Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Préface de 1861

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Ce travail de trente ans sera terminé cette année, 1861. Au moment où il s’achève, il convenait d’en relier toutes les parties dans l’unité qu’a cherchée et voulue l’auteur.

Ce livre a une âme. C’est avant tout ce qu’il revendique. La présente édition la fera mieux sentir.


Deux écueils se présentaient pour la réimpression :

Une refonte qui eût altéré le caractère et l’individualité morale du livre et l’eût changé comme œuvre d’art ;

Une préoccupation trop étroite de la littéralité qui eût laissé subsister des erreurs inévitables au début et que l’auteur a signalées dans les volumes subséquents.

L’unité de pensée qui nous a soutenu pendant ce long travail indiquait la seule marche à suivre. Il fallait en faire saillir l’âme, en dégager plus nettement la doctrine.

Il a suffi de supprimer çà et là quelques généralisations prématurées ; l’allure du récit est devenue plus vive et plus décidée ; l’art y a gagné sans aucune altération sensible du détail.

Quant aux additions (peu nombreuses) qui ont renouvelé certaines parties, quand elles ne sont pas marquées dans le texte, elles ont été sommairement indiquées dans les notes et à l’appendice.

Un remaniement considérable a été opéré dans les notes. On a rejeté à l’appendice les preuves, les citations de textes, les indications de noms d’auteurs. En désencombrant le texte de ces pièces à l’appui, en donnant au récit plus de relief et d’indépendance, il importait de conserver à part une érudition qui fait la solidité de cette histoire, sortie (en si grande partie) des Archives et des dépôts de manuscrits. On n’a laissé comme notes au bas des pages que ce qui a paru le complément nécessaire du texte.

Pour le moyen âge surtout, qui a été systématiquement obscurci, il est indispensable de démasquer des erreurs intéressées, de faire éclater la vérité des faits par le témoignage même des contemporains.

Ces pièces justificatives, sorte d’étais et de contreforts de notre édifice historique, pourraient disparaître à mesure que l’éducation du public s’identifiera davantage avec les progrès même de la critique et de la science.

Tout ceci touche surtout les deux premiers volumes. Quant aux quatre suivants (quatorzième et quinzième siècle), la présente édition a reproduit les précédentes, en les enrichissant de quelques additions dues aux publications récentes.

Cette édition pouvait s’appeler la quatrième, si l’on n’eût eu égard qu’aux volumes qui ont été réimprimés trois fois. Plusieurs ne l’ont été que deux, mais à grand nombre. Cette diversité nous décide à ne lui donner aucun chiffre.