Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 195

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 110-116).


M Lovelace, à M Belford.

dimanche, 21 de mai. J’ai l’esprit trop plein de mes ressentimens, pour m’occuper d’autre chose que de ma vengeance ; sans quoi, je m’étais proposé de te communiquer les observations de Miss Harlove sur la tragédie d’Otway. Miss Harlove ! Pourquoi lui donner ce nom ? Parce que je le hais, et que je suis extrêmement irrité contre elle et contre son impertinente amie. De quoi donc ? Me demandes-tu. Le sujet en vaut assez la peine. Pendant que nous étions à la comédie, Dorcas, qui avait ses ordres, et la clé de la chambre de sa maîtresse, aussi bien que le passe-par-tout de l’armoire d’ébène, du cabinet, et de tous les tiroirs, a trouvé le moyen de parvenir aux dernières lettres de Miss Howe. La vigilante soubrette avait remarqué que sa maîtresse en avait tiré une de son sein, et qu’elle l’avait jointe aux autres, avant que de partir avec moi pour la comédie, dans la crainte apparemment, comme les femmes d’en-bas me l’ont reproché, que je ne la trouvasse sous son mouchoir de cou. Dorcas ne s’est pas plutôt vue en possession du trésor, qu’elle a appelé Sally, et trois autres filles qui ne paroissent point ; elles se sont employées ensemble, avec la dernière diligence, à transcrire ces maudites lettres, suivant la méthode que je leur avais tracée. Je puis bien les nommer maudites : ce sont des injures, une malignité ! Quelle petite furie que cette Miss Howe ! Je ne m’étonne plus que son impertinente amie, qui ne m’a pas mieux traité sans doute, puisqu’elle doit avoir donné occasion aux libertés de l’autre, ait marqué tant d’emportement, lorsque j’ai tenté de me saisir d’une de ces lettres. Aussi me paroissait-il impossible que la belle, dans cette fleur de jeunesse, avec une si bonne constitution, une santé si ferme, et tant de feu dans les yeux, pût trouver en elle-même ce fond de vigilance et de crainte qui ne l’abandonne jamais. Des yeux brillans, Belford, malgré tout le bien que les poëtes en peuvent dire, sont le signe infaillible d’un cœur fripon, ou qui peut le devenir. Tu peux continuer tes prédications, et Milord M n’est pas moins libre de déployer sa sagesse en proverbes ; mais compte que je suis plus sûr d’elle que jamais. à présent que ma vengeance est excitée, et se joint dans mon cœur à l’amour, il faut que toute résistance fléchisse. Je te jure solemnellement que Miss Howe portera la peine de sa trahison. On apporte à ce moment une autre lettre de ce virulent petit démon. J’espère qu’elle sera bientôt transcrite aussi, du moins si l’on prend le parti de la joindre au recueil. L’impertinente déesse est résolue d’aller ce matin à l’église ; moins, comme j’ai raison de le croire, par esprit de dévotion, que pour essayer si elle peut sortir sans opposition ou sans plainte, ou sans être accompagnée de moi. Elle m’a refusé l’honneur de déjeûner avec elle. Il est vrai qu’hier au soir elle fut un peu mécontente de ce qu’à notre retour de la comédie, je l’obligeai de passer le reste de la soirée dans le parloir commun, et de demeurer avec nous jusqu’après minuit. En se retirant, elle me déclara qu’elle comptait d’être libre tout le jour suivant. Comme je n’avais pas encore lu les extraits, je ne témoignai que du respect et de la soumission ; car je m’étais déterminé à commencer, s’il était possible, une nouvelle méthode, et à bannir de son cœur toutes sortes de soupçons et de jalousies. Cependant je n’avais pas trop de sujet d’être alarmé de ses soupçons passés. Lorsqu’une femme, qui peut ou qui croit pouvoir quitter un homme qu’elle soupçonne, continue de demeurer avec lui, je suis sûr, Belford, que ce n’est pas un mauvais signe. Elle est partie. Elle s’est glissée avant que j’aie pu m’en défier. C’est une chaise à porteurs qu’elle s’était fait amener, dans la vue de m’ ôter le pouvoir de l’accompagner. Mais j’avais pris des précautions convenables. Will,mon valet de chambre, l’a suivie de son consentement ; et Peter, domestique de la maison, était à portée de recevoir les ordres de Willy. Je lui avais fait représenter par Dorcas, ce qu’elle avait à redouter de Singleton, pour lui ôter la pensée de sortir sans moi : mais elle a répondu que, s’il n’y avait pas de danger à la comédie, quoiqu’il n’y ait que deux spectacles à Londres, il devait y en avoir beaucoup moins à l’église, lorsque les églises sont en si grand nombre. Les porteurs ont reçu ordre de la conduire à l’église de s James. Elle ne se serait pas souciée si peu de m’obliger, si elle savait à quoi je suis déjà parvenu, et combien je suis pressé par nos femmes, qui se plaignent continuellement de la contrainte où je les tiens dans leur conduite, dans leurs compagnies, et de la nécessité où elles sont de ne recevoir personne dans le joli bâtiment de derrière, pour ne faire naître aucun soupçon. Elles ne doutent pas de ma générosité, disent-elles ; mais, pour mon propre intérêt, elles me reprochent, dans le style de Milord M, de tirer si peu de bled d’une si longue moisson . Il me semble qu’elles raisonnent bien. Je crois que je commencerai mes opérations à son retour. Je me suis procuré la lettre qu’elle a reçue aujourd’hui de Miss Howe. Les complots, l’artifice, la magie noire vont leur train. Il me sera difficile de revoir tranquillement cette Miss Harlove . Quelle nécessité, comme disent nos nymphes, d’attendre le temps de la nuit ! Sally et Polly me rappellent, avec beaucoup de reproches, la méthode que j’ai employée la première fois avec elles. Mais la force répondrait mal à mes vues. Cependant elle pourrait fort bien y répondre aussi ; du moins, s’il y a quelque vérité dans cette partie du symbole des libertins, qu’une femme une fois subjuguée l’est pour toujours . Quelles sont les femmes qui répondent affirmativement à la première question ? Elle est revenue. Mais elle refuse de me voir. Elle veut être seule tout le jour. Dorcas attribue son refus à des motifs de piété. De par tous les diables, Belford, est-il vrai qu’il y ait de l’impiété à me voir ? Sa dévotion peut-elle mieux s’employer qu’à me convertir, et croit-elle avancer l’ouvrage, en refusant de me voir dans ses accès de piété ? Mais je la hais ; je la hais de tout mon cœur. Elle est vieille, laide, difforme. Horrible blasphême ! Mais c’est du moins une Harlove, et je la hais à ce titre. Puisqu’il faut renoncer à la voir, qu’elle soit donc maîtresse de ses volontés, et de l’emploi qu’elle va faire de son tems. Mais il faut, pour remplir aussi le mien, que je te rende compte de mes découvertes. La plus ancienne lettre qu’on ait trouvée porte pour date le 27 d’avril. Où peut-elle avoir mis les précédentes ? Hickman est regardé, entr’elles, comme leur agent. Il ferait mieux de prendre garde à lui-même. Miss Howe dit à la belle : j’espère que vous ne serez pas exposée à vous repentir de m’avoir renvoyé mon Norris. En tout cas, il reprendra le même chemin au premier mot . Que diable cela veut-il dire ? Son Norris retourner au premier mot ! Que je sois damné, si j’y comprends rien. Si ces innocentes se permettent l’intrigue, je me crois autorisé par l’exemple. Elle est fâchée qu’ Hannah ne puisse venir . Hé bien, supposons qu’elle le pût, de quel secours lui serait Hannah, dans une maison telle que celle-ci ? les femmes de la maison peuvent être pénétrées dans l’espace d’un déjeûner. ce trait les rend furieuses contre les deux correspondantes. Elles me pressent plus que jamais d’achever ma victoire. Je suis tenté de leur abandonner Miss Howe en pleine propriété. Tu n’as qu’un mot à dire, Belford, et je te promets que l’effet suivra la menace. elle est bien aise que Miss Harlove ait pensé à me prendre au mot. Elle s’étonne que je ne lui aie pas renouvelé mes offres. Si je ne le fais pas bientôt, elle lui conseille de ne pas demeurer avec moi . Elle l’exhorte à me tenir dans l’éloignement, à ne pas souffrir la moindre familiarité . Vois, Belford, me suis-je trompé ? La vigilance qui me fait enrager, vient d’une froide amie, qui est assise tranquillement pour écrire, et qui donne fort à son aise un conseil qu’elle serait incapable de suivre dans le même cas. Elle lui dit que c’est mon intérêt d’être honnête . Mon intérêt ! Petites folles ; j’avais cru ces deux filles persuadées que mon intérêt est toujours subordonné à mes plaisirs. Que ne donnerais-je pas pour obtenir une copie des lettres auxquelles Miss Howe répond par les siennes. La seconde est du 3 de mai. Dans celle-ci, la petite effrontée s’étonne beaucoup que sa mère ait écrit à Miss Harlove, pour lui interdire toute correspondance avec sa fille. M Hickman, dit-elle, est d’avis qu’elle ne doit point obéir à sa mère . Que ce plat visage est rampant entre deux filles ! Je crains d’être obligé de le punir, aussi bien que sa virago ; et j’ai déjà trouvé, dans ma tête, un plan qui ne demande qu’une heure de méditation pour recevoir sa dernière forme. Je ne puis souffrir que l’autorité maternelle soit ainsi méprisée, ainsi foulée aux pieds. Mais écoute l’impertinente : il est heureux pour lui de penser si bien ; car sa mère l’ayant mise en mauvaise humeur, elle a besoin de quelqu’un qu’elle puisse quereller . Un Lovelace s’en permettrait-il davantage ? Cette fille est un libertin déterminé au fond du cœur. Si la nature en avait fait un homme, ne doute pas qu’elle n’eût été pire que nous. Elle n’a pas besoin, dit-elle, qu’on l’irrite beaucoup plus, pour lui faire prendre le parti de s’enfuir secrètement à Londres ; et, dans cette supposition, elle ne quittera point son amie, qu’elle ne l’ait vue honorablement mariée, ou quitte de son misérable. Ici, Belford, Sally a joint une prière en transcrivant : " au nom de dieu, cher M Lovelace, amenez-nous cette furie à Londres ". Je t’assure, cher ami, que son sort serait plutôt décidé que celui de son amie. Je trouve, dans la même lettre, que ma belle captive a fait ton portrait et celui de nos amis. Je ne suis pas plus épargné. cet homme est un fou, dit-on de moi. Que je meure, si l’une et l’autre me trouvent tel. c’est du moins un franc imbécille. maudite et méprisable créature ! je vois, ajoute-t-elle, que c’est une race infernale ; voilà pour toi, Belford, et qu’il est le Belzébuth ; voilà pour toi, Lovelace. C’est à ce Belzébuth, néanmoins, qu’elle voudrait voir son amie mariée. Qu’avons-nous donc fait aux yeux de Miss Harlove, pour mériter qu’elle ait tracé de nous une peinture qui nous attire ce traitement de Miss Howe ? Mais c’est sur quoi je remets à délibérer. Elle blâme son amie d’avoir refusé de partager son lit avec Miss Partington. vigilante comme vous êtes, qu’en pouvait-il arriver ? S’il pensait à la violence, il n’attendrait pas le temps de la nuit. Sally écrit en forme de note : " voyez, voyez, monsieur, ce qu’on attend de vous. Nous vous l’avons répété cent et cent fois. " elles me l’ont dit en effet ; mais l’avis de leur part n’avait pas la moitié tant de force que de celle de Miss Howe. Elle approuve mes propositions pour la maison de Madame Fretchville. Elle l’exhorte à penser aux articles, et à nommer un jour. Enfin, elle la presse de lui écrire, malgré la défense de sa mère ; sans quoi, elle lui déclare qu’elle doit se charger des conséquences. Malheureuses petites rebelles ! Tu diras en toi-même : cette fière et insolente fille est-elle donc cette Miss Howe qui a soupiré pour notre honnête ami sir Georges Colmar, et qui, sans les conseils de sa Clarisse Harlove, l’aurait peut-être suivi, dans le désordre de sa fortune, lorsqu’il fut obligé de quitter le royaume ? Oui, c’est la même ; et j’ai toujours remarqué, par l’expérience d’autrui comme par la mienne, qu’une première passion subjuguée fait un corsaire du vainqueur ; ou un tyran, si c’est une femme. Dans une autre lettre, " elle approuve le dessein que son amie a de me quitter, si sa famille consent à la recevoir. Elle vient d’apprendre sur mon compte, quelques étranges aventures, qui doivent me faire regarder comme le plus méchant de tous les hommes. Si j’avais une douzaine de vies, j’aurais dû les perdre, il y a vingt crimes . " plaisante façon de compter, Belford ? Miss Betterton et Miss Lockyer sont nommées. votre homme (c’est le nom qu’elle me donne irrespectueusement) est un infame , dit-elle. Je veux être confondu, si je me laisse traiter d’ infame sans le mériter ! Elle fera sonder les dispositions de M Jules Harlove. " elle lui conseille d’attacher Dorcas à ses intérêts, et de se procurer quelqu’une de mes lettres, par ruse ou par surprise. " vois, Belford. " elle est alarmée de mon entreprise pour me saisir d’une des siennes. " s’il arrivait, dit-elle, que je fusse jamais informé de la manière dont elle me traite, elle n’oserait sortir sans une escorte . Je conseille à l’effrontée de tenir son escorte prête. je suis le chef d’une bande de scélérats, (elle te nomme, toi et mes autres subalternes) qui sont associés pour tromper d’innocentes créatures, et pour se prêter la main dans leurs infames entreprises . Qu’as-tu à répondre, Belford ? elle n’est pas surprise des mélancoliques réflexions de son amie sur le malheur qu’elle a eu de me voir à la porte du jardin, d’être forcée de me suivre, d’être trompée par mes artifices.

j’espère qu’après cela, Belford, tu finiras tes prédications. Mais elle lui représente, pour la consoler, qu’elle servira d’exemple et d’avertissement à son sexe . J’espère en effet que son sexe m’en aura l’obligation. Mes copistes n’ont pas eu le tems, disent-elles, de transcrire tout ce qui mérite mon ressentiment dans cette lettre. Il faudra que je cherche l’occasion de la lire moi-même. Elle contient, à leur avis, des réflexions fort nobles. Mais j’y suis un séducteur , et mille fois un vil misérable . Miss Howe croit que le diable a pris possession de mon cœur et de celui de tous les Harloves à la même heure, pour exciter son amie à la fatale entrevue . Elle ajoute qu’il y a du destin dans son erreur. Pourquoi donc s’affliger ? L’adversité est sa saison brillante . Et je ne sais combien d’autres propos. Mais pas un mot de remercîment pour l’homme à qui elle doit l’occasion de briller ! Dans la lettre suivante, elle craint que, tout méchant que je suis, son amie ne soit forcée de me prendre pour son seigneur et son maître . Véritablement, c’est mon espérance. Elle rétracte tout ce qu’elle a dit contre moi dans sa dernière lettre. Ma conduite à l’égard de mon bouton de rose ; le dessein d’établir son amie dans la maison de Madame Fretchville, tandis que je continuerai de demeurer chez Madame Sinclair ; l’établissement que j’ai dans ma province, mes reversions, mon économie, ma personne, mes talens, tout est rappelé en ma faveur, pour lui faire perdre la pensée de me quitter. Que j’aime à jeter dans l’embarras ces filles pénétrantes ! puisse la vengeance éternelle me poursuivre,

(heureusement qu’elle ne dit pas m’atteindre ) si je lui donne lieu de douter de mon honneur ! Les femmes ne savent pas jurer, Belford. Les douces créatures ! Elles ne savent que maudire. Elle lui apprend le mauvais succès de sa négociation du côté de l’oncle Jules. C’est sans doute Hickman qu’elles ont employé. Il faut que j’aie les oreilles de ce benêt-là dans ma poche ; et bientôt, crois-moi. elle est furieuse, dit-elle, contre toute la famille. Le crédit de Madame Norton n’a pas eu plus d’effet sur Madame Harlove. Jamais il n’y eut dans le monde des brutes si déterminées. Son oncle Antonin la croit déjà perdue . N’est-ce pas tout à la fois un reproche et une exhortation pour moi ? ils s’attendaient à la voir revenir à eux dans l’affliction ; mais ils ne feraient pas un pas pour lui sauver la vie. ils l’accusent de préméditation et d’artifice . Miss Howe est inquiéte , dit-elle, de la vengeance à laquelle mon orgueil peut me porter, pour la distance où l’on me tient . Elle a raison. il ne reste à présent qu’un choix à son amie ;

car son cousin paraît déclaré contr’elle avec tous les autres ; et ce choix, c’est de se donner à moi. La nécessité, la convenance lui en font une loi presque égale . Ton ami, cher Belford, Lovelace choisi d’une femme par des raisons de convenance ! Ah ! Lovelace est-il capable de soutenir cette idée ? J’ai de grands usages à faire de cette lettre. Les ouvertures de Miss Howe sur ce qui s’est passé entre l’oncle Jules et Hickman, (ce ne peut être un autre qu’Hickman) me donneront lieu de déployer mon invention. Elle lui dit qu’elle ne peut lui révéler tout. Il faut absolument que je parvienne à lire moi-même cette lettre. Il faut que j’en voie les propres termes. Des extraits ne me suffisent pas. Si je l’ai une fois entre les mains, ce sera la boussole de toute ma conduite. Le feu de l’amitié éclate et pétille ici. Je n’aurais jamais cru qu’une amitié si chaude pût subsister entre deux femmes. Mais elle est peut-être enflammée par les obstacles, et par cette sorte de contradiction qui anime des esprits femelles, lorsqu’ils ont le tour romanesque. Elle extravague en parlant de son départ ; si cette démarche, dit-elle, pouvait épargner des bassesses à une ame si noble, ou la sauver de sa ruine . C’est un roseau qui entreprend d’en soutenir un autre. Ces jeunes créatures sont un peu frénétiques dans leurs amitiés. Elles ne savent pas ce que c’est qu’un feu durable. Mais comment se fait-il que l’ardeur de cette virago ne laisse pas de me plaire, quoique j’en aie beaucoup à souffrir. Si je la tenais ici, j’engagerais ma vie que, dans l’espace d’une semaine, je lui apprendrais la soumission sans réserve. Quel plaisir de réduire un esprit de cette trempe ! Je suppose qu’elle soutiendrait mes désirs l’espace d’un mois, et pas plus long-temps. Elle serait ensuite trop facile et trop apprivoisée pour moi. Quel doux spectacle, de voir les deux charmantes amies humiliées de leur sort commun, assises dans le coin d’une chambre, le bras l’une sous celui de l’autre, pleurer et soupirer de leur situation ! Et moi, leur monarque reconnu, reposant sur un sofa de la même chambre, comme le grand seigneur, incertain à laquelle des deux je ferais l’honneur de jeter le mouchoir ! Observe, je te prie, cette plaisante fille. elle est furieuse contre les Harloves, irritée contre sa mère, indignée contre la folie et la basse vanité de Lovelace… petite folle ! Et tout d’un coup : aidons le misérable à sortir de la fange, quand nous devrions nous salir un peu les doigts. Il ne s’est rendu coupable, à votre égard d’aucune indécence directe . C’est ce qui paroît extraordinaire à Miss Howe. il n’oseroit. elle en est sûre. si ces idées passent par la tête des femmes, pourquoi ne trouveraient-elles pas place dans mon cœur ? il n’est point encore à cet infernal excès. De si infames desseins se seraient déjà trahis, s’il les avait conçus.

que le ciel ait pitié de ces deux insensées ! Elle revient ensuite à presser son amie de penser aux articles, à la permission ecclésiastique, et à d’autres soins. la délicatesse, dit-elle, n’est pas de saison . Elle va jusqu’à lui dicter les termes qu’elle doit employer avec moi. Peux-tu croire, Belford, que la victoire ne fût pas à moi depuis long-temps, si je n’avais eu ce démon de plus à combattre ? Elle lui fait un reproche d’avoir perdu, par un excès de modestie, plus d’une occasion dont elle aurait dû profiter. Ainsi tu vois que la plus noble de ce sexe n’a pas d’autre vue au monde, par sa froideur et ses affectations, que de retenir un pauvre amant pour lequel elle n’a pas de dégoût, lorsqu’il est une fois tombé dans ses filets. Une autre lettre est sans contredit le plus insolent libelle qu’une fille ait jamais écrit contre sa mère. Elle contient des réflexions si libres sur les veuves et les vieux garçons, que j’ai peine à comprendre où Miss Howe peut avoir puisé son savoir. Sir Georges Colmar devait être plus sot que ton ami, s’il lui a donné gratuitement de si belles leçons. Elle apprend à Miss Harlove dans cette lettre, que l’oncle Antonin a fait des propositions de mariage à sa mère. Ce vieux marin doit avoir le cœur à l’épreuve, s’il obtient ce qu’il désire ; sans quoi Madame Howe, qui a fait crever de chagrin un premier mari qui valait beaucoup mieux, sera bientôt quitte du second. Mais quel que soit le succès de cette proposition, tous les autres Harloves en sont plus irrités que jamais contre leur divine fille. Ainsi, je me vois plus sûr de ma conquête que je ne l’étais auparavant, puisqu’à la rigueur des termes, il ne lui reste plus qu’un seul choix. Mon orgueil en est un peu blessé. Cependant, je crois qu’à la fin un cœur aussi tendre que le mien se laissera toucher en sa faveur. Réellement, je ne souhaite point que toute sa vie se passe dans le chagrin et la persécution. Mais pourquoi conserve-t-elle tant d’affection pour des brutes , comme Miss Howe a raison de les nommer, et pourquoi n’en a-t-elle pas plus pour moi ? J’ai d’autres copies et d’autres extraits de lettres, que tu trouveras bien plus offensans.