que par l’utilité, l’édification. Secondement, et corollairement, le caractère cosmopolite ou international. À cette date, en effet, il n’y a pas proprement d’art ni de poésie, de sculpture ou de peinture française ou italienne, allemande ou espagnole : il n’y a qu’un génie commun à toute la chrétienté. On en a fait un reproche à la pensée du moyen âge. On peut y reconnaître aussi bien sa grandeur. En tout cas, romanes ou gothiques, bénédictines ou cisterciennes, l’ubiquité ou, pour mieux dire, la catholicité des grandes écoles monumentales suppose l’existence de ces vastes républiques monastiques. Seules leurs phalanges omni-présentes disposaient du pouvoir d’instituer partout une discipline universelle et d’imposer au monde une idée générale.

La période de quatre ou cinq siècles, — allant de la fin du XIIIe à la moitié du XVIIe, — dont ces leçons se proposent d’embrasser l’histoire religieuse et artistique, est l’une des plus intéressantes. C’est celle qui est marquée par la création et par l’activité des Ordres Mendiants. On appelle ainsi, on le sait, des formations religieuses d’une nature très particulière, en ce que, comme leur nom l’indique, elles font profession de rejeter toute espèce de propriété individuelle ou collective, pour vivre au jour le jour, sans capital ni économies d’aucune sorte, du travail de leurs membres et des aumônes des fidèles. C’est, à l’égard de la pauvreté, la stricte application de la prière évangélique : Panem quotidianum da nobis hodie. Ces formations, empreintes d’un vague socialisme, se rapportent toutes à un temps qui est celui des premiers progrès de la démocratie ; elles n’en sont, à vrai dire, que la face religieuse. Contemporaines des grandes luttes livrées par les Communes pour la conquête de leurs libertés, elles furent, à leur manière, une réaction contre les mœurs de l’Église féodale. Leur paupérisme hardi décongestionne celle-ci de l’énorme main-morte accumulée entre ses mains. Enfin, leur organisation intérieure, celle d’immenses armées, placées sous l’autorité absolue d’un général[1], leur division en provinces, leurs conseils de guerre ou chapitres périodiques, leur vie mêlée par la prédication à celle de la foule, leurs profondes réserves d’affiliés laïques, hommes et femmes de toutes les classes, n’étaient pas dans l’Église une moindre innovation. Les Ordres Mendiants du XIIIe siècle apparaissent ainsi comme une des formes les plus originales du monachisme, dont le caractère essentiel est l’action populaire. Aucun produit religieux n’exprime mieux certaines circonstances historiques et sociales, ni ne se présente dans le passé avec des traits mieux définis et plus nettement physionomiques.

Ajoutez que les Ordres Mendiants ont suscité pendant trois siècles à travers toute l’Europe un nombre incalculable d’œuvres d’art ; qu’ils sont contemporains du mouvement de pensée d’où sort la Renaissance ; qu’ils se trouvent ainsi associés, dans une mesure à préciser, à quelques-uns des plus graves événements de notre histoire morale ; que deux de ces Ordres sur quatre, — les Mineurs ou Franciscains, les Dominicains ou Prêcheurs — (les deux autres sont les Carmes et les Ermites de Saint-Augustin[2]), ont produit une foule de légendes, d’héroïques ou poétiques figures, à commencer par celles de leurs fondateurs, saint Dominique et saint François, figures qui font partie des plus chers souvenirs, du trésor spirituel conservé par l’humanité : j’en aurai assez dit pour vous faire entrevoir, si je sais bien y réussir, l’intérêt singulier de l’étude que nous entreprenons.

Le moment est favorable à une telle entreprise. Depuis quelques années, on assiste à un renouveau des études franciscaines. Les travaux se sont multipliés au point qu’on ne peut plus même énumérer les principaux. De leur côté, les Pères de l’Ordre de Saint-Dominique ne demeurent pas inactifs. Je ne veux pas surcharger cette leçon d’un luxe de bibliographie. Je me borne à l’essentiel. D’abord, en première ligne, le livre excellent, déjà un peu ancien, mais si utile et si précieux, du P. Vincenzo Marchese : ses Mémoires sur les architectes, sculpteurs et peintres dominicains[3]. C’est ensuite le livre classique du Dr Thode sur Saint François d’Assise et les origines de la Renaissance en Italie[4]. L’auteur y développe une vue imposante : à savoir que la Renaissance, limitée d’abord au siècle de Léon X, puis reculée à Masaccio, est en réalité un mouvement homogène, un phénomène continu qui commence au XIIIe siècle, se poursuit avec Giotto, pour s’achever deux siècles plus tard dans les œuvres de l’âge d’or : ensemble magnifique, où l’on a bien le droit de distinguer des époques, mais dont on ne saurait méconnaître le puissant enchaînement et l’harmonie majestueuse.

À côté de cette grande idée, qui restaure, en quelque manière, l’unité de la Renaissance, l’auteur n’a-t-il pas exagéré et légèrement faussé le rôle personnel du patriarche d’Assise ? Ne lui arrive-t-il pas de « prêcher pour son saint » ? On pourrait aussi souhaiter que son livre fût plus « européen », je veux dire que le sujet en fût moins circonscrit à l’étude de l’Italie. C’est un reproche que j’adresserais à presque tous les travaux issus de celui du Dr Thode. La méthode contraire a ses inconvénients : elle nous obligera à beaucoup de raccourcis ; nous serons forcés de parcourir un peu à vol d’oiseau tant de pays divers ; mais nous aurons l’avantage de mieux voir les ensembles, et nous prendrons moins facilement la partie pour le tout. De même, au risque d’empiéter sur la période suivante, il m’a paru intéressant de suivre le mouvement religieux des Ordres Mendiants dans toute la durée de son évolution, c’est-à-dire tant qu’il a eu quelque action générale et que cette action s’est signalée par des œuvres artistiques. Je voudrais essayer de le saisir à ses débuts, d’en marquer la nature, d’en décrire la courbe et le trajet, pour ne le quitter qu’au moment où il retombe épuisé et cesse d’avoir un rôle ou une existence distincts.

Je ne me dissimule pas ce qu’un pareil dessein offre de téméraire ou de présomptueux. S’il n’est pas entièrement chimérique, c’est aux admirables travaux de M. Émile Mâle que j’aurai l’obligation du peu que j’en réaliserai. Je n’ai pas à louer devant vous ce maître, un de ceux qui honorent les études françaises, à la fois artiste et savant, dont l’érudition ne fait que servir le sentiment, et chez qui le scrupule le plus sévère ne gêne ni ne paralyse l’imagination, le goût, la poésie. Si le livre de Thode sur les Origines de la Renaissance est le point de départ de cette esquisse, celui de M. Mâle sur l’Art de la Fin du Moyen Âge l’a seul rendue possible. J’avais à cœur de lui payer cette dette de gratitude et de respect.


I


Saint François d’Assise est à cette heure un des saints les plus populaires. Son lieutenant saint Antoine a peut-être une clientèle plus nombreuse : si j’osais, je dirais qu’il fait mieux ses affaires. Mais, débarrassée par là même de sa fonction professionnelle, la figure du saint patriarche s’éclaire d’un rayonnement nouveau. Elle dépouille en quelque sorte son caractère confessionnel. Elle n’est pas moins chère au protestant libéral qu’à la communion catholique. Le pèlerinage d’Assise attire tous les ans un plus grand nombre de dévots. Les artistes racontent les scènes de la légende. On ne parle du Poverello qu’avec attendrissement. Il y a même pour cela un développement de « style ». Michelet, dans deux pages brûlantes, a indiqué le thème[5], que Renan a repris plus tard avec toutes les grâces de sa prose chatoyante, et qui de là s’est répandu et réédité mille fois sous des plumes moins autorisées, qui y trouvent un lieu commun de tout repos et un facile « effet ».

Je ne m’en plains pas, au contraire ! Il n’y aura jamais entre nos adversaires et nous trop de points de contact. Je me demande seulement si tout cela ne cache pas quelque malentendu. Nous faisons à saint François une situation privilégiée, une position hors rang et hors cadre dans l’histoire : il n’y en a plus que pour lui. C’est une faute de tact. Nous le tirons trop à nous. Sa figure prête sans doute un peu au romantisme : mais on en « remet » !

Renan, dans un article célèbre, a écrit de saint François, en passant, cette phrase : « Ce mendiant est le père de l’art italien ». Tout le livre de Thode est le développement de cette métaphore. Nous verrons ce qu’il en faut penser, et si la Renaissance peut être rattachée au mouvement franciscain, ou s’y trouve enveloppée à la manière d’une conséquence. Je ne suis nullement de cet avis. Ce sont deux choses simultanées, qui se trouvent souvent mêlées dans la réalité, qui entretiennent donc entre elles certains rapports, mais qui sont par ailleurs entièrement indépendantes, différentes profondément par leur nature et leurs principes, et qu’on n’a nul prétexte de faire dériver l’une de l’autre.

« C’est là-haut, dans la calme Assise, qu’a été célébrée vraiment la touchante et joyeuse fête de réconciliation entre deux amis qui s’étaient trop longtemps méconnus, l’homme et la nature. Un homme s’est trouvé, saint François, qui les a tous deux embrassés dans un même amour illimité ; c’est lui qui a réuni les mains de ces deux amis longtemps séparés, et qui a consacré leur nouvelle alliance pour la première fois. Il y aurait eu là un sujet digne d’être figuré par Giotto, en pendant à cette autre scène nuptiale qu’il a peinte : les Fiançailles du saint moine et de la Pauvreté. »

Ces phrases, qui sont de M. Thode, sont de belles phrases, mais ce ne sont que des phrases. Assise n’était pas « calme » au XIVe siècle, moins encore un siècle plus tôt ; le naturalisme de Giotto n’a rien de commun avec la virginale émotion, la mystique tendresse que concevait saint François au spectacle de la création : et c’est jouer sur les mots que de ramener l’une à l’autre, ou de nommer du même nom, deux choses qui ne se rencontrent que par l’infirmité et la misère du langage.

Mais il y a plus. Toutes les biographies modernes, principalement les protestantes, insistent sur les contrariétés auxquelles se heurta saint François dans l’accomplissement de sa mission. Là réside le pathétique de la belle Vie de saint François par M. Sabatier : on assiste de page en page à la désillusion, aux déboires du saint fondateur, incompris de ses amis, trahi par ceux qui le protègent, voyant chaque jour son œuvre se défigurer sous ses yeux, et ne se consolant pas de survivre à son rêve. Il y a là, on le sent, un élément dramatique d’une force incomparable. Un poète, un artiste aux prises avec les combinaisons mesquines des politiques ; un inspiré qui se débat dans une lutte sans issue avec les nécessités de la vie, et voit son idéal se flétrir en se réalisant ; l’angoisse et les chagrins de l’apôtre témoin de son propre désastre, et l’abdication ou la démission finale du prophète désabusé, vaincu et pleurant sa chimère : quelle tragédie plus émouvante, ou quel spectacle plus touchant ?

Opposer saint François à son œuvre, le mettre en contradiction avec elle, soutenir que le mouvement franciscain n’a pas eu de pire ennemi que les papes bienveillants qui cherchèrent à l’organiser ; écrire que Grégoire IX, en canonisant saint François et en venant poser la première pierre de son temple, ne faisait que consacrer la ruine des idées les plus chères de son ancien ami, — vous reconnaissez le paradoxe : c’est le même qui oppose l’Évangile à l’Église, la religion du cœur à la théologie et au pharisaïsme. On voit se répéter, à douze siècles d’intervalle, le drame spirituel que nous représente l’auteur des Origines du christianisme.

Que penser ? Quelle conscience saint François eut-il de sa mission ? Avait-il un plan, un programme ? Il ne paraît pas avoir été un politique ; sa nature semble plutôt celle d’un agitateur, d’un divin entraîneur de consciences et de foules : les dons de l’administrateur, de l’homme de gouvernement, les facultés pratiques, en un mot, ne lui avaient pas été départies du moins au même degré. Les choses n’auraient pas tardé à se gâter. L’impulsion un peu confuse, un peu irrégulière, d’où était sorti le premier groupe franciscain, ne pouvait s’étendre sans danger qu’à la condition d’être disciplinée. On le vit bien en 1219, pendant l’expédition de saint François en Terre sainte. L’ordre livré à lui-même courait aux excentricités et aux fantaisies anarchiques. Le pape brusqua les choses. Sans cette intervention, que fût-il arrivé ? Coup d’État ! dira-t-on : mais on ne réussira pas à nous donner le change. Encadrer le mouvement franciscain, le régulariser, était-ce le confisquer ou même l’altérer ? Pour un enfant soumis et affectueux de l’Église, pour n’importe quel fidèle, mais surtout pour un homme qui porta jusqu’à la sainteté le respect du sacerdoce, laquelle était la vraie banqueroute, ou de voir son œuvre adoptée et consacrée par Rome, ou de la voir condamnée par elle ?

Cette digression me ramène à mon objet. Car il faut opter : ou se résoudre à avouer qu’il n’y a pas d’art franciscain — et alors, soit ! n’en parlons plus — ou bien cesser une bonne fois d’opposer saint François à l’œuvre issue de lui et qui porte son nom. Il n’y a pas à sortir de là. L’influence de saint François sur les arts est un mythe, si elle ne s’est pas exercée, comme toute autre du même genre, à travers la société dont il est le fondateur. Nulle ou presque nulle en un sens, si on veut la rendre immédiate, directe et personnelle, elle est en revanche considérable, si l’on veut bien admettre qu’elle s’est développée en fonction du temps, et par l’intermédiaire d’une famille humaine. C’est par leur ordre, c’est par la création de ces races morales, que les grands fondateurs s’emparent de l’avenir. Que sert de dire que ces familles, comme les naturelles, tendent sans cesse à dégénérer, et qu’il y a toujours, dans les œuvres humaines, de l’écart entre le rêve et la réalité ? Pourtant l’analogie ne saurait être complète, les familles spirituelles demeurant en partie maîtresses de leurs destinées, libres de leurs choix et de leurs vocations, et disposant ainsi de la faculté indéfinie de se purifier en se rapprochant de leur source.

Qu’on doive envisager ainsi les choses, en voulez-vous une preuve ? Vous savez que de très bonne heure, du vivant même de saint François, il se produisit dans l’ordre de graves dissentiments au sujet de la règle. La question de la pauvreté, ou du degré d’héroïsme qu’il convenait d’apporter dans le renoncement, devint bientôt une cause endémique de crises, où la dignité de l’ordre et son existence même menacèrent de sombrer. De là les divers mouvements que suscita pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, la fraction exaltée du parti franciscain, Fraticelles de Provence, Spirituels ou Pauvres Ermites de la Marche d’Ancône, mouvements séditieux, turbulents, dont la peinture a plus d’une fois tenté les historiens du milieu intellectuel et moral de cette époque. Ces petites factions, ces chapelles opiniâtres, qu’on nous donne pour les héritières de l’esprit franciscain, furent absolument stériles au point de vue de l’art.

L’une des plus curieuses est une secte latitudinaire, qui eut une certaine fortune dans la province de Parme, celle des Apostoliques ou Apôtres, fondée par un demi-fou du nom de Gérard Segarelli. Ce carnaval religieux semble une vraie parodie de l’idéal franciscain. Eh bien ! je crois qu’on ne lui aurait pas donné plus d’importance qu’il n’en mérite si, au lieu d’en juger d’après le long récit, d’ailleurs si amusant, qu’en fait Salimbene, on eût interrogé les monuments, qui sont muets. Leur silence aurait remis les choses à leur plan.

Par là le témoignage de l’art prend une réelle gravité. Inhabile, dans ces vieux temps, à exprimer encore la vie individuelle, l’art est par excellence l’historien des sentiments communs. Tout ce qu’il n’a pas enregistré risque fort d’être du domaine des curiosités érudites, qui n’intéressent pas l’histoire générale. Il n’admet guère, à cette époque, que ce qui correspond à la mentalité des foules. Il immortalise le rêve de multitudes obscures. En déposant pour elles, pour l’honneur d’innombrables fidèles anonymes, qui n’ont fait que naître, travailler, espérer et mourir, on peut dire que son témoignage revêt une grande poésie et une haute moralité.


II


Cette étude ne séparera pas l’ordre dominicain de l’ordre franciscain. Elle ne les confondra pas non plus : elle se souviendra, au contraire, de distinguer le mieux qu’elle pourra leur diverse nature et leur double influence. C’est pour cela précisément qu’elle évitera de les diviser. M. Thode nous donne l’exemple dans un chapitre de son livre, qui en est de beaucoup le morceau supérieur. Nous tâcherons de l’observer dans le cadre de ces leçons.

Je n’oublie pas que les deux ordres ont entretenu souvent des relations pénibles. Leur but est trop semblable, leurs moyens sont trop les mêmes, leur terrain d’action les oblige à se rencontrer trop souvent, pour qu’il ne s’ensuive pas de vives rivalités. Cette émulation est loin d’être demeurée toujours bien fraternelle. On en sent les effets dans presque tous les domaines : en philosophie ou en théologie, entre Thomistes et Scotistes, aussi bien que dans la pratique, dans la construction de leurs couvents et de leurs églises, il y a d’une maison à l’autre une sorte de lutte et de surenchère continuelle. Que ne fait pas l’esprit de corps ?

Les Prêcheurs se piquaient d’être plus cultivés, mieux élevés aussi que leurs confrères les Mineurs. Ils se flattaient encore d’un rôle plus officiel, d’une meilleure tenue, d’une orthodoxie plus sévère. Comme Inquisiteurs, il est permis de regretter qu’ils aient quelquefois triomphé de l’erreur avec trop d’entrain, quand l’erreur était représentée par quelque cordelier. Les généraux ne se lassent pas de recommander aux frères une conduite plus charitable. Mais ces exhortations réitérées à la paix prouvent clairement que l’atmosphère était plutôt aigrie. Même le suave Angelico, dans ses Jugements derniers, culbute allègrement les Mineurs dans l’Enfer, tandis que les Prêcheurs, en face, sont reçus par les anges dans les préaux du Paradis. Mais qu’est-ce que cela prouve ? On perdrait son temps à éplucher ces zizanies. Le P. Mortier rapporte à ce propos un trait charmant. Deux galopins se rossaient sur une place d’Italie ; le plus petit avait naturellement le dessous. Le Père voulut s’interposer. Alors le vainqueur, rouge de rage, et sans s’interrompre de frapper : « Qu’est-ce que ça vous fait ? cria-t-il. C’est mon frère ! »

Cette fraternité, on peut dire que les Mendiants n’en ont jamais perdu le souvenir. Il y a au musée du Louvre une prédelle florentine, qui provient sans nul doute d’une de leurs églises. Au centre du paysage, on voit le Christ en jardinier, aux pieds de qui se prosternent deux « pénitents » célèbres, la Madeleine et le roi David. Aux deux extrémités, deux personnages solitaires, dont l’un est saint Pierre de Vérone, le grand martyr dominicain, et l’autre, nu, un bâton à la main, bizarrement accoutré d’une ceinture de feuilles, est, paraît-il, l’anachorète saint Onuphre. Enfin, dans les deux intervalles, deux couples sont disposés avec une symétrie remarquable : à gauche, ces deux femmes qui s’embrassent représentent la Visitation ; mais à droite, deux moines se serrent sur le cœur l’un de l’autre ; l’un est vêtu de bure, il a les mains stigmatisées, l’autre a la tunique blanche sous le scapulaire noir : c’est la rencontre de saint François et de saint Dominique. Quelle importance a donc cette scène, pour être mise en parallèle avec la rencontre des saintes femmes qui portent dans leur sein Jésus-Christ et son Précurseur ?

Il s’agit d’un épisode bien connu de la vie des saints fondateurs. Le voici, tel que le rapportent les Vies des frères de l’Ordre dominicain, de Gérard de Frachet.

Un frère mineur, très pieux et très digne de foi, qui avait été l’un des premiers compagnons de saint François, fit à ses frères le récit suivant, que l’un d’eux communiqua à notre général.

Saint Dominique était à Rome, pour obtenir de Dieu et de Notre Saint Père le Pape la confirmation de son ordre. Une nuit que, selon sa coutume, il était en prières, il eut une vision : Jésus-Christ lui apparut debout et menaçant, et brandissant trois lances. Sa mère tombait à ses pieds et lui adressait des paroles suppliantes : « Mon Fils, ayez pitié des hommes que vous avez sauvés, et que votre justice se tempère de douceur. » Il répondait : « Ne voyez-vous pas les outrages qu’ils me font ? Ma justice peut-elle les laisser impunis ? » Elle reprit : « Vous savez tout. Voici par où vous ramènerez les hommes. J’ai un bon serviteur que vous enverrez au monde ; il prêchera votre Évangile ; et les hommes convertis vous appelleront leur Rédempteur. Je lui donnerai pour l’aider un autre de mes serviteurs, et ils travailleront ensemble pour la gloire de votre nom. » Alors le Fils reprit : « Ma mère, votre vue fait tomber ma colère ; cependant montrez-moi ceux que vous destinez à un si grand ouvrage. » Alors Notre-Dame présenta à Notre-Seigneur Jésus-Christ saint Dominique et saint François : et il la remercia, et loua ses serviteurs.

Cependant saint Dominique dévisageait dans son extase cet ami inconnu. Le lendemain matin, il le rencontra à l’église. Il reconnaît aussitôt l’ami de sa vision, il court à lui, l’embrasse et le baise tendrement : « Le voilà, s’écrie-t-il, celui que Dieu m’envoie ! Allons, luttons ensemble, personne ne nous résistera. » Et il se mit à lui conter sa vision de la nuit, et tous deux devinrent un seul cœur et une seule âme dans le Seigneur, — ce qu’ils voulurent que leurs frères fissent toujours à l’avenir.


Cette légende a été reproduite cent fois par les peintres et les sculpteurs : Frà Angelico la représente dans son tableau de Cortone, Frà Bartolommeo la place au fond de son tableau du Louvre, mais personne ne lui a donné autant de poésie qu’André della Robbia, dans son merveilleux bas-relief de la Loggia de San Paolo, à Florence. Et ce souvenir n’a pas vécu dans les seules œuvres de l’art. Il s’est inscrit encore dans la liturgie dominicaine. Je voudrais pouvoir vous citer la noble page de Lacordaire, sa description de la fête du fondateur de l’ordre, célébrée chaque année à Rome en l’église de la Minerve, en présence du gardien franciscain de l’Ara Cœli, solennellement prié à cette occasion avec ses frères : page admirable, empreinte de toute la majesté des rites monastiques, et de la cordialité émouvante qui perpétue depuis sept siècles à travers deux grands ordres la mémoire d’un accord et le geste d’un baiser.

On dispute — de quoi ne dispute-t-on pas ? — sur la question de savoir à laquelle des deux créations revient le mérite et l’honneur de la priorité. Autre sujet de polémiques : il s’agit cette fois du degré d’originalité relative des deux fondateurs, et de la part d’influence qu’a pu exercer saint François sur l’œuvre de saint Dominique. Pour M. Sabatier, à partir de 1216, et surtout de 1219, cette œuvre n’est plus qu’un reflet de celle de son ami[6]. D’autres vont jusqu’à lui contester la propriété de sa biographie. On le dépouille de sa légende. Celle-ci ne fait, dit-on, que démarquer celle de saint François : on lui prête les mêmes miracles.

On épilogue encore sur le caractère et le mérite respectif des deux saints. Je ne prolonge pas le parallèle. Il est clair que saint Dominique n’aurait pas l’avantage. Il nous est beaucoup moins connu que son ami. Dès l’origine, il a eu une presse moins brillante. Ce n’est pas un saint pittoresque. Ce tendre et vigoureux athlète, d’âme si douce et si humble, l’étudiant qui vendait ses livres pour secourir les pauvres, et brûlait de se livrer lui-même en échange d’un captif ; l’apôtre qui, plus tard, dans ses courses évangéliques, découvrant de loin les toits des villes pleines de péchés, ne sait pas retenir ses larmes ; qui supplie le pape de ne pas publier ses miracles et qui, au lit de mort, se punit d’un mouvement d’orgueil éprouvé à la pensée de sa chasteté, en s’accusant d’avoir, dans la conversation des femmes, préféré les jeunes aux vieilles, — ce beau et mâle visage a pourtant un grand charme. Il y a chez cet Espagnol un tranquille héroïsme, une âme de croisé, du Saint-Jacques ou du Cid. Menacé d’un guet-apens, il chante en s’engageant dans le « chemin du Sicaire ». Une lumière devait émaner de sa personne, une sorte de rayonnement céleste, cette atmosphère d’éclat, tantôt doux et tantôt terrible, que ses portraits expriment par une étoile au front, et qui revient dans sa légende sous la forme de visions de feu, d’incandescences, de météores, de chiens secouant dans leur gueule une torche enflammée.

Et pourtant, pour lutter avec son grand rival, il lui manquera toujours on ne sait quoi qui se sent plus qu’on ne peut le dire ; il lui manque cet air de fête et de roman, le côté d’enthousiaste, de rêveur et de paladin, ce luxe, ce charme d’enfant prodigue qui font un délice du récit de la vie de saint François par les Trois Compagnons ; il lui manque cet inattendu, ce trait de folie et de fantaisie, cette mobilité, cette pitié profonde de la souffrance humaine, ces allures de vagabond, de ménestrel et de héros, cette imagination, ce délire d’amour qui rendent irrésistible la figure de l’autre ; il lui manque d’avoir sur ses traces fait éclore des Fioretti ; il lui manque la gentillesse exquise des « Femmes de neige », le miracle des roses, la famille animale, le petit cortège ailé, sautillant, frémissant, d’agneaux, de lièvres, d’alouettes, de perdrix, de cigales, au milieu desquels apparaît la fine silhouette, par un grêle avril ombrien, comme dans un Paradis peint par un Primitif. Saint Dominique n’a pas fait le Cantique du Soleil. Il n’offre pas ce mélange inouï de sensibilité et de passion, d’optimisme et de tendresse, d’aristocratie raffinée et de génie populaire, qui fait de saint François — toute sainteté à part (si cela est concevable) — le plus merveilleux poète qui ait jamais vécu.


III


Mais à quoi bon poursuivre ? Dante l’a bien compris : quels que soient les génies divers des fondateurs, leurs œuvres sont solidaires, elles sont inséparables :

… Però che d’ambedue
Si dice l’un pregiando, qual ch’uom prende,
Perche ad un fine fur l’opere sue.

Non seulement elles eurent la même « fin », mais des causes semblables et une même origine. Ces deux créations jumelles sortent simultanément des aspirations et des besoins du siècle. On disserte sur leur originalité. Qu’est-ce à dire ? Nul ne conteste, que je sache, celle de saint François : pourtant sa tentative, en un sens, n’est pas neuve ; l’idée était dans l’air ; l’idéal de « pieux laïcisme » dont on lui fait honneur, était déjà celui des Vaudois, des Humiliés de Lombardie, des Pauvres catholiques de Durand de Huesca, des Béguins, des Béghards du Nord. Partout, à cette heure de crise où le monde se renouvelle et dépouille laborieusement sa carapace féodale, le malaise et l’angoisse sociale prennent une forme religieuse.

Deux traits dominent cette singulière époque du moyen âge : l’un est, selon un mot heureux[7], sa « puissance d’affinité » : il semble que les hommes, surtout les humbles, les petits, le popolo minuto, le « peuple maigre », comme on l’appelle, comprenne tout à coup que ses maux lui pèseront moins, s’ils sont mis en commun : chacun se décharge de son fardeau, prend une part de celui des autres, mais il s’est soulagé du plus lourd, qui est le sien : en perdant sa solitude, la vie déjà commence à être plus supportable. Le second trait est un esprit de sacrifice et de pénitence, une soif étrange de larmes, la croyance mystique en la vertu du renoncement, du dénûment, de la pauvreté comme solution suprême à toutes les difficultés, aux impossibilités inextricables de la vie. Ce monde est une énigme, une cruelle impasse, une bassefosse d’ambitions, d’égoïsmes, de cupidités, où les appétits se dévorent, où les passions s’entre-heurtent, où les plus forts piétinent et écrasent les faibles : seule, l’expiation librement acceptée, la souffrance volontaire, contient le mot du problème et la clef de la délivrance. L’erreur, c’est le désir de primer, de jouir, c’est la concupiscence du luxe et de la chair, l’orgueil diabolique de la vie : nulle issue au monde, que de renoncer au monde, de ruiner la vieille et mauvaise illusion et, à la place de l’antique idole exorcisée, de diviniser la douleur.

Telle est la religion très simple et très touchante, un peu « russe », très irrationnelle, qu’on voit sortir alors des entrailles de la chrétienté. Le monde pousse cet immense soupir. On entend proférer comme un bruit de sanglots. Tarie, glacée depuis des siècles, la source sacrée, la source des larmes, commence à palpiter. Le genre humain blessé, ravi, se souvient qu’il avait un cœur. De toutes parts, on devine qu’une nouvelle ère s’inaugure. Les voyantes, sainte Hildegarde, Élisabeth de Schönau, prédisent la prochaine aurore. Jamais le monde n’a paru en proie à une telle fièvre religieuse : les fondations se multiplient. Vallombreuse, Grandmont, la Chartreuse, Cîteaux, s’échelonnent dans les quarante dernières années du XIe siècle, suivis par Fontevrault, les Prémontrés et Sempringham dans les quarante années suivantes ; la fin du siècle voit un redoublement d’activité : coup sur coup, en quelques années, se fondent les Trinitaires, les Carmes, les Mercédaires, les Servites. Cela ne suffit pas encore : cent mouvements hétérogènes, Cathares, Patarins, Vaudois ou Albigeois, parcourent et agitent la société chrétienne.

Sans doute, dans ces accès tumultueux, fébriles, les limites de l’orthodoxie sont bientôt dépassées. Le noble instinct de sacrifice, de purification, arrive rapidement aux chimères les plus dangereuses. La doctrine du renoncement, comme unique philosophie, dégénère aisément en un pessimisme lugubre ; elle se change en une négation haineuse de la vie. L’existence apparaît alors comme un péché. On se figure le monde comme une œuvre mauvaise, création monstrueuse du génie des ténèbres, rêve hideux dont le grand but humain consiste à se délivrer. Le vouloir-vivre collabore à cette erreur néfaste et en prolonge la durée. Le « parfait » saura s’affranchir du piège de la vie. Il ne sera pas complice de l’œuvre inexpiable. Il refusera d’ajouter au mal universel. Il éteindra en lui l’aiguillon de la vie, et se réunira au principe de lumière, dans la paix du non-être, au sein de l’inconscient et de l’indéterminé.

Ces doctrines de désespoir désolaient des provinces entières de l’Europe. Une malaria étrange s’attaquait au principe lui-même de la vie. Contre l’hérésie albigeoise, devenue un péril social, Dominique, avec ses Prêcheurs, commence la croisade de son apostolat, la guerre du syllogisme et de la controverse. Ce sont les chiens de berger, les Domini canes, qui pourchassent avec un furieux amour les brebis égarées et ramènent le troupeau. François fait mieux encore. Il ne livre nulle bataille. Il ne raisonne pas, il oublie la mêlée et le heurt des doctrines : il ne voit que des hommes qui avaient faim de Dieu. Il ne cherche pas à détruire le dualisme funèbre, le clair-obscur farouche du cauchemar albigeois : mais, par la naïveté et la tendresse de son cœur, par son sentiment délicieux et poétique des choses, il retrouve la simplicité adorable du plan divin, l’unité de la vie. Il voit que l’univers est une œuvre d’amour.

Ainsi les deux milices dominicaine et franciscaine sont les deux faces de la même idée, la double expression d’une situation unique. Au reste, leur mission est trop semblable par son objet, pour que leurs différences de nature soient très sensibles dans la pratique. On oppose trop le Prêcheur savant et scolastique, au Mineur ignorant et tout passionné. Saint Thomas est l’ange de l’École : mais la Somme théologique n’eût certainement pas suffi à bouleverser le monde. Il est clair que les missionnaires tenaient un autre langage. Quand nous lisons les Actes des nouveaux apôtres, de ces prédicateurs qui soulevaient des auditoires de trente, de soixante mille hommes, de ce Jean de Vicence à la voix duquel les factions oubliaient leurs haines invétérées, de ce Venturino de Bergame derrière lequel marchaient des populations entières, de vingt autres, comme saint Réginald, saint Raymond de Peynafort ou saint Vincent Ferrier (tous dominicains, notez-le), — on comprend que de tels effets ne s’obtiennent pas avec des distinctions académiques et des subtilités d’argumentation. Ces grandes voix s’adressaient à un élément plus sensible et plus facilement excitable que la triste raison : c’est le cœur qu’elles visaient et frappaient à grands coups.

Nous ne nous faisons plus l’idée de l’émotivité des foules au moyen âge, de leur faculté d’exaltation, de leur état d’illuminisme, de leur promptitude à marcher, à se mobiliser à la suite d’une idée, d’un fantôme, d’un mirage. Tout le XIIIe siècle est traversé par ces grandes houles, par ces mystérieuses lames de fond qui transportent parfois les peuples et causent les migrations. L’homme, si longtemps attaché à la glèbe, s’en arrache comme une poussière, en longues colonnes flottantes que chasse un esprit tout-puissant : la terre se mélange de ciel. Faut-il vous rappeler la croisade des enfants, la croisade des pastoureaux, ces jacqueries mystiques, ces phénomènes inexplicables qui soulevaient des multitudes éprises et altérées d’un songe ? Ils partaient, les yeux pleins de la Terre Promise, et à chaque village demandaient si c’était là Jérusalem : ils croyaient, ces enfants, que comme jadis devant Israël, la mer s’ouvrirait devant eux afin de se laisser traverser à pied sec. Ils attendaient le miracle. Le miracle, n’était-ce pas leur sublime confiance ? On n’eut jamais de leurs nouvelles : nul ne sait ce qu’ils sont devenus. Absorbés par un rêve, ils s’évanouirent comme un rêve. Qui n’envierait le sort de ces doux extasiés ?

Des contagions pareilles ne cessent de renaître. En 1260, ce fut la grande flagellation : la terre s’enivra d’une rosée sanglante. « Ils parurent sur toute la terre, écrit Salimbene, et tous les hommes, grands et petits, nobles et gens du peuple, se flagellèrent tout nus en procession le long des rues, évêques et moines en tête. On se réconciliait, on restituait le bien mal acquis, on se confessait de ses péchés ; les prêtres ne mangeaient plus, ils n’avaient pas le temps. Et l’on eût dit une voix de Dieu plutôt que la voix de l’homme, et c’était celle des multitudes, et le genre humain s’avançait dans la voie du salut… Cette crise de piété se propageait, volait comme l’aigle, et elle durait plusieurs jours dans chaque ville ; les plus superbes faisaient comme les autres. Qui résistait, qui s’abstenait, semblait pire que le diable : on le montrait au doigt comme un homme perdu, un damné. » Le gouvernement de Crémone fit dresser le long du Pô une haie de potences : alors, l’épidémie cessa.

Et partout, pendant tout le siècle, on retrouve cette spontanéité, cette faculté d’invention, d’improvisation religieuses : ce sont les Apostoliques, les Sachets ou frères au sac, les Britti, les Boscarioli, les Ermites, les Gaudentes, ces mille sectes que Gebhart s’est plu à décrire dans son livre charmant de l’Italie mystique. Un des plus jolis épisodes est l’histoire d’un prédicateur populaire appelé Benoît du Cornet. C’était un illettré, un simple, dont toute l’éloquence était faite de son innocence et de sa mansuétude. On le regardait avec douceur, et on le laissait faire comme un être inoffensif. Il avait adopté un costume singulier, espèce de turban ou de chapeau arménien, ceinture de cuir, longue tunique grise tombant jusqu’aux chevilles, croix rouge de dimensions énormes par devant et par derrière ; et il avait aussi une trompette ou cornet de cuivre, d’où lui venait son sobriquet : il sonnait sa petite musique pour convoquer matin et soir les bonnes gens à ses homélies. Souvent, on le voyait à Parme sur le mur de l’archevêché, haranguant ses ouailles. Il commençait toujours par la même oraison : « Honorons, bénissons, glorifions le Père, le Fils et le Saint-Esprit », et l’auditoire reprenait les mêmes paroles en chœur. D’autres fois, tous parcouraient la ville, en psalmodiant des cantiques, avec des cierges et des feuillages. On revenait devant l’église et, après un petit sermon, chacun se séparait en chantant : Alléluia !

Tel est le milieu où naquirent et se développèrent les Ordres Mendiants. C’est ce qui explique leur rapide et prodigieuse fortune. En quelques années, toute l’Europe est parcourue, gagnée. Quand on lit dans les vieilles chroniques, chez Thomas d’Eccleston ou Jourdain de Giano, le récit de ces années héroïques, on demeure ébloui de cette marche et de ces progrès : en quelques mois, toute l’Angleterre, toute l’Allemagne conquises ! Des missions se fondent jusqu’en Pologne et en Hongrie. C’est que partout les Mendiants apportent la parole bienfaisante, l’Évangile de tendresse et de pitié, le grand Consolamentum dont l’humanité avait soif. Partout leur idéal, pour reprendre le mot d’un des leurs, fut le dard, l’« aiguillon d’amour » dont l’âme avait besoin pour vivre, l’énergique stimulant des facultés de sympathie.


IV


C’est là tout le secret de la puissance des Mendiants ; ce fut tout leur enseignement, et c’est toute la portée de leur révolution. C’est une révulsion de la sensibilité. Quel rapport cette résurrection, cette secousse du christianisme, ont-elles avec l’idéal qui sera celui de la Renaissance ? Quel rôle ont-elles joué dans l’évolution de l’art ? C’est ce que je me propose d’étudier avec vous.

Et voici que j’ai un scrupule. Quel titre avons-nous donc, à peine chrétiens que nous sommes, pour venir parler de ces choses ? De quel droit allons-nous, en esthètes et en dilettantes, mesurer la qualité religieuse des œuvres qui feront l’objet de ce cours ? Ce qui nous charme chez saint François comme chez saint Dominique, c’est ce qu’ils ont ajouté à la beauté du monde : sans les chefs-d’œuvre nés de leur pensée, nous seraient-ils si chers, et serions-nous ici pour nous en entretenir ? N’est-il pas légèrement impie et sacrilège de considérer en artistes, en voluptueux, ces héros de la pauvreté, qui jamais n’ont pensé à l’art ? Est-ce ainsi que nous profitons de leurs leçons de détachement ?

Et cependant, qui sait ? Cette beauté qu’ils n’ont pas voulue, c’est tout ce qui nous reste de commun avec eux. Grâce à elle, ces hommes admirables vivent toujours en nous, ils nous parlent encore. À travers l’art, nous pourrons remonter à eux, dépasser l’art. Et puis, dans une certaine mesure, la beauté n’est-elle pas aussi un don divin ? L’instinct qui fait le grand artiste ne rejoint-il pas quelque part l’élan qui fait le grand saint ? Ne sont-ils pas tous deux des formes de l’amour ?

Notre père François, notre père Dominique, vous eussiez abhorré ces églises charmantes où nous retrouvons votre souvenir ; vous eussiez gémi de ce luxe qui pare vos autels, de ces couleurs brillantes qui doucement illuminent les parois de vos temples. Pourtant, ces choses sont de vous. Ne les reniez pas. Pardonnez-les, si vous pouvez, à la faiblesse humaine. Elles semblent vous contredire : c’est là un de ces jeux féconds auxquels se plaît Celui qui a pétri de contradictions notre complexe nature. Souvent la vie a de ces surprises. Vous aviez déposé en nous un germe de mélodies : quoi d’étonnant que la lyre humaine ait résonné sous vos doigts ?

Je vous répéterai ce qui fut dit de l’un de vos frères, le frère Vitta de Lucques, le merveilleux chanteur qu’on ne se lassait pas d’entendre. La nuit, il faisait des duos avec le rossignol. C’était un fort mauvais sujet, un écervelé, un casse-cou, assez peu édifiant ; mais personne ne lui en voulait, dès qu’il ouvrait la bouche. Papes, cardinaux, évêques, suspendus à ses lèvres, écoutaient dans le ravissement la voix de l’inimitable artiste. On eût ouï voler une mouche. Quelqu’un troublait-il le silence, aussitôt on lui rappelait le mot de l’Ecclésiaste : Non impedias musicam ! C’est aussi ce que je vous dirai, héroïques initiateurs : « Laissez, laissez ! Ne défendez pas la musique ! »






  1. Ce point a été très bien indiqué par M. Jean Guiraud, dans son Saint Dominique (collection « Les Saints », p. 84). Jusqu’au XIIIe siècle, il existait deux « Règles », celles de saint Benoît et de saint Augustin : mais, s’il y avait des couvents suivant ces deux grandes observances, il n’y avait pas, à vrai dire, d’« Ordre » bénédictin ou augustin, c’est-à-dire une collectivité de monastères groupés, non seulement sous une même règle, mais sous l’autorité d’un général unique. « Même les observances, déjà assez centralisées, de Cluny et de Cîteaux, apparaissent, dit M. Guiraud, comme des fédérations de maisons autonomes, beaucoup plus que comme des Ordres. Le Saint-Siège avait été prié de confirmer chaque couvent particulier ; on n’avait même pas songé à lui demander un privilège général pour une collection de monastères formant un tout indivisible. » Il suit de là que les Mendiants ne sont pas proprement des « moines », comme les Augustins et les Bénédictins ; on ne devrait les nommer que des « religieux ». Mais cette nuance est un peu subtile, et le langage courant ne l’a jamais observée.
  2. On ferait une utile étude sur les caractères artistiques de ces deux ordres. Leur rôle n’est pas toujours celui de simples doublures ; nous aurons l’occasion d’en faire la remarque dans la cinquième de ces leçons, à propos des peintures de la Chapelle des Espagnols. Ces peintures sont, en effet, un thème « augustinien », que les Dominicains empruntèrent, en l’amplifiant, à deux beaux manuscrits qui nous sont parvenus. Cf. Dorez, Le canzone delle Virtà e delle scienze, Bergame, 1904. Mais la chose n’en resta pas là. Les Augustins, frustrés dans la gloire de leur héritage par la célébrité de la Chapelle des Espagnols, en firent faire une toute semblable, comme une revendication éclatante, dans leur église des Eremitani à Padoue, la même que Mantegna devait décorer de fresques illustres. Voir J. von Schlosser, Giusto’s Fresken in Padua, Vienne, 1896. Peut-être faut-il attribuer à l’influence augustinienne le célèbre plafond « astrologique » du Salone de la même ville. En tout cas, on ne saurait négliger ici le Triomphe de saint Augustin du musée de Besançon, tableau exécuté visiblement en concurrence des Disputes de saint Thomas de Francesco Traini à Pise et de Benozzo Gozzoli au Louvre. Il y a d’ailleurs en Italie presque autant d’églises portant le nom de S. Agostino, qu’il y en a de consacrées à saint François ou à saint Dominique. La vie de saint Augustin y remplace celle de ces derniers. L’église de saint Augustin à S. Gimignano est un type charmant de l’art des Mendiants.

    Les Carmes sont un ordre encore plus intéressant. Ils offrent une physionomie extrêmement originale. Victor Le Clerc observe qu’ils ont rapporté du Carmel un caractère oriental, quelque chose de la mégalomanie, des mirages de là-bas. Ils s’étaient composé une légende de leurs origines fabuleuses. Leur ordre, prétendaient-ils, remontait à Élie lui-même, et comptait Pythagore au nombre de ses chefs (Hist. littér. de la France, t. XX, p. 511, et Anal. Bolland, 1906, p. 195). Il est difficile de ne pas reconnaître dans ces fables audacieuses un reflet des visions de l’Islam, de ces demi-hallucinations avec lesquelles Mahomet entraînait les Arabes, ou qui fanatisaient les bandes du Vieux de la Montagne.

    D’ailleurs, dans la pratique, il ne semble pas que les Carmes aient beaucoup différé du reste des Mendiants. Ce qu’on raconte des succès oratoires de Thomas Couette, le carme breton du XVe siècle, qui se faisait, dit-on, hisser au bout d’une corde pour se faire entendre de plus loin, n’est (si le texte est bien interprété) qu’une réédition de ce que nous savons de vingt autres prédicateurs franciscains ou dominicains. Tout le monde sait que c’est aux Carmes de Florence que Masaccio peignit en 1427 ses fresques immortelles. Et je regrette que le plan de cette étude m’oblige à laisser en dehors le pauvre carme défroqué qui reçut devant ces fresques la vocation du grand artiste, et devint l’admirable Fra Filippo Lippi.

  3. P. Vincenzo Marchese, Memorie dei più insigni Pittori, Scultori e Architetti domenicani, 4e édit. Bologne, 1878.
  4. H. Thode, Franz von Assisi und die Anfänge der Renaissance in Italien, Berlin, 1885, 2e édit., 1904. Traduction française, Paris, 1909. Cf. Hettner, Italienische Studien, Brunswig, 1879.
  5. En 1833, dans l’admirable deuxième volume de son Histoire de France. L’article de Renan, qui fait partie de ses Nouvelles études d’histoire religieuse, a paru pour la première fois en 1855, à propos de la traduction française du Saint François de A. von Hase, publié l’année précédente.

    Il y aurait à ce sujet une curieuse étude à faire : ce serait l’histoire de la récente popularité de saint François, ou de la manière dont on a conçu sa figure dans les trois derniers siècles. On sait qu’elle a subi une sorte d’éclipse. Humanistes et protestants ont, au XVIe siècle, voué à saint François une haine acharnée. Je dirai plus loin (Xe leçon) un mot de leur fameux pamphlet, l’Alcoran des Cordeliers. Je me borne à rappeler que Luther n’a pas dédaigné d’en écrire la préface : ceci pour les critiques modernes qui font de saint François un précurseur de la Réforme.

    C’est pour remettre les choses au point qu’il n’est pas inutile de rappeler la tradition des docteurs protestants. Chose curieuse ! Saint Dominique a été bien moins maltraité. Le XVIe siècle ne s’était pas encore avisé de nos idées humanitaires : il ne s’indignait pas des bûchers de l’Inquisition. Personne n’était tolérant : on ne s’étonnait pas de l’intolérance des autres. Saint François au contraire est profondément incompris. Qu’on lise Henri Estienne, Agrippa d’Aubigné (la Confession de Sancy), Jurieu, Bayle (qui cite tous ces auteurs dans les notes de son Dictionnaire) : ce qui les scandalise, c’est tout ce qui nous charme ; c’est « ma sœur l’hirondelle » et « mon frère le faucon », c’est le délicieux épisode de la « famille de neige » ; c’est, en un mot, l’exquise nature poétique de saint François.

    On ne peut d’ailleurs reprocher bien vivement cette inintelligence aux polémistes protestants. Devant de pareils traits, les catholiques eux-mêmes n’étaient pas moins embarrassés. L’auteur de la réponse à l’Apologie de Jurieu, Ferrand, ne sait trop comment excuser ces folies. Bossuet seul, avec son merveilleux lyrisme, a dit là-dessus le mot juste ; il échappe assez à son siècle pour comprendre saint François, comme il a compris saint Bernard. Il n’en est pas moins vrai que cette hostilité, cette attitude critique et sèchement rationaliste, paraissent inhérentes à l’esprit « genevois ». Les calvinistes les ont léguées aux encyclopédistes. Le vénérable Edmond Schérer ne pardonnait pas à saint François d’ignorer l’économie politique. Il tance vertement Renan de ses préférences inexplicables pour ce « mendiant » et cet « aliéné » ; et il le gourmande d’importance sur le goût qu’il affiche pour ce que Schérer, sans complaisance, appelle les « facéties du stigmatisé » [Cf. Edmond Schérer, au t. IV des Études de littérature, et T. de Wyzewa, Nos maîtres, article sur la Vie de saint François de M. Sabatier].

    Nous sommes revenus de ces injustices. Nous le devons sans doute à l’école romantique, l’école du néo-christianisme à la Chateaubriand. (Voir, dans les Mémoires d’Outre-tombe, édit. Biré, t. V, p. 228, une page datée de 1829 ; et surtout, t. VI, p. 361 et suiv., l’admirable morceau, du 6 octobre 1833, où se trouve dégagée toute la poétique du sujet. Cf. Stendhal, Rome, Naples et Florence, 3e édit., 1826, t. II, p. 161.) L’initiateur du mouvement paraît bien être ce puissant Görres, le Chateaubriand de l’Allemagne, « plus redoutable que trois armées », disait Napoléon. Il faisait partie du groupe des Schlegel, des Boissérée, lié par tant de côtés au cercle des Nazaréens, à ce couvent d’artistes bien intentionnés dont le maître, Overbeek, a peint à la Portioncule un si pauvre Miracle des roses. La brochure de Görres, Saint François le troubadour, parut en 1828. C’est la première fois que le saint patriarche se trouvait réhabilité et compris comme poète, et qu’on donnait son rang au Cantique du soleil parmi les monuments du génie italien. Cette brochure fut traduite dès 1833 dans la Revue Européenne.

    Peu après paraissaient en France, en 1836, l’étude charmante d’Armand Rio sur l’Art chrétien en Italie (à laquelle Ruskin doit tant), et le livre fécond de Frédéric Ozanam sur les Poètes franciscains en Italie au XIIIe siècle (1850), livre qui enchantait Renan à sa sortie du séminaire. Et Renan lui-même, à l’égard de saint François, n’est originairement qu’un romantique de cette école. De toute cette poésie résulte parfois, il faut le dire, un peu de vague sur la personne de François. On finit par en faire une figure à peine chrétienne, fantôme inoffensif, dénué de substance, n’ayant qu’une existence toute littéraire et artistique, — dernière édition de Jocelyn ou du Vicaire savoyard. Méfions-nous !

  6. Sur cette question, voyez le Saint-Dominique de M. Jean Guiraud, dans la collection : Les Saints, et dans les Mélanges Paul Fabre, son mémoire : Saint Dominique a-t-il copié saint François ?

    Dans cet ordre de choses, on ne doit procéder qu’avec une extrême prudence. Ruskin, dans un joli morceau, commente la fresque de Giotto, à Santa Croce, qui représente saint François au moment où, pour convaincre le sultan, il lui propose de se jeter dans les flammes. Il y a un trait analogue dans la vie de saint Dominique : mais celui-ci, pour persuader les hérétiques, ne jette sur le bûcher que le livre des Évangiles. On sent la différence. Mais Sabatier fait remarquer que l’anecdote reproduite par Giotto n’apparaît pas dans les histoires primitives du saint ; Jacques de Vitry, qui a connu François en Palestine et parle longuement de lui, ignore pareillement le fait. Ne peut-on supposer que les biographes franciscains ont voulu renchérir sur un récit de Constantin d’Orvieto, dans sa Vie de saint Dominique ?

    Il en va de même pour la fameuse vision d’Innocent III, également peinte par Giotto à Assise et dans la prédelle de son tableau du Louvre (si ce tableau est bien de lui). On sait que le pape, au moment de la fondation des Mendiants, aurait vu en songe un inconnu, de taille gigantesque, qui soutenait de son épaule le Latran. Cet inconnu était François, rapporte Celano dans sa Deuxième vie. Mais on prête la même aventure à saint Dominique : on la trouve peinte par Angelico dans la prédelle de ses tableaux du Louvre et de Cortone. Là-dessus, Sir Martin Conway accuse les Dominicains de plagiat. Il se pourrait qu’il fallût faire la critique inverse. La Deuxième vie de Celano, commandée au chapitre de Gênes en 1244, n’a pu, pour diverses raisons, être achevée avant 1247. La Vie de saint Dominique, par Constantin d’Orvieto, a été composée entre 1242 et 1246. Le « plagiaire », on le voit, n’est peut-être pas celui qu’on pense.

  7. Du P. Mandonnet, Cf. ses Origines de l’Ordo de Pœnitentia, Fribourg, 1898.