Histoire d’une Marie/p2/11

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F. Rieder et Cie, éditeurs (p. 232-240).
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XI



Il ressemblait à un certain Monsieur qu’elle attendait de Mons. Il répondit :

— Non, je ne suis pas ce Monsieur, mais si vous voulez…

Elle dit :

— Vous voyez, je suis en course.

Henry n’était pas là. Ils prirent une rue, puis la suivante. Devant un vestibule, elle comprit : « Entrez là. » Elle hésita parce que la maison ne lui semblait pas un hôtel, et vlan ! dans son dos une main poussa pour qu’elle entrât quand même. Un policier qui vous pince est toujours un peu lâche. Elle se mit aussitôt à pleurer.

Elle était en noir pour son père. Le commissaire écouta son agent. Il dit :

— Et vous vous mettez en deuil ? Les hommes aiment cela.

Elle rectifia :

— Non, Monsieur, ce n’est pas pour les hommes, c’est pour mon père.

— Ah ! ah ! et vous êtes veuve ?

Elle devint très rouge :

— Non, Monsieur.

— Pas célibataire non plus, cela se voit.

— Non, Monsieur.

— Votre nom ?

— Marie Guillot, Monsieur.

— Ah ! ah ! Marie Guillot ; sans doute votre nom de jeune fille ?

— Oui, Monsieur.

— Et l’autre, celui de votre mari ?

— Oh ! non, Monsieur,

— Vous devez… Vite.

— Monsieur…

— Allons, plus vite.

Elle dut :

— Henry Boulant, Monsieur.

— Ah ! ah ! Boulant… Nous verrons cela.

Il avait écrit à mesure. Il dit :

— Signez là.

Elle lut que Marie Guillot, épouse Boulant, costumée à cet effet en veuve, avait accosté un homme, lui avait dit : « Ah ! voilà le Monsieur de Mons » et demandé cent sous. Elle avait accosté l’homme, mais demandé cent sous :

— Ce n’est pas vrai.

— Si.

— Non.

— Si. D’ailleurs il faut signer.

Elle signa. Elle pleurait toujours.

On la mit dans une voiture et près d’elle l’homme qui l’avait pincée. Même pour une Marie, cela s’appelle une sale vache. La sale vache dit :

— Ne pleurez pas ; moi, vous savez, je faisais mon métier.

— Vous n’auriez pas dû, fit Marie ; et maintenant que va-t-il arriver ?

— Ça dépend. Vous vous arrangerez avec M. Dupin.

M. Dupin semblait l’attendre. Il avait sa figure jaune :

— Oh ! oh ! l’épouse Boulant, l’ancienne fille Guillot. Un jour ou l’autre, on les retrouve toutes… Et votre mari sait-il ?

— Oh ! non, Monsieur.

— Et qu’est-ce qu’il fait, ce mari ?

— Il écrit, Monsieur.

— Écrire, est-ce un métier, cela ?

— Il donne aussi des leçons, Monsieur.

— Bon… bon… nous verrons cela… demain.

On la remit dans la voiture ; on arriva chez un troisième commissaire. Celui-là parla peu. Il ouvrit un livre :

— Votre nom, là.

Elle pleurait. Elle écrivit : « Marie Guillot. » On la mena quelque part.

Cela n’a l’air de rien… Cette cellule qu’on renferme, une cloche qui sonne l’heure, par terre une paillasse pour celles qui veulent ; on voit des femmes se jeter sur cette paillasse et aussitôt dormir. Ce ne sont pas des Marie. Pour une Marie, violon ou cachot, sous clef, devient la prison, quelque chose de honteux, puisqu’en prison on boucle criminels et voleurs, des gens coupables d’actes dont elle comprend la honte. Et puis se trouver là pour cela. On voit clair tout à coup. On a beau se venger : « Sales vaches », ceux de la police, quand ils vous tiennent, et pour cela, ce qu’ils vous tiennent ! Il y a la visite, le docteur qui vous examine ; on connaît certaines histoires d’hôpital où pour un bobo, pour rien, durant des mois, des femmes ont été gardées… Et puis M. Dupin et ses registres… ces registres si durs à s’ouvrir quand une Marie Guillot y présente son nom, mais crac ! comme un piège quand une épouse Boulant n’y voudrait pas le sien. La voyez-vous, l’épouse Boulant, attrapée à ce piège ? La voyez-vous couchée dans un de ces lits où l’on couche les mauvaises femmes ? Et Henry, pendant ce temps-là ?… Comme on comprend : « Ce que tu faisais, Marie, était mal puisqu’il existe des sales vaches pour l’interdire. »  C’est alors que, larmes sur larmes, on n’a pas assez de toutes ces larmes ; qu’on voudrait à tout prix n’avoir pas fait cela, ne pas être dans cette cellule, se trouver près de son gosse et lui dire : « Mon gosse, n’importe quoi, mais plus jamais cette vie-là. »

Oh ! non, elle ne fit pas comme celle qui, flûte ! s’endorment sur cette paillasse. Elle était là… Et la campagne où l’on vivait si bien ! Et le temps où elle cousait des chemises ! Et son Henry, qu’est-ce qu’il faisait ? Et M. Dupin, qu’est-ce qu’il dirait ? Et cette cloche, mon Dieu ! qu’elle écoutait, encore, puis encore, briser la nuit en longs morceaux de nuit…

« Je suis un mec. » On a poussé cette idée jusqu’au bout.

Une bonne cigarette, en pantoufles, Henry était resté, à cause d’un livre. Le mec attendait sa môme : il lisait. Vers onze heures, au bas d’une certaine page, il ne fut plus curieux de savoir ce qui se passerait de l’autre côté de cette page. Un mec n’est pas inquiet. Il bâilla.

— C’est agaçant, Marie qui n’arrive pas !

Il se leva jusqu’à la fenêtre. Il prit un peu d’air ; il faisait vraiment fort beau. Du côté où la môme aurait pu, il ne vit pas venir sa môme. De l’autre côté, non plus. Il réfléchit : « Dommage, si Marie rentrait, nous ferions un petit tour. » D’ailleurs ils ne faisaient jamais un petit tour. Très lasse, Marie disait : « Vite au dodo. » Ah ! oui, le dodo. Il était un mec, mais un bon mec. Il alla jusqu’au dodo l’ouvrir, puisque cette nuit, rentrée tard, sa môme serait encore plus lasse.

Puis il revint à son livre.

Tiens ! À peine à son livre, il préféra : « Si je retournais à la fenêtre. » Il s’écria : « Oui, j’y vais. » Il y alla même très vite, car on venait de sonner, et quand on sonne la nuit, c’est toujours pour vous.

Il se pencha et, devant la porte, il aperçut deux agents :

— Psst, pour qui est-ce ?

— Pour M. Boulant, Monsieur…

— Ah ! Boulant… c’est moi… qu’y a-t-il ?

— M. Boulant, c’est vous ? Eh bien, Monsieur Boulant, si vous attendez votre femme, ne l’attendez plus ; on l’a écrouée.

Écrouée ! On sait ce que cela veut dire. Tout de même, il demanda :

— Écrouée, vous dites ? Pas un accident ? Rien de grave ?

— Ça, Monsieur, nous ne savons pas. Écrouée, voilà… Bonsoir.

Henry était un mec, bien entendu ! Et que font-ils les mecs quand on a pincé leur môme ? Ils disent « bast ! » et s’en foutent. « Bast ! », fit Henry et puis… Mon Dieu ! certaines nouvelles, on les attendait avec une angoisse si précise que lorsqu’elles arrivent, mec ou non, on sent au cœur un petit froid qui fait rire. Vraiment Marie arrêtée, c’était drôle.

Il pensa : « J’irai la réclamer, mais c’est drôle. » Il prit son chapeau pour aller et, vraiment Marie arrêtée, c’était drôle. Il dégringola des marches, et comme il descendait ces marches, comme il arrivait dans la rue, vraiment dans cette rue, malgré qu’il courût, malgré qu’à courir il se vît en pantoufles, Marie arrêtée, mon Dieu, Marie arrêtée, comme c’était drôle !

Pourtant, en arrivant chez le commissaire, il devint tout à coup très pâle. Il aperçut, il est vrai, un de ces gros commissaires, un de ces mufles de commissaires qui vous ont pincé votre femme. Alors, on est un mec furieux, mais aussi un pauvre gosse qui revoudrait bien sa maman. Il commença en douceur :

— Monsieur le commissaire…

Et le commissaire :

— Ah ! ah ! Vous êtes Boulant. Eh bien ! mon bonhomme, on vous l’a pincée, votre femme : elle faisait le trottoir, elle demandait cent sous.

Vlan ! comme cela. Évidemment Henry savait, mais il aurait pu ne pas savoir ; il aurait pu être un brave homme, porter au cœur une de ces maladies de braves hommes qui meurent quand ils sont cocus, et vlan : « Votre femme faisait le trottoir… »

Marie arrêtée, cela parut beaucoup moins drôle. Il se fâcha :

— Monsieur le commissaire, vous n’y mettez pas beaucoup de façons…

Et le commissaire aussi se fâcha :

— Ces messieurs ! Faudrait des gants. Tous les mêmes. D’ailleurs, vous, Boulant, si vous ne saviez pas, il y a une chose que vous deviez savoir : autrefois votre femme…

Et Henry encore plus haut se fâcha.

— Ça, Monsieur le commissaire, je vous défends de le dire.

Et le commissaire quand même le cria :

— Votre femme, autrefois, était en carte.

Et Henry encore plus fort cria :

— Vous n’avez pas le droit.

Et à monter ainsi tous deux, le commissaire et le mec, il n’y eut plus en présence… qu’un commissaire et un mec, ce qui n’était pas très beau.

Quand même, le mec eut raison. Il fit :

— Ce que vous dites là, vous n’aviez pas le droit de le dire : il y a le règlement.

Il y avait, en effet, ce règlement. Le commissaire le savait, et sans doute qu’à fréquenter des gens qui sont tous les mêmes, les commissaires aussi sont tous les mêmes ; au mot « règlement », il mit des gants :

— Écoutez, Monsieur Boulant, peut-être bien que vous ne saviez pas… Voilà, pour aujourd’hui rien à faire… Demain, allez au bureau de M. Dupin, cela s’arrangera peut-être…

Et, de nouveau, Marie arrêtée, cela devint drôle.

Il sortit. Il marchait vite. Ces flics ne dirait-on ! Quand on crie fort, ce qu’on leur ferme la gueule ! Il leur avait bouché la gueule !… Tout de même, quand on dit « peut-être », ce n’est pas sûr et pour « demain » il faut une nuit.

Il faisait toujours fort beau, il était en pantoufles, il avait le temps, puisque pour passer la nuit, Marie arrêtée, le lit de Marie serait un lit bien vide. Alors quel besoin de courir ? Il courut cependant. Il remuait de grands gestes. Il riait : « Marie arrêtée, comme c’est drôle !… » Il pensait : « Ma pauvre maman, là-bas, et sans doute qui pleure. » Il rageait : « Oh ! ces flics, en tenir un sous la patte. » Il réfléchissait qu’une fois pincée la femme, une autre fois, plus vite on la repince. Et qu’arrive-t-il à ces femmes qu’on repince ? Qu’arrive-t-il à leur mari ?… Il réfléchissait à leur mari qui de ces flics, même en criant le plus fort, ne parviennent pas tous les jours à refermer la gueule…

Et vraiment, en pensant tout cela, Marie arrêtée de plus en plus cela devenait drôle ; cela devenait un peu fou, car il rentra, Henry, et vlan ! le beau livre fila par la fenêtre ; à plat ventre, il se rua sur le lit, à rire, Henry, comme cela : avec des dents qui grincent.

Bast !… Si longs qu’en soient les morceaux, ces nuits se passent. Vient le matin. Hi ! Hi ! Marie arrêtée, sera-ce drôle ? Il arriva chez M. Dupin. On est un mec, un mec timide qui espère…

— Bonjour, Monsieur Dupin, il paraît que ma femme…

— Votre femme ? Mme  Boulant, vous dites ? Oui, nous avons cela. Une minute.

Une minute ? Cela s’arrange ! On est un mec qui rit :

— Hum !

M. Dupin ne connaissait pas cette façon de rire. Il employa sa minute.

— Monsieur Boulant, vous donnez, paraît-il, des leçons ; alors, un peu de morale à votre femme.

Bien tapé cela ! Qu’en dites-vous, Henry ?

— Hum !

Marie parut, telle qu’on est, après des heures sans dormir et une sale vache qui vous accompagne par derrière.

— Bonjour, Henry.

— Hum !

Mec et môme, devant M. Dupin, c’est un peu gênant.

Mais à peine dehors, à pleins bras, ils se prirent :

— Ma pauvre maman !

— Mon pauvre gosse !

Plus mec, ni môme.

Ils rentrèrent. Elle était fatiguée. Ils s’assirent, elle ici, Henry là, entre eux ce que l’on a pensé la nuit et qu’on ne se dira pas :

— J’ai beaucoup pleuré, Henry.

— Je comprends, Marie.

— Recommencer, je n’oserais plus, Henry.

— Ne recommence plus, Marie.

— Mais alors ?…

Il réfléchit. Plus les choses qu’il faut qu’on sorte. Plus : « Encore celui-ci et après celui-là. » Plus ce tronçon d’idée que jusqu’au bout l’on pousse. La terre, alentour, pour d’autres ; pour toi — grande ouverte la porte : une boîte à mouches.

Il lui vint une drôle de petite figure : à croire qu’il pleurait.

— Si tu veux, je recommencerai, fit Marie.

Hi ! hi ! une Marie libérée, comme c’est drôle !…