Histoire de Servian/Chapitre04

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CHAPITRE IV



Mission de saint Dominique à Servian

Pour combattre l’hérésie, le pape Innocent III avait organisé une Croisade pacifique ; il avait envoyé dans le Midi de la France des légats chargés de discuter avec les hérétiques et de recevoir leur abjuration. À leur tête était placé Pierre de Castelnaud, originaire de Montpellier et moine de l’Abbaye de Fontfroide. Selon l’usage du temps, les Légats se présentaient au nom du Souverain Pontife, avec un appareil somptueux, escortés d’une nombreuse suite. Or, les hérétiques, affectant une grande simplicité, se rattachant à la pratique des premiers apôtres, impressionnaient favorablement les populations qui se scandalisaient du luxe des prélats. C’est alors que saint Dominique rentre en scène.

Jaloux de reproduire les âges apostoliques avec leur pauvreté, il fait ses missions à pied, en appareil modeste, prêchant, discutant, acceptant avec les hérétiques des conférences contradictoires. De telles pratiques devaient réussir auprès des peuples. Bientôt l’influence du saint religieux devint prépondérante ; l’hérésie ne put résister à la force de ses arguments et à l’austérité de sa vie.

Résolu d’attaquer l’hérésie au cœur, saint Dominique partit pour Béziers et se rendit à Servian, centre d’erreur. Le manuscrit de Pierre de Vaux-Cernay dit positivement Cervianum Servian. Une erreur de lecture avait écrit Caraman. On a dû rectifier le texte. Il paraîtrait singulier que, de Montpellier, les prédicateurs se rendissent à Toulouse pour revenir à Béziers (Notes de MM. les chanoines Granier et Villemagne, si compétents sur la question). C’est donc Servian qu’il faut lire et c’est à Servian que nous retrouvons saint Dominique en 1205. C’est l’opinion du P. Balme, historien des Dominicains.

Quand, du haut de leurs remparts, les habitants de Servian virent arriver les prédicateurs de l’Évangile, à pied, avec de pauvres bagages, ils furent disposés en leur faveur. Ils les introduisirent dans leur ville et se rendirent aux Conférences contradictoires (Guiraud, Cartulaire de Prouille).

Saint Dominique séjourna une semaine à Servian. « Les habitants du bourg, écrit Pierre de Vaux-Cernay, avaient voué une grande vénération à l’hérétique Thierry, ce sectaire, plus habile que les autres. Ils étaient fiers d’avoir chez eux, comme complice et comme chef, un ministre venu, disaient-ils, de la terre de France, où l’on sait qu’est la source de la science et de la religion chrétienne ».

Acceptée difficilement par les ministres Cathares, la controverse publique dura huit jours, dans l’église paroissiale. À la fin, Thierry dit à l’évêque d’Osma : « Je sais quel esprit vous anime, c’est celui d’Élie. Il voulait, par ces paroles, le désigner tout particulièrement à l’animosité des Cathares, car Élie, l’un des plus grands prophètes de l’ancienne Loi, était pour eux l’un des instruments les plus redoutables du démon. « Et toi, lui répliqua Diégo, c’est l’esprit de l’Antéchrist qui t’a conduit ici ». Nous ne savons quel fut le sujet de la conférence. Si nous en croyons Pierre de Vaux-Cernay, elle tourna au triomphe des catholiques. Gagnés par Diégo et saint Dominique, les habitants de Servian auraient chassé Thierry et Baudouin, s’ils n’avaient craint le seigneur, resté fidèle à l’erreur. Ils voulurent du moins témoigner de leur sympathie aux prédicateurs en leur faisant escorte pendant près d’une lieue sur la route de Béziers (Guiraud, Cartulaire de Prouille, t. I, p. 212).

La croisade pacifique était lancée ; elle aurait fini par réussir auprès des populations simples séduites par l’erreur. Est-ce par crainte de ce résultat ? Les hérétiques se révoltèrent. Le meurtre du Légat Pierre de Castelnaud, sur les terres de Raymond de Toulouse, provoqua l’indignation universelle. Innocent III en appela au monde civilisé et chrétien, il prêcha ouvertement la Croisade. Le nord descendit contre le Midi, Simon de Montfort et ses barons entrèrent en campagne.