Histoire d’une grande dame au XVIIIe siècle, La princesse Hélène de Ligne/02

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (1p. 17-48).

II


Les mémoires d’Hélène Massalska. — Son entrée à l’Abbaye-aux-Bois. — Le dortoir des grandes demoiselles. — Maladie d’Hélène ; sœur Bichon et le paradis. — La Grise et les punitions de la mère Quatre-Temps. — L’ordre de la Pure-Vérité. — Guerre des « bleues » et des « rouges ». — Les marmitons du comte de Beaumanoir. — Portrait de madame de Rochechouart.



Laissons maintenant la petite princesse raconter elle-même, dans son langage naïf et charmant, les détails de son entrée à l’Abbaye-aux-Bois. Elle décore pompeusement ses cahiers du titre que nous reproduisons fidèlement ci-après[1].


MEMOIRES D’APPOLLINE-HÉLÈNE MASSALSKA

EN L’ABBAYE ROYALLE DE NOTRE-DAME-AUX-BOIS

RUE DE SÈVE, FAUBOURG SAINT-GERMAIN


« Je suis entrée à l’Abbaye-aux-Bois un jeudi ; madame Geoffrin, l’amie de mon oncle, m’a menée d’abord au parloir de madame l’abbesse, qui est bien beau, car il est blanc et rayé en or ; madame de Rochechouart est venue aussi au parloir, et la mère Quatre-Temps aussi, car c’était la première maîtresse de la petite classe, où j’allais être.

» On a eu la bonté de dire que j’avais une jolie physionomie et une jolie taille, et de beaux cheveux ; je ne répondais rien, parce que j’avais oublié le français en chemin, puisque j’ai fait un voyage de si long cours, que j’ai traversé je ne sais combien de villes, toujours avec la poste qui jouait du cor de chasse. Je comprenais pourtant tout ce que l’on disait ; alors on a dit qu’on allait me faire rentrer pour me mettre l’habit de pensionnaire, et qu’après, on me ramènerait à la grille, pour que madame Geoffrin me voie. On a ouvert donc le guichet de la grille du parloir, et on m’a passé par là, car j’étais petite. On m’a amenée dans une chambre, à madame l’abbesse, qui était toute en damas bleu et blanc, et sœur Crinore m’a passé l’habit ; mais, quand j’ai vu qu’il était noir, je me mis si fort à pleurer, que c’était pitié de me voir ; mais, quand on m’a mis les rubans bleus, cela m’a un peu consolée, et puis la régente a apporté des confitures que j’ai mangées, et on a dit que, tous les jours, on en mangeait comme cela.

» On m’a bien caressée, toutes les grandes demoiselles de service à l’abbatiale venaient me regarder, et j’entendais qu’on disait : « Pauvre petite, elle ne sait pas le français ; faut lui faire parler polonais, pour voir quelle langue c’est ! » Mais moi qui savais qu’on se moquerait de moi, je n’ai pas voulu parler. On disait que j’étais bien délicate. Là-dessus, on a dit que je venais d’un pays bien loin, que c’était de la Pologne, et on disait : « Ah ! que c’est drôle d’être une Polonaise ! »

» Cependant, mademoiselle de Montmorency me prit sur ses genoux et me demanda si je voulais qu’elle fût ma petite maman, et je fis signe que oui, car je ne voulais pas absolument parler que quand je parlerais comme tout le monde ; on m’a demandé si je trouvais cette demoiselle qui me tenait jolie, alors jai porté ma main à mes yeux, pour dire qu’elle les avait beaux, alors on s’est amusé à me faire dire son nom : Montmorency.

» Cependant on dit que mon oncle venait d’arriver au parloir, et qu’on voulait me voir en uniforme ; je vins donc vêtue comme j’étais, on trouva que cela m’allait fort bien, et, après m’avoir bien recommandée à ces dames, mon oncle et madame Geoffrin s’en allèrent, Alors madame l’abbesse et madame de Rochechouart voulurent me faire parler, mais il n’y eut pas moyen ; alors madame de Rochechouart appela mademoiselle de Montmorency, et lui dit : « Mon cœur, je vous recommande cette enfant, c’est une petite étrangère, qui sait à peine le français ; vous avez le cœur bon, menez-la à la classe et faites qu’elle ne soit point tourmentée ; il vous sera aisé de la faire bien recevoir. » Mais, quand il fut question de dire mon nom, madame de Rochechouart ne put jamais s’en souvenir ; alors je le déclinai ; mais, comme je vis qu’on trouvait ce nom ridicule, je proposai bien de n’en plus parler à l’avenir ; alors madame de Rochechouart me demanda si je n’avais pas un nom de baptême, je dis Hélène, ainsi mademoiselle de Montmorency dit qu’elle me présenterait sous le nom d’Hélène.

» Nous partimes donc, c’était l’heure de la récréation ; mademoiselle de Narbonne, qui m’avait vue à l’abbatiale, m’avait déjà annoncée, elle avait dit que j’étais une petite sauvage qui n’avait pas voulu parler, mais que j’étais fort gentille. Comme il pleuvait ce jour-là, on faisait la récréation dans le cloître des Âmes ; dès que j’arrivai, tout le monde vint à nous, mademoiselle de Montmorency me mena aux maîtresses, qui me firent mille caresses ; alors la classe m’entoura, on me faisait mille questions saugrenues, auxquelles je ne disais pas mot, de façon qu’il y en avait qui me croyaient muette.

» Mademoiselle de Montmorency demanda à la première maîtresse de la classe bleue la permission de me conduire dans toutes les obédiences de la maison, la mère Quatre-Temps le lui permit ; alors elle me mena dans toute la maison, on me fit bien goûter, toutes les religieuses et les pensionnaires rouges me caressèrent extrêmement, on me donna des pelotes, des soufflets[2], des grimaces[3] en quantité, j’étais bien contente.

» À l’heure du souper, mademoiselle de Montmorency me ramena à la classe, la mère Quatre-Temps me mena par la main au réfectoire ; on me donna une place à côté de mademoiselle de Choiseul, qui était la dernière arrivée. Mademoiselle de Choiseul me parla pendant le souper, et je hasardai de lui répondre quelques mots, alors elle se mit à crier : « La petite Polonaise parle français ! » Après souper, je me liai beaucoup avec mademoiselle de Choiseul, qui était bien jolie.

» Elle me dit qu’il fallait demander le soir, à l’appel, à madame de Rochechouarl, un jour de récréation, et donner à goûter, et qu’elle porterait la parole. Ensuite on joua à des jeux, où il y avait le massacre des innocents, et mille autres choses. Quand l’heure de se coucher fut venue, nous allimes au dortoir des religieuses. Madame de Rochechouart fit l’appel, je fus appelée la dernière, je m’avançai avec mademoiselle de Choiseul, qui demanda, en mon nom, récréation. Madame de Rochechouart s’informa à la mère Quatre-Temps si on avait averti mon oncle de ce qui était nécessaire, pour payer ce qu’on appelle la bienvenue, car cela coûtait vingt-cinq louis, pour donner un grand goûter à toutes les pensionnaires, et il fallait qu’il y ait des glaces. La mère Quatre-Temps dil que oui, on fixa donc le jour de récréation pour le samedi suivant. »

On peut juger d’après ce début que la petite Polonaise va promptement s’habituer à sa nouvelle existence.

La classe Bleue, où allait entrer Hélène, se composait d’enfants de sept à dix ans[4], il est intéressant de suivre, dès le début, le programme des leçons, les heures de travail, le temps consacré aux récréations. Le voici, tel qu’Hélène l’a écrit de sa main.

« Les lundis, mercredis et vendredis :

» Se lever en été à sept heures, en hiver à sept heures et demie. Être à huit heures aux classes dans ses stalles, pour attendre madame de Rochechouart, qui entre à huit heures.

» Apprendre, dès qu’elle est sortie, son Catéchisme de Montpellier[5], et l’avoir répété ; à neuf heures déjeuner, à neuf heures et demie la messe. À dix heures, lire jusqu’à onze heures. De onze heures à onze heures et demie, prendre sa leçon de musique. À onze heures et demie jusqu’à midi, dessiner. Depuis midi jusqu’à une heure prendre la leçon de géographie et d’histoire. À une heure diner, récréation jusqu’à trois heures. À trois heures, leçon d’écriture et de calcul, jusqu’à quatre heures. À quatre heures, leçon de danse jusqu’à cing heures ; goûter et récréation jusqu’à six heures. À six heures jusqu’à sept, la harpe ou le clavecin. À sept heures, souper. À neuf heures et demi, au dortoir. »

Les autres jours de la semaine étaient arrangés de même ; mais, au lieu de prendre des leçons de maîtres étrangers au couvent, les enfants travaillaient, sous la direction des dames de l’Abbaye. Les dimanches et fêtes[6], on entrait aux classes à huit heures, on lisait l’Évangile, on allait à la messe à neuf heures. À onze heures, les jeunes filles assistaient à une courte instruction faite par des directeurs. À quatre heures, vêpres.

Hélène n’a pas oublié de nous laisser le portrait des maîtresses de la classe Bleue, tracé avec une irrévérencieuse concision.

» Madame de Monlluc, dite la mère Quatre-Temps, bonne, douce, soigneuse, trop minutieuse et tatillon ;

» Madame de Montbourcher, dite Sainte-Macaire, bonne, bête, fort laide, croyant aux revenants ;

» Madame de Fresnes, dite Sainte-Balthide, laide, bonne, racontant beaucoup d’histoires. »

Quinze sœurs converses étaient attachées au service de la classe Bleue.

Quoique Hélène fit partie de la classe des petites, elle fut placée provisoirement dans un dortoir de grandes, ce qui leur déplut fort, comme on va le voir.

« Je commençais dans ce temps-là à être malade à cause de l’eau de Paris. M. Portal[7] m’avait ordonné des poudres, et, quand j’étais dans mon lit, madame de Sainte-Balthide, la troisième maîtresse de la classe Bleue, venait, avec une sœur converse, me les faire prendre. Une fois, elle oublia de me les donner ; ce jour-là, les grandes demoiselles devaient manger un pâté, et, quand la porte de la chambre fut fermée, elles se relevèrent et se mirent à manger à la lueur d’un reverbère. Moi, voyant que l’on mangeait, je dis que j’en voulais et que je le dirais si l’on ne me donnait pas du pâté. Alors mademoiselle d’Équilly se détacha et vint m’apporter un gros morceau de pâlé et de croûte que je dévorai. Cependant madame de Sainte-Bathilde se souvint qu’elle ne m’avait pas donné ma poudre, elle se releva donc et vint me l’apporter. Dès que ces demoiselles entendirent la clef dans la serrure, elles coururent toutes à leur lit, et il y en eut une qui mit dans le sien tout les débris du pâté. Alors la maîtresse et la sœur Éloi vinrent à mon lit pour me faire prendre ma poudre. Comme je n’osais rien dire de peur de trahir ces demoiselles, je fus obligée d’avaler la poudre, venant de manger un gros morceau de croûte de pâté.

» Dès que madame de Sainte-Bathilde fut partie, ces demoiselles se relevèrent, en grognant contre moi ; elles disaient que c’était bien insupportable d’avoir une sotte marmaille comme moi dans leur chambre ; puis elles se mirent à boire du cidre. Je criai encore pour qu’on m’en donnât, elles ne le voulaient pas parce que je venais de prendre une poudre, et même mademoiselle de la Roche-Aymon vint me donner des tapes ; mais je me mis si fort à pleurer, qu’à la fin elles furent obligées de me donner un verre de cidre que j’avalai tout d’un trait. Le lendemain matin, j’eus une fièvre de cheval et l’on me porta à l’infirmerie ; j’eus le délire duns la nuit, enfin j’eus une fièvre putride, je fus à la mort, et je restai deux mois à l’infirmerie. »

À la suite de cette belle équipée, la santé de la petite princesse fut jugée trop délicate pour soutenir l’éducation générale, et son oncle ayant écrit qu’il autorisait d’avance toutes les dépenses nécessaires, il fut convenu qu’elle aurait un appartement particulier, une bonne, une femme de chambre et une mie.

« Ma bonne s’appelait mademoiselle Bathilde Toutevoix et m’aima bientôt à la folie ; on me donna un très bel appartement et on m’assigna quatre louis par mois pour mes menus plaisirs, et l’on ne me refusait rien pour mon entretien et mes maîtres. Mon banquier, M. Tourton, reçut l’ordre de mon oncle de me fournir jusqu’à trente mille livres par an[8], si c’était nécessaire.

» Ma bonne fut, en ce temps-là, bien en colère contre moi. Nous avions un chat qui aimait extrêmement ma bonne, et même moi, car, quelle que chose que je iui aie faite, il ne m’a jamais griffée, quoi que je l’aie souvent assez mis en colère pour qu’il jurât comme un possédé. Ce chat s’appelait la Grise. Une fois, mademoiselle de Choiseul et moi mangions des noix au bout du petit corridor qui aboutit aux commodités du vieux bâtiment ; nous nous étions assises sur des marches qui sont là ; par malheur, la Grise vint à passer : je l’appelle, elle vient à nous, et, tout en la caressant, l’idée nous prend de lui attacher des coquilles de noix aux pattes. Mademoiselle de Choiseul avait de la faveur dans son carton de filet, nous exécutons ce projet, et la Grise était si drôle ! car elle ne pouvait pas se tenir debout. Nous fîmes de si grands éclats de rire, que ma bonne et madame de Sainte-Monique nous entendirent de ma chambre ; elles descendirent et trouvèrent la Grise dans cet état. Ma bonne était prête à pleurer, elle me gronda beaucoup et me renvoya à la classe. Mais ce n’est pas tout. La Grise couchait toujours sur le pied de mon lit, parce que ma bonne disait que cela me tenait chaud ; ce soir-là, quand ma bonne fut couchée, comme j’étais fâchée contre Ja Grise qui était cause que j’avais été grondée, je me mis à lui donner des coups de pied, tant, qu’elle descendit de mon lit. Alors elle fut se coucher dans la cheminée. Au bout d’un moment, je mis la tête hors de mes rideaux pour voir ce qu’elle faisait, comme je vis ses deux yeux briller dans la cheminée cela me fit peur, et je pensai que, si je me réveillais dans la nuit et que je visse ses yeux, je ne saurais ce que c’est. Je me levai donc, je fus la prendre et, ne sachant où la fourrer, j’ouvris tout doucement l’armoire et je la mis dedans.

» Alors la pauvre Grise se mit à miauler et à gémir si fort, que ma bonne se leva ne sachant ce que c’était ; elle regarda partout et enfin trouva la Grise dans l’armoire. Je fus si bête, que je soutins que ce n’était pas moi qui l’avais mise là, et qu’apparemment elle y avait été toute seule.

» Ma bonne dit que, puisque c’était comme ça que je haïssais la Grise, elle allait la donner dès le lendemain ; alors je me mis si fort à pleurer et à crier que mademoiselle de Choiseul, mesdemoiselles de Conflans, ma femme de chambre et le leurs accoururent dans ma chambre, ne sachant ce qui arrivait ; je leur dis que j’étais la plus malheureuse du monde, que ma bonne voulait donner la Grise et que je ne pouvais pas vivre sans elle, que je voulais la Grise et qu’on me la donne et que j’allais lui demander pardon.

» Je n’eus plus de repos qu’on n’eût mis la Grise sur mon lit, je la pris dans mes bras, je l’embrassai, je lui baisai les pattes, je lui promis que je ne le ferais plus. Alors ma bonne dit qu’elle consentait à garder la Grise, mais que je n’aurais le lendemain que du pain sec à déjeuner.

» Je me trouvai trop heureuse d’en être quilte à si bon marché, chacun s’en retourna chez soi et je dormis tranquillement le reste de la nuit. »

Quelque temps après, on fit faire à Hélène un : première confession. Malgré ses huit ans, elle suivit l’instruction pendant plusieurs jours et dom Phémines, le directeur des pensionnaires, lui fit faire une retraite et lui donna pour point de méditation l’obéissance, sujet fort bon à méditer pour une espiègle déterminée. Après sa retraite, elle se confessa et malheureusement elle ne nous raconte point ses aveux ; elle rentra assez fatiguée mais fort satisfaite de sa journée et se croyant tout à fait grande personne ; la suite de son récit est d’une naïveté charmante.

« Le soir, sœur Bichon était venue voir ma bonne et, pendant que mademoiselle Gioul, ma femme de chambre, me déshabillait, sœur Bichon me dit qu’elle se recommandait à mes prières (car bien que je les fisse en commun à la classe, cependant, avant de me mettre au lit, on me les faisait encore dire). Je dis à sœur Bichon : « Que voulez-vous que je demande au bon Dieu pour vous ? » Elle me dit : « Priez le bon Dieu qu’il rende mon âme ausst pure que la vôtre est dans ce »moment. » Je dis donc tout haut à la fin de ma prière : « Mon Dieu, accordez à sœur Bichon que son âme soit aussi blanche que la mienne devrait être à mon âge si j’avais profité des bonnes leçons, qu’on m’a données. » Ma bonne fut enchantée comme j’avais arrangé cette prière et m’embrassa ainsi que sœur Bichon, mademoiselle Gioul et mie Claudine. Quand je fus dans mon lit, je demandai si c’était un péché de prier pour la Grise. Ma bonne et sœur Bichon dirent que oui et qu’il ne fallait pas parler de la Grise au bon Dieu.

» Ensuite comme je n’avais pas sommeil, sœur Bichon vint auprès de mon lit et elle disait que, si je mourais cette nuit, j’irais tout de suite en paradis ; alors je lui demandai ce que l’on voyait en paradis. Elle me dit : « Figurez-vous, ma petite poule, que le paradis est une grande chambre toute en diamants, rubis, émeraudes et autres pierres précieuses. Le bon Dieu est assis sur un trône. Jésus-Christ est à sa droite et la bienheureuse Vierge à sa gauche, le Saint-Esprit est perché sur son épaule et tous les saints passent et repassent. » Pendant qu’elle me racontait cela, je m’endormis. »

Il y a toujours un naturel et une vérité dans les récits de la petite princesse qui leur donnent beaucoup de charme ; elle s’accuse ou se loue avec une grande bonne foi et son caractère se dessine au bout de quelques pages. L’éducation en commun et la sage direction de madame de Rochechouart eurent une influence excellente sur cette enfant gâtée et habituée à tout voir céder devant elle ; mais elle eut à souffrir au début et elle raconte ses premières épreuves de la façon la plus comique.

« J’avais alors, dit-elle, une aversion pour bien écrire qui était terrible. M. Charme était bien mécontent de moi et m’avait remis à ne faire que des O, ce qui m’ennuyait beaucoup et aussi toute la classe se moquait de moi, ou disait que je ne saurais jamais signer mon nom. Ce n’est pas que je haïsse l’écriture, au contraire, j’écrivais toute la journée mes mémoires, comme c’était la mode parmi les grandes demoiselles dans ce temps et nous en avions voulu faire de même. Je barbouillais donc du papier toute la journée, mais c’était un griffonnage où il n’y avait que moi qui pût comprendre quelque chose, et, bien loin de me profiler, cela me gâtait la main. Mademoiselle de Choiseul écrivait souvent pour moi ; mais, comme on s’aperçut que ce n’était pas mon écriture, M. Charme se plaignit à la mère Quatre-Temps. Elle me demanda : « Mademoiselle, est-ce vous qui avez écrit cela ? » Je dis : « Oui, Madame, en vérité, c’est moi, » Elle dit : « Si c’est vous, faites devant moi sur-le-champ une page pareille. » Alors je fus bien embarrassée, j’aurais voulu me fourrer dans un trou de souris ; ce que je savais le moins faire, c’était des M et des N, et mon exemple était « Massinissa, roi de Numidie ». Or, comme chacun sait, dans ce nom-là, il y a beaucoup de jambages : voilà donc qu’ils allaient tous de travers, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, enfin l’on vit bien que je n’étais pas capable d’un pareil ouvrage ; alors la mère Quatre-Temps m’attacha des cornes d’âne, et, parce que j’avais menti, la langue rouge avec mon papier derrière le dos ; je me mis à dire que j’avais mal écrit parce qu’on m’avait remué la table, mais on dit que je calomniais et l’on m’ajouta encore la langue noire ; le pis-qu’il y avait, c’est que madame de Rochechouart, à qui je plaisais assez et qui commençait à avoir des bontés pour moi, m’avait dit, en venant aux classes le matin, d’aller à six heures du soir chez elle dans sa cellule.

» Or donc l’heure approchait, comment paraître dans l’étal où j’étais ? J’aurais mieux aimé mourir. Étais-je présentable avec des cornes, deux langues et un chiffon de barbouillage derrière le dos. Aussi, quand la mère Quatre-Temps me dit d’aller chez madame la maîtresse générale, je ne voulus jamais remuer de ma place, je pleurais à se faire sortir les yeux hors de la tête. Mademoiselle de Choiseul pleurait aussi, toute ma classe me plaignait, et la classe blanche se moquait de moi ; quand la mère Quatre-Temps vit que je ne voulais pas obéir, elle m’ajouta encore par-dessus le marché le cordon d’ignominie, elle fit chercher deux sœurs converses, sœur Éloi et sœur Bichon, qui me prirent par le bras, me tirèrent hors de ma stalle et me conduisirent jusqu’à la porte de la cellule de madame de Rochechouart. Quand j’y arrivai, j’étais si désolée que j’aurais donné ma vie pour une épingle ; dès que j’y entrai, madame de Rochechouart fit un eri et me dit : « Eh ! mon Dieu, qu’est-ce qui vous arrive, vous avez l’air d’un carème-prenant[9] ! et qu’avez-vous donc fait pour mériter qu’on vous ôtât la » figure humaine ? » Alors je me jetai à ses pieds et je lui contai mes fautes ; je voyais qu’elle avait toutes les peines du monde à s’empêcher de rire ; cependant elle me dit avec un air sévère : « Vos fautes sont très grandes, et voire punition ne l’est point assez. » Alors elle fit entrer les deux sœurs qui étaient à la porte et elle dit : « J’ordonne que mademoiselle soit ramenée à la classe et qu’elle soit huit jours sans dessert ; que l’on dise à madame la première maîtresse de la classe bleue de venir me parler. » Madame de Rochechouart demanda encore si je n’avais rencontré personne en venant chez elle, je lui dis que j’avais rencontré M. Bordeu, le médecin, et madame la duchesse de Chatillon qui venait voir une de ses filles qui était malade. On me ramena à la classe, mais j’ai entendu dire, quelque temps après, à des demoiselles rouges, que madame de Rochechouart avait dit que c’était une bêtise de me fagoter comme cela et qu’elle avait lavé la tête à la mère Quatre-Temps en la priant de punir ses pensionnaires sans les défigurer ; qu’elle était entrée il y avait quelques jours à la classe et qu’elle avait cru voir des idoles égyptiennes, en voyant cinq ou six de nous avec des cornes et des triples langues ; que, comme la maison était toujours remplie de personnes étrangères, cela pouvait jeter du ridicule sur l’éducation des pensionnaires. Aussi, depuis ce temps, ces pénitences furent supprimées ; on nous faisait mettre à genoux au milieu du chœur, on nous privait du dessert, ou on faisait manger du pain sec à déjeuner et à goûter, ou on faisait copier le Privilège du roi pendant la récréation, ce qui élait bien ennuyeux. »

Hélène n’était pas au bout de ses tribulations, et son caractère emporté devait lui en attirer encore un certain nombre.

« J’éprouvai dans ce temps-là de la part de toute la classe une punition de corps dont je me promis bien de me souvenir longtemps. J’avais pris l’habitude de redire à madame de Sainte-Euphrasie tout ce qui se passait dans la classe, et, comme je voyais que cela avait du succès auprès d’elle, j’écoutais tout ce que disaient les pensionnaires pour aller le lui rendre ; si bien que toutes les classes m’avaient généralement prise en guignon.

» J’avais pour lors neuf ans, j’eus une dispute avec mademoiselle de Nagu ; elle avait pris des petites vies des saints avec des images, qui étaient dans mon tiroir, et elle les lisait. Comme je ne permettais qu’à mes amies intimes de fouiller dans mon tiroir, je fus à elle et je lui dis de me rendre mon livre. Elle me dit : « Moi, ce livre m’amuse, vous n’avez pas envie de le lire à présent, je vous le rendrai quand je l’aurai fini. » Je ne fus point satisfaite de cela, je voulus lui arracher le livre, mais, comme elle était plus forte que moi, elle me donna un bon soufflet ; alors, au lieu de le lui rendre, je me mis à pleurer et fus me plaindre à madame de Saint-Pierre, première maîtresse de la classe blanche, car Nagu était de cette classe. La maîtresse, voyant que j’étais tout en larmes et que ma joue était rouge, appelle mademoiselle de Nagu, lui ordonne de me rendre mon livre, de me faire des excuses et la condamne à n’avoir pas de dessert à souper.

» Tout le monde plaignit Nagu, d’autant plus, que je n’étais point aimée, tout le monde m’appelait une rapporton, et l’on chantait à mes oreilles : « Rapporti, rapporta, va-t’en dire à notre chat qu’il te garde une place pour le jour de ton trépas. »

» Mais ce n’était pas tout : mademoiselle de Choiseul et mesdemoiselles de Conflans, mes trois amies, étaient absentes ; on inoculait la première, et les autres étaient à la campagne, je n’avais donc aucun soutien. En sortant du réfectoire, c’est la coutume de courir au plus fort pour arriver à la classe, les maîtresses restent pour lors en arrière ; j’eus la bêtise au lieu de rester près d’elles (car alors on n’aurait pu me rien faire) de courir une des premières ; je me trouvai malheureusement près de Nagu, qui me dit : « Ah ! je te tiens ! » et, en même temps, me donne un croc-en-jambes et me fait tomber sur le nez. Alors toutes ces demoiselles se mirent à sauter par-dessus mon corps, ce qui fait que j’attrappai tant de coups de pied que j’en étais moulue. Les maîtresses vinrent à moi ; on me ramassa. Et ces demoiselles disaient : « Mademoiselle, je vous demande bien des pardons, je ne vous ai pas vue ! » D’autres disaient aux maîtresses qui les grondaient : « Moi ! je ne l’ai pas pas fait exprès, elle était par terre, je ne l’ai pas vue. » On m’envoya coucher et, le lendemain, madame de Rochechouart vint me voir. Je lui racontai mon histoire ; elle me dit : « Si vos compagnes vous aimaient, pareille chose ne vous serait pas arrivée ; il faut que vous ayez de grands défauts dans le caractère, pour que toutes les classes soient contre vous. » Depuis ce jour-là, je n’ai jamais redit la moindre chose à mes maîtresses, et je devins si bonne, que tout le monde m’aimait, et Nagu même, avec qui je fus depuis si bonne amie, que nous aurions été au feu l’une pour l’autre.

» Mais c’est le moment de parler des jeux les plus à la mode à l’Abbaye-aux-Bois. C’était la chasse ; mais il fallait un jour entier pour mettre ce jeu à fin et on ne pouvait y jouer que dans le jardin. C’était ordinairement la classe rouge qui mettait ce jeu en train. Elles élisaient des piqueurs, des valets de chien, ensuite on choisissait celles qui devaient être les cerfs et on marquait un cerf de meute ; la petite classe était les chiens et elles allaient demander avec beaucoup de politesse à la classe bleue de vouloir bien être chiens. Quand on était mécontent de la classe rouge, on refusait, et même il est arrivé qu’au milieu du jeu, les bleues quittaient et se retiraient, ainsi on ne pouvait pas. forcer le cerf.

» J’eus alors une aventure dont je me vengeai bien. Il y avait dans les grandes demoiselles de la classe rouge une demoiselle de Sivrac qui était d’une figure fort noble, mais sujette à des spasmes et un peu folle.

» Nous avions fait la récréation au jardin, et, en revenant à la classe, elle me dit : « J’ai oublié mes gants au bout du jardin, je te prie, viens les chercher. » Moi, bonnement, j’y vais avec elle ; quand nous sommes derrière les bosquets de lilas, elle se jette sur moi, me renverse, prend une branche de lilas et me fouette cruellement. Quand elle m’eut bien battue, elle s’enfuit en courant. Je me ramasse comme je peux et je reviens en pleurant à la classe.

» Je me dis : « Si je me plains aux maîtresses, mademoiselle de Sivrac niera le fait, elle dira qu’elle m’a donné seulement quelques tapes, et je passerai encore pour une rapporteuse. » Que fis-je ? J’assemblai les plus résolues de la classe bleue et je leur racontai mon histoire, leur disant que, si l’on ne me vengeait pas, bientôt la classe bleue serait assommée par les grandes demoiselles ; enfin, j’émus les esprits comme je pus, de manière que nous déclarâmes que nous ne voulions avoir aucun commerce avec la classe rouge, si mademoiselle de Sivrac ne me faisait pas des excuses.

» Le premier jour de récréation qui arriva, la classe rouge voulut jouer à la chasse, elles envoyèrent prier la classe bleue de donner quelques-unes d’elles pour faire les chiens ; mais personne ne voulut y aller et, pour tous les autres jeux, ce fut la même chose. Alors elles demandèrent ce que cela signifiait que des marmottes comme nous fissent les bégueules.

» Mais dans le fond elles étaient désolées, car la classe rouge est la moins nombreuse, la classe blanche est tout occupée des exercices de la première communion, ainsi nous leur étions absolument nécessaires pour les jeux où il faut beaucoup de monde.

» Ce ne fut pas tout, nous forçâmes le tiroir et la stalle de mademoiselle de Sivrac ; nous déchirâmes en petits morceaux tous les papiers qui y étaient, puis nous jetâmes dans le puits sa bourse, un portefeuille et une bonbonnière que nous y trouvâmes aussi. Alors des demoiselles rouges divent à mesdemoiselles de Choiseul et de Montsauge, qui étaient les plus acharnées parce qu’elles étaient mes amies, que, si elles les trouvaient seules, elles leur donneraient sur les oreilles.

» Dès ce moment, il y eut un désordre affreux dans la classe ; tout ce que l’on trouvait appartenant à des demoiselles rouges était jeté dans le puits ou déchiré par la classe bleue, et, quand les rouges rencontraient des bleues dans des coins, elles les tapaient comme des plâtres. Enfin cela parvint à la connaissance des maîtresses, car à tout moment on voyait les petites avec des pinçons ou des égratignures, et, quand on demandait : « Qui vous a arrangé comme cela ? » elles disaient : « C’est les demoiselles rouges. » D’un autre côté, les grandes demoiselles perdaient leurs livres, trouvaient leurs cahiers déchirés, leurs bijoux cassés.

» Les parents des unes et des autres en parlèrent à madame de Rochechouart, disant, les uns, que leurs filles n’étaient que plaies et bosses, les autres, que leurs filles perdaient et déchiraient tout. Alors, madame de Rochechouart vint à la classe et demanda aux bleues et aux rouges d’où venait cette haine, Mademoiselle de Choiseul s’avança et conta mon histoire avec mademoiselle de Sivrac.

» Madame de Rochechouart lui demanda pourquoi elle m’avait fouetté, elle ne put jamais en dire la raison ; mais, sans que madame de Rochechouart lui en dit rien, elle vint à moi, me demanda excuse et m’embrassa.

» Madame de Rochechouart dit que, si cela continuait, on séparerait totalement les deux classes et elle nous ordonna de nous embrasser mutuellement. Depuis ce jour-là, la paix fut rétablie, et l’on ne se fit plus tant de mal volontairement.

» Une fois, en courant dans le jardin, nous entendîmes une voix souterraine, nous regardâmes d’où cela pouvait venir, enfin nous découvrîmes que c’était par le trou d’un égout qui répondait dans la cuisine du comte de Beaumanoir, dont l’hôtel était contigu. Là-dessus, quelques-unes se mirent en haie pour cacher aux maîtresses ce que l’on faisait, et les autres se mirent à parler. Nous entendîmes la voix d’un petit garçon, nous lui demandâmes son nom, il nous dit qu’il s’appelait Jacquot et qu’il avait l’honneur de servir dans les cuisines de M. le comte de Beaumanoir. Nous lui dîmes que la récréation allait finir, mais que nous reviendrions le lendemain à la même heure.

» Le lendemain, il se mit à jouer de la flûte et nous chantions ; ensuite, à mesure qu’une parlait, il demandait son nom, on le disait, et, au bout de ; trois ou quatre jours, il en connaissait plusieurs au son de la voix et il appelait : « Hé ! d’Aumont, Damas, Mortemart. » Il demandait si on était brune ou si on était blonde, ensuite il demandait ce que nous faisions dans le jardin. Nous lui dîmes que c’était l’heure de notre goûter, et il nous dit que, sans une grille de fer qui était au milieu de l’égout, il nous donnerait de bonnes choses ; alors, nous lui dîmes qu’il fallait qu’il tâchât de l’ôter ; il nous promit qu’il allait y travailler. Nous étions si occupées à la conversation que madame de Saint-Pierre, une des maîtresses, eut tout le temps de s’avancer, sans que nous nous en aperçussions ; dès que nous la vîmes si près, nous nous sommes toutes enfuies et Jacquot criait : « Choiseul ! Damas ! écoutez donc, la grille sera ôtée demain. »

» Madame de Saint-Pierre fut de suite chez madame de Rochechouart lui conter cela. Madame de Rochechouart écrivit aussitôt à M. de Beaumanoir que l’on allait murer l’égout qui donnait dans sa cuisine, parce que ses gens causaient avec les pensionnaires. Il répondit sur-le-champ qu’il était au désespoir de ce qui était arrivé et qu’il allait renvoyer tous les gens de sa cuisine. Madame de Rochechouart le pria de n’en rien faire ; on fit chercher les maçons et l’on mura l’égout dès le jour même. Madame de Rochechouart ne crut pas qu’une pareille aventure valût la peine qu’elle descendit à la classe et que, bien au contraire, ce serait une platitude d’y mettre de l’importance ; seulement, le soir, à l’appel, elle fit quelques plaisanteries sur la charmante conquête que nous avions faite et qu’il fallait que nous ayons le goût bien délicat et des sentiments bien élevés pour avoir mis autant de prix à la conversation d’un marmiton ; que, quant à celles qui lui avaient dit leurs noms, elle se flattait que, quelque jour, il viendrait réclamer leurs anciennes bontés et que cela ne laisserait pas de charmer leurs familles. Ainsi elle nous humilia d’importance sans gronder le moins du monde. »

Madame de Rochechouart, femme d’un grand sens et d’un esprit élevé, n’avait pas tardé à s’attacher tendrement à la petite Polonaise. Cette enfant abandonnée pour ainsi dire, si loin de son pays, lui inspirait un véritable intérêt. Elle la faisait venir chaque jour dans sa cellule et la surveillait de près sans que l’enfant s’en doutât. Hélène, qui étaitun petit cheval échappé, éprouvait un respect et une sorte de crainte mêlée à la plus vive admiration pour la grande maîtresse générale. Elle en parle à chaque instant dans ses Mémoires.

Madame de Rochechouart, sœur du feu duc de Mortemart, était âgée de vingt-sept ans, « grande, bien faite, un joli pied, la main délicate et blanche, des dents superbes, de grands yeux noirs, un air fier et sérieux, un sourire enchanteur », voilà le portrait que la petite princesse nous en a laissé. Elle était sans contredit la personne la plus importante de l’Abbaye, après madame l’abbesse, et dirigeait à son gré les études et l’éducation des pensionnaires. Elle remplissait ainsi les heures parfois bien longues d’une existence et d’une vocation qu’elle n’avait point choisie. Madame de Rochechouart avait deux sœurs belles et spirituelles comme tous les Mortemart. Toutes les trois montèrent au noviciat avant quinze ans ; car, selon la cruelle coutume du temps, la fortune devait revenir en entier à l’héritier du nom. Elles prononcèrent leurs vœux trois ans après.

« Je craignais extrêmement madame de Rochechouart dans ce temps-là, dit Hélène ; quand elle venait aux classes le matin et qu’elle faisait sa tournée, si par hasard elle me parlait, je me décontenançais et à peine avais-je la force de lui répondre. L’on peut dire que toute la classe tremblait devant elle, de manière que, quand elle entrait le matin et que tout le monde était pêle-mêle venant de déjeuner, elle frappait des mains, chacune courait à sa stalle et l’on aurait entendu une mouche souffler.

» Quand nous lui faisions la révérence, en entrant au chœur, je cherchais à lire dans ses yeux, et quand je croyais les voir sévères, j’étais aux champs ! J’avais l’habitude de ne traverser jamais la maison qu’à bride abattue ; quand je rencontrais madame de Rochechouart, je m’arrètais tout court ; alors, quand elle me regardait, comme son regard naturel est assez sévère, je me figurais que je lui avais déplu et je revenais tout éplorée à la classe disant : « Ah : madame de Rochechouart m’a fait les grands yeux ! » Les autres me disaient : « Tu es folle, veux-tu qu’elle diminue ses yeux quand elle doit te rencontrer ? »

» On raconta cela à madame de Rochechouart. La fois d’après, quand elle me vit, elle m’appela et me demanda, en riant, si elle me regardait à ma fantaisie et si ses yeux me faisaient encore peur. Je lui répondis qu’ils étaient si beaux, qu’ils faisaient plus de plaisir que de peur, et elle m’embrassa. Elle possède l’amour et le respect des pensionnaires, elle est un peu sévère, mais juste ; nous l’adorons toutes et la craignons ; elle n’est pas caressante, mais aussi un mot de sa part fait un effet incroyable. On lui reproche d’être fière et caustique pour ses égales, mais elle est humaine et bonne pour ses inférieures, très instruite, remplie de talents. »

  1. C’est en 1773 qu’Hélène a commencé à écrire ses Mémoires : elle était donc âgée de dix ans.
  2. Petite pelote en forme de soufflet dans laquelle on piquait des aiguilles.
  3. Boîte ronde et très bombée recouverte d’une pelote.
  4. Les enfants de cinq à sept ans n’allaient pas en classe, mais il y en avait un assez grand nombre à l’Abbaye-aux-Bois dont le soin était confié aux jeunes religieuses.
  5. Le Catéchisme de Montpellier était un catéchisme janséniste, opinion hautement professée par les dames de l’Abbaye-aux-Bois.
  6. Ces dernières étaient très nombreuses.
  7. Le baron Antoine Portal, médecin consultant de roumain, et de tous les souverains qui lui ont succédé jusqu’à Charles X, professeur d’anatomie au Muséum, président de l’Académie de médecine, ami de Buffon et de Franklin. Sa longue carrière fut remplie par de remarquables travaux. Il fit un rapport en 1774, par ordre de l’Académie des sciences, sur l’effet des vapeurs méphitiques, entre autres celle du charbon, sur le corps de l’homme. Cet opuscule fut réimprimé un grand nombre de fois et publié dans quatre langues aux frais de l’Académie, et quoique infiniment moins important que ses autres ouvrages, il est le plus connu du public. Portal mourut en 1852, âgé de quatre-vingt-sept ans.
  8. Il ne faut pas oublier qu’on élevait à l’Abbaye-aux-Beis de futures grandes dames ; toute leur éducation était donc dirigée vers ce but-là, et ne devait ressembler en rien à celle d’une petite bourgeoise. Les castes étaient trop marquées, dans ce temps, pour qu’elles fussent confondues, même chez les enfants.
  9. Personne masquée pendant les jours gras et, figurément, personne ridiculement vêtue.