Histoire de Servian/Chapitre19

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CHAPITRE XIX



La Grande Révolution à Servian

Le mouvement de réforme qui soufflait à ce moment sur toute la France, se fit sentir à Servian. Cette ville composée surtout de propriétaires, tenait à ses antiques coutumes et ne rêvait rien moins que de les voir codifier, par la réunion pacifique des États du Languedoc, confirmée par les États Généraux. Nul indice de révolution dans ces aspirations populaires. Chacun se prêtait plutôt à une évolution. C’était le vœu qu’émettait le conseil de Servian, le 7 janvier 1789.

M. Laplace a dit à l’assemblée « je crois devoir vous représenter que la nation ne peut jouir des avantages qu’elle a droit d’attendre des États Généraux, qu’autant que la constitution des États provinciaux sera représentée par tous les ordres et qu’on aura une entière confiance en ceux qui seront députés et tout le monde connaît l’administration sérieuse de cette province en laquelle le nombre des trois ordres y sont exclusivement appelés par leur dignité, charges et offices. Pour que l’assemblée soit régulière, il faut la liberté dans les réunions, et le principe de droit naturel est de ne pas opposer l’usage qu’ont les évêques, barons, consuls ou syndics des villes du royaume, dans les États de la province des trois ordres. »

Il faut croire que le conseil de Servian avait approfondi la question. Les gens instruits qui le composent en sont un garant : Laplace gradué du droit, Estève de de Saint-Louis, Falgas chevalier de Saint Louis, Fabre gradué en droit, Louis Vialles procureur fiscal qui va jouer un grand rôle de fidélité politique et religieuse, Laplace médecin et châtelain de police (juge de paix) Joseph Galabrun greffier. Aussi, ne nous étonnons pas qu’ils aient pris modèle sur les États du Dauphiné (qui plus vigilants et plus actifs que nous, ont demandé une nouvelle forme dans les États provinciaux à savoir, libre élection des députés des trois ordres, proportion entre les représentants.

« Le roi ayant annoncé son désir, en régnant avec la nation, de rendre le public heureux. Il le sera, si, par la nouvelle constitution la liberté des suffrages peut seule former les assemblées provinciales et des États et nous devons attendre ce changement des vœux et du monarque chéri qui ne peut qu’être touché de notre juste réclamation ». Registre des Délibérations, 1789.

Sur ce, l’assemblée nomme 4 députés pour assister à la réunion de la Sénéchaussée de Béziers, ce furent Laplace maire, Gaches second consul, Barthélémy d’Estève, Mas du Coussat, ces députés devaient siéger quatre journées, fixées chacune à 6 livres, la commune vota pour cela la somme de 566 livres. Boyer de Fouzillon avança cette dépense et prit hypothèque sur la taxe des habitants. Les députés furent chargés de porter les cahiers des doléances des habitants. Cependant, les États généraux se réunissaient à Versailles. Dans l’ombre, quelques meneurs essayaient de confisquer le mouvement de générosité qui se levait sur la France et accaparant l’évolution tentaient une Révolution. Des bandes d’inconnus parcouraient les campagnes pour peser sur l’opinion et semaient l’effroi de tous les côtés, la grande peur faisait son apparition. Le 3 août, M. Laplace disait : dans ce moment où toute la France est dans l’incertitude des événements qui doivent servir de régénération au royaume, il a paru utile aux principales villes de former une milice bourgeoise qui paraît nécessaire, vu les événements et le bruit qui court de brigands répandus dans plusieurs provinces.

Il propose de créer six compagnies composées de 40 hommes chacune, choisis par le conseil municipal, ce qui formera un ensemble de 240 hommes, choisis parmi ce qu’il y a de mieux dans chaque classe d’habitants. Cela fait, si quelque ennemi du repos public voulait troubler les autres et refusait de se joindre à cette garde bourgeoise, il serait déclaré incapable d’exercer dans la communauté aucune charge publique. L’affiche fut apposée à la porte de l’église pour la faire connaître aux habitants. On acheta 60 fusils et de la poudre. Bientôt après, chaque citoyen dut se faire inscrire sur un tableau civique, afin de monter la garde chaque fois qu’il en serait requis. Or, le sieur Fabre, dit Grillon, ayant été placé à la porte Saint-Julien a quitté son poste. « Si on ne punit pas dans le principe ceux qui manquent à leur devoir, nul citoyen ne le remplira, arrête que le sieur Fabre soit condamné à une livre d’amende au profit des pauvres et que les citoyens sont obligés de monter la garde, sous peine de perdre leurs droits de citoyens actifs. »

Le citoyen Falgas fut nommé commandant de cette garde.

Des bruits d’émeute arrivent à Servian, on a commis des pillages, des brigands attroupés causent des dévastations. La ville de Servian garde à l’hôtel de ville les anciennes portes qu’on fermait anciennement, elles sont hors d’état, on les fera réparer par de bons ferrements et on les placera. On fermera les deux brèches qui existent aux murs pour éviter les invasions de nuit et l’incursion de gens malintentionnés. 9 août 1789.

Un décret du 14 décembre 1789, institue dans chaque commune un conseil composé du maire, de plusieurs officiers municipaux, de notables pour juger de la bonne administration de la commune, le procureur de la commune était chargé de défendre les intérêts publics. Servian élut alors son nouveau conseil, Mas du Coussat est maire, Fabre, Ponsonnailhes, Granal, Galabrun, Gaches officiers municipaux. Amilhon, d’Estève, Vialles, Barrès, Bousquet, Laplace, Aiguevives, Taix sont notables. Le nouveau conseil est convoqué au son de la cloche à la maison commune, il se revêt de ses insignes achetées chez Jacques Saucliers à Pézenas, une écharpe avec des franges jaunes pour le maire, des franges bleues pour les officiers municipaux. Revêtu de leurs insignes, les nouveaux élus se rendent à l’église, 19 décembre 1789, et prêtent le serment. « Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution actuelle du royaume, décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le roi, d’être fidèle à la nation et de remplir avec zèle et impartialité les fonctions de mon office ». Le juge et ses assesseurs nommés dans la chapelle des capucins furent : Mas Lacrouzette, avec pour assesseurs Fabre, Louis Vialles, Taix et Bousquet, qui jurèrent de porter dans les jugements le respect et l’obéissance que tout citoyen doit à la loi et à ses organes. Le nouveau conseil se mit aussitôt à l’œuvre, il fallait réparer les rues qui étaient devenues de véritables fondrières, curer les puits, balayer le devant des portes, instituer la plus grande propreté dans les rues, à peine d’amendes. Il faut aussi embellir le pays, finir l’esplanade qui se trouve à l’entrée de la porte Saint-Julien. Le public manifeste le désir de voir une banquette de pierre au fonds du jeu de ballon pour retenir les terrasses.

Cependant on touchait aux réjouissances du carnaval. Pour le soin des pauvres on fera la fête de Caritat et l’on distribuera du pain aux pauvres, puisque la France va jouir d’une constitution qui présage le bonheur constant des hommes présents et futurs ».

Le carnaval est pour la jeunesse un danger, « la connaissance que nous avons des vertus civiques de nos concitoyens ne dureront pas longtemps. Des maisons publiques sont ouvertes à toutes les heures de la nuit, des jeunes gens de tout âge y courent pour jouer. Certains pères de famille ont la cruauté de perdre un argent utile pour alimenter leurs enfants. Les jeunes gens altèrent une santé ; qu’ils sachent qu’ils sont les appuis de la Constitution et que la Constitution leur défend de ruiner leur santé. Aussi, les cabarets seront fermés après souper ». Malgré cette défense, un groupe de 25 à 30 jeunes gens se réunirent chez Plauzelles, dit le Frizat, pour courir les rues, il y eut des querelles. « Nous mettrons un frein à ces désordres. » D’ailleurs, notre pasteur doit faire une Oraison des 40 heures, les prières publiques demandent un respect dû au culte. Nous défendons aux personnes des deux sexes de courir dans les rues soit le jour ; soit la nuit avec un masque devant le visage, sous peine de 24 livres d’amende. » Un nommé Monier ayant chanté dans les rues après minuit, fut envoyé sous bonne garde à la prison de Pézénas, où il resta 3 jours. Délibérations 1790, mars.

Servian se conforma aussitôt aux décrets de l’Assemblée constituante, suppression de l’albergue royale ; il fallut se conformer à la nouvelle loi des impôts ; les dîmes étant supprimées, les fermiers des dîmes se présentèrent pour être déchargés de leurs fonctions. Taix, fermier des droits de Mgr l’évêque de Béziers, des prieurés de Combas et de Saint-André ; Aiguesvives, de la prémice de Pouzagol, de la chapelle de Saint-Saturnin ; Lauriol et Jacques Plauzoles, des dîmes du prieuré de Servian et de la chapelle du chapitre de Saint-Nazaire.

L’article 62 du décret, modifiait cet état de choses et troublait les habitudes des populations en réclamant les impôts, non en nature, mais au sol la livre. Les décimateurs se réunirent et exposèrent leurs difficultés ; ils veulent montrer leur patriotisme et se démettent volontairement, en faveur de la commune, des droits et dîmes qu’ils devaient percevoir, et qui s’élèvent à 4.000 livres, demandant que les habitants les payent au sol la livre, ainsi il y aura plus d’équité. L’impôt du citoyen actif est fixé à trois journées, non sur un travail d’industrie, trop variable, mais sur le travail de la terre, fixé à 20 sols.

Les citoyens, invités à payer leurs contributions mobiliaires, ont prétendu être grevés. Le maire, après avoir étudié la chose en plein conseil, dit que la commune éprouve une surcharge de 4.326 livres, 11 sols, 8 deniers. On s’adressera au Directoire de Béziers. Si l’on ne reconnaît pas la justice de cette réclamation, on demandera un dégrèvement. 10 mai 1792.

L’assiette des nouveaux impôts n’allait pas sans difficulté. On nomma pour répartiteurs Aiguesvives, Giret, Higounenc et Gaches. Cependant il faut maintenir le droit des pauvres ; un sol très ingrat, une population très considérable nous donne un grand nombre de pauvres ; nos chemins sont affreux, nos denrées se vendent beaucoup moins que partout ailleurs, par la difficulté du transport. 10 juin 1792.

Un peu plus tard, la difficulté d’établir l’assiette de l’impôt forcera la commune à faire appel à des spécialistes, et nous verrons arriver à Servian les familles Lauriol, Canet et Tarboriech chargées des finances.

L’Assemblée nationale avait, le 13 février 1790, supprimé les vœux religieux et aboli les Congrégations. Mais elle avait statué « qu’il serait indiqué des maisons où se retireraient les religieux qui ne voudraient pas renoncer à la vie commune ».

Or, les cahiers de bien des paroisses avaient demandé le maintien de leurs religieux, surtout des Capucins, très populaires en France ; Servian fut de ce nombre. Le 30 mai 1790, le maire Mas du Coussat demande « que l’on garde les Capucins, cette maison étant placée à la campagne recevait le double avantage d’une situation heureuse et d’un local propre à loger 15 ou 20 religieux et que, d’ailleurs, plusieurs raisons, très à l’avantage spirituel des habitants de cette municipalité, militaient en faveur de son existence ; ils avaient mérité la confiance des habitants par leur conduite édifiante.

C’est en partie à leurs instructions et à leurs exemples que les habitants de cette commune doivent l’amour de la paix et de l’ordre, qui les ont constamment distingués ».

Sur ce, le Conseil députe à Béziers, Mas de Coussat, Falgas et Laplace fils pour porter à Béziers l’extrait de cette délibération.

Cependant, la municipalité apprend avec peine qu’on surveille ses agissements et qu’on fait des rapports au Directoire de Béziers. Sous le titre d’amis de la Constitution, un groupe de citoyens entretient de sourdes animosités. Afin de bien affirmer son zèle pour le nouvel ordre de choses, le Conseil va faire une solennelle promulgation de la Constitution.

Le 11 octobre, on délibère que dimanche prochain sera le jour de cette fête, « que toutes les factions cessent, que l’on ne voye plus parmi les habitants que des amis et des frères ». En effet, le Conseil général, le juge de paix et les assesseurs se rendront à la commune d’où ils partiront pour faire la proclamation de l’acte constitutionnel dans les carrefours de la ville et de là ils se rendront au jeu de ballon où sera dressé un autel où sera chanté un Te Deum solennel, « ordonnons au carillonneur de sonner toutes les cloches, invitons les citoyens à illuminer le devant de leurs portes et leurs fenêtres. Le soir même, on fera un feu de joie ». Ainsi fut fait, et les annales municipales ont gardé le souvenir de cette belle manifestation, qui, nous le verrons, ne devait pas désarmer les ennemis de l’ordre.