Histoire de Don Pèdre Ier, roi de Castille/04

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Histoire de Don Pèdre Ier, roi de Castille
Revue des Deux Mondes, période initialetome 21 (p. 278-355).
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HISTOIRE


DE DON PEDRE Ier


ROI DE CASTILLE




SECONDE PARTIE.




XV.
GUERRE CONTRE GRENADE. — 1361-1362.


I.

Abou-Saïd, l’usurpateur de Grenade, n’avait exercé aucun acte d’hostilité contre la Castille ; il s’était même empressé, aussitôt qu’il avait appris l’accommodement entre le roi d’Aragon et don Pèdre, d’écrire à ce dernier pour protester de ses intentions pacifiques, et pour offrir le tribut que payait Mohamed, le roi dépossédé[1]. Mais ces marques de soumission n’avaient pu calmer le ressentiment de don Pèdre, qui revint à Séville ne respirant que la guerre. Il ne pardonnait point au Maure son alliance, ou plutôt ses négociations pour une alliance avec l’Aragonais. D’ailleurs, d’après le droit du moyen-âge, en sa qualité de suzerain, il devait assistance et protection à Mohamed, qui s’était reconnu son vassal : les prétextes ne lui manquaient donc pas pour attaquer l’usurpateur. Mohamed, retiré à Ronda, petite principauté indépendante de Grenade, et relevant du royaume africain des Beni-Merin[2], avait quelques troupes en campagne. Don Pèdre lui prêta de l’argent et lui promit une armée. Les chrétiens, et les Maures fidèles au roi légitime, devaient agir de concert contre Abou-Saïd. Il fut convenu que les places qui se rendraient au roi de Castille seraient réunies à sa couronne, et que celles qui ouvriraient leurs portes à leur ancien maître appartiendraient à Mohamed. Ainsi, en secourant son allié, don Pèdre allait en réalité lui enlever une partie de ses états[3].

Au début de la campagne, les armes castillannes obtinrent quelques succès. Le roi, à la tête des milices andalouses et d’un assez grand nombre de volontaires, s’empara de plusieurs châteaux et défit les Grenadins en deux rencontres. Ces avantages servirent mal d’ailleurs la cause de Mohamed. La protection que lui accordaient les chrétiens ne le rendit que plus odieux aux Musulmans. Contre ses espérances, aucune défection n’eut lieu en sa faveur, et le seul fruit qu’il tirait de son alliance, c’était de voir ses sujets emmenés en esclavage, ses villes saccagées, ses mosquées converties en églises. Don Pèdre semblait ne combattre que pour ses propres intérêts. Je n’entrerai pas dans le détail fatigant de ces courtes et incessantes incursions qu’on appelait alors une guerre, bien différentes de ces grandes opérations combinées par la science stratégique qui décident du sort des empires. L’art de la guerre était alors perdu comme tant d’autres, et il fallut bien du temps pour le retrouver. Je ne dois point oublier cependant de rapporter un fait qui prouvera la persévérance inflexible de don Pèdre à substituer systématiquement, en toute occasion, la loi arbitraire de son despotisme à la licence féodale. Jusqu’alors, les esclaves faits à la guerre devenaient la propriété du seigneur qui les avait gagnés par ses armes ou par celles de ses vassaux. A l’avenir, le roi voulut que tous les captifs lui fussent remis. Peut-être son intention était-elle de les rendre à Mohamed. Don Pèdre promit, il est vrai, de les payer suivant un tarif qu’il fixa ; mais, par la faute de ses trésoriers ou par la sienne, la rançon des prisonniers ne fut jamais soldée exactement. De là des plaintes amères et un vif mécontentement parmi la noblesse, accoutumée à considérer la guerre comme un métier lucratif[4].

Aux courses presque toujours heureuses des Castillans succéda un revers inattendu. Diego de Padilla, maître de Calatrava, et Enrique Enriquez, adelantade de la frontière, avaient entrepris, au commencement de l’année 1362, une chevauchée du côté de Guadix. Ils conduisaient environ mille cavaliers et deux mille fantassins ; mais leurs soldats ne marchaient à cette expédition qu’à contre-cœur, sachant que le profit devait revenir au roi seul ; en outre, les augures étaient défavorables. À cette époque d’ignorance et de crédulité, les hommes qui faisaient le métier de guides dans ces guerres de surprises et de pillages, passaient pour sorciers, surtout en Andalousie, province infectée de superstitions musulmanes. Rarement les adalides, ainsi les appelait-on, se mettaient en route sans avoir tiré des présages. Le vol des oiseaux, la rencontre de certains animaux sauvages, quelque cérémonie magique, leur indiquaient de quel côté il fallait se diriger et quelle serait l’issue de l’entreprise. Bien que condamnées par l’église et méprisées par un petit nombre de gens éclairés, ces pratiques n’en étaient pas moins suivies et respectées par le peuple, et les soldats se croyaient déjà battus quand l’adalid ne promettait pas la victoire[5].

Arrivés en vue de Guadix[6], les chrétiens, ne trouvant nul ennemi en campagne, se divisèrent en deux troupes, dont une demeura, non loin de la ville, en bataille au bord d’une petite rivière, et l’autre se dirigea vers Alhama. Les Maures avaient eu connaissance de l’expédition et s’étaient préparés à la recevoir. L’alarme avait été donnée partout : six cents cavaliers grenadins et quatre mille hommes de pied étaient venus secrètement à Guadix renforcer les milices de la ville et des environs. Dès que le détachement envoyé vers Alhama fut hors de vue, les Maures attaquèrent le maître de Calatrava et Enriquez, en ne montrant d’abord qu’une partie de leurs forces. Les bords de la rivière, couverts de roseaux et d’arbustes, des jardins et des haies ne permettaient pas aux chrétiens d’apercevoir les bandes nombreuses sorties de Guadix. Entre les deux troupes était un pont avec une arche fort élevée, suivant l’usage arabe. Là commença l’action. Les génétaires grenadins passèrent d’abord ce pont et furent vigoureusement ramenés. Environ deux cents cavaliers castillans, qui les avaient suivis trop à la chaude, tombèrent au milieu de l’infanterie sortie de la ville et furent repoussés à leur tour. Ils se rallièrent à l’entrée du pont, et là tinrent ferme quelque temps, demandant du secours. Padilla et Enriquez, sans avoir reconnu le nombre de l’ennemi, eurent l’imprudence d’abandonner le pont, persuadés qu’ils rejetteraient facilement dans la rivière les Maures qui se hasarderaient à le passer devant eux. Le but de cette manœuvre ne fut pas compris par leurs soldats. En voyant les Maures maîtres du pont, l’infanterie crut que tout était perdu, se débanda et prit la fuite. Une partie des génétaires suivit bientôt cet exemple. Les chevaliers de Calatrava essayèrent de couvrir la retraite pendant que l’ennemi s’amusait à piller les bagages ; mais ils étaient en trop petit nombre pour lutter contre la multitude toujours croissante des assaillans. La nuit vint qui, empêchant les chrétiens de reconnaître leurs chefs, et ôtant aux faibles le sentiment de la honte, rendit tout ralliement impossible. Dans le désordre d’un combat nocturne, Padilla, blessé au bras, fut pris avec huit de ses plus braves chevaliers. Enriquez parvint à regagner la frontière avec les débris de sa petite armée[7].

Cette victoire inespérée effraya plutôt Abou-Saïd qu’elle ne ranima ses espérances. En effet, il prévoyait bien que don Pèdre, irrité par ce revers, redoublerait d’efforts pour en tirer vengeance. Il apprenait d’ailleurs que le bruit d’une guerre contre les Maures attirait en Castille un grand nombre d’aventuriers de tous les pays voisins. Ce n’était plus à don Pèdre seulement, mais à toute la chrétienté, qu’il allait avoir affaire. La trêve entre la France et l’Angleterre laissait dans l’oisiveté une foule de gentilshommes pour qui la guerre était une passion autant qu’un métier ; ils couraient à une croisade nouvelle, entraînés par le goût des aventures et le désir de faire armes, pour parler comme Froissart, mobile peut-être plus puissant alors que le zèle religieux. On voyait arriver d’au-delà des Pyrénées un comte d’Armagnac avec une nombreuse suite. De Guyenne, vint une compagnie anglaise amenée par sir Hugh de Calverly[8], destiné à jouer plus tard un grand rôle dans les discordes intestines de la Castille. Enfin, le roi d’Aragon, toujours prêt à sacrifier ses alliés, envoyait quatre cents lances pour combattre le malheureux Abou-Saïd, que naguère il excitait contre le Castillan. Ce ne fut point cependant sans beaucoup de lenteurs et de longues tergiversations que Pierre IV se décida à envoyer ces troupes auxiliaires. Quelque temps il était demeuré sourd aux sommations du roi de Castille qui lui rappelait leurs nouveaux engagemens. Pressé de s’expliquer, il s’excusa d’abord sur une maladie qui ne lui avait point permis de s’occuper d’affaires[9], puis sur l’éloignement de son amiral, chargé de reconduire le légat avec deux galères qui devaient être pendant vingt jours retenues entre Barcelone et Avignon[10]. D’ailleurs, il ne cessait de protester de sa fidélité et de promettre son contingent. Tout en annonçant à don Pèdre le prompt envoi d’une escadre pour combattre les Maures, il s’efforçait de se justifier auprès d’Abou-Saïd et l’assurait de sa neutralité. Un brave chevalier aragonais, Pedro d’Exerica, entraîné par l’enthousiasme religieux ou par l’amour de la gloire, venait de quitter Valence avec une troupe de volontaires pour combattre sous la bannière de Castille. Pierre IV s’empressa de le désavouer. Il n’était pas le maître, disait-il, d’empêcher ses vassaux de faire la guerre pour leur propre compte ; quant à lui, sa détermination était prise de ne point intervenir[11]. Ce double langage dura tant que la situation d’Abou-Saïd ne fut point désespérée ; alors il leva le masque, et fit partir Bernai de Cabrera et Pedro de Luna avec un fort détachement pour donner le coup de grace au vaincu.

L’usurpateur aurait peut-être prolongé sa résistance, s’il eût été soutenu par l’amour de son peuple. Mais les Grenadins amollis ne savaient qu’éclater en murmures ; ils l’accusaient d’avoir attiré sur leur pays une tempête qu’il n’était pas en état de détourner. On regrettait tout haut le roi Mohamed et l’heureuse tranquillité de son règne. Au-delà du détroit, les princes africains s’alarmaient également des progrès continuels des chrétiens, mais ils étaient impuissans à s’y opposer. Ils maudissaient la funeste ambition d’Abou-Saïd, qui allait peut-être faire perdre à l’islamisme son dernier boulevard en Espagne.


II.

Abhorré de ses sujets, abandonné par tous ses alliés, désespérant de continuer la guerre, Abou-Saïd ne vit plus qu’un seul moyen de désarmer don Pèdre. « Baise la main que tu ne peux couper, » dit un proverbe arabe. Il le prit pour guide. Accueillant Padilla prisonnier, non point en ennemi vaincu, mais comme un médiateur que le ciel lui envoyait, il le traita avec les plus grands égards, lui déclara qu’il était libre ainsi que ses compagnons, et finit par le conjurer d’intercéder en sa faveur. Gagné par ses caresses, séduit peut-être par ses présens, le maître de Calatrava lui promit de plaider sa cause auprès de don Pèdre, mais en l’avertissant que le meilleur moyen d’obtenir sa merci était la soumission la plus prompte et la plus complète. On dit que, touché par les bons procédés du Maure, il lui jura, selon l’usage du temps, d’être à l’avenir son ami et son frère[12], et que, s’abusant lui-même sur son crédit, il se fit fort d’obliger le roi de retirer sa protection à Mohamed. Quoi qu’il en soit, peu de jours après sa défaite, Padilla quitta Grenade avec les autres prisonniers chrétiens, renvoyés sans rançon comme lui, et se rendit aussitôt à Séville, publiant la générosité du Maure et son vif désir d’obtenir la paix.

Don Pèdre ne pardonnait pas facilement une défaite. Il reçut Padilla avec froideur et lui prouva bientôt que les liens du sang l’empêchaient seuls de le punir. Peu après, un écuyer, nommé Delgadillo, fut condamné à mort pour avoir rendu un donjon mal fortifié[13]. La guerre continua, et le roi dirigea lui-même plusieurs courses dans le royaume de Grenade.

A la suite d’une de ces expéditions, Abou-Saïd, cédant peut-être aux conseils de Padilla qu’il croyait tout-puissant à la cour de Castille, se détermina à venir lui-même implorer la clémence du roi et à la mériter par toutes les humiliations. Rassemblant ses trésors, il partit en secret de Grenade et, suivi de quatre ou cinq cents cavaliers seulement, se présenta aux avant-postes castillans. Il annonçait qu’il venait crier merci au roi et demanda qu’on le conduisît en sa présence. Don Pèdre était alors à Séville. Il reçut le prince musulman, assis sur son trône, dans tout l’appareil de sa puissance, entouré de sa cour et des chefs de son armée.

« Sire, dit le trucheman d’Abou-Saïd, mon maître sait que les rois de Grenade sont vassaux et tributaires des rois de Castille. C’est devant son suzerain que mon seigneur porte sa querelle contre Mohamed qui se dit roi de Grenade. A toi appartient de juger entre eux. Or, le sujet de leur querelle, c’est que les Maures, maltraités et foulés par ce Mohamed, ont élu pour leur seigneur Abou-Saïd, par sa naissance issu des rois et par ses vertus digne de l’être. Entre lui et Mohamed seul, le débat ne serait pas douteux ; mais le moyen de résister à ta puissance ? Ce serait d’ailleurs manquer au devoir de vassal. C’est pourquoi, sire, mon seigneur comparaît devant toi et s’en remet à ta justice, persuadé que ton arrêt fera voir ta magnanimité et la grandeur de ta couronne. » Pendant ce discours, un vieux Maure à barbe blanche, nommé Edris, et qui passait pour le meilleur conseiller d’Abou-Saïd, avait les yeux fixés sur don Pèdre et cherchait à lire sur son visage le sort qu’il réservait au vaincu. A peine l’interprète eut-il achevé qu’Edris s’écria : « Assurément la sentence du roi de Castille fera éclater sa clémence et son équité ; mais si, contre toute apparence, elle était favorable à Mohamed, mon maître Ahou-Saïd espère obtenir pour lui-même et sa suite la permission de passer la mer et d’aller vivre en Afrique dans une condition privée. »

Don Pèdre répondit avec la gravité d’un juge que Abou-Saïd avait fait sagement de s’en remettre à sa décision ; qu’il examinerait les titres des deux prétendans et qu’il prononcerait entre eux suivant la justice. À ces mots, tous les Maures, s’inclinant jusqu’à terre, s’écrièrent en arabe : « Sire, que Dieu te conserve ! Nous sommes pleins de confiance en ta grande sagesse et nous nous recommandons à ta merci. » Après cette courte audience, Abou-Saïd, avec sa suite, fut conduit à la Juiverie de Séville, où des logemens lui avaient été préparés. Il était plein d’espoir. Il croyait avoir désarmé la colère de don Pèdre, et il comptait sur les trésors qu’il avait apportés pour gagner la faveur des grands de la cour, au besoin même celle de leur maître.

Quelques jours après, Abou-Saïd et les principaux émirs grenadins furent invités à un repas de cérémonie chez le maître de Saint-Jacques. Ils étaient encore à table, lorsqu’on vit entrer dans la salle, à la tête des arbalétriers de la garde, Martin Lopez, chambellan du roi, exécuteur ordinaire de ses ordres les plus rigoureux. Il arrêta le roi maure et ses principaux conseillers. En même temps on s’assurait de ses compagnons demeurés dans la Juiverie et l’on s’emparait de leurs bagages. Tous ensemble furent conduits dans la prison de l’arsenal après avoir été dépouillés des pierreries magnifiques dont ils se paraient ou qu’ils avaient cachées dans leurs vêtemens. Entassés pêle-mêle dans leur cachot, ils attendirent deux jours la sentence du roi. Après ce délai, on vint chercher le malheureux Abou-Saïd, qu’on revêtit d’une robe de pourpre par dérision. Monté sur un âne et suivi par trente-sept de ses émirs, il fut conduit hors de la ville derrière l’Alcazar, dans un champ destiné aux exercices militaires. Là, tous furent attachés à des poteaux ; puis un héraut cria : « Voici la justice qu’ordonne notre seigneur le roi, de ces traîtres qui ont fait mourir le roi Ismaël leur seigneur. » Aussitôt des hommes d’armes et même des chevaliers castillans, caracolant autour des prisonniers comme dans une course de cannes, les prirent pour but de leurs dards et les tuèrent les uns après les autres. On dit que don Pèdre lui-même lança la première javeline contre Abou-Saïd, en lui criant : « Tiens ! voici le paiement du mauvais traité que tu m’as fait faire avec le roi d’Aragon. Voilà pour le château d’Ariza que tu m’as fait perdre ! » Le Maure blessé répondit fièrement : « Petite est ta chevalerie ! » Il expira aussitôt, criblé de traits[14]. Quel temps que celui où des chevaliers couraient ainsi la quintaine contre des hommes enchaînés, où l’on voyait un roi remplir publiquement l’office de bourreau ! Les têtes d’Abou-Saïd et de ses compagnons furent portées à Mohamed. C’était son présent d’investiture.

Ayala attribue la mort d’Abou-Saïd à l’avarice de don Pèdre enflammée à la vue des riches pierreries que le prince musulman apportait à Séville. Mais ces rubis et ces perles si grosses dont notre chroniqueur fait une exacte description, Abou-Saïd venait les offrir à son juge, et le roi, fût-il aussi avide qu’on le représente, n’avait pas besoin de verser le sang pour s’en emparer. Sans doute il avait accepté sérieusement le rôle de juge entre les deux prétendans au trône de Grenade ; suzerain de Mohamed, il punissait l’usurpateur du fief de son vassal, et, quelque cruel que fût le châtiment, il exerçait un droit reconnu par les deux princes. La rébellion d’Abou-Saïd et sa trahison étaient avérées, il méritait peut-être son sort ; mais son courage, sa noble confiance, auraient dû désarmer la rigueur de son juge. Don Pèdre rappelait avec une sorte de joie farouche que le roi rouge, c’était le sobriquet donné par les Castillans à Abou-Saïd, avait négligé de lui demander un sauf-conduit en règle avant de se présenter à son tribunal[15]. Ainsi, du droit des gens il faisait une espèce de chicane et se prévalait de l’omission d’une formalité pour égorger un ennemi trop confiant ! Deux causes, à mon avis, décidèrent la mort d’Abou-Saïd : la première, le roi la proclamait en le perçant de sa javeline ; il ne lui pardonnait pas l’inquiétude qu’il avait ressentie un moment, et le traité qu’il venait de signer avec l’Aragon. La seconde était un calcul politique. Mohamed rétabli sur le trône et devant tout à don Pèdre serait un allié fidèle, ou plutôt un esclave dévoué, dont la docilité ne ferait jamais défaut. L’événement prouva qu’il ne s’était pas trompé.


III.

Pour ne pas interrompre le récit des événemens qui mirent fin à la guerre de Grenade, j’ai différé jusqu’ici de rapporter un forfait attribué à don Pèdre et qui a laissé sur sa mémoire la tache la plus odieuse. Peu après la conclusion de la paix entre la Castille et l’Aragon, vers le milieu de l’année 1361, Blanche de Bourbon mourut au château de Jerez[16], où depuis plusieurs années elle était captive. Elle n’avait que vingt-cinq ans, et elle en avait passé dix en prison. Tous les auteurs modernes, d’accord avec les chroniques contemporaines, imputent sa mort à don Pèdre, quelques-uns ajoutent qu’en l’ordonnant, il céda aux instigations de sa maîtresse, Marie de Padilla[17]. Ayala, plus explicite et d’une plus grave autorité que les autres, nomme les exécuteurs du meurtre et en rapporte quelques circonstances. Suivant son récit, le roi aurait commandé le crime à Iñigo Ortiz d’Estuñiga, châtelain de Jerez. Un certain Alphonse Martinez de Urueña, serviteur du médecin du roi, aurait porté l’ordre fatal, et se serait chargé de l’exécution en donnant à Blanche un breuvage empoisonné. Ortiz, en bon chevalier qu’il était, ayant déclaré que, tant qu’il commanderait dans le château, il ne souffrirait pas qu’on attentât aux jours de sa souveraine, fut remplacé par Juan Perez de Rebolledo, simple arbalétrier de la garde. Livrée à ce misérable, la reine mourut aussitôt. Telle est la version d’Ayala, répétée depuis par la plupart des historiens espagnols, et contre laquelle on ne saurait invoquer un témoignage contemporain[18].

Les malheurs de la jeune reine, sa douceur, sa pitié touchante, excitèrent à sa mort l’intérêt général. Victime prédestinée, elle ne connaissait de l’Espagne que ses prisons, où elle avait si long-temps langui, abandonnée de tous, oubliée par sa famille, oubliée par cette noblesse chevaleresque qui fit un moment de son nom un cri de ralliement contre l’autorité du roi. Sa mort fut imputée à don Pèdre et devait l’être ; mais l’assertion d’Ayala, tout imposante qu’elle paraisse au premier abord, se réduit, si on la pèse avec impartialité, à l’opinion commune des contemporains. L’humeur sanguinaire de don Pèdre n’autorisait que trop la supposition d’un nouveau meurtre, mais une considération grave doit cependant, à mon avis, suspendre le jugement de l’histoire. Quelque cruauté qu’on lui attribue, il est impossible de nier que les sanglantes exécutions qu’il commanda lui furent toujours dictées, soit par la passion de la vengeance après de graves outrages, soit par une politique poursuivie systématiquement et dont l’unique but était l’abaissement des grands vassaux. Contre la malheureuse Blanche il n’avait pas de vengeance à exercer, et, dans l’état d’abandon où elle languissait depuis dix ans, quel intérêt politique pouvait conseiller sa mort ? L’attribuera-t-on à la jalousie de Marie de Padilla ? Reine de fait, qu’avait-elle à espérer du meurtre de sa rivale ? Poser publiquement une couronne sur sa tête, répondra-t-on sans doute. Mais alors comment expliquer qu’elle ait attendu si long-temps à consommer un crime qui satisfaisait toute son ambition ? Rappelons encore que ses ennemis mêmes n’ont pu se refuser à vanter sa douceur. Favorite, on ne lui reprocha jamais d’avoir abusé de son ascendant pour faire le mal ; souvent elle réussit à calmer les transports furieux de son amant, et l’on ne cite pas un seul trait de sa vengeance contre les rivales éphémères que lui donna souvent l’inconstance de don Pèdre.

Le moment de la mort de Blanche est précisément celui où elle semble inutile au despote qui l’aurait commandée. Alors son pouvoir était trop bien affermi, la reine trop complètement délaissée, pour que son nom devînt le signal d’une révolte. La paix avec l’Aragon, la retraite du comte de Trastamare, éloignaient toute inquiétude. Les réclamations même du souverain pontife avaient cessé long-temps avant cette époque. Lorsque le monde entier oubliait Blanche, pourquoi trancher violemment une vie obscure qui s’éteignait dans un donjon ?

Une hypothèse se présente, spécieuse au premier abord, qui expliquerait l’intérêt de don Pèdre à faire périr l’innocente victime. Il est certain qu’après la paix avec l’Aragon, il fut question de compléter par un mariage le rapprochement des deux couronnes. Des négociations furent entamées à cet effet, et l’on proposa d’abord l’union du roi de Castille avec une infante d’Aragon, puis celle du fils de don Pèdre et de Marie de Padilla, enfant de dix-huit mois, avec une fille de Pierre IV. La date de ces propositions n’étant pas fixée par l’histoire avec une précision rigoureuse, on est tenté de la placer immédiatement après la mort de Blanche[19]. Dès-lors on supposera que don Pèdre, pour pouvoir épouser la princesse aragonaise, a pu acheter sa liberté par un crime. Cependant tout indique que le projet de mariage mis en avant par le roi d’Aragon fut toujours très froidement accueilli par don Pèdre, qui ne se réconcilia jamais sincèrement avec ce prince. La paix qu’il venait de signer à contre-cœur n’était, à ses yeux, qu’une trêve dont il voulait profiter pour se débarrasser de toute inquiétude du côté de Grenade ; et la suite du récit prouvera qu’il s’était proposé de recommencer la guerre dès qu’il trouverait une occasion favorable. D’ailleurs, pour que le roi recouvrât sa liberté, il lui fallait non-seulement que Blanche mourût, mais avec elle Marie de Padilla, depuis dix ans traitée en reine et considérée par toute la cour comme sa femme légitime. Or, bien que la mort de Marie ait suivi d’assez près celle de Blanche, personne que je sache ne s’est encore avisé de l’imputer à don Pèdre.

En résumé, si la vie de Blanche fut terminée par le poison, ce fut un crime inutile, dont on trouverait difficilement un autre exemple dans la vie de don Pèdre. Mais pourquoi ne pas croire que cette mort fut naturelle ? Vers le même temps la peste noire reparut en Espagne et dévasta l’Andalousie. D’ailleurs, dix ans de captivité ne suffisent-ils pas pour expliquer la fin prématurée d’une pauvre jeune fille privée de l’air natal, séparée de sa famille, abreuvée d’humiliations et d’outrages ? On doit plutôt s’étonner qu’elle ait résisté si long-temps à tant de maux. Quelque autorité qu’ait à mes yeux le témoignage d’Ayala, je ne puis m’empêcher de croire qu’il s’est rendu l’écho d’un bruit populaire, et qu’il a trop facilement admis un crime, qu’il était au surplus dans l’impossibilité de constater.

Tandis que la noblesse castillanne oubliait la jeune princesse naguère son idole, la douceur angélique, la piété édifiante de la captive avait inspiré au peuple la plus vive compassion pour ses malheurs. Ses geôliers, la voyant sans cesse en oraison, la regardaient comme une sainte, et la dépeignaient comme telle aux habitans du voisinage[20]. Un jour que le roi chassait aux environs de Jerez, un pâtre l’abordant avec cette familiarité coutumière aux paysans andalous : « Sire, lui dit-il, Dieu m’envoie vous annoncer qu’un jour viendra où vous aurez à rendre compte du traitement que vous faites à la reine Blanche ; mais soyez assuré que si vous revenez à elle, comme il est droit, elle vous donnera un fils qui héritera de votre royaume. » La première pensée de don Pèdre fut que cet homme était un émissaire de Blanche. Il le fit arrêter et donna l’ordre qu’on le confrontât avec la prisonnière. On la trouva dans son oratoire, agenouillée devant une image, ignorant entièrement ce qui se passait en dehors des murs de sa prison. Il fut prouvé que le pâtre ne l’avait jamais vue, et qu’il ne faisait que répéter avec plus d’exaltation les discours qu’il entendait tenir à tous les gens de la campagne. On se souvient que don Pèdre avait fait brûler vif un semblable donneur d’avis, mais celui-là était un prêtre, et, des gens de sa robe, le roi attendait toujours quelque trahison. Humain pour les paysans, il fit mettre le pâtre en liberté[21].

Marie de Padilla ne survécut pas long-temps à la reine Blanche. Elle mourut à Séville, emportée par une maladie soudaine, peut-être par l’épidémie qui exerçait ses ravages, au commencement de la guerre contre Grenade. La douleur du roi prouva la sincérité de son attachement. Il lui fit faire des obsèques magnifiques, et dans tout le royaume des services solennels furent célébrés pour le repos de son ame avec une pompe extraordinaire. Marie fut regrettée par le peuple et les grands, car elle avait toujours usé avec modération de sa haute faveur. Morte, elle n’eut plus un ennemi. Jamais on n’attribua à ses conseils aucun acte cruel, et si elle prouva quelquefois son ascendant sur l’esprit de don Pèdre, ce fut toujours pour le détourner des violences où l’entraînaient ses implacables ressentimens. Parmi tous les membres de sa famille, Juan de Hinestrosa paraît avoir été le seul qui ait obtenu complètement la confiance de son maître. Diego de Padilla, bien que traité avec la plus grande faveur, ne fut jamais initié à ses projets. On se rappelle, par exemple, qu’il ignorait le guet-apens tendu à don Fadrique, et qu’il ne fut averti qu’au dernier moment du meurtre de Gutier Fernandez. On en peut conclure que le roi ne fut ni dominé ni circonvenu par les parens de sa maîtresse. Sans doute, les fonctions importantes dont ils furent revêtus, ils les durent au crédit de la favorite, mais ils ne s’en montrèrent pas indignes, et leur naissance leur y donnait des titres. Leur élévation ne choquait aucun des préjugés aristocratiques de l’époque.


XVI.

RENOUVELLEMENT DE LA GUERRE CONTRE L’ARAGON. — 1362-1363.


I.

La guerre contre les Maures avait attiré à Séville un grand nombre de riches-hommes et de chevaliers empressés de prendre part à cette espèce de croisade. Avant de les congédier, lorsque la mort d’Abou-Saïd et la restauration de Mohamed eurent rétabli la paix, le roi tint des cortès générales à Séville, et là, devant les trois ordres assemblés, il déclara solennellement que Blanche de Bourbon n’avait pas été et n’avait pu être son épouse légitime, attendu qu’avant l’arrivée de cette princesse il avait contracté un mariage secret avec Marie de Padilla. Les troubles du royaume l’avaient empêché, disait-il, de le rendre public, et il s’était même vu contraint de se soumettre à un semblant de mariage avec Blanche. A l’appui de cette déclaration, il nommait les témoins qui avaient assisté à la cérémonie religieuse de son véritable mariage avec Marie de Padilla : c’étaient Juan de Hinestrosa, Diego de Padilla, Alonso de Mayorga, chancelier du sceau privé, et Juan Perez de Orduña, son chapelain.

On sait que le premier de ces témoins était mort, mais les trois autres, présens à la séance, étendirent la main sur les Évangiles et attestèrent que le roi disait la vérité. La légitimation des enfans de Marie de Padilla était la conséquence naturelle de cette révélation. Don Pèdre présenta aux cortès son fils Alonso, âgé de deux ans, le déclara l’héritier de sa couronne, et ordonna qu’en cette qualité il reçût les sermens des riches-hommes et des procurateurs des villes. Il y avait déjà quelque temps que l’on avait appris à obéir en Castille ; aucune réclamation ne s’éleva, et la cérémonie de la prestation de serment eut lieu dans la forme et avec la pompe accoutumées. Puis un nombreux cortége de dames et de chevaliers alla chercher le corps de Marie de Padilla dans le monastère d’Astudillo[22], où il reposait, et le transporta, avec le cérémonial usité aux funérailles des reines, dans la chapelle des Rois de l’église Sainte-Marie à Séville. Je ne dois point oublier que l’archevêque de Tolède, primat du royaume, prêcha dans cette occasion devant toute la cour et fit l’apologie de la conduite du roi[23]. Successeur de Vasco Gutierrez, mort en exil, le nouvel archevêque était bon courtisan. Les temps étaient bien changés. Cette fière noblesse qui, dix ans auparavant, prétendait régenter son souverain et contrôler jusqu’aux actes de sa vie privée, maintenant décimée par le glaive, courbait la tête sous le joug et ne pensait qu’à désarmer son inflexible vainqueur par la servilité de son obéissance.

Il n’est pas facile d’apprécier aujourd’hui la validité de la déclaration faite par don Pèdre dans les cortès de Séville. D’un côté, le serment des témoins a pu être dicté par l’intérêt ou par la crainte, et le roi, qui avait trouvé deux évêques pour bénir son union adultère avec Juana de Castro, ne manquait pas de flatteurs ou de courtisans prêts à se parjurer pour lui plaire. On peut s’étonner encore qu’il ait attendu la mort de Blanche, et même celle de Marie de Padilla, pour un aveu que la favorite et ses parens avaient tant d’intérêt à solliciter, et que la soumission du royaume avait cessé de rendre dangereux. Enfin, cet acte remarquable venant après la fameuse réhabilitation d’Inès de Castro, faite l’année précédente par le roi de Portugal, pourra paraître inspiré par un désir d’imitation assez naturel. Un despote ne fait point un coup d’autorité dans ses états, qu’il ne donne envie à un autre despote de tenter la pareille. Tels sont, en résumé, les motifs qui peuvent rendre suspecte la réalité du mariage de don Pèdre avec Marie de Padilla. Il est juste d’y opposer d’autres présomptions assez spécieuses. Un testament authentique du roi conservé jusqu’à nous en original, testament écrit peu après la session des cortès, répète dans les termes les plus précis la déclaration faite devant cette assemblée. On a peine à taxer de mensonge un acte semblable, écrit dans un moment solennel et pour ainsi dire en présence de la mort. Il faut ajouter que le caractère de Juan de Hinestrosa, tel que l’histoire nous le montre, donne quelque vraisemblance au mariage secret de sa nièce avec le roi. Je répugne à croire que le chevalier qui seul n’hésita pas à suivre son maître lorsqu’il se livrait aux rebelles de Toro ait prostitué sa nièce par un calcul d’intérêt ou d’ambition. Un apologiste de don Pèdre, admettant son mariage avec Marie de Padilla, attribue à ses scrupules de conscience l’éloignement extraordinaire qu’il montra toujours pour la princesse française : mais supposer de pareils scrupules à don Pèdre, n’est-ce pas démentir le témoignage de toute sa vie[24] ?


II.

En congédiant les cortès, le roi leur annonça que probablement il aurait bientôt besoin d’en appeler au dévouement de la noblesse et des communes pour repousser un nouvel ennemi. En effet, un danger sérieux menaçait non-seulement la Castille, mais encore toute la Péninsule. La trêve conclue entre la France et l’Angleterre avait laissé sans occupation un grand nombre d’aventuriers qui, ne connaissant d’autre métier que la guerre, la faisaient pour leur propre compte lorsqu’ils ne trouvaient pas de prince qui leur donnât un drapeau et une solde. Réunis en bandes très nombreuses, ou plutôt en une grande armée qu’on nommait la compagnie blanche[25], ils pillaient les campagnes et rançonnaient les villes. Plusieurs de leurs chefs, qui étaient venus offrir leurs services pendant la guerre contre Grenade, n’étaient, disait-on, que des espions chargés de reconnaître le pays qu’ils se proposaient d’envahir. A. l’exemple des Cimbres leurs prédécesseurs, les aventuriers ne voulaient se jeter sur l’Espagne qu’après avoir épuisé la France. Leurs dévastations s’exerçaient avec une espèce de régularité toute militaire. Déjà, en 1361, un corps considérable de ces pillards avait insulté les frontières d’Aragon, et il avait fallu proclamer l’usage princeps namque pour détourner ce torrent dévastateur[26]. Ils annonçaient qu’ils viendraient bientôt en plus grand nombre, et qu’ils sauraient s’ouvrir un chemin jusqu’en Castille.

Pour repousser ce flot de barbares, il fallait des forces considérables, et l’imminence du danger obligea sans doute les cortès à fournir au roi les ressources nécessaires à un armement général. Il dirigea rapidement la plupart de ses troupes sur les confins de l’Aragon et de la Navarre, débouché probable des aventuriers venant de France, car la province de Guyenne, gouvernée par le belliqueux Édouard, prince de Galles, était respectée par les chefs des compagnies. Sujets anglais pour la plupart, et protégés plus ou moins ouvertement par le roi d’Angleterre, il n’y avait pas d’apparence qu’ils osassent traverser la Guyenne pour attaquer la Castille par le nord-ouest. Don Pèdre publiait qu’il allait se concerter avec le roi de Navarre pour de grandes mesures commandées par le salut commun. Depuis plusieurs mois, le fléau dont le roi signalait l’approche préoccupait tous les esprits, et personne ne soupçonna que la concentration d’une armée dans le nord-est de la Castille eût un autre motif. L’audace des compagnies d’aventure était connue dans toute l’Europe, aussi bien que l’habileté de leurs capitaines. Souverains d’un peuple de nomades intrépides, ils pouvaient les conduire au travers de tous les dangers en leur montrant l’espoir d’un riche butin. On n’ignorait pas d’ailleurs que le comte de Trastamare avait formé d’étroites liaisons avec les chefs des principales bandes. Son nom pouvait les réunir en une puissante armée, et il était à craindre que le roi de France, intéressé à éloigner de ses états ces hordes dévastatrices, ne fournît au Comte les moyens de se les attacher et de les précipiter sur la Castille.

Don Pèdre, parti de Séville avec une brillante suite, s’avançait à grandes journées vers le nord, précédé par ses ambassadeurs chargés de négocier avec Charles-le-Mauvais, roi de Navarre, une alliance offensive et défensive. En ce moment, aucune offre ne pouvait être plus agréable à ce prince, brouillé avec la France et menacé de se voir enlever par elle ses domaines en Normandie et au nord des Pyrénées. En outre, la Navarre proprement dite était plus exposée qu’aucune autre province de l’Espagne aux incursions des compagnies ; elle devait soutenir leur premier effort. Aussi Charles souscrivit-il avec empressement à tous les articles que lui faisait proposer son puissant voisin. Il se rendit même à Soria, sur le territoire castillan, accompagné des principaux seigneurs de sa cour, parmi lesquels on remarquait le captal de Buch, capitaine illustre, qui s’était signalé en combattant sous les drapeaux anglais. Accueilli avec la plus grande courtoisie, Charles ratifia le traité que les envoyés de Castille venaient de lui soumettre. Les deux rois firent alliance et amitié envers et contre tous, s’engageant, par des sermens solennels, à s’entr’aider dans toutes leurs guerres, et, clause remarquable, à se livrer mutuellement leurs émigrés[27]. Le Navarrais croyait le traité tout à son avantage. Souverain d’un pays pauvre et peu étendu, il acquérait la protection du plus puissant des rois de la Péninsule. Menacé d’une guerre avec la France, pour un intérêt particulier à sa maison, il engageait dans sa querelle un prince qui avait une marine formidable et des troupes aguerries. Mais il ne tarda pas à connaître le prix que don Pèdre mettait à sa protection. Après l’échange ordinaire de sermens prêtés la main sur les saints Évangiles, don Pèdre mena Charles à l’écart dans une salle de son palais. Là, en présence de quelques seigneurs, confidens intimes des deux princes, il lui révéla brusquement ses intentions : — « Roi, mon frère, dit-il, nous venons de jurer que le premier de nous qui aurait guerre serait aidé par son allié. Sachez que dès aujourd’hui je réclame de vous l’exécution de vos promesses. Vous ne l’ignorez pas, ce fut bien à contre-cœur que j’ai donné la paix au roi d’Aragon. Attaqué par l’usurpateur de Grenade, il m’a fallu consentir à une trêve avec l’Aragonais pour épargner à l’Andalousie les ravages des Maures qui allaient l’envahir. Cette paix m’a coûté cher, car il m’a fallu rendre maintes villes et maints châteaux gagnés par mes armes. Mais je prétends les reprendre. Je veux m’indemniser de ce que m’a coûté cette guerre qu’il m’a faite à sa honte, et je compte que, fidèle à vos sermens, vous m’aiderez, dans cette entreprise, de vos armes et de votre corps. »

À ces paroles, le roi de Navarre tout troublé répondit en balbutiant pour demander la permission d’en conférer avec les seigneurs de son conseil. Don Pèdre le laissa seul avec eux. La délibération fut courte, car elle n’était pas libre. Une armée castillanne était rassemblée autour de Soria, et en quelques jours elle pouvait inonder la Navarre. D’ailleurs, Charles se sentait pris au piège, entre les mains d’un homme audacieux, accoutumé à ne pas souffrir la contradiction. Obéir ou se perdre, il n’avait pas d’autre choix. Charles, fort tristement, prit le premier parti. Don Pèdre, affectant de ne voir ni son hésitation, ni ses regrets, le remercia comme si son assentiment n’eût pas été arraché par la crainte, et sur-le-champ lui dicta la conduite qu’il avait à tenir. Après lui avoir exposé en quelques mots son plan de campagne, il lui prescrivit de rassembler les troupes navarraises au plus vite, et d’entrer en Aragon du côté de Sos, pendant que l’armée castillanne se porterait sur Calatayud. Le moment était bien choisi pour une invasion. De sa personne, le roi d’Aragon était à Perpignan, à l’extrémité de son royaume, avec presque tout ce qu’il avait de troupes disponibles. Henri de Trastamare et les autres exilés castillans guerroyaient sur les bords du Rhône à la solde du roi de France. Don Fernand d’Aragon était ouvertement brouillé avec son frère, et se plaignait d’avoir été sacrifié par le traité de 1361. Au contraire, don Pèdre se voyait à la tête d’une armée nombreuse, délivré de ses ennemis intérieurs, obéi de son peuple, et, soit par intérêt, soit par crainte, commandant la fidélité de ses alliés. Il venait de réunir dans une ligue dont il était le chef tous les rois de l’Espagne contre l’Aragon[28].

Peu de jours après cette entrevue, vers le milieu de juin 1362, le roi de Navarre, peut-être pour gagner du temps et retarder de quelques jours la prise d’armes, à laquelle on le contraignait, envoya son héraut défier le roi d’Aragon, c’est-à-dire lui déclarer la guerre[29]. Le prétexte qu’il alléguait était des plus frivoles. Charles se plaignait que, prisonnier du roi de France, il se fût en vain adressé à Pierre IV pour obtenir une diversion en sa faveur. Aux termes des traités, disait-il, le roi d’Aragon aurait dû faire la guerre à la France, et, par son manque de foi, avait rompu lui-même son alliance avec la Navarre[30].

Don Pèdre ne s’embarrassa pas de telles formalités. A peine eut-il congédié le roi de Navarre, qu’il mit toutes ses troupes en mouvement. Dès les premiers jours de juin, le bas Aragon était envahi. Nombre de villes et de châteaux se rendirent sans essayer de se défendre, ou bien furent emportés à la première attaque. Calatayud fut la seule ville qui osa résister. Elle n’avait pas de garnison ; mais les bourgeois étaient résolus et dévoués ; ils virent sans effroi la nombreuse armée castillanne se déployer autour de leurs murailles. Trente mille hommes de pied, douze mille chevaux l’enveloppaient de toutes parts, et le parc d’artillerie, le plus considérable qu’on eût encore vu en Espagne, trente-six engins mis en batterie à la fois, faisaient pleuvoir sur la malheureuse ville une pluie de pierres et de traits. Pourtant les bourgeois de Calatayud se défendaient avec vigueur. Chaque jour ils faisaient des sorties meurtrières, et telle était leur audace, que le roi d’Aragon leur envoya commander de ne pas s’exposer ainsi inutilement. Calatayud, ainsi que la plupart des villes espagnoles, était divisé en deux factions ennemies depuis un temps immémorial ; mais, dans le danger commun, elles s’étaient réconciliées, et maintenant elles ne rivalisaient plus que de dévouement et de courage[31]. Cependant le nombre devait l’emporter. Les Castillans s’emparèrent du couvent des Frères Prêcheurs en dehors de la ville et s’y fortifièrent. De là, bientôt après, ils ouvrirent une large brèche au mur d’enceinte, et leurs machines foudroyèrent l’église de Saint-François, où les assiégés s’étaient retranchés après la destruction du rempart. Chaque pouce de terrain coûtait un combat ; mais les progrès des Castillans étaient continuels ; ils s’avançaient lentement, mais irrésistiblement, au milieu des ruines. Du dehors, les malheureux habitans de Calatayud ne recevaient que des nouvelles décourageantes. Le roi d’Aragon ; pris au dépourvu, n’avait ni troupes ni argent. Il était menacé de tous les côtés à la fois. Le roi de Navarre attaquait Sos[32] et Salvatierra[33]. Ses coureurs allaient piller et brûler jusqu’aux portes de Jaca. Iñigo Lopez de Orozco, avec une forte division castillanne, marchait sur Daroca, et le bruit courait qu’il allait être suivi de près par une armée auxiliaire, conduite par le roi de Portugal en personne[34]. En même temps, plusieurs seigneurs gascons, anciens ennemis de l’Aragon, voulant avoir leur part à la curée, se préparaient à passer les monts et à l’envahir du côté du nord. Tous les yeux se tournaient avec effroi vers Calatayud, et l’on suivait dans une douloureuse anxiété les péripéties de ce siège mémorable. À cette époque, c’était un sujet d’étonnement pour la noblesse, que des bourgeois se battissent si bien, n’ayant point de riches-hommes, point de seigneurs de marque à leur tête. Le comte d’Osuna et quelques chevaliers des familles les plus illustres conçurent le projet hardi de passer au travers de l’armée castillanne et d’aller s’enfermer dans la place assiégée pour diriger les efforts des habitans. Ils partirent de Saragosse avec peu de suite pour n’être point remarqués ; mais, comme ils allaient franchir les lignes de l’ennemi, un guide infidèle révéla leur approche. Cernés dans un petit village, ils furent contraints de se rendre. Don Pèdre les ayant fait conduire devant la brèche, déjà large de plus de quarante brasses, leur offrit ironiquement de les laisser entrer dans la ville pour y courir la fortune de leurs concitoyens. « Vous voyez, leur dit-il, que dès demain, si je veux, un assaut me rend maître de la place. Mais je serais fâché qu’une ville si importante fût saccagée et détruite. Je consens à recevoir les habitans à merci. Exhortez-les vous-mêmes à ne pas s’opiniâtrer dans une résistance inutile. »

Malgré leur situation désespérée, et bien qu’avertis par le comte d’Osuna et ses compagnons qu’ils n’avaient aucun secours à espérer, les braves bourgeois de Calatayud refusèrent de se rendre avant d’en avoir obtenu la permission de leur seigneur. Don Pèdre, sachant bien que, s’il donnait l’assaut, ses soldats ne lui laisseraient que des cendres, permit aux assiégés d’envoyer à Perpignan une députation pour faire connaître au roi d’Aragon l’état de la place et de lui demander de relever les habitans de leur serment de fidélité s’il ne pouvait les secourir. La capitulation de Calatayud mérite d’être rapportée. On convint que si, dans un délai de quarante jours, une armée aragonaise ne se présentait pas pour faire lever le siége, la ville serait remise au roi de Castille ; que les habitans auraient la vie sauve, qu’ils conserveraient leurs propriétés et ne seraient pas contraints d’émigrer. Cette clause, qui paraît étrange aujourd’hui, montre quelles étaient alors les lois de la guerre. On a vu que, peu d’années auparavant, la population aragonaise de Tarazona avait été expulsée en masse et remplacée par une colonie castillanne. Le vainqueur rendait hommage à la valeur des bourgeois de Calatayud. Le roi d’Aragon loua leur fidélité et reconnut qu’ils avaient fait tout ce qui est possible à de braves gens pour lui conserver la place. Hors d’état de les secourir, il les engagea lui-même à pourvoir de leur mieux au salut de leurs personnes et de leurs biens, et, les exonérant de l’hommage prêté à sa couronne, il leur permit de devenir sujets du roi de Castille et de lui prêter serment comme à leur seigneur[35].

Au moyen-âge, les campagnes étaient toujours de courte durée. Il n’y avait pas d’armées permanentes. Les vassaux des seigneurs appelés aux armes par le roi, les contingens fournis par les villes, ne pouvaient long-temps demeurer éloignés de leurs travaux ordinaires. Après une bataille ou un siége, l’usage était de les renvoyer pour quelque temps dans leurs foyers. Les seules troupes qui méritassent alors le nom de régulières, consistaient dans la milice des ordres militaires et quelques bandes peu nombreuses entretenues par les rois et attachées à la garde de leur personne. On ne doit donc pas s’étonner qu’après la prise de Calatayud la grande armée castillanne se dissipât sans pousser plus loin ses avantages. Le roi lui-même alla chercher quelques jours de repos au milieu des délices de Séville. Pour observer la frontière et garder les places conquises, il laissait les trois maîtres avec leurs chevaliers et deux mille hommes d’infanterie. C’en était assez pour tenir en haleine un ennemi qui n’osait se montrer en rase campagne.


III.

Une grande affliction attendait don Pèdre à son arrivée dans sa capitale. Son fils Alphonse, qu’il venait de proclamer héritier de sa couronne, mourut dans ses bras, victime de la terrible épidémie qui désolait l’Espagne. La peste noire, qui avait fait tant de ravages en 1350, à laquelle avait succombé don Alphonse, reparaissait au bout de douze ans, plus cruelle que jamais. On remarqua qu’elle sévit surtout dans les provinces qui avaient été le théâtre de la guerre. Calatayud souffrit plus qu’aucune autre ville ; le fléau frappa indistinctement et la garnison castillanne et les bourgeois décimés par le siège[36].

Pendant les instans de relâche que lui laissaient la douleur de don Pèdre et la dissolution de l’armée castillanne, le roi d’Aragon se hâta de rappeler le comte de Trastamare et de solliciter des secours auprès du roi de France. Bien que don Henri eût acquis une triste expérience de la foi qu’il devait avoir dans les promesses de Pierre IV, la fortune avait trop intimement uni leurs intérêts pour qu’il ne se rendît pas aussitôt aux instances de son ancien protecteur. Capitaine d’aventure aux gages du roi de France, il n’avait pas abandonné ses projets sur la Castille. Au moment où don Pèdre assiégeait Calatayud, et sans doute avant que le roi d’Aragon réclamât de nouveau ses services, le Comte signait à Paris, avec les ministres du roi Jean, un traité remarquable dans lequel il est facile de deviner ses desseins ambitieux. Il s’engageait à conduire hors de France les grandes compagnies qui désolaient le royaume[37]. Où devait-il les mener ? C’était le secret du Comte et du Dauphin, régent pendant la captivité de son père. Nul homme n’eut à un plus haut degré que don Henri le talent de gagner la confiance de tout ce qui l’approchait. Arrivant en Aragon, proscrit et vaincu, il devint en un moment le favori de Pierre IV et l’instrument de tous ses projets. Il sut tirer de ce prince avare des subsides considérables, et, bien que maltraité par la fortune, il conserva toujours auprès de lui la position d’un souverain indépendant plutôt que celle d’un vassal à sa solde. Obligé de quitter l’Aragon, don Henri parvint, au bout de quelques mois de séjour en France, à s’attacher un grand nombre de capitaines d’aventure. Il n’avait pas eu de peine à rendre le nom de don Pèdre odieux à la cour de France ; mais ce qui était plus difficile, il avait réussi à se représenter lui-même comme son antagoniste le plus redoutable et comme le seul espoir de la Castille. Toutefois un obstacle inconnu, mais dont il n’est pas difficile de deviner la nature, l’empêcha de conduire alors en Espagne ces redoutables bandes qu’il se flattait d’armer contre don Pèdre. En ce moment, ni la France ni l’Aragon ne pouvaient lui fournir de subsides, et, sans argent, il était impossible de se faire suivre par les aventuriers[38]. Il ne put donc amener à Pierre IV que sa suite ordinaire de bannis castillans, et cependant, lorsqu’il reparut en Espagne, son exil semblait l’avoir grandi. Il n’était déjà plus comme autrefois un capitaine d’aventure ; il se présentait comme un souverain prédestiné à une couronne chancelante et qu’il s’apprêtait à saisir. En 1357, il était entré en Castille avec le titre de procurateur du roi d’Aragon, pour lui gagner des villes et des terres, aujourd’hui, il allait conquérir un royaume pour lui-même, et l’Aragonais se faisait son auxiliaire. Les rôles avaient changé : maintenant Pierre IV demandait un salaire à son ancien procurateur. Au commencement de l’année 1363, dès leur première entrevue, qui eut lieu à Monzon, ils s’engagèrent à détrôner don Pèdre à frais communs et à se partager la Castille. Voici leur traité, aussi remarquable par l’importance des stipulations que par l’absence de toutes les formes diplomatiques alors en usage

« Le roi d’Aragon : Nous vous promettons à vous, don Henri, comte de Trastamare, de vous aider à conquérir le royaume de Castille bien et réellement, à condition que vous nous donnerez, et serez tenu de nous livrer en franc et libre alleu, avec investiture royale, la sixième partie de tout ce que vous gagnerez au royaume de Castille, là où nous serons de notre personne, ou représenté par un de nos vassaux. Et tout de même que nous sommes tenu de vous aider à conquérir ledit royaume, ainsi serez-vous tenu vous-même de nous aider à l’encontre de tout homme au monde, et ce, avec ce que vous aurez conquis, et à être l’ami de nos amis et l’ennemi de nos ennemis. Écrit de notre main à Monzon, le dernier jour de mars, l’an 1363. — Et moi, le comte don Henri, je vous promets., sire roi, que j’accomplirai à bon escient tout ce que je dois accomplir à votre égard, selon qu’il est dit par vous ci-dessus. Écrit de ma main, le jour que dessus. — Rex Petrus. — Moi, le Comte[39]. » Ce traité, écrit de la main même des deux princes, était destiné sans doute à demeurer secret jusqu’au jour où il pourrait recevoir son exécution. L’un et l’autre avaient intérêt à en dérober la connaissance au public : don Henri, pour ne pas ruiner son crédit en Castille en révélant les concessions qu’il faisait à un roi étranger ; Pierre IV, pour ne pas paraître rompre d’une manière éclatante avec son frère don Fernand, dont il avait autorisé naguère les prétentions au trône de Castille, et qu’il sacrifiait à un aventurier son ennemi. L’infant s’était opposé de toutes ses forces au rappel du comte de Trastamare ; il avait été soutenu dans le conseil même du roi par un grand nombre de seigneurs aragonais qui voyaient avec jalousie la faveur du bâtard castillan[40] ; mais ses efforts avaient été inutiles, et il ne cachait pas son dépit.

Il fallait beaucoup d’assurance et une hardiesse en quelque sorte prophétique pour songer en ce moment au partage de la Castille. Jamais conquête ne sembla plus loin de se réaliser. Au contraire, l’ascendant de don Pèdre paraissait plus irrésistible que jamais. Pendant que l’hiver suspendait les hostilités, il s’était ménagé un puissant auxiliaire. Il suffisait que la France se montrât favorable au roi d’Aragon pour que l’Angleterre en prît ombrage et fût disposée à soutenir l’ennemi déclaré de ce prince. Vers la fin de l’année 1363, des ambassadeurs castillans s’étaient rendus en Guyenne auprès du prince de Galles, sous prétexte de concerter avec lui des mesures pour repousser l’invasion des compagnies, mais en réalité pour lui proposer une alliance avec leur maître. Elle fut conclue à Bordeaux au commencement de l’année 1363. Par ce traité, le roi de Castille et celui d’Angleterre se garantissaient mutuellement l’intégrité de leurs possessions, et déclaraient, suivant la formule chevaleresque du moyen-âge, qu’ils se faisaient amis et s’unissaient contre tous les hommes du monde[41].

Fort de cette puissante protection, don Pèdre revint à Calatayud et recommença ses ravages dans le bas Aragon aussitôt que le printemps lui permit de reprendre les hostilités. Aucune armée ennemie ne tenant la campagne, la guerre se réduisait à une suite de sièges. Quantité de petites villes et de châteaux tombèrent au pouvoir des Castillans. Tarazona se rendit par capitulation ; Cariñena fut emportée d’assaut. Les chroniqueurs aragonais prétendent que le vainqueur souilla son triomphe par d’horribles cruautés. Suivant leur récit, don Pèdre, irrité de l’héroïque résistance des bourgeois de Cariñena, les aurait tous fait massacrer, réservant les principaux d’entre eux pour les faire périr de sang-froid dans d’épouvantables supplices[42].


IV.

Qu’on me permette d’abandonner pour un instant le récit monotone d’une guerre du moyen-âge, pour appeler l’attention du lecteur sur un monument curieux qui fait connaître quelques traits du caractère de don Pèdre. Je veux parler de son testament fait à Séville pendant l’hiver de 1362, tandis qu’il se préparait à recommencer la guerre où nous le laissons engagé. Cette pièce, qui se conserve encore en original, me paraît digne d’être analysée. Aucun autre document ne révèle mieux les vues et les desseins du prince dont je me suis proposé d’écrire la vie.

Après les formules religieuses consacrées alors pour de tels actes, le roi fixe le lieu de sa sépulture. Son tombeau doit être placé dans la chapelle neuve qu’il fait bâtir, à Séville. A sa droite doit reposer Marie de Padilla, qu’il appelle la reine sa femme ; à sa gauche don Alphonse son fils, qu’il nomme l’infant. Puis il règle l’ordre de la succession au trône. D’abord il y appelle Beatriz, sa fille aînée ; à son défaut, Constance, enfin Isabelle, toutes les trois filles de Marie de Padilla, et qualifiées d’infantes de Castille ; enfin un fils naturel, qui ne doit hériter de la couronne que dans le cas où les trois princesses mourraient sans postérité. Le nom de ce fils et celui de sa mère sont aujourd’hui un problème. Partout où ils sont mentionnés, on observe dans l’acte original les traces d’une altération évidente, des surcharges maladroites. Le parchemin gratté grossièrement, percé en quelques endroits, la couleur de l’encre, des lacunes, une orthographe sensiblement moderne, trahissent l’œuvre d’un faussaire inhabile. Aux noms tracés originairement, on a substitué ceux de don Juan, fils de doña Juana de Castro. Or, l’existence de ce fils est plus que problématique, aucun auteur contemporain n’ayant constaté sa naissance. Il n’est pas douteux que le testament n’ait été altéré assez long-temps après la mort du roi, et, suivant toute apparence, avec l’intention d’embellir quelque généalogie. M. Llaguno, excellent juge en ces matières, a cru reconnaître sous les surcharges que le nom primitivement écrit était celui de don Fernand, fils de doña Maria de Hinestrosa, femme de Garci Laso Carrillo. Cette conjecture est d’autant plus probable, que les amours du roi avec cette dame sont attestés par Ayala, et, en outre, parce qu’il est naturel de supposer à don Pèdre une préférence pour ce fils appartenant à la famille des Padilla.

En appelant à lui succéder en premier lieu l’infante Beatriz, le roi lui commande de se marier à l’infant de Portugal, auquel il l’avait déjà fiancée, et qu’il désigne pour être roi avec elle. Ici paraît, à mon sentiment, cette pensée constante de don Pèdre, l’agrandissement de la Castille, qui, avec le Portugal, ne doit plus former qu’un royaume. A défaut de l’infant de Portugal, doña Beatriz est libre de se choisir un époux ; cependant, sous peine de malédiction et de déshérence, son père lui défend de se marier soit avec don Henri, soit avec don Tello, soit avec don Sanche, dont il rappelle l’ingratitude et les trahisons. Cette défense peut paraître singulière, vu les étroites relations de parenté existant entre doña Beatriz et les trois bâtards frères du roi. Peut-être a-t-elle pour but de déjouer quelque projet conçu à cette époque et tendant à terminer les guerres civiles de la Castille par une union entre les bâtards et la famille royale.

Ayant ainsi déterminé l’ordre de succession, don Pèdre s’occupe du partage de son trésor particulier entre ses enfans. Ses filles sont avantagées, son fils n’a qu’un legs médiocre. Il fait six parts de ses biens meubles, parmi lesquels figurent une grande quantité de pierreries. Beatriz aura trois parts, Constance deux, Isabelle une seule. Le roi désigne minutieusement les perles, les joyaux, les objets précieux qu’il lègue à chacune des infantes, les armes qu’il réserve à son fils. Je ne le suivrai pas dans cette énumération, intéressante pour l’antiquaire, et je passe à des dispositions plus remarquables. Suivant l’usage, le prince ordonne quelques fondations pieuses pour le salut de son ame, et notamment, ce qui lui fait honneur, le rachat de mille captifs chrétiens chez les Maures. Immédiatement après ces dispositions, dictées par un sentiment religieux, on en trouve d’autres dont le motif est bien différent sans doute. Quatre femmes qu’il désigne doivent recevoir, la première 2,000 doubles castillannes, les autres 1,000 doubles seulement, à la condition pour toutes d’entrer en religion. Cette dernière clause, où perce une jalousie despotique qui survit à la mort, ne permet pas de douter qu’il ne s’agisse de maîtresses obscures. En effet, leurs noms ne sont cités dans aucune chronique, et, sans ce testament, ils seraient parfaitement inconnus. Mari Ortiz, sœur de Juan de Sant Juan, semble la préférée, car elle a le legs de 2,000 doubles. Les autres sont Mari Alfon de Fermosilla, Juana Garcia de Sotomayor et Urraca Alfon Carrillo. La forme de ces noms n’indique point une naissance illustre[43], et l’on remarquera qu’aucun n’est précédé du mot doña, qui cependant, à cette époque, s’accordait par courtoisie à des femmes dont les pères ou les maris n’avaient point le privilège du don.

Le roi recommande à sa fille et à ses successeurs de maintenir dans leurs offices tous ses loyaux serviteurs, et, en termes exprès, il nomme Diego de Padilla, son beau-frère, les maîtres de Saint-Jacques et d’Alcantara, le prieur de Saint-Jean Garci Gomez Carrillo[44], Martin Lopez, son chambellan, Martin Yanez, son trésorier, Mateo Fernandez, chancelier du sceau privé, Rui Gonzalez, son grand-écuyer, enfin Zorzo, capitaine des arbalétriers de sa garde, qui avait battu une escadre aragonaise.

La question de la tutelle de ses enfans était assurément la plus grave que le roi eût à résoudre. On aurait dû croire que son choix tomberait sur Diego de Padilla, oncle de ses filles, et plus intéressé qu’aucun autre à la conservation de leurs droits. Cependant c’est le maître de Saint-Jacques, Garci Alvarez, que le roi appelle à ces importantes fonctions, et, à son défaut, Garci Carrillo, prieur de Saint-Jean, bien qu’il fût allié à une famille en hostilité ouverte contre lui. Malgré la faveur constante dont il jouissait auprès de son maître, Diego de Padilla n’avait jamais possédé sa confiance. J’en ai rappelé plusieurs preuves[45].

J’ai cru devoir analyser en détail ce document remarquable, car mon but n’est pas seulement de faire connaître les événemens arrivés sous le règne de don Pèdre, mais encore d’étudier le caractère de ce prince si diversement jugé. Son testament peut être regardé comme l’expression de ses pensées intimes, et, à ce titre, méritait, ce me semble, d’être examiné avec un soin particulier. Le despote s’y révèle à chaque ligne, mais il a sa grandeur.

Don Pèdre ne crut point qu’un testament suffît pour assurer la couronne à l’aînée de ses filles. Il voulut consacrer ses droits par un acte encore plus solennel et demanda aux représentans de la nation, pour l’infante Beatriz, le serment qu’ils avaient prêté, l’année précédente, à son frère don Alphonse. Contre l’usage, il convoqua les cortès en dehors des frontières de la Castille, à Bubierca, ville aragonaise dont il venait de s’emparer. En réunissant l’assemblée au milieu d’un camp, sur une terre conquise par ses armes, peut-être voulait-il montrer que les limites du royaume avaient reculé et qu’il régnait partout où il avait planté sa bannière. Ce ne fut pas la seule innovation que l’on vit dans ces cortès dont les actes sont malheureusement peu connus. L’infante Beatriz avant été solennellement proclamée héritière de la couronne, le roi prévit et régla, comme il l’avait fait dans son testament, les droits éventuels de ses deux autres filles pour le cas où leur aînée mourrait sans postérité. Je ne trouve point qu’il ait été fait mention du fils naturel, appelé dans son testament à succéder aux infantes. Peut-être le roi craignait-il de trop exiger de l’obéissance de ses peuples. Après avoir reçu le serment des cortès, il fit rédiger un procès-verbal de la séance, auquel tous les députés présens apposèrent leur signature, formalité singulière et tout à fait inusitée à cette époque. Puis, comme s’il eût voulu associer toute la nation à sa vengeance, il fit proclamer, au milieu de l’assemblée, la liste des seigneurs bannis du royaume et déclarés coupables de haute trahison[46]. Cette table de proscription était la plus longue qui eût encore paru. Nulle protestation ne se fit entendre ; mais l’arrêt n’en fut pas moins vivement désapprouvé par toute la noblesse. C’en était fait de ce privilège si cher aux riches-hommes de changer à leur gré de patrie et de suzerain. Esclaves maintenant, ils voyaient le glaive toujours levé contre quiconque essaierait de rompre ses chaînes.


XVII.

OPERATIONS MILITAIRES DANS LE ROYAUME DE VALENCE. – MORT DE L’INFANT D’ARAGON. – DEFECTION DU ROI DE NAVARRE. — 1363.=


I.

Les succès obtenus par don Pèdre avaient stimulé le zèle de ses alliés. Gil Carvalho, maître de l’ordre portugais de Saint-Jacques, lui amena trois cents hommes d’armes d’élite. L’infant Louis de Navarre et le captal de Buch rejoignirent ses drapeaux avec un corps nombreux, apportant la nouvelle de quelques conquêtes déjà faites en Aragon par le roi de Navarre[47]. Enfin, le roi de Grenade, Mohamed, envoya à l’armée castillanne un capitaine musulman que les auteurs contemporains traitent de chevalier et qu’ils nomment don Farax, fils de Redouân. C’était contre le royaume de Valence que ce dernier auxiliaire devait opérer avec six cents génétaires grenadins. En demandant au conseil de sa bonne ville de Murcie un accueil hospitalier pour ses alliés musulmans, le roi de Castille l’engageait à réunir ses milices à la cavalerie maure « pour ravager le territoire d’Orihuela, pour y faire guerre cruelle et couper la tête à tous les Aragonais qui tomberaient entre leurs mains. Gardez mes ordres, ajoutait le roi ; ceux qui se rendraient coupables de désobéissance, la paieraient de leur vie. » Depuis quelque temps, cette formule accompagnait tous les mandemens royaux[48].

Malgré le nombre et l’ardeur des troupes castillannes, la forte ligne militaire de l’Èbre, obstacle presque insurmontable pour une armée de cette époque, arrêtait leurs progrès dans le nord de l’Aragon. Don Pèdre avait résolu de tourner ses armes contre le royaume de Valence. Il espérait y trouver un pays plus riche, une résistance moins opiniâtre de la part des habitans ; enfin il se flattait encore peut-être que l’ancienne rivalité entre les Valenciens et les Aragonais rendrait ses conquêtes plus faciles. Avec le gros de ses forces, il marcha résolûment contre la capitale, pendant que les contingens de Murcie et les Maures de Farax attaquaient le midi de la province. Sur sa route, peu de villes osèrent lui résister : Teruel, Castel-Favib, Segorbe, Murviedro furent successivement occupées par ses troupes ; Daroca seule se défendit avec bonheur. Plus l’armée castillanne s’avançait vers le sud, plus elle s’affaiblissait, obligée de laisser des détachemens dans toutes les places qui tombaient en son pouvoir. Les hommes de guerre contemporains ont blâmé don Pèdre d’avoir ainsi disséminé ses forces au lieu de les tenir réunies pour un coup décisif. Le 21 mai 1363, il arriva en vue de Valence. Il en reconnut l’enceinte et désespéra de pouvoir l’enlever d’un coup de main. Dans sa marche précipitée, il n’avait pu se faire suivre par ses machines ; d’ailleurs, il n’était pas prudent d’entreprendre en ce moment le siège d’une place si bien fortifiée, car on annonçait l’approche du roi d’Aragon avec des forces considérables. Pendant huit jours les Castillans escarmouchèrent aux portes de Valence, et cependant la plaine fertile qui l’entoure, et qu’on nomme avec raison son verger (la Huerta), était livrée à d’affreux ravages. Du couvent de la Zaydia, où don Pèdre avait établi son quartier, il voyait brûler les moissons, arracher les vignes, couper les oliviers, incendier les hameaux et les métairies isolées[49]. C’est ainsi qu’on faisait la guerre au moyen-âge. Don Pèdre avait quelque goût pour les arts, et Séville est encore fière des monumens qu’il a bâtis. Il fit enlever d’un château de plaisance, ancienne demeure des rois d’Aragon, plusieurs colonnes antiques de jaspe, et ordonna qu’elles fussent transportées à Séville pour servir à la décoration de l’Alcazar, où il faisait faire de grandes constructions[50].

Déjà la plaine de Valence, si riche et si fertile, était changée en un désert quand le roi la quitta pour se porter au devant de l’armée aragonaise. Elle était forte de trois mille hommes d’armes, commandés par Pierre IV en personne, avant sous ses ordres les bannières du comte de Trastamare, de l’infant don Fernand, de don Tello et de don Sanche. Peut-être alors l’armée castillanne se trouvait-elle inférieure en nombre. Au lieu d’offrir la bataille, don Pèdre fit ses dispositions pour la recevoir et se retrancha dans une forte position au pied des remparts de Murviedro. De son côté, l’Aragonais ne montra pas moins de prudence. Après s’être avancé jusqu’au pont d’Almenara, à deux lieues environ de Murviedro, il fit halte sans vouloir passer le Rio-Canales qui le séparait des avant-postes castillans. De part et d’autre on se défiait, mais chacun était déterminé à ne pas abandonner la position avantageuse qu’il avait choisie. Plusieurs jours se passèrent de la sorte. L’abbé de Fécamp, à qui le cardinal Gui de Boulogne en quittant l’Espagne avait laissé les pouvoirs du saint-siège, profita de l’inaction des deux armées pour parlementer avec leurs chefs. D’abord s’adressant à l’infant Louis de Navarre, comme désintéressé dans la querelle, il obtint qu’il s’abouchât avec le roi d’Aragon ; puis il détermina ce dernier à faire porter à don Pèdre des propositions d’accommodement. Le comte de Denia fut chargé d’un premier message, et bientôt après Bernal de Cabrera eut plusieurs entrevues avec le roi de Castille dans le château de Murviedro. On se rappelle que, l’année précédente, il avait été question de cimenter la paix par le mariage de don Pèdre avec une princesse aragonaise ; ce projet fut repris et discuté plus sérieusement peut-être que la première fois. Les avantages obtenus par les armes castillannes dans les deux dernières campagnes, l’occupation d’un grand nombre de villes du royaume de Valence, obligeaient le roi d’Aragon à consentir à une cession de territoire. Ses envoyés ne cherchèrent qu’à en dissimuler l’humiliation. Maintenant ils proposaient que les villes de Tarazona et de Calatayud, déjà au pouvoir des Castillans, fussent considérées comme la dot de l’infante Jeanne, qui devait épouser don Pèdre. Alicante, Orihuela et quelques châteaux, ainsi qu’une fraction du territoire de Valence contiguë au royaume de Murcie, devaient pareillement être réunis à la Castille. En retour, on demandait que don Pèdre rendît Teruel, Segorbe et ses autres conquêtes récentes dans le royaume de Valence ; et, par une nouvelle fiction diplomatique, cette restitution devait être la dot de l’infante Isabelle, troisième fille de don Pèdre, dont on demandait la main pour le duc de Gerone, fils aîné du roi d’Aragon et son héritier présomptif[51]. Telles furent les propositions soumises à don Pèdre, qui prouvaient bien la détresse de son adversaire, à moins qu’elles ne cachassent quelque arrière-pensée et qu’elles n’eussent d’autre but que de gagner du temps, et d’arrêter ainsi les progrès des Castillans.

Implacable dans ses ressentimens, don Pèdre voulait avant tout se venger de ses anciens ennemis. Il demanda que le roi d’Aragon fît arrêter ou tuer le comte de Trastamare et l’infant don Fernand[52]. Pour avoir leurs têtes, il eût volontiers consenti à rendre une partie du territoire qu’il venait de conquérir. Entre deux hommes tels que don Pèdre et Pierre IV, une pareille clause ne devait pas empêcher la ratification d’un traité. Il est vraisemblable qu’elle fut discutée ; et, s’il faut ajouter créance au chroniqueur Ayala, Bernal de Cabrera se serait engagé, au nom de son maître, à donner la satisfaction demandée[53]. Ainsi, un double meurtre allait sceller la réconciliation des deux souverains, et précéder l’union de leurs enfans. C’était, à vrai dire, la seule condition qui pût obliger don Pèdre à se résigner à un mariage pour lequel il semble avoir toujours montré une vive répugnance. En ce moment surtout, amoureux d’une dame nommée doña Isabel, dont il avait eu un fils, il était beaucoup plus disposé à lui donner une couronne qu’à partager la sienne avec la fille de son ancien ennemi[54]. Déjà il faisait traiter doña Isabel comme une reine. Il voulait que partout où elle passait on lui rendît des honneurs extraordinaires ; il exigeait même que les évêques lui fissent cortége[55]. Cependant les plénipotentiaires aragonais et castillans étaient d’accord sur les clauses patentes du traité. Ils s’étaient entre-donné la main, puis l’avaient baisée, enfin s’étaient embrassés selon l’antique usage d’Espagne[56]. Le roi de Navarre s’était rendu garant des conventions souscrites de part et d’autre, et avait fait occuper par ses troupes plusieurs villes que les deux parties contractantes remettaient entre ses mains comme gages de leur bonne foi[57]. La paix semblait assurée, il ne manquait plus que l’approbation définitive des deux souverains. En ce moment l’un et l’autre s’étaient éloignés de Murviedro ; le roi d’Aragon était à Castellon de la Plana, don Pèdre au château de Mallon dans le royaume de Valence.


II.

Malgré la réconciliation opérée par les soins de Pierre IV entre le comte de Trastamare et l’infant don Fernand, peu après la bataille de Najera, les deux princes se haïssaient mortellement, et la cour d’Aragon était toujours divisée par leurs intrigues. L’importance de don Henri s’était fort augmentée depuis son retour et surtout depuis le traité secret de Monzon. Déjà il affichait assez hautement le rôle de prétendant et de libérateur de la Castille ; il voulait être considéré comme le chef des bannis et le seul compétiteur de don Pèdre. Bien que Pierre IV ne le traitât point encore ouvertement comme un souverain, il favorisait en toute occasion ses visées orgueilleuses et lui montrait une partialité manifeste. Don Fernand avait sur la couronne de Castille des prétentions beaucoup mieux fondées que don Henri, car la légitimité des enfans de Marie de Padilla demeurait toujours suspecte, et leur reconnaissance par les cortès de Séville et de Bubierca n’avait d’autre valeur que celle d’un acte arraché par la crainte. Que si don Pèdre mourait jeune, il y avait grande apparence que la nation n’hésiterait pas entre un enfant incapable de gouverner et un prince belliqueux dont les titres aux yeux de bien des gens étaient les seuls légitimes. Autour de don Fernand se groupaient les plus considérables des riches-hommes émigrés de Castille. Possesseur de vastes domaines en Aragon, disposant d’une petite armée et d’une clientelle nombreuse, l’infant était trop puissant pour ne pas donner ombrage à un prince aussi méfiant et aussi jaloux de son autorité que l’était Pierre IV. Jamais il n’avait vu dans ce frère qu’un rival et qu’un ennemi ; il frémissait en songeant que ce prince, aujourd’hui son vassal, pourrait devenir un jour un souverain plus puissant que lui. Dans le comte de Trastamare, au contraire, il trouvait cette docilité et cette souplesse qui plaît aux despotes. A quelque prix qu’un banni achète la protection dont il a besoin, il la reçoit comme un bienfait. De là cette préférence accordée au comte de Trastamare, et ces engagemens extraordinaires qu’on n’avait pas craint de contracter avec un aventurier.

Lorsque l’agression imprévue des Castillans obligea Pierre IV à chercher partout des soldats, l’infant et plusieurs riches-hommes aragonais s’opposèrent vivement à l’admission de la compagnie d’aventure que don Henri commandait. « Pourquoi chèrement acheter les services d’un étranger, disaient-ils, tandis qu’on récompense si mal les nôtres ? Nos soldats réclament en vain leur solde ; on accorde tout à ceux du bâtard de Castille. » Ces représentations furent vaines ; don Henri reparut en Aragon et le roi défendit à tout autre qu’à lui de recruter en France[58]. Il était évident que cet ordre ne tendait qu’à diminuer les forces et l’importance de don Fernand ; néanmoins, en dépit du roi, un grand nombre d’aventuriers, la plupart émigrés castillans, après avoir passé les monts avec le comte de Trastamare, le quittèrent pour aller se ranger sous la bannière de l’infant d’Aragon qu’ils considéraient comme leur seigneur naturel. Chose remarquable, les premiers à donner l’exemple de cette désertion furent les frères mêmes de don Henri, don Tello et don Sanche. Le roi d’Aragon s’en montra vivement offensé, mais au milieu d’une guerre cruelle, pressé par un ennemi tel que don Pèdre, la prudence l’obligeait à dissimuler son ressentiment. Il ne le laissait percer que par une suite d’humiliations et de tracasseries systématiques dont il abreuvait son frère, tandis qu’il affectait des égards toujours plus flatteurs pour don Henri[59].

Furieux de voir les bandes du bâtard toujours bien payées, tandis que les siennes manquaient du nécessaire, l’infant ne ménagea ni les plaintes ni même les menaces. A Saragosse, lassé de réclamer inutilement la solde due à ses troupes, il entra de vive force dans la maison d’un trésorier du roi, fit briser ses coffres à coups de hache, et en distribua le contenu à ses gens[60]. Ce coup hardi avait lieu au moment même où don Pèdre menaçait Valence, et la ville risquait d’être prise, si les renforts que l’infant amenait n’eussent mis l’armée aragonaise en mesure de se présenter pour en faire lever le siège. Sans doute l’action s’excusait par le péril pressant, par la nécessité de satisfaire les soldats et de les retenir sous le drapeau, lorsqu’on avait tant besoin de leurs services ; mais Pierre IV oublia qu’il devait peut-être à cette violence la conservation de la seconde ville de son royaume. A ses yeux, c’était un acte de brigandage, bien plus, un acte d’autorité, et il ne le pardonna pas. L’inimitié flagrante entre les deux frères était habilement entretenue par le comte de Trastamare, et chaque jour il s’efforçait de l’envenimer davantage. Résolu de pousser à bout l’infant, dont il connaissait le caractère violent et impétueux, il conseillait au roi toutes les mesures qui pouvaient porter l’irritation à son comble et amener enfin une explosion terrible. Pour l’exécution de ce complot il trouva un auxiliaire puissant dans un de ses propres ennemis, Bernal de Cabrera, et, sans se concerter, tous les deux travaillèrent avec une égale ardeur à la perte de don Fernand[61]. Cabrera haïssait également l’infant et le comte de Trastamare, non-seulement comme les deux hommes qui lui disputaient son autorité, autrefois toute-puissante en Aragon, mais encore comme les adversaires déclarés de sa politique. Il avait toujours conseillé à son maître de faire la paix avec la Castille, et de ne pas exposer son royaume aux plus grands malheurs pour les intérêts d’étrangers turbulens. On l’accusa d’avoir été gagné par don Pèdre, mais cette imputation, que rien n’autorise, n’est pas nécessaire pour expliquer sa conduite. Représentant du parti aragonais à la cour de Pierre IV, il était nécessairement l’ennemi déclaré du parti des Castillans émigrés.

Dès que les préliminaires du traité conclu à Murviedro furent connus, l’infant, qui venait de s’opposer de tous ses efforts à un accommodement avec le roi de Castille, annonça hautement que, ses services devenant inutiles à son pays, il allait le quitter et passer en France, pour offrir son épée au régent, assuré qu’il traiterait suivant leurs mérites les braves gens qu’il avait sous ses ordres. Sa troupe, ou, comme on disait alors, sa compagnie, était d’environ mille lances, composée d’émigrés castillans et de ses vassaux aragonais, tous vieux soldats dévoués à sa fortune. À cette déclaration, Pierre IV témoigna la plus grande surprise, et fit dire à son frère qu’il le conjurait de rester à son service, promettant de lui donner toute satisfaction à l’avenir. En ce moment, l’armée aragonaise était divisée en deux camps fort rapprochés l’un de l’autre, mais qui s’observaient avec toutes les précautions que l’on prend en présence de l’ennemi. D’un côté, l’infant occupait Almanzora avec ses hommes d’armes ; de l’autre, le roi s’était logé à Castellon de la Plana avec les troupes de sa maison et la compagnie du comte de Trastamare. Après d’assez longs pourparlers, don Fernand parut se rendre aux représentations des envoyés du roi et aux prières qui lui étaient adressées par un grand nombre de riches-hommes aragonais dont il connaissait l’affection pour sa personne. Il consentit à demeurer en Aragon, et accepta l’entrevue qu’on lui proposait à Castellon, pour entendre, de la bouche même de son frère, la confirmation du traité qui l’attacherait pour toujours à son service. Pierre IV le reçut à bras ouverts, et le retint à dîner avec quelques seigneurs aragonais et castillans. On était au 10 juillet, temps des plus fortes chaleurs. Après le repas, l’infant se retira dans une salle basse pour y faire la sieste, selon l’usage espagnol. Rarement alors un grand seigneur se séparait de ses familiers, espèce de garde commandée par la prudence autant que par le faste féodal. Don Fernand faisait la sieste avec quatre de ses chevaliers, deux Castillans et deux Aragonais. L’un des premiers était Diego Perez Sarmiento, autrefois fort avant dans la faveur de don Pèdre, et qu’on a vu passer en Aragon peu après la bataille d’Araviana. Tout à coup un alguazil de cour se présente à la porte de la salle, réveille l’infant et lui déclare, au nom du roi, qu’il est son prisonnier. « Prisonnier ! s’écrie don Fernand sautant à bas du lit de repos ; qui ose arrêter les gens de ma sorte ? » Et il tire son épée. « Plutôt mourir les armes à la main que se rendre ! » s’écrie à son tour Perez Sarmiento. L’alguazil s’enfuit. Aussitôt ils se barricadent avec des meubles et se disposent à vendre chèrement leur vie. A peine le premier cri d’alarme avait-il retenti dans le logis du roi, que le comte de Trastamare paraissait à la tête d’une troupe nombreuse et armée de toutes pièces, précaution qui indiquait assez que la cause du tumulte lui était connue d’avance. Tandis que les uns s’efforcent de briser à coups de hache les portes de la salle basse, d’autres percent le plafond pour tirer par les ouvertures sur les cinq victimes dévouées. Dans cette extrémité, l’infant, n’écoutant que son courage, ouvre lui-même la porte, et, l’épée au poing, se précipite sur les assaillans, suivi des deux bannis de Castille. Soit lâcheté, soit trahison, les deux chevaliers aragonais sautèrent par la fenêtre et parvinrent à se sauver. En apercevant don Henri, l’infant s’élance sur lui comme un furieux, et, du premier coup, abat mort à ses pieds un écuyer du Comte qui s’était jeté devant son maître. Sans autres armes que leurs épées, ces trois hommes, exaltés par le désespoir, firent un instant reculer la foule de leurs adversaires ; mais que pouvait le courage contre une troupe nombreuse et couverte de fer ? L’infant, blessé d’abord par Pero Carrillo, majordome du comte de Trastamare, tomba le premier percé de coups. Sarmiento et son compagnon se firent tuer sur son corps[62].

A la nouvelle de ce meurtre, portée en un instant au camp d’Almanzora, don Tello, et don Sanche, persuadés que le roi d’Aragon leur réservait le même sort, crient aux armes, déploient la bannière de l’infant et se mettent en bataille, avec toute sa compagnie, à l’entrée du bourg. Ils virent bientôt arriver don Henri avec ses Castillans, renforcés de plusieurs bandes aragonaises. De part et d’autre on poussa le cri de guerre ; on baissait les lances et l’on allait se charger, quand un héraut, revêtu de son tabard aux armes d’Aragon, s’avança entre les deux troupes et cria, au nom du roi, que les bannis n’avaient rien à craindre, s’ils demeuraient dans le devoir, et que le roi ne les croyait pas complices de la trahison dont leur chef venait de porter la peine. En même temps le Comte, ôtant son armet, appela les principaux cavaliers de la compagnie de l’infant, et les conjura de ne pas s’exposer à une perte certaine en refusant d’obéir aux ordres du roi d’Aragon. Désormais que don Fernand était mort, ses soldats n’avaient plus qu’à opter entre deux partis : quitter l’Espagne, ou servir fidèlement le prince qui les avait accueillis dans ses états. Il se hâta d’ajouter qu’ils pouvaient librement déclarer leur choix ; mais, promesses, flatteries, il n’oublia rien pour séduire ces hommes déjà découragés. Habitués à la vie d’aventure, la plupart n’avaient d’autre moyen d’existence que leur lance et leur cheval. Don Henri faisait briller à leurs yeux l’or du roi d’Aragon, et les assurait qu’à l’avenir leur solde serait exactement payée. Presque tous consentirent à s’enrôler dans sa compagnie. Après l’infant, le comte de Trastamare tenait le premier rang parmi les émigrés de Castille, et il devait hériter naturellement d’une armée dont il venait de faire égorger le chef. Don Tello et don Sanche, se voyant abandonnés, se soumirent comme les autres, et don Henri incorpora sans opposition les bannis d’Almanzora dans ses propres troupes[63]. Quelques seigneurs aragonais, moins confians que les émigrés dans les promesses d’amnistie de leur maître, quittèrent sa cour avec précipitation. Le vicomte de Cardona s’enfuit de Castellon avec tous ses vassaux, et ne se crut en sûreté que lorsqu’il se trouva dans son manoir féodal[64].


III.

La mort de don Fernand semblait devoir rendre plus facile la ratification de la paix. Il avait été convenu entre les plénipotentiaires castillans et aragonais. et le roi de Navarre, qui avait accepté le rôle d’arbitre, que l’exécution de la principale clause patente du traité, c’est-à-dire la remise des places cédées réciproquement, aurait lieu le 20 août. Le 4 du même mois, on se réunit à Tudela en Navarre pour régler les dernières formalités. Là les Castillans, élevant des difficultés nouvelles, prétendirent ajourner la remise des places qui devaient être rendues au roi d’Aragon. On commença à craindre qu’ils n’eussent des instructions secrètes pour rompre le traité. L’armée castillanne, loin de se disperser, recevait chaque jour des renforts ; sur toute la frontière de Castille, on ne voyait que préparatifs de guerre ; enfin à Séville, où s’était rendu don Pèdre pendant les conférences de Tudela, on équipait avec activité une flotte formidable, à laquelle devaient se rallier dix galères envoyées par le roi de Portugal. Tout annonçait que don Pèdre réunissait ses forces pour une nouvelle campagne. Dans la triste situation de ses affaires, le roi d’Aragon ne pouvait se flatter qu’elle lui serait plus heureuse que les précédentes, à moins qu’il ne parvînt à diviser ses ennemis.

On sait que le roi de Navarre n’avait pris part à la guerre que contraint par une espèce de surprise. Il avait autant que l’Aragonais à redouter l’ambition de don Pèdre, et son intérêt manifeste était de s’opposer à l’agrandissement d’un si dangereux voisin. Mélange de timidité, d’avarice et de perfidie, le caractère du roi de Navarre se résume dans le surnom de Charles-le-Mauvais que lui donnèrent ses contemporains et que la postérité a confirmé. Un petit prince n’existait alors qu’à force de ruse et de duplicité. Il méritait ainsi le renom de politique. Il s’agissait pour le roi d’Aragon d’acheter son alliance, ou tout au moins sa neutralité. Ici commence une suite d’intrigues obscures, dans lesquelles Pierre IV, Charles et le comte de Trastamare luttent de fourberie, de défiance et de mauvaise foi. Une entrevue secrète fut proposée par Pierre IV au roi de Navarre, à l’instigation de don Henri, suivant Zurita, qui paraît avoir consulté sur ces négociations des documens perdus aujourd’hui[65]. Si don Henri donna le conseil, l’Aragonais ne se préoccupa d’abord que de ses propres intérêts. Les deux rois se virent le 25 août avec beaucoup de mystère dans le château de Uncastillo sur la limite de leurs états. Charles, combattu entre la cupidité et la crainte que lui inspirait la puissance de don Pèdre, après de longues hésitations, finit par promettre une alliance secrète, à condition qu’elle lui fût chèrement payée. Je rapporte d’après le consciencieux annaliste d’Aragon, qui malheureusement a négligé de faire connaître ses autorités, les principales conditions du pacte conclu entre les deux fourbes couronnés. D’abord une somme d’argent considérable, qui devait être comptée au Navarrais dans un délai de quatre mois ; plusieurs places importantes, remises entre ses mains, répondaient du paiement ; car quelle confiance pouvait-on avoir dans une promesse ; quand on n’avait pas de gages pour la garantir ? Le roi d’Aragon s’engageait encore à lui donner des subsides pour solder ses troupes, même dans le cas où elles n’agiraient pas immédiatement contre la Castille. Enfin on stipula que si Charles, par quelque moyen que ce fût, parvenait à faire périr don Pèdre ou à le livrer au roi d’Aragon, ce dernier paierait la tête de son ennemi par un don de 200,000 florins, et la cession de la ville et du territoire de Jaca[66].

On a déjà vu que dans toutes les transactions diplomatiques on cherchait à resserrer les ligues politiques par des mariages. Pierre IV demanda la main d’une sœur du roi de Navarre pour son fils, le duc de Gerone, naguère fiancé à la fille de don Pèdre par le traité de Murviedro. En cas d’agression des Français, l’Aragon devait prendre parti pour la Navarre et défendre ses possessions en-deçà et au-delà des monts. En résumé, Charles obtenait du roi d’Aragon les avantages qu’il avait trouvés dans son alliance avec la Castille, et de plus des subsides, qui, à ses yeux, avaient beaucoup plus de prix qu’une protection incertaine. À ces conditions, il s’engageait à se déclarer contre don Pèdre, toutefois en conservant la faculté de choisir le moment qu’il jugerait le plus favorable, en d’autres termes, celui où il croirait n’avoir aucun danger à courir[67].

Je ne dois point oublier les précautions minutieuses et fort étranges, concertées entre les deux rois pour assurer l’accomplissement exact de toutes ces conventions. Elles montrent le point de raffinement où était arrivée la politique au XIVe siècle. On pense bien que des hommes qui connaissaient leurs nombreux parjures ne se fiaient point à des sermens prononcés devant les autels. Il leur fallait des gages réels et solides contre leur mauvaise foi. On stipula d’abord que les places offertes par Pierre IV en garantie des subsides promis seraient remises à un chevalier aragonais, nommé Pierre Alaman, et désigné par le roi de Navarre, et que ce chevalier commencerait par se dénaturer, c’est-à-dire se reconnaîtrait le vassal de Charles et lui prêterait serment. Ce changement de nationalité avait pour but d’exonérer le gouverneur dépositaire d’une place de l’obéissance due à son seigneur naturel. Le Navarrais demanda encore que Bernal de Cabrera, dont il se défiait, souscrivit le traité et se rendit garant de sa loyale exécution, enfin qu’à cet effet ; il se fit son homme-lige et vînt résider dans ses états. À ce soin de multiplier leurs cautions, les deux rois montraient le peu de confiance qu’ils avaient en leurs propres sermens ; ils avouaient que la parole de leurs chevaliers valait mieux que la leur. Un point important et difficile, c’était de cacher toutes ces transactions à don Pèdre, même pour peu de temps ; surtout la remise des places et l’échange des otages pouvaient les trahir. Pierre IV consentait bien à livrer son ministre, mais il demandait en retour l’infant Louis de Navarre. On convint que le prince se laisserait surprendre et serait fait prisonnier par don Henri, qui le garderait pour le compte de l’Aragonais[68].

Les deux rois étaient d’accord, mais, quand il fallut faire part de ces conventions à Bernal de Cabrera, on rencontra l’opposition la plus opiniâtre. Le rusé ministre n’eut pas de peine à deviner l’influence du comte de Trastamare dans toutes ces intrigues. Il comprit que le bâtard ne voulait l’éloigner de la cour d’Aragon que pour y dominer seul et peut-être pour le perdre lui-même. Long-temps il refusa de changer de nationalité. Vaincu par les instances et les promesses de Pierre IV, il céda enfin, quoiqu’à regret, et prêta le serment d’hommage au roi de Navarre, mais avec cette restriction qu’on ne pourrait exiger de lui rien de contraire au service du roi d’Aragon ou du duc de Gerone son fils. Quant à confier sa personne au Navarrais, son nouveau suzerain, il était trop prudent pour y consentir, et trouva sans cesse quelque prétexte pour demeurer en Aragon.

Le traité de Uncastillo fut signé par les deux rois et par un certain nombre de riches-hommes, enfin par le comte de Trastamare ; mais quelques articles demeurèrent secrets pour ce dernier. Dépouillé d’une partie de ses états, Pierre IV n’abandonnait pas l’espoir de faire des conquêtes en Castille, et déjà les partageait avec son nouvel allié. Il avait stipulé, conjointement avec Charles, que, s’ils parvenaient à chasser don Pèdre de ses états, les royaumes de Murcie et de Tolède seraient réunis à l’Aragon, et que Charles aurait, pour sa part des dépouilles, la Castille vieille et l’Alava, provinces qui, à une époque fort reculée, avaient fait partie de la couronne de Navarre. Tous deux se garantirent cette augmentation de territoire contre don Henri, pour le cas où il tenterait d’y mettre obstacle[69]. C’était la troisième fois que Pierre IV partageait la Castille en imagination, d’abord avec don Fernand, puis avec don Henri, maintenant avec le roi de Navarre, et toujours sans y posséder un pouce de terrain. Cette présomption est singulière dans un prince si prudent, que son ardente ambition n’aveuglait pas au point de poursuivre une chimère. N’est-ce point une preuve, au contraire, de sa clairvoyance et de son jugement ? Tandis que don Pèdre semait au loin la terreur, une vaste tempête se formait derrière lui. Ce n’était plus une faible partie de sa noblesse qui voulait reconquérir ses privilèges, c’était toute la nation castillanne qui, fatiguée du despotisme, tendait les bras à un libérateur. Pierre IV connaissait bien la situation de son ennemi et ne désespérait pas.

Peu après, l’infant Louis de Navarre, chevauchant mal accompagné sur la frontière d’Aragon, tomba dans une embuscade et fut emmené prisonnier par le comte de Denia, chevalier aragonais, fils de l’infant En Père et frère d’armes du comte de Trastamare. En apprenant ce coup, les capitaines castillans crient à la trahison et courent aux armes. Ils demandent qu’on leur livre le château de Castel Favib, qui, conformément aux conventions de Murviedro, avait été remis en dépôt à un gouverneur navarrais, qui l’occupait au nom de son maître, arbitre et garant du traité. Soit que les Castillans ne fussent pas dupes de la feinte surprise de l’infant don Louis, soit qu’habitués par leur maître à ne rien ménager, ils soupçonnassent le gouverneur d’intelligence avec l’Aragonais, parce qu’il refusait de leur ouvrir ses portes, le château est investi, et, après une vigoureuse résistance, la garnison navarraise et les Aragonais qui la soutenaient sont passés au fil de l’épée[70].

De toutes parts les hostilités recommencent. Don Pèdre, quittant Séville au premier bruit de guerre, accourt sur la frontière de Murcie, et, trouvant déjà ses troupes réunies, il se jette dans le royaume de Valence ; en quelques jours il emporte Elche, Alicante et plusieurs autres places qui avaient fait autrefois partie de l’apanage de l’infant don Fernand. Il éclatait en plaintes contre la mauvaise foi de ses ennemis, et jurait d’en tirer une vengeance exemplaire. Les apparences étaient en sa faveur, et cette fois il semblait repousser une provocation déloyale. Soit qu’il ne connût pas encore les nouveaux engagemens du roi de Navarre, soit qu’il méprisât trop ce prince pour le craindre, il tourna ses efforts vers le sud, et il annonçait le dessein de marcher sur Valence dès que sa flotte serait en état de faire une diversion puissante sur la côte[71].

Cette brusque invasion, les progrès irrésistibles des Castillans, en augmentant les alarmes du roi d’Aragon, servaient puissamment les projets ambitieux de don Henri. Plus le péril était pressant, plus il sentait grandir son rôle. Général d’une armée déjà nombreuse, reconnu par les émigrés comme prétendant à la couronne de Castille, il exigeait maintenant que le roi d’Aragon l’avouât hautement comme tel. Il paraît qu’un certain découragement régnait alors parmi les bannis castillans. Soit défiance dans le succès, soit regret de la mort de l’infant, leur ancien chef, beaucoup d’entre eux parlaient de passer en France, d’y prendre du service et de mener la vie d’aventure dans un pays où tant d’étrangers avaient trouvé la fortune. Don Henri entretenait ces dispositions, et se vantait assez publiquement de la faveur dont il jouissait auprès de la cour de France et des offres magnifiques qu’il en avait reçues. Annoncer le désir ou l’intention de repasser les Pyrénées, était un sûr moyen de faire payer plus chèrement ses services au roi d’Aragon, qui voyait l’ennemi au cœur de son royaume.

Le 10 octobre 1363, un nouveau traité fut signé à Benifar, entre le roi d’Aragon et don Henri, pour confirmer et pour expliquer les courtes conventions de Monzon. Il s’agissait de déterminer exactement quelle était cette sixième partie de la Castille qui devait être cédée par le prétendant. Don Henri s’obligea de livrer à Pierre IV le royaume de Murcie et dix villes importantes des deux Castilles[72], à titre d’indemnités pour les dépenses considérables qu’allait entraîner la conquête. De son côté, le roi promit de conduire lui-même une armée aragonaise pour appuyer l’invasion. Informé que don Henri traitait secrètement avec le roi de Navarre, car chacun des trois alliés avait ses intrigues particulières, il craignit que Charles n’enchérît sur son marché. Il stipula que, quelle que fût la part de ce dernier dans la conquête de la Castille, la part de l’Aragon serait trois fois plus considérable. Il est à remarquer que ce traité si important ne fut signé, contre l’usage, que par deux témoins seulement, simples chevaliers et huissiers d’armes du roi d’Aragon[73]. On se rappelle que le traité de Monzon avait été écrit de la main même des deux princes. Cette fois encore on tenait à s’envelopper d’un profond mystère. Ces conventions furent acceptées sans difficulté par le comte de Trastamare, mais il se montra exigeant pour les garanties qui devaient en assurer l’exécution. Il demanda des otages, et, dans une affaire aussi grave, il ne lui fallait pas des otages ordinaires. D’abord il voulut qu’un fils du roi, l’infant don Alonso, fût remis à un tiers qu’il devait nommer, pour être retenu dans un château fort. Puis il désigna encore les fils des principaux conseillers de Pierre IV, car les enfans, comme plus faciles à garder que les hommes, étaient préférés par les négociateurs prudens. Il eut soin de demander le petit-fils de Cabrera, son ennemi, afin d’avoir une garantie contre la mauvaise foi de ce ministre, qu’il soupçonnait, non sans raison, de vouloir acheter à ses dépens la paix avec la Castille. Le roi d’Aragon promit son propre fils, et obtint le consentement et la signature de ses conseillers, et celle de Cabrera lui-même, suivant toute apparence, sans leur communiquer les clauses du traité que leurs enfans devaient garantir[74]. Ce n’était encore rien que d’avoir des promesses et des promesses signées, il fallait que les otages fussent remis réellement, et les conseillers du roi, Cabrera surtout, témoignaient tant de répugnance à s’en séparer, qu’il était assez évident que leur adhésion avait été surprise ou contrainte[75]

. En attendant, don Henri, tranquille spectateur des progrès de don Pèdre, ne s’occupait que de faire subsister sa compagnie et de lui procurer des quartiers commodes. Il savait que le moment était proche où il faudrait se soumettre à toutes ses exigences.


IV

Le roi de Navarre, d’un autre côté, ne montrait pas plus d’empressement à servir son nouvel allié, qui, dans l’épuisement de ses finances ; ne pouvait lui fournir les subsides promis. Seulement, en sa qualité d’arbitre élu pour l’exécution du traité de Murviedro, il prononça contre don Pèdre et s’autorisa de sa décision, non pour lui faire la guerre, mais pour observer la neutralité. C’était déjà beaucoup, mais Pierre IV voulait obtenir davantage. Il fit demander à Charles une seconde entrevue, et il fut convenu que don Henri s’y trouverait, car il avait assez de soldats maintenant pour qu’on traitât avec lui de puissance à puissance. Rien ne peint mieux les mœurs atroces du XIVe siècle que les contrats sans cesse renouvelés, les sermons prodigués sans pudeur, et surtout la défiance que se témoignaient en toute occasion ces princes, qui venaient de se jurer, la main sur les Évangiles, une amitié éternelle. Le château de Sos, sur la frontière de Navarre, fut choisi pour la conférence. Avant de s’y rendre, don Henri voulut que le commandement de la place fût remis à un seigneur aragonais qu’il désigna ; il fixa le nombre d’hommes qui composeraient la garnison et celui que chaque roi amènerait à sa suite. Lorsqu’il entra lui-même à Sos, il laissa devant les fossés huit cents hommes d’armes de sa compagnie. Là, on débattit de nouveau les conditions d’une alliance entre les deux rois, puis celles d’un traité particulier de ceux-ci avec le comte de Trastamare. A défaut d’argent, Pierre IV promit de livrer au Navarrais plusieurs villes de son royaume comme nantissement des subsides dont la pénurie de son trésor l’obligeait à demander l’ajournement. Puis les trois confédérés procédèrent au partage de la Castille, en modifiant le traité de Benifar et en faisant à Charles des avantages considérables. Il devait avoir la Castille vieille et la Biscaïe, et quelques villes de la Castille neuve, entre autres Soria et Agreda, naguère cédées au roi d’Aragon. Quant à ce dernier, sa part se composait des royaumes de Murcie et de Tolède. Don Henri donna en otages sa fille, doña Léonor, son fils naturel, nommé don Alonso Enriquez, et les enfans de plusieurs émigrés. Le roi de Navarre livra l’infant don Martin, son fils, et plusieurs jeunes enfans des premières familles de son royaume. Le comte de Trastamare exigea en outre que tous les seigneurs navarrais prêtassent serment sur l’eucharistie de l’accompagner dans son expédition en Castille et de le servir fidèlement, à peine d’être déclarés infames et traîtres[76].

Malgré tant de sermens, tant de minutieuses précautions, le traité de Sos eut le sort de tant de conventions qui l’avaient précédé. Le roi d’Aragon ne fournit point de subsides et le roi de Navarre continua d’observer la neutralité. Quant à don Henri, seul il gagnait à ces négociations, où il était traité en souverain. Les concessions qu’on lui demandait lui coûtaient peu, car il donnait ce qu’il ne possédait pas encore. En retour, il obtenait du roi d’Aragon le sacrifice du seul homme qui pût encore déjouer ses projets ambitieux. La perte de Bernal de Cabrera fut résolue à Sos et bientôt après accomplie.

Le refus plus ou moins adroitement dissimulé de livrer son petit-fils en otage n’était pas la première marque qu’il eût donnée de son opposition à l’agrandissement du comte de Trastamare. Il n’avait jamais cessé de conseiller au roi de lui retirer sa protection et de faire une paix sincère avec la Castille. Même en ce moment, Cabrera la croyait encore possible. D’ordinaire les despotes voient avec plaisir les rivalités de leurs vassaux : la jalousie et la haine de leurs courtisans leur font quelquefois connaître la vérité. Tout en suivant les conseils de don Henri, Pierre IV eût peut-être continué à ménager Cabrera, si la haine du bâtard n’eût été puissamment secondée par le roi de Navarre, par la reine d’Aragon et par une grande partie des sujets de Pierre IV. Les Catalans surtout, irrités de longue main par l’administration partiale et tyrannique de Cabrera, refusèrent au roi de lui accorder des subsides, s’il ne faisait justice d’un ministre abhorré[77]. Seul contre tous, n’ayant d’autre appui qu’un maître ingrat et sans cœur, Cabrera, sentant son crédit s’affaiblir de jour en jour, avait à plusieurs reprises témoigné le désir d’abandonner le timon des affaires. Il annonçait l’intention de résigner tous ses emplois et de finir sa vie dans la retraite. Peut-être n’était-il pas sincère, en offrant ainsi de laisser le champ libre à ses ennemis. À cette époque, il était rare qu’une pareille renonciation ne fût le prélude d’une révolte ouverte, et les rois du XIVe siècle avaient accoutumé de n’éloigner un ministre de leurs conseils que pour l’envoyer à l’échafaud. Pierre IV refusa d’accepter la résignation de Cabrera. A plusieurs reprises, il l’assura de la continuation de ses bonnes graces, A force de promesses et de flatteries, il parvint à tromper sa défiance et à l’attirer dans le château d’Almudover, où il s’était rendu avec don Henri et le roi de Navarre peu de temps après les conférences de Sos. Il est étrange que le vieux politique qui venait de faire tomber l’infant don Fernand dans un piège semblable ne reconnût le péril que lorsqu’il se trouvait déjà entre les mains de ses ennemis. A peine était-il arrivé au château d’Almudover, que le roi de Navarre et don Henri vinrent demander compte au roi d’Aragon d’un bruit répandu, disaient-ils, dans toute l’armée : on venait de les avertir que tous les deux allaient être assassinés par son ordre[78]. En ce temps, pareille rumeur n’avait rien de bien improbable, et c’est Pierre IV lui-même qui nous fait connaître cette accusation, concertée, suivant toute apparence, entre les ennemis de Cabrera. Le roi se justifia et voulut rechercher les auteurs de cette calomnie. Aussitôt chacun lui nomma son ministre. Celui-ci, prévenu du complot, avait déjà pris la fuite. Il n’en fallut pas davantage pour qu’on le déclarât coupable des crimes les moins avérés et les plus absurdes[79]. Poursuivi chaudement et bientôt arrêté, il fut remis à son nouveau suzerain, le roi de Navarre, qui, après l’avoir gardé quelque temps dans un cachot, honteux peut-être du role de bourreau, le livra à Pierre IV, son seigneur naturel. Après un jugement dérisoire, Bernal de Cabrera eut la tête tranchée[80]. Son fils, le comte d’Osuna, prisonnier en Castille depuis le siège de Calatayud, obtint de don Pèdre la faveur d’être mis à rançon. Bientôt après il prit du service en Castille, et, s’étant dénaturé, accepta le commandement d’une des galères envoyées en croisière sur les côtes d’Aragon[81].

Le comte de Trastamare trouvait des rois pour tuer ses ennemis politiques ; il se chargeait de venger lui-même ses injures particulières. Parmi les seigneurs castillans attachés à sa fortune, Pero Carrillo tenait le premier rang dans sa petite cour. Il était son majordome. Depuis sa fuite de Séville, en 1350, il ne l’avait jamais abandonné. C’était à lui que la comtesse de Trastamare devait sa délivrance ; c’était lui qui avait porté le premier coup à l’infant d’Aragon. Jamais sa fidélité ne s’était démentie au milieu des intrigues et des dissensions continuelles qui partageaient les émigrés en factions ennemies. On cherchait une cause à un attachement si rare à cette époque, et on l’attribuait tout bas à l’amour que doña Juana, sœur de don Henri, avait inspiré à Pero Carrillo. J’ai raconté comment cette dame, mariée d’abord à don Fernand de Castro, l’avait quitté au bout de fort peu de temps pour aller vivre en Aragon auprès de son frère. Son mariage avait été cassé pour cause de parenté, et don Fernand avait voué une haine mortelle à don Henri, l’accusant d’avoir pris ce prétexte pour rompre une union qu’il avait d’abord favorisée. En Aragon, doña Juana distingua Carrillo et parut agréer ses hommages. L’orgueil du bâtard s’indigna qu’un simple chevalier oubliât le respect dû au sang des rois. C’est un proverbe espagnol, « qu’à secrète injure il faut secrète vengeance. » Au milieu d’une partie de chasse, don Henri, ayant attiré Carrillo dans un lieu écarté, le tua d’un coup de javeline. Dans les mœurs du temps, cet assassinat pouvait passer pour un acte honorable. Un frère était le maître de sa sœur et le gardien jaloux de son honneur. Aussi Ayala, soigneux d’ordinaire d’excuser les crimes du prince auquel il dut sa fortune, rapporte-t-il ce meurtre sans commentaire, le tenant, sans doute, pour justifié suivant les lois de la chevalerie[82].


XVIII.

GUERRE DANS LE ROYAUME DE VALENCE. — 1364-1365.


I.

Tandis que le roi d’Aragon et le comte de Trastamare luttaient d’astuce et de perfidie, tandis qu’ils assassinaient leurs plus fidèles serviteurs, don Pèdre ravageait impunément le royaume de Valence et venait mettre le siège devant la capitale. Maître de la plupart des villes aux environs, il établit son quartier au Grao, petit port à une demi-lieue de Valence, afin de couper les communications des assiégés avec la mer et d’assurer les siennes avec sa flotte, attendue de moment en moment. Valence avait une garnison nombreuse, un gouverneur fidèle et courageux ; mais elle était mal approvisionnée, car l’invasion des Castillans avait détruit la récolte l’année précédente et fait refluer dans la ville presque toute la population des campagnes. Après quelques jours de blocus, le pain manqua. Les habitans n’avaient plus que du riz pour se nourrir, et encore en petite quantité. Si les secours demandés au roi d’Aragon avec instance et à plusieurs reprises tardaient quelques semaines, Valence était perdue. Don Pèdre, qui n’ignorait pas la détresse des assiégés, se bornait à fermer le passage à tous les convois, et, renfermé dans son camp, attendait avec patience que la famine combattît pour lui. Ses quartiers étaient fortifiés avec soin ; nul ennemi ne tenait la campagne, et il n’avait à repousser que des sorties qui ne pouvaient avoir de résultat. S’endormant au milieu de cette sécurité trompeuse, il ne soupçonnait pas même qu’il y eût une armée aragonaise sur la rive droite de l’Èbre.

Après beaucoup de temps perdu dans ses négociations avec le roi de Navarre, Pierre IV, songeant enfin à la situation alarmante de Valence, avait obtenu, à force de prières, que don Henri réunît ses troupes à l’armée aragonaise. Alors, se croyant en état d’offrir la bataille, il s’avança vers Valence à marches forcées, tandis que sa flotte, chargée de munitions de toute espèce, suivait ses mouvemens en longeant la côte. Instruit de la position des Castillans, il espérait tomber à l’improviste sur leurs quartiers et obtenir une victoire facile en les surprenant dispersés. Son armée, composée d’environ trois mille hommes d’armes[83] et de sept à huit mille fantassins, s’avançait rapidement, côtoyant le rivage hors des routes frayées, et bien qu’éloigné encore de l’ennemi, le roi avait donné l’ordre, pour mieux dérober son approche, qu’on n’allumât point de feux pendant la nuit. Probablement don Pèdre serait demeuré jusqu’au dernier moment dans la sécurité la plus complète, si un avis envoyé par un traître ne lui eût révélé l’imminence du danger. Don Tello n’avait jamais cessé d’entretenir des relations secrètes avec lui, soit que, incertain du succès, il voulût se ménager à tout événement les moyens de rentrer en grace, soit que, jaloux de don Henri, il sacrifiât ses propres intérêts à la haine qu’il portait à ce frère dont l’autorité lui était insupportable. On sait que, lors de son expédition en Castille, il avait déjà médité une défection, découverte et déjouée par la vigilance du comte de Trastamare. Cette fois, par une nouvelle trahison, il envoya un de ses écuyers à don Pèdre pour l’avertir de l’approche et des projets de l’armée aragonaise[84]. De grandes fumées sur les tours de Murviedro, signal d’alarme donné par les avant-postes castillans, confirmèrent bientôt le rapport de l’écuyer, en même temps que d’autres feux allumés sur les montagnes annonçaient aux habitans de Valence l’arrivée de leurs libérateurs[85]. Don Pèdre ne perdit pas un moment. A la tombée de la nuit, il rassembla toutes ses troupes, leva son camp, et le matin il était à Murviedro, occupant une position avantageuse et barrant la route qui conduit à Valence.

Les Castillans étaient en bataille art pied des remparts de Murviedro quand l’armée aragonaise se montra dans la plaine. Un engagement semblait inévitable. Pierre IV se hâta de ranger ses soldats, et, courant le long des bataillons à mesure qu’ils se formaient, il les harangua et les exhorta à faire leur devoir. « Je jure, dit-il à ses hommes d’armes, de frapper moi-même le premier coup. Que les pieds de devant de vos chevaux soient sur les pieds de derrière de mon cheval[86]. » Cependant don Pèdre ne quittait point les hauteurs. Après une halte assez longue pour lui offrir le combat, l’infanterie aragonaise se replia sur les montagnes et s’y retrancha en face des Castillans, pendant que la gendarmerie, tournant à gauche de la route frayée, se rapprocha de la mer et poursuivit en bon ordre le long de la grève sa marche sur Valence. Il lui fallait passer, un ruisseau assez profond[87] sur un pont étroit, et l’on pouvait craindre que l’ennemi ne profitât du moment où la moitié de cette cavalerie serait déjà passée pour tomber sur l’arrière-garde. Le comte de Trastamare s’offrit avec sa compagnie pour couvrir le défilé, mais le roi d’Aragon ne voulut céder ce poste d’honneur à personne. « Tant qu’il y aura cent de mes hommes d’armes, dit-il, sur la rive gauche en face de l’ennemi, je demeurerai à leur tête[88]. » Don Pèdre, avec le gros de ses forces, observait, sans faire un mouvement, le défilé de la colonne aragonaise ; seulement il détacha contre elle ses génétaires andalous et les Maures auxiliaires. Mais ce fut en vain que cette cavalerie légère essaya d’engager une escarmouche à coups de traits ou d’arrêter l’ennemi en voltigeant autour de son arrière garde ; la gendarmerie aragonaise, bardée de fer, ne daigna pas faire attention à des adversaires indignes d’elle. Sans rompre ses rangs, sans déranger son ordre de marche, elle continua son mouvement et arriva bientôt dans la Huerta sans avoir été entamée. En même temps la flotte jetait l’ancre au Grao, et débarquait des vivres et des munitions, qui furent aussitôt dirigés sur Valence. Les habitans accueillirent Pierre IV avec des transports de joie qui prouvaient la détresse où ils avaient été réduits. Chacun se pressait sur son passage ; on baisait ses mains, son armure, jusqu’au harnais de son cheval[89]. Ces témoignages d’amour des Aragonais pour leur maître contrastaient étrangement avec les sentimens que don.Pèdre inspirait à ses vassaux. Il n’avait réussi qu’à se faire craindre.

C’était la seconde fois que, dans le même lieu et presque dans les mêmes circonstances, don Pèdre refusait une bataille décisive ou perdait l’occasion de la livrer. La première fois, on peut supposer que, voyant son armée affaiblie par les détachemens laissés dans ses nouvelles conquêtes, il crut de la prudence de ne pas hasarder un engagement général contre un ennemi supérieur en nombre ; mais maintenant ses forces étaient au moins égales à celles du roi d’Aragon, et, pour expliquer son inaction, il faut chercher un autre motif. L’attitude nouvelle du comte de Trastamare, les espérances audacieuses des deux rois alliés, ce partage résolu du royaume de Castille, n’étaient point de vaines bravades ; don Pèdre le savait trop bien. Aux yeux du vulgaire, il semblait à l’apogée de sa puissance ; mais lui-même se sentait mortellement atteint au milieu de ses victoires, et c’est en vain qu’il essayait de dérober le secret de sa faiblesse à ses adversaires. Un sourd mécontentement agitait tout son royaume et présageait une catastrophe prochaine. Il ne pouvait plus frapper, car ses sujets n’avaient pas une seule tête pour qu’il l’abattît. Pourtant il ne voyait autour de lui que des esclaves dociles ; mais l’obéissance inaccoutumée de ces riches-hommes ; naguère si turbulens, était un symptôme qui redoublait ses inquiétudes. Il ne se faisait point illusion sur la haine que lui portaient ses peuples, fatigués de la guerre et indignés de son despotisme. Comment eût-il osé engager le combat contre une armée dont un tiers se composait de bannis castillans, parens, amis, compatriotes de ses riches-hommes dont la loyauté lui était si suspecte ! La défection, l’hésitation seule d’un corps de troupes aurait suffi pour entraîner sa ruine. C’était ainsi que la bataille d’Araviana avait été perdue, et il se voyait entouré de gens qui eussent regardé une défaite comme le signal de leur délivrance. Don Pèdre avait encore un autre motif pour temporiser. Il attendait sa flotte, sur laquelle il comptait plus que sur son armée de terre, car la plupart de ses vaisseaux étaient commandés par des étrangers dont il se croyait sûr. Enfin cette guerre de sièges qu’il faisait lui offrait de grands avantages. Ses troupes vivaient aux dépens de l’ennemi, dont elles ravageaient le territoire ; chaque ville, chaque château qui tombait en son pouvoir lui donnait le moyen de satisfaire quelques-uns de ses nobles avides ; le butin facile retenait le soldat dans le devoir. Telles étaient, à mon avis, les considérations qui l’engageaient à traîner la guerre en longueur. Toutefois il se gardait bien de les avouer ; il se plaignit même de n’avoir pu obliger le roi d’Aragon d’en venir à une bataille décisive. « Il fait la guerre en Almogavare[90], » disait-il. On appelait ainsi une milice irrégulière, composée surtout de Catalans, marcheurs infatigables, aussi habiles à surprendre l’ennemi qu’à se dérober à sa poursuite. Bien que les Almogavares eussent battu en Morée les barons de France et leurs hommes d’armes, la gloire de leurs exploits ne faisait point oublier qu’ils étaient des paysans sauvages, et leur nom était presque une injure pour des chevaliers, même aragonais, qui se piquaient de faire la guerre en prud’hommes, suivant les principes. Le reproche de don Pèdre piqua au vif le roi d’Aragon, et il s’empressa d’y répondre par un cartel en forme, offrant au roi de Castille de se présenter à jour fixe, avec toutes ses forces, dans une plaine désignée entre Murviedro et Valence, pour y vider leur querelle dans un seul combat[91]. De fait, au jour indiqué, il s’avança jusqu’à une lieue de Murviedro et attendit son adversaire en ordre de bataille ; mais don Pèdre ne tint pas plus compte de cette bravade que du défi qui l’avait précédée.


II.

Pendant douze jours, les deux armées demeurèrent dans l’inaction les Aragonais à Valence, les Castillans à Murviedro. Enfin on signala la flotte de Castille forte de quatre-vingts voiles, dont vingt galères de Séville, dix de Portugal, et le reste vaisseaux de transport. Aussitôt don Pèdre, laissant toute sa cavalerie dans son camp, s’embarqua avec l’élite de ses arbalétriers, et fit voguer contre la flotte ennemie. Celle-ci, inférieure en nombre, s’était réfugiée dans le Xucar près de Cullera. L’embouchure étroite de la rivière, les retranchemens qui la défendaient, enfin la présence de Pierre IV et de toute son armée bordant le rivage, ne permettaient pas aux Castillans de tenter une attaque de vive force. Quelques jours se passèrent en reconnaissances, en escarmouches, en efforts inutiles pour attirer l’ennemi au combat ou pour forcer l’entrée de la rivière. Don Pèdre, pour bloquer plus étroitement la flotte aragonaise, fit couler dans le chenal trois de ses navires[92]. Il ne quittait pas son vaisseau et surveillait lui-même, avec son activité ordinaire, les mouvemens de l’ennemi. Tout à coup un vent d’est violent mit sa flotte dans le plus grand danger d’être jetée à la côte. Les pilotes pratiques de ces parages désespéraient de pouvoir résister à la tourmente. A chaque instant, les Aragonais, accourus sur la grève, s’attendaient à voir le roi de Castille tomber entre leurs mains. Sa capitane, mouillée fort près de terre, était plus exposée que le reste de ses navires. Du rivage, on suivait ses manœuvres de détresse ; lui-même, pendant tout un jour, put voir ses ennemis lui préparer des fers. Successivement, son vaisseau perdit trois ancres dont les câbles rompirent. Une quatrième ancre résista par fortune et le sauva. Vers le coucher du soleil, le vent tomba, et la flotte castillanne, malgré ses avaries, parvint à profiter de l’embellie pour gagner le large. Au plus fort de la tempête, don Pèdre avait fait vœu, s’il échappait à la furie de la mer, d’aller en pèlerinage à l’église de Notre-Dame del Puch, voisine de Murviedro et célèbre par ses miracles. C’est la seule fois, je pense, que la grandeur du péril lui arracha quelques paroles qui témoignaient de ses sentimens religieux. Sincère ou non, de retour à Murviedro, ce vœu fut accompli fidèlement, et il se rendit à l’église del Puch enchemise, pieds nus et la corde au cou, comme un condamné qui vient d’obtenir sa grace[93].

Bientôt après, il quitta le royaume de Valence pour retourner à Séville, laissant une partie de son armée pour garder les places qu’il avait prises dans cette campagne et la précédente. Sa santé, altérée par de rudes fatigues, l’obligeait à prendre quelque repos pendant les chaleurs accablantes de l’été. D’ailleurs, la campagne s’était prolongée plus qu’à l’ordinaire, et l’on a vu qu’il était résolu à ne point livrer bataille. Peut-être encore le désir de consacrer les grandes constructions qu’il faisait élever dans l’Alcazar de Séville contribua-t-il à le ramener plus tôt dans sa résidence de prédilection. C’est alors qu’il fit l’inauguration de ce palais célèbre, remarquable par l’élégance de son architecture encore tout arabe. et qu’il y traça l’inscription qui se lit au portail du monument : « Très haut, très noble, très puissant conquérant, don Pèdre, roi de Castille et de Léon, fit construire ce palais et cette façade, l’an de l’ère MCCCCII[94]. »

Au reste, son séjour à Séville ne fut pas de longue durée. Dès le mois d’août, apprenant que le roi d’Aragon avait fait une démonstration contre Murviedro, il reparut dans le royaume de Valence et recommença cette guerre de sièges et de pillages qui semblait n’avoir d’autre but que la ruine complète du pays. Ses courses s’étendirent depuis Calatayud jusqu’au-delà d’Alicante. La cavalerie légère andalouse, par la rapidité de ses mouvemens, lui donnait un grand avantage sur son adversaire, qui n’avait à lui opposer que sa pesante gendarmerie. Parmi le grand nombre de villes et de châteaux qui tombèrent en son pouvoir dans le courant de cette campagne, Castel-Favib fut la seule place qui soutint un siège en règle. Les habitans s’étaient révoltés, avaient massacré la garnison castillanne, et, pour les réduire, il fallut que le roi vînt les attaquer avec le gros de ses forces, et amenât des machines qui battirent ses remparts pendant un mois. Pour construire ces engins et les diriger, le roi fit venir de Carthagène deux Maures, fils d’un ingénieur célèbre qu’on nommait maître Ali[95]. On sait qu’alors en Espagne les musulmans presque seuls cultivaient les sciences et les arts. Ce furent des architectes maures qui construisirent les palais de Séville, et, pour détruire des murailles comme pour en élever, il fallait avoir recours aux connaissances supérieures des artistes arabes.

Après la prise de Castel-Favib, don Pèdre s’était porté contre Orihuela, une des places les plus importantes du royaume de Valence. Le roi d’Aragon résolut de tout risquer pour en prévenir le siége. Il rallia toutes ses troupes disponibles, et les réunit vers la fin de novembre autour d’Algecira, au nombre de trois mille hommes d’armes et quinze mille fantassins. Le 1er décembre, il les mit en mouvement avec un grand convoi de vivres, et, le surlendemain matin, toute cette armée se déployait dans un lieu nommé Campo de la Matanza, fort près de Lix, où campait le roi de Castille. Les Aragonais avaient fait dix-huit lieues d’Espagne en deux jours, marchant hors des routes frayées et parmi des landes désertes. Le royaume de Valence, si peuplé et si riche sous la domination des Maures, avait bien changé d’aspect. On en jugera par le fait suivant, rapporté dans les mémoires de Pierre IV. Son armée, s’avançant sur une ligne immense, faisait lever à chaque instant une quantité de gibier innombrable. Pendant la marche, on tua dix mille perdrix et assez de lièvres pour en remplir cent charrettes. Voilà ce qu’était devenue cette terre si fertile, si bien cultivée autrefois[96].

Malgré la fatigue de la route, les Aragonais, égayés par cette chasse miraculeuse, étaient pleins d’ardeur et de confiance, persuadés que cette fois ils allaient terminer la guerre par une bataille. Pierre IV partageait ces espérances ; il comptait surprendre son ennemi au dépourvu et ne cachait pas son assurance de la victoire. En arrivant à son quartier, il se jeta sur un matelas pour prendre quelque repos avant la journée du lendemain. « Dormez maintenant, sire, lui dit le comte de Trastamare, vous voilà au terme de ces marches si pénibles. Mais c’est ainsi que les grands rois écrasent leurs faibles adversaires ! Par votre diligence, vous avez crevé aujourd’hui l’œil droit du roi de Castille votre ennemi[97]. » Cette confiance des Aragonais, cette certitude de la victoire était fondée sans doute sur leurs intelligences secrètes avec les mécontens de l’armée castillanne. Don Pèdre cependant ne se laissa pas surprendre. Averti par ses coureurs, il s’était hâté de faire sortir de Lix toutes ses troupes et les avait rangées en bataille. Il avait six mille chevaux, hommes d’armes ou génétaires, et onze mille fantassins. Au lever du soleil, les deux armées se trouvèrent en présence, assez rapprochées pour que de part et d’autre on pût distinguer les bannières. Don Pèdre réunit tous ses capitaines pour tenir conseil. « Le roi d’Aragon, dit-il, marche sur Orihuela, pour nous empêcher d’en faire le siége. Devons-nous l’attaquer ? » Il se fit un grand silence. Chacun regardait le maître de Calatrava, Diego de Padilla, comme pour l’engager à parler au nom de tous. « Sire, dit le Maître, il y a long-temps que Dieu a fait la part de la maison de Castille et la part de la maison d’Aragon ; et, si l’on divisait la Castille en quatre parties, un quart de ce pays ferait un royaume plus grand que n’est celui d’Aragon. Maître de toute la Castille, vous êtes le plus grand roi d’entre les chrétiens, et, sans mentir, je pourrais ajouter du monde entier. M’est avis que, si vous attaquez aujourd’hui le roi d’Aragon avec toute votre puissance, vous le vaincrez et serez roi de Castille et d’Aragon, voire, avec l’aide de Dieu, empereur d’Espagne. » Padilla, considéré comme le beau-frère du roi et confident de ses rêves ambitieux, révélait peut-être en ce moment les plus secrètes pensées de son maître. Après lui, tous les autres capitaines, croyant connaître les intentions du roi, furent unanimes pour conseiller la bataille et présager la victoire. Pendant qu’ils parlaient, don Pèdre, debout et agité, mangeait un morceau de pain qu’il venait de demander à un page. « - Ainsi, reprit-il, vous êtes tous d’accord que je doive donner bataille à l’Aragonais ? Eh bien ! moi, je vous dis que, si j’avais pour mes vassaux naturels ceux qu’a le roi d’Aragon, je me battrais sans crainte contre vous et contre toute l’Espagne. Mais savez-vous quels sont mes vassaux à moi ?… Avec ce morceau de pain, je nourrirais tout ce que j’ai de loyaux serviteurs en Castille[98] ! » Sur cette brusque réponse, le roi, laissant tous ses capitaines stupéfaits et confus, remonta à cheval et donna l’ordre de rentrer à Lix, abandonnant la route à l’armée aragonaise, qui se mit aussitôt en devoir de ravitailler Orihuela. Elle passa, enseignes déployées, en vue du camp ennemi, où chacun déplorait avec plus ou moins de sincérité l’humeur méfiante de don Pèdre. Il perdait, disait-on, l’occasion la plus favorable de détruire son adversaire, et il imprimait une tache de déshonneur aux armes de Castille. Plusieurs de ses capitaines osèrent lui adresser de vives représentations ; il fut inébranlable et repoussa durement ces donneurs d’avis. Il semblait qu’il eût le secret de quelque trahison tramée contre sa personne, et s’il ne punissait pas, c’est sans doute que les traîtres étaient trop nombreux.

Après avoir fait entrer le convoi dans Orihuela et en avoir augmenté la garnison, le roi d’Aragon, reprenant la route de Valence, vint encore braver l’armée castillanne et défiler à peu de distance de ses lignes. Cette fois, comme la précédente, don Pèdre se refusa absolument à engager le combat. Seulement, vaincu par les importunités de son chambellan Martin Lopez, il consentit à lui confier deux mille génétaires pour tâter l’ennemi et le harceler dans sa marche. A la tête de ces deux mille chevaux, Martin Lopez chargea si vigoureusement l’arrière-garde aragonaise qu’il la mit dans le plus grand désordre, et l’on croit que la victoire eût été complète si le reste de l’armée eût appuyé l’attaque de cette cavalerie légère[99]. Cet avantage stérile fut bientôt effacé par un revers. Un convoi castillan que le maître d’Alcantara conduisait à Murviedro se laissa surprendre par un détachement aragonais sorti de Valence. Le Maître perdit la vie dans cet engagement qui eut bientôt les conséquences les plus funestes pour don Pèdre, car la garnison de Murviedro était mal pourvue de vivres et comptait sur ce convoi pour se ravitailler. Cependant le roi ne fit aucune tentative pour lui porter secours[100]. L’approche de l’hiver le ramena en Andalousie et termina la campagne. Martin Lopez, pour prix de son brillant fait d’armes, obtint la maîtrise d’Alcantara. Il jouissait déjà de la plus haute faveur ; on a vu par quels services il l’avait méritée.


IV.

Nul plan arrêté, nulle suite dans les guerres du moyen-âge. Après quelques semaines passées à Séville, don Pèdre en repartit pour aller mettre le siége devant Orihuela, qu’il avait laissé approvisionner sous ses yeux. Mais, avant de rentrer sur le territoire ennemi, il passa par Carthagène, et là il fit massacrer les capitaines et les équipages de cinq galères aragonaises capturées récemment par sa flotte. La chiourme seule fut épargnée pour être répartie sur les vaisseaux des vainqueurs. On voit que l’insolence de Perellès devait coûter cher aux marins catalans. Ces galères avaient été prises dans un engagement sur la côte de Barbarie, où le comte d’Osuna, fils de Bernal de Cabrera, montait la capitane de Castille et se distingua par sa valeur à combattre contre ses compatriotes[101]. Dans les deux camps il y avait des émigrés, et c’étaient les plus ardens à souffler le feu de la guerre.

Le siége d’Orihuela commença en même temps que celui de Murviedro. Les deux rois en pressaient les travaux avec une égale activité, chacun espérant obliger son adversaire à renoncer à son entreprise ; mais chacun s’obstinait de son côté et voulait une victoire pour lui seul, indifférent au sort de ses lieutenans. Ce fut en vain que le gouverneur de Murviedro envoya message sur message à don Pèdre pour l’instruire de sa position presque désespérée. Le roi n’y répondait qu’en redoublant ses attaques contre Orihuela. Après huit jours de combats et d’assauts continuels, les Castillans s’emparèrent de la ville ; mais rien n’était fait, tant que le château tenait encore. Il passait alors pour une des meilleures forteresses de l’Espagne, et son gouverneur, brave chevalier, riche-homme d’Aragon, nommé Martinez Eslaba, était résolu à s’y défendre jusqu’à la dernière extrémité. Tant qu’il put animer ses soldats par sa présence et son exemple, ils soutinrent vaillamment toutes les attaques de l’ennemi, mais il fut grièvement blessé, ses gens perdirent courage et mirent bas les armes. On dit que, quelques chevaliers castillans l’ayant appelé pour parlementer, il parut aux créneaux sans défiance, et cependant le roi, qui se trouvait en ce moment dans une bastide élevée au pied du rempart, ordonna à deux arbalétriers de le viser. Eslaba, frappé de deux carreaux à la tête, mourut peu de jours après la reddition d’Orihuela, empoisonné par les chirurgiens du roi, suivant un chroniqueur qui n’a pas trouvé apparemment que deux flèches suffisaient pour faire mourir un si preux chevalier[102]. Satisfait de sa conquête, don Pèdre, laissant dans Orihuela une garnison considérable, repartit pour Séville, sans se mettre aucunement en peine de la situation de Murviedro, que la famine avait réduite aux abois.

Devant cette place abandonnée ou plutôt trahie par son maître, le roi d’Aragon avait rencontré une résistance à laquelle il ne s’attendait pas. Le prieur de Saint-Jean, qui commandait la garnison, faisait des sorties continuelles et semblait plutôt assiéger le camp aragonais que défendre sa forteresse. Cependant la famine allait bientôt triompher de tant de courage. Le pain manqua dans la place dès les premiers jours du siège. On tua les mulets, puis les chevaux de guerre ; enfin ces alimens vinrent à manquer. Nul espoir d’être secouru. Au milieu des délices de Séville, don Pèdre oubliait les souffrances de ses fidèles soldats. Dans cette extrémité, le prieur crut devoir conserver à son maître de braves gens à qui l’épuisement allait ôter bientôt jusqu’à la ressource de mourir les armes à la main. Il obtint la capitulation la plus honorable, c’était de sortir de la ville avec armes et bagages et de rentrer en Castille escorté par un détachement aragonais. Murviedro ayant été rendu au roi d’Aragon, la garnison, composée d’environ six cents hommes d’armes démontés et d’un nombre proportionné de fantassins, fut reconduite à la frontière par le comte de Trastamare et sa compagnie. Ce n’était pas sans dessein que don Henri avait accepté cette mission. Habile à séduire, il mit tous ses talens en usage pour corrompre ces vaillans soldats qu’il n’avait pu vaincre. Ses caresses, les éloges qu’il leur prodiguait, ses soins pour les malades et les blessés produisirent sur eux plus d’effet que ses armes. Il leur représentait qu’ils avaient été indignement sacrifiés. À leur retour, au lieu des récompenses dues à leur courage, c’était la vengeance d’un tyran impitoyable qui les attendait, car don Pèdre punissait la mauvaise fortune comme une trahison. Puis, il vantait avec adresse la puissance de l’Aragonais, son allié généreux, armé pour sa querelle et pour la délivrance de la Castille. Surtout il annonçait avec emphase l’arrivée des compagnies d’aventuriers, l’élite des deux nations les plus belliqueuses de l’Europe. Leurs chefs, disait-il, lui amenaient de par delà les monts une armée innombrable, et lui-même, à leur tête, allait purger la Castille du monstre qui l’opprimait. Sans annoncer ouvertement ses prétentions à la couronne, il laissait deviner que de lui seul dépendait le repos de la Castille ; que de lui seul il fallait attendre honneurs, emplois, récompenses de toute espèce. A ceux qui, abandonnant un maître ingrat, voudraient passer sous ses drapeaux, il offrait une solde avantageuse et l’espoir de partager sa fortune ; mais il ne prétendait contraindre le choix de personne : « Quiconque, disait-il, dès à présent ou plus tard, mécontent de don Pèdre, cherchera un seigneur plus libéral et plus juste, qu’il vienne à moi, sûr d’être bien accueilli, car je n’ai pris les armes que pour rendre à la noblesse castillanne ses antiques privilèges, aujourd’hui foulés aux pieds. » Tels étaient les discours du Comte et de ses émissaires en ramenant aux frontières de Castille la garnison de Murviedro. Un assez grand nombre de soldats, se laissant gagner à ses promesses, s’enrôla sous sa bannière. Les autres, bien qu’effrayés pour eux-mêmes de la défection de leurs camarades, mais fidèles à leur serment, rentrèrent dans leur patrie plutôt pour s’y cacher que pour demander le prix de leurs services. Touchés de la courtoisie du prétendant, déjà gagnés à demi, et pleins de défiance dans la fortune de don Pèdre, ils allaient répandre partout les louanges de don Henri et annoncer l’approche des terribles auxiliaires dont on menaçait la Castille depuis quatre ans[103].

Pendant que Murviedro résistait encore, un nouveau traité fut signé par Pierre IV et don Henri, au milieu des travaux du siège. Il reproduisait la substance des conventions précédentes relatives au partage de la Castille, à l’alliance offensive et défensive des deux parties contractantes ; enfin il la resserrait encore en stipulant le mariage de doña Leonor, fille du roi d’Aragon, avec don Juan, fils aîné du comte de Trastamare, aussitôt que les deux fiancés auraient atteint l’âge légal pour cette union[104]. En attendant, l’infante d’Aragon devait être remise à la garde de la comtesse de Trastamare, qui la conduirait dans le château d’Opoll ou celui de Taltaull, donnés par Pierre IV comme sûretés du contrat, jusqu’à la conquête de la Castille[105]. La dot de la jeune princesse, fixée à 200,000 florins d’or, devait être avancée à don Henri pour subvenir aux dépenses de l’expédition qu’il méditait[106]. Outre cette somme, il était autorisé à vendre les terres et châteaux qu’il tenait du roi d’Aragon, jusqu’à la concurrence de 70,000 florins. On lui payait encore l’arriéré dû à sa compagnie, plus deux mois d’avance pour la solde de mille hommes d’armes et mille fantassins ; enfin, les comtes de Denis et de Foix devaient le suivre en Castille avec un corps auxiliaire et demeurer avec lui tant qu’il aurait besoin de leurs services, à condition que don Henri s’engageât à les défendre comme sa propre personne[107]. Pour la première fois, dans ces conventions si souvent reproduites, les prétentions du bâtard au trône de Castille étaient clairement exprimées, et le dernier article portait que le Comte, devenu roi, ferait reconnaître pour son successeur son fils don Juan, et présenterait l’infante Leonor aux cortès comme leur reine future[108].


XIX.

DE LA GRANDE COMPAGNIE EN ESPAGNE. — 1366.


I.

Lorsque la nuit, dans les solitudes de l’Afrique, au milieu des cris confus poussés par la foule des animaux sauvages qui se disputent leur proie, le rugissement d’un lion se fait entendre, soudain toutes ces clameurs cessent, et il se fait un grand silence. C’est l’hommage de la terreur rendu au roi du désert. Ainsi, sur l’annonce que la grande compagnie était en marche pour passer les Pyrénées, un calme étrange succéda tout à coup à ces interminables escarmouches qui désolaient l’Espagne depuis si long-temps. Retirés chacun dans sa capitale, les deux rois se préparaient silencieusement à un dernier effort. Ils sentaient que la guerre allait changer de face, et que le moment solennel d’un duel à mort était venu.

Après de longues négociations, les capitaines des aventuriers français et anglais, en paix les uns avec les autres depuis les trêves conclues entre leurs princes, mais non point oisifs, car ils dévastaient la France de concert, s’étaient décidés à chercher une proie nouvelle dans la Péninsule. Les relations que le comte de Trastamare avait conservées avec quelques-uns d’entre eux, les promesses du roi d’Aragon, celles du roi de France et du pape, enfin quelques subsides distribués à propos, avaient rallié les différentes bandes et leur avaient fait accueillir avec joie le projet d’une invasion en Castille. Le roi de France surtout, plus intéressé que personne à débarrasser son pays de ces hôtes incommodes, avait puissamment secondé les sollicitations pressantes de don Henri et du roi d’Aragon. Lui-même avait donné un chef aux aventuriers, et ce chef était l’homme en qui reposait toute sa confiance, le meilleur de ses capitaines, le fameux Bertrand Du Guesclin. A lui seul, en effet, convenait la difficile mission d’organiser une armée avec ces hordes de pillards, de les discipliner et de les entraîner loin du pays qu’elles dévastaient, pour tenter une entreprise hasardeuse et chercher un profit incertain.

Issu d’une famille illustre de Bretagne, Du Guesclin s’était attaché de bonne heure à la maison de France, et la servait avec le plus entier dévouement. Toute sa vie se passa en efforts pour accomplir la fusion en une monarchie puissante des nombreuses seigneuries qu’une vassalité équivoque rattachait à la couronne. Il paraît avoir eu cette vertu oubliée au moyen-âge, le patriotisme ; non point cette affection étroite à une province, à une ville, mais un dévouement éclairé au bonheur et à la gloire d’un grand peuple. Né Breton, il s’était fait Français. Son courage, son activité, son adresse aux exercices militaires, ses succès et ses revers même lui avaient acquis, jeune encore, le renom d’une bonne lance et d’un capitaine consommé. Sous des traits grossiers et ignobles, sous l’apparence d’une vigueur brutale, il cachait une finesse profonde et savait être, comme le général de Macchiavel, tour à tour lion et renard. Dans les camps, ses larges épaules, son corps ossu, son visage noir et brûlé par le soleil, ses poings énormes[109], qui faisaient voltiger une lourde hache d’armes comme un léger roseau, imposaient le respect aux gens de guerre à une époque où le poids des armures faisait de la force physique la première qualité du soldat. Dans les conseils, il était avisé, souple, quelquefois éloquent, mêlant à propos l’audace à la prudence, et se faisant pardonner son bon sens par des bouffonneries. Pauvre capitaine d’aventure, il sut toujours commander l’obéissance des grands seigneurs que la volonté du roi lui donnait pour lieutenans, et telle était son adresse à ménager toutes les susceptibilités d’une noblesse orgueilleuse et indisciplinée, que les faveurs dont il fut comblé n’excitaient point l’envie et ne semblaient que la juste récompense de ses services.

Du Guesclin s’était rendu à Châlons-sur-Saône pour conférer avec les chefs des aventuriers. Il ne leur apportait que les promesses des deux rois et quelques faibles à compte ; mais, ce qui valait mieux, il leur offrait son épée, sa réputation, sa vieille expérience. Soldat depuis vingt-cinq ans, ami ou ennemi des capitaines d’aventure, il avait l’estime de tous. S’enrôler sous un pareil général, c’était s’engager dans une entreprise profitable. Son nom seul était une garantie de succès. Après avoir réuni les principaux chefs français, gascons et anglais, Bertrand leur exposa ses desseins avec cette rude franchise qui lui était ordinaire, et qui chez lui était peut-être plutôt un calcul qu’une habitude prise dans les camps. « Vous menez une vie de brigands, leur dit-il. Tous les jours vous risquez de vous faire tuer dans des pilleries qui ne vous enrichissent guère. Je viens vous proposer une entreprise digne de bons chevaliers, et je vous ouvre un pays neuf. En Espagne, gloire et profit vous attendent. Vous y trouverez un roi riche et avare. Il a de grands trésors ; il est l’allié des Sarrasins, à demi païen lui-même ; il s’agit de conquérir son royaume, et de le donner au comte de Trastamare, notre ancien camarade, bonne lance, vous le savez, gentil chevalier, libéral, qui partagera avec vous cette terre que vous lui gagnerez sur les Juifs et les Sarrasins du méchant roi don Pèdre. Allons, camarades, faisons à Dieu honneur et le diable laissons[110] ! »

Parmi les capitaines des aventuriers se trouvaient beaucoup de gentilshommes issus de familles illustres, nourris d’idées chevaleresques, amoureux de gloire autant qu’ils étaient avides de butin, susceptibles même d’un certain enthousiasme religieux. Détrôner un prince cruel, suspect d’hérésie, meurtrier d’une jeune et belle princesse, se partager ses trésors, quoi de plus attrayant, de plus romanesque ? C’était mettre en action le vieux thème héroïque chanté par les ménestrels et les jongleurs. Le discours de Du Guesclin fut accueilli par d’unanimes acclamations. Pour les soldats, étrangers aux sentimens raffinés qui entraînaient leurs chefs, peu leur importait l’ennemi à combattre, pourvu qu’il fût riche. « Messire Bertrand, disaient-ils, donne tout ce qu’il gagne à ses hommes d’armes. Il est le père du soldat. Marchons avec lui ! » L’accord fut bientôt fait. Pour des gens qui ne voyaient dans la guerre qu’une spéculation, suivre un chef heureux et habile, c’était s’assurer de gros bénéfices.

Lorsque Du Guesclin revint à Paris rendre compte de sa mission et prendre congé du roi, Charles V, l’embrassant devant toute sa cour, s’écria que son brave Breton avait plus fait pour son service que s’il lui eût gagné une province. Il disait vrai, les compagnies, en évacuant la France, lui rendaient son royaume.

Sans perdre de temps, Du Guesclin réunit toutes les bandes et en forma une armée considérable. Un assez grand nombre de volontaires illustres se joignirent aux aventuriers, attirés par la réputation de leur général et le désir de faire armes, comme on disait alors. On vit accourir sous sa bannière le maréchal d’Audeneham, qui, peu d’années auparavant, avait échoué dans une mission semblable à celle où Du Guesclin venait de réussir. Le maréchal était alors prisonnier sur parole du prince de Galles, et, à son exemple, maints braves chevaliers, maltraités par la fortune dans la dernière guerre, se mirent gaiement en route pour l’Espagne, dans l’espoir de réparer leurs pertes et de regagner leurs rançons aux dépens de don Pèdre. Un prince du sang royal, le comte de La Marche, ne dédaigna pas de s’enrôler parmi cette troupe de hardis volontaires. Parent de l’infortunée Blanche, il avait juré de tirer vengeance de son meurtrier. Le sire de Beaujeu, également parent de Blanche, partit avec lui. Ils étaient les seuls qu’un mobile purement chevaleresque conduisît en Espagne.

Toutes les bandes réunies s’élevaient à plus de douze mille hommes, la plupart gendarmes, c’est-à-dire cavaliers pesamment armés. Les deux tiers étaient Français ou Bretons, le reste Anglais, ou Gascons sujets du roi d’Angleterre. Aucun de ces derniers ne s’était inquiété de demander à Édouard III la permission de servir contre un prince allié de la Grande-Bretagne. Alors chaque capitaine se croyait libre de louer sa lance à qui le payait mieux, et les plus scrupuleux, en s’enrôlant au service d’un chef étranger, stipulaient seulement qu’ils ne combattraient pas contre leur légitime suzerain. Sir Hugh de Calverly conduisait les bandes anglaises. Long-temps adversaire de Du Guesclin, il était aujourd’hui son plus habile lieutenant.

À cette époque, l’équipement des hommes d’armes, Français et Anglais, était fort supérieur à celui des Espagnols. On en voit la preuve dans l’étonnement que causa à ces derniers la vue des armures en usage parmi les guerriers du Nord[111]. Elles se composaient, au XIVe siècle, de plaques d’acier ou de fer forgé qui recouvraient toutes les parties du corps, et qu’on attachait par-dessus un pourpoint de cuir épais, ou même quelquefois par-dessus une cotte de mailles, comme si l’on eût voulu combiner et réunir les avantages du harnais moderne et de l’ancienne panoplie. D’ordinaire, au moment du combat, les hommes d’armes mettaient pied à terre et raccourcissaient leurs lances pour les manier plus facilement[112]. On ne se servait guère des chevaux de bataille, nommés coursiers, que pour la poursuite ou la retraite ; quelquefois, mais rarement, pour faire une trouée dans la ligne ennemie[113]. L’infanterie anglaise était la meilleure, ou plutôt la seule de l’Europe. Armés de grands arcs en bois d’if, les fantassins anglais s’abritaient derrière des pieux plantés en terre, et, protégés ainsi contre la cavalerie, décochaient des flèches longues d’une aune, auxquelles peu de cuirasses pouvaient résister. Telle était leur réputation de dextérité, que, par allusion au nombre de flèches qu’ils portaient dans leurs carquois, on disait sur la frontière d’Écosse qu’un archer anglais tenait vingt-quatre Écossais dans sa trousse. Dans les armées françaises l’arbalète était préférée à l’arc ; mais cette arme n’était maniée avec adresse que par des étrangers, Génois pour la plupart et chèrement soldés. Les meilleures armes, les meilleurs soldats de France et d’Angleterre étaient rassemblés sous le même drapeau dans la compagnie blanche. Leur tactique était aussi nouvelle que leurs armures pour le pays qu’ils allaient envahir. Les Espagnols, accoutumés à la guerre d’escarmouches rapides contre les Maures, avaient adopté leur manière de combattre. Couverts de cottes de mailles légères ou de hoquetons de toile piquée[114], montés sur des chevaux vifs et légers, leurs génétaires lançaient des javelines au galop, puis tournaient bride sans se soucier de garder leurs rangs. Sauf les ordres militaires, mieux armés et mieux disciplinés que les génétaires, la cavalerie espagnole était hors d’état de résister en ligne aux gendarmes anglais ou français. L’infanterie, composée des contingens fournis par les villes et de paysans amenés par leur seigneur, n’avait guère d’autre arme défensive qu’une rondache. Elle combattait avec des zagaies ou des frondes, et n’était redoutable que derrière des rochers ou des murailles. En plaine, elle ne pouvait disputer la victoire à des soldats sans patrie, couverts de fer, également exercés à combattre de près et de loin. Tout indiquait donc que l’entrée de la grande compagnie en Espagne allait jeter dans la balance un poids irrésistible.


II.

Elle se mit en mouvement dès le milieu de l’année 1365. Malgré l’enthousiasme que lui montraient ses nouveaux soldats, Du Guesclin avait jugé prudent de les éloigner au plus vite du pays où ils avaient leurs habitudes, car il était à craindre que l’inconstance naturelle à de pareilles recrues ne les ramenât bientôt à leur ancien genre de vie. Il se hâta donc de les diriger vers le midi de la France. Sur leurs bannières et leurs soubrevestes des croix étaient peintes, et il publiait qu’il les menait en Chypre contre les Sarrasins[115]. Sans doute il n’espérait pas donner le change au roi de Castille ; mais probablement il avait voulu fournir aux capitaines anglais un prétexte pour demeurer sous sa bannière, car il était bruit que le prince de Galles, aux termes de son traité avec don Pèdre, allait interdire à ses sujets de porter les armes contre un souverain allié de l’Angleterre[116]. Au reste toute l’armée connaissait déjà le but de l’expédition, et, malgré les croix arborées sur ses enseignes, elle pensait beaucoup plus à faire du butin qu’à gagner des indulgences.

Ces nouveaux croisés, aussi redoutables aux églises qu’aux châteaux et aux chaumières, se trouvaient encore sous le poids d’une excommunication lancée par le saint-siège. Il fallait les relever de cet anathème avant de les mener dans un pays où ils prétendaient soutenir la cause de la religion ; aussi leur général voulait en passant demander une absolution au pape. Mais il avait encore un autre dessein. Convaincu que ses soldats ne se montreraient dociles que s’ils étaient bien payés, il se proposait de remplir sa caisse militaire aux dépens du trésor apostolique. Vers la fin de l’année 1365, les habitans de Villeneuve-lès-Avignon virent avec effroi la compagnie blanche asseoir son camp devant leurs remparts. L’alarme fut grande à la cour du saint-père. Aussitôt il dépêcha aux chefs des aventuriers pour leur intimer l’ordre d’évacuer le territoire de l’église, sous promesse de les relever de l’excommunication qu’ils avaient encourue. La mission avait ses dangers, et ce ne fut pas sans hésitation que le cardinal de Jérusalem consentit à s’en charger. A peine eut-il traversé le Rhône qu’il se trouva en présence d’une troupe d’archers anglais qui lui demandèrent avec insolence s’il leur apportait de l’argent[117] ? « De l’argent ! » criaient une foule de soldats farouches accourus sur son passage. Conduit à la tente de Du Guesclin, le cardinal fut accueilli avec la plus grande politesse ; mais on lui signifia que la compagnie ne quitterait la terre papale qu’après avoir reçu un subside considérable. Quelques chefs exprimaient leur regret d’élever de pareilles prétentions et protestaient de leur respect pour l’église ; mais ils avouaient qu’ils n’avaient pas d’autorité sur leurs troupes. D’autres, raillant sans pitié le cardinal, lui disaient que, prêts à exposer leurs vies pour la plus grande gloire de la foi, ils méritaient bien les secours de l’église. Du Guesclin lui représenta tout le danger que courait le saint-père s’il différait de solder la contribution demandée. « Nos gens, dit-il, sont devenus prud’hommes malgré eux, et bien facilement ils retourneraient à leur ancien métier. » Malgré l’imminence du péril, le pape voulut essayer le pouvoir des foudres apostoliques, et résista quelque temps ; mais il reconnut bientôt qu’il ne faisait qu’irriter l’audace des bandits campés à ses portes. Des fenêtres de son palais il voyait les maisons de plaisance et les métairies de Villeneuve livrées au pillage. Déjà s’allumaient des incendies. A chaque instant les aventuriers menaçaient d’attaquer le pont Saint-Bénézet, ou, passant le fleuve sur des barques, de se répandre dans les riches campagnes d’Avignon. Cependant Du Guesclin répondait aux plaintes qu’on lui adressait de toutes parts : « Que voulez-vous ? mes soldats sont excommuniés. Ils ont le diable au corps, et nous n’en sommes plus les maîtres. » Bientôt on ne disputa plus que sur le montant de la contribution, et, après quelques pourparlers, les chefs de la compagnie blanche voulurent bien se contenter de 5,000 florins d’or. Les bourgeois d’Avignon s’empressèrent d’avancer la plus grande partie de cette somme, qui peut-être ne leur fut jamais remboursée[118]. Absous et chargés de butin, les aventuriers s’éloignèrent gaiement en célébrant les louanges de leur nouveau capitaine. Tels furent leurs adieux à la France.


III.

Cependant les négociations continuaient avec beaucoup d’activité entre les rois d’Aragon et de Navarre. Jusqu’au dernier moment, Charles protestait contre l’entrée de la compagnie en Espagne. En France, il avait appris à connaître les aventuriers, et, tremblant que ses états ne devinssent le théâtre de la guerre, il ne cessait de conjurer Pierre IV de les éloigner de ses frontières[119]. Le traité de Sos n’avait été observé ni d’une part ni de l’autre, et le roi d’Aragon avait trop de prudence pour donner des subsides à un allié d’aussi mauvaise foi que le roi de Navarre. Son trésor, d’ailleurs, était épuisé par les exigences de don Henri et des aventuriers, et il était hors d’état de faire de nouveaux sacrifices. L’année précédente, il avait été réduit à saisir et faire fondre les ornemens d’or et d’argent renfermés dans les églises, jusqu’aux calices et aux encensoirs, pour subvenir à la solde de ses troupes[120]. En attendant, il s’efforçait d’amuser le Navarrais par de nouvelles promesses. Il marchandait avec lui. Une alliance déclarée étant trop chère, on en était venu à débattre les conditions d’une neutralité partiale, que Charles voulait se faire bien payer[121]. D’abord il demandait que le fils aîné du roi d’Aragon épousât l’infante de Navarre sans dot[122], puis que Pierre IV lui garantît ses états contre les attaques de la France[123] ; enfin, et c’était sans doute là le point capital de la négociation, qu’en considération de sa bonne volonté, on lui comptât 40,000 florins d’or, subside dont le motif serait déguisé par la cession faite à l’Aragon de quelques châteaux sans importance[124]. Bientôt le roi de Navarre voyait qu’il était trop exigeant, et se rabattait à 20,000 florins[125]. De son côté, le roi d’Aragon consentait au mariage de son fils[126], déjà engagé avec plusieurs princesses par autant de traités différens, promettait des subsides pour l’avenir, et publiait des ordres pour interdire l’entrée de ses états à la grande compagnie[127]. Je passe sous silence les sermens échangés entre les deux princes, et sans cesse renouvelés, car, chose étrange, on ne se lassait pas de ces formalités qui ne trompaient plus personne. En même temps qu’il traitait avec le roi de Navarre, Pierre IV envoyait à ses ambassadeurs à Paris des instructions secrètes pour conclure une alliance offensive et défensive avec la France, dont le but devait être la ruine du Navarrais et le partage de ses états[128]. Ainsi, au moment où les plus belles provinces de son royaume étaient aux mains de ses ennemis, Pierre IV rêvait toujours la conquête de la moitié de l’Espagne. Mais tout semblait possible avec les aventuriers pour auxiliaires. Don Henri et le roi d’Aragon pressaient leur marche par de fréquens messages et faisaient de grands préparatifs pour les recevoir. Des vivres et des guides sûrs devaient les attendre aux passages des montagnes[129]. Tous les bannis castillans et un corps de volontaires aragonais commandé par le comte de Denia se rassemblaient sur la frontière de Castille. Suivant une dernière convention signée à Saragosse, Pierre IV ne devait pas prendre part personnellement à l’expédition. Il se tenait prêt à profiter des premiers succès de don Henri pour ressaisir les villes occupées par les Castillans dans le royaume de Valence. Ses capitaines avaient ordre de pousser leur pointe jusque dans le royaume de Murcie, et de s’en emparer s’il leur était possible, en vertu du traité de partage conclu à Benifar et ratifié à Murviedro, puis finalement à Saragosse. Persuadé que le salut de son royaume dépendait entièrement de ce dernier effort, le roi d’Aragon n’avait reculé devant aucun sacrifice. Son trésor était épuisé, mais il vendait ses biens patrimoniaux[130], et trouvait de nouvelles ressources pour solder les douze mille mercenaires qui allaient décider du sort de la Castille et de l’Aragon.

Ils parurent enfin, précédés de quelques journées par leurs chefs, que Pierre IV reçut à Barcelone avec de grands honneurs. Dans un festin qu’il leur donna, Du Guesclin s’assit à la droite du roi, qui avait à sa gauche l’infant Raymond Berenger, son oncle[131]. Mais le Breton n’était pas homme à se contenter de ces faveurs royales ; il venait réclamer les subsides promis à ses troupes et en exiger de nouveaux. Pierre s’était engagé à délivrer aux chefs de la grande compagnie 100,000 florins d’or, à la condition qu’elle traverserait ses états sans y commettre de désordres. Il fallut ajouter à cette somme un supplément de 20,000 florins[132]. Cependant les aventuriers, qui avaient passé les monts dans le courant de janvier, se montrèrent encore plus indisciplinés en Aragon qu’ils ne l’avaient été en France. Se croyant déjà en pays ennemi, ils mettaient tout à feu et à sang sur leur passage. Entrés dans Barbastro, ils pillèrent les maisons, massacrèrent les bourgeois ou les mirent à la torture pour en tirer rançon. Quelques-uns de ces malheureux, réfugiés dans la principale église, essayèrent de s’y défendre ; les aventuriers mirent le feu aux toitures et brûlèrent ainsi plus de deux cents personnes[133].

Tout était permis à ces étrangers, et telle était l’épouvante qu’ils inspiraient, qu’on leur savait gré comme d’un bienfait du mal qu’ils ne faisaient point. Les sujets du roi d’Aragon s’adressaient aux capitaines français et anglais pour obtenir des faveurs de leur maître, et ces recommandations, peut-être intéressées, étaient toujours accueillies avec faveur[134].


IV.

Tandis que cette effroyable avalanche descendait du haut des Pyrénées, don Pèdre s’apprêtait de son mieux à en soutenir le choc. Ordonnant partout des levées, parcourant lui-même son royaume en tout sens pour donner plus d’activité aux préparatifs de guerre, il avait assigné Burgos comme point de réunion aux différens corps de son armée. De sa personne il s’y rendit lui-même au commencement de l’année 1366, lorsque déjà l’ennemi mettait le pied sur le territoire castillan. À Burgos, le roi trouva des troupes nombreuses, mais peu aguerries, intimidées d’ailleurs par les rumeurs effrayantes sur le nombre, la valeur, la férocité des nouveaux adversaires qu’elles allaient avoir à combattre. Ses meilleurs soldats se trouvaient dans le royaume de Valence, disséminés çà et là, gardant les villes dont il s’était emparé dans ses dernières campagnes[135]. S’il remarquait moins de découragement parmi les riches-hommes et les chevaliers rassemblés autour de sa bannière, ce n’était pas sans une cruelle inquiétude qu’il se rappelait tous les motifs qu’ils avaient de le haïr. N’étaient-ils pas les parens, les amis de tant de seigneurs sacrifiés à ses soupçons, assassinés par ses ordres ou flétris par une sentence de trahison ? Était-ce pour le défendre ou pour le livrer à son ennemi que toute cette noblesse montrait tant d’empressement aujourd’hui ? Chaque jour des bruits alarmans venaient redoubler son anxiété. Naguère la crainte d’une défection l’avait empêché de risquer une bataille décisive, lorsque, à la tête de troupes victorieuses, il s’était avancé jusqu’au cœur de l’Aragon ; combien de nouveaux motifs pour redouter une trahison, maintenant que don Henri, avec les meilleurs soldats de la France et de l’Angleterre, venait en Castille tendre la main aux mécontens ! Dans la situation où se trouvait don Pèdre, tout excitait sa méfiance, jusqu’aux témoignages de fidélité et de dévouement qu’à l’approche du péril lui donnaient ses plus loyaux serviteurs. La prudence aurait dû lui conseiller de dissimuler ses soupçons et ses inquiétudes : il les trahissait par un redoublement de brusquerie et de hauteur. Il accusait au hasard, éclatait sans cesse en plaintes irréfléchies, et semblait provoquer la défection par des menaces déjà devenues impuissantes.

Tandis que, partagé entre cent résolutions contraires, il attendait l’orage, plongé dans un découragement apathique, il vit arriver à Burgos le seigneur d’Albret, vassal du roi d’Angleterre, que sa haine contre les rois de Navarre et d’Aragon rendait un allié naturel de la Castille. Compagnon d’armes ou parent de quelques-uns des chefs de la grande compagnie, le seigneur d’Albret venait offrir à don Pèdre son entremise pour les attirer à son service, ou du moins pour les obliger à quitter celui du comte de Trastamare. Il semblait facile surtout de débaucher les bandes d’Anglais et de Gascons, qui avaient un prétexte spécieux pour abandonner Du Guesclin dans la désapprobation publique que le prince de Galles venait de donner à une expédition dirigée contre un prince ami de l’Angleterre. Il suffisait d’indemniser les capitaines et d’offrir une paie avantageuse aux soldats. Sans argent, nul traité n’était possible avec les chevaliers d’aventure. Don Pèdre, libéral seulement avec ses maîtresses, rejeta les offres du seigneur d’Albret, renouvelées bientôt après, et tout aussi inutilement, par Iñigo Lopez de Orozco, qui vint lui porter des propositions formelles de la part de plusieurs chefs anglais[136]. Cependant les caisses du roi étaient pleines, et c’était alors le seul avantage qu’il eût sur ses ennemis. On a peine à concevoir un tel aveuglement d’un prince qui mesurait cependant toute la grandeur du péril.

L’hiver, en retardant l’ouverture de la campagne, avait retenu les aventuriers sur le territoire aragonais assez long-temps pour que leurs hôtes sentissent cruellement le fardeau de leur présence. Leurs excès furieux attiraient des représailles, et les montagnards belliqueux de l’Aragon et de la Navarre répondaient à leurs pillages en attaquant leurs convois et en massacrant leurs traînards[137]. Il était temps de lancer enfin cette horde détestée sur le pays ennemi.

Au commencement de mars 1366, sir Hugh de Calverly commença le premier les hostilités en attaquant Borja, ville d’Aragon occupée depuis long-temps par les troupes de Castille[138]. A l’approche de l’avant-garde anglaise, la garnison abandonna la place en toute hâte, entraînant dans sa fuite un corps considérable de troupes castillannes cantonnées à Magalon. Après ce facile succès, toute l’armée de don Henri se mit en mouvement ; elle entra sans obstacle en Navarre, y traversa l’Èbre et franchit la frontière de Castille au milieu de mars, non loin d’Alfaro. Sans s’amuser au siége de cette forte place, gardée par Iñigo de Orozco, elle se dirigea rapidement sur Calahorra, ville plus considérable, mais médiocrement fortifiée. Là, les partisans de don Henri s’étaient donné rendez-vous et s’apprêtaient à l’accueillir. Don Fernand de Tovar, l’évêque de Calahorra et quelques autres riches-hommes, chargés par don Pèdre de mettre cette place en état de défense, furent les premiers à en ouvrir les portes aussitôt que parurent les bannières ennemies[139].

Cette première défection était grave ; elle prouvait combien don Pèdre était détesté. C’était à Calahorra que don Henri devait afficher publiquement ses prétentions. La scène était préparée, les rôles appris d’avance. Il s’agissait de donner solennellement la couronne au chef de la grande compagnie. Bertrand Du Guesclin au nom des Français, sir Hugh au nom des Anglais, le comte de Denia, chef des Aragonais auxiliaires, avaient préparé un simulacre d’élection. Pour ces preux chevaliers, la question n’avait rien d’embarrassant ; ils croyaient que le métier d’aventure menait à tout, même au trône. Du Guesclin prit la parole pour ses compagnons. « Soyez roi, dit-il à don Henri ; vous devez faire cet honneur à tant de nobles chevaliers qui vous ont reconnu pour chef dans cette chevauchée. D’ailleurs don Pèdre, votre ennemi, refuse le combat, et par là il reconnaît lui-même que le trône de Castille est vacant[140]. » Cette éloquence toute militaire devait être fort goûtée par les douze mille bandits qui entouraient l’orateur. Du peuple de Castille, il n’en fut point question dans la harangue de Du Guesclin ; il lui suffisait de montrer les aventuriers humiliés de n’être pas commandés par un roi. Malgré des argumens si spécieux, don Henri, avec une feinte modestie, résista assez long-temps pour que les Castillans joignissent leurs instances à celles des capitaines étrangers. Il céda enfin et se laissa ceindre la couronne. Aussitôt don Tello, déployant l’étendard royal, traversa le camp au cri de : Castille ! Castille ! au roi Henri ! Puis, accompagné de bruyantes acclamations, il alla planter la bannière au sommet d’un monticule, sur le chemin de Burgos. Alors chacun s’empressa de demander quelque grace au nouveau roi, comme pour lui donner le plaisir de faire un acte de souveraineté. Il ne refusa personne et se montra libéral à donner ce qu’il fallait gagner à la pointe de la lance. Cette comédie jouée, l’armée se remit en marche et se dirigea sur Burgos à grandes journées sans rencontrer d’obstacles. Les villes n’attendaient pas la sommation des hérauts pour envoyer leurs clés, et de toutes parts arrivaient à l’envi nobles et bourgeois, empressés de baiser la main de leur nouveau maître. C’était à qui viendrait plus vite faire ses offres de service et en solliciter la récompense. Devant Briviesca seulement on s’aperçut de la présence d’un ennemi. Men Rodriguez de Senabria commandait dans la place, autrefois familier de don Henri, maintenant serviteur fidèle de don Pèdre. Il essaya de se défendre ; un combat assez vif s’engagea aux barrières ; mais, le gouverneur avant été renversé et pris par un chevalier gascon, la garnison mit bas les armes avant de soutenir l’assaut[141].


V.

La terreur et la confusion régnaient à la cour de don Pèdre. Elles furent portées au comble lorsqu’on y apprit que Briviesca n’avait pu arrêter un seul jour la marche impétueuse des aventuriers. Malgré le nombre des troupes réunies à Burgos, on voyait bien que le roi n’oserait livrer bataille, encore moins s’enfermer dans une place, alors assez médiocrement fortifiée, pour y subir les hasards d’un siège. Don Pèdre, retiré dans son palais, était inaccessible, ne donnait aucun ordre, et ne faisait rien pour encourager ses partisans encore très nombreux, surtout parmi le peuple et la bourgeoisie. Cependant l’ennemi avançait toujours. Ses coureurs avaient paru à quelques lieues de Burgos ; une seule marche pouvait l’amener devant la ville. La veille du dimanche des Rameaux, un mouvement inaccoutumé se fit remarquer dans le palais, on sellait les chevaux et les mules, on chargeait précipitamment les bagages. Six cents cavaliers maures, gardes ordinaires de don Pèdre, commandés par don Mohamed-el-Cabezani, envoyé du roi de Grenade, étaient en bataille devant les portes. Aussitôt le bruit se répand que le roi va partir. Aucun des magistrats n’était prévenu. Il n’avait instruit de ses desseins aucun des riches-hommes qui étaient venus lui offrir leur épée ; nulle disposition pour la défense de la place, aucune pour la sûreté d’un trésor considérable renfermé dans le donjon. Le roi semblait avoir tout oublié, tout, excepté une vengeance à exercer, une trahison à punir. On venait, par son ordre, de mettre à mort dans l’enceinte du château Juan de Tovar, le frère du gouverneur de Calahorra, qui avait rendu sa ville au prétendant.

Le peuple, rassemblé autour du palais, contemplait dans un muet abattement ces apprêts de départ. À la vue du roi, des cris de désespoir se mêlèrent aux acclamations. Les principaux de la bourgeoisie se jetèrent à ses pieds, et, les larmes aux yeux, le conjurèrent de ne pas les abandonner. — « Nous avons des vivres et des armes, disaient-ils, nous voulons nous défendre. Tout ce que nous possédons au monde, sire, nous vous l’offrons. Mais restez avec vos fidèles sujets. » - D’une voix mal assurée, le roi répondit qu’il les remerciait de leur fidélité. Son départ cependant était nécessaire. Il était instruit que le Comte et la compagnie avaient résolu de marcher sur Séville, et il fallait pourvoir à la sûreté des infantes et du trésor royal. — Quelques bourgeois essayèrent de lui représenter combien il était improbable que don Henri pensât à se diriger sur l’Andalousie. Au contraire, les rapports les plus récens témoignaient qu’il tournait toutes ses forces contre Burgos. Malgré ces observations, le roi demeura inébranlable. Alors les magistrats de la ville lui demandèrent respectueusement quels ordres il leur donnait en les quittant ainsi au moment du péril. — « Faites au mieux que vous pourrez, » répondit-il avec impatience. — « Sire, reprit l’orateur des bourgeois, nous voudrions avoir l’heur de défendre cette ville, qui est vôtre, contre vos ennemis ; mais, puisque vous-même, disposant de tant de bons cavaliers, ne croyez pas pouvoir la défendre, que voulez-vous que nous fassions ? » Don Pèdre gardant le silence, l’alcade reprit : — « S’il arrivait, sire, ce qu’à Dieu ne plaise, que nous nous vissions en telle nécessité que résister fût impossible, veuillez, par avance, nous relever du serment de foi et hommage que nous vous avons prêté. Nous vous le demandons une fois, deux fois, trois fois. » - « J’y consens, » dit le roi. Sur-le-champ un notaire prit acte de cette déclaration. Puis un des trésoriers demanda ce qu’il fallait faire des sommes confiées à sa garde et déposées dans le château. — « Défendez le château, » s’écria le roi sautant à cheval. — « Mais, si la ville est prise, le château ne peut se défendre !… » Sans daigner répondre, le roi piqua des deux, suivi des cavaliers grenadins, les seules troupes à la fidélité desquelles il se fiât encore[142].

Parmi les riches-hommes réunis à Burgos, un bien petit nombre l’accompagna dans sa retraite[143] ; la plupart demeurèrent dans la ville ou aux environs pour attendre l’événement, ou plutôt s’occupèrent dès-lors de traiter avec don Henri aux conditions les plus avantageuses. En voyant le roi s’abandonner lui-même, le découragement s’était emparé de ses plus fidèles serviteurs. Les commandans des places situées en avant de Burgos croyaient faire preuve de dévouement en abandonnant leurs remparts pour suivre leur maître dans sa fuite ; mais le plus grand nombre se déclarait pour le vainqueur. Tous les ponts-levis s’abaissaient devant la bannière de Castille portée par les aventuriers, et il avait suffi au prétendant de se montrer pour enlever au roi légitime la moitié de ses états.

Au moment où don Henri passait la frontière, don Pèdre avait dépêché des courriers à tous les gouverneurs des places conquises en Aragon, et surtout dans le royaume de Valence, avec ordre de les évacuer au plus vite, de brûler les maisons, de démanteler les fortifications s’ils le pouvaient, et de le rejoindre avec tous leurs soldats. Le rendez-vous qu’il leur assigna était Tolède ; car il conservait encore l’espoir d’arrêter l’ennemi aux passages des montagnes qui divisent les deux Castilles. Autant que l’on peut juger de son plan aujourd’hui, il se flattait qu’en cédant du terrain à son adversaire, en l’attirant pour ainsi dire au cœur de ses états, il pourrait le détruire par cette guerre de chicane qui lui était familière, et il comptait sur l’intempérie du climat, la fatigue et la misère, pour dégoûter les aventuriers et priver don Henri de ses principales forces. Telle a été souvent la tactique des généraux espagnols, toujours couronnée de succès, lorsque le peuple s’est déclaré contre les envahisseurs. Mais la cause de don Pèdre n’était pas soutenue par l’opinion nationale, et il ne tarda pas à reconnaître qu’il ne devait plus compter sur ses sujets. En recevant ses lettres, quelques-uns de ses capitaines, il est vrai, gagnèrent à la hâte la Castille neuve ou se replièrent sur le royaume de Murcie ; mais la plupart, croyant que tout était perdu pour don Pèdre, se dispersèrent après avoir vendu au roi d’Aragon les places qu’ils avaient ordre de démanteler[144].

Dès que don Pèdre eut quitté Burgos, les bourgeois, déjà découragés et témoins des mauvaises dispositions des riches-hommes demeurés dans leurs murs, pensèrent à leur salut et ne balancèrent plus à envoyer une députation à don Henri. Les lettres de créance remises par le conseil de la commune à ses mandataires étaient adressées au comte de Trastamare ; mais elles leur enjoignaient de le reconnaître comme roi, dès qu’il aurait juré de garder les libertés et les privilèges de la ville. Dans cette rapide révolution, nobles et bourgeois ne songeaient qu’à leurs intérêts ; chacun cherchait à obtenir du nouveau maître quelque faveur particulière. Au lieu de conquérir son royaume, don Henri allait l’acheter. Il jura de maintenir les antiques franchises de Burgos, promit même, dit-on, d’exempter la ville de tout impôt[145] ; et immédiatement après les portes s’ouvrirent pour son entrée triomphale. Dès le lendemain, il s’y fit couronner en grande pompe dans l’église du monastère de las Huelgas. À cette cérémonie assistèrent beaucoup de riches-hommes et des députations de plusieurs grandes villes de la Castille, car la fuite précipitée de don Pèdre semblait à toute l’Espagne un aveu de son impuissance, et, comme l’avait dit Du Guesclin, une abdication de sa souveraineté. Les premiers actes du prétendant furent des graces accordées aux hommes qui de capitaine d’aventure l’avaient fait roi. L’argent qu’il trouva dans le château de Burgos, et que le trésorier de don Pèdre s’empressa de lui remettre, une contribution extraordinaire imposée aux Juifs de la ville, servirent à payer la solde de ses mercenaires étrangers et mainte défection subalterne. Des titres de noblesse, des concessions de terres, des fiefs royaux furent distribués avec une libéralité inouie jusqu’alors aux principaux de ses compagnons d’armes et particulièrement aux chefs de la grande compagnie. A Bertrand Du Guesclin il donna le comté de Trastamare, et, il y ajouta la riche seigneurie de Molina avec d’immenses domaines. Sir Hugh de Calverly reçut le titre de comte de Carrion et l’apanage, considérable qui en dépendait. Le comte de Denia, chef des auxiliaires aragonais, que don Henri pendant son exil avait nommé son frère d’armes, ne fut point oublié ; il devint marquis de Villena et obtint en partage tous les biens qui avaient composé la dot de la comtesse de Trastamare. Devenu roi, don Henri ne voulait rien garder de sa fortune privée. Don Tello reprit le titre de seigneur de Biscaïe, et eut encore l’investiture de la seigneurie de Castafeda. Don Sanche, son frère, ne fut pas moins bien traité, et sa part fut l’immense héritage du fameux don Juan d’Alburquerque, qui, depuis la mort de son fils, avait été dévolu à la couronne. Anciens serviteurs, compagnons d’exil, transfuges ou adversaires ralliés se disputaient le riche butin donné par la victoire. Il semblait que don Pèdre n’eût grossi le domaine royal que pour fournir aux prodigalités de son ennemi. Pour la première fois en Castille, les titres de comte et de marquis, jusqu’alors réservés aux membres de la famille royale, furent donnés à des riches-hommes ou même à des capitaines étrangers[146]. Telle fut la générosité ou plutôt la profusion du nouveau roi, qu’elle donna lieu à une expression proverbiale long-temps usitée en Espagne. Faveurs de Henri, ainsi appela-t-on désormais les graces obtenues avant d’avoir été méritées[147].


VI.

Pendant que don Henri se faisait couronner à Burgos, don Pèdre entrait en fugitif dans Tolède et s’y arrêtait quelques jours comme étonné de n’être pas poursuivi ; mais les nouvelles qu’il recevait de tous les côtés ne faisaient qu’accroître son abattement. Malgré la jonction de quelques troupes arrivées du royaume de Valence, il se sentait moins que jamais en état de tenter la fortune des armes. Un reste de terreur qu’il inspirait encore avait bien pu lui rallier plusieurs milliers de soldats, mais il ne se dissimulait pas que son prestige était perdu et qu’il ne pouvait plus se faire obéir. Tolède n’étant pas, à ses yeux, un asile plus sûr que Burgos, il se disposa à l’abandonner bientôt pour gagner l’Andalousie. Après avoir exhorté les habitans à se défendre avec courage, il leur laissa pour gouverneur Garci Alvarez, maître de Saint-Jacques, avec quelque six cents hommes d’armes ; puis il courut à Séville, conservant à peine l’espoir de prolonger la lutte dans un pays qu’il aimait et sur lequel, plus qu’en aucune autre de ses provinces, s’étaient répandues ses faveurs. Au lieu de se faire suivre par les troupes aguerries revenues du royaume de Valence, il les distribua fort imprudemment dans quelques villes de la Castille neuve, sous le commandement de seigneurs qu’il croyait encore attachés à sa personne, et ne garda auprès de lui qu’un petit nombre de riches-hommes qui, possédant des domaines en Andalousie, pouvaient y exercer une influence utile à sa cause. Ceux qu’il laissait en arrière attendirent à peine qu’il fût éloigné pour faire leur soumission au vainqueur. Ni le souvenir de ses bienfaits, ni la crainte de ses vengeances, n’arrêtaient plus personne. Les hommes qui s’étaient toujours montrés les ministres dociles de son despotisme cherchèrent à faire oublier leurs viles complaisances par un empressement encore plus lâche à s’humilier devant le prince qu’ils avaient si long-temps persécuté. Iñigo de Orozco, chargé de défendre Guadalajara, courut en porter les clés à Burgos. Le maître de Calatrava, don Diego de Padilla, le frère de celle que don Pèdre avait déclarée reine, ne fut pas un des derniers à venir baiser la main qui déshéritait d’un trône les filles de sa sœur[148]. Garci Alvarez, un peu moins empressé que les autres, fit mine de vouloir résister dans Tolède, mais seulement le temps nécessaire pour se faire acheter sa défection. Il était maître de Saint-Jacques par la volonté de don Pèdre, depuis la mort de don Fadrique, et Gonzalo Mexia, vieux serviteur de don Henri, émigré depuis les premiers troubles, avait pris le même titre de son côté et avait été reconnu en qualité de Maître par les chevaliers de l’ordre, exilés comme lui. Entre ces deux rivaux à la maîtrise de Saint-Jacques, le choix de don Henri ne pouvait être douteux. Garci Alvarez, voyant l’Alcazar et le pont d’Alcantara au pouvoir des bourgeois insurgés, se trouva heureux d’obtenir, en échange de sa renonciation, deux domaines considérables et une grosse somme d’argent[149]. À ce prix il vendit Tolède, ou plutôt la partie de la ville que ses troupes occupaient encore. Don Henri y fut reçu aux acclamations du peuple excité par le clergé et la noblesse, sur lesquels avait durement pesé le despotisme de don Pèdre. Pendant quinze jours il tint sa cour à Tolède, recevant les hommages et les soumissions des villes qui de toutes parts lui envoyaient leurs députés. Les procurateurs de Cuenca, d’Avila, de Madrid, de Talavera, vinrent prêter le serment de fidélité entre ses mains et reçurent en échange la confirmation de leurs privilèges, peut-être même des franchises nouvelles. Henri n’avait pas oublié la conduite des Juifs de Tolède, qui, quelques années auparavant, avaient puissamment contribué à l’expulser de leurs murs. De même qu’à Burgos, une forte amende punit leur attachement à la cause de don Pèdre. La Juiverie de Tolède fut contrainte de payer la solde des aventuriers, et cette contribution arbitraire fut exigée avec la dernière rigueur[150]. Ces avanies étaient agréables au peuple castillan et surtout au clergé. Les ecclésiastiques, maltraités par don Pèdre, saisissaient avec empressement l’occasion de se venger et animaient le bas peuple à se soulever contre un prince que le ciel abandonnait. D’un côté, le roi légitime fuyant entouré de génétaires musulmans, de l’autre, l’usurpateur rançonnant les Juifs, il n’en fallait pas davantage pour établir dans l’esprit de la populace l’impiété de l’un et la foi fervente de l’autre.

Arrivé à Séville, don Pèdre n’y trouva que le découragement et les symptômes de mutinerie qu’il avait observés sur toute sa route. Les Andalous, dont les campagnes avaient été souvent ravagées par les Maures, ne voyaient pas sans une extrême inquiétude les préparatifs du roi de Grenade pour secourir son allié. On avait entendu don Pèdre s’écrier, dans un moment de colère, que, s’il était trahi par ses sujets, il pouvait au moins compter sur la fidélité du roi Mohamed, qui lui devait sa couronne. Ces paroles imprudentes étaient commentées avec malveillance par les prêtres et par les émissaires du prétendant. Ils publiaient que don Pèdre attendait une puissante armée de Grenade, et qu’il allait remettre entre les mains des Maures les principales villes de l’Andalousie. Quelques-uns ajoutaient qu’il avait promis à son allié Mohamed d’abjurer la foi chrétienne, et que, comme le comte Julien, il allait sacrifier à sa vengeance sa religion et sa patrie. La populace accueillit ces rumeurs absurdes qui, chaque jour, devenaient plus menaçantes. Des attroupemens séditieux se formaient dans les rues voisines de l’Alcazar, et y bloquaient en quelque sorte le malheureux roi. Bientôt il en vint à douter qu’il pût s’y maintenir avec le petit nombre de soldats qui lui restaient fidèles. Dans cette extrémité, après avoir pris conseil du maître d’Alcantara, Martin Lopez, de Mateo Fernandez, son chancelier, et de Martin Yanez, son trésorier, il se détermina à quitter Séville pour aller implorer le secours du roi de Portugal, son oncle et son ancien allié.

Avant les derniers revers de don Pèdre, l’union la plus intime régnait entre les deux princes, et ils avaient résolu de la resserrer encore par un mariage entre leurs enfans. Doña Beatriz, fille aînée de Marie de Padilla, héritière présomptive de la couronne de Castille, devait épouser don Fernand, fils aîné du roi de Portugal ; mais l’âge de la princesse n’avait pas permis que le mariage fût encore célébré. Toutefois don Pèdre, confiant dans la parole de son allié, aussitôt après son arrivée à Séville, s’était empressé d’envoyer sa fille en Portugal, avec la dot stipulée au traité d’alliance, et de plus une somme d’argent considérable, ainsi que quantité de pierreries qui avaient appartenu à Marie de Padilla. Peu de jours après, ayant fait venir à Séville tout l’or et l’argent monnayé qu’il gardait dans le château d’Almodovar del Rio, il le fit embarquer sur une galère, et chargea Martin Yanez de se rendre avec ce trésor à Tavira, en Portugal, pour y attendre de nouveaux ordres. Quant à lui, renfermé dans l’Alcazar, et presque assiégé par ses sujets, il suivait avec anxiété les mouvemens de don Henri, hésitant encore à quitter son royaume. La révolte éclatant vint abréger ses incertitudes. La populace ameutée se porta en masse contre l’Alcazar pour lui donner l’assaut ; elle s’était déjà emparée de l’arsenal et des galères. Il n’y avait pas un moment à perdre. Le roi, montant à cheval, sortit presque furtivement de Séville avec les deux infantes Constance et Isabelle, et une fille naturelle de don Henri, qu’il gardait auprès de lui comme un otage depuis plusieurs années. Il était suivi du maître d’Alcantara, Martin Lopez, de son chancelier et de quelques chevaliers de sa maison. On dit que, malgré sa triste opinion de l’inconstance des hommes, il ne put s’empêcher de témoigner amèrement sa surprise en voyant le petit nombre de serviteurs qui s’associaient à sa fortune. Il eût été imprudent d’ailleurs d’attendre plus long-temps les amis fidèles qu’il pouvait laisser en arrière ; car à peine était-il sorti de l’Alcazar, que la populace enfonça les portes et mit tout au pillage[151]. Pendant qu’il s’éloignait à la hâte, son amiral, le Génois Boccanegra, descendait le Guadalquivir avec quelques galères, et cinglait vers les côtes de Portugal. Il venait de quitter le royaume de Valence sur l’ordre du roi, et, l’ayant rejoint à Tolède, il l’avait accompagné jusqu’à Séville. Là finit son dévouement. Maintenant il voulait se concilier les bonnes graces du maître que l’on attendait, et, pour première preuve de son nouveau zèle, il se mit à la poursuite du vaisseau qui portait Martin Yanez et le trésor de don Pèdre. Il l’atteignit dans les eaux de Tavira, et le captura sans peine ; peut-être, comme on le soupçonna depuis, Yanez était-il d’accord avec le Génois pour se laisser prendre[152].

Malgré ses inquiétudes sur le sort du navire chargé de ses dernières ressources, don Pèdre, au lieu de gagner Tariva, ne chercha qu’à se rapprocher au plus vite du roi de Portugal, qui se trouvait alors au château de Vallada, près de Santarem. Il ne tarda pas à connaître l’accueil qui l’attendait sur la terre étrangère. A Coruche, sur la rive gauche de la Guadiana, il rencontra sa fille doña Beatriz, que lui renvoyait ignominieusement cet allié dans lequel il mettait toute son espérance. Sans prendre la peine de colorer son manque de foi, le roi de Portugal faisait reconduire la jeune princesse hors de ses états avec cette réponse : « Que l’infant don Fernand ne voulait plus l’épouser[153]. » Presque en même temps un seigneur portugais vint lui signifier, de la part de son maître, qu’on ne pouvait le recevoir à Santarem, ni lui donner un asile en Portugal. On dit que don Pèdre écouta ce message d’un air sombre, sans répondre une parole. Puis, demeuré seul avec un des chevaliers de sa suite, il fouilla dans son escarcelle, en retira quelques pièces d’or, et les jeta par-dessus le toit de la maison où il s’était arrêté. Surpris de cette action, le chevalier lui représenta qu’il ferait mieux de donner cet or à quelqu’un de ses serviteurs, au lieu de le semer ainsi sur cette terre inhospitalière : — « Oui, je sème, dit le roi avec un sourire farouche, mais un jour je viendrai récolter. » Le chevalier se tut et le laissa à ses rêves de vengeance[154].

Repoussé du Portugal, don Pèdre essaya de rentrer en Castille et s’approcha de la ville d’Alburquerque, mais on lui en ferma les portes, et il eut la douleur de voir la moitié de sa petite troupe l’abandonner pour se joindre à la garnison rebelle. Force lui fut de repasser encore une fois la frontière, et, vaincu par la nécessité, il s’humilia jusqu’à faire demander au roi de Portugal un sauf-conduit et une escorte pour traverser ses états et se rendre en Galice. Là, du moins, il espérait trouver un ami fidèle, don Fernand de Castro, qui commandait en maître dans cette province.

Le roi de Portugal lui dépêcha aussitôt le comte de Barselòs et don Alvar, son favori, frère de la fameuse Inès de Castro ; mais déjà les égards dus au malheur semblaient une contrainte pénible envers un prince si manifestement trahi par la fortune. Les deux chevaliers déclarèrent au fugitif qu’ils s’exposeraient à la colère de l’infant, fils de leur maître, s’ils l’accompagnaient suivant leurs instructions. Cependant une somme de 6,000 doubles avec le présent de deux épées magnifiques et de ceintures d’argent richement travaillées[155] les détermina à le conduire jusqu’à Lamego. Là, en se séparant du roi, ils exigèrent qu’il leur remît la jeune Léonor, fille de don Henri, que le roi de Portugal voulait rendre à son père, pour lui faire oublier la protection dérisoire qu’il avait accordée un instant au roi fugitif[156].

Une légende romanesque s’attache à cette jeune fille. On l’appelait Léonor-des-Lions. Quelques années auparavant, s’il faut ajouter foi au témoignage d’un vieux chroniqueur, don Pèdre l’avait fait jeter toute nue dans une fosse où il gardait des lions affamés. Ces animaux, moins féroces que lui, respectèrent l’innocente enfant et ne lui firent aucun mal. La leçon de générosité que lui donnaient les lions ne fut point perdue pour don Pèdre. Il avait fait élever Léonor avec soin, et la gardait moins comme une prisonnière que comme la compagne de ses filles[157].

Réduit à une escorte d’environ deux cents cavaliers, le roi traversa rapidement et non sans danger la province portugaise de Tras-os-Montes, et toucha de nouveau le territoire castillan à Monterey, petite ville de Galice située sur l’extrême frontière. Celui qui naguère commandait en maître absolu à toute la Castille, qui, par ses armées, occupait les plus belles provinces de l’Aragon, après avoir, en moins de deux mois, perdu ses conquêtes et ses états héréditaires, rentrait aujourd’hui furtivement dans son royaume, traînant sur des chevaux épuisés ses trois filles, exténuées par les veilles et les fatigues ; il tremblait que chaque défilé, chaque hameau, ne recélât une embuscade ou une trahison. Après ces deux mois d’angoisses continuelles, de déceptions amères, de souffrances morales et physiques de toute espèce, ce dut être pour don Pèdre un moment de bonheur que celui où quelques voix loyales saluèrent son retour en Castille. A Monterey, il trouva des cavaliers envoyés par don Fernand de Castro, pour lui annoncer que ce seigneurs était en marche avec des forces considérables pour le joindre. Des lettres de Zamora l’informaient encore que, bien que la ville fût soulevée, le château demeurait fidèle, et son gouverneur, Juan Gascon, promettait de réduire les rebelles dès qu’il recevrait quelques renforts[158]. La poursuite de don Henri avait été si rapide, que les gouverneurs attachés à don Pèdre avaient pu contenir l’insurrection partout où la présence de l’usurpateur et des aventuriers ne lui avait pas prêté des forces irrésistibles. Astorga, Soria, Logroño, tenaient encore pour le roi légitime et semblaient résolues à se défendre vigoureusement.


VII.

A peine sur le sol de Castille, le premier soin de don Pèdre fut d’écrire au prince de Galles et au roi de Navarre pour leur rappeler ses traités et leur demander des secours. Bientôt don Fernand de Castro accourut à Monterey, et lui présenta les principaux des riches-hommes galiciens, tous pleins d’ardeur et de résolution. Ils amenaient leurs vassaux en armes, cinq cents cavaliers et deux mille fantassins. Avec cette petite armée, protégée par les âpres montagnes de la Galice, que jamais cheval de Castille n’a franchies impunément[159], on pouvait attendre avec sécurité la réponse du prince anglais et du roi de Navarre. Fernand de Castro, le maître d’Alcantara et quelques-uns des plus dévoués serviteurs du roi opinaient pour reprendre immédiatement l’offensive. Rien de plus facile, suivant eux, que de pénétrer dans le château de Zamora, qui avait une porte donnant sur la campagne. Une sortie vigoureuse les rendrait maîtres de la ville, et de là on se porterait sur Logroño. Don Fernand ne doutait pas que la présence de don Pèdre ne ranimât aussitôt ses partisans et qu’il ne réussît à rétablir son autorité dans des provinces que le prétendant avait traversées à la course plutôt qu’il ne les avait soumises. Mais, d’un autre côté, Mateo Fernandez, chancelier du sceau privé, et quelques autres, confidens comme lui des plus secrètes pensées de leur maître, remontraient qu’il était dangereux d’exposer la personne du roi, par un coup de désespoir, aux dangers d’une trahison nouvelle. A les entendre, les dispositions de la Galice étaient incertaines, et l’on parviendrait difficilement à conduire hors de leur pays les montagnards armés par don Fernand. Le plus sûr moyen de s’assurer la victoire, c’était d’obtenir l’appui du prince de Galles et de presser l’exécution du traité d’alliance offensive et défensive conclu deux années auparavant. Le caractère loyal et les sentimens chevaleresques du prince ne permettaient pas de douter qu’il ne s’empressât de voler au secours de son allié. Avec l’épée du plus grand capitaine de son siècle, le roi rentrerait dans son royaume et disperserait en un instant tous ses ennemis. Tels furent les conseils de Fernandez, telles étaient probablement les intentions de don Pèdre. A sa méfiance naturelle, au découragement, suite inévitable de ses revers, se joignaient de vives inquiétudes pour la sûreté de ses trois filles, compagnes de sa fuite. Il ne se sentait plus le courage de braver de nouveaux dangers avec elles. La réponse qu’il reçut du roi de Navarre acheva de le décider. Charles-le-Mauvais hésitait encore entre les deux frères ; mais, à travers les promesses vagues qu’il faisait au roi vaincu, il était facile de voir qu’il allait se déclarer pour le vainqueur.

La Navarre demeurant neutre, ou plutôt suspecte de partialité pour don Henri, c’eût été le comble de l’imprudence que de s’appuyer à ses frontières pour recommencer les hostilités dans le nord de la Castille. Il fut résolu que le roi s’embarquerait à la Corogne et qu’il se rendrait auprès du prince de Galles, à Bordeaux. Pendant qu’il négocierait pour l’entrée d’une armée anglaise en Espagne, don Fernand de Castro, avec le titre d’adelantade des royaumes de Galice et de Léon, devait réchauffer le zèle des provinces du nord et soutenir la guerre contre l’usurpateur. Avant de s’éloigner, le roi récompensa sa fidélité en lui donnant le titre de comte de Lemos.

Quittant Monterey après un séjour de trois semaines, don Pèdre se dirigea vers Saint-Jacques de Compostelle. Les fêtes de la Saint-Jean y attiraient en ce moment une foule de pèlerins de toutes les parties de la Péninsule, et c’était le lieu le plus propre pour y recueillir des renseignemens exacts sur l’état des esprits et la situation des différentes provinces. L’archevêque de Saint-Jacques, don Suero, natif de Tolède et apparenté aux plus illustres familles de cette ville, vint au-devant de don Pèdre avec une suite de deux cents cavaliers. Il fut reçu froidement. Il est vrai qu’il semblait se présenter à contre-cœur, et la sincérité de ses offres pouvait d’autant plus facilement être mise en doute, que tous ses parens, à Tolède, s’étaient déclarés pour don Henri, et que leur défection avait entraîné celle de leurs concitoyens. La vue de don Suero parut rappeler au roi la perte de la plus importante ville de son royaume. L’entrevue, gênée par la contrainte, fut courte. Après avoir présidé à la célébration de la fête, l’archevêque alla coucher à son château de la Rocha, probablement parce qu’il avait cédé au roi son palais dans la ville. Le lendemain, après l’heure de la sieste, il fut mandé par don Pèdre. Aussitôt il se rendit à Saint-Jacques avec une suite peu nombreuse, composée presque exclusivement d’ecclésiastiques. Arrivé dans la ville et sur la place de la cathédrale, il aperçut le roi se promenant sur une des terrasses de l’église. En ce moment un écuyer galicien, nommé Fernand Perez Churrichao, bien monté, la lance au poing, suivi de quelques cavaliers, parut derrière le prélat dont il avait l’air de grossir l’escorte. Tout à coup, lorsque l’archevêque mettait pied à terre sur le parvis même de la cathédrale, Churrichao et ses compagnons fondirent sur lui, et, en un clin d’œil, dispersèrent son escorte. Du haut de la terrasse, don Pèdre leur criait de ne pas tuer l’archevêque. Celui-ci et un chanoine qui l’accompagnait se jetèrent dans l’église, espérant y trouver un asile ; mais les assassins les y suivirent l’épée haute et les percèrent de mille coups au pied même de l’autel. Assurés que leurs victimes avaient cessé de vivre, ils remontèrent à cheval, traversèrent toute la ville sans obstacle et gagnèrent la campagne[160].

On ne manqua pas d’attribuer à don Pèdre la mort de don Suero, et bien des présomptions se réunissaient pour l’en rendre responsable. Devant ses familiers, il avait laissé voir sa haine contre le prélat et l’avait accusé de complicité avec les rebelles de Tolède. En outre, au moment même où l’archevêque était massacré au milieu du chœur, le père de Churrichao se trouvait auprès du roi, comme s’il fût venu garantir la fidélité de son fils à exécuter une vengeance commandée. Enfin le séquestre mis aussitôt sur tous les biens du prélat, ses forteresses données à don Fernand de Castro, cet empressement à recueillir les fruits du crime, ne semblaient-ils pas en désigner clairement le véritable auteur ? Toutefois Ayala, dont j’emprunte ces détails, rapporte que dans la suite don Pèdre nia constamment toute participation à ce forfait[161]. Cette assurance est grave de la part d’un prince qui se croyait un droit absolu sur la vie de ses sujets, et qui, loin de désavouer ses actes les plus cruels, exprima souvent le regret d’avoir épargné quelques-uns de ses ennemis. Peut-être la mort de don Suero ne futelle que le résultat d’une vengeance particulière. Il est probable que le roi avait ordonné qu’on s’assurât de sa personne, mais non qu’on l’assassinât. Dans les temps d’anarchie et de révolution, les haines privées se déguisent souvent sous le nom d’attentats politiques, et il ne serait point extraordinaire que Churrichao eût outrepassé ses ordres, si toutefois il en avait reçu. Au reste, cette sanglante exécution fit perdre au roi plusieurs de ses partisans les plus dévoués. Alvar de Castro, frère de don Fernand, se rendait à Saint-Jacques pour offrir ses services, lorsqu’il apprit le meurtre du prélat. Sur-le-champ il rebroussa chemin, s’enferma dans son château et se déclara pour don Henri. Son exemple fut imité par plusieurs riches-hommes galiciens[162].

Parvenu à la Corogne, don Pèdre y trouva un envoyé du prince de Galles, qui l’engageait à se rendre en Angleterre auprès du roi Édouard IV, lui promettant d’avance l’accueil le plus favorable. Sur cette assurance, il s’embarqua aussitôt avec ses trois filles et ce qu’il avait pu sauver d’or et de joyaux. Il lui restait encore environ trente mille doubles et des pierreries pour une valeur très considérable.


P. MÉRIMÉE.

  1. Ayala, p. 324. — Id., p. 331.
  2. Marmol. Descrip. de la Africa, lib. II, p. 214.
  3. Ayala, p. 332. — Suivant les historiens arabes, Mohamed ne voulut prendre lui-même aucune part à cette guerre, et demeura à Ronda dans l’inaction, attendant que le repentir de ses sujets lui rendît sa couronne. Conde. Hist. de les Arabes, Ire partie, cap. XXV.
  4. Ayala, p. 337.
  5. Ayala, p. 337, condamne cette superstition : lo qual daña mucho en tales fechos desque los omes toman rescelo é miedo en las voluntades.
  6. Près de Purullena, suivant Suarez. Hist. del obispado de Guadix, p. 141.
  7. Ayala, p. 336 et suiv. — Rades. Chron. de Calatrava, 57. — Suarez, Hist. de Guadix, p. 141.
  8. C’est, je crois, l’orthographe anglaise de son nom. Il est écrit Caurely ou Carbolay dans les manuscrits d’Ayala, Cavirley dans les registres des Archives d’Aragon, Caurelée dans Froissart.
  9. Arch. gen. de Ar. Lettre de Pierre IV à don Pèdre. Barcelone, 3 sept. 1361. Registre 1391, p. 74.
  10. Arch. gen. de Ar. Lettre de Pierre IV à don Pèdre. Barcelone, 25 octobre 1361. Même registre, p. 76.
  11. Zurita, t. II, p. 309.
  12. Rades. Cron. de Calat., p. 57.
  13. Ayala, p. 341.
  14. Ayala, p. 339 et suiv. — Conde. Hist. de los Ar., 4e partie, cap. XXV.
  15. Ayala, p. 345.
  16. Ayala, p. 328, Abrev. La Vulgaire porte Medina Sidonia, plusieurs manuscrits Médina de la Frontera. La ville de Jerez est désignée dans quelques auteurs par le nom arabe de Medina ; de là peut-être la confusion des deux noms. Le tombeau de Blanche existait autrefois à Jerez de la Frontera.
  17. Rainaldi. An. eccl., t. XXV.
  18. Ayala, p. 328 et suiv. — Romances del rey don Pedro.
  19. J’ai trouvé dans les archives d’Aragon deux pièces réunies sous le même titre Super matrimonio, reg. 1394 Pacium et Treugarum, p. 87 et suiv. La première est une procuration passée à Bernal de Cabrera par Pierre IV, pour conclure le mariage de l’infante Jeanne, sa fille, avec le roi de Castille, et régler les intérêts de la jeune princesse. Cette procuration est datée de Barcelone, 17 décembre 1361. La seconde pièce, datée du 19 décembre, est la procuration de l’infante elle-même à Bernal de Cabrera, laquelle, confessant être âgée de plus de quatorze ans et de moins de vingt, renonce, suivant l’usage, au bénéfice d’exciper de sa minorité, et autorise son fondé de pouvoir à stipuler ses conventions matrimoniales. On doit conclure que, pour que le roi d’Aragon et sa fille signassent de pareils actes, la négociation devait être très avancée au milieu de décembre 1361. En effet, le préambule de la procuration du roi porte : Attendentes quod inter nos et illustrera Petrum regem Castelle tractatur de matrimonio contrahendo inter ipsum regem et inclytam infantissam Iohannam filiam nostram carissimam. Cfr. Zurita, t. II, p. 308.
  20. L’inscription tracée sur son tombeau à Jerez, assez long-temps après sa mort il est vrai, confirme cette opinion de sainteté.
    CHRISTO. OPTIMO. MAXIMO. SACRVM
    DIVA. BLANCA. HISPANIARVM. REGINA.
    PATRE. BORBONEO. EX. INCLYTA. FRANCO
    RVM. REGVM. PROSAPIA. MORIBVS. ET
    CORPORE. VENVSTISSIMA. FUIT. SED. PRAE
    VALENTE. PELLICE. OCCVBVIT. IVSSV
    PETRI. MARITI. CRVDELIS. ANNO SALVTIS
    MCCCLXI. AETATIS. VERO. SVAE. XXV
    Rapportée par M. Llaguno, ad Ayal., p. 328, note 3.
  21. Ayala, p. 329.
  22. Zuñiga. Anal. eccl. de Sev. t. II, p. 162.
  23. Ayala, p. 350.
  24. Apologia del rey don Pedro, por et licenciado don Jose Ledo ciel Pozo, lib. IV, cap. I.
  25. J’ai cherché inutilement l’explication de ce nom de compagnie blanche qu’on trouve dans Ayala, p. 351, et dans d’autres auteurs. On peut choisir parmi les hypothèses suivantes. — Peut-être les aventuriers avaient-ils une espèce d’uniforme, des soubrevestes blanches, par exemple, pour les distinguer des autres hommes d’armes, qui portaient le blason de leurs rois ou de leurs seigneurs. — Je proposerai une seconde explication qui me semble préférable. On appelait alors armes blanches les armes en plaques de fer forgé par opposition aux hauberts de mailles qui commençaient à disparaître. Armé à blanc ou bardé de plaques de fer étaient mots synonymes. Je pense que les aventuriers, en général mieux équipés que les milices féodales, ont pu tirer le nom de compagnie blanche de leurs armures, nouvelles encore, surtout en Espagne. Cuvelier, auteur de la chronique en vers de Du Guesclin, fournit une troisième explication : c’est que les aventuriers portaient des croix blanches.
    Il ni avoit en l’ost chevalier ne garçon
    Qui ne portast la croix blanche comme coton,
    Et la blanche compaigne pourtant l’appeloit-on.
    v. 7982.
    Mais, suivant Cuvelier, les aventuriers ne prirent la croix qu’en 1365, lorsqu’ils furent réunis sous le commandement de Du Guesclin, et l’on voit par la chronique d’Ayala que le nom de compagnie blanche existait auparavant.
  26. Carbonell, p. 189. — Nos per contrastar llur entrada, fem convocar do usatge. — PRINCEPS NAMQUE. — À cette occasion, don Pèdre écrivit au roi d’Aragon pour lui exprimer son regret de ne pouvoir, à cause de la guerre de Grenade, l’aider à repousser ces mauvaises compagnies qui désolaient ses frontières ; mais, s’il est nécessaire, ajoutait-il, « j’irai volontiers en personne chasser avec vous ces pillards. » Séville, 24. septembre 1361. Arch. gen. de Ar., reg. 1394, p. 75.
  27. Don José Yanguas y Miranda. Diccionario de Antigñedades de Navarra, t. III, p. 99. Le traité fut fait à Estella, entre les plénipotentiaires des deux rois, le 22 mai 1362, et ratifié par don Pèdre à Carascosa, le 2 juin suivant.
  28. Ayala, p. 353 et suiv.
  29. Le 14 juin 1362. Don J. Yanguas. Ant, de Nav., t. III, p. 100.
  30. Zurita, t. II, p. 312.
  31. Zurita, t. II, p. 312.
  32. Ayala, p. 356.
  33. Don J. Yanguas. Ant. de Nav., t. III, p. 100.
  34. Zurita, t. II, p. 311. — Le roi de Portugal ne vint pas en personne, mais il envoya quelques troupes auxiliaires à son allié le roi de Castille.
  35. Ayala, p. 356-362. — Zurita, t. II, p. 3. -Villani, autorité très suspecte, prétend, lib. X, cap. XCVIII, que don Pèdre fit tuer six mille habitans de Calatayud.
  36. Ayala, p. 363.
  37. Selon certain traité, sur ce fait de nouvel, par nous et par noble et puissant homme, messire Arnould d’Audeneham, chevalier maréchal de France, avecque les gens des compaignies estant à présent au dit royaume, nous mettrons à tout notre pouvoir, sans fraude et sans mauvais engin, hors du dit royaume de France, sans jamais y retourner pour faire la guerre, les gens des dites compaignies, c’est à savoir toutes celles avecque lesquelles le dit traictié a été fait par nous et par le dit maréchal ; item que nous mettrons tout notre povoir à enmener avec nous hors du dit royaume l’Arceprestre (Arnaud de Cervole) et aussi à mettre hors du dit royaume tous les gens du dit Arceprestre, etc. Paris, 13 août 1362. Archives du royaume, section historique, carton J. 603-58. Voyez aussi dom Vaissette. Hist. du Lang., t. II, p. 316.
  38. Le roi de France ne s’était engagé à lui donner qu’une solde de 10,000 livres par an, encore n’était-ce pas de l’argent comptant qu’on lui fournissait, mais on lui cédait des terres dont le revenu était censé équivaloir à 10,000 livres. Voir le traité déjà cité.
  39. Arch. gen. de Ar. Legajo de Autografos. Appendice.
  40. Zurita, t. II, p. 321.
  41. Rymer, t. III, 2e partie, p. 73. — Ayala, p. 364.
  42. Cfr. Ayala, p. 366. — Zurita, t. II, p. 318. — Abarca, An. de Ar., attribue la prise de Cariñena à la mésintelligence entre l’infant don Fernand et don Henri, qui refusèrent de réunir leurs forces pour secourir la place.
  43. Mari au lieu de Maria, Alfon au lieu de Aldonza.
  44. V. § XII. — V.
  45. Testamento del rey don Pedro. Cronica de Ayala. Ed. Llaguno, p. 558 et suivantes.
  46. Ayala, p. 366. — Ayala n’a point fait connaître les noms des seigneurs proscrits par don Pèdre ; on ignore quels ont été les motifs de cette réticence. Il est certain qu’il n’était pas lui-même compris dans cette liste, bien que quelques auteurs modernes l’aient avancé.
  47. Entre autres celle de Salvatierra, partido de Cinco Villas, diocèse de Pampelune. Yanguas, Ant. De Nav., t. III, p. 100.
  48. Cascales, Hist. de Murcia, p. 107.
  49. Ayala, p. 369. — Zurita, t. II, p. 319.
  50. Zurita. ibid. — Arch. gen. de Ar., reg. 1293 Secr., p. 127.
  51. Ayala, p. 372. — Zurita, t. II, p. 320. — Selon Ayala, c’est l’infante Beatriz, fille aînée de don Pèdre, qui devait se marier avec l’infant don Alonso, dernier fils de Pierre IV, et âgé alors d’un an seulement. C’est une erreur évidente.
  52. Ayala, p, 372. — Zurita, t. II, p. 321.
  53. Ayala, p. 373. — Zurita admet l’existence de ce traité secret.
  54. Ayala, p. 373.
  55. Cancales, Hist. de Murcia, p. 137.
  56. Zurita, p. 321.
  57. Id., ibid.
  58. Zurita, t. II, p. 321.
  59. La conduite de Pierre IV à l’égard de l’infant était d’ancienne date. En 1358, lorsque don Fernand rentra à son service, il lui avait promis une pension de 150,000 sous barcelonais ; elle fut toujours fort mal payée. Les réclamations de l’infant devenant très pressantes en 1361, le roi lui envoya un mandat sur son trésorier, mais en même temps il défendait secrètement à cet officier d’y avoir aucun égard. Ce trait peint Pierre IV. Arch. gen. de Ar. Lettre du roi d’Aragon. Barcelone, 23 décembre 1361, registre 1293 Secretorum, p. 107.
  60. Zurita, t. II, p. 323.
  61. Feliù, An. de Catatuña, p. 277.
  62. Ayala, p. 374. – Zurita, t. II, p. 322. – Carbonell, p. 190 et suiv.
  63. Ayala, p. 374 et suiv. — Zurita, t. II, p. 322.- Carbonell, p. 190.
  64. Zurita, p. 322. — Carbonell, p. 190.
  65. Zurita, t. II, p. 324. — Je n’ai pas trouvé de traces de ces négociations dans les archives de Barcelone, mais Zurita est si exact ordinairement que je ne doute pas qu’il n’ait eu à sa disposition des renseignemens positifs.
  66. Zurita, t. II, p. 324.
  67. Zurita, t. II, p. 321.
  68. Id., ibid.
  69. Zurita, t. II, p. 321. — Suivant Ayala, p. 379, l’entrevue des deux rois aurait eu lieu à Sos (V. plus bas) et non à Uncastillo. Il rapporte que les souverains alliés, après avoir signé le traité dont nous avons fait connaître les principales dispositions, voulurent le sceller par l’assassinat de don Henri ; mais le châtelain de Sos, ne se prêtant pas à cette trahison, le coup fut manqué. Telle est la version d’Ayala, à mon sentiment tout-à-fait invraisemblable. À cette époque, il est évident que don Henri jouissait de la plus haute faveur auprès du roi d’Aragon. Il venait d’en obtenir le meurtre de l’infant don Fernand, ce qui n’avait pas été fort difficile, sans doute ; mais, ce qui l’était davantage, il commençait à supplanter Cabrera, médiateur infatigable de la paix avec la Castille, et le perdait dans l’esprit de Pierre IV. Comment admettre qu’au moment où il prouvait ainsi son influence sur le roi d’Aragon, ce prince ait songé à le faire périr ? Enfin, si pareil projet eût été conçu, il ne pouvait avoir d’autre motif que le désir d’obtenir, par cet assassinat, la paix avec la Castille. Or, quel était le but de l’alliance des rois d’Aragon et de Navarre, sinon de poursuivre la guerre à outrance ? Ayala répète probablement les rumeurs répandues parmi les émigrés castillans, qui, depuis la mort de l’infant, s’attendaient toujours à quelque nouvelle trahison de Pierre IV. Cfr. Ayala, p. 379 et suiv. — Zurita, t. II, p. 324.
  70. Zurita, t. II, p. 325.
  71. Ayala, p. 380. — Zurita, t. II, p. 325.
  72. Requena, Noya, Otiel, Canyet, Cuenca, Molina, Medina Celi, Almazan, Soria, Agreda. On remarquera que dans le traité de Uncastillo Pierre IV se réservait tout le royaume de Tolède.
  73. Arch. gen. de Ar. Benifar, 10 octobre 1363. Registre 1513 Varia, p. 66 et suiv. Voir à l’Appendice.
  74. Arch. gen. de Ar. Convention pour échange d’otages. Benifar, 6 octobre. Indice alfabétrio del rey don Pedro IV, n° 528. — Ratification de la convention précédente. Benifar, 10 octobre 1363. Indice n° 524. On observera que les engagemens entre le roi et le Comte ne sont point relatés dans ces deux dernières pièces. La première est signée par tous les seigneurs dont les fils doivent servir d’otages, tandis que le traité d’alliance et de partage n’est signé que par deux témoins obscurs.
  75. Feliù, An. de Cataluña, 2,275.
  76. Je rapporte, d’après Zurita, le traité de Sos, dont je n’ai pu trouver aucune trace dans les archives d’Aragon. D’après cet annaliste, toujours si exact, le traité de Sos aurait eu lieu le 2 mars 1364. Zurita, t. II, p. 327 et suiv.
  77. Zurita, t. II, p. 335.
  78. Carbonell, p. 191.
  79. On alla jusqu’à l’accuser d’avoir chargé l’amiral Françes Perellòs d’insulter le roi de Castille dans le port de San-Lucar, et d’avoir ainsi provoqué cette guerre contre laquelle il n’avait cessé de protester. Zurita, t. II, p. 335, verso.
  80. Zurita, lib. IX, cap. LII et LVII.
  81. Ibid., t. II, p. 338, 340.
  82. Ayala, p. 301.
  83. Ayala, p. 382. — Carbonell, p. 191, v., donne au roi d’Aragon 1,722 hommes d’armes. Probablement il ne compte que les Aragonais et non les Castillans de don Henri
  84. Carbonell, p. 191. — Ayala. p. 382.
  85. Ayala, ibid. — Feliù, Hist. de Cataluña, t. II, p. 280.
  86. Carbonell, p. 192.
  87. Probablement la rivière de Murviedro.
  88. Carbonell, p. 192.
  89. Ibid. p. 192.
  90. Ce nom, d’origine arabe, vient, dit-on, de leur coiffure, qui consistait en un camail de fer couvrant la tête et les épaules. C’était une armure introduite par les arabes en Espagne. On la voit dans une des peintures de l’Alhambra. Les armes offensives des Almogavages consistaient en plusieurs javelots et une hache d’une forme particulière. Jamais ils ne couchaient dans une maison et supportaient la faim et la soif avec une étonnante persévérance. Leur cri de guerre était hierro despierta ! fer, réveille-toi ! Voir la chronique de Muntaner et l’expédition des Catalans en Morée par Moncada.
  91. Carbonell, p. 192.
  92. Feliù, An. de Catalaña, t. II, p. 280.
  93. Ayala, p. 384.
  94. Zuñiga, An. de Sev., t. II, p. 165.
  95. Ayala, p. 387. — Cascales, Hist. de Murcia, p. 137.
  96. Carbonell, p. 194, verso.
  97. Ibid., ibid.
  98. « E lo dit rey de Castiella pres lo dit pa e dix aytales paraules o semblants : A mi semeia que vosotros todos seades de acuerdo que ponga batalla al rey de Aragon, de que yo digo en verdat, que si yo tomasse con mi los que el dito rey de Aragon tiene en si, e los havia por mis vassallos o por mis naturales, que senes todo miedo pelearia con todos vosotros e con toda Castella e ahun con toda Hespanya, e por que sepais yo en que vos tiengo, es asin, que con este pan que tiengo en mi mano pienso que se hartarian cuantos leales ay en Castella. » Carbonell, p. 195, verso.
  99. Cfr. Ayala, p. 388. — Zurita, lib. IX, cap. LIX. — Carbonell, p. 195 et suiv.
  100. Ayala, p. 389.
  101. Zurita, t. II, p. 340. — Ayala, p. 391.
  102. Ayala, p. 391.
  103. Ayala, p. 392 et suiv.
  104. C’est-à-dire quatorze ans pour le jeune homme et douze ans pour sa fiancée. Arch. gen. de Ar. Capitula facta per dom. regem et comitem olimTrastamarœ, nunc regem Castellœ, apud loc,un seu obsidionem Muri-veteris. Sans date, registre 1548, p. 70 et suiv., art. 7
  105. Arch. gen. de Ar. Capitula, etc., art. 9.
  106. Ibid. Replications e aditions feytes per lo senyor rey, etc., art. 6.
  107. Ibid. Replications, etc., art. 4.
  108. Ibid., art. 7.
  109. Li uns à autre dit : il est bien aprestez
    Pour meurdrire marchans, maints en a desrobez.
    Regardez qu’il est fort, con a les poins carrez !
    Il est fort et poissant et moult noir et halez.
    Chronique en vers de Du Guesclin, v. 1619.
  110. Chronique de Du Guesclin, v. 7304.
  111. Ayala, Abrev., p. 399. — Passage curieux où le chroniqueur nomme, d’après leurs noms français, toutes les pièces des armures de plaques, inconnues en Espagne avant l’arrivée de la grande compagnie.
  112. Froissart appelle cette opération retailler les lances.
  113. On l’essaya vainement à Poitiers. V. Froissart.
  114. Perpuntes. Ayala, p. 99. Abrev. — Cavallo alforado. Traités du roi d’Aragon avec don Henri.
  115. Chron. de Du Guesclin, v. 7549 et suiv.
  116. Rynier, De impediendo soldarios qui in comitiva se ponunt, ne ingrediantur in Hispaniam. 6 décembre 1365.
  117. Bien soyez-vous venus, apportez-vous argent ?
    Chron. de Du Guesclin, v. 7510.
  118. L’auteur de la chronique en vers de Du Guesclin raconte cet exploit de son héros avec la malignité ordinaire aux poètes du moyen-âge, toujours pleins d’irrévérence contre l’église. Suivant cette version, adoptée sans examen par l’histoire, Du Guesclin aurait exigé que la contribution entière fût soldée par le trésor apostolique, disant qu’il n’allait pas se battre pour les intérêts des bourgeois d’Avignon, mais bien pour ceux du saint-père. Rien de moins fondé. Il résulte d’une requête manuscrite du conseil municipal d’Avignon, conservée dans les archives de la préfecture de Vaucluse, que la rançon du territoire de l’église fut acceptée par Du Guesclin sans qu’il fit la moindre observation sur son origine. Mais il paraît que, dans la suite, le cardinal de Jérusalem, vicaire d’Avignon, prétendit mettre à la charge de la ville les 5,000 florins payés aux aventuriers, bien qu’elle ne se fût engagée, dans le principe, à contribuer que pour une somme de 1,500 florins. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre dans cette pièce fort obscure par sa détestable latinité. J’en dois la communication à l’obligeance de M. Achard, archiviste de Vaucluse, qui l’a découverte et a bien voulu me permettre de la publier. Il n’a pu trouver aucun renseignement sur le résultat de la réclamation présentée au saint-père. — Cfr. Nostre-Dame, Hist. de Provence, p. 422. — Chron. de Du Guesclin, v. 7693-7724. — Appendice.
  119. Arch. gen, de Ar. Propositions adressées au roi d’Aragon par Mosen Juan de Arellano de la part du roi de Navarre. Art. 4, reg. 1205, p. 61 et suiv.
  120. « Axi com son retaules d’argent, creus, calzers, y lanties, y encensers. » Carbonell, p. 193.
  121. Arch. gen. de Ar. Propositions de Mosen J. de Arellano, reg. 1205, p. 61 et suiv. « Que tenido non seu de fazer guerra de su persona ni de su regno. » Art. 1.
  122. Ibid. « Que non le sia tengut donar ni livrar terres ni argent, e sera li fet e assignat dodari e cambra axi tal como fo à doña Maria de Navarra. » Art. 2.
  123. Ibid., art. 4.
  124. Ibid. « Quel dito rey d’Arago considerando la buena voluntat del dito rey de Navarra e las misiones que ha feyto por causa de les sobre dichos castiellos prometa de dar, al dito rey de Navarra 40,000 florines d’oro. » Art. 6.
  125. Réponses du roi d’Aragon aux propositions précédentes. Art. 6, reg. 1205, p. 63. et suiv.
  126. Ibid. Additions aux propositions. Le roi d’Aragon consent au mariage à condition qu’il enverra des gens de confiance pour voir l’infante à loisir, connaître sa santé, sa personne, et prendre des informations sur son caractère Para veer la infanta a huella (pour huelga) la sanidat e apostamiento de su persona e haver information de su persona. J’ai cru devoir rapporter cette preuve singulière de la prudence de la diplomatie au moyen-âge.
  127. Ibid. Réponse du roi d’Aragon à l’art. 4 des propositions de J. d’Arellano – Lettre du roi d’Aragon à Jordan d’Urries. Huerta de Serra, 2365. Il professe de son intime amitié avec le roi de Navarre, et ordonne, sous peine de son indignation, que les ports des montagnes soient fermés à toute troupe étrangère. Reg. 1205, p. 58. — Autre lettre, dans le même sens et de même date, adressée au conseil de Jaca. Même reg., p. 59.
  128. Arch. gén. de Ar. Instructions envoyées à Mosen F. Perellòs, ambassadeur de Pierre IV en France, 12 novembre 1364. Reg. 1295 Secretorum, p. 111. — Nouvelles instructions semblables en 1365. Même reg., p. 115. — Nouvelles instructions à Perellòs, datées de Tortose, 15 août 1365. Reg. 1293 Secret., p. 93. — Projet d’un traité avec le duc d’Anjou pour faire la guerre au roi de Navarre. Sans date ; probablement des premiers jours de l’année 1366. Reg. 1293, p. 135. — Lettre à Perellòs sur le même sujet. Barcelone, 10 septembre 1366. Ibid., p. 137. — Traité d’alliance offensive et défensive avec la France contre le roi de Navarre, signé à Toulouse, 29 septembre 1366. On convient que le duc d’Anjou attaquera le roi de Navarre en personne avec 100 glaives (lances) au moins. Les états du roi de Navarre situés au sud des Pyrénées appartiendront au roi d’Aragon ; ce dernier fournira 400 lances au roi de France pour l’aider à s’emparer des autres possessions du roi de Navarre. Reg. 1293, p. 141 et suiv.
  129. Arch. gen. de Ar. Lettre de Pierre IV. Saragosse, 26 février 1366. Registre 1213, p. 16.
  130. Arch. gen. de Ar. Acte de vente passé par le roi. Saragosse, 12 mars 1366. Registre 1213, p. 42 et suiv. Voici le préambule : « Quantas nobis nostraeque rei publiciae oppressiones et dampna, quantaque pericula comminaret mora solutionis quam facere habemus comiti Trastamerae et istis gallicanis agminibus, quae divina magestas in nostrum auxilium contra regem Castellae nostrum hostem publicum exaltavit, etc. »
  131. Carbonell, p. 196.
  132. Id., ibid.
  133. Zurita, t. II, p. 342.
  134. Arch. gen. de Ar. Privilèges accordés à maître Robert d’Estanten, bourgeois de Saragosse, à la prière de messire Hugh de Calverly. Saragosse, 1er mars 1366. Reg. 1213 Sigilli secreti, p. 24.
  135. Ayala, p. 405.
  136. Ayala, p. 397 et 405.
  137. Arch. gen. de Ar. Mandement du roi d’Aragon pour repeupler le bourg de Pina saccagé (barreyado) par les compagnies de France. Saragosse, 24 février 1366. Reg. 1213 Sigilli secr., p. 15. — Ordre du roi pour faire rendre au comte d’Urgell cinquante bêtes à cornes enlevées par les habitans de Perthusa sur les Français qui les avaient prises à Antillon, domaine de ce comte. Saragosse, 5 mars 1366. Ibid., p. 24. — Appendice.
  138. Ayala, p. 400.
  139. Id., ibid.
  140. Ayala, p. 401.
  141. Ibid, p. 402.
  142. Ayala, p. 402 et suiv.
  143. Pero Lopez Ayala suivit le roi jusqu’à Tolède. Ayala, p. 404.
  144. Ayala, p. 404. Abr., note 4.
  145. Cascales, Hist. de Murcia. Lettre de don Pèdre au conseil de Murcie, p. 199.
  146. Pellicier. justificacion de la grandeza de don Fernando de Zuniga, p. 1 et suiv.
  147. Mercedes Enriqueñas
  148. Ayala, p. 410.
  149. Id., p. 411.
  150. Id., p. 412.
  151. Ayala, p. 413. Abr.
  152. Ayala, p. 414.
  153. Id., ibid. — Gfr. Duarte do Liao, Chronicas dos rois de Portugal, p. 222 et suiv.
  154. Duarte do Liao, Chronicas dos reis de Port., t. II, p. 224.
  155. Ces ceintures, en usage au XIVe siècle, et nommées ceintures d’honneur, parce que les chevaliers seuls avaient droit de les porter, se composaient de larges plaques de métal réunies par des anneaux ; on les ceignait fort bas.
  156. Ayala, p. 415.
  157. Duarte do Liao, Chron. dos reis de Port., t. II, p. 225.
  158. Ayala, p. 416 et suiv.
  159. C’est une opinion populaire en Espagne que nul cheval étranger ne peut vivre au-delà de quelques jours en Galice.
  160. Ayala, p. 418. abr.
  161. Ayala, p. 418.
  162. Ayala, p. 418.