Histoire de Jonvelle/Voisey
VOISEY
Voisey, nommé Vogesus, Voysie, Vousey, dans les vieilles chartes, est un des villages les plus intéressants de la châtellenie de Jonvelle. Liébaud de Voisey, prévôt de Jonvelle, Villencus et Rofroy, ses frères, avec Richard, leur neveu, et l’abbé Guy de Cherlieu, furent témoins d’une donation faite à l’abbaye de Clairefontaine par Henri, frère de Frédéric, comte de Toul (1150). Sept ans plus tard, les mêmes nobles figuraient dans une illustre assemblée tenue à Jonvelle[1]. Jean de Voisey accompagna le sire de Joinville dans la première croisade de saint Louis. Jacquot de Voisey combattit devant Arras avec Jean sans Peur et les chevaliers du Comté (1414) [2].
Voisey avait un prévôt dès le commencement du treizième siècle : Guy et Viard étaient revêtus de cette charge en 1218 et 1248. Au quatorzième siècle, ce village reçut de Philippe de Jonvelle, comme le reste de la seigneurie, des franchises en rapport avec les besoins de l’époque : il eut dès lors son procureur, son maire et ses échevins[3]. En 1560, les habitants se trouvèrent en litige avec les frères Jean-Baptiste, Georges et Gaspard d’Andelot, seigneurs de Jonvelle et de Voisey, au sujet des bois et des communaux : la cour de Dole envoya Joseph Perrin, son notaire et greffier, pour examiner l’affaire, et celui-ci reconnut en ces termes les droits des sujets :
« J’ai de par la majesté du roi, duc et comte de Bourgogne, souverain seigneur, et de par ladite cour de parlement de Dole, maintenu et gardé, maintiens et garde lesdits impétrans ès droits ci-après déclarés : à savoir, les habitans particuliers de Voisey appelés les francs, en la possession, jouissance, saisine ou quasi, et tant par eux, leurs serviteurs que leur certain commandement, prendre, couper, abattre et emmener des bois assis et situés en et rière le finage et territoire dudit Voisey, selon qu’ils s’étendent et comportent, toutes manières de bois vifs, sauf le sorbier, poirier, pommier et cerisier, sans danger d’encheoir en aucune amende envers ledit seigneur défendeur et ses dits frères seigneurs dudit Voisey, en payant néanmoins par iceux habitans francs les redevances de cire accoutumées. Item les manans et habitans dudit Voisey n’étant appelés francs, en la jouissance et possession de, pour leurs commodités, prendre, couper, abattre et emmener toutes manières de bois vifs autres que lesdits sorbier, poirier, pommier et cerisier, sans pour ce être amendables envers iceux seigneurs de Voisey, sinon au cas qu’ils seront trouvés coupant et abattans lesdits bois vifs autres que les quatre ci-dessus déclarés, par le sergent de la gruerie dudit Voisey ; pourvu toutefois qu’iceux pieds de bois vifs soient de telle grosseur qu’au travers d’un pied l’on puisse faire un pertuis avec un aviron appelé un chausseur, sans que faisant ledit pertuis, ledit pied se fende ; et au cas que ledit pied de bois se fendroit en faisant ledit pertuis, ils sont exempts de payer ladite amende de cinq sols estevenans ni autres au profit d’iceux seigneurs de Voisey. Item tous lesdits habitans impétrans, tant ceux appelés francs qu’autres, en la jouissance et possession du droit de perception et immunité de payer aucune amende de soixante sols estevenans au profit desdicts seigneurs de Voisey, quand ils prendront, couperont les bois de sorbier et autres, sinon au cas qu’ils seront trouvés coupans et abattans lesdits bois par ledit sergent, dit le doyen, et non autrement. Et quand lesdites amendes ou de cinq ou de soixante sols estevenans seront par eux ou aucuns d’eux commises, pour être trouvés coupans lesdits bois seulement et non autrement, d’être gagés pour le recouvrement d’icelles amendes par le sergent d’iceux bois ; et en cas d’opposition seront assignés par-devant le bailli de Jonvelle ou le maire de Voisey, ou leurs lieutenans, sans pour ce pouvoir être autrement ni en autres justices poursuivis. »
La même garantie est accordée aux habitants de Voisey sans distinction pour la jouissance de leurs communaux[4].
Le prieuré de Voisey, de l’ordre de Cluny, fondé par un des premiers sires de Jonvelle, sous l’invocation de Notre-Dame et de Saint-Vivant, dépendait du monastère de Saint-Vivant-sous-Vergy, à qui la possession en fut assurée par le pape Alexandre III (1178). Le patronage des cures de Cendrecourt et de Voisey lui appartenait. La conventualité y fut conservée jusqu’en 1548, époque où il tomba en commende. Dom Antoine de Saint-Antide fut le dernier prieur régulier, et Pierre Frémiot, chanoine de la métropole, le premier bénéficier commendataire. L’un de ses successeurs fut Herman d’Ortenberg, auditeur de rote, évêque d’Arras, qui abandonna les levées du prieuré à Pierre Humbert, curé de Maîche (1608). Il fut remplacé par Jean- Baptiste de Cusance, chanoine de Saint-Jean, camérier d’honneur de Sa Sainteté, personnage de la première distinction. A sa mort, le prieuré fut uni au collège des jésuites de Dole, avec plusieurs autres bénéfices (1629). En 1709, il fut donné à Camus d’Artaufontaine, simple clerc tonsuré. Nommé gouverneur de la citadelle d’Anvers, celui-ci résigna son bénéfice à François-Xavier Mareschal de Longeville, qui mourut en 1740. Claude-Antoine Buson de Champdivers, Boulangier, Camuset et Bossu, terminent la liste des prieurs de Voisey.
L’église paroissiale, dédiée à saint Martin, mérite surtout l’attention des archéologues. Le style dominant de son ensemble assigne évidemment l’époque romane à sa première construction. L’entrée du portail est ornée de quatre colonnettes à chapiteaux, et la voussure formée par une quadruple archivolte à plein-cintre. Le clocher, carré, lourd et d’un appareil moyen, est terminé par deux pignons, et percé de quatre larges fenêtres aussi à plein-cintre, encadrées de trois colonnettes et divisées par un meneau trilobé, que surmonte une rosace ajourée. La corniche de l’édifice, appuyée sur de simples modillons, présente ça et là quelques figures grimaçantes. L’église est à trois nefs ogivales, sur un axe incliné de droite à gauche, symbole mystérieux qui rappelle la tête penchée du Christ expirant. Les piliers, par leur énorme grosseur, et les arcades à peine brisées des travées, appartiennent encore à l’époque primitive ; mais déjà les arceaux plus élancés de la voûte principale préludent aux formes gracieuses de l’ère suivante, qui a enfanté ces immortels chefs-d’œuvre, la gloire de l’art et de la religion. Les deux piliers voisins du sanctuaire sont cantonnés d’un faisceau de trois colonnettes à chapiteaux historiés. Les deux premiers piliers, dont l’un est cylindrique et l’autre octogone, ont un aspect moins élégant. Les nervures diagonales des voûtes, arrondies dans le sanctuaire et dans les chapelles latérales, deviennent prismatiques en s’éloignant vers le portail ; et au lieu de s’appuyer sur les chapiteaux ou sur des consoles, elles se perdent dans la masse du pilier. Toutes les fenêtres latérales sont élevées, étroites et cintrées ; celle de l’abside, qui est ogivale et à deux meneaux, avait une rosace et sans doute des verrières. Elle a été murée à l’époque de la renaissance et masquée par un retable d’un assez bon travail, il est vrai, mais qui jure avec l’ensemble et prive le sanctuaire de son plus beau cachet d’antiquité.
En résumé, les formes lourdes et rudimentaires, les ornements irréguliers et sans grâce, les différents caractères que nous venons d’étudier dans l’église de Voisey, font penser que cet édifice a été construit d’un seul jet, sauf quelques détails, et qu’il appartient à la troisième période de transition du roman au style ogival. A ce titre il doit être classé parmi les rares monuments qui ont résisté aux injures des siècles comme au vandalisme des guerres et des révolutions. Une restauration facile et dirigée avec art lui rendrait son ancienne splendeur.