Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 3/Chapitre 5

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LIVRE 3 CHAPITRE 5

CHAPITRE V.

Continuation de l’Histoire du regne de Majorien. mort de cet Empereur, & Proclamation de Severus son successeur. Etat de l’Empire d’Occident sous Severus.


Le dessein qui avoit engagé Majorien à faire la paix le plus promptement qu’il lui avoit été possible avec toutes les puissances des Gaules, étoit, comme on l’a dit déja, le projet de passer incessamment en Afrique, et de reconquerir cette importante province sur les Vandales. Nous avons vû que de tous les projets qu’il pouvoit former, celui-ci étoit le plus avantageux à l’empire d’Occident, et nous avons parlé des préparatifs que ce prince avoit faits, même avant qu’il eût pacifié les Gaules. Dès que Majorien y eut rétabli l’ordre ou du moins la tranquillité, il se mit en marche pour passer en Espagne. C’étoit sur les côtes de cette grande province qu’il avoit donné aux bâtimens de sa flotte, leur rendez-vous. Il semble d’abord qu’il dût prendre une autre route, et qu’il lui convînt mieux de s’embarquer en Sicile pour passer en Afrique. Du cap Lilybée qui est dans cette isle, jusqu’au promontoire de Mercure qui est en Afrique, il y a moins de trente lieuës. Lorsque les Romains avoient envoyé des armées dans ce pays pendant la premiere, la seconde et pendant la troisiéme guerre punique, ils leur avoient fait prendre cette route-là, quoiqu’ils fussent les maîtres de les faire partir d’Espagne. Cependant on trouve en faisant reflexion sur les circonstances des tems et des lieux, que Majorien avoit pris un parti judicieux.

En premier lieu, il n’étoit point à propos de faire passer à travers toute l’Italie et près de Rome l’armée qu’il conduisoit en Afrique. Nous avons vû qu’elle étoit composée en grande partie de barbares. Il valoit donc encore mieux que cette armée commît dans les Gaules et dans l’Espagne, les desordres qu’il étoit comme impossible qu’elle ne fît pas dans les contrées qu’elle traverseroit, que de les commettre en Italie. En second lieu, les dispositions que Genséric avoit faites pour se mettre en état de défense contre tous les Romains qui voudroient entreprendre de le chasser de l’Afrique, obligeoient encore Majorien à prendre le parti auquel il se détermina. Ce roi des Vandales avoit démantelé toutes les villes de la province d’Afrique, à l’exception de Carthage dont il avoit fait sa place d’armes, et dans les environs de laquelle il tenoit le plus grand nombre de ses troupes, comme dans le lieu qui étoit le plus exposé en cas de guerre contre l’empire. Ainsi Majorien, s’il fût parti de Sicile, auroit été contraint à faire son débarquement en presence des ennemis, ou bien il auroit été réduit à ranger une côte fameuse par ses Syrtes et par ses autres écueils, jusqu’à ce qu’il eût dévancé ces ennemis qui n’auroient pas manqué de le suivre par terre, et de tenter l’impossible pour faire autant de chemin que sa flotte, afin d’être toujours à portée de s’opposer à la descente. Au contraire ce prince en partant d’Espagne, et rangeant la côte de cette grande province, n’avoit qu’un trajet de quatre ou cinq lieuës à faire pour aborder dans un endroit de l’Afrique, où il étoit comme assuré de mettre pied à terre sans opposition. Ce lieu-là qui étoit dans la Mauritanie, et en face de Cadix, se trouvoit être à une si grande distance de Carthage où les Vandales avoient leurs arsenaux, où ils avoient fait leurs dépôts, et dont par conséquent ils ne pouvoient pas trop s’éloigner, qu’on ne devoit pas craindre de les avoir en tête quand on y aborderoit. Il est vrai que Genséric avoit devasté la Mauritanie, dès qu’il eût été informé que c’étoit sur les côtes d’Espagne que l’armée Romaine devoit s’embarquer. Il avoit même fait empoisonner les puits, et combler les fontaines. Mais l’empereur Majorien comptoit qu’il auroit deux ressources pour faire subsister ses troupes lorsqu’elles auroient mis pied à terre en Mauritanie. L’une consistoit dans les vivres qu’il feroit venir de l’Espagne, des Gaules ou de la Sicile, et l’autre dans les provisions que les anciens habitans de la Mauritanie seroient encore en état de lui fournir, quoique Genséric eût devasté leur pays. Ces habitans devoient avoir sauvé une grande partie de leur grain, parce que l’usage de cette contrée est de les garder dans de grandes fosses recouvertes de terre, et qu’il étoit impossible que la plûpart de ces caches n’eussent échappé aux recherches des Vandales.

Enfin ce qu’il y avoit de plus important pour Majorien, c’étoit de mettre pied à terre au-plutôt. On ne sçauroit prendre de trop bonnes mesures pour épargner à une flotte nombreuse et qui doit transporter des troupes de terre, l’inconvenient dangereux de tenir la mer long-tems. Comme l’expédition dont il s’agit ici, est la derniere entreprise d’éclat que l’empire d’Occident ait faite pour se relever, il doit être permis à un auteur qui écrit l’histoire de l’établissement de la monarchie françoise fondée sur les ruines de cet empire, de faire quelques reflexions sur les causes qui rendirent un pareil armement infructueux.

Majorien eût peut-être été le restaurateur de l’empire, s’il eût employé les forces qui restoient encore dans ce corps politique à faire d’abord quelqu’expédition moins importante à la verité que celle d’Afrique, mais aussi moins exposée aux contretems. Pour rétablir la réputation des armes d’une monarchie qui depuis cent ans n’écrivoit plus guéres dans ses fastes que des jours malheureux, il étoit essentiel que son restaurateur réussît dans sa premiere expédition, telle qu’elle pût être. Majorien devoit donc, quelques motifs qu’il eût de reconquerir l’Afrique sur les Vandales, ne point débuter par une expédition dont la prudence et l’activité ne pouvoient pas rendre le succès certain, moralement parlant. Or ces flottes monstrueuses que le souverain qui veut s’en servir, ne sçauroit mettre en mer sans tirer de regions éloignées une partie, du moins de ce qui est nécessaire pour les équiper, et sans faire venir de loin les troupes qu’il y veut embarquer, ne réussissent presque jamais dans leurs expéditions. Comme l’ennemi contre qui l’armement se fait est instruit de la destination de ces flottes long-tems avant qu’elles puissent mettre à la voile, il a du moins le loisir de se préparer à se bien défendre. Quelquefois même il trouve le moyen de déconcerter le projet formé contre lui, avant que l’exécution en soit encore commencée. Tout le monde sçait ce qui arriva au roi d’Espagne Philippe II lorsqu’il arma cette flotte si celebre sous le nom de l’Invincible, pour l’envoyer conquérir l’Angleterre. Ce prince ayant été contraint de tirer des regions éloignées une partie des matelots, des agrès, des bois, des voiles, et des autres choses nécessaires à l’équipement de son armée navale, les Anglois eurent le loisir de se préparer à la combattre, et secondés par les tempêtes ils la défirent entierement.

Du moins Philippe II eut la satisfaction de voir sa flotte mettre en mer, et d’entendre dire qu’elle menaçoit d’assez près l’Angleterre qu’il lui avoit ordonné de subjuguer ; mais celle que Majorien avoit équipée dans les ports du même pays où dans la suite l’Invincible fut armée, ne parvint pas jusqu’à faire voile. Voici ce qu’on trouve dans Idace et dans Marius Aventicensis à ce sujet. » L’Empereur Majorien vint en Espagne au mois de Mai de l’année quatre cens soixante : Tandis qu’il étoit encore en chemin pour se rendre dans la Province où est Carthagène, les Vandales informés par des gens du pays qui trahissoient ce Prince, vinrent enlever les vaisseaux qu’il avoit armés pour passer en Afrique, & qui étoient mouillés dans les rades & les ances des côtes voisines de Carthagène. Majorien ayant vû avorter son projet par la destruction des préparatifs qu'il avoit faits, s'en retourna en Italie.» Voilà quelle fut la destinée de la flotte dont Sidonius Apollinaris fait une si magnifique description. On croira sans peine que Ricimer et les autres grands qui haïssoient Majorien, parce qu’en voulant rétablir l’empire il vouloit aussi par conséquent leur ôter la considération que leur donnoient le désordre et la confusion où l’Etat étoit tombé, profiterent de la disgrace de ce prince pour le rendre méprisable à ceux qui le respectoient auparavant. Ils lui auront imputé, suivant l’usage ordinaire des cours, toutes les fautes des subalternes et tous les contretems dont le hazard étoit la seule cause. Rien n’est plus aisé que de persuader aux peuples que les affaires malheureuses dont ils ne sçavent point le secret, ont été mal conduites.

Dès que Majorien fut de retour en Italie, Genséric roi des Vandales d’Afrique lui fit demander la paix. Ce prince barbare pensoit que l’incendie ou la prise des vaisseaux Romains sur les côtes d’Espagne ne faisoit que reculer le danger, et qu’il ne pourroit point résister à un empereur aussi grand capitaine que Majorien, dès que l’armée Romaine auroit une fois pris terre en Afrique. Nous ignorons s’il agréa les propositions du roi des Vandales, ou s’il persevera dans la résolution de passer la mer pour faire, s’il est permis de s’expliquer ainsi, une nouvelle guerre punique contre les barbares du nord. Il mourut avant que d’avoir rien fait qui nous apprenne à quel parti il s’étoit déterminé.

à peine Majorien étoit-il de retour en Italie, qu’il y apprit que la peuplade d’Alains qui avoit ses quartiers sur les bords de la Loire, avoit pris les armes, et qu’elle commettoit de grandes hostilités dans les Gaules. Il se mit donc aussi-tôt en marche pour passer les Alpes une seconde fois, mais il ne s’avança point jusques-là. Son armée étoit encore campée sur la Scrivia, et assez près de Tortonne quand elle se souleva contre lui, et quand il périt de la même maniere que la plûpart des empereurs Romains.

Comme on a déja pû le remarquer[1], et comme on le verra encore mieux par la suite, Ricimer étoit à la fois le plus ambitieux et le plus dangereux des officiers qui servoient l’empire. S’il faisoit des empereurs, ce n’étoit point pour leur obéir, mais pour regner sous leur nom. Etant barbare, il n’osoit entreprendre de regner sous le sien, et de se faire proclamer empereur. Y avoit-il, demandera-t’on, une loi expresse qui exclût de l’empire les barbares ? Je ne le crois point ; mais si l’on n’avoit point fait une pareille loi, c’est qu’il avoit paru inutile de la faire. Les Romains comme les Francs supposoient que pour être le chef d’une nation, il falloit être de cette nation-là. Si Capitolin dit positivement que Maximin le successeur d’Alexandre Severe étoit né barbare, il nous apprend aussi que ce prince cacha sa naissance avec soin, dès qu’il fut parvenu à l’empire, et que pour dérober aux Romains la connoissance de son origine il fit mourir tous ceux qui la sçavoient par eux-mêmes.

Je retourne à Ricimer. Dès qu’il s’apperçut que Majorien qui étoit alors dans la force de l’âge vouloit gouverner par lui-même, et rétablir l’ordre dans la monarchie, il conçut contre lui la haine que les esprits orgueilleux conçoivent contre un homme qu’ils ont élevé à une place éminente, dans la persuasion que son génie étant subordonné au leur ils le conduiront toujours à leur gré ; lorsque cet homme-là vient à démentir leur opinion, et qu’il ose leur tenir tête dans les occasions où ils ont tort. Ricimer avoit crû en élevant au trône Majorien y faire monter un soldat qui n’ayant pour mérite que les vertus militaires, seroit toujours obligé de se laisser guider, et cet empereur donnoit à connoître qu’il avoit aussi les vertus civiles. Les loix qu’il publia durant un regne de quatre ans, et qui doivent la plûpart avoir été faites dans des camps et sous la tente, montrent seules qu’il connoissoit à fonds les maux dont son état étoit affligé, et qu’il étoit capable d’y appliquer des remedes efficaces. Nous rapportons dans cet ouvrage plusieurs extraits de ces loix, qui suffisent pour donner une idée de l’équité et de la prudence du legislateur qui les a dictées. Ainsi Ricimer dont la conduite que Majorien tenoit dans l’administration de l’état mortifioit à la fois la présomption et l’orgueil, résolut de se défaire de l’empereur, parce que cet empereur avoit les vertus d’un souverain. Malheureusement pour l’empire d’Occident, Ricimer ne trouva que trop de facilité à l’exécution de son projet. Les restaurateurs sont toujours haïs par la cabale des citoyens qui profite des désordres, et cette cabale est toujours composée des citoyens les plus corrompus, mais aussi les plus actifs et les plus entreprenans. Résolus à tout oser, afin de n’être pas bornés à la jouissance des biens et de l’autorité qui leur appartiennent suivant les loix, il n’y a point de crime qu’ils ne consentent de commettre et qu’ils ne soient capables d’exécuter, quand il peut les affranchir de la crainte de voir la justice et l’ordre rétablis. Le fondateur d’un nouvel état n’a pour l’ordinaire que des ennemis étrangers à combattre ; au lieu que le restaurateur d’un état tombé en désordre, a pour ses ennemis tous ceux qui l’approchent de plus près ; sa propre cour. L’histoire fait mention de plusieurs heros qui ont réüssi à fonder des royaumes et des républiques. A peine y trouve-t-on deux ou trois restaurateurs qui ayent réüssi à raffermir les fondemens ébranlés de l’Etat qu’ils avoient entrepris de rétablir. Une mort violente est ordinairement la récompense de leurs travaux. Il fut donc facile à Ricimer de soûlever l’armée contre Majorien. Le second jour du mois d’août de l’année quatre cens soixante et un elle se révolta[2], et le septiéme du même mois elle massacra son empereur. Nous ne sçavons pas d’autres circonstances de ce meurtre, qui, comme nous l’avons déja dit, fut commis dans le district de Tortonne.

Ce qui paroît de plus probable après avoir conferé tout ce que disent les auteurs anciens concernant la révolution qui pour lors arriva dans l’empire Romain, c’est que Ricimer ne fit point proclamer un nouvel empereur immédiatement après la mort de Majorien, et qu’il envoya proposer à Leon de donner son agrément au choix de Severus qu’on avoit résolu en Italie de mettre sur le trône d’Occident ; mais que Leon tardant trop long-tems à s’expliquer, Ricimer fit proclamer Severus avant que l’agrément dont il s’agit eût été donné[3]. En effet, quoique Severus n’ait été installé que le dix-neuf novembre de l’année quatre cens soixante et un, cependant Jornandès observe que ce prince fut placé sur le trône avant qu’on eût encore reçû les ordres de Leon sur ce sujet là. Ainsi l’on ne doit point être surpris de la confusion et du désordre où cette proclamation précipitée acheva de jetter tout l’empire d’Occident qui craignit à la fois d’être attaqué par l’armée de Leon, par celle que commandoit Egidius et par les Vandales. Expliquons cela.

Nous avons parlé de Marcellianus cet ami d’Aëtius que le parti qui s’étoit formé dans les Gaules pour empêcher qu’on n’y reconnût Majorien, avoit voulu proclamer empereur, et nous l’avons laissé en Dalmatie où il s’étoit cantonné. Voici ce qui lui étoit arrivé dans la suite. L’empereur Leon l’avoit engagé à passer à son service, et il lui avoit donné le commandement des forces qu’il vouloit faire agir contre les Vandales d’Afrique. Ces barbares après s’être emparés de la Sardaigne, tâchoient encore de se rendre entierement maîtres de la Sicile, dont ils avoient déja pris la plus grande partie. Marcellianus après avoir obligé les Vandales d’abandonner la Sardaigne, avoit mis pied à terre en Sicile où il avoit remporté plusieurs avantages sur ces ennemis. Ses forces étoient considérables, et il paroît même qu’il avoit réduit les Vandales à traiter avec lui, avant la mort de Majorien. Les Romains d’Occident avoient donc sujet de craindre qu’il ne vînt un ordre de Constantinople qui enjoignît à Marcellianus de marcher contr’eux, et de les contraindre à déposer l’empereur qu’ils avoient osé proclamer, sans avoir obtenu auparavant le consentement de Leon. D’un autre côté Egidius irrité du meurtre de Majorien menaçoit de se servir de tout le crédit qu’il avoit dans les Gaules sa patrie, et des troupes nombreuses qui étoient à ses ordres, pour venger la mort de son empereur dont la mémoire lui étoit d’autant plus chere qu’ils avoient été long-tems compagnons d’armes. Nous avons parlé plusieurs fois de ce que l’Italie avoit à craindre des Vandales.

Il n’y eut qu’un de ces trois orages qui fondit sur l’Italie. Ricimer conjura celui qui le menaçoit du côté des Gaules en allumant la guerre, comme nous le dirons incessamment, entre Egidius et les Visigots. Le patrice vint encore à bout de détourner celui qui se préparoit du côté de la Sicile, en faisant enfin agréer l’élection de Severus à l’empereur d’Orient. Après cela Philarchus que les Romains d’Occident envoyoient traiter avec les Vandales d’Afrique, n’eut pas de peine, lorsqu’il passa par la Sicile, à persuader à Marcellianus qui commandoit dans cette isle pour Leon, de s’abstenir de toute hostilité contre l’Italie. Mais Philarchus ne réussit pas aussi bien en Afrique qu’il l’avoit fait en Sicile. Genséric lui répondit qu’il ne vouloit point de paix ni de tréve que les Romains d’Occident ne lui eussent rendu tout ce qu’ils détenoient des biens qui avoient appartenu en propre à l’empereur Valentinien III et à Flavius Aëtius, ainsi et de la même maniere que les Romains d’Orient lui avoient déja rendu la partie de ces mêmes biens qui se trouvoit située dans le district de leur empire. La prétention de Genséric étoit fondée sur ce qu’il avoit auprès de lui Honoria fille de cet empereur, et Gaudentius fils du celebre Flavius Aëtius. Le roi des Vandales avoit enlevé de Rome ces deux personnes, lorsqu’il la saccagea en quatre cens cinquante-cinq, et même il avoit fait épouser à son fils Honoric la princesse Honoria. Quoiqu’il en fût de la justice de cette prétention, souvent elle avoit servi de pretexte à Genséric pour faire des invasions dans le territoire des Romains d’Occident, et la situation où il les voyoit le rendoit plus fier. Il saccagea donc les côtes de l’Italie, où il pilla et brûla tous les lieux ouverts qu’il surprit. Les troupes de Severus ne pouvoient point se trouver dans tous les endroits où les Vandales faisoient des descentes, et ce prince n’avoit point de flotte qui pût disputer à ces barbares l’empire de la mer. Lorsqu’il voulut emprunter quelques vaisseaux à Leon, cet empereur répondit, que le traité qu’il venoit de conclure avec les Vandales lui défendoit de donner à qui que ce fût, aucun secours contr’eux. Les Romains d’Occident eurent ainsi beaucoup à souffrir à l’occasion du traité particulier conclu entre Genséric et l’empereur d’Orient qui ne les y avoit pas compris. Enfin Severus se vit réduit à envoyer de nouveau des ambassadeurs à Leon pour lui déclarer que s’il ne vouloit pas du moins se faire médiateur d’un accommodement entre l’empire d’Occident et les Vandales, il n’y auroit plus bien-tôt d’empire d’Occident. Sur ces nouvelles representations, Leon fit passer à Carthage le patrice Tatianus. Le fragment de Priscus Rhetor qui nous instruit de tous ces détails, ne nous dit pas en quelle année Tatianus fut envoyé pour moyenner la paix entre les Vandales et les Romains d’Occident, ni ce qu’il fut conclu par le patrice. Le texte de Priscus suppose cependant que la guerre ait encore duré plusieurs années après l’avenement de Severus à l’empire, entre lui et Genséric, et l’on verra par les faits que nous rapporterons sur l’année quatre cens soixante et trois que la paix n’étoit point encore faite alors entre l’empereur d’occident et le roi des Vandales.

Comme nous l’avons dit déja, Ricimer fut plus heureux à conjurer la tempête qui le menaçoit du côté des Gaules, qu’à conjurer celle qui venoit du côté de l’Afrique. Les Visigots suscités apparemment par ses menées, donnerent tant d’affaires à Egidius, qu’il ne fut point en état de passer les Alpes, pour lui aller demander raison du meurtre de Majorien. Voici ce qu’on lit dans Priscus Rhetor à ce sujet. » La guerre qu’Egidius eur à soutenir dans les Gaules contre les Visigots qui vouloient étendre leurs quartiers, l’empêcha de passer en Italie. Il fit dans le cours de cette guerre plusieurs exploits dignes d’un homme de courage & d’un grand Capitaine. » Mais avant que d’entreprendre d’expliquer et de ranger par ordre le peu que nous sçavons concernant les évenemens de cette guerre-là, où Childéric eut tant de part, il convient de parler du rétablissement de ce prince sur le trône des Francs, comme des motifs qui engagerent Egidius à y donner les mains, et peut-être à s’en faire le promoteur. On ne sçauroit penser autrement quand on fait attention aux conjonctures où ce Romain se trouva, lorsque Severus eut été proclamé empereur, et aux expressions dont se sert Gregoire de Tours en parlant de l’union qui fut entre Egidius et Childéric après le rétablissement du dernier.

  1. Petav. Rat. Temp. lib. 6.
  2. Petav. Rat. Temp. lib. 6 page 363.
  3. Petav. Rat. Temp. lib. 6. pag. 365.