Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 39

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Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (Ip. 168-174).


Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

lundi, 20 mars. Cette lettre vous apprendra, ma chère, les raisons qui m’ont fait interrompre ici brusquement ma réponse à la vôtre d’hier, et qui m’empêcheront peut-être de la finir et de vous l’envoyer plutôt que demain ou le jour suivant, d’autant plus que j’ai beaucoup à dire sur les sujets que vous m’avez proposés. Aujourd’hui, je vous dois le récit d’un nouvel effort que mes amis ont tenté sur moi par le ministère de la bonne Madame Norton. Il paraît qu’ils l’avoient fait avertir, dès hier, de se trouver ici ce matin, pour recevoir leurs instructions, et pour employer l’ascendant qu’ils lui connaissent sur mon esprit. Je m’imagine qu’ils s’en promettaient du moins un effet convenable à leurs vues ; c’était de me rendre inexcusable à ses propres yeux, et de lui faire voir qu’il n’y avait point de fondement aux plaintes qu’elle a voulu faire plusieurs fois à ma mère, de la rigueur avec laquelle je suis traitée. L’avantage que je me suis attribué d’avoir le cœur libre, leur fournissait un argument pour me convaincre d’obstination et de perversité, parce qu’ils se croyaient en droit de conclure que, n’ayant point d’estime particulière pour aucun homme, mes oppositions ne pouvaient venir que de ces deux causes. à présent que, pour leur ôter cette arme, je leur ai donné lieu de me supposer des sentimens de préférence, ils sont résolus d’en venir promptement à l’exécution de leur systême ; et c’est dans cette intention qu’ils ont appelé au secours une femme vénérable, pour laquelle ils me connaissent un respect qui approche de celui de la nature. Elle a trouvé mon père, ma mère, mon frère, ma sœur, mes deux oncles et ma tante Hervey, qui s’étoient assemblés pour l’attendre. Mon frère a commencé par l’informer de tout ce qui s’est passé depuis la dernière fois qu’on lui a permis de me voir. Il lui a lu les endroits de mes lettres où, suivant leurs interprétations, j’avoue ma préférence pour M Lovelace. Il lui a rendu compte de leurs réponses en substance ; après quoi, il lui a déclaré leurs résolutions. Ma mère a pris la parole après lui. Je vous raconte, mot pour mot, tout ce que j’ai appris de ma bonne Norton. Après lui avoir exposé combien de fois on avait eu l’indulgence d’approuver mes autres refus, combien elle avait employé d’efforts pour me faire consentir à obliger une fois toute la famille, et l’inflexible fermeté de mes résolutions ; ô chère Madame Norton ! Lui a-t-elle dit, auriez-vous jamais cru que ma Clarisse, et votre Clarisse, fût capable d’une opposition si déterminée aux volontés des meilleurs de tous les parens ? Mais voyez ce que vous pouvez obtenir d’elle. L’entreprise est trop avancée pour lui laisser le moindre espoir que nous en puissions revenir. Son père, ne se défiant point de son obéissance, a réglé tous les articles avec M Solmes. Quels articles, Madame Norton ? Quels avantages, et pour elle et pour toute la famille ! En un mot, il dépend d’elle de nous lier tous par de véritables obligations. M Solmes, qui connaît ses excellens principes, et qui espère aujourd’hui par sa patience, ensuite par ses bonnes manières de l’engager d’abord à la reconnaissance, et par degrés à l’amour, est disposé à fermer les yeux sur tout. (fermer les yeux sur tout, ma chère ! Monsieur Solmes fermer les yeux sur tout ! Voilà une étrange expression). Ainsi, Madame Norton, (c’est ma mère qui continue) si vous êtes convaincue que c’est le devoir d’un enfant de se soumettre à l’autorité de ses parens, dans les points les plus essentiels, comme dans les plus légers, je vous prie de tenter quel pouvoir vous aurez sur son esprit. Je n’en ai aucun. Son père et ses oncles n’en ont pas davantage. Cependant son intérêt propre est de nous obliger tous ; car, à cette condition, la terre de son grand-père n’est pas la moitié de ce qu’on se propose de faire pour elle. Si quelqu’un est capable de vaincre tant d’obstination, c’est vous : et j’espère que vous accepterez volontiers cette commission. Madame Norton a demandé s’il lui était permis de faire ses représentations sur les circonstances, avant que de monter à mon appartement. Mon frère s’est hâté de lui répondre qu’on l’avait fait appeler pour faire des représentations à sa sœur, et non à l’assemblée. Et vous pouvez lui dire, Dame Norton, (car il a l’arrogance de ne jamais la nommer autrement) que les choses sont si avancées avec M Solmes, qu’il n’est plus question de reculer : par conséquent, point de représentations, ni de votre part, ni de la sienne. Soyez bien sûre, Madame Norton, lui a dit mon père, d’un ton irrité, que nous ne serons pas joués par un enfant. Il ne sera pas dit que nous soyons les sots de l’aventure, comme si nous n’avions aucune autorité sur notre propre fille. En un mot, nous ne souffrirons pas qu’elle nous soit enlevée par un libertin détestable, qui a pensé tuer notre fils unique. Ainsi, croyez-moi, le meilleur parti pour elle, est de se faire un mérite de son obéissance ; car il faut qu’elle obéisse, si je vis, quoique, par l’indiscrète bonté de mon père, elle se croie indépendante de moi, qui suis le sien. Aussi, depuis ce tems-là, n’a-t-elle pas été ce qu’elle était auparavant. C’est une disposition injuste… qui m’a l’air de prospérer comme il plaira au ciel. Mais si jamais elle épouse ce vil Lovelace, je mangerai en procès jusqu’au dernier schelling. Donnez-lui cet avis de ma part ; et que le testament peut être cassé, et qu’il le sera. Mes oncles se sont joints à mon père, avec la même chaleur. Mon frère a fait les déclarations les plus violentes. Ma sœur n’a pas été plus modérée. Ma tante Hervey a dit, avec plus de douceur, qu’il n’y avait point d’occasion où le gouvernement des parens fût plus convenable que dans celle du mariage, et qu’il lui paroissait très-juste qu’on me fît là-dessus des loix. C’est avec ces instructions que la bonne femme est montée à ma chambre. Elle m’a fait le récit de tout ce qui venait de se passer. Elle m’a pressée long-temps de me rendre avec tant de candeur, pour s’acquitter de sa commission, que j’ai cru plus d’une fois qu’ils l’avoient fait entrer dans leurs intérêts. Mais après avoir reconnu mon insurmontable aversion pour leur favori, elle a déploré avec moi l’excès de mon infortune. Ensuite elle a voulu s’assurer si j’étais sincère dans l’offre que je fais de me réduire au célibat. Lorsqu’après m’avoir examinée, elle n’a pu douter de mes dispositions, elle est demeurée si convaincue qu’une offre qui exclut M Lovelace doit être acceptée, qu’elle s’est empressée de descendre ; et quoique je lui aie représenté qu’il ne m’a rien servi de l’avoir proposée plusieurs fois, elle a cru pouvoir m’en garantir le succès. Mais elle est bientôt revenue tout en pleurs, et fort humiliée des reproches qu’elle s’est attirés par ses instances. Ils lui ont répondu que mon devoir est d’obéir, quelques loix qu’il leur plaise de m’imposer ; que ma proposition n’est qu’un artifice pour gagner du temps ; qu’il n’y a que mon mariage avec M Solmes qui puisse les satisfaire ; qu’ils me l’ont déjà déclaré, et qu’ils ne peuvent être tranquilles qu’après la célébration, parce qu’ils n’ignorent pas combien Lovelace a d’ascendant sur mon cœur ; que j’en suis convenue moi-même dans mes lettres à mes oncles, à mon frère et à ma sœur, quoique je l’aie désavoué à ma mère avec beaucoup de mauvaise foi ; que je me repose sur leur indulgence, et sur le pouvoir que je crois avoir sur eux ; qu’ils ne m’auraient pas bannie de leur présence, s’ils ne savaient eux-mêmes que leur considération pour moi surpasse de beaucoup celle que j’ai pour eux ; mais qu’enfin ils veulent être obéis ; sans quoi, jamais ils ne me rendront leur affection, quelles qu’en puissent être les conséquences. Mon frère a jugé à propos de reprocher à la pauvre femme, de n’avoir servi qu’à m’endurcir par ses lamentations vides de sens . Il y a dans l’esprit des femmes, lui a-t-il dit, un fond de perversité et d’orgueil théatral, qui est capable de faire tout risquer à une jeune tête romanesque, telle que la mienne, pour exciter la pitié par des aventures extraordinaires. Je suis d’un âge et d’un tour d’esprit, a dit l’insolent, qui peut fort bien me faire trouver des charmes dans une mélancolie d’amour. Il répond bien que ma tristesse, qu’elle faisait valoir en ma faveur, ne sera jamais mortelle pour moi, mais il n’ose promettre qu’elle ne le sera pas pour la plus tendre et la plus indulgente de toutes les mères. Enfin, il a déclaré à Madame Norton qu’elle pouvait retourner encore une fois à ma chambre, mais que, si le succès ne répondait pas mieux à l’opinion qu’ils ont eue d’elle, ils la soupçonneraient de s’être laissé corrompre par l’homme qu’ils détestent tous. à la vérité, tous les autres ont blâmé cette indigne réflexion, qui a pénétré la bonne femme jusqu’au fond du cœur ; mais il n’en a pas moins ajouté, sans être contredit de personne, que, si elle ne pouvait rien obtenir de son doux enfant , nom apparemment qu’elle m’a donné dans le mouvement de sa tendresse, elle pouvait se retirer, ne pas revenir sans être rappelée, et laisser son doux enfant à la disposition de son père. Réellement, ma chère, il n’y a jamais eu de frère aussi insolent et aussi dur que le mien. Comment se fait-il qu’on exige de moi tant de résignation, tandis qu’on lui permet de traiter avec cette arrogance une si honnête femme et d’un caractère si sensé ? Cependant elle lui a répondu que toutes ses railleries sur la douceur de mon naturel, n’empêchaient pas qu’il ne fût vrai, comme elle pouvait l’en assurer, qu’il y avait peu d’esprits aussi doux que le mien ; et qu’elle avait toujours observé que, par les bonnes voies, on pouvait tout obtenir de moi, dans les choses mêmes qui étoient contraires à mon opinion. Ma tante Hervey a dit, là-dessus, que le sentiment d’une femme si raisonnable lui paroissait mériter quelque réflexion ; et qu’elle avait quelquefois douté elle-même si l’on n’aurait pas mieux fait de commencer par les méthodes qui font ordinairement plus d’impression sur les caractères généreux. Elle s’est attiré un reproche de mon frère et de ma sœur, qui l’ont renvoyée à ma mère, pour savoir d’elle-même si elle ne m’avait pas traitée avec une indulgence sans exemple. Ma mère a répondu, qu’elle croyait avoir poussé l’indulgence assez loin ; mais qu’il fallait convenir, comme elle l’avait représenté plusieurs fois, que l’accueil qu’on m’avait fait à mon retour, et la manière dont M Solmes m’avait été proposé, n’étoient pas les moyens par lesquels on aurait dû commencer. On lui a fermé la bouche : vous devinez qui, chère Miss Howe. Ma chère, ma chère, vous avez toujours quelque objection à faire, quelque excuse à donner en faveur d’une fille rebelle ! Souvenez-vous de la manière dont elle nous a traités, vous et moi. Souvenez-vous que le misérable que nous haïssons avec tant de justice, n’aurait jamais la hardiesse de persister dans ses vues, si l’obstination de cette perverse créature n’était un encouragement pour lui. Madame Norton, (en s’adressant à elle avec colère) remontez encore une fois ; et si vous croyez devoir espérer quelque chose de la douceur, vous avez permission de l’employer ; mais si vous n’en tirez aucun fruit, qu’il n’en soit plus question. Oui, ma bonne Norton, lui a dit ma mère, employez ce que vous connaissez de plus fort sur son esprit. Si vous avez le bonheur de réussir, nous monterons, ma sœur Hervey et moi, nous l’aménerons, entre nos bras, pour recevoir la bénédiction de son père et les caresses de tout le monde. Vous nous en serez mille fois plus chère. Madame Norton est revenue à moi, et m’a répété avec larmes tout ce qu’elle venait d’entendre. Mais, après ce qui s’était passé entr’elle et moi, je lui ai dit qu’elle ne pouvait se promettre de me faire entrer dans des mesures qui étoient uniquement celles de mon frère, et pour lesquelles j’avais tant d’aversion. Elle m’a serrée entre ses bras maternels. Je vous quitte, très-chère miss ! M’a-t-elle dit ; je vous quitte, parce que je le dois. Mais permettez que je vous conjure de ne rien faire témérairement, rien qui ne soit convenable à votre caractère. Si tout ce qu’on dit est vrai, M Lovelace n’est pas digne de vous. Si vous avez la force d’obéir, faites attention que le devoir vous y oblige. J’avoue qu’on ne prend pas la meilleure méthode, avec un esprit si généreux ; mais considérez qu’il y a peu de mérite dans l’obéissance, lorsqu’elle n’est pas contraire à nos propres désirs. Faites attention à ce qu’on doit attendre d’un caractère aussi extraordinaire que le vôtre. Faites attention qu’il dépend de vous d’unir ou de diviser à jamais votre famille. Quoiqu’il soit fort chagrinant pour vous d’être ainsi poussée par la force, j’ose dire qu’après avoir considéré sérieusement les choses, votre prudence vous fera vaincre toutes sortes de préjugés. Par-là, vous acquerrez, aux yeux de toute votre famille, un mérite qui vous sera non seulement glorieux, mais qui, vraisemblablement dans l’espace de quelques mois, deviendra pour vous une source pure et constante de repos et de satisfaction. Considérez, chère maman Norton, lui ai-je répondu, que ce n’est pas une démarche légere qu’on exige de moi, ni une démarche de peu de durée. Il est question de ma vie entière. Considérez aussi que cette loi me vient d’un frère impérieux, qui gouverne tout à son gré. Voyez jusqu’où va le désir que j’ai de les satisfaire, lorsque j’offre de renoncer au mariage, et de rompre à jamais toute correspondance avec l’homme qu’ils haïssent, parce que mon frère le hait. Je considère tout, ma très-chère miss, mais, avec ce que j’ai dit, considérez seulement vous-même que, si vous vous trouviez malheureuse après avoir rejeté leurs volontés pour suivre les vôtres, vous seriez privée de la consolation qui fait la ressource d’une fille vertueuse, lorsque, s’étant soumise à la conduite de ses parens, le succès d’un mariage ne répond point à leurs espérances. Il faut que je vous quitte, m’a-t-elle repété. Votre frère va dire, (elle s’est mise à pleurer), que je vous endurcis par mes lamentations insensées. Il est bien dur en effet qu’on ait tant d’égard pour l’humeur d’un enfant, et si peu pour l’inclination de l’autre. Mais je ne vous répète pas moins que c’est votre devoir d’obéir, si vous pouvez vous faire cette violence. Votre père a confirmé par ses ordres le systême de votre frère. C’est à présent le sien. Je m’imagine que le caractère de M Lovelace n’est pas si propre à justifier votre choix que leur dégoût. Il est aisé de voir que l’intention de votre frère est de vous décréditer dans l’esprit de tous vos amis, et particulièrement dans celui de vos oncles ; mais cette raison même devrait vous porter, s’il est possible, à les obliger, pour déconcerter ses mesures peu généreuses. Je prierai le ciel pour vous ; c’est tout ce qui me reste à vous offrir. Il faut que je descende, pour leur déclarer que vous êtes résolue de ne jamais prendre M Solmes : le faut-il ? Pensez-y, miss ; le faut-il ? Oui, ma chère maman, il le faut. Voici, en même tems, de quoi je puis vous assurer : jamais il ne m’échappera rien qui puisse faire déshonneur au soin que vous avez pris de mon éducation. Je souffrirai tout, excepté de me voir forcée à mettre la main dans celle d’un homme qui ne peut jamais avoir aucune part à mon affection. Je m’efforcerai, par mon respect, par mon humilité, par ma patience de fléchir le cœur de mon père. Mais je préférerai la mort, sous toutes sortes de formes, au malheur d’épouser cet homme-là. Je tremble, m’a-t-elle dit, de descendre avec une réponse si décisive. Ils vont s’en prendre à moi. Mais souffrez qu’en vous quittant, j’ajoute une observation, que je vous conjure de ne jamais perdre de vue. " les personnes distinguées par la prudence, et par des talens tels que les vôtres, semblent distribuées dans le monde pour donner, par leurs exemples, du crédit à la religion et à la vertu. Qu’elles sont coupables, lorsqu’elles s’égarent ! Quelle ingratitude pour cet être-suprême qui les a favorisées d’un si précieux bienfait ! Quelle perte pour le monde ! Quelle plaie pour la vertu ! Mais c’est ce que j’espère qu’on ne dira jamais de Miss Clarisse Harlove ". Je n’ai pu lui répondre que par mes larmes ; et lorsqu’elle m’a quittée, j’ai cru que la meilleure partie de mon cœur partait avec elle. Il m’est venu à l’esprit de descendre aussi-tôt, et de prêter l’oreille à la manière dont elle serait reçue. On lui a fait un accueil conforme à ses craintes. Veut-elle ? Ne veut-elle pas ? Point de lamentations vagues, Madame Norton, (vous jugez qui lui a tenu ce discours.) est-elle résolue, ou non, de se soumettre à la volonté de ses parens ? C’était lui fermer la bouche sur tout ce qu’elle allait dire en ma faveur. S’il faut m’expliquer si nettement, a-t-elle répondu, Miss Clarisse mourra plutôt que d’être jamais… à d’autres que Lovelace, a interrompu mon frère. Voilà, madame, voilà, monsieur, ce que c’est que la docilité de votre fille. Voilà le doux enfant de Madame Norton. Oh bien ! Bonne dame, vous pouvez reprendre le chemin de votre demeure : je suis chargé de vous interdire toute correspondance avec cette fille perverse, autant que vous faites cas de l’amitié de toute notre famille et de chacun de ceux qui la composent. Ensuite, personne n’ouvrant la bouche pour le contredire, il l’a menée lui-même à la porte, sans doute avec ce cruel air d’insulte que les riches hautains prenent sur le pauvre qui a le malheur de leur déplaire. Ainsi, chère amie, vous êtes informée de la manière dont on me prive désormais du conseil d’une des plus prudentes et des plus vertueuses femmes du monde, quoique le besoin que j’en ai toujours eu ne puisse qu’augmenter. Je pourrais à la vérité lui écrire et recevoir ses réponses par vos mains : mais s’il arrivait qu’on la soupçonnât de cette correspondance, je sais qu’elle ne voudrait point se rendre coupable d’un mensonge, ni de la moindre équivoque ; et l’aveu qu’elle ferait, après les défenses qu’elle a reçues, lui ferait perdre à jamais la protection de ma mère. C’est un point de quelque importance pour elle ; car, dans ma dernière maladie, j’ai obtenu de ma mère que, si je mourais sans avoir fait quelque chose pour cette excellente femme, elle se chargerait elle-même de lui assurer une honnête subsistance, qui peut lui devenir nécessaire lorsqu’elle ne sera plus en état de s’aider de son aiguille, comme elle fait aujourd’hui avec assez d’avantage.

Quelles seront à présent leurs mesures ? N’abandonneront-ils pas leurs projets, en reconnaissant que ce ne peut être qu’une invincible antipathie qui rend opiniâtre un esprit qui n’est pas naturellement inflexible ? Adieu, ma chère. Pour vous, soyez heureuse. Il semble que, pour l’être parfaitement, tout ce qui vous manque, c’est de savoir que votre bonheur dépend de vous.