Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 299
M Belford, à M Lovelace.
mardi, 18 de juillet, après midi. Je me suis informé ce matin, par un de mes gens, de la santé de Miss Harlove, et je me suis rendu chez elle immédiatement après mon dîner. On ne m’a pas fait une peinture agréable de sa situation. Je n’ai pas laissé de lui envoyer mon compliment. Elle m’a fait remercier de mes bons offices, avec des excuses de ne pouvoir m’assurer personnellement de sa reconnaissance, parce qu’elle était dans un abattement extrême : mais on m’a dit, de sa part, que si je prenais la peine de revenir vers six heures, elle serait peut-être en état de prendre le thé avec moi. Cette condescendance me flatte beaucoup. J’en tire même un bon augure en votre faveur, puisqu’elle n’ignore pas que je suis votre ami déclaré. Il me semble que je dois commencer par guérir tous ses doutes sur la part qu’elle vous a d’abord attribuée à cette dernière infamie. Ensuite, qui sait ce qu’on peut attendre de l’entremise d’une famille telle que la vôtre ; du moins, si vos résolutions sont capables de se soutenir ? J’apprends, de votre messager, qu’avant cette malheureuse affaire, Miss Charlotte Montaigu et sa sœur avoient déjà fait entrer Miss Howe dans vos intérêts. Marquez-moi toutes les circonstances de leur négociation, pour me mettre en état de vous servir. Miss Harlove est logée fort honnêtement. Elle occupe deux fort belles chambres, avec leurs garderobes et leurs cabinets. Elle s’est procuré une femme de chambre, ou plutôt une garde-malade, dont Madame Smith vante beaucoup la prudence et l’honnêteté. La veuve d’un officier, qui se nomme Madame Lovick, et qui se trouve logée au-dessus d’elle, lui rend des soins plus désintéressés, auxquels il paraît qu’elle est fort sensible. C’est le goût mutuel du mérite qui a formé cette liaison ; et Miss Harlove croit avoir découvert, dans cette veuve, des qualités qui ressemblent beaucoup à celles de sa chère Norton. Ce matin, elle était si mal, qu’elle s’est rendue à la proposition de faire appeler un médecin. On lui a fait venir un habile homme, qui, pénétrant aussitôt la cause de sa maladie, n’a ordonné, pour le présent, que des cordiaux et d’autres remèdes innocens, et qui lui a prescrit un régime, aussitôt que son estomac sera capable de le supporter. Il a dit à Madame Lovick, qu’un exercice modéré, et l’amusement d’une compagnie agréable seraient plus utiles à sa guérison que tous les secours de l’art. Madame Lovick m’a communiqué la substance d’une lettre que sa chère dame (c’est le nom qu’elle lui donne) lui a dictée pour Miss Howe. Elle n’est point en état d’écrire elle-même avec une certaine application. Il paraît que c’est une réponse aux deux lettres qu’elle a reçues par mes mains. " elle explique naturellement la raison qui ne lui a pas permis d’y répondre plutôt. Elle sort d’une prison. Sa foiblesse l’oblige d’employer la main d’autrui. Elle promet de lui écrire avec plus d’étendue lorsqu’elle en aura la force. Cependant elle la prie de ne pas s’alarmer trop de sa situation. Ce n’est pas sa nouvelle disgrace qui ruine sa santé. Au contraire, elle se flatte d’en tirer un heureux fruit : elle se croit tranquille dans une maison d’honneur, avec l’assurance de n’y être pas chagrinée par le misérable dont elle craint la vue plus que la mort. Ainsi, Miss Howe n’a plus besoin de prendre des voies détournées pour lui écrire. C’est une dépense inutile ; et ses lettres peuvent être adressées directement chez M Smith, sous son véritable nom ". Vous voyez que j’aurai l’occasion de vous obliger. Mais faites attention que tout dépend de la fidélité de mes promesses. Gardez-vous de nuire à vos propres vues par une impatience hors de saison, et de me faire passer pour un perfide aux yeux d’une infortunée, à qui tous les hommes sont justement suspects. Je répète qu’à cette condition, vous pouvez attendre de moi tous les services de l’amitié.