Histoire de France abrégée/10

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Dezobry & Magdeleine (p. 88-99).

CHAPITRE X

Le pouvoir royal fait de nouveaux progrès et le domaine s’accroit encore. — Influence du droit romain. — Les légistes. — Les Etats-Généraux. — La royauté devient presque absolue sous Philippe-le-Bel. — Suite de la rivalité avec l’Angleterre.

Gouvernement de Louis IX, 1236-1270. — Philippe III, dit le Hardi, 1270-1285. — Philippe IV, dit le Bel, 1285-1314.

159. règne de louis ix. — Louis IX, que nous désignerons désormais par son nom populaire de saint Louis, régna 34 ans encore, et ces trente-quatre années furent employées à fortifier et à étendre l’action de la royauté. Non moins célèbre par sa piété filiale que par ses sentimenls religieux et ses qualités de roi, saint Louis consulta toujours sa mère et lui conserva cette part d’autorité que devaient lui assurer son expérience des affaires, sa tendresse maternelle, et cette piété fervente qui lui faisait dire qu’elle aimerait mieux, voir son fils mort que coupable d’un péché mortel.

160. batailles de taillebourg et de saintes. paix d’abbeville. — Saint Louis songea d’abord à régler ses rapports avec l’Angleterre, cette rivale redoutable de la France. Une nouvelle révolte des seigneurs avait éclaté, et le roi Henri III était venu lui-même à leur secours. Saint Louis marcha contre les étrangers et les vainquit à Taillebourg et à Saintes (1242). Une trêve de cinq ans fut suivie plus tard d’une paix définitive, que le roi de France appelait de tous ses vœux. Car sa conscience n’était pas tranquille au sujet des réunions de provinces opérées par Philippe-Auguste. Le traité d’Abbeville conclu en 1259 régla les droits respectifs des deux puissances. Henri III renonça à toute prétention sur la Normandie, le Maine, la Touraine, le Poitou, et prêta hommage au roi de Franee comme duc d’Aquitaine. Saint Louis, de son côté, lui abandonna la Saintonge et l’Aunis, conquises par ses prédécesseurs. Les habitants de ces provinces, attachés de cœur à la France, ne se soumirent que malgré eux à ce changement de domination. Leur mécontentement survécut même à saint Louis : pendant un certain temps, après que l’Eglise eut admis ce roi au nombre des saints, ils refusèrent de célébrer sa fête.

161. croisade d’égypte, 1248. — L’ardente piété de saint Louis lui fit entreprendre deux croisades. « Comme il était fort malade, raconte son historien Joinville, et qu’une des femmes qui le soignaient, le croyant mort, l’avait déjà couvert d’un linceul, le Seigneur opéra en lui, et il recouvra la parole. » Ce fut pour promettre que, s’il échappait à la maladie, il entreprendrait une croisade en Terre Sainte. « La bonne dame sa mère, ajoute Joinville, fut bien joyeuse de l’entendre parler ; mais quand elle le vit croisé, elle eût aimé autant le voir mort. » Dès que saint Louis fut rétabli, il partit malgré les avis et les prières de ceux qui l’entouraient, laissant la régence à sa mère. La Palestine appartenait alors au sultan d’Égypte ; saint Louis pensa que le plus sûr moyen d’affranchir les Lieux saints était d’attaquer les Infidèles au siège même de leur puissance ; il se dirigea donc vers l’Égypte. La croisade fut d’abord heureuse, le roi prit Damiette, et marcha sur le Caire ; mais arrêté par l’inondation du Nil, puis batlu à Mansourah, où il perdit son valeureux frère Robert d’Artois, il ne tarda pas à être fait prisonnier. Sa fermeté et sa grandeur d’âme étonnèrent ses ennemis, qui lui permirent d’acheter sa liberté par la restitution de Damiette, et celle de ses principaux chevaliers par une forte rançon.

162. saint louis en palestine. — le vieux de la montagne. — retour du roi en france. — Saint Louis, après sa délivrance, se rendit dans la Terre Sainte, où il passa quatre années encore, réparant les anciennes fortifications, en construisant de nouvelles, et rachetant des mains des Infidèles plus de dix mille chrétiens captifs. Une tradition peu digne de foi rapporte que, pendant son séjour dans cette contrée, il entretint des relations avec le Vieux de la Montagne, chef d’une secte redoutable de fanatiques musulmans qui habitaient les montagnes des environs de Damas, et qu’on a désignés sous le nom d’Assassins. La mort de sa mère, qu’il révérait, put seule rappeler le roi en France. Blanche avait déployé dans sa nouvelle régence ses qualités ordinaires ; elle avait surtout habilement apaisé une révolte des hommes de la campagne, qui s’étaient armés pour aller délivrer le roi prisonnier, et qui, sous le nom de Pastoureaux, commettaient partout d’affreux dégâts, au lieu de marcher vers l’Orient. Saint Louis trouva la paix rétablie dans son royaume, et la consolida par un repos de quinze années.

163. croisade de tunis. mort de saint louis, 1270. — Une dernière croisade l’enleva de nouveau et pour toujours à la France. Les affaires des chrétiens allaient fort mal ; ils ne possédaient plus en Syrie que la ville d’Acre. La nouvelle de la prise d’Antioche par les Infidèles détermina saint Louis, qui n’avait pas quitté la croix, à partir de nouveau ; il s’embarqua à Aigues-Mortes[1] avec ses trois fils (1270). Son frère Charles d’Anjou, qui depuis quatre ans régnait sur les Deux-Siciles, le décida à faire voile pour l’Afrique, en le flattant de l’espoir de convertir le roi de Tunis au christianisme. À peine avait-on débarqué, qu’une maladie pestilentielle, causée par les chaleurs et le manque d’eau, décima l’armée chrétienne. Attaqué lui-même de la peste, le saint roi se fit étendre sur un lit de cendres, où il mourut après avoir langui vingt-deux jours.

164. Fin des Croisades — Résultats généraux.— La croisade de Tunis fut la dernière de ces expéditions lointaines, qui, malgré la chute successive des royaumes chrétiens fondés en Orient, eurent d’impartants résultats pour l’Europe. Elles avaient uni la chrétienté, accru la puissance spirituelle du Saint-Siège, resserré les liens de la hiérarchie, et fait rentrer sous la suprématie de Rome les patriarchats de Jérusalem et d’Antioche. Elles contribuèrent, surtout en France, à l’extension du pouvoir et à l’agrandissement du domaine royal par la ruine ou la mort d’un grand nombre de seigneurs ; elles favorisèrent aussi les progrès des communes et de la bourgeoisie. La noblesse féodale trouva une sorte de compensation à la perte de son influence dans certaines marques et distinctions honorifiques : les noms de famille prirent naissance ; les armoiries furent inventées comme signes de ralliement pour les vasssaux de chaque seigneur ; on en mit sur les étendards, sur les écus, sur les cuirasses ; on s’en para dans les tournois, joutes guerrières, dont les croisades rendirent la mode générale. Les guerres saintes développèrent la marine et le commerce, révélèrent à l’industrie des procédés nouveaux (linge de lin, moulins a vent), importèrent en Occident des cultures nouvelles (mûrier, blé de Turquie, etc.), et enrichirent de précieuses découvertes les sciences mathématiques et géographiques. Les lettres mêmes et les arts gagnèrent quelque chose au contact des magnificences de l’Orient. Enfin, c’est à la double influence des croisades et du développement de la chevalerie que la femme doit le rôle insportant qu’elle joua dès lors dans la société.

165. Jugement sur saint Louis. — Saint Louis mourait avant d’avoir pu accomplir toute sa tâche. « Il paraissait, dit

un historien moderne, un prince destiné à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui était celle d’un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. Une sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérita cette louange ; prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux, il n’est pas donné à l’homme de porter plus loin la vertu. » Ajoutons avec Joinville que « ce saint homme aima Dieu de tout son cœur, et agit en conformité de son amour. » Aussi le fils de Blanche de Castille a-t-il été mis par l’Eglise au nombre des saints, 27 ans après sa mort (1297) ; et s’il faut en croire le témoignage de son historien Joinville, on le regardait comme saint de son vivant même, et on le disait en sa présence.

166. Justice de saint Louis. — Le chêne de Vincennes. — La piété et la justice de saint Louis avaient un tel renom dans toute l’Europe chrétienne, qu’il fut pris deux fois pour arbitre par les souverains étrangers. Il décida en faveur du roi d’Angleterre Henri III contre ses barons révoltés ; il intervint en faveur de l’empereur d’Allemagne Frédéric II contre le pape Innocent IV. Saint Louis rendait souvent la justice lui-même, suivant l’ancienne coutume de nos rois : « Maintes fois, dit Joinvilte, il advint qu’en été il allait s’asseoir au bois de Vincennes, après la messe, et s’appuyait à un chêne, et nous faisait asseoir auprès de lui, et tous ceux qui avaient à faire venaient lui parler sans empêchement d’huissier ou d’autres. »

167. Administration de saint Louis. — Saint Louis ne combattit pas ouvertement la féodalité ; mais il lui porta un coup mortel par la régularité de son administration, par la paix et la prospérité qu’il assura aux habitants du domaine royal. Le code qu’il nous a laissé sous le nom d’Etablissements est un monument précieux de sa sagesse. Il réprima l’abus des guerres privées, et le fit bientôt disparaître complètement en publiant l’ordonnance de la Quarantaine-le-Roi, en vertu de laquelle il était défendu de tirer vengeance d’une injure avant que quarante jours se fussent écoulés. On conçoit que cet intervalle donnait aux passions le temps de se calmer, et amenait souvent ou l’oubli de l’offense, ou un accommodement entre les deux parties. Le duel judiciaire et les autres institutions féodales perdirent en même temps de leur influence, et firent place à un meilleur système de procédure, emprunté à la législation romaine. Les tribunaux, institués plus régulièrement qu’ils ne l’avaient été jusque-là, substituèrent peu a peu l’ordre et la justice à l’anarchie féodale.

168. Influence des légistes. — C’est dans les communes, dont il favorisa l’essor et qu’il rattacha au domaine royal, c’est dans la bourgeoisie, qui commençait à naître, que saint Louis chercha son principal appui contre la féodalité. Non-seulement il appelait à son conseil des représentants de la bourgeoisie des villes ; mais sous prétexte d’assister les hauts barons, qui n’entendaient rien aux formes nouvelles de procédure tirées du droit romain, et qui savaient même à peine lire et écrire, il introduisit dans les cours de justice de pauvres habitants des villes, qui avaient étudié dans les universités et qui étaient devenus habiles en jurisprudence. Ces hommes de loi ou légistes, vêtus de longues robes noires, prirent place d’abord sur un petit banc au-dessous de chacun des barons ; et, lorsqu’il s’agissait de prononcer, le baron se penchait vers l’homme de robe, qui lui soufflait à l’oreille quelle réponse il fallait faire d’après le droit romain. Peu-à-peu les grands seigneurs s’ennuyèrent de venir assister à de longues procédures qu’ils ne comprenaient pas. Il leur sembla que les hommes de robe pouvaient bien répondre tout haut pour eux ; ils ne vinrent plus que rarement aux assemblées, et les hommes de robe les remplacèrent définitivement. Ainsi commença la puissance de ces législes qui ont joué un si grand rôle sous les règnes suivants ; telle fut l’origine de la magistrature en France.

169. Corporations des arts et métiers ; Sainte-Chapelle, etc. — Commerce, industrie, police, lettres et arts, saint Louis a tout amélioré, quoiqu’il n’ait pas exécuté tous ses projets. Il organisa les artisans et les marchands en corporations et régla leurs privilèges ; il leur donna des officiers, des juges el des tribunaux particuliers. Il fit construire à Paris la Sainte-Chapelle, pour y déposer les reliques apportées de la Terre Sainte, et de nombreux hospices, entre autres l’hôpital des Quinze-Vingts, fondé, dit-on, pour quinze-vingts ou trois cents gentilshommes, à qui les Sarrasins avaient crevé les yeux pendant la croisade. Il établit dans la Sainte-Chapelle une bibliothèque composée des livres de l’Écriture sainte, de quelques-uns des saints Pères et de plusieurs autres ouvrages. On lui doit aussi la fondation de la Sorbonne.

170. philippe-le-hardi. — les vêpres siciliennes.Philippe III, surnommé le Hardi, avait accompagné son père saint Louis à la croisade ; il fut proclamé roi par l’armée devant Tunis. Sur le vaisseau qui le ramena d’Afrique, il rapportait cinq cercueils, ceux de son père, de son frère, de son beau-frère le roi de Navarre, de sa femme et de son fils, qui tous furent déposés dans les caveaux de Saint-Denis. La mort de ces parents, suivie peu après de celle de son oncle Alphonse, comte de Poitiers et de Toulouse, lui donna une riche succession. Aux terres que saint Louis avait réunies à la couronne, il ajouta les comtés de Valois et de Nevers, l’Auvergne, le Poitou et le comté de Toulouse. En outre, il prépara la réunion de la Navarre et de la Champagne en faisant épouser à son fils l’héritière de ces deux États.

Après l’acquisition de la Navarre et de la Champagne, l’événement le plus important du règne de Philippe-le-Hardi fut le massacre des Vêpres Siciliennes. Charles d’Anjou, qui avait été investi des Deux-Siciles par le pape, avait conquis ce royaume sur Mainfroi en 1266, et pour s’affermir sur le trône, il avait fait décapiter en 1268 le jeune Conradin, héritier légitime de la couronne. La tyrannie et les exactions des Français, jointes au mécontentement des partisans de la famille déchue, firent éclater une révolution en Sicile. Le lundi de Pâques de l’an 1282, un Français, ayant insulté dans la rue une jeune fine qui se rendait à l’église, tomba percé de coups. Ce fut le signal d’un massacre général qui a été désigné sous le nom des Vêpres Siciliennes, parce qu’il eut lieu au son de la cloche qui appelait les fidèles aux Vêpres. Huit mille Français furent égorgés à Palerme. La Sicile[2] courut aux armes, et se donna au roi d’Aragon Don Pèdre ou Pierre III. Charles d’Anjou fit de vains efforts pour reconquérir cette île, et son neveu, le roi de France, entreprit lui-même contre l’Aragon une expédition inutile, au retour de laquelle il mourut à Perpignan.

171. Administration. — Phillppe-le-Hardi est le premier roi qui ait créé des nobles en vertu de son autorité royale et par lettres patentes. Jusqu’à lui la noblesse ne pouvait s’acquérir que par la possession d’une terre seigneuriale ou par des exploits militaires. Il permit aussi aux roturiers d’acheter des terres. Il créa l’ordre des avocats et régla leur intervention dans las procès.

172. philippe-le-bel. paix avec l’aragon. — Philippe IV, dit le Bel, qui succéda à son père en 1285, ne continua pas la guerre avec l’Aragon. Les traités de Tarascon (1291) et d’Anagni (1295) mirent fin aux hostilités en assurant le royaume de Naples à la maison d’Anjou et la Sicile à celle d’Aragon.

173. rupture avec l’angleterre. — hostilités en flandre, traités de paix. — Le nouveau roi avait besoin de toutes ses forces pour une guerre plus importante. Les hostilités avec l’Angleterre venaient de recommencer. Une querelle qui eut lieu à Bayonne, entre un matelot anglais et un matelot français, fut l’occasion de la rupture entre les deux nations. Philippe cita son vassal Edouard Ier devant la cour des Pairs ; sur son refus de comparaître, il prononça la confiscation de la Guienne, qu’il convoitait depuis longtemps, et la fit envahir par une armée. Une autre armée marcha contre la Flandre, qui s’était alliée à l’Angleterre. Le comte Gui de Dampierre fut vaincu à la bataille de Furnes (1297), fait prisonnier et enfermé à la tour du Louvre ; la Flandre fut occupée militairement. Mais le despotisme et la dureté du gouverneur français, Jacques de Châtillon, révoltèrent les Flamands. La populace, rassemblée sous la conduite de Pierre Kœnig, consul des tisserands de Bruges, massacra quinze cents Français. Robert d’Artois, en voulant les venger, fut battu et tué à la désastreuse journée de Courtrai, avec trois cents des plus illustres chevaliers (1302). Deux ans après, le roi lui-même répara cet échec ; il défit les Flamands à la bataille de Mons-en-Puelle (1304), et conclut un traité par lequel la Flandre française, c’est-à-dire la partie de ce pays où l’on parlait français, fut réunie à la couronne, tandis que la Flandre wallone ou comté de Flandre conserva son indépendance. La même année, la paix fut signée avec l’Angleterre, et Philippe restitua la Guienne à son rival Edouard Ier.

174. différend de philippe-le-bel et de boniface viii. — les états-généraux, 1302. — Philippe-le-Bel était engagé alors dans une lutte sérieuse contre le pape Boniface VIII, pour avoir voulu lever des impôts sur le clergé de France. Le légat s’y étant opposé au nom du saint-siège, Philippe le fit emprisonner. Le pape répondit à cette agression en excommuniant le roi. Celui-ci fit brûler publiquement la bulle[3]pontificale, qui contenait la sentence d’excommunication et songea à s’assurer l’appui de la nation ; il convoqua à cet effet la première assemblée régulière des Etas-Généraux. On désignait par ce nom la réunion des députés du clergé, de la noblesse et de la bourgeoisie ou Tiers-État[4], nommés par les membres de chacun de ces trois ordres. La réunion eut lieu le 10 avril 1302 à Paris, dans la nef de Notre-Dame. Les États prirent parti pour le roi et lui accordèrent de grosses sommes d’argent. Cependant un concile avait été convoqué à Rome par le pape. Philippe-Ie-Bel fit saisir le temporel des évêques qui s’y rendirent, et Boniface VIII, poussé à bout, excommunia de nouveau le roi, le déposa, et transféra la couronne au prince Albert d’Autriche. Les États, réunis une seconde fois en 1303, osèrent porter une sentence contre le souverain pontife, et l’assigner devant un futur concile. Guillaume de Nogaret, procureur du roi de France, se chargea d’exécuter la sentence qu’il avait provoquée, et d’aller avec Sciarra Colonna, ennemi personnel du pape, arrêter le vicaire de J.-C. Les deux agents de Philippe surprirent Boniface dans la ville d’Anagni, et Golonna eut la lâcheté de souffleter avec son gantelet de fer un vieillard de 80 ans sans défense. Le courageux pontife ne céda ni à leurs outrages ni à leurs menaces, et, bientôt délivré par ses partisans, il alla mourir à Rome (1303). Benoit XI, qui le remplaça, ne fit que passer sur le trône pontifical ; il leva cependant l’anathème dont le roi de France avait été frappé.

175. le pape clément v. translation du saint-siege à avignon. — Ce n’était pas encore assez pour Philippe-le-Bel ; il voulait dominer la papauté. Il y réussit en faisant donner la tiare à Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Cette élection, due à l’influence française dans le sacré collège, ne fut pas comme on l’a dit, la conséquence d’un pacte secret conclu entre le roi et le prélat[5]. Mais le nouveau pape, qui prit le nom de Clément V, ne tarda pas à témoigner sa gratitude au roi de France en lui sacrifiant l’ordre des Templiers.

176. abolition des templiers. — Cet ordre à la fois religieux et militaire, avait rendu de grands services tant qu’avait duré la lutte entre les chrétiens d’Orient et les Infidèles. Mais depuis la perte de la Terre sainte, l’inaction et la richesse avaient produit le relâchement des mœurs. La règle austère que l’Ordre avait reçue de saint Bernard à son origine, avait été méconnue et foulée aux pieds ; la foi religieuse des chevaliers du Temple s’était altérée au contact du luxe et des plaisirs. Le mystère dont leurs cérémonies d’initiation étaient entourées laissant un libre champ aux conjectures et aux rumeurs populaires, on les accusait de nier Dieu, de cracher sur la croix, d’adorer des idoles, de se réunir dans des orgies nocturnes pour commettre les plus monstrueux excès. Ce qui est hors de doute, ce qui excitait contre eux l’animadversion du peuple, c’était leur orgueil, leur dureté envers les pauvres, le mauvais emploi qu’ils faisaient de leurs richesses, les désordres de leur vie. Philippe-le-Bel trouva l’occasion favorable pour s’enrichir de leurs dépouilles. Il avait pu vérifier par ses yeux la valeur de ces immenses trésors entassés au Temple, un jour que poursuivi dans les rues par une émeute populaire, il s’était réfugié dans la maison que l’Ordre possédait à Paris. Il appela près de lui le grand-maitre et les chefs du Temple, les endormit par de feintes caresses, et les fit ensuite arrêter tout d’un coup. Les Templiers, répandus sur les divers points du royaume ou dans les autres contrées de l’Europe, furent arrêtes presque en même temps, et leur procès commença. On leur fit subir de longs interrogatoires. Les uns se refusèrent à faire aucun aveu ; les autres, après avoir parlé au milieu des tortures, se rétractèrent. Cinquante-six furent brûlés à petit feu en 1310, comme coupables d’hérésie, et l’Ordre tout entier fut aboli par le pape Clément V au concile de Vienne en 1312. La melleure partie de leurs richesses entra par confiscation daes le trésor du roi.

177. supplice du grand maître. — mort du roi et du pape, 1314.— Le grand maître, Jacques de Molay, et les chefs de l’Ordre ne furent exécutés que les derniers. On les brûla vifs à Paris, sur le terre-plein du pont Neuf, où se trouve maintenant la statue équestre de Henri IV. Jacques de Molay protesa de son innocence jusqu’au dernier soupir, et en appela à la justice divine de la condamnation prononcée contre l’ordre des Templiers. « Dieu vengera notre mort, » dit-il, au moment mène où son corps était enveloppé par les flammes. Le pape mourut quarante jours après le supplice, et le roi au mois de novembre suivant. Ces deux morts subites frappèrent vivement l’imagination de la multitude, et le bruit courut que les Templiers avaient prédit l’événement.

178. Gouvernement despotique de Philippe-le-Bel. — Acquisitions du domaine royal. — Philippe-le-Bel avait rendu la royauté absolue et despotique, en s’appuyant sur les légistes et sur la bourgeoisie. Les États-Généraux, où il admettait régulièrement les représentants du Tiers-État, lui fournissaient d’abondants subsides. Le Parlement, cour judiciaire, qui jadis accompagnait le roi partout on il se transportait, pour vider les procès dont il était le seul juge suprême, était depuis 1302 invariablement fixé à Paris. Cette réunion de légistes, formée par saint Louis, comme nous l’avons vu, et constamment favorisée par ses successeurs, devint pour Philippe-le-Bel un instrument docile, et prononça facilement tous les arrêts que dictaient les intérêts particuliers de la royauté. Dur, emporté, violent, Philippe abusa de son autorité ; ses sujets n’eurent contre son despotisme aucune garantie ; les Juifs furent insultés et dépouillés plus fréquemment que jamais ; les commerçants virent la sécurité de leurs transactions souvent compromise par l’altération des monnaies, le roi en augmentant la valeur s’il avait à payer, la diminuant s’il avait à recevoir. — Philippe-le-Bel agrandit le domaine royal comme ses prédécesseurs ; il y ajouta la Navarre, la Champagne et le comté de Lyon.


Synchronisme. — Grand interrègne après Frédéric II en Allemagne, 1250-1273. — Insurrection de la Suisse ; Guillaume Tell, 1308. — Translation du Saint-Siège à Avignon, 1309.


  1. L’ancien port d’Aigues-Mortes a été tellement encombré par les sables au milieu du XIVe siècle, que les vaisseaux ne peuvent plus y aborder depuis.
  2. Note Wikisource : L’édition que nous avons déjà signalée précédemment précise : « La Sicile, soulevée par Jean de Procida, courut etc. »
  3. On donne le nom de bulle (du mot latin bulla, qui signifie boule) aux actes émanés de la cour de Rome, et au bas desquels est suspendue par un lacet de soie une petite boule de métal.
  4. Tiers-État signifie le troisième état ou le troisième ordre de La nation ; les deux autres étaient la noblesse et le clergé.
  5. L’entrevue de Saint-Jean-d’Angely, dans laquelle ce pacte aurait été conclu, n’a pas en lieu ; l’impossibilité en a été démontrée par un savant travail de M, Rabanis.