Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 6/Chapitre 16

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LIVRE 6 CHAPITRE 16

CHAPITRE XVI.

De l’autorité avec laquelle Clovis & les Rois ses Fils & ses Petits-Fils ont gouverné.


Comme les rois Mérovingiens avoient sur les Romains des Gaules les mêmes droits que l’empereur avoit précédemment sur ces mêmes Romains, on ne sçauroit douter que nos princes n’eussent un pouvoir très-étendu sur cette portion de leur peuple. L’autorité des empereurs Romains étoit comme despotique, et nous l’avons remarqué déja plus d’une fois. Quant aux Allemands comme aux Bourguignons sujets de nos rois, c’étoient deux peuples domptés et assujettis par la force des armes.

Il semble que l’autorité du roi ne dût pas être aussi grande sur les Francs qui faisoient une autre partie du peuple de la monarchie, parce qu’ils étoient Germains d’origine, et sortis par conséquent d’un pays où, suivant l’opinion commune, le pouvoir des souverains étoit très-limité. On voit néanmoins par notre histoire, que les successeurs de Clovis n’avoient gueres moins de pouvoir sur les Francs que sur les Romains. Il est aisé de concevoir comment ce changement étoit arrivé.

Dès que la monarchie Françoise eut été établie, nos rois eurent une infinité de graces à donner. Quel appas pour obliger ceux qui les vouloient obtenir, à se soumettre aux volontés du prince ! D’ailleurs, géneralement parlant, les Francs et les autres Barbares répandus dans les Gaules, devoient être dans chaque cité en plus petit nombre que les Romains, qui étoient armés aussi-bien que ces Barbares, et qui avoient interêt que tout habitant du royaume fût aussi soumis qu’eux à une autorité à laquelle ils obéissoient en tout. La condition du Romain auroit été par trop dure, s’il eût vécu avec des voisins qui n’eussent point été tenus d’obéir aussi promptement que lui aux volontés du souverain. Il seroit inutile d’expliquer plus au long combien la portion du peuple sur laquelle un prince regne despotiquement, a interêt que le prince ait sur tous ses autres sujets la même autorité qu’il a sur elle. Cet interêt est sensible. Les Francs épars dans les Gaules, et qui n’étoient plus rassemblés dans un petit canton, comme ils l’étoient lorsqu’ils habitoient encore la Germanie, auront donc été obligés d’obéir au souverain avec autant de soumission que les Romains au milieu desquels ils vivoient.

Une chose aura encore contribué beaucoup à faciliter aux successeurs de Clovis l’entreprise de se faire obéir exactement par les Francs. C’étoit l’usage établi dès le tems qu’ils habitoient encore dans la Germanie, et suivant lequel le roi jugeoit seul et sans assesseurs en matiere civile et en matiere criminelle, comme on voit que Clovis jugea, quand il punit le Franc, qui avoit donné un coup de sa hache d’armes sur le vase d’argent que saint Remi réclamoit. Qui peut empêcher un prince d’augmenter son autorité sur une partie de ses sujets, quand il est seul leur juge, et quand ils attendent leur fortune de ses bienfaits, sur-tout dans les commencemens d’une nouvelle monarchie, et lorsque ces sujets tirés de leur ancienne patrie, se trouvent être transplantés au milieu d’autres sujets accoutumés depuis long-tems à une entiere soumission.

Dans le raisonnement que je viens de faire, j’ai bien voulu supposer conformément à l’opinion ordinaire, que l’autorité que tous les rois des Germains avoient sur leurs sujets, fût un pouvoir très-limité. On pourroit cependant soutenir le contraire sans témerité. Voici, par exemple, ce que dit Velleius Paterculus en parlant de Maraboduus un des rois des germains du tems de l’empereur Auguste. Maraboduus avoit des gardes du corps. Il étoit véritablement le maître dans ses Etats, où tout lui étoit subordonné, et qu’il gouvernoit presque comme les empereurs gouvernent. Tacite en parlant des mœurs des germains dit : » Les Germains n’ont gueres plus de considération pour les Affranchis que pour les Esclaves. Ces Affranchis ne sont employés qu’au service domestique de leur Maître, auprès duquel ils peuvent tout au plus acquerir quelque crédit. Mais ils n’ont aucune part au gouvernement de la Cité où ils vivent, si ce n’est dans les Etats qui sont sous un Roi. Dans ces Etats-là, on voit des Affranchis devenir importans & s’élever au-dessus des Citoyens nés libres, & même au-dessus des Citoyens des plus anciennes Familles. Quant aux autres Etats, le peu de considération qu’on y témoigne pour l’Affranchi, est une des marques de la liberté des Sujets. » Croit-on que les rois qui pouvoient donner tant de considération aux esclaves qui avoient trouvé grace devant leurs yeux, fussent des princes dont l’autorité fût si bornée ? Les tribus des Francs étoient-elles gouvernées en république au-delà du Rhin ? Je pourrois encore appuyer cette considération par un grand nombre de faits tirés de l’histoire ancienne. Revenons à notre sujet.

Je ne rapporterai que deux preuves de l’autorité absolue de rois Mérovingiens sur tous leurs sujets, mais elles sont telles, que les lecteurs qui ont quelqu’idée du droit public des nations et de la constitution des Etats, ne m’en demanderont point davantage. La premiere montrera que le roi condamnoit à mort, et qu’il faisoit exécuter les plus grands de l’Etat, sans être assujetti à leur faire leur procès suivant d’autre forme que celle qu’il lui plaisoit de garder. L’autre fera voir, que nos rois augmentoient les impots, sans être obligés d’obtenir le consentement de personne, et par conséquent qu’ils étoient maîtres absolus de la levée des deniers.

Je crois que pour rendre la premiere preuve complette, il suffira de rapporter deux ou trois exemples de justices faites par les rois Mérovingiens, et quelques loix qui supposent sensiblement que ces princes étoient en droit de juger et de faire exécuter leurs sujets de toute condition, sans être astraints à leur faire auparavant leur procès suivant une certaine forme.

Frédegaire commence sa Cronique par l’éloge de la débonnaireté du roi Gontran. De bonitate regis Gumtramni. Ce prince néanmoins ordonna que Chundo, l’un des principaux seigneurs de l’Etat, subiroit l’épreuve du duel pour un cas très-frivole, puisque le crime dont il étoit accusé, n’étoit autre que celui d’avoir tué un taureau sauvage. Le succès du duel dont nous avons rapporté l’histoire dans le sixiéme chapitre de ce livre, n’ayant pas justifié Chundo, Gontran le condamna d’être assommé à coups de pierre, ce qui fut exécuté. On a vû par le récit de Gregoire De Tours que Gontran jugea seul. Cependant notre historien ne reproche rien à ce prince sur la forme du jugement rendu contre Chundo. Il y a plus. Gontran lorsqu’il vint à se repentir de ce qu’il avoit fait, ne se reprocha rien sur la forme de ce jugement. Ce qu’il regretta, ce fut d’avoir condamné à mort par un premier mouvement et pour un sujet bien leger, un homme fort attaché à sa personne et très-capable de servir son souverain. Cela montre bien que Gontran n’avoit pas jugé Chundo d’une maniere extraordinaire et odieuse.

Rauchingus étoit Franc de nation, puisqu’il se prétendoit fils de Clotaire Premier, et il étoit employé en qualité de duc par Childebert Le Jeune. Cependant lorsque ce prince le fit mourir comme coupable d’un crime de léze-majesté au premier chef, ce fut sans aucune forme de procès. Childebert ayant averé le fait par des informations qui lui paroissoient apparemment suffisantes, il manda Rauchingus, l’interrogea dans sa chambre, et il le congedia. Au sortir de ce lieu Rauchingus fut saisi par ceux qui avoient reçû l’ordre de l’exécuter, et qui le firent mourir. Bref, il fut exécuté à peu près comme Messieurs De Guise le furent à Blois en mil cinq cens quatre-vingt-huit, et comme le maréchal D’Ancre le fut à Paris en mil six cens dix-sept. Frédegaire dit en parlant de cet évenement. » Dans ce tems-là Rauchingus, Gontran-Boson, Ursion, et Bertefredus qui étoient des plus grands seigneurs des Etats de Childebert, ayant conjuré contre sa personne, furent mis à mort par ordre de ce prince. »

Je vais rapporter maintenant des articles des loix en usage pour lors, lesquels confirment ce que j’ai à prouver. Voici un article de la loi nationnale des Bavarois rédigée par les soins et sous le regne de Dagobert Premier. » Celui qui aura tué un homme par l’ordre du Roi ou par l’ordre de l’Officier qui commande en chef dans la Province, ne pourra point être recherché pour ce fait-là, ni être condamné à aucune sorte d’amende, d’autant qu’il aura agi par l’ordre d’un Supérieur auquel il ne lui étoit pas permis de désobéir. Ainsi l’homicide & ses enfans seront sous la protection spéciale du Duc. Si le Duc sous le Gouvernement de qui le cas sera arrivé, vient à mourir, son successeur sera chargé de donner à l’homicide ci-dessus désigné, la même protection. »

On doit présumer que cette loi étoit la loi génerale de la monarchie, quoiqu’elle ne se trouve pas dans les autres codes. En premier lieu, il n’y a point d’apparence qu’une pareille loi ait eu lieu parmi une des nations qui composoient le peuple de la monarchie sans avoir eu lieu en même tems parmi les autres. Pourquoi n’est-elle donc pas écrite dans tous les codes ? Peut-être leurs rédacteurs l’ont-ils crue suffisamment autorisée par l’usage ? Peut-être se trouvoit elle déja dans quelques capitulaires de Clovis ou d’un autre roi de la premiere race, lesquels nous n’avons plus ? Ce qui rend ce sentiment plausible, c’est que le contenu dans l’article de la loi des Bavarois sur lequel nous raisonnons ici, se trouve énoncé distinctement dans les capitulaires des rois de la seconde race, que l’on sçait bien avoir été des loix faites pour être observées par tous les sujets de la monarchie. Il est dit dans l’article trois cens soixante et sept du cinquiéme livre des capitulaires. » Celui qui aura tué un homme par ordre du Roi ou par l’ordre du Duc qui commande dans une Province, ne pourra point être recherché pour ce fait-là, ni condamné à aucune sorte d’amende, parce que la Loi & l’ordre du Souverain seront réputés avoir fait le meurtre, d’autant plus que celui qui l’aura perpetré ne pouvoit pas se dispenser de leur obéir. Ainsi l’homicide & toute sa postérité, seront sous la protection spéciale du Roi & sous celle de ses successeurs qui le garantiront envers tous & contre tous. Que s’il arrive qu’en haine du susdit meurtre, l’homicide, ou quelqu’un des siens, souffre quelque mal, ou soit tué ; qu’alors le coupable soit condamné à une peine pécuniaire deux fois aussi forte que celle qu’il payeroit, s’il avoit offensé ou tué une autre personne de même condition que le susdit homicide. » Non-seulement ces loix assurent l’impunité à celui qui avoit tué un autre homme, en vertu d’une commission expresse du prince ou de son représentant immédiat ; mais il paroît encore que ceux à qui une pareille commission étoit adressée, ne pouvoient point refuser de s’en charger sans se rendre coupables du crime de désobéïssance. On a vû dès le premier livre de cet ouvrage, que les empereurs condamnoient souvent à mort sans prendre l’avis d’aucun juge et qu’ils faisoient exécuter leurs arrêts par les prétoriens. Ainsi c’étoit des Romains mêmes que nos rois avoient pris la jurisprudence dont il s’agit ici.

Si nos rois des deux premieres races, ont traduit quelquefois des criminels devant une nombreuse assemblée, c’est qu’alors ces princes jugeoient à propos, par des considérations particulieres, d’en user ainsi, et non point parce qu’ils y fussent obligés. Il faudroit afin que les exemples de coupables jugés devant une assemblée, prouvassent quelque chose, qu’il n’y eût point d’exemple de coupable jugé par le roi seul. Or, comme nous l’avons déja dit, il y a dans notre histoire plusieurs exemples de pareils jugemens, et les historiens qui les rapportent, les narrent simplement et sans donner à entendre en aucune maniere que ces sortes de jugemens fussent contraires à aucune loi. Aucun d’eux ne dit que l’accusé devoit être jugé par ses pairs.

Que nos rois Mérovingiens, jugeassent en personne les procès civils, on en a vû déja tant d’exemples dans cet ouvrage, qu’il seroit superflu de rassembler ici des faits qui le prouvassent. Peut-être, et nous l’avons observé plus haut, est-ce au pouvoir absolu de ces princes et à la maniere dont ils rendoient la justice, qu’il faut attribuer la conservation d’un royaume dont la premiere conformation étoit aussi vicieuse que l’étoit celle de la monarchie de Clovis. Mais le gouvernement d’un souverain, qui rendant la justice par lui-même, la rend très-promptement, prévient bien des maux, et rémédie à bien des désordres.

On ne voit pas non plus que nos rois Mérovingiens fussent obligés à demander le consentement d’aucune assemblée politique quand ils vouloient augmenter les anciennes impositions, ou bien en mettre de nouvelles. Il n’en est rien dit dans aucun des monumens de nos antiquités, quoique ceux qui les ont écrits ayent eu des occasions de le dire, telles qu’ils n’auroient pas manqué d’en parler. Il seroit dit, par exemple, quelque chose de cette prétendue obligation dans le passage suivant, tiré de Grégoire De Tours.

» Le Roi Clotaire avoit enjoint par un Edit, à toutes les Eglises de payer au Fisc le tiers de leur revenu. Déja presque tous les Evêques avoient donné, bien que malgré eux, leur consentement par écrit à l’exécution de cet ordre, lorsque le Roi voulut obliger Injuriosus Evêque de Tours, à donner aussi le sien. Ce vertueux Prélat le refusa avec courage, & il dit en face au Roi : Si vous osez mettre la main sur le bien de Dieu, il fera dans peu tomber la Couronne de dessus votre tête. Il seroit trop odieux qu’un Roi qui doit nourrir les pauvres du bled de les greniers, vuidât les greniers des pauvres, pour remplir les siens. Injuriosus sortit du Palais, dès qu’il eut fini son discours & sans prendre congé du Roi, il se mit en chemin pour retourner à Tours. Le Roi touché de ce qu’il avoit entendu, & plein de respect pour la mémoire de Saint Martin, dont Injuriofus étoit un successeur, envoya du monde pour le ramener à la Cour, & pour l’assurer qu’il se repentoit d’avoir fait l’Edit dont il s’agissoit, & qu’il alloir le révoquer. » On voit par le récit de Gregoire De Tours, que Clotaire ne demanda l’acquiescement des évêques à la taxe excessive qu’il mettoit sur le clergé, qu’après avoir publié l’édit qui imposoit cette taxe. D’ailleurs, si conformément au droit public en usage dans la monarchie durant le sixiéme siécle, le roi n’eût pas été le maître de mettre des impositions sans avoir obtenu le consentement du peuple, on peut présumer qu’Injuriosus n’auroit pas manqué d’alleguer à Clotaire que son édit, qui par lui-même étoit odieux, avoit encore été fait contre les regles de l’Etat. Et Gregoire de Tours auroit aussi peu manqué à l’écrire. L’un et l’autre ils ont eu un égal interêt de faire ce reproche, s’il eût été fondé, à l’édit de Clotaire. Nous avons déja rapporté ce que dit notre historien[1] concernant la confection d’un nouveau cadastre ordonné par le roi Chilpéric petit-fils de Clovis. On voit par ce que dit Frédegonde, femme de ce prince, quand elle lui proposa d’abandonner l’entreprise, que Chilpéric l’avoit faite de sa propre autorité, et qu’il en avoit pris l’évenement sur lui. En effet, comme nous l’avons déja remarqué, il n’y avoit alors que deux sortes d’assemblées politiques dans la monarchie, le Champ de mars, et les assemblées composées des évêques et des laïques revêtus des grandes dignités de l’Etat[2]. Le Champ de mars étoit devenu une espece de conseil de guerre, et les autres assemblées qui ne se formoient point que les rois ne les eussent convoquées expressément, n’étoient consultées que sur les ordonnances et reglemens qu’il convenoit de publier pour faire fleurir la justice, et pour entretenir une police convenable dans le royaume. Si ces assemblées étoient utiles aux finances du prince, c’est parce qu’il étoit d’usage que ceux qui s’y rendoient, fissent chacun en son particulier, des présens au souverain. On ne voit pas qu’il se soit jamais adressé à elles pour en obtenir la permission de mettre de nouveaux impôts, ou d’augmenter les anciens. Il y a dans les capitulaires plusieurs loix concernant la levée des impositions en usage. Je ne me souviens pas d’y en avoir vû concernant l’établissement d’une imposition nouvelle.

Au reste, il ne paroît pas que les rois Mérovingiéns, abusassent de leur autorité à cet égard. L’histoire de Gregoire de Tours qui raconte tout ce qui s’est passé dans les Gaules durant le siécle qui suivit le baptême de Clovis, ne se plaint que de trois ou quatre tentatives, faites par les rois francs pour acroître par l’augmentation des taxes, leurs revenus. Cet auteur ne nous entretient point des maux causés par l’énormité des impositions, il ne nous parle point de l’abattement et du désespoir d’un peuple tourmenté sans cesse par des exacteurs insatiables, comme nous en parlent Salvien et plusieurs autres écrivains qui ont vêcu sous le regne des derniers empereurs d’Occident.

Ce ne sont pas les souverains oeconomes, ou pour parler le langage du courtisan avide et dissipateur, les souverains avares, qui deviennent par leurs exactions le fleau de leur peuple. Il est bien rare du moins qu’un prince épuise ses sujets pour mettre dans un trésor où il y a déja un million de pieces d’or, cinq ou six cens mille piéces d’or de plus. Or les rois Mérovingiens étoient si oeconomes ; leur revenu étoit si grand par raport au peu de dépense qu’ils avoient à faire dans un Etat où le soldat même subsistoit communément du produit des terres domaniales dont la jouissance lui tenoit lieu de paye, que ces princes étoient toujours riches en argent comptant.

Quand Gregoire De Tours adresse la parole aux petits-fils de Clovis, qui par leurs guerres civiles détruisoient la monarchie que leur ayeul avoit fondée par sa bonne conduite, ne leur dit-il pas, que ce prince étoit venu à bout de ce vaste dessein, sans avoir comme eux des coffres pleins d’or et d’argent. Quand Frédegonde veut persuader à Chilpéric de jetter au feu les cahiers de sa nouvelle description, elle lui dit : n’y a-t-il point déja dans notre trésor assez d’or, d’argent et de joyaux[3]. Enfin Grégoire de Tours raconte rarement la mort d’un des rois dont il écrit l’histoire, sans faire quelque mention du trésor que ce prince laissoit.

Mais, dira-t-on, les rois mérovingiens n’avoient-ils jamais un besoin pressant de quelque somme de deniers ? Je suis persuadé que souvent il leur est arrivé d’avoir besoin d’argent ; mais alors ils en trouvoient, ou par les avances des Juifs, ou par la confiscation de quelque riche coupable qu’ils condamnoient. Il y avoit alors dans le royaume, comme il y en aura toujours aussi-bien que par tout ailleurs, de ces hommes méchamment industrieux, qui sçavent se faire des fortunes odieuses, soit en pillant le peuple, soit en volant le prince. Ainsi les rois, dont je parle, n’étoient point embarassés à trouver une victime dont le sacrifice leur devenoit doublement utile, parce qu’il consoloit les sujets en même tems qu’il enrichissoit le fisc. Aussi l’histoire des deux premiers siécles de la monarchie de Clovis est-elle remplie d’exemples d’une justice sévere, exercée par le prince même contre des personnes puissantes dont les biens étoient confisqués. On en sçait assez pour comprendre qu’elles étoient criminelles ; mais on entrevoit assez clairement, qu’elles n’auroient pas été punies, si leur souverain qui étoit en même tems leur juge, n’eût point été excité à venger les loix par le motif de s’aproprier une riche dépouille.

Je ne crois pas qu’on m’objecte que si les rois Merovingiens eussent été des souverains aussi absolus que je le crois, ils n’auroient point essuyé tous les malheurs qui leur sont arrivés. Je n’aurois pour répondre à cette objection qu’à renvoyer les personnes qui la feroient, à tout ce qui s’est passé dans l’empire Ottoman, depuis cent cinquante années.

  1. Greg. Tur. Hist. Lib. 5. cap. 29 & c. 35.
  2. Voyez ci-dessus ch. 14.
  3. Greg. Tur. Hist. Lib. 3. cap. 35.