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Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 331

La bibliothèque libre.
Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 476-477).


M Belford à M Lovelace.

jeudi, 17 d’août.

Ma joie est extrême, de te savoir déjà aussi bien que ton messager m’en assure. Ta lettre semble marquer que tes principes se réparent avec ta santé. C’est une lettre que j’ai pu faire voir à Miss Harlove, et je n’y ai pas manqué.

Cette divine personne est plus mal que jamais. Je n’attribue ces inégalités qu’aux lettres qu’elle reçoit de son implacable famille. Je n’ai pu me procurer un long entretien avec elle : mais ce qu’elle m’a dit dans une visite fort courte, va te la faire adorer plus que jamais.

Elle a donné beaucoup d’attention à ma lecture ; et lorsque je l’ai finie : il est à plaindre, m’a-t-elle dit. Que je le plains en effet, si cette lettre est sincère ! Il a connu dans plus d’une occasion, que je n’étais pas incapable de générosité, s’il y avait été sensible. Mais son repentir est toute la punition que je lui souhaite ; et cela, pour son propre intérêt… cependant, je dois être plus réservée, si vous écrivez tout ce que je dis.

J’ai marqué de l’admiration pour sa bonté. Comment pouvais-je m’en défendre, quoique dans sa présence ?

Ce n’est pas bonté, m’a-t-elle dit ; c’est une situation d’ame dans laquelle je me suis établie, pour mon propre avantage. Je souffre trop de ne pas trouver la pitié que je demande, pour ne pas souhaiter que tous les cœurs pénitens puissent l’obtenir. Il paraît pénétré de repentir, a-t-elle ajouté ; je ne dois point aller au-delà des apparences. S’il ne l’est pas, c’est lui-même qu’il trompe uniquement.

Elle était si mal, que cet entretien n’a pas duré davantage.

Quel sujet, entre les mains d’un grand maître, pour une excellente tragédie ! Tant d’outrages accumulés sur l’innocence ! Sa conduite au milieu de ses peines, également soutenue à l’égard de ses implacables parens et de son persécuteur ! Les mœurs, néanmoins, souffriraient une grande objection ; car, jusqu’à présent, c’est ici la vertu qui paraît punie, à moins qu’on ne jette les yeux sur les récompenses futures, qui sont moralement certaines pour elle, ou qui ne doivent jamais l’être pour personne. Cependant, corrompu comme tu es, et capable de faire un très-mauvais mari, je ne sais, après tout, si ce n’est pas une récompense pour sa vertu, d’être délivrée de toi.

Elle a reçu avis, par une lettre de Madame Norton, que le colonel Morden est arrivé en Angleterre. C’est le seul homme qu’elle souhaite de voir. J’en ai témoigné quelque jalousie, dans la crainte qu’il ne soit préféré à moi pour l’office dont elle m’a honoré. Elle m’a répondu que ce n’était pas son dessein ; parce qu’en supposant même qu’il voulût accepter cet emploi, elle craindrait que divers papiers, qui passeraient nécessairement par ses mains, ne devinssent l’occasion de quelque désastre entre vous et lui, malheur qu’elle redouterait plus que la mort.

Tourville m’apprend que tu te rétablis à vue d’œil. Ce que je te demande à mains jointes, c’est de ne point chagriner cette incomparable fille. Je t’en conjure pour l’amour de toi-même, pour l’amour d’elle, et par le respect que tu dois à ta parole. Si la mort nous l’enlevait bientôt, comme je n’ai que trop de raisons de le craindre, on dirait, et peut-être avec justice, que ta visite a précipité sa fin. Dans l’espérance que tu ne seras pas capable de cette cruelle indiscrétion, je te souhaite un parfait rétablissement ; sans quoi, puisses-tu retomber, et te voir long-temps enchaîné dans ton lit !

Belton approche de sa dernière heure. Il me fait dire qu’il ne peut mourir sans me voir.