Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 329

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 474-475).


M Belford à M Lovelace.

lundi, 14 d’août.

ta maladie me cause la plus vive inquiétude. Je serais au désespoir de te perdre : cependant, si tu dois mourir si-tôt, je souhaiterais de toute mon ame que ta mort fût arrivée avant le mois d’avril ; et cela, pour ton intérêt autant que pour celui de la plus excellente de toutes les femmes, puisque ta conscience n’aurait pas été chargée du crime le plus noir de ta vie.

On me dit avant-hier que tu étais fort mal ; et cette nouvelle m’a fait remettre à t’écrire jusqu’à d’autres éclaircissemens. Mon laquais me confirme, en arrivant, que tu es dans un état fâcheux. Tu feins de l’ignorer : est-ce à moi de te l’apprendre ? C’est une fièvre violente, me dit-on, accompagnée des symptômes les plus dangereux.

Dans la situation où tu es, je ne te troublerai point par le récit de ce qui se passe ici avec Miss Harlove. Puissent tes repentirs être aussi prompts que ta maladie, et n’être pas moins efficaces, si tu meurs ! Car il est à craindre qu’elle et toi, vous ne vous rencontriez jamais dans le même lieu.

Je lui ai dit que vous étiez fort malade. Pauvre homme ! A-t-elle interrompu. Dangereusement malade, dites-vous ?

Très-dangereusement, madame. Milord M m’en donne avis lui-même.

Que le ciel ait pitié de lui ! A repris cette admirable fille. Ensuite, après un moment de réflexion : pauvre misérable ! A-t-elle dit avec un soupir. Puisse-t-il trouver la miséricorde qu’il n’a pas eue !

Je t’écris par un exprès, car je suis impatient d’apprendre ta situation. J’ai reçu ta dernière lettre.

Belford.