Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 150

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 11-12).


Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

jeudi au soir, 27 avril. Je reçois vos dépêches des mains de M Hickman, qui me donne en même temps un expédient fort heureux, par lequel je me trouverai en état, avec le secours de la poste, de vous écrire tous les jours. Un honnête coquetier, nommé Simon Collins , que je charge de cette lettre et des deux qu’elle contient, fait trois fois chaque semaine le voyage de Londres. En s’acquittant de mes commissions, il pourra prendre chez Wilson ce que vous y aurez fait porter pour moi. Mes félicitations sont extrêmement vives sur votre arrivée à Londres et sur le rétablissement de votre santé. L’occasion me presse. Je souhaite que vous ne vous repentiez pas de m’avoir renvoyé mon Norris. Il reprendra la même route au premier mot. Je suis très-fâchée que votre Hannah ne puisse être auprès de vous. Elle est encore très-mal, quoique sans danger. Il me tarde beaucoup de savoir quel jugement vous aurez porté des femmes de votre maison. Si ce ne sont pas des gens d’honneur, un déjeûner vous suffira pour les démasquer. Je ne sais que vous dire sur l’opinion qu’il leur a fait prendre de votre mariage. Ses raisons me paroissent plausibles ; mais il aime les inventions et les expédiens bizarres. Soit que vous conceviez de l’estime, ou non, pour vos hôtesses, il faut prendre garde que votre noble franchise ne vous en fasse des ennemies. Vous êtes dans le monde à présent ; songez-y bien. Je suis ravie que vous ayez eu la pensée de le prendre au mot, s’il vous eût renouvelé ses offres. Mon étonnement, c’est qu’il ne l’ait pas fait. Mais, s’il diffère, et s’il ne le fait pas d’une manière que vous puissiez accepter, ne pensez point à demeurer plus long-temps avec lui. Attendez-vous, ma chère, à présent qu’il a gagné du terrein, qu’il ne vous quittera, s’il le peut, ni jour ni nuit. Je le regarderais avec horreur, depuis le récit qu’il a fait de votre mariage, s’il n’y avait pas joint des circonstances qui vous laissent toujours le pouvoir de le tenir dans l’éloignement. S’il s’échappait à la moindre familiarité… mais l’avis est superflu. Ce qui me porte à croire qu’il n’a pas d’autres vues que celles dont il fait profession, c’est qu’il doit être persuadé que sa fable augmentera votre vigilance. Reposez-vous sur le soin avec lequel j’examinerai le sceau de vos lettres. S’il est capable, comme vous dites, d’une bassesse sur ce point, il le sera de toutes les autres. Mais il est impossible qu’il ne soit qu’un infâme, pour une personne de votre mérite, de votre naissance et de votre vertu. On ne lui reproche point d’être un fou. Son intérêt, du côté de sa propre famille comme du vôtre, l’oblige d’être honnête. Plût au ciel, néanmoins, que votre mariage fût célébré ! C’est le plus ardent de mes souhaits. Anne Howe.