Histoire de Jules César/Livre IV/Chapitre 8

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Plon (Tome 2p. 460-481).

CHAPITRE HUITIÈME.

ÉVÉNEMENTS DE L’AN 703.

Nouveaux troubles dans la Gaule et campagne sur l’Aisne.

I. La prise d’Alesia et la défaite de l’armée de secours, composée de tous les contingents de la Gaule, devaient faire espérer la fin de la guerre ; mais les flots populaires, semblables à ceux de l’Océan, une fois agités, ont besoin de temps pour se calmer. En 703, des troubles se manifestèrent sur plusieurs points à la fois. César, qui hivernait à Bibracte, fut contraint de se rendre avec deux légions dans le Berry, et, quelque temps après, dans l’Orléanais, pour y rétablir l’ordre ; puis il marcha contre les Beauvaisins, dont la résistance paraissait devoir être d’autant plus formidable qu’ils n’avaient pris qu’une faible part au siège d’Alesia. Après avoir réuni quatre légions, il établit son camp au mont Saint-Pierre, dans la forêt de Compiègne, en face des Gaulois postés sur le mont Saint-Marc. Au bout de quelques semaines, ne pouvant pas les décider à quitter leur position et ne trouvant pas ses forces suffisantes pour entourer de tous les côtés la montagne où ils se tenaient, il fit venir trois autres légions, et menaça alors d’investir le camp, comme cela était arrivé à Alésia. Les Gaulois évacuèrent leur position et se retirèrent sur le mont Ganelon ; de là, ils envoyèrent des troupes qui s’embusquèrent dans la forêt pour tomber sur les Romains allant au fourrage. Il en résulta un combat dans la plaine de Choisy-au-Bac, où les Gaulois furent défaits, ce qui amena la soumission de toute la contrée. Après cette expédition, César porta son attention sur le pays situé entre Rhin et Meuse, et dont les populations, malgré la dure leçon de 701, relevaient encore l’étendard de la révolte sous Ambiorix. Toute la contrée fut mise à feu et à sang ; mais on ne put se saisir de la personne de cet ennemi implacable du nom romain.

Les débris des anciennes bandes gauloises s’étaient réunis sur la rive gauche de la Loire, refuge constant des derniers défenseurs de la patrie ; ils montraient encore une énergie capable d’inquiéter les vainqueurs. Ils se joignirent à Dumnacus, chef des Angevins, qui assiégeait, dans Poitiers, Duratius, chef gaulois fidèle aux Romains. Les lieutenants de César, Caninius Rebilus et C. Fabius, obligèrent Dumnacus à lever le siège et défirent son armée.

Pendant ce temps, Drappès de Sens et Lucterius de Cahors, échappés de la dernière bataille, tentèrent d’envahir la Province romaine ; mais, poursuivis par Rebilus, ils se jetèrent dans la place d’Uxellodunum (le Puy d’Issolu), où devait s’éteindre le dernier foyer de l’insurrection. Après un combat heureux pour les Romains au dehors de la place, Drappès tomba en leur pouvoir ; Rebilus et Fabius continuèrent le siège. Mais le courage des assiégés rendait inutiles les efforts des assiégeants. C’est alors que César arriva sur les lieux. Voyant que la place, énergiquement défendue et abondamment approvisionnée, ne pouvait être réduite ni par la force, ni par la famine, il conçut la pensée de priver d’eau les assiégés. À cet effet, une galerie de mine fut conduite jusqu’aux veines de la source qui, seule, fournissait à leurs besoins. Elle tarit instantanément. Les Gaulois, prenant ce fait pour un prodige, crurent y reconnaître la volonté des dieux et se rendirent. César infligea aux héroïques défenseurs d’Uxellodunum un atroce châtiment : il leur fit couper les mains ; cruauté impardonnable, quand même elle eût paru nécessaire !

Ces événements accomplis, il visita, pour la première fois, l’Aquitaine avec deux légions, et vit son autorité partout acceptée. Il se rendit ensuite à Narbonne, et de là à Arras, où il établit son quartier général pendant l’hiver. Labienus, de son côté, avait obtenu la soumission complète du pays de Trèves.


Politique de César dans les Gaules et à Rome.

II. Après huit années de luttes sanglantes la Gaule était soumise, et désormais, loin d’y rencontrer des ennemis, César ne devait plus y trouver que des auxiliaires.

La politique avait contribué autant que les armes à ce résultat. Au lieu de chercher à réduire la Gaule en province romaine, le grand capitaine s’était appliqué à fonder sur de puissantes alliances la suprématie de la République, assujettissant les pays conquis aux États dont il était sûr, et laissant à chaque peuple ses chefs, ses institutions, et à la Gaule entière ses assemblées générales.

On a pu remarquer avec quel soin il ménage, dans toutes ses guerres, les peuples qui lui offrent leur concours, et avec quelle généreuse habileté il les traite. Ainsi, dès la première campagne, il relève les Bourguignons de l’état d’infériorité où les tenaient les Francs-Comtois, les rétablit en possession de leurs otages et des droits de patronage sur les États clients[1] ; cédant à leur prière, dans la seconde campagne, il pardonne aux Beauvaisins[2] ; dans la sixième, aux habitants de Sens[3]. En 702 les troupes auxiliaires fournies par les Bourguignons s’insurgent, il n’en tire aucune vengeance ; la même année, ceux-ci massacrent des négociants romains, ils s’attendent à de terribles représailles et envoient implorer grâce : César répond aux députés qu’il est loin de vouloir rejeter sur le pays tout entier la faute de quelques-uns ; enfin, quand, entraînés par le sentiment national, leurs contingents ont pris part à l’insurrection générale, et qu’ils sont défaits devant Alise, au lieu de les réduire en captivité, César leur donne la liberté. Il emploie les mêmes procédés envers les peuples de Reims, dont il augmente l’influence en accueillant leurs demandes en faveur, tantôt des Soissonnais[4], tantôt des habitants de l’Orléanais[5]. Il restitue également aux habitants de l’Auvergne leur contingent, vaincu à Alise ; au peuple de l’Artois, il fait remise de tout tribut, lui rend ses lois et lui assujettit le territoire du Boulonnais[6]. Dans chacune de ses campagnes, il suit une politique aussi bienveillante envers ses alliés.

Les chefs que César prépose au gouvernement des différents États ne sont pas choisis arbitrairement ; il les prend dans les anciennes familles qui ont régné sur le pays ; souvent même il ne fait que confirmer le résultat d’une libre élection. Il maintient Ambiorix à la tête des Liégeois, lui renvoie son fils et son neveu, prisonniers des Namurois, et le dispense du tribut qu’il payait à ce peuple[7]. Il donne pour chef aux Orléanais Tasgetius, et aux habitants de Sens Cavarinus, tous deux issus de familles souveraines[8]. Il nomme roi de l’Artois Commius[9], qui, cependant, de même qu’Ambiorix, se révolta plus tard contre lui. En présence des principaux personnages du pays des Trévires il décide entre des ambitions rivales, et se prononce pour Cingetorix[10] qu’il appelle au pouvoir. Il reconnaît enfin Convictolitavis comme chef des Bourguignons[11]. On pardonne à César quelques actes de cruelle vengeance, lorsqu’on songe combien son époque était encore étrangère aux sentiments d’humanité, et combien un général victorieux devait être blessé de voir sans cesse se soulever contre son autorité ceux dont il avait revu le serment de fidélité et qu’il avait comblés d’honneurs.

Presque tous les ans, il convoque l’assemblée de la Gaule[12], soit à Lutèce, soit à Reims, soit à Bibracte, et il n’impose aux peuples les droits du vainqueur qu’après les avoir appelés à discuter devant lui leurs intérêts ; il les préside bien plus en protecteur qu’en conquérant. Enfin, lorsque les derniers restes de l’insurrection ont été anéantis à Uxellodunum (Puy d’Issolu), il va passer l’hiver dans la Belgique ; là il s’efforce de rendre aux vaincus l’obéissance plus facile, apporte dans l’exercice du pouvoir plus de douceur et de justice, et introduit chez ces races, encore sauvages, les bienfaits de la civilisation. Telle fut l’efficacité de ces mesures, que, lorsque, abandonnant définitivement la Gaule, il fut obligé d’en retirer ses légions, le pays, si agité naguère, demeura calme et tranquille ; la transformation fut complète, et, au lieu d’ennemis, il laissa de l’autre côté des Alpes un peuple toujours prêt à lui fournir de nombreux soldats pour ses nouvelles guerres[13].

À voir un homme éminent se dévouer, pendant neuf années, avec tant de persévérance et d’habileté, à la grandeur de sa patrie, on se demande comment pouvaient s’élever contre lui, dans Rome, tant d’animosités et de rancunes. Mais on s’explique ces colères par les regrets et le dépit, bien excusables d’ailleurs, que ressentent les castes privilégiées lorsqu’un système qui a fait durant plusieurs siècles leur puissance et la gloire du pays, vient à s’écrouler sous l’action irrésistible des idées nouvelles ; la haine s’attachait à César comme au promoteur le plus dangereux de ces idées. On accusait, il est vrai, son ambition ; au fond c’est à ses convictions hautement déclarées qu’on en voulait depuis longtemps.

César commença sa carrière politique par une épreuve toujours honorable, la persécution supportée pour une grande cause. Le parti populaire s’appuyait alors sur les souvenirs de Marius ; César n’hésita pas à les faire revivre avec éclat. De là le prestige qui l’entoura dès son jeune âge, et qui ne cessa de grandir avec lui. La constance de ses principes lui valut tous les honneurs et toutes les dignités qui lui furent conférés ; nommé successivement tribun militaire, questeur, grand pontife, curateur de la voie Appienne, édile, préteur urbain, propréteur en Espagne, enfin consul, il put compter ces différents témoignages de la faveur publique comme autant de victoires remportées sous le même drapeau contre les mêmes ennemis. Tel était le motif des passions violentes de l’aristocratie : elle rendait un seul homme responsable de la décadence d’un ordre de choses qui s’abîmait dans la corruption et dans l’anarchie.

Lorsque, pendant son édilité, César fait replacer au Capitole les trophées de Marius, symboles glorieux de la guerre contre les Cimbres et les Teutons, le parti opposé s’écrie déjà qu’il veut renverser la République ; lorsqu’il revient d’Espagne, après avoir conduit ses légions victorieuses jusqu’en Portugal, son passage à travers les colonies transpadanes inspire tant de craintes au sénat qu’on retient en Italie deux légions destinées à l’Asie ; lorsqu’il croit pouvoir demander à la fois le triomphe et le consulat, double faveur accordée à beaucoup d’autres, on l’oblige de renoncer au triomphe. Consul, il rencontre, pendant la durée de sa magistrature, l’opposition la plus vive et la plus haineuse. À peine ses fonctions sont-elles expirées qu’on tente contre lui une accusation à laquelle il n’échappe que par le privilège attaché à l’imperium. Dans son entrevue, non loin du Rhin, avec Arioviste, il apprend que les grands de Rome ont promis leur amitié à ce roi germain si, par la mort, il les délivre de leur ennemi. Ses victoires, qui transportent d’enthousiasme le peuple, trouvent dans l’aristocratie romaine des envieux et des détracteurs. On cherche à rabaisser ses expéditions au delà de la mer comme au delà du Rhin. En 701, la nouvelle parvient à Rome de la défaite des peuplades germaines qui de nouveau menaçaient la Gaule d’invasion : Caton, sous prétexte que César n’a pas observé la trêve, demande qu’on livre aux barbares le chef glorieux des légions de la République.

Pendant la dernière campagne contre les Beauvaisins, ses adversaires se réjouissent des faux bruits répandus sur ses opérations militaires ; ils racontent tout bas, sans cacher leur contentement, qu’il est entouré par les Gaulois, qu’il a perdu sa cavalerie et que la 7e légion a été presque anéantie[14]. Dans le sénat, Clodius, Rutilius Lupus, Cicéron, Ahenobarbus et les deux Marcellus proposent tour à tour, soit de révoquer les actes de son consulat, soit de le remplacer comme gouverneur des Gaules, soit enfin de réduire son commandement. Les partis politiques ne désarment jamais, pas même devant la gloire nationale.


S. Sulpicius Rufus et M. Claudius Marcellus, consuls

III. Les deux factions qui divisaient la République avaient chacune, en 703, leur adhérent dans le consulat. Servius Sulpicius Rufus, jurisconsulte en renom, passait pour être attaché à César ; M. Claudius Marcellus était son ennemi déclaré. Ce dernier, orateur distingué, imitateur de Cicéron, annonça, dès qu’il entra en fonction, le dessein de donner un successeur à César avant que le temps légal de son commandement fût expiré ; mais ce projet, contrarié par son collègue et par les vives oppositions des tribuns, fut successivement ajourné. Pourquoi, disait-on, vouloir déposer un magistrat qui n’a point commis de faute[15] ? L’attention du sénat fut d’ailleurs appelée d’un autre côté par de graves événements.

On se rappelle que C. Cassius Longinus, questeur de Crassus, avait rallié les débris de l’armée romaine ; il était même parvenu à repousser vigoureusement une invasion des Parthes dans la province de Syrie. On lui reprochait, cependant, beaucoup de rapacité dans son administration : on prétendait que, pour justifier ses rapines, il avait attiré des bandes d’Arabes, et les avait ensuite chassées, se vantant d’avoir battu les Parthes[16]. La Syrie était une province importante qu’on ne pouvait laisser entre les mains d’un simple questeur ; M. Calpurnius Bibulus, l’ancien collègue de César au consulat, fut envoyé pour y exercer le commandement[17]. En même temps Cicéron, obéissant à la nouvelle loi sur les provinces consulaires, partit, à son grand regret, pour la Cilicie. En passant par Tarente, il alla visiter Pompée, qui, après son consulat, s’était absenté de Rome afin d’être dispensé de prendre un parti. Cicéron, avec son défaut ordinaire de perspicacité, sortit enchanté de son entrevue, déclara dans ses lettres que Pompée était un excellent citoyen, dont la prévoyance, le courage et la sagesse étaient à la hauteur de tous les événements, et qu’il le croyait sincèrement rallié à la cause du sénat[18].

Si l’on réfléchit au danger qui menaçait alors les provinces d’Orient, on a lieu d’être surpris de ces deux choix. Ni Bibulus, ni Cicéron n’avaient fait preuve de talents militaires ; ce dernier l’avouait même très-franchement[19]. Les Parthes étaient menaçants, et, tandis que Pompée avait envoyé en Espagne quatre vieilles légions, demeurant lui-même en Italie avec deux autres, les frontières orientales n’étaient gardées que par de faibles armées[20], commandées par deux généraux qui n’avaient jamais fait la guerre.


Esprit qui anime les adversaires de César.

IV. Marcellus, après avoir échoué dans son projet d’enlever César à son armée, proposa une mesure qui témoigne du véritable caractère des passions qui agitaient la République. Le père de Pompée avait fondé dans la Cisalpine la colonie de Novum Comum et lui avait donné le droit de Latium, qui conférait aux magistrats de la ville, après une année de fonctions, les privilèges des citoyens romains[21]. César y avait envoyé cinq mille colons, dont cinq cents Grecs[22], et, pendant son premier consulat, leur avait attribué le droit de cité romaine. Or Marcellus s’évertua à leur faire retirer ce droit ; mais n’ayant pas réussi dans cette tentative et ne voulant à aucun prix reconnaître[23] la loi de César, il condamna aux verges, on ne sait pour quel délit, un habitant de Novum Comum. Celui-ci réclama, invoquant le bénéfice accordé à sa cité : ce fut en vain. Marcellus le fit fouetter en lui disant : « Va montrer tes épaules à César ; c’est ainsi que je traite les citoyens qu’il fait[24]. » Ce mépris pour les nouveaux droits prouvait bien l’orgueilleux dédain du parti aristocratique, blâmant l’une des choses qui avaient le plus contribué à la grandeur de la République, l’extension successive de la cité romaine aux provinces et aux vaincus eux-mêmes. Confondant dans son aveugle réprobation et le principe d’une politique libérale et celui qui l’avait appliqué, il ne voyait pas que la persécution exercée contre ce citoyen transpadan contribuait encore à grandir César et à légitimer sa popularité.

Voilà pourtant les doctrines et les actes de ces hommes qu’on représente comme les dignes soutiens de la République ! Et Marcellus n’était pas le seul qui, en niant aux Transpadans leurs droits acquis, montrât la perversité de sentiments égoïstes ; les autres principaux personnages de la faction aristocratique ne se recommandaient guère par plus de modération et de désintéressement. « Appius Claudius Pulcher, dit Cicéron, avait traité par le fer et le feu la province confiée à ses soins, l’avait saignée et épuisée de toute manière[25] ; » Faustus Sylla, Lentulus, Scipion, Libon et tant d’autres, cherchaient à s’élever par la guerre civile et à refaire leur fortune par le pillage[26] ; Brutus, dont la conduite était celle d’un usurier, se servait des troupes de son pays pour pressurer les peuples alliés. Ayant prêté de l’argent aux habitants de Salamine, il entendait se faire rembourser le capital et l’intérêt au taux usuraire de 4 % par mois, ou 48 % par an. Pour recouvrer sa créance, un certain Scaptius, son fondé de pouvoirs, avait obtenu d’Appius une troupe de cavalerie avec laquelle, d’après Cicéron, « il tint assiégé le sénat de Salamine au point que cinq sénateurs moururent de faim. » Cicéron, devenu gouverneur de la Cilicie, voulut réparer cette injustice. Brutus, irrité, lui écrivit des lettres pleines d’arrogance, dont Cicéron se plaignit à Atticus avec vivacité : « Si Brutus prétend que je devais faire payer Scaptius sur le pied de 4 % par mois, malgré mes règlements et mes édits, qui fixaient l’intérêt à 1 %, et lorsque les usuriers les moins traitables se contentent de ce taux-là ; s’il trouve mauvais que je lui aie refusé une place de préfet pour un négociant ; … s’il me reproche d’avoir retiré la cavalerie, je regrette beaucoup de le mécontenter, mais bien davantage de le trouver si différent de ce que je l’avais cru[27]. » Il y avait une loi de Gabinius destinée à prévenir ces abus ; elle défendait aux villes d’emprunter à Rome pour acquitter leurs impôts. Mais Brutus avait obtenu un sénatus-consulte pour s’affranchir de cette gêne[28], et il employait même des moyens de coercition pour recevoir deux ou trois fois la valeur de ce qu’il avait donné. Telle était la probité d’un homme dont on vantait la vertu. C’est ainsi que le parti aristocratique entendait la liberté ; la haine contre César venait surtout de ce qu’il prenait à cœur la cause des opprimés et de ce que pendant son premier consulat, comme le dit Appien, il n’avait rien fait en faveur des grands[29].

Le prestige de ses victoires avait contenu l’opposition ; lorsque approcha le terme de son commandement, toutes les inimitiés se réveillèrent ; elles attendaient que, rentré dans la vie commune, il ne fût plus protégé par les prérogatives attachées à l’imperium. « Marcus Caton, dit Suétone, jurait qu’il dénoncerait César aux magistrats dès qu’il aurait licencié son armée, et l’on répétait généralement que, si César revenait en simple particulier, il serait, comme Milon, obligé de se défendre devant des juges entourés d’hommes en armes. Asinius Pollion rend cette version fort vraisemblable ; il rapporte qu’à la bataille de Pharsale, César, jetant les yeux sur ses adversaires vaincus ou fugitifs, s’écria : Ils l’ont voulu ! Après tant de grandes choses accomplies, moi, Caïus César, j’étais condamné, si je n’eusse demandé secours à mon armée[30]. » Aussi Cœlius, écrivant à Cicéron, posait-il la question sous son véritable jour en disant : « César se persuade qu’il n’y a pour lui de salut qu’en gardant son armée[31] ; » et, d’un autre côté, comme nous l’apprend Dion-Cassius, Pompée n’osait pas soumettre le différend au peuple, sachant bien que, si le peuple était pris pour juge, César l’emporterait[32].


La question de droit entre le sénat et César.

V. C’est ici le lieu d’examiner à quelle époque expirait le pouvoir de César et quel fut le prétexte du conflit qui s’éleva entre lui et le sénat.

Depuis longtemps de savants historiens se sont occupés de ce sujet ; ils se sont livrés aux recherches les plus approfondies, aux plus ingénieuses suppositions, sans arriver cependant à un résultat complètement satisfaisant[33] ; ce qui ne doit pas surprendre, puisque Cicéron lui-même trouvait la question obscure[34].

En vertu d’une loi de C. Sempronius Gracchus, nommée lex Sempronia, il avait été décidé que le sénat désignerait, avant l’élection des consuls, les provinces qu’ils devaient administrer en quittant leurs fonctions. Lorsque César et Bibulus furent nommés, au lieu de provinces, on leur attribua l’inspection des voies publiques. Mais César, ne voulant pas souffrir cet affront, se fit donner par un plébiscite, sur la proposition de Vatinius, le gouvernement de la Gaule cisalpine pour cinq ans ; le sénat y ajouta la Gaule transalpine, qui formait alors une province séparée, indépendante de l’autre[35]. En 699, la loi Trebonia prorogea, pour cinq nouvelles années, le commandement de César en Gaule. Ce commandement devait donc durer dix ans, et, comme César n’entra dans ses fonctions proconsulaires qu’au commencement de l’année 696, il semble naturel d’en induire que ces dix années devaient aller jusqu’au 1er janvier 706. On voit cependant que, dès la fin de 704, le sénat regardait le pouvoir de César comme périmé. On se demande alors sur quel fondement cette assemblée s’appuyait pour prétendre que les dix années dévolues au proconsul étaient accomplies à cette époque. Voici, selon nous, l’explication.

C’est au mois de mars qu’avait lieu habituellement la prise de possession du gouvernement des provinces[36] par les consuls sortants. Il est par conséquent très-probable que la loi de Vatinius, rendue, comme nous l’avons dit, en 695, fut votée vers les derniers jours du mois de février de cette même année, et que le proconsulat attribué à César dut partir du jour de la promulgation de la loi. Rien ne l’aurait empêché, en effet, d’abréger le temps de sa magistrature et de saisir, avant le terme de ses fonctions curules, le commandement militaire ou l’imperium, comme le fit en 699 Crassus, qui partit pour la Syrie sans attendre la fin de son consulat. Dès lors, en supposant, ce qui n’est pas impossible, que toute l’année du consulat de César fût comprise dans son proconsulat[37], les cinq premières années de son commandement devaient dater de 695 et finir au 1er janvier 700. Le Discours sur les provinces consulaires prouve qu’on l’entendait bien ainsi : À l’époque où il fut prononcé (juillet ou août 698), on s’occupait de la désignation des provinces destinées aux consuls qui devaient sortir de charge dix-huit mois après, c’est-à-dire en 700, et il était question de remplacer César. Le premier quinquennium de son commandement se terminait donc en décembre 699, et par conséquent le second en décembre 704. Tel était le système du sénat, très-porté naturellement à diminuer la durée du proconsulat des Gaules[38]. Aussi Hirtius nous apprend-il qu’en 703 les Gaulois savaient que César n’avait plus qu’un été, celui de 704, à passer dans la Gaule[39]. Dion-Cassius dit également que le pouvoir de César devait finir avec l’année 704[40]. Suivant Appien, le consul Claudius Marcellus proposait, au commencement de 704, de nommer un successeur à César, dont les pouvoirs allaient expirer[41]. D’autre part, Cicéron rapporte dans une de ses lettres que Pompée semblait d’accord avec le sénat pour exiger le retour du proconsul aux ides de novembre de 704. À la fin de cette même année, le grand orateur émet dans les termes suivants son opinion personnelle au sujet de la prétention élevée par César d’être dispensé de venir à Rome briguer le consulat : « Eh quoi ! faut-il donc tenir compte d’un homme qui gardera son armée après le jour fixé par la loi[42]? » Quelque temps après, apostrophant César dans une lettre à Atticus[43], il s’écrie : « Vous avez gardé pendant dix ans une province que vous vous êtes fait continuer non par la souveraine volonté du sénat, mais par vos intrigues et vos violences ; vous avez dépassé le terme fixé par votre ambition et non par la loi… Vous retenez votre armée plus longtemps que le peuple ne l’a ordonné et que le peuple ne le veut. » D’un autre côté, une phrase de Suétone dit d’une manière très-formelle que César entendait se porter candidat en 705 pour exercer le consulat en 706, lorsqu’il aurait achevé le temps de son proconsulat[44]. Enfin le sénat regarde si bien le commencement de l’année 705 comme le terme obligé du commandement de César, que, dès le mois de janvier, il le déclare ennemi de la République, parce qu’il est encore à la tête de ses soldats, et décrète contre lui des mesures extrêmes[45].

Mais la discussion entre le sénat et César ne portait pas sur le terme de son commandement. César se présentait aux comices consulaires de l’année 705. Une loi, soumise au peuple par les dix tribuns, appuyée par Pompée et Cicéron, lui avait permis de briguer cette charge quoique absent[46]. Cette loi aurait été sans objet si elle n’eût impliqué l’autorisation pour César de conserver son armée jusqu’à l’époque des élections consulaires. Certains auteurs pensent même que ce droit devait être formellement réservé dans la loi. L’Épitome de Tite-Live dit en effet que, d’après la loi, il devait garder son commandement jusqu’au temps de son second consulat[47]. De son côté, Cicéron écrit à Atticus que le meilleur argument pour refuser à César absent la faculté de briguer le second consulat, c’est qu’en la lui accordant on lui reconnaît du même coup le droit de garder sa province et son armée[48]. Cet avantage, César l’appelle benefecium populi[49], et, quand il se plaignait qu’on lui enlevât six mois de son commandement, il comptait le temps qui devait s’écouler du 1er janvier 705 au mois de juillet, époque des comices consulaires[50].

Néanmoins César avait un grand intérêt à garder son armée jusqu’à ce qu’il fût nommé à la première magistrature de la République, car il conservait alors l’imperium aussi longtemps que Pompée, dont les pouvoirs, prorogés en 702, devaient finir au 1er janvier 707[51]. Il était évident qu’il ne voulait pas désarmer avant son rival ; or, d’après la combinaison légalement établie, il restait consul jusqu’au 1er janvier 707, son commandement finissait en même temps que celui de Pompée, et il n’avait dès lors plus rien à craindre des machinations de ses ennemis.

En effet, tout allait bientôt se résumer dans une lutte ouverte entre César et Pompée. Vainement le premier cherchera-t-il tous les moyens de conciliation, vainement le second s’efforcera-t-il de se soustraire aux exigences de son parti, la force des choses les poussera infailliblement l’un contre l’autre. Et de même qu’on voit, dans le liquide traversé par un courant électrique, tous les éléments qu’il renferme se porter aux deux pôles opposés, de même, dans la société romaine en dissolution, toutes les passions, tous les intérêts, les souvenirs du passé, les espérances de l’avenir, vont se séparer violemment et se partager entre deux hommes personnifiant l’antagonisme de deux causes contraires.


Intrigues pour ôter à César son commandement.

VI. Reprenons le récit des événements. Pompée, tout-puissant quoique simple proconsul, s’était, ainsi que nous l’avons dit, retiré à Tarente ; il semblait vouloir rester étranger aux intrigues qui se tramaient à Rome ; il paraît même qu’il avait l’intention d’aller en Espagne gouverner sa province[52]. Au début des révolutions, la majorité du peuple et même celle des assemblées inclinent toujours vers la modération ; mais bientôt, dominées par une minorité passionnée et entreprenante, elles se jettent à sa suite dans des voies extrêmes. C’est ce qui arriva à cette époque. Marcellus et son parti s’efforcèrent d’abord d’entraîner Pompée, et, celui-ci une fois décidé, ils entraînèrent le sénat. Au moment où, au mois de juin, Pompée s’apprêtait à rejoindre les troupes stationnées à Ariminum, on le fit revenir à Rome, et, lorsque, le 11 des calendes d’août, les sénateurs se rassemblèrent au temple d’Apollon pour régler la solde de ses troupes, on lui demanda pourquoi il avait prêté une légion à César. Obligé de s’expliquer, il promit de la rappeler, mais non immédiatement, ne voulant pas avoir l’air de céder à des menaces. On insista encore pour connaître son opinion sur le rappel de César ; alors, par une de ces phrases évasives qui lui étaient habituelles et qui révélaient son hésitation, il répondit que « tout le monde devait également obéissance au sénat[53]. » On ne statua rien sur les pouvoirs consulaires.

La question du gouvernement des Gaules devait être reprise aux ides d’août, puis enfin au mois de septembre ; mais le sénat ne se trouvait jamais en nombre pour délibérer, tant il craignait de se prononcer. On ne se décida à aborder franchement la question que lorsqu’on fut convaincu du consentement de Pompée au rappel de César[54]. Alors furent présentés des décrets qui liaient à l’avance les consuls

désignés pour l’année suivante et leur imposaient une règle de conduite : leur hostilité contre César avait déterminé leur élection. Le 11 des calendes d’octobre, M. Marcellus, qui se fit l’organe des passions du moment, exigea des garanties si nombreuses et si insolites qu’on pouvait juger à quel point son parti avait à cœur de l’emporter. Ainsi les consuls récemment élus devaient prendre l’engagement de mettre la question à l’ordre du jour pour les calendes de mars ; jusqu’à ce qu’elle fût réglée, le sénat serait tenu de s’assembler pour en délibérer tous les jours, même ceux qu’on appelait comitiales, où toute réunion de ce corps était interdite, et, à cet effet, les sénateurs qui rempliraient les fonctions de juges seraient mandés dans la curie. Le sénat aurait aussi à déclarer d’avance que ceux qui avaient le pouvoir d’intercéder s’abstiendraient, et que, s’ils intercédaient ou demandaient un ajournement, ils seraient considérés comme ennemis de la République ; rapport de leur conduite serait fait, à la fois, au sénat et au peuple[55]. Cette proposition fut adoptée et inscrite au procès-verbal comme une décision ou un avis du sénat (senatus auctoritas). Quatre tribuns du peuple intercédèrent : C. Cœlius, L. Vinucius, P. Cornelius, C. Vibius Pansa.

Il ne suffisait pas de préparer les attaques contre le commandement de César, il fallait aussi redouter le mécontentement de l’armée, et, afin de le conjurer ou d’en atténuer l’effet, M. Marcellus fit encore inscrire dans le procès-verbal du sénat la décision suivante : « Le sénat prendra en considération la situation des soldats de l’armée des Gaules dont le temps de service est expiré ou qui produiront des motifs valables pour être rendus à la vie civile. » C. Cœlius et Vibius Pansa renouvelèrent leur opposition[56].

Quelques sénateurs, plus impatients, demandèrent qu’on n’attendît pas, pour statuer sur la question, l’époque fixée par M. Marcellus. Pompée intervint encore comme modérateur, et dit qu’on ne pouvait pas sans injustice prendre, au sujet de la province de César, une décision avant les calendes de mars 704, époque à laquelle il n’y trouverait plus aucun inconvénient. « Que fera-t-on, demanda un des sénateurs, si l’on s’oppose à la décision du sénat ? » — « Peu importe, répondit Pompée, que César refuse d’obtempérer à cette décision ou qu’il aposte des gens pour intercéder. » — « Mais, dit un autre, s’il veut être consul et garder son armée ? » Pompée se borna à répliquer avec un grand sang-froid : « Si mon fils voulait me donner des coups de bâton ?… » Il affectait toujours, on le voit, de l’obscurité dans ses réponses. La conclusion naturelle de ce langage fut de faire supposer des négociations secrètes avec César, et l’on crut que ce dernier accepterait l’une de ces deux conditions, ou de garder sa province sans briguer le consulat, ou de quitter son armée et de revenir à Rome lorsqu’il aurait été, quoique absent, désigné consul.

Le sénat déclara aussi que, pour la province de Cilicie et les huit autres provinces prétoriennes, les gouverneurs seraient choisis au sort entre les préteurs qui n’avaient point encore eu de gouvernement. Cœlius et Pansa firent opposition à ce décret, qui laissait la faculté à cette assemblée de donner les commandements à son gré[57]. Ces différentes mesures révélaient assez les préoccupations du sénat, et les politiques prudents voyaient avec inquiétude qu’il cherchât à précipiter les événements.

La discorde à l’intérieur paralyse généralement à l’extérieur toute politique nationale. Absorbé par ses intrigues au dedans, le parti aristocratique sacrifiait les grands intérêts de la République. Vainement Cicéron écrivait-il que ses forces étaient insuffisantes pour résister aux Parthes, dont l’invasion paraissait imminente : les consuls se refusaient à entretenir le sénat de ses réclamations, ne voulant ni partir eux-mêmes pour entreprendre une campagne si éloignée, ni permettre à d’autres d’aller à leur place[58]. Il leur importait bien plus d’abaisser César que de venger Crassus, et cependant l’opinion publique, émue des dangers que courait la Syrie, réclamait un commandement extraordinaire en Orient, soit pour Pompée, soit pour César[59]. Heureusement les Parthes n’attaquèrent point ; Bibulus et Cicéron n’eurent à combattre que des bandes de pillards. Ce dernier, le 3 des ides d’octobre, défit, auprès du mont Amanus, un parti de montagnards ciliciens. Il enleva leur camp, assiégea leur forteresse Pindenissus et s’en empara ; ses soldats le saluèrent imperator[60]. Depuis lors, il prit ce titre dans la suscription de ses lettres[61].

  1. Guerre des Gaules, VI, xii.
  2. Guerre des Gaules, II, xv.
  3. Guerre des Gaules, VI, iv.
  4. Guerre des Gaules, II, xii.
  5. Guerre des Gaules, VI, iv.
  6. Guerre des Gaules, VII, lxxvi.
  7. Guerre des Gaules, V, xxvii.
  8. Guerre des Gaules, V, xxv, liv.
  9. Guerre des Gaules, IV, xxi.
  10. Guerre des Gaules, V, iv.
  11. Guerre des Gaules, VII, xxxiii.
  12. « Dès le printemps il convoqua, selon l’usage, l’assemblée de la Gaule. » (Guerre des Gaules, VI, iii.)
  13. Cicéron paraît craindre pour sa femme et sa fille en pensant que l’armée de César était remplie de barbares. (Cicéron, Lettres à Atticus, VII, xiii, an 705.) Il écrivait à Atticus que, suivant Matius, les Gaulois offraient à César 10 000 hommes d’infanterie et 6 000 de cavalerie, qu’ils entretiendraient à leurs dépens pendant dix années. (Cicéron, Lettres à Atticus, II, xii, 2.)
  14. « Tout cela, écrit Cœlius à Cicéron, ne se dit pas en public, mais en secret, dans le petit cercle que vous connaissez bien, sed inter paucos quos tu nosti palam secreto narrantur » (Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, i.)
  15. Dion Cassius, XL, lix.
  16. Cicéron, Lettres familières, VIII, x.
  17. Cicéron, Lettres à Atticus, V, xviii.
  18. Cicéron à Cœlius, Lettres familières, II, viii.
  19. « Je m’établis quelques jours près d’Issus, sur l’emplacement même du camp d’Alexandre, qui était tant soit peu meilleur général que vous et moi. » (Cicéron, Lettres à Atticus, V, xx.) — « Que cette mission va mal à mes habitudes, et qu’on a raison de dire : Chacun son métier ! » (Cicéron, Lettres à Atticus, V, x, 18.)
  20. Cicéron avait deux légions, mais fort incomplètes.
  21. Asconius, In Pisonem, 3. — Appien, Guerres civiles, II, xxvi.
  22. Strabon, V, 177.
  23. Suétone, César, xxviii.
  24. Appien, Guerres civiles, II, xxvi.
  25. Cicéron, Lettres à Atticus, VI, i.
  26. En parlant du parti de Pompée, Cicéron s’écrie : « Des hommes qui tous, à l’exception d’un très-petit nombre, ne respiraient que le pillage, des discours à faire frémir, d’autant plus que la victoire pouvait les convertir en réalité, pas un personnage considérable qui ne fût criblé de dettes ; il n’y avait absolument rien de beau, si ce n’est la cause que l’on servait. » (Cicéron, Lettres familières, VII, iii.) — « Ils s’accordent tous à dire, et Crassipès avec eux, que là-bas ce ne sont qu’imprécations, que menaces de haine aux riches, de guerre aux municipes (admirez leur prudence !), que proscriptions en masse ; ce ne sont que des Sylla, et il faut voir le ton de Lucceius, et tout ce cortège de Grecs, et ce Théophane ! Voilà pourtant l’espoir de la République ! Un Scipion, un Faustus, un Libon avec leurs assemblées de créanciers sur les bras, de quelles énormités ces gens-là ne sont-ils pas capables ? Quel excès contre leurs concitoyens se refuseront de pareils vainqueurs ? » (Cicéron, Lettres à Atticus, IX, xi.)
  27. Cicéron, Lettres à Atticus, VI, i.
  28. « Les Salaminiens voulaient emprunter de l’argent à Rome pour payer leurs impositions, mais, comme la loi Gabinia le défendait, les amis de Brutus qui offraient de leur en prêter à 4 % par mois demandaient pour leur sûreté un sénatus-consulte, que Brutus leur fit obtenir. » (Cicéron, Lettres à Atticus, V, xxi.)
  29. Appien, Guerres civiles, II, xxv.
  30. Suétone, César, xxx.
  31. Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, xiv.
  32. Dion-Cassius, XLI, vi.
  33. À notre avis, le professeur A. W. Zumpt (Studia romana, Berlin, 1859) est le seul qui ait éclairci cette question ; aussi lui empruntons-nous la plupart de ses arguments. Quant à M. Th. Mommsen, dans une dissertation spéciale, intitulée La Question de droit entre César et le sénat, il établit qu’il fallait distinguer dans le proconsulat entre la provincia et l’imperium. Suivant lui, la provincia étant attribuée en même temps que le consulat, on ne pouvait, d’après la loi Sempronia, en prendre possession qu’aux calendes du mois de janvier de l’année suivante ; l’imperium, ou commandement militaire, venait s’y ajouter deux mois plus tard, aux calendes de mars. La provincia était donnée par un sénatus-consulte et comptait de janvier à janvier ; l’imperium était donné par une loi curiate et allait de mars à mars ; l’imperium suivait les règles du service militaire, une année commencée était réputée finie comme pour les campagnes des soldats, et ainsi les deux premiers mois de 705 pouvaient compter comme une année entière. Le savant professeur conclut que, si le sénat avait le droit d’enlever à César son imperium, il ne pouvait pas lui enlever le commandement de la province avant la fin de l’année 705, et que César se serait alors trouvé dans la même position que tous les proconsuls qui, pendant l’intervalle entre le 1er janvier, commencement de leur proconsulat, et le 1er mars, époque où ils recevaient l’imperium, avaient la potestas et non le commandement militaire. Ce système, on le voit, repose sur des hypothèses difficiles à admettre.
  34. « Erat autem obscuritas quædam. » (Cicéron, Pour Marcellus, x.)
  35. La question se compliquait par la différence d’origine des pouvoirs donnés pour chacune des deux Gaules. Le sénat pouvait bien retrancher du commandement de César la Gaule ultérieure, qui lui avait été attribuée par un sénatus-consulte, mais il ne pouvait lui enlever la Gaule citérieure, accordée par un plébiscite, et cependant c’était l’opinion contraire que Cicéron soutenait en 698. En effet, il s’écriait alors, dans son Discours sur les provinces consulaires : « Le préopinant détache la partie de la province sur laquelle il ne peut y avoir d’opposition (parce qu’elle a été donnée par un sénatus-consulte), et ne touche pas à celle que l’on peut très-bien attaquer ; et, en même temps qu’il n’ose enlever ce qui a été donné par le peuple, il se hâte d’ôter, tout sénateur qu’il est, ce qui a été donné par le sénat. » (Cicéron, Discours sur les provinces consulaires, xv. — Velleius Paterculus, II, xliv. — Suétone, César, xx. — Appien, Guerres civiles, II, xiii. — Dion-Cassius, XXXVIII, viii.)
  36. Le 1er mars était le commencement de l’ancienne année romaine, époque de l’entrée des généraux en campagne.
  37. P. Servilius, qui fut consul en 675, prit possession de sa province peu de temps après être entré en charge comme consul ; il revint en 679. Cicéron (Troisième discours contre Verrès, xc) dit qu’il commanda durant cinq ans. Ce chiffre ne peut s’expliquer qu’en admettant que les années 675 et 679 étaient comptées comme complètes. L. Pison, qui fut consul en 696, quitta Rome à la fin de son consulat et y revint dans l’été de 699. Or on le regardait comme ayant exercé le commandement pendant trois années (Cicéron, Contre Pison, xxxv, xl.) Il faut donc que l’on comptât comme une année de proconsulat les quelques mois de 695.(Voyez Mommsen, La Question de droit entre César et le sénat, p. 28.)
  38. Dans tous les temps, on a vu les assemblées s’efforcer de diminuer la durée des pouvoirs donnés par le peuple à un homme qui ne leur était pas sympathique. En voici un exemple : la Constitution de 1848 décidait que le Président de la République française serait nommé pour quatre ans. Le prince Louis-Napoléon fut élu le 10 décembre 1848, et proclamé le 20 du même mois. Ses pouvoirs auraient dû finir le 20 décembre 1852. Or l’Assemblée constituante, qui prévoyait l’élection du prince Louis-Napoléon, fixa le terme de la présidence au deuxième dimanche du mois de mai 1852, lui enlevant ainsi sept mois.
  39. Guerre des Gaules, VIII, xxxix.
  40. Dion-Cassius, XL, lix.
  41. Appien, Guerres civiles, II, iv.
  42. « Quid ergo ? exercitum retinentis, quum legis dies transierit, rationem haberi placet ? Mihi vero ne absentis quidem. » (Lettres à Atticus, VII, vii.)
  43. Cicéron, Lettres à Atticus, VII, ix.
  44. « Absenti sibi, quandocumque imperii tempus expleri cœpisset. » (Suétone, César, xxvi. — Cicéron, Lettres familières, VIII, ix.)
  45. César, Guerre civile, I, v.
  46. « J’ai lutté pour qu’on tînt compte à César de son absence. Ce n’était pas pour le favoriser ; c’est pour l’honneur d’une décision du peuple provoquée par le consul lui-même. » (Cicéron, Lettres familières, VI, vi.)
  47. Tite-Live, Epitome, CVIII.
  48. « Sed quum id datum est, illud una datum est. » (Lettres à Atticus, VII, vii.)
  49. « Doluisse se, quod populi romani beneficium sibi per contumeliam ab inimicis extorqueretur, erepto semestri imperio in Urbem retraheretur. » (César, Guerre civile, I, ix.)
  50. Voyez, sur l’époque des comices, Cicéron, Lettres à Atticus, III, xiii ; Lettres familières, VIII, iv.
  51. Quoique tous les faits prouvent que le terme du pouvoir dût cesser en 707, Plutarque (Pompée, lv) compte quatre ans de prorogation et Dion-Cassius (XL, xliv, xlvi) cinq, ce qui montre la différence d’évaluation des dates (Zumpt, Studia romana, 85.)
  52. « Je crois certainement à Pompée l’intention de partir pour l’Espagne, et c’est ce que je n’approuve pas du tout. Il m’a été facile de démontrer à Théophane que le mieux était de ne pas s’éloigner. Je suis plus inquiet de la République depuis que je vois par vos lettres que notre ami Pompée doit aller en Espagne. » (Cicéron, Lettres à Atticus, V, ix.)
  53. Cicéron, Lettres familières, VIII, iv.
  54. « Mais enfin, après plusieurs remises successives et la certitude bien acquise que Pompée voulait qu’on s’occupât du rappel de César aux calendes de mars, on rendit le sénatus-consulte que je vous envoie. » (Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, viii.)
  55. Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, viii.
  56. Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, viii.
  57. Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, viii, 3, 4.
  58. « Mais les consuls, qui craignent d’être obligés, par un décret du sénat, de partir pour la guerre, et qui sentent néanmoins combien il leur serait honteux que cette commission tombât sur un autre qu’eux, ne veulent point absolument que le sénat s’assemble ; ils vont jusqu’à se faire soupçonner de manquer de zèle pour la République : on ne sait si c’est négligence, ou lâcheté, ou la crainte dont je viens de parler, mais ce qui se cache sous cette apparence de retenue, c’est qu’ils ne veulent pas de cette province. » (Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, x.)
  59. « Avec le secours de Dejotarus, on pourra arrêter les ennemis jusqu’à l’arrivée de Pompée, qui me mande qu’on le destine pour cette guerre. » (Cicéron, Lettres à Atticus, VI, i.) — « À cette nouvelle du passage de l’Euphrate, chacun s’est mis à donner son avis : celui-ci veut qu’on envoie Pompée, celui-là César et son armée. » (Cœlius à Cicéron, Lettres familières, VIII, x.)
  60. Cicéron, Lettres à Atticus, V, xx.
  61. Il garda ce titre jusqu’au moment où la guerre civile éclata.