Histoire de Marguerite, fille de Suzon/3

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Imprimerie du Louvre (p. 97-372).

LA
CAUCHOISE,
OU
MÉMOIRES
D’UNE
COURTISANNE CÉLÈBRE.




AUX LECTEURS.

Plusieurs d’entre vous s’élevent de tems en tems, & avec juſtice, contre la démangeaiſon d’écrire & la multiplicité des livres. En effet, cette manie ne s’eſt jamais portée aux excès dont nous ſommes journellement les témoins & malheureuſement les victimes. Il n’y a perſonne aujourd’hui, ſur-tout parmi les jeunes gens, qui ne veuille, à quelque prix que ce ſoit, obtenir les honneurs typographiques. Quel nombre prodigieux d’écrits de toute eſpece ! Eh bon dieu ! quels écrits s’impriment tous les jours ! On ne ſait ce que c’eſt que penſer & l’on croit ſavoir écrire ! On veut s’illuſtrer, & c’eſt ainſi que l’on ſe rend ridicule : on prétend enchérir ſur ſes dévanciers & enrichir la république des lettres, mais on l’appauvrit en effet. On croira bien peut-être que tel ou tel auteur a des talens, de l’eſprit, du génie même, ſi l’on veut : mais quels ravages la fureur de ſe faire imprimer ne fait-elle pas dans la tête d’un jeune homme ? d’ailleurs, ſuffit-il d’avoir de l’eſprit pour écrire ? ne faudroit-il pas au moins étudier auparavant ſa langue, connoître la valeur & la ſignification des termes, apprendre à penſer, à lier ſes idées, & ce qui eſt plus important & difficile encore, à former, à épurer, à perfectionner ſon goût. Ce n’eſt pas ſans raiſon que pluſieurs auteurs ont évité le déſagrément d’une chûte, en faiſant paroître leurs ouvrages ſous un nom emprunté ; ils réuſſiſſent ainſi à mettre leurs défauts à l’ombre, ſous le voile d’une reputation étrangère, ou à piquer par cette annonce la curioſité des lecteurs.

Il a été dit par un François, homme de lettres, très-digne de foi, que voyageant dans l’Empire, un baron allemand ſe fit honneur de lui montrer ſa bibliotheque, l’une des plus nombreuſes & des mieux choiſies qu’il y eut dans le pays. Croiroit-on qu’elle étoit compoſée preſqu’en entier de livres françois que cet homme de lettres ne connoiſſoit pas même de nom ? Le voyageur ne pouvoit revenir de ſa ſurpriſe, & le poſſeſſeur de tant de tréſors, ſurpris lui-même de ſon étonnement, le prenoit pour un ignorant : il eſt vrai que notre françois ignoroit abſolument que ces ſortes de livres s’impriment en Hollande & même en France, ſans qu’on en débite un ſeul exemplaire à Paris, mais qu’on les envoie par ballots aux foires de Leipzick & de Francfort. Là, les libraires du pays, auſſi adroits pour le moins que les nôtres, ne manquent jamais de dire à leurs amateurs que ces ouvrages ont en la plus grande vogue & le plus grand ſuccès parmi nous ; &, ſur leur parole, toute la nation Germanique s’empreſſe d’en faire emplette.

Voici quelque choſe d’auſſi ſingulier que l’on peut donner comme ſûr. Un homme qui n’auroit jamais été ſoupçonné d’être auteur, diſoit un jour en confidence à l’un de ſes amis, qu’il faiſoit imprimer de tems en tems à ſes frais des romans de ſa façon, mais qu’il ſe donnoit bien de garde de les publier à Paris, où le ſuccès étoit trop incertain, que d’ailleurs on y étoit expoſé aux traits & à la rigueur de la cenſure, mais qu’il avoit trouvé un moyen unique de concilier les intérêts, de ſa fortune & ceux de ſon amour-propre, & de ſe mettre à l’abri de l’indigence & du ridicule attachés au métier d’auteur médiocre. On le pria fort inſtamment de faire part de ſon ſecret. Mon cher, répondit-il, je fais partir les éditions entieres de mes romans pour les iſles, comme on y envoie des pacotilles d’autres marchandiſes. Je reçois en retour du café, du ſucre, de la cochenille, des mouſſelines, des toiles & des étoffes des Indes, &c. &c., dont je me défais avec avantage ; enſorte qu’une petite brochure, qui ſe payeroit ici tout au plus quarante ſols, m’eſt ſouvent payée ſur le pied de cent ſols & même de ſix francs. Voilà, ſans doute, ce qui s’appelle avoir tirer parti de la profeſſion : nos meilleurs écrivains, avec tout leur génie, ne s’aviſeroient pas en mille ans, d’un pareil négoce.

Si l’on fait des ouvrages pour les pays étrangers & pour les colonies, on en compoſe & l’on en diſtribue auſſi pour les différentes claſſes de lecteurs. Les curés de la campagne, les moines, les commis, les praticiens, les écoliers, les petits bourgeois, les artiſans, les ouvriers, les femmes-de-chambre, les gens d’anti-chambre, de cuiſine, d’écurie, les portiers, toute la valetaille même, &c. veulent lire, ſoit pour s’amuſer, ſoit pour former leur eſprit. Il leur faut des livres à leur portée, & nous avons heureuſement beaucoup d’auteurs dans le cas de n’employer que la doſe d’eſprit qui convient à tout ce monde-là : un roman que nous lirons avec plaiſir les ennuyeroit mortellement ; ils n’entendroient rien à ces ouvrages ingénieux où le grand monde ſeroit dépeint avec délicateſſe, de même que nous ne pourrions jamais ſupporter la lecture de tel livre qui les enchante, parce que leurs mœurs, ou celles des gens de leur connoiſſance, y ſont décrites fort intelligiblement, & que rien ne ſauroit les intéreſſer davantage.

C’eſt à nos lecteurs à décider pour quelle eſpece de gens a été compoſé ce que renferme la brochure qu’on leur préſente ici, ſous le titre de la Cauchoise, ou Mémoires d’une Courtisanne célebre : c’eſt l’ouvrage d’un ſeul & même auteur, déjà connu par le poëme dramatique, intitulé, les Héros Américains, &c. ainſi que l’Almanach des Spectacles, dans lequel on trouve ſon nom & la liſte de quelques-uns de ſes ouvrages parmi ceux des auteurs vivans.


*

LA CAUCHOISE.



Il eſt aſſez ordinaire que quand on ne peut plus goûter les plaiſirs, on cherche à les décrier. Eh pourquoi déconcerter ainſi la jeuneſſe ? N’eſt-ce pas à ſon tour à s’ébattre & à ſentir l’amour ? N’anathématiſons donc ces plaiſirs que comme on le faiſoit dans la Grece, où ils n’étoient défendus que pour en multiplier le charme & la fécondité ; alors, vieillards moins déraiſonnables, quoique vieux avant la vieilleſſe, vous ferez ſupportables & peut-être même aimables encore. Cette idée de philoſophie doit ſuffire au lecteur pour lui donner d’avance la clef de celles dont je vais lui faire bientôt part : ainſi, ſans autre préambule, j’entre en matiere.

Tous les êtres penſans ont un penchant favori qui les entraîne, & qui ſemble l’emporter ſur toutes leurs autres paſſions. J’ai le mien comme les autres, c’eſt l’amour du plaiſir ; diſons mieux, de la f....rie ; c’eſt là véritablement la cauſe de toutes mes folies & de mes déréglemens : ces deux mots ſuffiront à mon lecteur pour que je doive lui faire l’aveu de ma profeſſion.

Je ſuis putain, je le déclare ingénument : après tout, eſt-ce un mal ? car enfin, rapprochons les idées, qu’eſt-ce que le putaniſme ? c’eſt un état dans lequel on ſuit la nature ſans lui mettre de frein. Après une définition ſi claire, une putain eſt-elle donc un être ſi mépriſable ? Que dis-je ! ne penſe-t-elle pas mieux que les autres femmes ? Elle connoît à fond la nature ; elle en ſuit les impreſſions ; quoi de plus raiſonnable ? En voilà aſſez, je crois, pour prouver l’excellence de mon état. Au reſte, qu’on ne m’en demande pas davantage ; je ſuis incapable d’appuyer ce que je dis par de grands & de ſolides raiſonnemens. J’ai toujours déteſté les longues phraſes ; pourvu que je me faſſe entendre, cela me ſuffit : ainſi donc, je le répete, j’entre en matiere ſans autre préambule.

Ma naiſſance n’a rien de fort illuſtre : cet aveu naïf n’eſt cependant point ordinaire dans les femmes de mon état. Je connois beaucoup de mes cheres & vénérables conſœurs qui ſe donnent une belle origine, ſans en être plus noble pour cela. À les entendre, on ne ſauroit bien remuer le croupion à moins d’être fille d’un prélat, niece d’un conſeiller, couſine d’un duc & pair, &c. Quelle folie qu’une pareille généalogie ! Une véritable putain ne doit abſolument connoître que le plaiſir ; elle doit mépriſer ſa naiſſance & ſes parens, & n’avoir d’autre ambition que celle d’aſſouvir ſa paſſion & de ſe ménager des connoiſſances auſſi utiles qu’agréables : venons au fait.

Je ſuis née dans un village qui eſt à deux lieues du Havre-de-Grace, où l’on ne ſauroit ignorer qu’il y a un college. Mon pere étoit charron : je fus élevée comme on l’eſt toujours à la campagne, quant à l’éducation ; c’eſt-à-dire, fort mal. J’aurois été payſanne toute ma vie ſans mon bon naturel. Mon enfance n’a rien eu d’extraordinaire : on remarquoit ſeulement en moi, dès l’âge le plus tendre, un air de vivacité qui annonçoit de l’eſprit ; auſſi m’en donnoit-on dans le village, & la fille du maître charron y paſſoit-elle pour une bonne piece : c’étoit ainſi que mes dignes compatriotes me déſignoient.

Je fus confondue avec le reſte des payſans juſqu’à l’âge de douze ans. Juſques-là mes occupations les plus ſérieuſes avoient été d’apprendre à lire & à écrire ; je ne ſavois que cela, mais paſſablement pour le pays. Mon pere & ma mere me voyant grandir à vue d’œil, formerent la réſolution de me faire travailler ; ils crurent que je pourrois les ſoulager, mais j’étois naturellement fainéante : c’eſt de ce penchant inné dans toutes mes ſemblables pour la pareſſe, je le dis en paſſant, que j’ai tiré tant d’amour pour ma profeſſion. N’étant bonne à à rien chez mon pere, il réſolut au moins de m’encourager en m’envoyant à la ville : il y avoit long-tems que je deſirais aller au marché ; on me fit acheter cette commiſſion par bien des pleurs & par bien des chagrins domeſtiques.

Un jour vint enfin où mon pere me chargea d’un panier de beurre & d’œufs pour aller les débiter au Havre. J’y fus avec une gaieté admirable, mais je la perdis bientôt devant tous ces beaux meſſieurs de la ville. Que j’étois folle dans ce tems-là ! & que je ſuis différente aujourd’hui !

Parmi les perſonnes que mon pere m’avoit indiquées, il y avoit un vieux procureur de l’amirauté, chez qui j’avois ordre de porter du beurre. Un jeune homme, c’étoit le fils de la maiſon, m’ayant vu entrer chez ſon pere, eut la curioſité de me voir & de me parler. Il me cajola pendant tout le tems que je fus chez eux : de toutes les belles choſes qu’il me dit, je n’entendis ou du moins je ne compris bien qu’un compliment gracieux qu’il me fit ſur ma beauté ; la femme a toujours des oreilles pour cela ; au reſte, ce jeune homme n’étoit rien moins que beau ; des yeux bleus enfoncés dans un front relevé en boſſe, un nez extrêmement court, un teint livide, & par-deſſus le tout, force marques de petite vérole, voilà celui qui m’a le premier conté fleurette : on s’imagine aſſez que je ne répondis rien à ces diſcours ; j’étois trop timide encore pour oſer répliquer. J’avois laiſſé ma langue au village, que je regrettois de bon cœur dans cet inſtant-là.

Au ſortir de cette maiſon, je vendis ce qui me reſtoit, & je retournai fort paiſiblement chez mon pere, ſans faire aucune réflexion ; car j’étois ſi neuve, que je ne penſai pas même aux choſes obligeantes qu’on m’avoit dites. Revenue chez mon pere, on me demanda comment je trouvois la ville ; bien vilaine, répondis-je à ma mere qui m’interrogeoit. Pourquoi donc, dit cette bonne femme ? Ah, ces meſſieurs-là, répartis-je auſſi-tôt, m’ont ſait devenir toute rouge : qu’on juge par cet échantillon de ma ſimplicité : je finis par dire que je n’irois plus à la ville, mais mon pere n’entendit pas cela, & m’y fit retourner quelques jours après.

Mon emploi étoit toujours le même, l’on devine donc aiſément que j’allai chez mon vieux procureur. J’aurois fort ſouhaité de n’y pas trouver ſon fils, mais le drôle étoit un ruſé matois : ſe doutant que je reviendrois le marché ſuivant, il n’avoit eu garde de me manquer : mon minois l’avoit attiré, & plus encore mon pucelage, contre lequel il avoit pris ſes meſures. Cette fois-ci je fus plus contente de lui que la premiere il ſe contenta de me regarder fixement, ce qui me fit baiſſer les yeux, tant j’étois alors agnès. Je ſortis cependant un peu plus hardie, & je repris plus gaiement le chemin de mon village. Mais quelle fut ma ſurpriſe ! À peine avois-je fait une demi-lieue, que j’apperçois ce jeune homme venant au-devant de moi ; me reconnoiſſez-vous, dit-il, en me ſerrant dans ſes bras pour m’embraſſer ? Ma réponſe fut un cri affreux : je voulus m’eſquiver, mais inutilement ; il me retint, & me dit qu’il m’aimoit à l’adoration, & qu’il ne demandoit de moi qu’un peu de retour. Je n’entendois rien à tout ce beau langage, & je le laiſſai continuer ſon jargon tout à ſon aiſe : je ſentois néanmoins un certain plaiſir-à l’entendre ; Je le priai cependant de me quitter, mais il ne me le promit qu’à condition que je lui laiſſerois prendre un baiſer, & il fallut bien en paſſer par-là. Il me baiſa donc, & ce fut ſur la bouche, avec un feu inexplicable ; il redoubla même malgré mes efforts ; enfin, il me quitta les larmes aux yeux. Tout le reſte du chemin je réfléchis ſur ce qui venoit de m’arriver. Les baiſers que j’avois reçus m’avoient beaucoup échauffée : je ne ſavois comment & pourquoi je reſſentois une joie ſecrete dans le fond de mon cœur. Le ſeul ſouvenir de ces baiſers pleins de feu portoit dans toutes mes veines une flamme dont l’ardeur ſembloit ſe concentrer à cette noble partie de notre individu, dont j’ignorois pour lors l’uſage, les charmes & toutes les prérogatives, & ſur laquelle de tems à autre je portois, forcée en quelque ſorte par un tranſport involontaire, une main égarée & tremblante ; je la preſſois au travers du voile qui la couvre, comme un ſoulagement à la démangeaiſon dont j’étois dévorée. J’attribuai cet effet de la nature aux empreſſemens du jeune homme, & ſur-le-champ je conclus que les meſſieurs de la ville valoient bien mieux que mes ſots villageois.

Je me confirmois dans cette idée à meſure que j’allois en ville : mon amant, car je penſe pouvoir donner dès-lors ce nom à celui dont je parle, mon amant, dis-je, me faiſoit mille belles propoſitions ; il vouloit me mettre chez une de ſes amies, chez qui il me verroit, diſoit-il, à chaque inſtant, & où il me donneroit des marques de ſa tendreſſe : peu-à-peu j’avalai le poiſon. Je fus cependant encore trois mois avant que de me rendre : j’héſitois toujours, mais enfin, obſédée par les importunités d’un jeune homme, laſſe d’être chez mon pere, flattée par l’eſpoir d’être heureuſe, je réſolus de lui accorder la premiere fois que je le verrois tout ce qu’il voudroit & qu’il me demanderoit.

Je n’attendis pas long-tems. Le premier jour de marché où je fus à la ville fut celui où mon amant redoubla ſes inſtances. Je balançai quelques inſtans : en fin, je me rendis. Quelle fut ſa joie de poſſéder un objet auſſi aimable que moi ! Ses meſures étoient priſes depuis long-tems : il me conduiſit bien vîte chez une couturiere de ſes amies, dans un quartier éloigné ; ce fut là où je quittai mes œufs, mon beurre & mon pauvre mannequin, que je n’ai jamais reporté depuis.

Juſqu’ici l’on a vu ma ſimplicité, je puis même ſans crainte dire ma bêtiſe ; je vais être toute une autre femme, car déſormais je n’aurai d’autre maîtreſſe que la ſeule nature. Quels progrès ne fait-on pas quand on ſuit ſes maximes, & des préceptes auſſi indulgens que les ſiens ! La maiſon de la couturiere eſt le premier théatre où je vais me former au plaiſir ; ce fut mon noviciat.

Je l’avoue, cette maiſon me frappa d’abord ; mes yeux, il eſt vrai, n’etoient point accoutumés à de grands ſpectacles ; une ſimple chaumiere, une cabane un peu meublée m’avoient paru juſques-là quelque choſe de beau : mais quand j’en fis la comparaiſon avec l’appartement que mon amant me donnoit, j’en ſentis à l’inſtant le contraſte, & la gaieté s’empara bien-tôt de mon ame : la perſpective d’un avenir flatteur me ſéduiſit au point que je me crus heureuſe pour jamais. Tems fortuné ! où le paſſé n’eſt pour nous qu’un vain ſonge, où le préſent nous tient lieu de félicité, & où l’avenir nous paroît un tréſor ſûrement acquis, un tribut dû aux charmes & aux plaiſirs dont nous paroiſſons enivrer nos amans, qui, de leur côté, ſa vent y mettre le comble par des promeſſes d’autant plus flatteuſes qu’elles ſemblent être le but & le ſceau du bonheur pour eux & pour nous : c’eſt ce que j’éprouvai dans cet inſtant. En effet, une chambre aſſez propre, un petit cabinet, me paroiſſoient une demeure magnifique. On me donna le tems d’admirer tout ce que je voyois autant que je le voulus. Le moment critique pour ma virginité vint enſuite. Je ſavois très-bien pourquoi j’étois venue dans cette maiſon, & je ne fis ni la ſotte ni la bégueule ; d’ailleurs, je n’avois point aſſez d’expérience pour cela : auſſi mon amant me prit-il mon bijou, le mania-t-il à ſon gré, & me donna-t-il ſans réſiſtance autant de baiſers qu’il voulut. Je ne fis aucun effort pour me dérober à ſes ardentes careſſes ; mais s’il n’eut pas à combattre ma volonté, il eût d’autres obſtacles à vaincre ; il étoit muni de taille à ne pouvoir pas ſi promptement eſcamoter un pucelage : plus gros par le haut que par le bas, ſon v... eût été excellent pour quelque douairiere : il s’eſcrima long-tems contre mon pauvre joujou, qui ne deſſerroit pas les levres : mon amant avoit déjà fait pluſieurs libations, & très-copieuſes, ſur mes cuiſſes, qui ne m’avoient pas cauſé la plus légere émotion : je ne ſavois point encore alors l’intérêt qu’il toute fille ou femme de ne pas perdre une ſeule goutte de ce liquide précieux ; enfin, après une heure de tourment & de combat, mon champion, plus heureux que les troupes Françoiſes qui voulurent s’emparer au commencement de 1781 de l’isle de Jerſey, où elles furent preſqu’abſolument maſſacrées, entra dans le fort : il fut complétement mon vainqueur, mais ce fut avec tant de peine, que je ne crus jamais me retirer vivante de cet aſſaut terrible. Je criois au meurtre ! à l’aſſaſſin ! je hurlois preſque. C’eſt donc ainſi, lui diſois-je, que tu abuſes de ma confiance ? tu veux donc que je périſſes ? Ce fut en achevant ces mots que mes yeux s’égarerent ; ils brillerent & s’éteignirent tout-à-la-fois dans ce même inſtant, & mon ame ſuſpendant alors toutes ſes fonctions, mes joues s’enflammerent ; un feu brûlant parcourut toutes mes veines ; une douce ivreſſe s’empara de tous mes ſens ; enfin je fus dépucelée.

Voilà l’époque la plus intéreſſante de ma vie ; c’eſt à cette époque heureuſe que je rapporte mes plaiſirs, mes chagrins, mon bonheur, mes infortunes ; que dis-je ? c’eſt dès-lors uniquement que j’ai commencé de vivre ; tout m’a paru beau depuis mon coup d’eſſai. Quelqu’un dira-t-il peut-être, que je le fis trop tôt, mais n’eſt-ce donc pas à quinze ans que l’on doit entrer dans le monde ? Si je ne l’euſſe pas fait alors, aurois-je à préſent tant d’expérience ſur cette variété de plaiſirs que le public vient ſavourer dans mes différens réduits ? non ſans doute : qu’on ceſſe donc de me faire un crime de ce qui, ſelon moi, devoit être & a été mon plus grand bonheur, de ce qui m’a mérité les ſuffrages des plus fins connoiſſeurs en ce gente, par le titre glorieux & flatteur qu’ils m’ont donné d’être la Nymphe du jour ; autrement, La Dumoncy, f..teuſe par excellence.

Mon lecteur, en me voyant ainſi, ſéparée de mes parens, s’attend ſans doute que je vais lui peindre leur douleur de m’avoir perdue, & les ſoins qu’ils ont pris pour me recouvrer : je me crois totalement diſpenſée d’entrer dans un tel détail : à parler clair, du moment que je fus chez la couturiere, mes parens ne me furent plus rien, & je n’entendis plus parler d’eux : s’ils m’occuperent quelquefois l’eſprit, c’étoit uniquement pour plaindre leur ſort, dans l’eſpoir de l’améliorer un jour & de ſatisfaire par-là aux devoirs de la nature, & mériter de leur part une indulgence plus que papale pour mon eſcapade par les ſentimens de mon cœur ; mais mon état me paroiſſoit alors bien plus doux que le leur ; car j’étois tranquille & je vivois ſans trouble, ſans inquiétude, indolente même juſqu’à la pareſſe, mon unique occupation conſiſtant, pour parler bien clairement, à jouir avec mon amant, des plus doux plaiſirs de l’amour. En conſéquence, j’évitois le grand monde pour n’être point apperçue & peut-être obligée de retourner à mon triſte village.

Ce fut ainſi que ſix mois ſe paſſerent, ſans que je viſſe perſonne que mon amant. J’étois aſſurément bien ſage, car une femme doit être reconnue pour telle tant qu’un homme eſt ſeul à lui rendre ſes hommages ; mais cela ne lui dura pas long-tems, le moment ne tarda pas à venir où mon amant ne put plus ſuffire à ſatisfaire tous mes deſirs ; après l’avoir épuiſé de toutes manieres, il fallut bien avoir recours à d’autres ; & comme, malheureuſement pour lui, l’occaſion ſe trouva des plus belles un jour, je ne manquai pas d’en profiter ; voici le fait.

Un jeune cavalier, grand & très-bien fait (il étoit, je crois, capitaine d’infanterie) vint un jour chez la couturiere mon hôteſſe ſous prétexte de lui donner à travailler. Après un coup-d’œil ſur moi, qui me trouvois là, dans lequel il mit beaucoup d’intérêt, le militaire engagea la converſation sur le ton le plus galant, manege pour lequel meſſieurs les officiers ont un talent tout particulier ; il ne s’en tint pas là, mais il me fixa ſi vivement, que je baiſſai les yeux ne pouvant ſoutenir la hardieſſe de ſes regards. Il ne s’en découragea point : au contraire, car ce fut ce qui l’engagea de propoſer à la couturiere d’aller lui acheter de la mouſſeline pour des manchettes, ajoutant qu’il avoit donné ordre à une marchande qu’il lui nomma d’en livrer autant qu’il en falloit, & qu’il attendroit ſon retour pour s’arranger avec elle ; la couturiere, en fille zélée pour ſes intérêts, ſe garda bien de refuſer la propoſition, courut chez la marchande, & me laiſſa ſeule avec le cavalier ; qu’on juge de mon embarras ! Je me levois de deſſus ma chaiſe, je m’y remettois, j’entrois dans mon cabinet, je revenois dans la chambre, ne ſachant quelle contenance prendre. Sur mon air, l’officier jugea ſans doute que ma conquête n’étoit pas difficile ; il me cajola quelques momens ſans tirer de moi grande réponſe. Alors, pour chaſſer mieux ma timidité : regardez-moi donc, me dit-il, mademoiſelle, je vous en conjure ; je levai les yeux ſur lui ; mais, ah ciel ! que vis-je alors ? Dois-je le dire ? oui ſans doute ; eh que ſerois-je encore d’une pudeur importune ; après ce que j’ai annoncé de mon état, elle ne ſauroit aſſurément me convenir. Eh bien, ce que je vis fut un priape de la taille la plus majeſtueuſe ; en un mot, le plus gros & le plus beau v.. du monde ; ah ! monſieur, m’écriai-je auſſi-tôt, cachez donc cela, je vous prie. Oui, ma reine, dit-il, je veux bien t’obéir, & en achevant ces mots, il me donna une claque de la main gauche ſur les feſſes, & me coucha de la main droite ſur le lit. Finirez-vous bientôt, monſieur, lui dis-je avec aſſez de vivacité ? Dans l’inſtant, ma mignone ; auſſi-tôt il me trouſſe, s’empare de mon bijou, lui fait une careſſe & l’enfile ; il s’agite avec fureur, me f.... ſans miſéricorde, & m’innonde bientôt d’un torrent de liqueur amoureuſe qui me remplit d’une volupté comparable. Dieux ! quel jouteur infatigable ! Son priape, toujours en haleine, courut ſur nouveaux frais mériter l’hommage que mon cœur & mon c...ne pouvoient s’empêcher de lui rendre.

Cet homme avoit de l’expérience avec les femmes, & ſavoit qu’il eſt bon de le prendre avec elles ſur un ton un peu grenadier. Je fus contente au-delà de toute imagination ; comment aurois-je pu m’en défendre ? la liqueur ſpermatique ſortoit à gros bouillons des c....les brûlantes de cet aimable ſ....r, & ſe communiquoit à mes parties avec une telle ardeur & une telle volupté… ! Grands dieux ! que de plaiſirs à la fois ! Non, je ne l’oublierai jamais ; toute ma vie je me ſouviendrai de ce brave officier, & pour plus d’une raiſon, comme vous ne tardera pas à le voir.

À peine étois-je ſortie de deſſous cet honnête homme que je vis entrer mon amant : nullement accoutumée à de pareilles ſurpriſes, je m’accuſai moi-même par la rougeur qui couvrit à l’inſtant mon viſage ; le trouble où j’étois lui fit, bientôt ſoupçonner la vérité. Je tâchai néanmoins de me remettre, & je lui dis d’une voix embarraſſée : ah ! vous voilà, monſieur ! Vous avez été bien long-tems en ville ; ſans me répondre, il ſe contenta de me regarder avec beaucoup de froideur. Ah, monſieur, je ſuis perdue ! dis-je à l’officier. Comment, me répondit-il, cadédis, cap-débious ! je boudrois vien boir...... Je crus ce mouvement naturel, & que mon premier amant alloit être mis en pouſſiere : calmez-vous, lui dis-je alors, & je vis au moment même mon homme redevenir fort tranquille. Le fils du procureur étoit entré dans mon cabinet, & l’inquiétude où j’étois, m’engagea d’y entrer pour le ramadouer & chercher à le retenir ; l’officier fit pendant ce tems ſes affaires avec la couturiere, & décampa ſans chercher ſeulement à me conſoler, & je ne l’ai pas vu depuis.

Mon amant garda pendant le ſouper un morne ſilence ; de mon côté je ne le rompis point non plus ; j’étois trop ſimple pour penſer à le faire : il ſe coucha ſur les neuf heures, & j’allai me mettre à l’inſtant à ſes côtés ; mais, au lieu de me préſenter comme à l’ordinaire l’inſtrument de nos plaiſirs dans une attitude brillante, mon amant me tourna groſſiérement le derriere ; je ne fis pas ſemblant de m’en appercevoir & je reſtai tranquille. Hélas ! je ne ſavois pas alors ramener un amant irrité, j’ignorois complétement l’art ſupérieure de forcer un homme à f..tre malgré lui : auſſi cela n’eſt-il réſervé qu’aux putains profeſſes, & j’en étois encore à mon noviciat : je payai chérement mon ignorance.

Je ſongeai toute la nuit au petit bonjour que j’attendois ; mais néant. Le lendemain je fus encore trompée, car je n’en reçus aucun, & je fus par conſéquent auſſi dupe que le jour précédent ; j’en étois très-inquiete : trop neuve pour en démêler les motifs, je me contentai de ſoupirer juſqu’à midi. Mon amant revint alors gai & joyeux de la ville, & me dit qu’il vouloit me mener quelque part dans l’après-dînée où j’aurois bien du plaiſir : ma réponſe fut que je le ſuivrois par-tout. À peine me donna-t-il le tems de dîner, & nous ſortîmes enſemble ſur les deux heures ; il me conduiſit par des chemins détournés dans une petite maiſon, dont l’entrée obſcure eût fait ſans doute ſoupçonner quelque choſe d’extraordinaire & de fâcheux à toute autre qu’à moi ; mais telle étoit ma confiance que je ſuivis aveuglément mon amant : nous montâmes enſemble dans une chambre preſque toute nue, une ſeule table, deux chaiſes & un petit lit en faiſoient tout l’ornement ; à peine y fûmes-nous entrés qu’il ferma la porte à doubles tours. Qu’eſt-ce que cela ſignifie, mon cher ami, lui dis-je ? pourquoi nous enfermer ainſi ? qu’avons-nous à craindre, ne ſuis-je pas en ta compagnie ? Cela eſt vrai, me répondit-il, mais je veux t’en donner une plus nombreuſe. Allons, meſſieurs, s’écria-t-il auſſi-tôt, il en eſt tems, paroiſſez. Dans le moment même je vois ſortir d’un cabinet voiſin huit drôles des mieux bâtis, entre leſquels je diſtinguai un ſoldat, un garçon perruquier & un compagnon libraire ; tout le reſte m’étoit inconnue, parce qu’aucun autre n’avoit la livrée de ſon métier.

Quelle fut ma ſurpriſe, quand le ſoldat vint me dire : allons, mon cœur, point de façons, ſacredieu ! je bande comme un carme, &, mordieu ! je vaux bien mon capitaine : il me prend à l’inſtant dans ſes bras & me jette ſur le lit. Je criois en vain au ſecours, mon amant étoit ſourd à ma voix ; deux de ces meſſieurs vouloient me tenir les mains ; oh que non, dit le ſoldat, je veux la f..tre malgré elle, & je prétends que ce ſoit ſans le ſecours de perſonne : à peine eut-il achevé ces mots d’un ton infernal, qu’il me ſaiſit les deux mains de la main gauche & me les joint ſur la tête ; d’un coup de genouil il me ſépare ; les cuiſſes, & me plante de la main droite le v.. dans le c.. ; il s’agite après cela en vrai grenadier, me ſ..t en plein trois fois de ſuite ſans déc..ner, puis il dit aux autres d’un air triomphant & moqueur : à vous meſſieurs, faites-en autant ſi vous le pouvez. J’eus beau pleurer & vouloir faire la réſervée, ces champions m’exploiterent chacun l’un après l’autre trois ſois, car c’étoit le taux qu’y avoit mis le vaillant porteur de giberne ſans fourniment.

Cette expédition faite, eh bien, mademoiſelle la putain, me dit mon amant, cela vaut-il bien un officier ! Voilà ſans doute aſſez de f..teurs que je vous amene, pour preuve de ma complaiſance & de mon zele à prévenir & ſatisfaire la pétulance & l’ardeur de votre lubricité : mais je ne prétens pas borner à cela ma vengeance, elle ſeroit trop douce pour un c… auſſi goulu que le vôtre ; mon cœur & mon amour irrités en exigent une autre d’un genre bien différent : attendez-vous donc d’être avant qu’il ſoit deux jours à la Providence[1], & vous, & la f..tue maquerelle qui vous a livrée ; c’eſt ainſi qu’il traitoit la pauvre couturiere qui lui avoit fait le plaiſir, bien étrange peut-être, mais en même tems bien grand & bien méritoire, de me retirer chez elle.

O vous ! ames généreuſes qui employez toute votre application à ſervir la jeuneſſe, mettez auſſi cet exemple à profit ; car, dans l’inſtant même que vous liſez ceci, peut-être trame-t-on quelque mauvais deſſein contre vous.

Mon perfide amant me tint très-exactement la promeſſe qu’il venoit de me faire ; il me reconduiſit chez moi au lieu de me ramener chez mon pere, mais il ne me quitta pas un ſeul moment ; je ne ſais s’il le fit pour m’empêcher de parler à la couturiere, à qui je n’aurois pas manqué de faire part de mon aventure, & dont le génie fertile en expédient eût apporté, par ſon long uſage du monde, de ſes peines & de ſes plaiſirs, un ſecours auſſi prompt que ſalutaire aux malheurs qui nous menaçoient, par l’aſſiſtance de ses bons amis, & au moyen d’une retraite auſſi prudente que néceſſaire dans ce moment critique, après quoi nous aurions pu prendre notre revanche à notre aiſe & doubler la meſure.

L’obſſeſſion où nous étions de la part de mon traître d’amant me rendit tout projet d’avertiſſement inutile ; ainſi le traitement indigne qu’il venoit de me faire, ſes menaces, &, je crois plus encore la diſette de plaiſirs que j’allois éprouver dans le couvent, que j’enviſageois comme mon tombeau, me troublerent ; toutes ces choſes répandirent dans mon ame & dans mon eſprit l’humeur la plus triſte & la plus mélancolique. Mon parjure amant étoit au contraire d’une gaieté charmante : quel contraſte ! auſſi la couturiere, qui ne ſavoit à quoi attribuer tout ce qu’elle voyoit ; étoit-elle exceſſivement intriguée : je m’appercevois de ſon inquiétude, ſans pouvoir néanmoins l’inſtruire de rien : elle cherchoit les moyens de me diſſiper, mais en vain, elle ne put jamais y réuſſir. Qu’il m’eût été doux ! que j’aurais été heureuſe de pouvoir la prévenir ſur le malheur qui la menaçoit comme moi ! J’en cherchois les occaſions, mais mon traître d’accord avec mon peu d’expérience me les ôtoit toutes ; ſon aſſiduité fatigante m’en empêcha abſolument, & il me fut impoſſible de ſauver cette fille non plus que moi ; malgré toutes les envies que j’en avois, elle fut enveloppée dans ma diſgrace. Mon pere vint le lendemain avec un ordre de M. le procureur du roi pour m’enlever moi & ma prétendue maquerelle, & l’on nous conduiſit à la Providence ; c’eſt comme qui diroit Sainte-Pélagie ou les Madelonettes, Saint-Martin & L’Hôpital à Paris.

On eſt ſurpris avec raiſon de voir paraître ici mon pere ; je ne l’avais pas vu depuis huit mois : & dans quelle circonſtance retrouvai-je l’auteur de mes jours ! il ne ſavoit pas où j’étois. Le lecteur éprouve ſans doute le même embarras où je me trouvai quand ; je le vis paroître devant moi : en effet, de vois-je m’attendre à ſa viſite ? qui pouvoit lui avoir dit où j’étois, & ce que je faiſois encore bien innocemment ? pouvois-je ſoupçonner mon amant capable d’une action auſſi noire ? il en étoit cependant l’unique & ſeul auteur, comme je l’appris alors de la bouche même de mon pere. Ce coquin avoit eu ſoin de faire ſavoir à mes parens, par un de leurs amis, que j’étois chez la Trupador, couturiere & maquerelle, rue de la Poiſſonnerie, & que je m’y livrois au premier venu ; mon pere, qui ne ſoupçonnoit pas ma cohabitation avec le fils du procureur, le regardoit comme le plus honnête des hommes : ſans lui, me dit-il, tu étois perdue pour toi & pour moi, ma fille : je lui ai, ajoutoit-il, de bien grandes obligations.

Je me ſerois trouvée fort heureuſe ſi mon pere s’en étoit tenu à ces réflexions, mais il vouloit que je fiſſe pénitence, &, ſans conſulter mon goût, il m’envoya avec une bonne eſcorte dans un couvent de la province, qui eſt un lieu de correction pour les femmes ou filles libertines. Je fus donc conduite à cette inſigne Providence, c’eſt ainſi qu’on appelle dans le pays les maiſons de force ; j’y fus accompagnée de ma pauvre couturiere, que je plaignois plus que moi. Je l’ai toujours chérie dès lors ; on enverra des preuves dans ces mémoires, & l’on doit d’ailleurs convenir, généralement parlant, qu’une putain a toujours le cœur excellent.

Avant de parler de ma nouvelle demeure, qu’on me permette de faire ici quelques réflexions. On a déjà vu avec quelle ſimplicité je m’étois abandonnée à mon ſcélérat amant, car quel autre nom puis-je lui donner ? cependant il m’a traité le plus ignominieuſement du monde. Il eſt vrai que je lui étois infidelle, mais en étoit-il ſûr ? tout au plus pouvoit-il le préſumer : d’ailleurs, quand mon infidélité auroit été avérée, méritois-je un châtiment ſi ſévere ? Eh bon dieu ! ce jeune homme étoit bien alors auſſi bête que moi ; il s’en falloit beaucoup qu’il connût la vraie façon de penſer & d’agir : en effet, s’il eût été tant ſoit peu monté ſur ce qui ſe nomme le bon ton, bien loin de m’abandonner & de me punir, il auroit fait l’aveugle ſur mes déréglémens. Ah ! que ne fit-il comme certain jeune marquis Pariſien auquel j’avois donné la vérole, & qui, loin de ſe venger, m’amena des pratiques, pour avoir, diſoit-il, des confreres ; voilà ce qu’on peut appeller des gens qui aiment la multiplication des eſpeces : vivent les courtiſans pour les putains ! au diable les étudians & leurs ſemblables ! Je les hais ſouverainement, depuis qu’un d’entr’eux m’a fait entrer à la maiſon de correction dois-je cependant être ſi fâchée d’y avoir été ? qu’on en juge par ce qui va ſuivre…

En entrant dans cette terrible maiſon je croyois être obligée de faire divorce avec tous les plaiſirs. Que je me trompois lourdement ! À la vérité, le ſeul nom, l’idée ſeule du couvent, nous paroît emporter avec ſoi quelque choſe d’auſtere, de rude, & qui ſe rapporte à la pénitence ; rien n’eſt cependant plus faux que cette idée : il n’eſt aucun couvent peut-être qui ne ſoit un ſéminaire de l’amour : il y eſt tellement révéré que c’eſt dans les couvens que ce dieu forme ſûrement ſes ſujets les plus forts & les plus vigoureux ; oui, c’eſt là qu’il prend pour eux toutes ſortes de formes. Les autres êtres ne connoiſſent que la ſimple nature ; ceux-ci connoiſſent la volupté, l’adorable volupté, qui lui eſt bien ſupérieure : en effet, la volupté eſt une déeſſe qui, ſe déguiſant ſous le nom de nature, prend autant de formes qu’elle ſait & qu’elle peut en inventer : c’eſt elle qui anime tous les bons f..teurs ; car, tantôt elle fait ſoupirer pour deux gros tetons, tantôt elle nous préſente le plus beau des c.. & demain elle nous offre un c...l qu’on ne ſauroit voir ſans l’adorer. De combien de raffinemens n’eſt-elle pas l’inventrice ? que de charmes dans ſes plaiſirs ! que de variétés dans ſes goûts ! que de douceurs dans ſes bras !

Cette déeſſe ne ſe plaît véritablement qu’avec les moines & la moinerie : c’eſt ſur cette claſſe qu’elle exerce ſon autorité avec le plus d’empire : qu’il eſt doux cet empire : qu’il eſt beau de courber la tête ſous un joug auſſi aimable que celui de la volupté ! De tout tems les cordeliers ſe ſont fait un devoir de plaire à cette déeſſe au-deſſus de tout autre ordre. C’étoit ſans doute chez eux qu’elle habitoit, avant qu’un ordre plus reſpectable la leur eut enlevée : ce ſont les moines de Cîteaux, qui la poſſedent aujourd’hui ; c’eſt là que cette déeſſe eſt logée, à côté de M. l’abbé : c’eſt de là qu’elle répand ſes faveurs ſur la clique monacale, & particulièrement ſur les Bernardins, ſes chers enfans, à qui elle donne en partage cet air fleuri & triomphant qui leur aſſure des conquêtes par-tout où ils ſe préſentent.

Il y a d’ailleurs des voluptueux en plus d’un genre, des groſſiers & des délicats ; mais tous tendent au même but, les uns plus vîte, les autres plus lentement. Le beau Narciſſe n’a point d’autre maîtreſſe que lui même, & il meurt d’amour ; il s’épuiſe en vains & inutiles efforts pour & ſur lui-même, &, comme a dit un homme d’eſprit, il meurt enfin en tâchant de s’encu...ler lui-même.

Sapho voudroit être ce qu’elle n’eſt pas ; des deſirs qu’elle ne peut ſatisfaire la rendent ingénieuſe. Que n’imagine point cette fille amoureuſe de ſon ſexe pour en changer autant qu’elle peut ? Pour être homme, pour en goûter les plaiſirs, elle en fait le perſonnage, ou plutôt elle le joue. Suzon, dont on a trouve l’hiſtoire dans le livre le plus curieux qui ait jamais paru dans ce gente, Suzon, dis-je, deſire vivement qu’on lui faſſe ce qu’elle a vu faire : avec quelle amoureuſe curioſité elle regarde les myſteres de l’amour ! Plus elle craint de troubler les prêtres qui les célebrent, plus elle en eſt elle-même troublée ; mais ce trouble, cette émotion raviſſent ſon ame. Dans quel état d’ineffable volupté elle eſt trouvée par ce fripon de frere, le petit Saturnin, qui l’examine ! Trop attentive pour ne pas être diſtraite, la lubricité de cette petite coquine l’empêche-t-elle de ſentir les doigts libertins qui la touchent, au moment même où elle ſemble s’ouvrir à leur approche ? ou ne voudroit-elle être déſenchantée que par de plus grands plaiſirs ? Il lui en faudroit de tels que ceux dont elle a devant ſoi la ſéduiſante image : l’amour ſe gagne à être vu de près.

D’après ces notions de la volupté, j’ai tâché de connoître cette charmante déeſſe, & j’ai joui quelquefois de ſes plus douces faveurs ; je la préférerai toute ma vie à la ſimple nature, en reconnoiſſance des plaiſirs infinis qu’elle m’a fait ſavourer avec tant de délices.

Revenons à mon couvent. J’y vécus pendant quelques ſemaines dans la même ſimplicité que celle que j’y avois apportée ; mais, graces à la bonté de mon étoile, on me verra bientôt inſtruite. J’étois une ſimple ſ..teuſe quand j’entrai dans cette ſainte maiſon, mais j’avois, lorſque j’en ſortis, tous les talens d’une vraie putain. J’ai fait tout le contraire de Sainte Madelaine, qui, de débauchée & femme publique qu’elle étoit, devint répentante, parce qu’elle y fut forcée par l’état affreux où ſon libertinage l’avoit réduite ; quant à moi, je parvins à la perfection du putaniſme, à force de voir d’excellens modeles ſous les yeux, & des exemples dont j’ai fait mon profit.

J’avoue que je dois beaucoup à certaine bonne ſœur qui prit ſoin de mon éducation ; je n’aurois jamais rien valu ſans elle ; je fis connoiſſance avec cette bonne fille cinq ſemaines après mon entrée dans le couvent : voici comment l’occaſion s’en préſenta.

On m’occupoit à faire de la dentelle ; j’étois obligée, ſuivant les regles de la maiſon ; d’en faire tant par jour. J’avois bien de la répugnance pour ce métier ; on liſoit ſur mon viſage le peu de goût que j’avois pour ce travail. Sœur Prudence, c’eſt ainſi que s’appelloit la bonne ſœur dont je viens de parler, s’en apperçut ; elle m’en fit publiquement des reproches très-durs, & me dit pour concluſion de paſſer dans ſa chambre ſur les quatre heures après-midi du même jour. Je ne ſavois ce que cela pouvoit ſignifier : j’héſitai long-tems, mais enfin je m’y déterminai, & ſur les cinq heures je me rendis chez ſœur Prudence. « Vous vous faites bien attendre, me dit-elle lorſqu’elle m’apperçut ? venez, ma chere enfant, que je vous embraſſe. » Je ne m’attendois point à un pareil compliment. « Je vous ai fait appeller, pourſuivit la none, pour vous donner quelques conſeils ; mais avant que je vous les donne, dites-moi franchement, aimez-vous ce couvent ? Ne ſeriez-vous pas charmée d’en être dehors ? Vous ſouriez ; ah, petite coquine, je devine votre réponſe : eh bien, ſi vous voulez être ma bonne amie, ce ſera moi qui vous en ferai ſortir ; mais avant cela il faut que je vous éprouve : je ſeroi fâchée de vous renvoyer dans le monde ſans talens ; vous paroiſſez avoir le fonds d’excellent, il ne s’agit que de le cultiver ; j’en prendrai le ſoin avec plaiſir ; venez me voir tous les jours, vous ſerez ſûrement contente de moi. »

En achevant ces mots elle me ſerra tendrement la main, puis, en me renvoyant, elle me prit un baiſer.

Je n’avois pas lieu de me plaindre de ſœur Prudence ; elle m’avoit fort bien reçue : auſſi le lendemain je fus plus exacte, j’allai la voir ſur les trois heures & demie. En entrant ſa chambre, je l’apperçus négligeamment couchée ſur le bord de ſon lit, les cuiſſes écartées de maniere que l’une tomboit du lit : elle faiſoit ſemblant de rêver ; elle ne parloit qu’en ſoupirant : ſes jupes étoient levées, je vis ſon bijou à découvert, il étoit ſurmonté d’une élévation flaſque & ridée ; j’en ai ſu la raiſon depuis ; elle avoit le doigt à l’orifice, & paroiſſoit ſe donner du plaiſir : ah ! ma chere, ah ! ma tendre amie, diſoit-elle, oui je t’aime, je t’adore… je n’en puis plus… je me meurs… Mon dieu ! m’écriai-je auſſi-tôt. Qu’eſt-ce donc ? répondit elle en s’éveillant, qui eſt là ? C’eſt moi, répliquai-je, ma chere ſœur ; voulez-vous que j’aille chercher quelqu’un ? Non, ma fille… non, me voilà revenue : alors, elle laiſſe tomber ſes jupes, & m’embraſſe avec une vivacité ſans égale. Je penſois à vous dans l’inſtant, me dit-elle ; ah, que j’avois de plaiſir ! Ne dites rien à perſonne au moins de ce que vous venez de voir : ſi je vous aimois moins, vous ne m’auriez pas trouvée dans cet état : elle me fourre auſſi-tôt ſa langue dans la bouche, puis, me prenant les tetons : qu’ils ſont jolis, qu’ils ſont charmans, dit-elle ! Hélas ! que ſont devenus les miens ? Elle me porta la main ſur ſa gorge, qui étoit d’une peau livide & tannée. Sœur Prudence n’avoit pourtant que quarante ans, mais elle avoit baiſé pendant quinze, & avoit eu pluſieurs enfans ; j’appris tout cela dans les converſations que j’eus dans la ſuite avec elle : il n’eſt donc plus étonnant dés-lors qu’une femme pût avoir des tetons tels que je viens de les repréſenter, & que ſon c.. fût dans l’état où je l’avois vu. Tout métier uſe, rien n’eſt plus certain ; je n’ai aujourd’hui que vingt-huit ans, & je ſuis, en vérité, déjà plus à plaindre que n’étoit alors ſœur Prudence. Je ne pus m’empêcher de lui marquer l’étonnement où me jetoit la comparaiſon que je faiſois de ſes pieces avec les miennes : hélas ! me dit-elle, ma chere enfant, à ton âge j’étois pour le moins auſſi jolie que toi, mais… Adieu mon cœur, va-t-en, je te conterai demain mes aventures : reviens au moins à la même heure. Je n’y manquai pas, ſœur Prudence me tint parole : elle me conta une partie de ſes aventures. On me diſpenſera de les joindre ici ! je n’écris à préſent que ce qui me touche. Je dirai cependant, en paſſant, que cette ſœur avoit été une grande garce ; auſſi écoutois-je avec plaiſir ce qu’elle me racontoit. Je me faiſois expliquer les endroits qui me paroiſſoient obſcurs ; de cette façon je devins ſavante en peu de tems.

Toutes nos converſations ſe terminoient toujours par quelques plaiſirs que nous nous donnions mutuellement. J’ai oui ſoutenir quelquefois qu’il n’y a point de plaiſirs entre deux perſonnes de même ſexe qui s’uniſſent : je promets que ceux qui ſont de ce ſentiment ſont de faux docteurs ; qu’ils l’éprouvent ſeulement. L’expérience en ces choſes-là vaut mieux que tous les raiſonnemens du monde : il n’y a d’ailleurs rien de tant ſurprenant dans ce goût de deux femmes l’une pour l’autre, ſi ce que l’on m’a raconté depuis ma ſortie du couvent de la Providence eſt vrai, comme on me l’a bien aſſuré. Le trait eſt trop authentique pour en garder le ſilence : il fait article, de foi, pour parler convenablement, puiſqu’il eſt fourni par la branche même qui ordonne & force l’exécution de celles qu’elle invente : voici donc le fait.

Une dame de la plus haute condition avoit pour favorite L. P. de L. veuve grande & bien faite, âgée d’environ 30 années, iſſue d’une famille illuſtre d’Allemagne. Ces deux femmes, guidées par le goût qu’on appelle la pantoufle, comme celui d’homme à homme s’appelle la manchette, furent un jour voir un cabinet de tableaux curieux, dont on faiſoit la vente après le décès d’un financier à qui ils avoient appartenu : arrivées dans certain boudoir où étoient reſſerrés les deſſins, peintures & gravures laſcives en tous gentes, la premiere congedia ſa ſuite, ordonna de fermer toutes les portes de communication & de ne laiſſer entrer perſonne ; nos deux héroïnes reſterent plus d’une heure & demie couchées enſemble ſur un ſopha, où elles exercerent pluſieurs des poſtures qu’elles avoient ſous les yeux : elles retournerent enſuite en cour, où la veuve, devenue dès-lors moins jolie, n’a plus les faveurs d’une des premieres femmes du royaume, qui, dit-on, a choiſi pour nouvelle favorite une autre veuve à peu près du même âge que la diſgraciée, L. D. J. de P. iſſue d’une grande maiſon de ce même royaume qu’on prétend répudiée & rejetée à ſon tour pour être ſubſtituée ſans doute par quelqu’autre encore.

Revenons à préſent à ce qui regarde ſœur Prudence : j’ai paſſé une année entiere à ne voir abſolument qu’elle ; & quoiqu’elle fût fânée, vilaine & mauſſade, j’ai toujours trouvé de nouveaux plaiſirs entre ſes bras ; il eſt vrai qu’elle étoit ingénieuſe à m’en procurer. Le godemiché de nouvelle eſpece qu’elle inventa eſt une preuve bien convaincante de ce que j’avance.

Nous nous ſervions depuis long-tems du godemiché tel que tout le monde en connoît ; je le mettois à la ſœur & ſœur Prudence me rendoit la pareille ; mais nous ne pouvions reſſentir le même plaiſir toutes deux en même tems ; c’étoit là cependant ce que nous aurions voulu : que fit ſœur Prudence ? elle donna ordre à un ferblantier de ſes amis de lui faire un godemiché long de ſeize pouce, qui fut terminé par deux têtes de v...t, avec un reſſort dans le milieu, qui, du même coup, fît couler dans les deux matrices le lait qu’on devoit mettre dedans. Le ferblantier intelligent s’acquitta parfaitement bien de ſa commiſſion ; la ſœur revêtit ce fer blanc d’un velours cramoiſi, ſur le milieu duquel elle attacha le plus de poils qu’elle put. On voit par cette attention avec quel ſoin ſœur Prudence étudioit & ſuivoit la nature : tout cela fut fait en moins de huit jours.

Le moment de l’épreuve vint. Qu’il fut doux pour la none & pour moi ? C’étoit pour nous un jour de fête la plus ſolennelle ; j’eus rendez-vous à deux heures, je n’y manquai pas je trouvai la ſœur en chemiſe, le lait chauffoit, allons, mon cœur, me dit-elle, fait-en vîte autant que moi & mets-toi ſur le lit. Je ne me fis pas prier, je fus déshabillée en un clin-d’œil. Sœur Prudence ayant rempli le godemiché : enfin, dit-elle en ſautant ſur le lit, nous allons avoir le même plaiſir que ſi nous étions homme & femme : elle poſe auſſi-tôt le docteur artificiel d’un côté dans mon c.... & ſe mit elle-même l’autre bout dans le ſien. Serre-moi, ajouta-t-elle, embraſſe-moi, bien… pouſſe fort… remue le cul… il y eſt… bon ! eh bien ! le ſens-tu ?… Je ſouffris un peu quand cette machine m’entra dans le c... Sœur Prudence l’avoit ſait tailler ſur le ſien, qui pouvoit paſſer pour une porte cochere. Après bien de ſecouſſes, il put pourtant pénétrer. Je ſentis alors toutes mes parties chatouillées à l’exces : la ſœur me voyant ſort animée, paſſa la main derriere elle, lâcha tout-à-coup le reſſort : le lait ſe mêla par ce moyen avec la liqueur ſpermatique qui ſortoit à toutes deux toute bouillonnante du c.... Grand dieu ! quelle volupté nous reſſentîmes ! Nous répétâmes ce petit jeu trois fois dans le même jour : eſt-ce trop ? c’étoit une nouveauté bien intéreſſante pour moi. Nous continuâmes ainſi pendant un mois, au bout duquel ſœur Prudence me dit qu’elle vouloit m’inſtruire à fonds. Croyez-vous, ajouta-elle, qu’on ne puiſſe prendre du plaiſir que par le meuble du devant ? je répondis que je ne croyois pas la choſe poſſible autrement. « Je vois bien, pourſuivit la none, qu’il te faut encore quelqu’une de mes leçons : apprends donc, ma mignone, qu’il eſt une autre route pour le plaiſir, auſſi voluptueuſe que celle du c... pour le moins ; le cul, le croiras-tu ! eſt cette heureuſe & charmante route. Si tu avois été dans l’état où je me ſuis trouvée, tu avouerois ſans doute, malgré tes préjugés, que la volupté eſt auſſi grande de ce côté-là que lorſque l’on nous exploite par le c.. ; tu en conviendras ſi tu veux y réfléchir : compare un inſtant les deux meubles ; à peine nous a-t-on f..tu une premiere fois, que notre c.. devient propre à recevoir toutes ſortes de v.... Loin de faire des efforts, l’homme en nous fourbiſſant une ſeconde fois ſent aſſez ſouvent qu’il entre de l’air avec lui dans le fourreau ; le cul, au contraire, ne s’ouvre qu’avec peine, & ſe reſſerre toujours parfaitement : il eſt toujours dans le même état : cela t’étonne à ce qu’il me paroît ! Eh bien, je veux te prouver ce que j’avance ; je vais t’y mettre le godemiché & me le poſer à moi-même ; fais comme ſi l’on t’exploitoit par-devant ; mais, au lieu de pouſſer en avant, pouſſe au contraire en arriere : quand l’engin ſera bien entré je lâcherai le reſſort, & tu en ſentiras l’effet. » J’étois obéiſſante, je fis ce que ſœur Prudence exigeoit ; nous nous mîmes en poſture ; le b..gre d’en gin, tant il étoit gros, me bleſſa d’abord un peu, mais enfin il entra à force de patience ; après nous être bien agitées, ſœur Prudence lâcha le reſſort ; nous reſtâmes toutes deux immobiles pendant près d’un quart d’heure ; le plaiſir nous empêchoit même de parler : nous revînmes enfin de cette ivreſſe. La choſe faite, je fus obligée d’avouer ſans biaiſer ce que ſœur Prudence m’avoit ſoutenu.

Nous paſſions ainſi tous nos momens : les plaiſirs ne faiſoient que ſe ſuccéder les uns aux autres ; tantôt nous nous ſucions mutuellement le c..., tantôt nous avalions le lait que nous y avions jeté. Étions-nous laſſes du godemiché, le doigt nous tenoit lieu de l’inſtrument dont-il étoit l’emblême ; ainſi tous nos momens étoient marqués par de nouveaux plaiſirs. Je me ſerois cependant ennuyée dans ce couvent, ſi l’eſpérance d’en ſortir ne m’avoit pas ſoutenue. On a vu que ſœur Prudence m’avoit promis de s’employer pour cela : elle exécuta religieuſement ſa promeſſe. Nos plaiſirs n’étaient point pour elle quel que choſe de ſi ſérieux qu’elle ne penſât à ma liberté. Elle fit parler ſous main à mon pere, qui ne fut jamais d’avis de me laiſſer ſortir. La ſœur ne pouvant rien faire de ce côté-là, repréſenta à ſes ſupérieurs que j’étois bien changée ; elle ajouta que me retenir plus long-tems ſeroit me faire tort pour la ſuite. Cette bonne fille fit ſi bien, que je ſortis de la correction quatorze mois après y être entrée. Nous nous dîmes un tendre adieu ; on s’imagine aſſez de quelle façon.

Mais, dira le lecteur, eſt-il concevable que dans une maiſon bien diſciplinée, une fille ait pu prendre tant de plaiſir ? elle n’avoit donc aucune autre occupation ? Cela peut-il s’imaginer ? J’avoue qu’il eſt-difficile de croire ce que je dis de mon couvent ; mais qu’on faſſe attention que toutes mes démarches étoient ſuppoſées faites pour mon inſtruction & pour mon avancement dans la pratique de la vertu : ainſi, quand j’allois chez ſœur Prudence, ſous prétexte d’apprendre à travailler, c’étoit pour en recevoir des leçons de la plus auſtere ſageſſe : d’ailleurs, toujours plongée en apparence dans la dévotion, à peine ſouriois-je en public ; ce n’étoit que dans les bras de l’aimable ſœur que je me déridois & que j’étois vive & gaie : dans la communauté, je paroiſſois toujours humble, dévote & retirée : c’étoit le fruit des leçons de ma bonne amie, que des vertus ſimulées envoient élevée aux emplois de ſa communauté, comme des vertus ſuppoſées m’en firent ſortir.

En quittant cette maiſon, j’aurois fort ſouhaité qu’on m’eût rendu ma couturiere ; mais, ſoit qu’elle manquât de protection, ſoit qu’elle ne ſût pas ſe maſquer, elle fut condamnée à y reſter encore quelque tems.

On me voit maintenant libre : de quel côté tournerai-je mes pas & mes démarches ? cela inquiette mon lecteur, j’en ſuis ſûre. Sera-ce dans le pays de Caux ? ſera-ce au Havre, où j’ai eſſuyé tant de revers, que je m’établirai ? Nenni, je ſuis trop bien inſtruire pour le faire. Sœur Prudence m’avoit conſeillé d’aller à Paris : c’eſt-là, me diſoit-elle, où une putain a véritablement les coudées franches. Cette-bonne fille étoit trop de mes amies pour que je ne la cruſſe pas : je pris donc le parti de me rendre à Paris. Je ne connoiſſois perſonne dans cette grande ville : je fus chercher en y arrivant un lit à Saint-Gervais, au Marais, où je reſtai trois jours & trois nuits, comme c’eſt la coutume. Pendant le ſéjour que j’y fis, je cherchai condition : je ne trouvai qu’une vieille dame qui m’offrit très-peu de choſe, qu’il fallut cependant accepter ou me réſoudre à mourir de faim. La néceſſité ſeule me fit entrer chez elle. Je n’étois point faite pour ſympatiſer avec cette bonne femme, dont l’unique occupation étoit de prier Dieu : ce métier m’ennuyoit d’autant plus, que je ſortois d’une maiſon où je l’avois fait malgré moi, & ma maîtreſſe m’entraînoit toujours avec elle à l’égliſe ; je me ſais cependant bon gré d’y avoir été ſi aſſiduement : ſi je ne l’avois pas fait, je n’aurois jamais été dans l’état brillant où l’on me verra bientôt.

Chaque ſois que j’allois à l’égliſe, je me voyois conſtamment ſuivie par un certain drôle, dont l’air ſeul annonçoit déjà ce qu’il étoit. Je ne ſongeois point à lui, lorſqu’un jour il me parla à l’oreille dans le ſanctuaire ; il me dit que j’étois bien aimable, & que ſi je voulois il me feroit ma fortune ; il en reſta là pour cette premiere fois : qu’on imagine toutes les réflexions que ce peu de mots me fit faire. Je fus quelques jours ſans revoir mon homme, ce qui m’inquiéta beaucoup : enfin il vint un dimanche, me demander au même endroit, ſi j’avois un peu réfléchi à ce qu’il m’avoit propoſé ; je lui répondis que je n’y avois rien compris, mais en peu de mots il m’éclaircit le myſtere.

Il me dit que ſi je voulois quitter ma maîtreſſe, il me mettroit bien vîte en état de mépriſer toutes les conditions du monde. Il me demanda un rendez-vous, que je lui donnai pour le lendemain au marché d’Agueſſeau : je n’avois que ce tems-là pour lui parler. Mon drôle s’y trouva très-exactement à l’heure indiquée : il fallut s’aboucher ; pour mieux le faire, nous entrâmes dans un cabaret à côté. Allez chez votre maîtreſſe, me dit-il alors, demandez-lui votre congé, & venez me rejoindre ici : je fis quelques difficultés à cet égard, mais il me peignit les choſes avec tant d’attraits que je ne pus réſiſter. Je revins chez ma maîtreſſe, je plantai là ce que je venois d’acheter, & je lui dis qu’il me falloit ſur-le-champ mon congé. Cette propoſition la ſurprit un peu : où avez-vous été ce matin ? me dit-elle ? Où j’ai voulu, répondis-je bruſquement, & je ſortis en même tems. Je m’en fus à l’inſtant retrouver mon maquereau, nous paſſâmes la journée enſemble ; le ſoir, il ne voulut point me laiſſer aller, & fit ſi bien qu’il m’entraîna chez lui, où je fis un ſouper bien maigre, qu’il fallut néanmoins payer en couchant avec mon nouvel hôte.

Qu’on ne crie point haro ſur moi en liſant ceci ; je couche, il eſt vrai, avec un homme que je ne connois pas, mais cet homme doit me mettre à l’aiſe. D’ailleurs, il devoit avoir les gands ; c’eſt le droit pour ainſi dire inconteſtable d’un vrai maquereau : qu’on ne me blâme donc point ; je n’ai rien fait qui ne fut bien à ſa place.

Mon drôle s’en donna le plus qu’il put. J’avoue franchement que je ne trouvai aucun plaiſir avec lui : en effet, qu’on juge s’il étoit poſſible que j’en priſſe ! à peine bandoit-il ; il étoit comme tous les autres maquereaux, qui exploitent autant de femmes qu’ils peuvent en livrer : il en avoit beſogné quatre ce jour-là même ; on doit croire que le drôle étoit ſort connu : il goûta beaucoup de plaiſir dans mes bras ; ſans avoir mon pucelage, il y avoit cependant de quoi s’eſcrimer en m’approchant. Mon hôte eut grand ſoin le lendemain de me laver avec de l’eau de cerfeuil, après quoi, « il me rétrécit le bijou avec des pommades propres à cet uſage, puis il remplit une veſſie de ſang de poulet-d’inde & me la fourra fort adroitement dans le c.. » J’ignorois parfaitement à quoi tout cela devoit me ſervir. Je lui demandai donc pourquoi ces apprêts ? « C’eſt, dit-il, que ſi je n’agiſſois pas ainſi, au lieux de dix louis j’aurois tout au plus ſix francs. Je dois vous mener demain chez un ſeigneur qui eſt fou d’un pucelage ; il en paie quelquefois juſqu’à cinquante louis ; je lui en fourni de tems en tems de ſemblables au vôtre ; il s’agit maintenant de bien faire votre perſonnage ; il faut faire l’agnès, & quand il vous plantera ſon ſacré docteur, criez comme ſi l’on vous égorgeoit : c’eſt ainſi qu’on attrape ces meſſieurs-là, d’abord ; je ne vous lâche pas à moins de trente louis, vingt pour vous & dix pour moi. » Vingt louis ! répondis-je auſſi-tôt en éclatant de rire, ah, viens mon hébé que je t’embraſſe ! je ſuis prête à tout ce que tu voudras que je faſſe. Je demeurai tranquille le reſte du jour ; il m’étoit défendu même de me branler : cependant mon maquereau fut de ma part chez ma vieille maîtreſſe retirer mes hardes & demander mon argent. Pour ne point effaroucher cette dame il prit la qualité de mon frere : ce qui lui fit donner tout ce qu’il demanda. Je ſouhaite, dit enſuite la dame, que cette jeune fille ait une meilleure condition que la mienne ; le ſouhait étoit inutile, j’avois déjà trouvé mon affaire. Le reſte du jour ſe paſſa de ma part avec bien de l’impatience ; je couchai encore ce ſoir là avec mon maquereau, mais il ne me toucha point, ſérieuſement parlant ; quelques baiſers pris ſur la bouche le payerent ſuffiſamment des peines qu’il avoit pris pour moi pendant le jour.

Enfin arriva cette grande & fameuſe journée ſi attendue ; je me lavai encore le matin du haut en bas ; ſur les dix heures nous prîmes un carroſſe, c’eſt-à-dire un fiacre. Ah, l’infame voiture ! & du faubourg Saint-Honoré nous allâmes rue de Cléry, quartier Montmartes, Nous deſcendîmes à une porte cochere, mon maquereau y étoit parfaitement connu, car il monta tout droit chez le maître de la maiſon : pour moi, j’attendois tranquillement qu’on m’appellât, lorſqu’un laquais vint inſolemment me dire que je pouvois, ſi je le voulois, monter chez monſieur ; j’entrai dans un appartement magnifique ; je jugeai même par ce que je vis que j’aurois affaire à un des plus grands financiers, car ſœur Prudence m’avoit dépeint l’opulence de ces prétendus honnêtes gens ; je crus y reconnoître tous les ſignes & tous les caracteres qu’elle m’en avoit donnés. Je ne me trompai point ; c’étoit effectivement un financier : il avoit pour le moins cinquante ans ; il étoit dans un fauteuil, qu’il rempliſſoit en entier de l’empleur de ſon embonpoint ; du reſte il étoit, ainſi que le ſont preſque tous les gens de cette claſſe, aujourd’hui bien mal menée, en France ſur-tout ; il étoit, dis-je, laid à faire peur, ce qui m’effraya un peu. Approchez, ma fille, me dit-il ; je m’approchai humblement du fauteuil ; que vous êtes aimable ! pourſuivit le lourd financier, en me paſſant peſamment la main par deſſus la gorge : oui, vous me plaiſez, revenez demain matin, je vous prouverai ce que je ſens pour vous : adieu ! mes enfans ; vous ſerez contente de moi, je l’eſpere.

Au ſortir de chez cet honnête homme là, je ne pus m’empêcher de témoigner à mon charmant maquereau le peu de goût que j’avois pour cette figure épaiſſe de la finance : ma ſimplicité fit rire le maquignon, qui, par des raiſonnemens très-forts & très-concluans, me convainquit de la néceſſité de me livrer au financier. J’appris alors l’altercation ſinguliere que mon pucelage avoit occaſionnée entre le marchand & l’acheteur : on ſe rappelle que le premier l’avoit fixé à trente louis, ce qui étonnoit un peu l’homme de finance ; il ne vouloit pas y entendre ; cependant ce qu’il avoit dit en nous congédiant, nous paroiſſoit favorable ; nous en tirions des conſéquences flatteuſes pour nos intérêts : nous paſſâmes la journée à nous divertir & à former de beaux plans ſur de ſi belles eſpérances.

Le lendemain nous ne manquâmes pas à l’heure indiquée, & nous trouvâmes le financier prêt à monter en carroſſe. Il vint tout de ſuite m’embraſſer, en me diſant qu’il alloit me mettre dans un état bien brillant ; mais qu’il exigeoit de ma part une fidélité des plus inviolables. Je promis tout ce qu’il voulut : cependant mon maquereau le tira à l’écart, & lui demanda ſon ſalaire : il l’eut ſur-le-champ, & nous quitta. Nous montâmes immédiatement après en carroſſe le financier & moi ; le chemin que nous fîmes ne fut pas long, nous vînmes deſcendre rue Tiquetonne à un premier.

Je vis un appartement ſuperbe, que nous parcourûmes enſemble ; après avoir bien examiné & bien conſidéré chaque piece : « voilà, mademoiſelle, me dit gravement le financier, votre bien, tant que vous me ſerez attachée, mais ſur-tout de la ſageſſe, c’eſt ce que je vous recommande avec inſtance. J’avois formé le deſſein de faire divorce avec le ſexe à jamais ; j’y renonce en votre faveur, prenez garde de me rappeller à cette réſolution ; Reçois, ajouta-t-il, mon cher cœur, ſans répugnance, cette petite morale d’un homme qui te veut du bien, & qui ne demande que ta bonne amitié pour toute récompenſe. » Il alloit me jeter ſur un lit de damas écarlate, lorſqu’un laquais vint lui dire que mademoiſelle Victoire le demandoit ; c’étoit ma femme-de-chambre ; elle vient fort à propos, répondit groſſiérement mon gros amant, qu’elle entre : cette fille entra tout auſſi-tôt, avec un air modeſte qui reſpiroit tellement la vertu, que je penſai mourir de honte à ſon aſpect. « Avancez, ma fille, lui dit le financier en ricanant, voila la maîtreſſe que je vous donne ; il ne tiendra qu’à vous d’être long-tems avec elle. » Cette fille me fit ſon petit compliment, auquel je répondis ; elle eut ordre enſuite de revenir le ſoir même à ſept heures, au plus tard ; après quoi elle nous laiſſa ſeuls.

Mon financier, avant de ſortir, voulut eſſayer mes talens. Je me ſouvenois parfaitement des leçons de ſon mercure : je fis donc bien la difficile, & je ne me rendis qu’après m’être aſſez long-tems défendue : mais je fus enfin enfilée avec toute la peine que pouvoit deſirer le plus grand amateur de pucelages. Le financier ne vit pas ſans en être émerveillé couler du ſang qu’il prenoit pour un véritable préſent de la nature : après m’avoir tenue pendant au moins un grand quart d’heure, ou plutôt après m’avoir harcelée, il ſe leva enfin, me baiſſa promptement les jupes & appella ſes domeſtiques, auxquels il commanda de faire approcher ſa voiture, & par le moyen de ſon équipage, qui étoit leſte, nous fûmes bien vîte à la Rapée, où nous dînâmes. Le repas fut magnifique, rien n’y fut épargné, & nous fûmes ſervis très ſplendidement. L’après-dîner ſe paſſa bien aiſément ſans doute, car nous ne revînmes chez moi que ſur les huit heures du ſoir, ſans que je me fuſſe apperçue comment le tems s’étoit écoulé. Lorſque j’entrai dans mon appartement, je reſpirai une odeur des plus agréables, qui m’annonçoit un excellent ſouper. Qu’eſt-ce que cela ſignifie, dis-je auſſi-tôt à mon nouvel amant, eſt-ce que nous ſouperons ici ? Oui, mon cher cœur, me répondit-il, en groſſiſſant ſa voix déjà tonnante naturellement ; j’ai voulu te donner le plaiſir de la ſurpriſe : je t’ai fait une maiſon complette ; tes domeſtiques vont venir te ſaluer ; je vais les faire appeller. Le ſignal fut bientôt donné, & je vis paroître à l’inſtant trois perſonnes, parmi leſquelles je diſtinguai la femme-de-chambre que j’avois vue le matin : elle avoit pour compagnons de ſervice une femme âgée de près cinquante ans, c’étoit ma cuiſiniere, & un petit drôle de douze à treize ans, habillé à la houſarde, c’étoit mon laquais ; je reçus aſſez inſolemment, comme je le devois, ainſi qu’il eſt d’uſage chez une putain d’importance, les reſpects de mon petit domeſtique.

Cette cérémonie faite, nous nous mîmes à table, où l’on nous ſervit un ſouper très-délicat & très-excellent, quoique frugal & ſans prodigalité. Le rond financier m’avoit ſait apporter tout ce qu’il me falloit en linge de table & en argenterie, tellement que ma maiſon, dans ſon genre, pouvoit paſſer pour honnêtement étoffée : nous ne fîmes pas grand honneur au ſouper ; la converſation roula principalement ſur la belle découverte qu’il s’applaudiſſoit d’avoir faite en ma perſonne ; je ne répondis à ſes complimens que par un ſilence modeſte à l’excès. Nous ne ſortîmes de table que pour nous mettre au lit : je ne détaillerai point les plaiſirs de cette premiere nuit, parce que je n’aime pas les répétitions trop fréquentes. Mon amant me f..tit trois coups ; je trouvai cela bien paſſable pour un homme de ſon âge[2] : quand le jour parut, il fallut ſe dire adieu. Le financier le fit ſous condition expreſſe de me revoir dans l’après-midi : il me laiſſa dans le lit, mais il eut ſoin-cependant de me donner une bourſe de vingt-cinq louis, pour ſubvenir, diſoit-il, avec un air de ſatisfaction, à la dépenſe du ménage, ce que je trouvai très-gracieux : après cette bonne galanterie, mon amant courut à ſes affaires. Je ne me levai que pour me mettre à la toilette, où j’eus lieu de connoître les talens de ma femme-de-chambre ; elle me coëffa dans le dernier goût ; au ſortir de ſes mains je me ſentis plus de vanité que jamais.

Sur les trois heures de l’après-midi j’entendis deux carroſſes s’arrêter à ma porte, ce qui m’étonna un peu ; je n’étois point encore faite alors au grand monde ; ma ſurpriſe augmenta bien davantage quand je vis quatre meſſieurs ; je craignis quelque méſaventure, parce que ſœur Prudence m’avoit parlé quelquefois de la ſalpêtriere, & des enlevemens qui ſe font à Paris par ordre de la police ; je n’étois pas aguerrie encore ; mais ma crainte ſe diſſipa complettement, quand je vis entrer ces meſſieurs avec trois dames dans mon appartement. Mon amant avança le premier ; il s’apperçut de mon étonnement : êtes-vous fâchée, me dit-il, en appuyant ſur toutes ces paroles, de la bonne compagnie que je vous amene ? Tout ce monde entra auſſi-tôt après lui. On imagine aſſez, je crois, les complimens que demande une premiere viſite ; je me contenterai de dire qu’ils furent fort longs, nous ne les finîmes, en un mot, que pour nous mettre à une table de pharaon : je ne ſavois pas ce jeu-là non plus qu’aucun autre ; ce fut donc ma premiere leçon. Une des trois dames s’occupoit avec mon amant à faire une partie au loto ; tel fut le premier établiſſement d’une académie que je continuai toujours depuis : quand je ne jouois pas, mes momens étoient employés à aller aux ſpectacles. Se peut-il une vie plus gracieuſe ? Je me trouvois partagée entre tous les plaiſirs ; j’étois ſans doute trop heureuſe, je n’avois rien à déſirer : me manquoit-il quelque choſe, mon amant s’en appercevoit auſſi-tôt, &, ſans me donner le tems de lui rien demander, il me donnoit tout ce qu’il me falloit. Fut-il jamais galanterie plus aimable & plus rafinée ? On prend avec quelque raiſon les financiers pour des bourrus incorrigibles : quant à moi je n’ai trouvé dans celui que j’ai eu que politeſſe & qu’agrémens pendant quelque tems : c’étoit, il eſt vrai, le ſeul moyen qu’il eut de ſe faire aimer de moi, & il y auroit ſans doute réuſſi à merveille, ſi une putain étoit faite pour avoir des ſentimens convenables & ſoutenus. Sûrement j’aurois été fidelle, je le ſens, ſi je n’avois vu conſtamment que mon financier ; mais il m’amenoit ſouvent des hommes mieux faits que lui. Me croyoit-il donc ſans diſcernement, & ne devoit-il pas ſavoir qu’aucune de mes cheres conſœurs les putains ne tiennent contre ces phyſionomies heureuſes, qui ſont faites pour charmer ? C’eſt ce que j’éprouvai à la vue d’un jeune ſeigneur qui étoit de la compagnie ; à peine l’eus-je enviſagé que je deſirai d’être à lui. Il étoit fait à peindre, grand, bien bâti, des yeux noirs à fleur de tête, ſurmontés de deux ſourcils de la même couleur bien fournis, des joues remplies, des levres vermeilles, une jambe faite au tour ; comment un homme de cette tournure pouvoit-il manquer d’être aimé ? Je ſouhaiterois avoir à faire l’éloge de ſon eſprit, mais il n’en avoit pas : eh bien ! en étoit-il moins aimable à mes yeux ? Bon ! une véritable & bonne putain n’aime que le plaiſir, Vénus & la Volupté, que l’on ſatisfait très-bien ſans eſprit, ſouvent même beaucoup plus & bien mieux, avec des hommes dont le génie n’eſt pas ſi ſémillant, qu’avec ceux dont la converſation & la compagnie ſont ſi inſtructives & amuſantes. Celui dont je parle venoit chez moi preſque tous les jours, mais avec une froideur qui me faiſoit peine : j’aurois ſouhaité qu’il m’eût diſtinguée des autres-femmes ; j’avois beau l’agacer, rien ne l’échauffoit ; je ne pouvois même cacher l’amour que j’avois pour lui & tout le monde s’en appercevoit : il paroiſſoit être le ſeul qui fermât les yeux là-deſſus. J’avoue que cette indifférence me mit abſolument hors des gonds, je ne concevois pas comment le comte, car il l’étoit très-réellement, pouvoit s’empêcher de répondre à mon amour. Je me croyois pour le moins auſſi aimable que lui ; mon amour-propre étoit offensé, il y alloit de ma gloire de faire rendre les armes au comte. Toutes les femmes, & plus particulièrement celles de mon éminente profeſſion, ſont faites ainſi ; plus on eſt indifférente pour elles, & plus elles cherchent à ſe faire aimer ; elles mettent même audacieuſement tout en uſage pour cela ; elles ſacrifient très-aiſément tous les préjugés ſans crainte, pourvu qu’elles viennent à bout de leurs deſſeins ; elles font les premieres démarches, & même ce qu’on demande au moins de bienſéance extérieure de leur ſexe leur paroît pour lors ridicule & frivole. C’eſt en effet ainſi que je penſois, quand je réſolus d’écrire au comte ; je n’étois pas embarraſſée pour lui faire tenir une lettre, j’avois fait depuis peu, dans la rue du Petit-Lion, une bonne amie, entretenue par un financier ami du mien ; je pouvois me fier entiérement à elle ; je lui fis part de mon deſſein, qu’elle combattit long-tems ; mais enfin voyant mon entêtement, elle conſentit à remettre au comte le billet ſuivant.

« On vous aime, & vous êtes froid à l’extrême ; on tâche de vous faire parler & vous reſtez toujours muet ; une femme, quelle ſingularité ! eſt enfin forcée de vous écrire, pour vous apprendre l’empire que vous avez ſur elle ; la devinerez-vous ? J’appréhende que non : j’aime donc mieux vous dire que la Morancourt vous adore. »

Le billet fut remis fidèlement au comte ; il le reçut avec plaiſir : il ſe reprocha de ne m’avoir pas prévenu, c’eſt ce que je lus dans ſes yeux quand il vint me voir le lendemain ; je le ſus bien mieux encore par une réponſe qu’il me fit tenir par ma bonne amie : il me prioit par cette réponſe d’aller à la meſſe aux Quinze-Vingt, le dimanche ſuivant. Je m’y rendis, nous fûmes de là au Palais-Royal, où nous eûmes aſſez de tems pour nous donner rendez-vous le lundi chez l’amie dont j’ai parlé ci-deſſus. Mon financier me donnoit volontiers la liberté d’aller chez elle ; le bon homme n’avoit garde de rien ſoupçonner, nos meſures étoient trop bien priſes, & je ſavois le tromper avec aſſez de fineſſe

Ne me blâmera-t-on pas de ne point faire ici le journal exact de mes amours avec le financier ? Mais à quoi bon ; ignore-t-on quel eſt le rôle d’un amant qui entretient ? & ſur-tout encore quand c’eſt un vieux uſurier tel que j’avois & comme

ſont encore tous les fermiers-généraux, les croupiers & tous les autres financiers en général. Ils donnent de l’argent pour acheter des plaiſirs qui n’ont pas le cœur pour principe. Un amant de cette nature vient chez ſa maîtreſſe, la baiſe & s’en va, mais on l’éloigne le plus qu’on le peut ; fournir beaucoup d’argent, & honorer ſouvent & long-tems de ſon abſence, il eſt fait pour cela. D’ailleurs, à parler de bonne-foi, je m’ennuirois à la mort ſi je parlois toujours de ce bon homme : j’étois à lui malgré moi ; l’intérêt m’avoit déterminé ſeul à le laiſſer

Histoire de Marguerite, fille de Suzon, nièce de D** B*****, suivie de la Cauchoise, avec figures.Figure 3.

participer à mes bonnes graces : pourrois-je trouver du plaiſir à décrire le dégoût que j’ai ſenti ſi ſouvent dans ſes bras ? Je ſuis même très-perſuadée de plaire davantage à mon lecteur par la naïveté de mes ſentimens, & par l’expoſition ſuccincte & ſincere de ma conduite. J’aime bien mieux revenir à mon aimable comte : le commerce que j’eus avec lui pendant ſix mois me dédommageoit bien agréablement de mon averſion pour le financier, & il auroit ſans doute duré plus long-tems encore, ſans une cataſtrophe à laquelle nous donnâmes tous deux occaſions, ſans cependant l’avoir méditée.

Un jeune abbé poupin, grand connoiſſeur en filles, m’avoit lorgnée au ſpectacle ; il fit ſi bien qu’il eut dès le lendemain ſon entrée chez moi ; à l’entendre, il brûloit du plus conſtant amour ; il mit tout en uſage pour m’en convaincre : il eut beau faire, mon cœur étoit pris, le pauvre abbé ne put rien avoir : il s’apperçut à merveille de la cauſe de mon inſenſibilité pour lui, & ſe douta de mes intrigues ; il ne mit guere plus de huit jours pour les connoître à fond. Les diſciples de l’égliſe ont le diable au corps quand il s’agit de faire le mal. Celui-ci, perſuadé que j’en voulois au comte, m’en parla d’un ton amer : il eut même l’inſolence de me dire, que ſi je ne lui accordois pas bientôt mes faveurs, il alloit tout dévoiler à mon amant : je ne répondis à cela que par un air de hauteur, de mépris & d’indignation. Je n’en reſtai pas là, je récitai au comte ma converſation avec l’homme au petit colet ; le comte me jura que l’abbé ſeroit roſſé d’importance ; en effet, ils ſe trouverent tous les deux chez moi le lendemain. C’étoit un plaiſir infini que de les voir ; ils ſe dévoroient des yeux : ils reſterent juſqu’à huit heures & demie. J’appris le lendemain matin par le comte qu’il avoit vengé ſur les épaules de l’abbé l’inſolence qu’il m’avoit faite ; je l’applaudiſſois fort de ce tour ; mais malheureuſement je ne penſois point aux ſuites. Les abbés & toute la claſſe papale, ſont comme les femmes ; les a-t-on offenſés, ils ne pardonnent jamais ; les coups de plat d’épée que j’avois fait donner à celui-ci me coûterent bien cher.

Je ſus ſurpriſe au-delà de l’imagination, lorſque, deux jours après cette ſcene, mon brutal financier vint m’aborder d’un air ſec, & me faire des reproches ſur ma conduite ; il me parla du comte, il me dit à ce ſujet qu’il étoit inſtruit de tout, & que ſi je ne renonçois pas à le voir, il n’avoit qu’à m’entretenir. Ma réponſe ne fut autre choſe qu’un torrent de larmes : elles firent tant d’impreſſion ſur l’imbécille financier, qu’il me fit mille excuſes, & convint qu’il avoit tort : je le laiſſai aller après cette bonne parole. Si j’avois tenu dans ce moment là le ſcélérat abbé en queſtion, j’aurois ſûrement exercé quelque cruauté ſur lui.

Je réfléchis beaucoup ſur la conduite que je devois tenir dans la ſuite, je ne fus plus chez la fille entretenue, je l’avois promis à mon financier : cette bonne fille vint chez moi, & je lui remis une lettre d’avis pour le comte, où je l’avertiſſois de ſe tenir ſur ſes gardes, & je le priois inſtamment de ne pas mettre le pied chez la Duttey, c’étoit le nom de mon amie, juſqu’à ce que ce petit orage fût diſſipé. Il étoit fort aiſé de parler ainſi ; mais nous étoit-il auſſi facile à l’un & à l’autre de ne pas nous voir ? Deux amans peuvent-ils ſe ſéparer quand ils veulent ? quel tourment n’eſt-ce pas pour eux de ne ſe voir qu’avec tant de contrainte ! L’amour eſt fait pour éclater : c’eſt une paſſion auſſi tumultueuſe que la haine. La raiſon de mon intérêt perſonnel avoit beau vouloir parler ; je voulois auſſi revoir mon cher comte, ſans quoi j’étois une fille morte. J’avois déjà paſſé trois ſemaines entieres ſans avoir eu de tête-à-tête avec lui : je regardois cela comme le plus grand malheur du monde ; je cherchois le remede, je crus le trouver en permettant à l’abbé ce qu’il me demandoit depuis ſi long-tems, car il venoit toujours chez moi, & l’on ſait bien à quel deſſein ? Un jour qu’il y étoit, tandis que les autres jouoient, je l’emmenai dans mon cabinet de toilette, & je lui tins ce diſcours : « Monſieur, vous m’avez fait le plus grand outrage qu’on puiſſe faire à une femme : vous m’empêchez inhumainement de voir le ſeul homme que j’aime ; il faut que vous me rendiez à lui, ou vous vous répentirez de m’avoir offenſſée ; ſi vous êtes dans la bonne intention de me rendre ſervice à cet égard, vous pouvez compter ſur toute ma reconnoiſſance. » Mon propos interdit un peu l’abbé ; il voulut diſſimuler qu’il eut inſtruit le financier de mes intrigues ; je l’en fis pourtant convenir. Il me promit la réparation la plus entiere : il alloit, diſoit-il, déſabuſer le bon homme de tout ce qu’il lui avoit dit ; mais il exigeoit toujours mes faveurs : il voulut même prendre des arrhes à l’inſtant, mais j’eus le talent de modérer ſes tranſports, en l’aſſurant qu’il auroit tout ce qu’il pourroit ſouhaiter, pourvu qu’il agit en galant homme, ſelon ſa promeſſe & mes deſirs.

J’attendis avec beaucoup d’impatience le réſultat de ma harangue, quand quelques jours après, mon financier vint me voir ; il avoit un air conquérant ; rentra chez moi avec une gaieté admirable ; il me trouva au lit, il commença par me dire bonjour, & tâcha de me donner, vaille que vaille, quelques petites marques de tendreſſe. Il vint enſuite me cajoler à ma toilette, où ; après mille agaceries, ou plutôt mille enfantillages, il me dit qu’il ſavoit la vérité à fond, qu’il étoit honteux de m’avoir ſoupçonnée, qu’on l’avoit entiérement déſabuſé des mauvaiſes impreſſions qu’on lui avoit données précédemment à mon ſujet. « C’eſt ainſi, ajouta-t-il, que la bonne conduite triomphe de la calomnie ; ſois toujours ſage, je me repoſe de tout ſur toi : je veux même que dès aujourd’hui tu ailles chez ta bonne amie la Dutrey ; le calomniateur qui vous avoit noircis tous les deux, toi & le comte, s’eſt auſſi démenti à ſon ſujet. »

Je fis à mon gros amant une petite remontrance ſur ce qu’il me diſoit, enſuite de quoi il me jura qu’il n’écouteroit plus les rapports, & qu’il me croiroit à l’avenir toujours ſage ; & il dîna avec moi, afin, diſoit-il, de m’envoyer lui même chez la Duttey. Après le dîner il me tint parole : il fit venir un carroſſe ſur les quatre heures, il alloit au ſpectacle ; il me mit en paſſant chez ma bonne amie.

Je croyois la trouver ſeule, je montai avec tout l’empreſſement poſſible. Je n’étois pas attendue, j’entrai bruſquement. Quelle fut ma joie d’appercevoir mon cher comte ! Ah, vous voilà, lui dis-je, en lui ſautant au col ! « Bonnes nouvelles ! nous pouvons nous voir ; viens que je t’embraſſe, ajoutai-je ; mon pauvre comte ! tu étois donc perdu pour moi. » Le comte me répondit fort bien, ainſi que ma bonne amie ; mais ils ne pouvoient revenir de leur ſurpriſe. Leurs queſtions étoient ſi fréquentes & ſi rapides que je ne pouvois y ſatisfaire : tous deux également charmés de me voir, ils cherchoient la cauſe de ce bonheur, je la leur appris en peu de mots ; je leur détaillai toutes mes démarches ; je ne cachai pas même au comte la petite récompenſe que j’avois promiſe à l’abbé. « Tu as promis cela, dit-il, tout étonné ! Tu es bien libérale ! as-tu mon conſentement ? Oh ! lui répondis-je, tu verras comment je m’acquitterois de ma promeſſe, l’abbé en ſera la dupe, c’eſt une victime qu’il ſaut que j’immole à tout mon reſſentiment. »

C’eſt ainſi que je raiſonnois lorſqu’on frappa à la porte. Le comte ſe cacha promptement dans la ruelle d’un lit qui étoit dans la chambre : c’étoit toujours ce qu’il faiſoit chaque fois que nous étions interrompus ; la précaution étoit ſage en tout tems, mais elle étoit ſur-tout néceſſaire en ce cas. Celui qu’on annonça fut mon financier : on le pria de monter, & il vint nous dire qu’il s’étoit amuſé dans une maiſon du voiſinage, & que l’heure du ſpectacle étant paſſée, il venoit nous voir un inſtant : & comme des excuſes qu’il devoit à la Duttey étoient le vrai but de ſa venue, il lui en fit juſqu’à l’ennuyer : ſur les huit heures, il réſolut de s’en aller, & vouloit me remettre chez moi. Sur ce que la Duttey témoigna l’intention de me retenir à ſouper, le financier rechigna un peu à cette propoſition, ce qui me détermina à m’en retourner avec lui, ſans pouvoir dire adieu à mon amant, qui étoit ſans doute plus embarraſſé que moi. Nous continuâmes de nous voir ainſi le comte & moi pendant quinze jours : durant tout ce tems là je voyois toujours mon abbé ; il attendoit la récompenſe promiſe, & il l’attendit patiemment pendant quinze jours ; mais las enfin de ma façon d’agir, il crut qu’il étoit de ſon honneur de m’en parler ; il le fit avec ſes menaces ordinaires : je l’appaiſai, en lui diſant que mon financier alloit la ſemaine ſuivante en campagne, & qu’il auroit pour lors ſa récompenſe ; huit jours, ajoutai-je, ne ſont point une affaire : non, me répondit-il, &, pourvu que vous diſiez vrai cette ſois, je ne m’inquiete plus du reſte. L’abbé s’informa de ce que je lui avois dit ; il apprit que mon financier alloit en campagne pour quinze jours, il en triomphoit. Il vint deux jours après cette heureuſe nouvelle me trouver dans mon cabinet de toilette, où il me parla d’une partie de plaiſir qu’il devoit faire à quelques lieues de Paris ; des petits-maîtres de cette ville, car elle en abonde, devoient y mener leurs maîtreſſes & s’y réjouir avec elles : c’étoit-là, enfin, où je devois lui accorder ce qu’il me demandoit depuis ſi long-tems.

Le cas étoit aſſez embarraſſant. Mon financier alloit en campagne, l’abbé vouloit être payé, je ne voulois point faire d’outrage à mon cher comte ; comment faire dans de ſi ſingulieres alternatives & des circonſtances auſſi fâcheuſes ? Je ne vis pas d’autre expédient que d’accepter la partie de plaiſir que l’abbé me propoſoit ; mon cher comte y viendra facilement, me diſois-je ; il fallut cependant le cacher à l’abbé. J’étois ſort inquiete quand le D. de L. V. m’apprit que le comte étoit de la partie. Quelques jours après je priai le comte de m’acheter lui-même une bonne & copieuſe doſe de nénuphar ; vous ſerez témoin, lui dis-je, de l’uſage que j’en ferai. Ce cher amant acheta ce que je lui demandois.

Huit jours après mon financier s’en fut à la campagne ; il me fit les plus tendres adieux, car la derniere nuit que je couchai avec-lui avant ſon départ pour ce voyage, il me baiſa quatre fois en plein ; c’eſt-à-dire, que mon pauvre bijou ſuça quatre ſois dans cette même nuit un des plus vilains v.. que j’aie vu & manié dans toute ma vie, & dieu ſait pourtant quel nombre prodigieux de ces inſtrumens m’ont paſſé tant dans l’anus que dans ſon voiſin, non compris encore ! tous ceux que j’ai travaillé de la main. Bref, le financier me quitta en me laiſſant trente louis juſqu’à ſon retour : la ſomme me parut honnête ; auſſi l’en remerciai-je avec toutes les apparences de l’amitié la plus ſincere.

Nous ne tardâmes pas long-tems à le ſuivre. L’abbé avoit eu grand ſoin d’épier le moment où je ſerois ſeule : il vint me prévenir que la partie auroit lieu le jeudi ſuivant ; il voulut badiner, mais je le remis au jeudi ; nous en ſommes convenus, lui diſois-je, oſeriez-vous murmurer ? Un peu de repos ne peut rendre nos plaiſirs que plus vifs.

Enfin arriva ce grand jour, que l’abbé croyoit être un vrai jour de triomphe pour lui ; il vint me prendre ſur les deux heures de l’après-midi, dans un carroſſe de remiſe, qui nous conduiſit au château d’un très-grand ſeigneur, à quelques lieues de Paris ; nous allions chez M. le C. D. ; on ſait avec quel ſoin ce prince a embelli cette maiſon ; d’un terrein ſec & aride, il en a fait la plus belle campagne du monde : nous y arrivâmes ſur les quatre heures ; nous n’y allions que pour nous divertir. Nous y trouvâmes très-bonne compagnie : il y avoit même des dames de la premiere diſtinction. On ne s’en étonnera pas beaucoup ; toutes les femmes ſont faites naturellement pour aimer le plaiſir. Il ſembloit qu’on eût fait choix des cavaliers ; tous étoient également & généralement beaux, grands & bien faits quant au reſte, tout étoit enchanteur à la vue, une maiſon ſuperbe, de beaux jardins : des appartemens magnifiques, une compagnie nombreuſe : pouvoit-on rien voir de plus ſatisfaiſant ? On nous introduiſit d’abord dans une grande galerie, où il y avoit ſix tables de jeu : perſonne ne ſe dérangea ; c’eſt la premiere loi de ceux qui aiment bien le plaiſir, rien n’eſt en effet ſi ridicule que de ſe gêner. Mon abbé, après avoir bien conſidéré la compagnie : vous ne m’avez point, me dit-il, averti que M. le comte ſeroit ici, il ne m’étonne pas ſi vous y êtes venue. Je lui proteſtai que je ne ſavois pas ce qu’il vouloit dire ; je lui propoſai même de ſortir : non, me répliqua-t-il, mais promettez-moi que vous ne le mettrez pas de vos plaiſirs : je le lui promis. Cela fut cauſe qu’en viſitant les beautés du palais enchanté que nous habitions, il me laiſſa la liberté de dire un petit bonjour de civilité indiſpenſable au comte, à qui je fis entendre de me remettre le nénuphar en queſtion, dont il s’étoit chargé ; il me fit concevoir par un ſourire que je ſerois ſatisfaite : effectivement, un inſtant après il m’en fit faire la remiſe ſous enveloppe par une dame de la ſociété, qui me tira à cet effet dans le coin d’une croiſée ; elle me gliſſa adroitement la doſe, ſans que notre apprenti vicaire de Saint-Pierre s’en apperçut : comme le jaloux obſervoit mes démarches, je lui dis que cette dame m’avoit demandé la cauſe de l’abſence d’une de mes amies, qui faiſoit très-rarement faux-bon à notre ſociété. Munie de ma maligne drogue, je tins toujours fidele compagnie à mon calotin ; il étoit enchanté de ma conduite. Nous nous promenâmes dans le jardin juſqu’à huit heures ; une cloche alors nous rappelle dans l’appartement, c’étoit le ſignal dont on étoit convenu pour indiquer l’heure du plaiſir. Nous nous rendîmes dans la galerie, où je comptai quarante perſonnes, ſans les laquais & les femmes-de-chambre qui devoient nous aider. Le maître du logis dit à toute la compagnie qu’il falloit ſe préparer au ſouper ; & il ajouta que les cavaliers devoient connoître leur devoir. Auſſi-tôt tout le monde défila, & paſſa dans différens cabinets, où chacun ſe déshabilla. Des laquais vinrent s’informer qui étoient ceux qui vouloient être en chemiſe de taffetas : nous étions vingt femmes ; il y en eut huit qui accepterent de ces chemiſes, les autres mépriſerent ces vains ornemens : je fus de ce nombre : parmi les hommes il n’y en eut que trois qui prirent le taffetas, deſquels étoit mon petit colet, apparemment par un reſte de pudeur ? Les habillemens de chaque galant & de chaque maîtreſſe étoient mis dans un endroit ſéparé, & chaque vêtement avoit ſon numéro : on évita par ce moyen la confuſion, qui, ſans cette précaution, ſe ſeroit immanquablement gliſſée dans un ſi grand nombre d’habits. Sur les neuf heures on donna un ſecond coup de cloche pour ſe mettre à table ; de quarante perſonnes que nous étions, vingt s’aſſirent à deux tables qui étoient dreſſées dans un ſallon magnifique ; les autres vingt devoient prendre leurs ébats pour amuſer ceux qui mangeoient. Je ne ferai point un détail minutieux des mets qu’on nous ſervit, tous étoient bons & échauffans ; pour abréger, jamais je n’ai fait repas plus voluptueux & plus délicat ; le ſallon étoit une piece admirable, parfaitement quarré, ayant vue d’un côté ſur le jardin de la maiſon, & de l’autre ſur la campagne. On avoit eu ſoin de poſer le long des murs vingt petits ſophas, ce qui doit ſuffire, je penſe, pour démontrer au lecteur la grandeur du ſallon ; il n’y avoit des chaiſes que pour ceux qui étoient à table : on avoit poſé aux quatre coins du ſallon quatre fontaines, qui couloient dans de grandes écailles de marbre blanc, au fond deſquelles on trouvoit du romarin, des œillets, du jaſmin & de la lavande : ces herbes trempées des odeurs ſuaves qui couloient des fontaines, ſervoient à ceux qui venoient de combattre pour leur purificatoire. Deux domeſtiques de différent ſexe, & dans l’aimable abandon de la ſimple nature, ſe tenoient à chaque fontaine, chacun une ſerviette à la main, qu’ils préſentoient dans l’occaſion requiſe. On avoit eu auſſi l’induſtrie de mettre quatre grandes glaces un peu panchées : elles étoient là pour rendre tous les objets à la vue de ceux qui mangeoient, pendant que d’autres s’eſcrimoient ſur les ſophas. À côté de ces glaces, étoient d’eux enfans charmans, chacun de l’âge de onze ans, garçon & fille, qui, tous deux nus comme la main, s’excitoient à la jouiſſance, en courant l’un après l’autre & en ſe fuyant mutuellement comme s’ils ſe fuſſent craints. J’eſpere que, malgré la longueur peut-être ennuyeuſe de la deſcription de cette fête importante, le lecteur rendra les armes, & ſe trouvera amplement dédommagé par les particularités du fait dont je vais lui faire ici le détail le plus complet.

Toute l’aſſemblée veilloit attentivement ſur les démarches des deux enfans. Nous vîmes, d’abord qu’ils ſe furent joints, le garçon s’approcher de la fille, & placer ſon corps le long des côtés de celle-ci ; un inſtant après, levant ſes pieds de terre, il ſauta ſur le dos de ſa proie, qu’il ſaiſit avec ſes deux mains ; il approcha enſuite le plus qu’il put le bas de ſon ventre du cul de la fillette, & fit faire à cette partie de petits mouvemens très-prompts, dont l’iſſue ne paroiſſoit pas devoir être équivoque. Il ne fut permis à notre petit galant de reſter en cette poſture que pendant un tems extrêmement court ; la petite commere n’étoit pas diſpoſée à ſe prêter à ſes careſſes ; elle n’avoit plié ſes jambes que fort peu ; elle put donc aller en-avant & lui échappa : ce même inſtant ne nous fit voir aucune agaſſerie de la part du petit égrillard ; c’eſt-à-dire de la part du garçon, car la péronelle ſe conduiſit toujours en fille modeſte ; mais le moment d’après nous commençâmes à obſerver tout le jeu que nous avions déjà vu, & qui fut répété à bien des différentes repriſes. L’égrillard, après s’être muni l’eſtomac de quelques bonbons qu’il mangea, fut retrouver ſa poulette ; dès qu’il fut près d’elle, il ne tarda pas à ſe poſer ſur le corps de ſon amante, mais avant qu’il eut eu le tems de ſe cramponner, la petite cruelle ſut ſe ſouſtraire à ſon embraſſement, elle ſe ſauva derriere un ſopha. L’ardent amoureux l’y ſuivit, mais l’ingrate eut recours à la force pour s’en débarraſſer ; elle fit pluſieurs égratignures au perſécuteur, qu’il ne prit pas pour des careſſes ; mais cette petite leçon ne le rendit pas ſage pour long-tems, car au bout d’une petite demi-heure, après avoir pris quelques reſtaurans, il recommença ſes tendres attaques, auxquelles la fillette ne parut pas plus diſpoſée à ſe rendre qu’auparavant. En vain parvint-il à grimper ſur ſon dos, à trois repriſes différentes, elle ne lui permit jamais de reſter en cette poſture : pour s’en défaire, elle s’aſſit ſur un fauteuil ; le galant y fut preſqu’auſſi-tôt qu’elle, & fit de nouvelles tentatives qui ne furent pas plus heureuſes que les précédentes ; l’amoureux, rebuté, ceſſa des pourſuites qui lui avoient ſi mal réuſſi pendant près de deux heures ; n’étoit-ce pas bien mal-adroit de ſa part ? mais, patience : après un tems de repos aſſez long, ſes accès de tendreſſe lui reprirent. Eſt-il un cœur qu’on ne vienne à bout de fléchir à force de tems & de perſévérance ? Cette inſenſible, qui juſqu’à ce moment avoit fait voir une réſiſtance ſi opiniâtre, va nous apprendre qu’il eſt bien difficile de ſe défendre toujours des tendres ſollicitations d’un bien-aimé : le chaud amant, qui s’apperçut peut-être que le moment favorable étoit arrivé, ſe jeta avec une nouvelle ardeur ſur ſa maîtreſſe, qui, pour la forme, parut vouloir s’échapper, mais avec une lenteur qui ne faiſoit que trop connoître ſa ſituation alors préſente. L’égrillard paſſionné tint ferme, & ne l’abandonna pas : la donzelle ſe vit contrainte alors de céder ; elle ſe prêta aux plus tendres careſſes : en un mot, le petit garçon fut heureux, & la revêche maîtreſſe fut pour lui une f..terie qui ne finiſſoit plus. On ceſſa dès-lors de les examiner l’un & l’autre ; mais quand nous les revînmes au bout de quelques heures, l’amant nous parut retombé dans une indifférence qui ſembloit nous annoncer que le moment où il avoit été heureux f..teur nous étoit échappé il paſſoit alors près de la coquine ſans la regarder : pendant qu’elle étoit étendue ſur le ſopha, il ſe tint à ſon tour tranquille d’un autre côté : il fut une bonne heure & demie ſans montrer ni gaieté ni vivacité ; il prit pour ainſi dire un air ſournois & ennuyé.

Ce tableau de l’amour naiſſant m’avoit ranimé l’eſprit, & je ne crains pas d’avoir déplu à mon lecteur, en lui faiſant connoître les progrès prompts que fait faire le petit cupidon à tous ceux qui ont le bonheur de vivre ſous les loix.

On voyoit auſſi aux deux extrêmités de ce ſallon deux tablettes dorées & ſurmontées d’une groupe de f..teurs en ſculpture ; dans chacune de ces tablettes on avoit réuni une collection d’ouvrages dramatiques & autres, propres à inſpirer du goût aux perſonnes qui compoſoient cette fête. Pour ne laiſſer rien à deſirer aux lecteurs de l’invention générale d’un pareil amuſement, je vais donner ici le catalogue de cette bibliotheque, diviſée en deux parties, dont l’une étoit remplie par l’hiſtoire & la poéſie, & l’autre étoit conſacrée uniquement à la dramaturgie. Voici d’abord les romans & la verſification.

L’Agnès dépayſée, ouvrage mêlé de proſe & de vers, contenant la jouiſſance parfaite, licite & générale des plaiſirs de Cythere, où ſe trouvent 50 différens tributs de l’amour préſentés à Vénus ſur l’autel de ſes charmes, avec des airs adaptés pour chaque offrande.
Zénie, hiſtoire orientale, contenant le Cathéchiſme d’une Odaliſque du grand-ſeigneur.
La Cazzopottamachie, ou Hiſtoire originale, phyſique & morale des C..., des V... & des C....les, par laquelle on démontre les choſes.
La Légende joyeuſe, contenant 404 Épigrammes, diviſées en 4 parties, dont la derniere eſt de toute force.
L’Anti-Légende retournée, contenant une ample collection de cantiques facétieux, ſuivie d’un recueil nombreux de chanſons.
L’Ode à Priape, par Piron : en 17 ſtances de 170 vers.
L’Ode du vrai Bonheur, de 20 ſtances de 200 vers : elle ſert de pendant à celle de Piron, en ce qu’elle traite le même ſujet, que ſon auteur tire du texte ſacré, en oppoſition au profane de la précédente.
Le temple de Priape, poëme de 162 vers, aſſez jolis.
La-Putain de Saint-Cloud, joli poëme de 168 vers.
L’Élection du général des Cordeliers, du fameux Rouſſeau.
Le Débauché converti ; par Robbi de Beauveſet, de 130 vers.
Le Manuéliſme, ouvrage curieux, en vers, par Grécourt.
Le Manuel des Solitaires, ou l’oraiſon des cinq doigts, en vers.
La Félicité parfaite, ou l’art de f..tre par principes d’économie, en joignant la délicateſſe au ſentiment & à la volupté.
L’Art de bien baiſer, poëme de 94 vers.
Lettre de Flora à Pompée, ſur ce qu’il l’avoit abandonnée pour ſon ami.
La Bataille des Jéſuites, ſtances en 60 vers.
Le Portier des Chartreux, ou Hiſtoire de D. B. en 2 parties ; par M. Gervais, avocat célebre, chargé de la défenſe de M. de Buſſi, commandant dans l’Inde.
La F...tromanie, poëme en ſix chants, & de plus de 400 vers.
Théreſe philoſophe, en 2 parties, contenant le détail de la fameuſe affaire du P. Girard, jéſuite, avec la fille la Cadiere, en Provence.
La Fille de joie, hiſtoire d’une fille connue.
L’Optimiſme des pays chauds, en 2 parties : ſuivi de poéſies fugitives.
L’Aretin, ouvrage traduit de l’italien, en vers & en proſe.
L’Aretin moderne en 2 parties, contenant diverſes choſes intéreſſantes.
La Touriere des Carmelites ; ſuivie de la Religieuſe en chemiſe.
L’École des filles, en 2 parties.
Imirce, ou la Fille de la Nature ; ſuivie de la Momie de mon grand-pere.
Les Lauriers eccléſiaſtiques ; ouvrage traduit en proſe.
Les Bijoux indiſcrets ; ouvrage philoſophique, par Diderot.
Le congrès de Cythere ; traduit de l’italien par l’auteur du Roman de la Cauchoise, & de quantité de pieces-gaillardes.

Suivent les comédies, dialogues & entretiens compoſant la partie dramatique.


Le Roi de Sodome, tragi-comédie en proſe & en 5 actes, traduite de l’anglois, par Buſſi-Rabutin : avec une préface, 2 prologues & 2 épilogues.
Fragment d’une comédie en proſe, des mêmes auteur & traducteur.
L’Embraſement de Sodome, tragédie en proſe & en 5 actes, de Voltaire.
Saül, tragédie en proſe, de Voltaire.
La Religion, tragédie en proſe. & en 5 actes, ainſi que le Pape malade.
Les trois Mariés, on le triple Mari, piece de théatre, en proſe.
Le Bordel, ou le Jean-f..tre puni ; comédie en proſe et en 5 actes, de l’abbé de Caylus, & non du comte ſon frere, comme on l’a cru.
L’Appareilleuſe, comédie fort longue, en proſe & en un acte.
Dialogue ou l’entretien ſpirituel entre madame Anjolan & Angélique.
Vénus dans le cloître, compoſée de pluſieurs entretiens.
La Putain errante, ou Dialogue entre Julie & Madelaine.
Léandre, comédie en 5 actes, traduite par l’auteur de la Cauchoiſe, dont l’original latin eſt dans l’imitation de celles de Plaute & de Térence ; la ſcene ſe paſſe à Florence, & il y a 17 perſonnages.
Le Luxurieux, commédie en un acte & en vers de Le Grand, comédien.
La nouvelle Meſſaline, en un acte & en vers, de Buſſi-Rabutin.
La Comteſſe d’Olonne, comédie en un acte & en vers.
Marthe Le Hayé, comédie en 1 actes, de Buſſi-Rabutin.
Le Serrail de Dulys, comédie en un acte & en vers.
Conin & Conette, opéra-comique, parodie en vers de Baſtien & Baſtienne.
L’Art de F..tre, ou Paris f..tant ; ballet-pantomime, entremêlé de danſes, de chants, de muſique & avec un prologue & nombre d’autres brochures plus ou moins connues.

C’étoit tout ce qu’on avoit pour ſa lecture. Il manquoit quelques articles, tels que le Point du Jour ou le lever de l’aurore, les Mémoires ſecrets de la France pendant le dix-huitieme ſiecle, & nombre d’autres choſes & curioſités.

On n’avoit pas omis de placer des tablettes en muſique ſur leſquelles étoient notées, comme une eſpece de vaudeville, les paroles qui ſuivent :


Chanson.

 F..tons tous tant que nous ſommes,
Et laiſſons-nous f..trailler :
Le plus grand plaiſir des hommes
Réſide en ce ſeul métier.
Faiſons ſi bien que la f..terie,
   Avant la mort,
Nous ſerve toujours pour l’autre vie
   De paſſe-port.


Ce couplet avoit été diſtribué à tous les convives en entrant : par ce moyen, tel f..toit qui chantoit, & tel chantoit qui bandoit à l’aiſe. Peut-on rafiner au-deſſus de pareilles galanteries ! Tous ceux qui voulurent f..tre s’emparerent des ſophas. Je n’avois garde d’en prendre un ; je voulois faire auparavant un tour de mon métier. Nous nous mîmes vingt perſonnes à table : il n’y avoit que deux femmes & mon abbé en chemiſe de taffetas. Lorſque tout le monde fut placé, on convint qu’à chaque ſervice chacun viſiteroit les pieces de ſon voiſin pour voir leur état, & que celui qui débanderoit ſeroit condamné à recevoir de chaque convive trois chiquenaudes ſur le bout du v... La ſociété ſe ſoumit ſans murmure à cette loi, qui nous fit tous beaucoup rire, par la ſingularité d’imagination qui l’avoit dictée. L’abbé qui bandoit comme un carme, s’apprêtoit à rire bientôt aux dépens de quelqu’une mais au premier verre qu’il voulut boire, j’eus ſoin d’y mettre du nénuphar ; je lui tâtai enſuite le… priape, il l’avoit des plus bandans de la compagnie ; je redoublai en conſéquence la doſe tant & ſi ſouvent que j’en vis bientôt l’heureux effet, car nous n’étions pas encore au troiſieme ſervice, que le pauvre calotin ne dreſſoit déjà plus : je me rendis alors ſa dénonciatrice ; il fut obligé de montrer ſon pauvre nerf qui étoit mol, flaſque & froid comme glace ; l’abbé fut condamné tout d’une voix ; il ne ſe démonta cependant point, & nous dit du ton le plus aſſuré que plus d’une femme ſeroit exploitée ce ſoir là même du v... qu’on critiquoit avec tant de fureur, & qui ne ſe repoſoit, en ce moment-là, ajouta-t-il effrontément, que pour mieux jouter. Il eut beau faire pendant tout le reſte du repas ; ni les artichaux frits, ni le vin de Champagne, ni même les liqueurs les plus propres à porter dans ſon ſang l’ardeur de la volupté, ne lui rendirent point ſa premiere vigueur. Il commençait à enrager vers le milieu du deſſert : il fixoit les yeux ſur tous les miroirs pour mieux s’exciter ; rien, il eſt vrai, n’étoit plus propre à faire bander, car, par le moyen d’une ſeule glace, on réuniſſoit quelquefois toutes les ſcenes de f...terie de la ſalle. Les uns f...toient en c.. par goût, d’autres f...toient en c..l : pour un prétendu rafinement de volupté, celui-ci appliquoit ſa bouche ſur les levres d’une femme, ou pour s’exprimer énergiquement, lui pompoit l’ame avec vivacité ; celui-là panchoit négligeamment ſa tête ſur celle de ſa maîtreſſe & lui déroboit un baiſer ſur l’œil, ou bien lui ſuçoit un teton : les uns ſe branlottoient le v.. & le c.., tandis que d’autres, enfin, f...toient en tetons : le pauvre abbé avoit beau regarder tous ces tableaux vivans, rien ne lui rendoit ce qu’il avoit perdu. Vers les onze heures & demie, il fallut pourtant faire place aux f..teurs fatigués, & devenir nous-mêmes de nouveaux athlètes ; tout le monde ſe leva donc alors de table. On conduiſit le pauvre abbé tout honteux dans la galerie ; on ſe partagea en deux bandes, qui ſe rangerent ſur deux lignes, & le champion impuiſſant fut condamné à paſſer trois fois dans le milieu, pour recevoir la petite galanterie dont on alloit le gracieuſer : il reçut par ce moyen cent dix-ſept pichenettes, qui ne le firent pas mieux bander qu’auparavant, après quoi l’on retourna au ſallon. L’abbé devint alors le ſujet de la converſation, & le pauvre diable confus & décontenancé ſe mit ſur un ſopha, & tâcha de s’eſcrimer de ſon mieux auprès de moi, mais il eut beau faire, après avoir paſſé une demi-heure entiere à ſe tourmenter & me tracaſſer ſans en devenir plus chaud pour cela, il fut forcé ſur le minuit de ſe retirer comme s’il eût été un nouvel Abaillard. Pour lors, auſſi dégoûtée qu’ennuyée de ſes froides careſſes, j’appellai le comte, mon cher amant, autant pour mon propre plaiſir que pour parachever ſans délai le déſaſtre de ſon rival. N’en ſoyez pas fâché, dis-je cependant à l’abbé, & puiſqu’il vous faut abſolument un ſubſtitut, autant vaut lui qu’un autre, ce qui démonta tellement l’abbé, qu’il ſortit du ſallon avec fureur, alla reprendre ſes habits, & s’en revint à Paris dans le courroux le plus violent. Ah ! qu’un homme eſt piqué, furieux, quand il voit la nature ſe refuſer ainſi à ſes deſirs ! l’emportement devient alors ſa paſſion favorite.

Le comte quitta la femme qu’il avoit priſe, pour ſe jeter entre mes bras : dans toute autre occaſion c’eût été ſans doute un affront, une marque de mépris, que d’en agir ainſi avec une honnête fille ou femme ; mais en entrant ici, on avoit affiché la liberté dans toute ſon étendue. Étoit-on las d’être dans les bras l’un de l’autre, on ſe quittoit mutuellement, ſans façon, ſans compliment, ſans gêne, & l’on changeoit de monture & de cavalier avec ſes voiſins : ainſi le ſallon devenoit par ce moyen une ſeconde académie des quarante, tant pour le plaiſir que pour la conſtance, les infidélités & la volupté. Vers les trois heures on leva toutes les tables, & chacun courut aux différentes fontaines ſe purifier, pour ſe préparer enſuite à un bal qui ſe donnoit dans la galerie. On y danſa tels qu’on étoit ; c’eſt-à-dire tous nus, mais on n’y apporta pas la même vigueur, car on n’y voyoit plus que des v.. pendans & preſqu’imperceptibles, tant ils étoient affoiblis & exténués par un trop grand exercice : on eſpéroit que la danſe remettroit un peu ces machines détraquées dans une heureuſe bandaiſon pour la fin du bal ; mais une fois livrée à Terpſichore, on ne penſa plus à Vénus. On ſe réjouit ainſi juſqu’à ſix heures du matin, & pour lors chacun fut reprendre ſes habits & ſe rafraîchir modérément aux fontaines ; ce qui fut bientôt fait. Vers les huit heures on préſenta le déjeûné à ceux qui en voulurent ; mais peu de perſonnes l’accepterent, parce que les plaiſirs de la nuit exigeoient plus de repos que de nourriture ; tout le monde défila peu de momens après, & le comte & moi fûmes des derniers. Il me mit dans ſon carroſſe avec madame L. D. de L. V., femme du ſeigneur qui étoit venu me donner avis que le comte ſeroit de la grande fête qui devoit ſe donner à la campagne de M. le C. D. Mon amant le prevint à mon égard, & nous prîmes ainſi le chemin de Paris, en nous louant du ordre étonnant & exemplaire qui avoit regné dans cette partie. Nous revîmes madame L. D. de L. V. dans ſon hôtel, faubourg Saint-Germain, après quoi le comte me conduiſit chez moi : je ne le priai point d’y reſter, attendu le repos qu’il me falloit auſſi bien qu’à lui. Je ne fis qu’un ſaut pour me mettre dans ſe lit, d’où je ne ſortis que ſur les huit heures du ſoir.

On attend ſans doute ici que je vais faire venir le comte chez moi : je le pouvois en effet très-aiſément, car enfin mon financier n’étant point à Paris, j’étois ſûrement en pleine liberté ; il m’eût donc été bien facile de me procurer cette ſatisfaction, mais il falloit du ſecret, or, étoit-je aſſez ſûre de mes domeſtiques pour pouvoir compter qu’ils l’euſſent gardé ? Une fille entretenue a bien des meſures à garder ; tous ceux qui l’environnent ſont autant d’eſpions contr’elle ; elle ne peut pas plus ſe fier à eux qu’un honnête homme à une maquerelle. On ſait qu’au bordel celui qui paie le plus eſt auſſi le mieux ſervi ; il en eſt de même chez une fille entretenue ; l’argent découvre tous les ſecrets, car, comme l’a dit un ancien & très-eſtimable auteur dramatique :

C’eſt le nerf de la guerre ainſi que des amours.

Qu’on ne s’étonne donc pas ſi je ne recevois point mon cher comte chez moi, & puiſque j’avois la commodité de le voir chez ma bonne amie, ce parti n’étoit-il pas le plus ſûr ? Auſſi y fus-je ſort exactement pendant le reſte du tems que mon financier étoit en campagne. J’aurois ſouhaité qu’il y fût reſté toute ſa vie, pourvu cependant qu’il m’eût envoyé ponctuellement & largement de l’argent. J’aimois mon cher comte, il m’aimoit auſſi ; eſt-il des momens plus doux que ceux de deux amans généreux ? C’eſt ce que nous n’aurions pas ceſſé d’être un ſeul inſtant ſans l’arrivée du financier : il revint le ſamedi de la ſemaine ſuivante. Il m’envoya poliment avertir de ſon arrivée, en me faiſant prier de reſter le lendemain chez moi ; il fallut obéir. Je l’attendis le dimanche juſqu’à trois heures, qu’il arriva tout en colere, en me jetant un billet au nez, & me diſant bruſquement : liſez, je reviendrai ſouper. À peine eut-il achevé ces mots qu’il me laiſſa & ſortit. J’ouvre le billet avec tout l’empreſſement que pouvoit me donner la curioſité, innée, dit-on, dans tout le ſexe. Qu’elle fut mal payée ! On apprenoit au financier la charmante partie de plaiſir que j’avois faite, on lui nommoit le comte, on l’aſſuroit qu’il m’y avoit careſſée, exploitée & baiſée à ſon gré ; on ajoutait enfin, qu’il pouvoit s’en informer au D. de L. V. au C. de L. qui étoient de la même partie,

Après une ſemblable lecture, je paſſai une après-dîné des plus triſtes : j’attendis le bourru juſqu’à huit heures, il vint alors, & me demanda en entrant ſi je trouvois qu’il fût bien inſtruit ? Je ne répondis rien à cette boutade ; nous nous mîmes à table, où nous gardâmes l’un & l’autre le plus profond ſilence : enfin, au deſſert, le financier me dit : « il faut, mademoiſelle…, il ſaut prendre un parti ; vous ſavez comment j’en ai agi avec vous juſqu’à préſent, ſi vous ne faites divorce avec le comte & la Duttey, c’en eſt fait, je vous quitte ; conſultez vos intérêts. » Je promis au financier d’exécuter ſes ordres, je fis même une lettre pour le comte, qu’il ſe chargea de lui faire remettre : que cette lettre me coûta ! Ah ! rien n’eſt plus vrai ; je quittois un homme que j’aimois plus que moi-même ce qui n’eſt pas peu dire, & le tout, pour me conſerver de préférence un maudit homme que je ne pouvois pas ſouffrir ; mais, de bonne-foi, pouvois-je faire autrement ? Si j’avois renoncé à mon Créſus financier, il falloit donc aller à l’hôpital ? Le comte n’étoit pas d’humeur à m’entretenir ; il étoit, quoiqu’aſſez riche, de ces hommes originaux qui aiment le plaiſir, mais qui pourtant ne ſauroient ſe réſoudre à acheter, à payer un cul : il m’aimoit parce qu’il voyoit la ſimplicité preſque niaiſe avec laquelle je m’abandonnois toujours à lui ; il auroit douté de la vérité & de la ſincérité de mes ſentimens pour lui, ſi ma perſonne lui avoit coûté la moindre des choſes.

Le Matador, mon financier, parut content du ſacrifice que je lui faiſois, & ce que je lui dis enſuite lui fit beaucoup plus de plaiſir encore. Je lui rendis innocemment compte de notre fameuſe partie de plaiſir : je lui fit l’hiſtoire de l’uſage du nénuphar ſur l’abbé & ſur le comte, que je donnai pour compagnon au calotin ; ma candeur ingénue lui plut, il me pardonna tout ; mais il n’en reſta pas moins froid : de la froideur à l’inimitié il n’y a qu’un pas ; un amant rompt aiſément avec ſa maîtreſſe quand il eſt froid à ſon égard : je l’éprouvai bientôt ; il ne tarda pas à m’arriver une petite aventure, qui perfectionna le dégoût mérité que le rebutant financier avoit déjà pour moi.

Un jour que je fus au ſpectacle, je me mis à côté d’une dame de la premiere diſtinction : ne la connoiſſant pas, je la regardai du haut en bas ; en entrant dans la loge, je ne la ſaluai point ; je la priai ſeulement avec un ton d’inſolence de me faire place. Cette dame, qui étoit fort modeſte, me répondit que je tombois mal, qu’il me falloit prendre une loge pour moi ſeule : oh que non, répondis-je, madame, je ſerois privée du plaiſir de votre compagnie ; en diſant cela je paſſai inſolemment dans la banquette, où pendant tout le ſpectacle, j’inſultai à la dame qui étoit à mes côtés. Elle étoit miſe ſi ſimplement que je la pris pour une femme-de-chambre ; & pour la punir de ſe trouver avec moi, je réſolus de la faire enrager. Tantôt je faiſois de mon panier un écran qui lui cachoit la vue de la ſcene au théatre, tantôt je lui marchois ſur le pied par diſtraction apparente ; je pouſſai cela ſi loin que le parterre s’en apperçut : on rit beaucoup à nos dépens, ce qui me fit dire à la dame inconnue en ſortant : « ſans avoir affiché de comédie, vous venez, madame, d’en donner une fort belle. » On ne répondit rien à ce compliment. Je revins tranquillement chez moi, l’eſprit plein de la pauvre dame, que je m’applaudiſſois hautement d’avoir fait endêver. Que je penſois peu aux ſuites fâcheuſes que me produiſit mon inſolence !

Deux jours après un exempt vint m’avertir charitablement de décamper leſtement, ſi je ne voulois pas être miſe à l’hôpital général. Il me dit que j’avois eu affaire à une princeſſe, la D. de B., qui s’en étoit plaint amèrement à M. le lieutenant de police ; qui, pour la ſatisfaire, alloit donner ordre de m’arrêter. Je remerciai l’exempt comme je le devois ; je pris ſur-le-champ un carroſſe, & je me fis conduire chez mon financier, à qui j’appris mon infortune : toute ſa réponſe fut une bourſe de vingt-cinq louis : « tenez, ajouta-t-il, voilà de quoi déloger, tâchez d’être plus ſage à l’avenir : voilà la derniere de mes faveurs. » Je voulus ramener le bon homme, mais il avoit pris définitivement ſon parti ; je le quittai en lui diſant mille ſottiſes & en lui donnant toutes ſortes d’imprécations : c’eſt là la maniere dont en agiſſent toutes les putains, lorſque l’entreteneur ne veut plus continuer d’être leur dupe.

J’aurois ſouhaité retrouver mon cher comte, mais je l’avois banni de chez moi, & il n’alloit plus chez la Duttey : mon inquiétude ſur ſon compte étoit même dégénérée en déſeſpoir, lorſqu’un jour, en paſſant près de Saint-Euſtache, je fis arrêter mon carroſſe à la porte de ma marchande de modes, j’y deſcendis pour cauſer un peu : juſtement mon cher comte s’y trouvoit ; qu’on juge du plaiſir que j’eus à le voir ! Hélas ! pourquoi ? empoiſonna-t-il, ce plaiſir ! Il me dit qu’il venoit de ſe marier depuis huit jours. Un coup de foudre eût été moins terrible pour moi que ne le fut cette nouvelle accablante. Je ſortis alors bruſquement, & je jurai bien tout haut & tout bas de n’aimer plus avec tant de délicateſſe : avois-je tort en ce moment critique ? Qu’on ſe mette un inſtant à ma place ; n’eſt-ce pas ma folle paſſion pour ce perfide comte qui vient de m’ôter le financier mon amant ? Sans cet amant funeſte ne continuerois-je pas encore à braſſer les louis de mon bon homme ! Prenons, me dis-je alors à moi-même, oui, prenons mieux le tour d’une vraie & bonne putain : mettons-nous en état de nous moquer entiérement du mariage ou de l’inconſtance des amans.

Je pris effectivement ce ſyſtême, & je le pouſſai même ſi loin, que je ne voyois & ne recevois perſonne que pour f..tre, & pourvu que ce fut pour cette occupation-là, je recevois indiſtinctement tout le monde ; beau, laid, grand, petit, contrefait ou bien fait, jeune ou vieux, n’importe ; tous indifféremment. Il ne falloit rien moins qu’un grand nombre de v.. pour me faire oublier le priape chéri de mon adoré comte ; auſſi tins-je bordel ouvert. Je permis à tout f..teur de m’enc..ner. Parmi ceux qui me voyoient le plus fréquemment étoit un colonel d’infanterie, qui étant devenu tout-à-fait amoureux de moi, me propoſa de le ſuivre à Rouen, où ſon régiment étoit alors en garniſon. On ſait de reſte, qu’une putain, ſauf les plaiſirs du canapé, n’aime rien tant qu’à voyager, & que tout pays lui eſt égal, pourvu que monſieur ſon cul & ſon voiſin le plus proche ſoient abondamment humectés. Je vérifiai ce proverbe en ſuivant mon colonel dans ſa garniſon : le nouveau théatre où je ſuis eſt un de ceux où une putain expérimentée peut faire les plus beaux rôles du monde. Rouen eſt aſſez connu, je n’en ferai pas la deſcription. Arrivée dans cette ville avec mon colonel, j’eus tout le tems de m’y livrer aux plaiſirs : bals, comédies, concerts, promenades, parties fines, ſoupers fins & délicats, rien ne coûtoit à mon nouvel amant ; tous les jours il étoit ingénieux à me témoigner ſa tendreſſe : il ſavoit qu’une fille de mon état ſe prend par les ſens, auſſi répondis-je, on ne peut pas mieux à toutes ſes bontés, je dis bontés, & c’eſt vraiment le ſeul nom qu’on puiſſe donner à la folie des hommes quand ils ne s’attachent qu’à des putains, comme font en Europe tous les grands, & leurs ſinges encore plus mépriſables qu’eux à cet égard ; quoique cependant, en général, la nobleſſe attire moins les reſpects du peuple que ſa haine. Quant à moi, j’aurois été parfaitement heureuſe ſans l’amour exceſſif, ſans la fureur, je puis dire, du f..tre : c’eſt ce qui va vous paraître auſſi clair que le jour.

Mon colonel, pour m’aſſurer du pain, vouloit que je me miſſe au nombre des comédiennes de Rouen, qui croyoient reconnoître en moi quelques talens pour le théatre ; je ſens parfaitement aujourd’hui combien ce brillant état m’eût été avantageux, à cauſe de ma qualité de femme entretenue, dont les privileges ſont très-grands, ſur-tout quand elles tiennent à la comédie ; mais lorſqu’on me le propoſa, je regardai cela comme fort au-deſſous de moi. La f..terie ſeule faiſoit mon unique bien, rempliſſoit ſeuls mes deſirs & mon cœur ; je l’aimois tant enfin, que chaque fois que mon complaiſant colonel m’envoyoit un soldat m’apporter quelque billet que le ſoldat fut vieux ou jeune, également avoit-il le droit de me f..tre : ce petit jeu eût été très-joli & très-agréable, ſi, au bout de trois mois, il ne m’eût procuré une vérole des mieux conditionnées. Lorſque je m’apperçus que j’en tenois, je délogeai ſans trompette ; & avec le ſecours d’une montre d’or, que je vendis, je fis de l’argent pour m’en retourner à Paris. Ce parti étoit ſans contredit le plus ſage, car s’il n’étoit pas ſûr de ſe fier à mon colonel étant en bonne ſanté, il étoit bien plus naturel à moi de le craindre infiniment après lui avoir donné une vérole ſemblable à celle que j’emportois.

On voit que mon ſéjour à Rouen fut aſſez court ; il ne fut cependant pas ſans aventure. Je pourrais en raconter plus d’une ſi je n’appréhendois pas de faire connoître trop ouvertement ceux avec qui j’ai été en relation d’affaires lubriques dans ce pays-là. Chacun y cherchoit à m’enlever à mon colonel, car il faut le dire ici ſans tergiverſer & ſans feinte, l’homme, à Rouen, eſt diablement f..teur ; je l’ai largement éprouvé, & ſans ma maudite vérole je ſerois peut-être encore dans une ville où le plaiſir eſt la premiere & ſouveraine loi, pour les jeunes gens principalement.

Le carroſſe public qui me conduiſit à Paris contenoit un jeune homme de dix-huit ans, un barnabite, & une jeune fille qui alloit ſans doute faire ſes couches à Paris ; ce dernier meuble, ainſi qu’une putain, un moine ou un preſtolet, ſont vraiment du gibier de coche. Le voyage ſe fit gaiement : ſans m’amuſer à dauber la fille groſſe, je tombai ſur le très-révérent P. Barnabite. En général, les putains n’aiment pas beaucoup les gens de cette robe : ont-elles tout-à-fait tort ? non ſans doute ; elles ont même tout-à-fait raiſon : l’univers entier dira peut-être que non. Cependant le R. P. étoit un bon diable, & ce qui le prouve mathématiquement, c’eſt que je lui donnai la vérole : voici comment cela ſe fit.

Arrivés à Mantes, le Barnabite me tira à l’écart ; il me demanda pourquoi je le raillois tant & ſi mal-à-propos ? Eh par dieu ! R. pere, lui repartis-je ſans héſiter, pourquoi ne f..tez-vous que des hommes ? Quelle ſottiſe ! répondit le porte-froc ; que vous êtes bonne, ma fille de croire pareille choſe ! Je le vois bien, il faut abſolument vous détromper ; mettez-vous ici, la charité pour le prochain va opérer votre converſion : auſſi-tôt mon drille tira un anchoix des plus mâles & des mieux faits ; puis, levant ma jupe, il m’en..ne, ſans me donner ſeulement le tems de crier gare ! Je l’avoue, je fus f..tue à double carillon, & ſi tous les barnabites ſont de même aloi que mon compagnon de route, c’eſt très-mal-à-propos qu’on leur en veut, à moins qu’on ne ſuppoſe que celui-ci n’était pas profès.

Le lendemain ce fut le tour du jeune homme, qui, ſans être tout-à-fait nigaud, l’étoit cependant aſſez pour ne connoître qu’une parte à la nature, Je fus obligée, conſciencieuſement, de l’endoctriner à cet effet ; beau, jeune, frais & dodu, je ne voulus point que ma nature alors impure pût défigurer la ſienne : je lui fis donc prendre la route que, par fineſſe, ou ſi vous voulez par malice, j’avois refuſée au barnabite : il n’eſt pas néceſſaire de faire une loi pour la b...grerie, puiſque la ſodomie fut en uſage de tems immémorial, même dès la création du monde, & juſques parmi ce qu’on appelle les ſaints peres de l’égliſe ; on ſait qu’elle l’a été, & qu’elle l’eſt même encore ſans myſtere à Rome, ainſi qu’à Saint-Pétersbourg, à Berlin ; à Vienne, à Londres, à Stokholm, par-tout enfin : il y a bien plus encore, c’eſt que la pédéraſtie eſt enſeignée par les chefs mêmes de chaque état, les princes, les monarques & autres. Ce qu’il y a de pire, c’eſt que les hommes dépravés, qui ont ce goût infâme de la b..grerie, peuvent le ſatisfaire en certains pays à peu de frais, dans toute l’Allemagne, & dans quelques autres contrées connues en Europe, un ſoldat en ſentinelle ſe laiſſe enc.ler dans ſa guérite, moyenant un ou deux gros, qui valent chacun environ trois ſols & demi. Mais je m’écarte, & rabattant ſur moi, vous ſaurez que le jeune homme, pour parler ſans métaphore me f..tit en cul. J’eus le plaiſir inexprimable de le ſentir tâtonner dans un endroit qu’il ne connoiſſoit point encore : au reſte, il en ſortit avec tous les honneurs de la guerre & ſans aucune perte. Ce fut ainſi que mon voyage me procura les jours les plus beaux & les plus doux. J’étois f..tue en c.. par un barnabite, ce qui tient vraiment du miracle, & tellement du miracle, que c’eſt bien ſupérieur aſſurément à tous ceux prétendus faits par le chef de la ſecte des chrétiens, comme de changer l’eau en vin, de faire parler les muets, de reſſuſciter les morts, &c. & enfin, j’avois du jeune, du douillet & du bon dans le cul : pouvois-je être mieux ſervie ? étoit-il poſſible à une putain de voyager plus agréablement ? auſſi arrivai-je à Paris avec tout le contentement poſſible, & ſans avoir eu en chemin un ſeul moment d’ennui. Mon barnabite me fit mille remercimens, & remporta ſuivant toute apparence dans ſa cellule la vérole la mieux conditionnée. Je ne ſais guere ſi ſes confreres lui auront ſu bon gré d’avoir ainſi abâtardi la criſtalline : pour ce qui eſt du jeune homme, je l’exhortai beaucoup à me venir voir quelquefois : je lui donnai mon adreſſe chez ma marchande de mode du quartier Saint-Euſtache, qui me reçut avec tout le plaiſir imaginable : oui, c’étoit véritablement une amie que cette femme là : auſſi, ſur ce que je lui contai de ma vérole & de toutes mes autres aventures, me loua-t-elle ſur-le-champ un appartement dans la rue Sainte-Avoye, où, par les ſoins du fameux Quertant Audouceſt, je parus être parfaitement débarraſſée, en un mois de tems, de ma galanterie.

Après ce terme je ne tardai point à m’afficher. Je parus dans Paris ſur le vrai ton de putain. Bien des gens mépriſent les Marais, quant à moi, je le trouve excellent pour mon métier ; les robins ſont de toutes ſaiſons : le Marais eſt pour ainſi dire leur patrie : la preuve, c’eſt que j’en vis fondre en très-grande quantité chez moi ; ils venoient tous ſe délaſſer chez la Dumonci : c’eſt le nom que j’avois pris en venant au Marais, parce que celui de Morantcour que je portois ci-devant me parut avoir beſoin de renouvellement. Je l’avoue, cependant ; il y auroit plus de plaiſir à f..tre avec un robin s’il étoit moins pédant ; mais ils ont, en général, un jargon ſi ſot ! C’eſt indubitablement par une ſuite de cette diable de pédanterie qu’ils appellent, par exemple, le dernier coup de f..terie, f..tre par arrêt, & le ſecond, f..tre en reviſion, parce qu’ils rentrent alors dans le c.. ; quoi de plus plat qu’un pareil langage ! Il eſt vrai que l’argent de ces robins me dédommageoit bien de tant de bêtiſe & d’ineptie, mais, pour terminer & couper court ſur leur compte, les robins, je parle au moins de ceux de la haute robe, ſont ceux qui m’ont fait le plus de plaiſir au Marais. J’ai vécu dans ce quartier preſqu’abſolument à leurs dépens, & ſans eux je n’aurois peut-être pas pu exercer l’acte de charité qu’on va me voir faire, bien équitablement, à ma couturiere de la correction du Havre-de-Grace.

Étant un jour à la meſſe, au couvent des Blancs-manteaux, tout en cherchant ſi je n’y verrois aucune de mes connoiſſances, je jetai les yeux ſur une femme qui étoit entre deux ſoldats aux Gardes-françoiſes ; quels furent mon étonnement & ma ſurpriſe ! je crus reconnoître cette chere couturiere, dont le malheur m’avoit cauſé le plus cuiſant chagrin, & cependant je ne concevois pas comment elle pouvoit ſe trouver dans la compagnie où je la voyois : mes yeux fixés ſur elle rencontrerent bientôt les ſiens, qui, par leur embarras, m’en dirent aſſez pour faire un ſigne à cette femme qui, me reconnoiſſant alors, vint me témoigner ſa joie : je lui propoſai de l’emmener avec moi, mais elle me fit ſentir en peu de mots à quoi je l’expoſerois, ainſi-que moi-même, ſi elle quittoit tout de ſuite ces deux maudits ſoldats. Je me contentai là-deſſus de lui donner mon adreſſe. Deux Jours entiers ſe paſſerent ſans que je viſſe paroître ma couturiere ; mais le troiſieme elle vint enfin, ſur les dix heures du matin, ſe jeter à mes genoux ; je la fis relever & je l’embraſſai cordialement ; après quoi je la fis aſſeoir à côté de moi malgré l’état affreux où elle ſe trouvoit ; ſans linge & ſans habits, elle pouvoit, à coup ſûr, prêcher l’inconſtance des choſes humaines. Un air triſte & honteux ſembloit barrer ſon cœur ; elle vouloit parler, mais on voyoit que la confuſion la retenoit & lui coupoit la parole ; je le remarquai bien vîte, & pour la mettre plus à ſon aiſe & l’inviter à me donner ſa confiance, je lui fis poſer ſes haillons & je lui donnai tout ce qui étoit néceſſaire pour la couvrir : quand cette triſte & fâcheuſe cérémonie fut terminée, je lui dis bien des choſes affectueuſes, dont les dernieres furent : je veux abſolument, ma bonne amie, que vous reſtiez toujours avec moi. Ah ! me répondit alors cette fille en pouſſant un grand ſoupir, vous me rendez la vie ! Ce ſoupir, échappé tout naturellement, rompit la digue ; & dans l’inſtant ; ma couturiere me fit une peinture ſi touchante de ſes malheurs, que je fus obligée de la ſupplier de ne m’en pas dire davantage : je la priai même de ne me jamais plus reparler des choſes terribles qu’elle venoit de me raconter ; & ſur-tout, d’épargner à mes oreilles le récit odieux des cruautés inouies que les ſoldats aux gardes avoient exercées ſur elle, avec une inhumanité incroyable lors de ſa ſortie de l’hôpital-général. Ce ſeroit vraiment ici le lieu de peindre ce que font ces gredins de ſoldats au régiment des Gardes-françoiſes, & le tableau ſeroit aſſez complet d’après ce qui m’en a été dit par l’infortunée couturiere ; mais je frémis d’horreur en penſant ſeulement à ces monſtres. Qu’on me diſpenſe donc d’entrer dans le détail de ce qu’il y a de plus affreux, & de ce qu’il pourroit y avoir de plus exécrable au monde, ſoit ancien ſoit nouveau, de turpitudes & de cruautés à révéler. Qu’il ſuffiſe au lecteur d’apprendre ici que ma pauvre couturiere a été entre les ſerres cruelles & les goſiers avides de ces abominables mangeurs de blanc, une des plus déplorables victimes du putaniſme : toujours malheureuſe dans ſa profeſſion, les plaiſirs ſembloient conſtamment la fuir, ou ne la chercher que pour la fatiguer & la faire devenir la proie journaliere de ces impitoyables vautours : auſſi finit-elle aſſez promptement ſa carriere. Le nouvel état où je l’avois miſe fut pour elle un ſingulier changement de fortune, qui lui occaſionna une maladie, par laquelle, au bout de deux mois de ſéjour chez moi, cette malheureuſe fille fut emportée, toute gangrenée, dans l’autre monde à l’âge de 28 ans à peine accomplis. Je regrettai réellement cette pauvre bonne, & mon cœur s’applaudit encore aujourd’hui de lui avoir procuré des jours un peu plus ſereins à l’approche de la mort, mais finiſſons cet article, car il m’arrache des larmes, & revenons à parler de moi.

Le Marais me plaiſoit beaucoup & par le nombre & par la qualité des f..teurs ; j’en avois tous les jours de bons, & ce qui ſur-tout eſt fort intéreſſant, j’étois bien payée ; pour le prouver, c’eſt qu’ayant une fois ſupputé combien me rendoit chaque coup de cul, j’ai trouvé que ma charniere ne remuoit jamais à moins d’un écu chaque fois. Quel plaiſir de f..tre de cette façon ! Je l’aurois fait encore long-tems, hélas ſans un de ces déteſtables animaux qu’on peut appeller avec juſte raiſon furets de bordels, & que l’on nomme ordinairement crocs : ces ſortes de gens ſont faits pour notre ſupplice ; ſans eux, une putain ſeroit trop heureuſe. Contente comme une reine, avec une maquerelle ou marcheuſe, une fille va loin quand on ne la met point à contribution ; & la ſoumettre à ce dernier article, c’eſt juſtement tout le talent d’un croc. J’eus le malheur d’être découverte par un homme de cette eſpece : il vint d’abord chez moi ſur le ton de l’amitié ; il étoit bel homme, & très-bien mis : je crus d’abord avoir fait une excellente découverte, & je donnai tête baiſſée dans ce fichu croc ſans le connoître. Il me faiſoit accroire que je ſerois avec lui la plus heureuſe fille du monde, pourvu que je vouluſſe répondre à ſes bontés : quelles étoient ces prétendues bontés ? Pourroit-on le croire, & le croirois-je moi-même ſi je ne l’euſſe éprouvé ? elles conſiſtoient à me donner ſon v.. à ſucer, & avaler enſuite ſon f..tre : mon drôle avoit pour cela une paſſion démeſurée. Lui ayant témoigné toute ma répugnance à cet égard, il changea pour lors de langage, & ſe montrant à découvert tel qu’il étoit ; eh bien : f..tue garce, me dit-il avec fureur, ſi tu ne reçois pas tout-à-l’heure mon v... dans ta ſacrée bouche, je vais te chercher une eſcouade du guet pour te conduire à l’hôpital.

À ce ſeul mot d’hôpital mes cheveux ſe dreſſerent d’horreur, car une putain ne craint rien tant que cet hôtel de miſere. Je le connoiſſois aſſez par la deſcription que m’en avoit fait la couturiere, qui y avoit été miſe deux ſois pour ſon malheur. Je conſentis donc à ce que vouloit mon infame croc : cependant j’exigeai d’être payée ; il me répondit à cela que je pouvois envoyer chez lui le lendemain, & qu’il donneroit dix louis à ma raccrocheuſe. Raſſurée par ces paroles, je me mettois en devoir de ſervir le croc ſelon ſon goût, lorſqu’il me dit : non, bougreſſe, ce n’eſt pas cela ; mets-toi ſur le dos : j’étois ſort ſatisfaite de voir changer ainſi ſon marché : j’ouvris donc bien vîte les cuiſſes, au milieu deſquelles ſe plaça mon eſtafier. À peine eut-il lâché ſon f...tre qu’il me dit : allons, garce, mange maintenant les rogatons, & en achevant ces mots il me mit le v.. dans la bouche ; je le ſuçai juſqu’à l’encaver : quand le drôle fut ſatisfait ; oh ça, ma reine, divertiſſons-nous bien, me dit-il, & reprenons des forces ; dix louis valent bien la peine que ru vas prendre de nous faire avoir un ſouper honnête ici. Moi, qui ai toujours été bonne, je donnai auſſi-tôt mes ordres à ma maquerelle, qui, en très-peu de tems, trouva de quoi nous faire paſſer le tems à boire & à manger juſqu’à deux heures du matin : pour lors, mon croc me quitta, en me promettant bien & me jurant même qu’il ſeroit très-fidele à ſa parole : pour en voir l’effet, j’envoyai chez lui ſur les onze heures du matin ; le coquin attendoit, diſoit-il, il y avoit long-tems, ma maquerelle, pour lui remettre un billet : celle-ci, croyant tenir un billet de change, vient à perte d’haleine m’apporter ce qu’elle venoit de recevoir ; je lui arrachai des mains le billet avec vivacité, & l’on peut juger de mon étonnement lorſque j’y lus ce qui ſuit :


À la Dumonci,

  Alizon fait la belle,
Pourquoi ? Hélas ! je n’en ſais rien ;
  Car jamais mon allumelle
N’enfila de c.. ſi puant que le ſien.


On doit imaginer aiſément quels furent mes ſentimens lorſque je me vis traitée de la ſorte par un homme ſi fort au-deſſous de moi : je dis au-deſſous de moi, car j’eſtime plus, ſans comparaiſon, le marchand que le courtier ; or une putain vend, & le croc maquignonne. Je ne ſavois comment faire ; il falloit pourtant me venger ou ceſſer d’être femme ; mais des vers ! comment y répondre ? un impromptu ſeconda ma colere, & ſur l’inſtant, j’écrivis ſur le même papier ce peu de mots, que je renvoyai au croc par le même meſſager :


J’en jure par Apollon,
N’en déplaiſe à ta muſe !
  J’ai le c...
  De façon
À rendre ta c..lle camuſe.


Voilà les ſeuls vers que j’aie jamais fait de ma vie ; s’ils ne ſont pas des meilleurs, ils prouveront au moins que l’emportement eſt le plus ſouvent le dieu de la rime : j’aurois cependant mieux fait de les garder par devers moi, puiſqu’ils me valurent la réponſe ſuivante :


À la Dumonci,

Ou, dans mon calcul je m’abuſe,
Ou nous ſommes quittes tous deux :
Si tu rends ma c..lle camuſe,
Bientôt ton c... ſera baveux.


Je dois l’avouer, quand je vis ces derniers vers, je devins forcenée : « que veut-il dire ? mon c... ſera baveux ! Le coquin m’a donc donné la vérole ? il a donc gâté ma nature ? il a corrompu mon f..tre & altéré ma matrice ? Le miſérable ! l’infame ! ſi je le tenois…! Mais à quoi bon, ajoutai-je auſſi-tôt, en parlant à ma maquerelle ; hélas ! à quoi bon cet emportement inutile ? vas, ma chere, chez Quertant-Audouceſt ; dis-lui de venir me voir au plus vîte. Je ne ſaurois reſter dans l’inquiétude affreuſe & accablante où je ſuis. » Celui que je viens de nommer étoit le chirurgien qui m’avoit déjà guérie une fois de pareille maladie, & ſi je ne me trompe, j’en ai fait mention ci-devant. Il ſuivit de près ma maquerelle ; il me trouva dans le plus grand abattement du monde : il me conſola cependant, & ſur les billets que je lui fis voir, il ſe contenta de me dire : boilà vien un pronoſtic-que de bérole ; mais, que bous l’ayez effectivement, mademoiſelle, c’eſt une autre choſe ; tenez-bous ſeulement vien tranquille, & prenez de la ptiſanne. » En achevant ces mots il me laiſſa une recette pour l’apothicaire. Pour remerciment je lui préſentai le cul, car cet homme ne viſitoit jamais d’autres trous aux femmes : par ce moyen il ſe moquoit toujours de la vérole. Après cette petite débauche du derriere, je réſolus de fermer ſoigneuſement mon devant pour quelque tems : au reſte, mon chirurgien me dit qu’au moindre ſigne non équivoque de maladie, je n’avois qu’à le faire appeller, & ce fut là ſa ſortie de chez moi. Je paſſai le reſte du jour à maudire mon fichu gueux de croc, juſqu’à ce que, ſur les neuf heures du ſoir, ma maquerelle m’amena un jeune homme des mieux bâtis & mis ſuperbement ; il n’avoit pas au-delà de vingt ans, tout au plus ; à ſon arrivée je ſortis de mon aſſoupiſſement, & je le regardai comme une planche après le naufrage ; auſſi en profitai-je. Mon jeune homme, avide de plaiſir, ſe jeta ſur moi avec une eſpece de fureur, mais je fis d’abord un peu la difficile. Pour m’en..ner plus vîte, il jeta trois louis d’or ſur ma table ; auſſi bien, dit-il, je viens d’en gagner douze au biribi ; ce mot échappé me ſervit heureuſement à faire encore plus la renchérie ; je la fis ſi bien, en effet, qu’il mit trois autres beaux & bons louis dans mes tetons. Dieu ſait, après cela, avec quelle joie je levai mes jupes ! Je fus la premiere à me jeter ſur mon lit & à remuer le cul d’importance. Le jeune cavalier fut, on ne peut pas plus, content de moi : pour me le prouver, il me lécha le c.., & but dans un verre de vin le f..tre qui en était ſorti : pouvoit-il manquer après cela d’avoir la vérole ? & ne trouvera-t-on pas mauvais que je n’euſſe point averti ce jeune homme du labyrinthe où il ſe plongeoit ? Qu’on penſe & qu’on diſe tout ce qu’on voudra, il me falloit de l’argent, je n’avois garde de me trahir ; je m’en inquiétois ſi peu, que j’aurois, je crois, donné la vérole à un cardinal & au pape lui-même. Au ſurplus, ſi j’ai fait une faute aux yeux de certains cenſeurs, on verra plus bas avec quelle étonnante généroſité elle me fut pardonnée par ce jeune cavalier, qui me quitta en baiſant mille fois le trou mignon. où il avoit ſucé & pompé un virus brûlant.

Après la ſortie d’un pareil & ſi généreux f..teur, je fus un peu plus tranquille ſur ma ſituation, & je l’avoue ſans façon, je remerciai la Providence de m’avoir envoyé de quoi me faire guérir de ma vérole, ſuppoſé que j’en euſſe véritablement une, ce qui ne ſut pas long-tems indécis, car mes doutes ſur ce point dégénérerent en certitude au bout de quinze jours. Je fis auſſi-tôt appeller mon chirurgien, qui me mit tout de ſuite dans les remedes, & qui ſur-tout me preſcrivit & me défendit tout uſage du c... : comme le drôle étoit un peu plus que bardache, cette défenſe de ſa part ne me fit pas beaucoup d’impreſſion ; d’ailleurs, je ne pus pas me refuſer à une nouvelle partie de plaiſir dont je vais rendre compte.

Le charmant cavalier dont il vient d’être parlé ci-deſſus revint me trouver un beau matin : quand je le vis entrer, je ne doutai point qu’il venoit, à cauſe de mon préſent infernal, pour faire tapage & caſſer au moins mes meubles ; car c’eſt ce qu’il arrive quelquefois chez meſdames les putains. Le jeune homme s’apperçut ſans doute de mon embarras, car pour me calmer, il s’empreſſa de me dire : « tu m’as donné une vérole, la petite, il eſt vrai, mais je l’avois belle & bien cherchée : ainſi, par toi ou par une autre, cela m’étoit ſort égal. » Le lecteur, peut-être, croira que j’outre les choſes, ou que je lui en impoſe, en rapportant ce trait, rien n’eſt cependant plus véritable, & pour le confirmer, je dois ajouter ici que j’ai vu diverſes fois des jeunes gens qui ne vouloient pas retourner en province ſans avoir une bonne & forte galanterie dans leurs culottes ; mais reprenons, comme dit ſort élégamment le proverbe, le fil de notre hiſtoire. Le cavalier en queſtion ajouta à ce qu’il venoit de me dire : « tiens-toi prête pour ce ſoir, petite ; nous reviendrons au nombre de ſix, tous jeunes gens, parmi leſquels deux te f..tront en cul, pour ne point avoir la vérole ; quant à moi, qui l’ai déjà, je me f.... d’entrer dans ton c..., mais quant aux autres jeunes gens, je te charge de leur en flanquer autant qu’à moi : ce ſont des b..gres dont je veux me venger : le plus beau pour toi, & le meilleur, c’eſt qu’ils te payeront comme au change. »

Ce diſcours finiſſoit plus avantageuſement à mon égard que les harangues que l’on fait ſouvent aux conſeils du roi, & dans les cours de parlement. Mon jeune homme ne tarda pas enſuite à me quitter pour me donner le tems de me mettre ſous les armes & de vaquer à ma toilette, dont je me ſervis fort utilement ce jour-là. Mes champions vinrent en effet à l’heure convenue ; ils étoient ſur le meilleur ton, mis comme des ſeigneurs, & ils débuterent par les complimens les plus galans : on converſa quelque tems, comme pour préluder, & bientôt on ſe décida pour la f…terie ; mais ce qu’il y eut de mieux, pour une f...terie nouvelle, dont malgré la laſcivité des tableaux, il me paroît du dernier néceſſaire que je donne ici les détails.

Deux des jeunes gens me jeterent d’abord ſur le lit ; l’un prit ſon poſte deſſous moi, commença par m’enc..ler avec une telle aiſance, que, ſans être des plus experts, on ne ſauroit mieux jamais s’y prendre ; l’autre m’enc..na en ſe cramponnant ſur moi de façon que j’étois exactement au milieu de ces deux hommes ; notez cependant que j’avois la main droite au cul de l’un & la gauche au cul de l’autre ; & qu’en enfonçant le doigt dans le trou de chacun de mes f..teurs, je leur faiſois mettre leurs v... juſqu’à la garde dans les deux miens : & tel étoit l’excès de notre volupté, que nous faiſions tous trois des ſauts juſqu’au plancher ; maintenant qu’on ſe donne la peine de compter & l’on verra que voilà déjà, ſelon mon marché, inconteſtablement une vérole. Le ſecond tableau fut différent ; un nouveau jeune homme vint enſuite ſe mettre ſur les rangs, avec encore un autre enculeur ; tandis que les deux ſortans m’exploitoient en même tems ſous les aiſſelles ; voilà donc bien encore une vérole. Reſtoit un troiſieme, je venois de faire une aſſez belle paſſe, & pourtant faut-il que la putain ſe repoſe : outre cela, il étoit dans l’ordre d’inventer encore une nouvelle f...terie. On paſſa donc une heure au coin du feu à cauſer, ou plutôt à s’échauffer, car, le diable m’emporte, je ne ſais où ces b..gres de mâtins-là alloient chercher tout ce qu’ils diſoient de la f..terie phyſique & anti-phyſique ; cette derniere dénomination eſt celle que ces jean-f...tres-là donnoient aux gens qui ſont b...gres & bardaches ; pour l’autre, ils la trouvoient dans la nature. Enfin, après bien des complimens, & des commentaires ſur la vénérable f...terie, on réſolut unanimément ce qui ſuit : un fouteur en cul ſe mit ſous moi, un fouteur en c.. ſe mit deſſus ; deux autres me mirent leurs engins dans les mains, que j’avois étendues ; le cavalier à qui je devois la ſatiſfaction de poſſéder tous les autres vint mettre ſes c...les ſur ma bouche, tellement qu’en les léchant & en les ſuçant, je fis précipiter ſon f...tre ſur mes tetons, tandis que de ſa langue il accrochoit, dardoit la ſienne, ou pour mieux dire, ſucotoit celle de mon f..teur en c... qui, appuyé ſur ſes coudes, empoignoit d’une main le v.. de celui-ci, qu’il introduiſit entre mes tetons, qu’il comprimoit, qu’il ſerroit de l’autre main l’un contre l’autre, en lui en formant ainſi un c.. poſtiche, dont la ſeule vue & la douce chaleur me procuroient d’un inſtant à l’autre une décharge abondante, qui nous faiſoit nager tous les ſix dans un véritable océan de la plus pure volupté : ainſi, donc, j’avois cinq v... ſur le corps, & je fus tant & ſi bien f..tue cette ſois-ci, que nous fûmes tous obligés & forcés de crier merci ! Après cette expédition, tous mes f...teurs ſe taxerent de bonne volonté à un louis chacun de f...terie, & à ſix livres pour le vin & le feu, ainſi que chacun vingt-quatre ſols pour la ſervante.

Des parties comme celle-là ſouvent répétées m’euſſent miſe promptement fort à l’aiſe. Celui qui m’avoit procuré celle-ci étoit réellement un bien galant homme, je l’éprouvai mieux encore deux jours après cette fine partie, qui peut paſſer pour une orgie fameuſe. Je reçus un billet, que je vais mettre ſous les yeux du lecteur : je l’attribuai ſans héſiter à mon brave & généreux cavalier, car qui d’autre ? que lui auroit eu tant de charité pour moi ?


Billet à la Dumonci.

« Il n’eſt pas prudent pour vous, mademoiſelle, de reſter où vous êtes ; vous en ſavez ou devez du moins en ſavoir les raiſons y ; a-t-il ou non du fondement ? Évitez par une fuite précipitée de votre demeure actuelle ce qu’une vengeance aſſez juſte peut-être pourroit vous attirer de fâcheux & de mal : on vous cherche. »

Sur la lecture répétée nombre de fois de ce billet anonyme, mille idées cruelles m’affligerent toutes ; cependant, réflexion faite, elles aboutirent à me faire prendre la réſolution de changer auſſi-tôt de quartier : je mis à cet effet ma maquerelle en campagne ; c’eſt la maniere d’exprimer les recherches. Au bout de deux courſes, elle me trouva une chambre & un cabinet, rue Saint-André-Des-Arts, où je tranſportai bien vîte ſans tambour ni trompette mon gagne pain. J’étois bien fâchée de quitter les Marais, car il y a de bons coups à faire pour une putain qui ſait ſe conduire ; mais comment faire ? ce chien d’hôpital que j’appréhendois toujours, étoit ſans ceſſe préſent à mes yeux & à mon eſprit, faſcinés par la crainte, qui, comme on dit, eſt ſouvent pire que le mal. On voit donc bien qu’il falloit abſolument prendre un parti : je le pris effectivement, & quoique la larme à l’œil, je vins établir un nouveau f..toir dans le pays latin.

En y arrivant mon premier ſoin fut de me faire guérir radicalement. En effet, pour les putains comme pour les grands perſonnages, tout dépend du début ; il faut toujours paroître avec honneur par-tout où l’on va pour la premiere fois. J’avois de l’argent, & je pouvois reſter quelque tems ſans rien faire.

Mon chirurgien m’expédia cependant aſſez vîte, & je me vis bientôt en état de faire face aux champions que la mere ſainte égliſe me procura, tant membres orateurs de la ſublime & preſqu’incompréhenſible langue de cette bonne mere que tous autres citoyens.

Je pourrois faire ici un volume in-folio, pour le moins, de toutes mes aventures d’égliſe. C’eſt ainſi que je nomme toutes celles que j’ai eues tant avec le rabat qu’avec l’aumuſe, le petit manteau, ou le capuchon ; mais j’aime mieux les réſerver pour en faire une hiſtoire ſéparée de la mienne. Je me contenterai donc de rapporter ici quelques traits de moines, afin que mes très-reſpectables & très-vénérables conſœurs connoiſſent bien leur génie & leur caractere ſournois.

Tout, dans mon nouveau quartier, paſſa, je puis m’en vanter, par mon étamine. Carmes, cordeliers, jacobins, prémontrés, capucins, preſtolets, pédans, profeſſeurs, cuiſtres, goujats de colleges, & juſqu’aux répétiteurs même, tous ſans reſtriction vinrent apporter à mon c.. les hommages de leurs priapes : auſſi n’ai-je pas encore quitté le pays latin, quoique j’aie fait pluſieurs fameux boucans dans ſon enceinte : parmi les traits divers des ſaintes & adorables f...teries où j’ai été pour quelque choſe, j’en choiſis trois des meilleurs qui ne peuvent que faire plaiſir au lecteur.

Un jeune abbé, ſorti tout nouvellement de Saint-Séverin, & habitant d’un college borgne de l’univerſité, vint un jour chez moi dans la louable, intention de m’enfiler : il avoit ſon pucelage ; j’eus un plaiſir infini à le voir faire ſa beſogne : il entra dans mon c.. à-peu-près comme un taureau, & en ſortit comme un idiot, juſques-là qu’après l’action il ſe laiſſa tomber dans un fauteuil en diſant : dieux ! n’eſt-ce que cela ? Il revint cependant

Histoire de Marguerite, fille de Suzon, nièce de D** B*****, suivie de la Cauchoise, avec figures.Figure 4.

à la charge, mais ſans vigueur ; auſſi d’un coup de cul, le f..tis-je dans la ruelle. Voici le grand avantage qu’a une putain quand elle s’ébat avec des égliſiers : ſont-ils mols ? elle s’en-moque ; au lieu que le plus mauvais épétier vous la tourne & retourne, f..timaſſe autant qu’il le veut, & ſouvent auſſi bien plus qu’il ne peut.

Un de ces épétiers vint un jour tandis que j’étois en jeu avec un bon pere cordelier. Mon drôle, en entrant, commença par jurer comme un poſſédé ; le cordelier aguerri le pria de ſe taire, l’autre le menaça de cinquante coups de plats d’épée. Il avoit à peine lâché le dernier mot, que, ſans tant de façons, le bon pere ſortant de ſa poche un piſtolet qui paroiſſoit de bon aloi, dit au cavalier : ſi tu branles, je te caſſe la tête, b..gre de gueux ; l’épétier étonné ne dit plus un ſeul mot, & devint tout-à-coup l’ami du R. P., au point qu’ils coucherent tous deux avec moi. Le cordelier me f..tit d’abord deux coups ſans même déc..ner. J’avouerai que j’aimois mieux cet exploit que celui dont ſon piſtolet nous avoit menacé : quand le cordelier eut entiérement achevé ſa décharge, il me dit : « ah ça, mignonne, je te laiſſe avec monſieur, j’ai beſoin d’aller au couvent ; il faut abſolument que je m’en aille. J’en ſuis fâché, mais cela ne ſauroit être autrement. » J’eus beau faire pour retenir le cordelier avec nous, il ne voulut jamais y conſentir ; il avoit réſolu de faire enrager ſon compagnon de couche ; c’eſt-à-dire, ſon copartageant de f..terie : il y réuſſit parfaitement par la farce ſuivante. Le moine, en ſe levant, ferma bien ſoigneuſement les rideaux du lit, & nous embraſſa le cavalier & moi comme ſes meilleurs amis. « Je vais, dit-il, m’habiller pour vous, mes enfans, continuez à bien faire joujou, & dormez en ſuite comme il faut. » Après cette douce exhortation, il s’habilla en effet, & partit, mais comment ? avec la culotte de velours, les bas de ſoie noire, la fine chemiſe, & les boutons de manches de l’épétier qui fut bien ſurpris ? ce fut l’apparent tapageur en ſe levant, lorſqu’il ſe vit contraint de mettre la culotte d’un mendiant. Je ne pus m’empêcher d’en rire comme une folle ; il eſt vrai que cela me valu quelques coups de plat d’épée ; mais une femme, & ſur-tout une putain, n’eſt point à cela près. Qu’on diſe maintenant que les moines ne ſont pas faits pour le bordel ? Pour faire mieux connoître encore leurs talens ſupérieurs, voici une autre hiſtoire, qui ſatisfera à ma parole, & remplira les trois traits que j’ai promis.

Un jacobin étoit fou de moi ſans que je puſſe le ſouffrir. Il y avoit plus de ſix mois qu’il me faiſoit les yeux doux, ſans pouvoir m’amener où il vouloit. Las enfin de ne pouvoir me mettre à contribution, il m’envoya un jour la piece ſuivante, dont je fais part au public, encore que la poéſie n’en ſoit pas des plus harmonieuſes. J’ai peu vu de matiere, quelle qu’elle fut, traitée d’une maniere auſſi forte ; mais de quoi n’eſt point capable un moine, lorſqu’il eſt en rut, & ſur-tout lorſqu’il eſt animé de vengeance, de jalouſie, de fureur & d’amour métamorphoſé en haine ?


ODE.

Le f...teur courroucé.

O toi ! qui, dans ma double c..le.
Jettes le f..tre à gros bouillons !
Toi, pour qui le c.. ſe dérouille,
Qui fais lever les cotillons !
Toi !… qui ſais rendre ainſi que braiſe,
Les mortels les plus bande-à-l’aiſe,
Puiſſant dieu de tous les f..teurs !
Viens me prêter ton aſſiſtance :
Priape ! ta ſeule préſence

Adoucit les plus grands malheurs.


II.

Philis, qui ſembloit n’être née
Que pour ſatisfaire nos ſens ;
Philis, qu’on croyoit deſtinée
À conſerver tout notre encens
Réſiſte à tes plus fortes armes !
En vain, de l’attrait de ſes charmes,
Mon v.. brûlant eſt-il épris !
Hélas ! peut-on paſſer plus outre ?
Philis n’a pour le plus beau f..tre
Qu’indifférence & que mépris.


III.

Que dis-je ! indigne b..greſſe
Me voit…, réduit presqu’aux abois,
Pour mieux lui prouver ma tendreſſe,
Bander, rebander mille fois :
Ma c..lle, ſans ceſſe abattue,
S’échauffe ; s’emplit à ſa vue ;
Mais, loin d’en exprimer le jus,
La garce à ma main laiſſe faire

Un devoir qui n’eſt qu’un ſalaire
Pour tous les c…, pour tous les culs.


IV.

Grand dieu ! pour en tirer vengeance,
Permets que Philis, dans mes bras,
Vienne chercher la jouiſſance
De ce qui manque à ſes appas !
Permets que de ſon c.. la flâme
Aille brûler juſqu’à ſon ame.
Fais, que dépouillant ſes rigueurs,
Philis, garante de ta gloire,
En doux honneur de la victoire
Arrache à mon v.. mille pleurs !


V.

Mais non, fait plutôt que l’ingrate,
Dans un inſtant de déſeſpoir,
Pour moi ſe patine & ſe gratte
Sans me toucher, ſans m’émouvoir ;
Que le bâillement de ſa motte
La force à prendre ma calotte.

Mais auſſi fais que mon engin,
Devenu tout-à-coup de glace,
Et de loin faiſant la grimace
Se moque ainſi de ſon conin !


On trouvera ſans doute étrange le dernier mot ; car enfin, on ne pouvoit pas dire ſainement & en bonne logique le conin, en parlant de ma piece curieuſe, puiſque ſes ſervices que j’avois toujours ſi ſort encouragés, lui avoient abſolument ravi ce nom, pour lui laiſſer à l’avenir, comme je l’ai dit du bijou de la ſœur Prudence, quand j’ai parlé d’elle, le titre flatteur de porte cochere.

Non content de m’avoir envoyé cette ode, le jacobin vint lui-même l’après-dîner du même jour, & s’adreſſant à moi, il m’empoigna par la tête puis, me jetant ſur mon lit, il me mordoit comme un chien, & ſe diſpoſoit à m’enfiler ſans miſéricorde de toute la longueur de ſon braquemart écumant de fureur, ce que je ne pus empêcher qu’en empoignant ſon b...gre d’engin, & le lui tordant très-fortement : l’inſtrument en fut ſi fort affecté qu’il s’aviſa d’en pleurer de dépit dans ma main & avec tant d’onction, qu’il m’inonda le c.. & les cuiſſes d’un torrent de f..tre. J’achevai pour lors de déſarçonner par un vigoureux coup de poing mon priape apoſtolique, & je renvoyai enfin le moine auſſi peu ſatisfait que quand il étoit venu, en lui diſant par enthouſiaſme poétique ces paroles ſi connues d’un excellent proverbe :


« Si tout prêtre vit de l’autel,
Toute putain vit du bordel. »


Il eſt vrai que j’aurois pu le traiter un peu plus favorablement, car enfin je trouvois de l’eſprit dans cette petite ode ; mais une putain ſe f..t bien de l’eſprit, quand elle n’a point envie de f..tre avec un quelqu’un, & ſur-tout avec un moine que mon cœur, je crois, mais que ſûrement que mon c.. avoient pris en grippe, & qui plus eſt, un homme dont la léſine ne pouvoit abſolument que nuire à mes intérêts.

F...tant toujours, comme on vient de le voir avec des prêtres, n’auroient-ils pas dû me garantir, hélas ! par leurs prieres, d’une petite vérolique qui m’a gâté au point, que, ne ſachant plus que faire, en attendant que mon teint ſe ranime un peu, j’écris ces Mémoires dans des momens autrefois ſi précieux, que je n’employois alors qu’à remuer le cul ? Maudite maladie ! infirmité cruelle ! qui, m’ayant ôté le peu d’agrémens que j’avois reçu de la nature, me met dans le cas de me faire maquerelle ou janſéniſte : le dernier parti au reſte, ne ſeroit pas le plus mauvais, je penſe ; & le lecteur ſans doute ſera de cet avis ; la boîte à Perrette fait beaucoup mieux vivre que le branle du cul, du v.. & du c.. ; au moins les riſques en ſont-ils plus gracieux. Si je prends jamais l’un ou l’autre de ces deux partis, j’en inſtruirai le public, en lui donnant le détail complet de mes aventures du pays latin, qui lui fourniront une multitude d’anecdotes intéreſſantes, qu’on peut même appeller très-piquantes. En terminant cet ouvrage-ci, je l’exhorte donc lui-même, pour m’y engager, à faire, s’il lui plaît, un bon accueil à ces Mémoires. Ils ſont auſſi fideles qu’il eſt vrai que je ſuis putain, vérolée du haut en bas. En attendant, amis lecteurs, lectrices, f..teurs, f..teuſes, gamahucheurs, b..gres & tribades, recevez d’auſſi bon cœur que je vous le préſente ce petit morceau de poéſie.


Madrigal.

Le ſouhait ſalutaire.


Le ſeul vœu qu’à l’Être ſuprême
Hélas ! on doit faire pour vous ;
C’eſt qu’à jamais vous ayez tous
L’eſprit ſain, v.. & c.. de même.


Je n’ai pas l’audace de donner ce madrigal comme une production de ma verve poétique ; je dois donc vous avouer, mon cher lecteur, que c’eſt la parodie, traduite du mieux que j’ai pu le faire faire par mon éditeur, d’un fameux précepte, très-connu de Juvenal.


FIN.
  1. Maiſon de correction du Havre.
  2. Notre hiſtorienne n’avoit peut-être pas oui parler d’un certain vieillard plus qu’octogénaire qui après avoir vaincu à Port-Mahon, vient de ſe remarier nouvellement avec une femme qu’il ſert, dit-on, aſſez bien encore au lit.