Histoire de dom B… portier des chartreux, éd. 1941/001

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A Roma, chez Philotanus, imprimeur. [i. e. Amboise, Jérôme Légier, vers 1740-1741] (p. 1-192).

Bandeau de début de chapitre Histoire de Dom B… portier des chartreux
Bandeau de début de chapitre Histoire de Dom B… portier des chartreux

HISTOIRE
DE DOM B…
PORTIER DES CHARTREUX.



PREMIERE PARTIE.



Q UE c’eſt une douce ſatisfaction pour un cœur d’être deſabuſé des vains plaiſirs, des amuſemens frivoles & des voluptés dangereuſes qui l’attachoient au monde ! Rendu à lui-même après une longue ſuitte d’égaremens, & dans le calme que lui procure l’heureuſe privation de ce qui faiſoit autrefois l’objet de ſes déſirs, il ſent encore ces frémiſſemens d’horreur, qui laiſſent dans l’imagination le ſouvenir des périls auſquels il eſt échapé ; mais il ne les ſent que pour ſe féliciter de la ſureté où il ſe trouve : ces mouvemens lui deviennent des ſentimens chers, parce qu’ils ſervent à lui faire mieux goûter les charmes de la tranquilité dont il joüit.

Telle eſt, cher Lecteur, la ſituation du mien. Quelles grace n’ai-je pas à rendre au Tout-Puiſſant dont la miſéricorde m’a retiré de l’abîme du libertinage où j’étois plongé, & me donne aujourd’hui la force d’écrire mes égaremens pour l’édification de mes Freres.

Je ſuis le fruit de l’incontinence des Reverends Peres Céleſtins de la Ville de R… Je dis des Reverends Peres, parce que tous ſe vantoient d’avoir fourni à la compoſition de mon individu. Mais quel ſujet m’arrête tout-à-coup ? Mon cœur eſt agité : eſt-ce par la crainte qu’on ne me reproche que je revéle ici les myſteres de l’Egliſe. Ah ! ſurmontons ce foible remord : Ne ſait-on pas que Tout homme eſt homme, & les Moines ſurtout. Ils ont donc la faculté de travailler à la propagation de l’eſpéce. Hé ! pourquoi la leur inrerdiroit-on ? Ils s’en acquittent ſi bien.

Peut-être, Lecteur, attendez-vous avec impatience que je vous faſſe un récit détaillé de ma naiſſance. Je ſuis fâché de ne pouvoir pas ſi-tôt vous ſatisfaire ſur cet article, & vous allés me voir de plein ſaut chez un bon-homme de païſan que j’ai pris long-tems pour mon pere.

Ambroiſe, c’étoit le nom du bon-homme, il étoit le jardinier d’une maiſon de campagne que les Céleſtins avoient à un petit Village à quelques lieuës de la Ville : ſa femme Toinette fut choiſie pour me ſervir de nourice : un fils qu’elle avoit mis au monde, & qui mourut au moment que je vis le jour, aida à voiler le myſtere de ma naiſſance : on enterra ſecretement le fils du jardinier, & celui des Moines fut mis à ſa place ; l’argent fait tout.

Je grandiſſois inſenſiblement, toûjours crû, & me croyant moi-même fils du jardinier, j’oſe dire néanmoins, (qu’on me pardone ce petit trait de vanité) que mes inclinations déceloient ma naiſſance. Je ne ſai quelle influence divine opére ſur les ouvrages des moines : il ſemble que la vertu du froc ſe communique à tout ce qu’ils touchent, Toinette en étoit une preuve. C’étoit bien la plus fringante fémelle que j’aye jamais vû, & j’en ai vû quelques-unes : elle étoit groſſe, mais ragoûtante de petits yeux noirs, un nez retrouſſé vive, amoureuſe, plus parée que ne l’eſt ordinairement une Païſanne. Ç’auroit été un excellent pis aller pour un honnête homme, jugés, pour des Moines.

Quand la Coquine paroiſſoit avec ſon corſet des Dimanches, qui lui ſerroit une gorge que le hâle avoit toûjours reſpecté, & laiſſoit voir deux tetons qui s’échapoient. Ah ! que je ſentois bien dans ce moment que je n’étois pas ſon fils, ou que j’aurois volontiers paſſé ſur cette qualité !

J’avois les diſpoſitions toutes Monachales. Guidé par le ſeul inſtinct, je ne voyois pas une fille que je ne l’embraſſaſſe, que je ne lui portaſſe la main partout où elle vouloit bien la laiſſer aller ; & quoique je ne ſuſſe pas poſitivement ce que j’aurois fait, mon cœur me diſoit que j’en aurois fait plus, ſi l’on ne m’eût arrêté.

Un jour qu’on me croyoit à l’école, j’étois reſté dans un petit reduit où je couchois : une ſimple cloiſon le ſéparoit de la chambre d’Ambroiſe, dont le lit étoit juſtement apuyé contre : je dormois, il faiſoit une extrême chaleur, c’étoit dans le cœur de l’été, je fus tout-à-coup reveillé par les violentes ſecouſſes que j’entendis donner à la cloiſon. Je ne ſavois que penſer de ce bruit, il redoubloit : en prêtant l’oreille, j’entendis des ſons émûs & tremblans, des mots ſans ſuitte & mal articulez. Ah… doucement, ma chere Toinette, ne va pas ſi vîte ! Ah ! Coquine… tu me fais mourir de plaiſir, va vîte ! eh vîte ! Ah… je me meurs !

Surpris d’entendre de pareilles exclamations dont je ne ſentois pas toute l’énergie. Je me raſſis : à peine oſois-je remuer. Si l’on m’avoit ſû là, j’avois tout à craindre, je ne ſavois que penſer, j’étois tout ému. L’inquiétude où j’étois fit bien-tôt place à la curioſité. J’entendis de nouveau le même bruit, & je crus diſtinguer qu’un homme & Toinette repétoient alternativement les mêmes mots que j’avois déja entendus : même attention de ma part : l’envie de ſavoir ce qui ſe paſſoit dans cette chambre devint à la fin ſi vive, qu’elle étouffa toutes mes craintes. Je reſolus de ſavoir ce qui en étoit ; je ſerois, je crois, volontiers entré dans la chambre d’Ambroiſe pour voir ce qui s’y paſſoit, aux riſques de tout ce qui auroit pû arriver. Je ne fus pas à cette peine ; en cherchant doucement avec la main ſi je ne trouverois pas quelque trou à la cloiſon, j’en ſentis un qui étoit couvert par une grande image. Je la perçai, & me fis jour. Quel ſpectacle ! Toinette nuë comme la main, étenduë ſur ſon lit, & le Pere Polycarpe, Procureur du Couvent, qui étoit à la maiſon depuis quelque tems, nud comme Toinette, faiſant… quoi ? ce que faiſoient nos premiers Parens, quand Dieu leur eût ordonné de peupler la terre ; mais avec des circonſtances moins lubriques.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 5
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 5

Cette vûë produiſit chez moi une ſurpriſe mêlée de joye & d’un ſentiment vif & délicieux, qu’il m’auroit été impoſſible d’exprimer. Je ſentois que j’aurois donné tout mon ſang pour être à la place du Moine : que je lui portois d’envie ! Que ſon bonheur me paroiſſoit grand ! un feu inconnu ſe gliſſoit dans mes veines, j’avois le viſage enflammé, mon cœur palpitoit, je retenois mon haleine, & la Pique de Venus, que je pris à la main, étoit d’une force & d’une roideur à abatre la cloiſon, ſi j’avois pouſſé un peu fort. Le Pere fournit ſa carriere, & en ſe retirant de deſſus Toinette, il la laiſſa expoſée à toute la vivacité de mes regards. Elle avoit les yeux mourans & le viſage couvert du rouge le plus vif, elle étoit toute hors d’haleine, ſes bras étoient pendans, ſa gorge s’élevoit & ſe baiſſoit avec une précipitation étonnante : elle ſerroit de tems en tems le derriere en ſe roidiſſant & en jettant de grand ſoupirs. Mes yeux parcouroient avec une rapidité inconcevable toutes les parties de ſon corps ; il n’y en avoit pas une ſur laquelle mon imagination ne collât mille baiſers de feu. Je ſuçois ſes Tetons, ſon ventre ; mais l’endroit le plus délicieux & deſſus lequel mes yeux ne pûrent plus s’arracher, quand une fois je les y eûs fixées. C’étoit… Vous m’entendés ! Que cette Coquille avoit pour moi de Charmes. Ah ! l’aimable coloris ! Quoique couverte d’une petite écume blanche, elle ne perdoit rien à mes yeux de la vivacité de ſa couleur. Au plaiſir que je reſſentois, je reconnus le centre de la volupté. Il étoit ombragé d’un poil épais, noir & friſé. Toinette avoit les jambes écartées. Il ſembloit que ſa paillardiſe fut d’accord avec ma curioſité, pour ne me rien laiſſer à déſirer.

Le Moine ayant repris vigueur, vint de nouveau ſe préſenter au combat ; il ſe remit ſur Toinette avec une nouvelle ardeur ; mais ſes forces trahirent ſon courage, & fatigué de piquer inutilement ſa monture, je lui vis retirer l’inſtrument de la Coquille de Toinette, lâche & baiſſant la tête. Toinette dépitée de ſa retraite, le prit & ſe mit à le ſécoüer ; le Moine s’agitoit avec fureur, & paroiſſoit ne pouvoir ſupporter le plaiſir qu’il reſſentoit. J’examinois tous leurs mouvemens, ſans autre guide que la nature, ſans autre inſtruction que l’exemple, & curieux de ſavoir ce qui pouvoit occaſioner ces mouvemens convulſifs du Pere : j’en cherchai la cauſe en moi-même. J’étois ſurpris de ſentir un plaiſir inconnu qui augmentoit inſenſiblement, & devint enfin ſi grand que je tombai pâmé ſur mon lit. La nature faiſoit des efforts incroyables, & toutes les parties de mon corps ſembloient fournir aux plaiſirs de celle que je careſſois. Il tomba enfin de cette liqueur blanche, dont j’avois vû une ſi grande profuſion ſur les cuiſſes de Toinette. Je revins de mon extaſe, & retourna au trou de la cloiſon, il n’étoit plus tems ; le dernier coup étoit joüé, la partie étoit finie. Toinette ſe r’habilloit, le Pere l’étoit déja.

Je reſtai quelque tems, l’eſprit & le cœur remplis de l’aventure dont je venois d’être témoin, & dans cet eſpéce d’étourdiſſement qu’éprouve un homme qui vient d’être frapé par l’éclat d’une lumiere étrangere. J’allois de ſurpriſe en ſurpriſe : les connoiſſances que la nature avoit miſes dans mon cœur venoient de ſe développer, les nuages dont elle les avoit couvertes s’étoient diſſipées. Je reconnus la cauſe des différens ſentimens que j’éprouvois tous les jours à la vûë des femmes. Ces paſſages imperceptibles de la tranquillité aux mouvemens les plus vifs de l’indifférence, aux déſirs, n’étoient plus des énigmes pour moi. Ah ! m’écriai-je ; qu’ils étoient heureux ! la joye les tranſportoit tous deux. Il faut que le plaiſir qu’ils goûtoient ſoit bien grand ! Ah… qu’ils étoient heureux ! L’idée de ce bonheur m’abſorboit : elle m’ôtoit pour un moment tout pouvoir d’y réfléchir. Un ſilence profond ſuccédoit à mes exclamations, Ah ! reprenois-je auſſi-tôt, ne ſerai-je jamais grand pour en faire autant à une femme. Je mourrois ſur elle de plaiſir, puiſque je viens d’en avoir tant. Ce n’eſt là ſans doute qu’une foible image de celui que le Pere Polycarpe goûtoit avec ma mère : mais, pourſuivis-je, je ſuis bien ſimple : eſt-il abſolument néceſſaire d’être grand pour avoir ce plaiſir-là. Pardi, il me ſemble que le plaiſir ne ſe meſure pas à la taille, pourvû que l’on ſoit l’un ſur l’autre, cela doit aller tout ſeul.

Sur le champ, il me vint dans l’eſprit de faire part de mes nouvelles découvertes à ma ſœur Suzon. Elle avoit quelque années plus que moi : c’étoit une petite blonde fort jolie, qui portoit une de ces phiſionomies ouvertes, que l’on ſeroit tenté de croire niaiſes, parce qu’elles paroiſſent indolentes. Elle avoit de ces beaux yeux bleus, pleins d’une douce langueur, qu’il ſemble que l’on tourne ſur vous ſans intention, mais dont l’effet n’eſt pas moins ſûr que celui des yeux brillans d’une brune piquante, qui vous lance des regards paſſionnés : pourquoi cela ? Je n’en ſai rien ; car je me ſuis toûjours groſſierement contenté du ſentiment, ſans être tenté d’en pénétrer la cauſe, Ne ſeroit-ce pas parce qu’une belle blonde avec ſes regards languiſſans, ſemble vous prier de lui donner votre cœur, & que ceux d’une brune veulent vous l’enlever de force. La blonde ne demande qu’un peu de compaſſion pour ſa foibleſſe, & cette façon de demander eſt bien ſéduiſante ; vous croyés ne donner que de la compaſſion, & vous donnés de l’amour. La brune au contraire veut que vous ſoyés foible, ſans vous promettre qu’elle le ſera, Le cœur ſe gendarme contre celle-ci, n’eſt-il pas vrai ?

Je l’avoüe à ma honte, il ne m’étoit pas encore venu dans l’eſprit de jetter ſur Suzon un regard de concupiſcence, choſe rare chez moi, qui convoitois toutes les filles que je voyois. Il eſt vrai qu’étant la filleule de la Dame du Village, qui l’aimoit & la faiſoit élever chez elle, je ne la voyois pas ſouvent. Il y avoit même un an qu’elle étoit au Couvent : elle n’en étoit ſortie que depuis huit jours que ſa maraine, qui devoit venir paſſer quelque tems à la campagne, lui avoit permis de venir voir Ambroiſe. Je me ſentis tout-à-coup enflammé du déſir d’endoctriner ma chere ſœur, & de goûter avec elle les mêmes plaiſirs que je venois de voir prendre au Pere Polycarpe, avec Toinette. Je ne fus plus le même pour elle. Mes yeux ſoûrirent à mille charmes que je ne lui avois pas aperçûs. Je lui trouvai une gorge naiſſante, plus blanche que les lis, ferme, potelée. Je ſuçois déja avec un délice inexprimable ces deux petites fraiſes que je voyois au bout de ſes tetons : mais ſurtout dans la peinture de ſes charmes, je n’oubliois pas ce centre, cet abîme de plaiſirs, dont je me faiſois des images ſi raviſſantes. Animé par l’ardeur vive & brûlante que ces idées repandoient dans tout mon corps ; je ſortis, j’allai chercher Suzon, le ſoleil venoit de ſe coucher, la brune s’avançoit : je me flattois qu’à la faveur de l’obſcurité que la nuit alloit répandre, je ſerois dans un moment au comble de mes déſirs ſi je la trouvois, je l’aperçûs de loin qui cuëilloit des fleurs. Elle ne penſoit pas alors que je méditois de cuëillir la fleur la plus prétieuſe de ſon bouquet : je volai à elle ; la voyant toute entière à une occupation auſſi innocente. Je balançai dans le moment, ſi je lui ferois connoître mon deſſein : à meſure que j’aprochois, je ſentois rallentir la vivacité de ma courſe. Un tremblement ſoudain ſembloit me reprocher mon intention. Je croyois devoir reſpecter ſon innocence, & je n’étois retenu que par l’incertitude du ſuccès. Je l’abordai, mais avec une palpitation qui ne me permettoit pas de dire deux mots ſans reprendre haleine. Que faiſois-tu donc là, Suzon, lui dis-je, en m’aprochant d’elle, & voulant l’embraſſer : elle s’échapa en riant ; & me répondit : comment ? ne vois-tu pas que je cuëille des fleurs ? Ah, ah, repris-je, tu cuëilles des fleurs ; hé, vrayement oui, me repliqua-t’elle, ne ſais-tu pas que c’eſt demain la fête de ma Maraine ; ce nom me fit trembler comme ſi j’euſſe craint que Suzon ne m’échapât. Mon cœur s’étoit déja fait (ſi j’oſe me ſervir de ce terme) une habitude de la regarder comme une conquête ſûre, & l’idée de ſon éloignement ſembloit me menacer de la perte d’un plaiſir que je regardois comme certain, quoique je n’en euſſe pas encore goûté. Je ne te verrai donc plus, Suzon, lui dis-je, d’un air triſte ? Pourquoi donc ? me répondit-elle, ne viendrai-je pas toûjours ici : mais, allons, pourſuivit-elle d’un air charmant, aide-moi à faire mon bouquet : je ne lui répondis qu’en lui jettant quelques fleurs au viſage : auſſi-tôt elle de m’en jetter auſſi : tiens, Suzon ; lui dis-je, ſi tu m’en jettes davantage, je te… tu me le payeras ; pour me faire voir qu’elle bravoit mes menaces, elle m’en jetta une poignée. Dans le moment ma timidité m’abandonna ; je ne craignois pas d’être vû : la brune qui empêchoit qu’on ne pût voir à une certaine diſtance, favoriſoit mon audace. Je me jettai ſur Suzon, elle me repouſſe, je l’embraſſe, elle me donne un ſoufflet, je la jette ſur l’herbe : elle veut ſe relever, je l’en empêche : je la tiens étroitement ſerrée dans mes bras, en lui baiſant la gorge ; elle ſe débat : je veux lui fourrer la main ſous la jupe, elle crie comme un petit démon : elle ſe deffend ſi bien que je crains de n’en pouvoir venir à bout, & qu’il ne ſurvienne du monde. Je me relevai en riant, & je crus qu’elle n’y entendoit pas plus de malice que je voulois qu’elle n’y en entendit. Que je me trompois ! allons, lui dis-je, Suzon, pour te faire voir que je ne voulois pas te faire de mal, je veux bien t’aider. Oüi, oui, me répondit-elle avec une agitation au moins égale à la mienne, va ; voila ma mere qui vient, & je… Ah ! Suzon, repris-je vivement, en l’empêchant d’en dire davantage, ma chere Suzon, ne lui dis rien, je te donnerai… tiens, tout ce que tu voudras : un nouveau baiſer fut le gage de ma parole. Elle en rit, Toinette arriva ; je craignois que Suzon ne parlât : elle ne dît mot, & nous retournâmes tous enſemble ſouper.

Depuis que le Pere Polycarpe étoit à la maiſon, il avoit donné de nouvelles preuves de la bonté du Couvent pour le prétendu fils d’Ambroiſe : je venois d’être habillé tout de neuf. En vérité ſa Révérence avoit en cela moins conſulté la charité monacale, qui a des bornes fort étroites, que la tendreſſe paternelle qui ſouvent n’en connoit pas. Le bon Pere, par une pareille prodigalité, expoſoit la légitimité de ma naiſſance à de violens ſoupçons. Mais nos manans étoient bonnes gens, & n’en voyoient pas plus que l’on ne vouloit leur en faire voir. D’ailleurs, qui auroit oſé porter un œil de critique & malin ſur le motif de la généroſité des Revérends Peres ? C’étoit de ſi honnêtes gens, de ſi bonnes gens ; on les adoroit dans le Village, ils faiſoient du bien aux hommes, & aimoient l’honneur des femmes : tout le monde étoit content : mais revenons à ma figure ; car je vais avoir une avanture illuſtre.

A propos de cette figure-là. J’avois un air eſpiégle qui ne prévenoit pas contre moi. J’étois mis proprement, des yeux malins, de longs cheveux noirs me tomboient par boucles ſur les épaules, & relevoient à merveilles les vives couleurs de mon viſage, qui, quoiqu’un peu brun, ne laiſſoit pas de valoir ſon prix. C’eſt un témoignage authentique, que je me crois obligé de rendre à un jugement de pluſieurs très-honnêtes & très-vertueuſes perſonnes à qui j’ai rendu mes hommages.

Suzon, comme je l’ai dit, avoit fait un bouquet pour Madame Dinville, c’étoit le nom de ſa maraine, femme d’un Conſeiller de la Ville voiſine, qui venoit à ſa terre prendre le lait pour rétablir une poitrine dérangée par le vin de Champagne & quelques autres cauſes.

Suzon s’étant miſe dans ſes petits atours, qui la rendirent encore plus aimable à mes yeux, il fut dit que je l’accompagnerois. Nous allâmes au Château. Nous trouvâmes la Dame dans un apartement d’été où elle prenoit le frais. Figurés-vous une femme d’une grandeur médiocre, poil brun, peau blanche, le viſage laid en général, enluminé d’un rouge champenois, mais des yeux alertes, amoureux, & tétonniere autant que femme au monde. Ce fut d’abord la premiere bonne qualité que je lui remarquai : ç’a toûjours été mon foible que ces deux boules-là. C’eſt auſſi quelque choſe de ſi joli, quand vous tenés cela dans la main, quand vous… ah ! chacun le ſien, qu’on me paſſe celui-ci.

Si-tôt que la Dame nous aperçût, elle jetta ſur nous un regard de bonté, & ſans changer de ſituation. Elle étoit couchée ſur un Canapé, une jambe deſſus & l’autre ſur le parquet : elle n’avoit qu’un ſimple jupon blanc, aſſez court pour laiſſer voir un genoüil qui n’étoit pas aſſez couvert pour faire penſer qu’il ſeroit bien dificile de voir le reſte : un petit corſet de la même couleur & un pet-en-l’air de tafetas couleur de roſe, bichonnée, d’un petit air négligé, & la main paſſée ſous ſon jupon, jugés à quelle intention. Mon imagination fut au fait dans le moment & mon cœur la ſuivit de près : mon ſort étoit de devenir déſormais amoureux à la vûë de toutes les femmes, qui ſe préſenteroient à mes yeux, les découvertes de la veille avoient fait éclôre ces loüables diſpoſitions.

Hé ! bon jour, ma chere enfant, dit Madame Dinville, à Suzon, hé bien, tu reviens donc me trouver ! Ah… tu m’aportes un bouquet ; mais vrayement je te ſuis bien obligée, ma chere fille, embraſſe-moi donc ; embraſſade de la part de Suzon ; mais, continua-t’elle, en jettant les yeux ſur moi ; quel eſt donc ce beau gros garçon-là ? Comment ! petite fille, vous vous faites accompagner par un garçon, cela eſt joli : je baiſſois les yeux, Suzon lui dit que j’étois ſon frere. Revérence de ma part, ton frere, reprit Madame Dinville, allons donc, continua-t-elle, en me regardant, en m’adreſſant la parole, baiſe-moi, mon fils ; oh ! je veux que nous faſſions connoiſſance enſemble. Auſſitôt, pour ébaucher la connoiſſance, elle me donne un baiſer ſur la bouche, je ſens une petite langue ſe gliſſer entre mes lévres, & une main qui jouë avec les boucles de mes cheveux. Je ne connoiſſois pas encore cette maniere de baiſer ; elle me mit dans une étrange émotion. Je jettai ſur la Dame un regard timide, & je rencontrai ſes yeux brillans & pleins de feu, qui attendoient les miens au paſſage, & qui les firent baiſſer : nouveau baiſer de même nature ; après lequel je fus libre de me remuer ; car je ne l’étois guéres de la façon dont elle me tenoit embraſſé. Je n’en étois pourtant pas fâché, il me ſembloit que c’étoit toujours autant de retranché ſur le cérémonial de la connoiſſance quelle diſoit vouloir faire avec moi. Je ne fus ſans doute redevable de ma Liberté, qu’à la réflexion qu’elle fit ſur le mauvais effet que pouvoit produire la vivacité de ſes careſſes, prodiguées avec ſi peu de ménagement à une premiere vûë : mais ſes réflexions ne furent pas de longue durée, elle reprit la converſation avec Suzon, & le refrain de chaque période, étoit, Suzon, venez me baiſer ; d’abord le reſpect me faiſoit tenir écarté. Hé bien, dit-elle en m’adreſſant de nouveau la parole : ce gros garçon-là ne viendra donc pas auſſi me baiſer ; j’avançai & j’appuyai ſur la jouë, je n’oſois encore aller à la bouche, je lui fis un baiſer un peu plus hardi que le premier. Je ne fus en reſte avec elle que de quelque choſe de plus paſſionné qu’elle mit dans le ſien : elle partageoit ainſi les careſſes entre ma ſœur & moi, pour me donner le change ſur le ſujet de celles qu’elle me faiſoit. Sa politique me rendoit juſtice, j’étois plus habile que ma figure ne le promettoit. Je me fis inſenſiblement ſi bien à ce petit manége, que je n’attendois pas le refrain pour prendre ma part ; peu à peu ma ſœur ſe trouva ſevrée de la ſienne : je m’établis dans le privilége excluſif de joüir des bontés de la Dame, Suzon n’avoit plus que les paroles.

Nous étions aſſis ſur le Canapé, nous babillions, car Madame Dinville étoit grande babillarde. Suzon étoit à ſa droite, j’étois à ſa gauche, Suzon regardoit dans le jardin, & Madame Dinville me regardoit : elle s’amuſoit à me défriſer, à me pincer la jouë, à me donner de petits ſoufflets, & moi, je m’amuſois à la regarder, à lui mettre la main, d’abord en tremblant, ſur le col : ſes manieres aiſées me donnoient beau jeu, j’étois effronté, la Dame ne diſoit mot, me regardoit, rioit, & me laiſſoit faire. Ma main timide dans les commencemens, mais devenuë plus hardie par la facilité qu’elle trouvoit à ſe ſatisfaire, deſcendoit inſenſiblement du col à la gorge, & s’apéſantiſſoit avec délice ſur un ſein dont la fermeté élaſtique la faiſoit tant ſoit peu rebondir, mon cœur nageoit dans la joye, déja je tenois dans la main une de ces boules charmantes que je maniois à ſouhait. J’allois y mettre la bouche : en avançant on arrive au but. J’aurois, je crois, pouſſé ma bonne fortune juſqu’où elle pouvoit aller, quand un maudit importun, le Bailli du Village, vieux ſinge, envoyé par un démon jaloux de mon bonheur, ſe fit entendre dans l’antichambre. Madame Dinville reveillée par le bruit que fit cet Original en arrivant, me dit ? que faites-vous donc, petit fripon, je retirai la main précipitamment : mon effronterie ne tint pas contre un pareil reproche, je rougis, je me croyois perdu, Madame Dinville qui voyoit mon embarras, me fit ſentir par un petit ſoufflet, qu’elle accompagna d’un ſourire charmant, que ſa colere n’étoit que pour la forme, & ſes regards me confirmerent que ma hardieſſe lui déplaiſoit moins que l’arrivée de ce vilain Bailli.

Il entra, l’ennuyeux perſonnage ! après avoir touſſé, craché, éternué, mouché, il fit ſa harangue, plus ennuyeuſe encore que ſa figure. Si nous en euſſions été quittes pour cela, ce n’auroit été que demi mal : mais, il ſembloit que le marraud eût donné le mot à tous les importuns du Village, qui vinrent tour à tour faire leur ſalamalec, j’enrageois. Quand Madame Dinville eût répondu à bien de ſots complimens, elle ſe tourna de notre côté, & nous dit : ah ça, mes chers enfans, vous reviendrés demain dîner avec moi, nous ſerons ſeuls : il me ſembla qu’elle affectoit de jetter les yeux ſur moi en diſant ces derniers mots. Mon cœur trouvoit ſon compte dans cette aſſurance, & je ſentis que, ſans faire tort à mon penchant, mon petit amour propre ne laiſſoit pas d’être flatté ; Vous viendrés, entendés-vous Suzon, continua Madame Dinville, & vous aménerés Saturnin, c’étoit le nom que portoit alors votre ſerviteur. Adieu, Saturnin, me dit-elle, en m’embraſſant ? pour le coup je ne fus en reſte de rien avec elle, nous ſortîmes.

Je me ſentois dans une diſpoſition, qui aſſûrément m’auroit fait honneur auprès de Madame Dinville, ſans la viſite imprévûë de ces ennuyeux complimenteurs ; mais ce que je ſentois pour elle n’étoit pas de l’amour, ce n’étoit qu’un déſir violent de faire avec une femme la même choſe que j’avois vû faire au Pere Polycarpe, avec Toinette. Le délai d’un jour que Madame Dinville m’avoit donné, me paroiſſoit immenſe : j’eſſayai, chemin faiſant, de remettre Suzon ſur les voyes en lui rapellant l’avanture de la veille. Que tu es ſimple, lui dis-je, Suzon ! Tu crois donc que je voulois te faire du mal hier ? Que voulois-tu donc me faire, répondit-elle ; Bien du plaiſir ? Quoi, reprit-elle, avec une apparence de ſurpriſe, en me mettant la main ſous la jupe, tu m’aurois fait bien du plaiſir ? Aſſûrément, ſi tu veux que je t’en donne la preuve, viens avec moi, lui dis-je, dans quelqu’endroit écarté. Je l’examinois avec inquiétude : je cherchois ſur ſon viſage quelques marques des effets que devoit produire ce que je lui diſois ; je n’y voyois pas plus de vivacité qu’à l’ordinaire : le veux-tu bien, dis, ma chere Suzon, continuai-je en la careſſant ? Mais encore, reprit-elle, ſans faire ſemblant d’entendre la propoſition que je lui faiſois ; qu’eſt-ce donc que ce plaiſir dont tu me fais tant d’éloge ? C’eſt, lui répondis-je, l’union d’un homme avec une femme qui s’embraſſent, qui ſe ſerrent bien fort, & qui ſe pâment en ſe tenant étroitement ſerrés de cette façon : les yeux toûjours fixés ſur le viſage de ma ſœur, je ne laiſſois échaper aucun des mouvemens qui l’agitoient ; j’y voyois la gradation inſenſible de ſes deſirs. Sa gorge bondiſſoit ; mais, me dit-elle, avec une naïveté curieuſe qui me paroiſſoit de bonne augure ; mon pere m’a quelquefois tenu comme tu le dis, & je ne ſentois pas cependant ce plaiſir que tu me promets ; c’eſt, repartis-je, qu’il ne te faiſoit pas ce que je voudrois te faire. Eh ! que me voudrois-tu donc faire, me demanda-t’elle d’une voix tremblante ? Je te mettrois, lui répondis-je effrontément, quelque choſe entre les cuiſſes, qu’il n’oſoit pas te mettre, elle rougit, & me laiſſa par ſon trouble la liberté de continuer en ces termes ; vois-tu, Suzon, tu as un petit trou ici, lui dis-je, en lui montrant l’endroit où j’avois vû la fente de Toinette. Hé, qui t’a dit cela, me demanda-t’elle, ſans lever les yeux ſur moi ? Qui me l’a dit, repris-je aſſez embaraſſé de la queſtion ; c’eſt q… c’eſt que toutes les femmes en ont autant : & les hommes, pourſuivit-elle ? Les hommes, lui répondis-je, ont une machine à l’endroit où vous avés une fente : cette machine ſe met dans cette fente, & c’eſt là ce qui fait le plaiſir, qu’une femme avec un homme ; veux-tu que je te faſſe voir la mienne ? mais à condition que tu me laiſſeras toucher à ta petite fente : nous nous chatoüillerons : nous nous ferons bien aiſe.

Suzon étoit toute rouge, les diſcours que je lui tenois paroiſſoient la ſurprendre : il ſembloit qu’elle eût peine à m’en croire : elle n’oſoit me laiſſer mettre la main ſous ſa jupe, dans la crainte. diſoit-elle, que je ne vouluſſe la tromper, & que je n’allaſſe tout déclarer. Je l’aſſurai que rien au monde ne ſeroit capable de m’en arracher l’aveu, & pour la convaincre de cette difference que je lui diſois ſe trouver entre nous deux ; je voulus lui prendre la main, elle la retira, & nous continuâmes notre entretien juſqu’à la maiſon.

Je voyois bien que la petite friponne prenoit goût à mes leçons, & que ſi je la trouvois encore une fois cuëillante des fleurs, il ne me ſeroit pas difficile de l’empêcher de crier : je brûlois d’envie de mettre la derniere main à mes inſtructions, & d’y joindre l’expérience.

A peine étions-nous entrés dans la maiſon, que nous vîmes arriver le Pere Polycarpe : je demêlai le motif de ſa viſite, & je n’en doutai plus, quand ſa Revérence eût déclaré d’un air aiſé, qu’elle venoit prendre le dîner de famille : on croyoit Ambroiſe bien loin ; Il eſt vrai qu’il ne les gênoit guéres : mais on eſt toûjours bien aiſe d’être débaraſſé de la préſence d’un mari, quelque commode qu’il ſoit ; c’eſt toûjours un animal de mauvais augure.

Je ne doutai pas que je n’euſſe cette après midi le même ſpectacle que j’avois eu la veille, & ſur le champ je formai le deſſein d’en faire part à Suzon. Je penſois avec raiſon, qu’une pareille vûë ſeroit un excellent moyen pour avancer mes petites affaires avec elle ; Je ne lui en parlai pas, je remis cette épreuve à l’après-dînée, bien réſolu de n’employer ce moyen qu’à l’extrémité, comme un corps de réſerve déciſif pour une action.

Le Moine & Toinette ne ſe gênoient pas en notre préſence : ils nous croyoient des témoins peu dangereux. Je voyois la main gauche du Pere ſe gliſſer myſtérieuſement ſous la table, & agiter les jupes de Toinette, qui lui ſourioit, & me paroiſſoit écarter les cuiſſes, pour laiſſer apparemment le paſſage plus libre aux doigts libertins du paillard Moine.

Toinette avoit de ſon côté une main ſur la table ; mais l’autre étoit deſſous, & rendoit vraiſemblablement au Pere ce que le Pere lui prêtoit : j’étois au fait ; les plus petites choſes frapent un eſprit prévenu. Le Revérend Pere chopinoit de bonne grace, Toinette lui répondoit ſur le même ton : les deſirs parvinrent bien-tôt au point d’être gênés par notre préſence ; elle nous le fit connoître en nous conſeillant à ma ſœur & à moi, d’aller faire un tour dans le jardin : j’entendis ce qu’elle vouloit nous dire. Nous nous levâmes auſſi-tôt, & leur laiſſâmes, par notre départ, la liberté de faire autre choſe que gliſſer les mains ſous la table : jaloux du bonheur que notre départ alloit les mettre en état de goûter. Je voulus encore eſſayer de venir à bout de Suzon, ſans le ſecours du tableau que je devois offrir à ſes regards. Je la conduiſois vers une allée d’arbres, dont l’épais feüillage faiſoit une obſcurité, qui promettoit beaucoup d’aſſurance à mes deſirs. Elle s’aperçût de mon deſſein, & ne voulut pas m’y ſuivre : tiens, Saturnin, me dit-elle ingénûment, je vois que tu veux encore m’entretenir de cela ; hé bien, parlons-en : je te fais donc plaiſir, lui répondis-je, quand j’en parle ? Elle me l’avoüa. Juge, lui dis-je, ma chere Suzon, par celui que mes diſcours te donnent, de celui que tu aurois… Je ne lui en dis pas davantage, je la regardois, je lui tenois la main que je preſſois contre mon ſein. Mais, Saturnin, me dit-elle, ſi… cela alloit faire du mal ? Quel mal veux-tu que cela faſſe, lui répondis-je, charmé de n’avoir plus qu’un auſſi foible obſtacle à détruire, aucun, ma chere petite, au contraire : aucun, reprit-elle, en rougiſſant, & baiſſant la vûë, & ſi j’allois devenir groſſe ? Cette objection me ſurprit étrangement, je ne croyois pas Suzon ſi ſavante, & j’avoüe que je n’étois pas en état de lui donner une réponſe ſatisfaiſante. Comment donc, groſſe, lui dis-je, eſt-ce que c’eſt comme cela que les femmes deviennent groſſes, Suzon ? Sans doute, me répondit-elle d’un ton d’aſſurance qui m’effraya ? Eh, où l’as-tu donc apris, lui demandai-je ? car je ſentois bien que c’étoit ſon tour à me donner des leçons. Elle me répondit qu’elle vouloit bien me le dire, mais à condition que je n’en parlerois de ma vie. Je te crois diſcret, Saturnin, ajoûta-t’elle, & ſi tu étois capable d’ouvrir jamais la bouche ſur ce que je vas te dire, je te haïrois à la mort. Je lui jurai que jamais je n’en parlerois : aſſeyons-nous ici, pourſuivit-elle, en me montrant un gazon où l’on n’étoit à ſon aiſe que pour cauſer ſans être entendu : j’aurois bien mieux aimé l’allée, nous n’y aurions été vûs ni entendu : je la propoſai de nouveau, elle n’y voulut pas venir.

Nous nous aſſimes ſur le gazon, à mon grand regret : pour comble de malheur, je vis arriver Ambroiſe. N’ayant plus d’eſpérance pour cette fois, je pris mon parti. L’agitation où me mit le déſir d’aprendre ce que devoit me dire Suzon, fit diverſion à mon chagrin.

Avant de commencer, Suzon exigea encore de nouvelles aſſurances de ma part : je les lui donnai avec ſerment elle héſitoit, elle n’oſoit encore : je preſſai ſi fort qu’elle ſe détermina. Voila qui eſt fait, me dit-elle, je t’en crois, Saturnin, écoute, tu vas être étonné de ma ſcience, je t’en avertis. Tu croyois m’aprendre quelque choſe tantôt, j’en ſais plus que toi, tu le vas voir ; mais ne crois pas pour cela que j’aye moins pris de plaiſir à ce que tu m’as dit : on aime toûjours à entendre parler de ce qui flatte. Comment donc, Suzon, tu parles comme Un oracle, on voit bien que tu as été en Couvent : que cela façonne une fille ! Oh, vrayement, me répondit-elle, ſi je n’y avois jamais été, j’ignorerois bien des choſes que je ſai : eh dis-le moi donc ce que tu ſais, repris-je vivement, je meurs d’envie de l’aprendre.

Il n’y a pas long-tems, continua Suzon, que pendant une nuit fort obſcure, je dormois d’un profond ſommeil, je fus reveillée en ſentant un corps tout nud, qui ſe gliſſoit dans mon lit, je voulus crier ; mais on me mit la main ſur la bouche, en me diſant, tais-toi, Suzon, je ne veux pas te faire de mal, eſt-ce que tu ne reconnois pas la ſœur Monique ? Cette ſœur venoit depuis peu prendre le voile de Novice, c’étoit ma meilleure amie. Jeſus, lui dis-je, ma bonne, pourquoi donc me venir prendre dans mon lit, c’eſt que je t’aime, me répondit-elle, en m’embraſſant, & pourquoi êtes-vous toute nuë ? C’eſt qu’il fait ſi chaud que ma chemiſe même eſt trop péſante, il tombe une pluye terrible, j’ai entendu le tonnerre qui grondoit, j’en ai bien peur, ne l’entends-tu pas auſſi ? Quel bruit il fait ! Ah ! ſerre-moi bien fort, mon petit cœur, mets le drap par deſſus notre tête pour ne pas voir ces vilains éclairs : là bon, ah ! ma chere Suzon, que j’ai peur ! Moi, qui ne crains pas le tonnerre, je tâchois de raſſurer la ſœur, qui, pendant ce tems-là me paſſoit ſa cuiſſe droite entre les miennes, & ſa gauche par deſſous ; & dans cette poſture, elle le frotoit contre ma cuiſſe droite en me mettant ſa langue dans la bouche, & en me donnant de petits coups ſur la feſſe avec la main ; après qu’elle ſe fut un peu remuée de cette façon-là, je crus ſentir qu’elle me moüilloit la cuiſſe, elle pouſſoit des ſoupirs, je m’imaginois que c’étoit la peur du tonnerre qui faiſoit cela. Je la plaignois ; mais bien-tôt elle reprit ſa poſture naturelle : je croyois qu’elle alloit s’endormir, & je me préparois à en faire autant, quand elle me dit, tu dors donc, Suzon ? je lui répondis que non, mais que j’allois bien-tôt le faire. Tu veux donc, reprit-elle, me laiſſer mourir de frayeur ? Oüi, je mourrai, ſi tu te rendors ; donne-moi la main, ma chere petite, donne. Je me laiſſai prendre la main, qu’elle porta auſſi-tôt à ſa fente, & elle me dit de la chatoüiller avec mon doigt dans le haut de cet endroit, je le fis par amitié pour elle. J’attendois qu’elle me dît de finir ; mais elle ne diſoit mot, écartoit ſeulement les jambes, & reſpiroit un peu plus vîte qu’à l’ordinaire, en jettant de tems en tems des ſoupirs & en remuant le derriere ; je crus qu’elle ſe trouvoit mal, & je ceſſai de faire aller le doigt. Ah ! Suzon, me dit-elle, d’une voix entrecoupée, acheve, je te prie, acheve : je continuai. Ah ! ah ! s’écriat’elle, en s’agitant bien fort, & en m’embraſſant étroitement, dépêche, ma petite Reine, dépêche, ah ! vîte, ah… je me meurs. Au moment qu’elle diſoit cela, tout ſon corps ſe roidit, & je me ſentis de nouveau la main moüillée, enfin elle pouſſa un grand ſoupir & reſta ſans mouvement.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 30
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 30

Je t’aſſure, Saturnin, que j’étois bien étonnée de tout ce qu’elle me faiſoit faire : & tu n’étois pas émue, lui dis-je ? Oh ! que ſi, me répondit-elle, je voyois bien, que tout ce que je venois de lui faire, lui avoit donné beaucoup de plaiſir, & que ſi elle vouloit m’en faire autant, j’en aurois beaucoup auſſi, mais je n’oſois le lui propoſer : elle m’avoit cependant miſe dans un état bien embaraſſant. Je déſirois, & je n’oſois lui dire ce que je déſirois, je remettois avec plaiſir la main ſur ſa fente, je prenois la ſienne que je portois, que je faiſois repoſer ſur différens endroits de mon corps, ſans oſer pourtant la mettre ſur le ſeul où je ſentois que j’en avois beſoin. La ſœur qui ſavoit auſſi bien que moi ce que je lui demandois, & qui avoit la malice de me laiſſer faire, eût à la fin pitié de mon embarras, & me dit, en m’embraſſant, je vois bien, petite coquine ce que tu veux ; auſſi-tôt elle ſe couche ſur moi, je la reçois dans mes bras : ouvre un peu les cuiſſes, me dit-elle, je lui obéis : elle me coule le doigt où le mien venoit de lui faire tant de plaiſir : elle repétoit elle-même les leçons qu’elle m’avoit données, je ſentois le plaiſir monter par dégrés, & s’accroître à chaque coup de doigt qu’elle donnoit. Je lui rendois en même tems le même ſervice, elle avoit les mains jointes ſous mes feſſes, elle m’avoit avertie de remuer un peu le derriere, à meſure qu’elle pouſſeroit. Ah ! qu’elle ſemoit de délices dans ce charmant badinage, mais elles n’étoient que le prélude de celles qui devroient ſuivre. Le raviſſement me fit perdre toute connoiſſance, je demeurai pâmée dans les bras de ma chere Monique, elle étoit dans le même état, nous étions immobiles. Je revins enfin de mon extaſe ; je me trouvai auſſi mouillée que la ſœur, & ne ſachant à quoi attribuer un pareil prodige, j’avois la ſimplicité de croire que c’étoit du ſang que je venois de verſer ; mais je n’en étois pas effrayée, au contraire, il ſembloit que le plaiſir que je venois de goûter, m’eût miſe en fureur, tant je me ſentois d’envie de recommencer : je le dis à Monique, elle me répondit qu’elle étoit laſſe, & qu’il falloit attendre un peu ; je n’en eus pas la patience, & je me mis ſur elle comme elle venoit de ſe mettre ſur moi, j’entrelaſſai mes cuiſſes dans ſes cuiſſes, & me frottant comme elle l’avoit fait, je retombai en extaſe. Hé bien, me dit la Sœur, charmée des témoignages que je lui donnois du plaiſir que je reſſentois, eſ-tu fâchée, Suzon, que je ſois venuë dans ton lit ? Oüi, je gage que tu me veux du mal d’être venuë te reveiller. Ah ! lui répondis-je, que vous ſavez bien le contraire ! Que pourrai-je vous donner pour une nuit auſſi charmante ? Petite coquine, reprit-elle, en me baiſant, va, je ne te demande rien, n’ai-je pas eu autant de plaiſir que toi ? ah que tu viens de m’en faire goûter ! Dis-moi, ma chere Suzon, pourſuivit-elle, ne me cache rien : n’avois-tu jamais penſé à ce que nous venons de faire ? Je lui dis que non ? Quoi, reprit-elle, tu ne t’étois jamais mis le doigt dans ton petit Conin ? Je l’interrompis pour lui demander ce qu’elle entendoit par ce mot ? Hé, c’eſt cette fente, me répondit-elle, où nous venons de nous chatoüiller. Quoi ? tu ne ſavois pas encore cela ? Ah ! Suzon, à ton âge j’en ſavois plus que toi ! Vrayement, lui répondis-je, je n’avois garde de goûter ce plaiſir. Vous connoiſſez le Pere Jerôme, notre Confeſſeur, c’eſt lui qui mien a toûjours empêché : il me fait trembler quand je vais à confeſſe, il ne manque pas de me demander exactement ſi je ne fais pas d’impuretés avec mes compagnes, & il me défend ſurtout d’en faire ſur moi-même, j’ai toûjours eu la ſimplicité de l’en croire, mais je ſais à préſent à quoi m’en tenir ſur ſes deffenſes. Et comment, me dit Monique, t’explique-tu ces impuretés qu’il te deffend de faire ſur toi-même ? Mais, lui répondis-je, il me dit, par exemple, que c’eſt quand on ſe met le doigt où vous ſavés, quand on ſe regarde les cuiſſes, la gorge, il me demande ſi je ne me ſers pas de miroir pour m’examiner autre choſe que le viſage ? Il me fait mille autres queſtions ſemblables. Ah ! le vieux coquin, s’écria Monique, je gage qu’il ne ceſſe de t’entretenir de cela. Vous me faites, dis-je à la Sœur, prendre garde à certaines actions qu’il fait pendant que je ſuis dans ſon Confeſſional, & que j’ai toûjours priſes ſottement pour de pures marques d’amitié : le vieux ſcélérat ! j’en connois à préſent le motif. Hé, quelles actions donc, me demanda vivement la Sœur ? Ces actions, lui répondis-je, c’eſt de me baiſer à la bouche, en me diſant de m’aprocher pour qu’il entende mieux, de me conſidérer attentivement la gorge, pendant que je lui parle, de me mettre la main deſſus, & me defendre de la montrer, ſous prétexte que c’eſt une marque de coqueterie, & malgré ſes ſermons, il ne tire pas la main, qu’il avance de plus en plus ſur mon ſein & pouſſe même quelquefois juſqu’à mes tetons ; quand il l’ôte, c’eſt pour la porter auſſi-tôt ſous ſa robbe qui remuë avec de petites ſecouſſes ; il me preſſe alors entre ſes genoux, il m’aproche avec ſa main gauche, il ſoupire, ſes yeux s’égarent, il me baiſe plus fort qu’à l’ordinaire, ſes paroles ſont ſans ſuite, il me dit des douceurs, & me fait des remontrances en même tems.

Je me ſouviens qu’un jour, en retirant la main de deſſous ſa robbe pour me donner l’abſolution, il me couvrit toute la gorge de quelque choſe de chaud, qui ſe repandit par petites gouttes ; je l’eſſuyait au plus vîte avec mon mouchoir, dont je n’ai pas pû me ſervir depuis. Le Pere tout interdit, me dit que c’étoit de la ſueur qui couloit de ſes doigts : qu’en penſez-vous, ma chere Monique, dis-je à la Sœur ? Je te dirai tout-à-l’heure ce que c’étoit, me répondit-elle, ah le vieux pécheur ! Mais ſais-tu bien, Suzon, continua-t’elle, que tu viens de me conter ce qui m’eſt arrivé avec lui. Comment donc, lui dis-je, vous feroit-il auſſi quelque choſe à vous ? Non aſſurément, me répondit-elle, car je le haïs à la mort, & je ne vais plus à lui depuis que je ſuis devenuë plus ſavante : & comment avez-vous donc apris, lui demandai-je, à connoître ce qu’il vous faiſoit ? Je conſens à te le dire, me répondit la Sœur, mais ſois diſcrete, car tu me perdrois, ma chere Suzon. Je ne ſais, Saturnin, pourſuivit ma Sœur, après un moment de ſilence, ſi je dois revéler tout ce qu’elle m’aprit. L’envie de ſavoir une hiſtoire dont le prélude me charmoit, me donna des expreſſions pour vaincre l’irréſolution de Suzon. Je mêlai les careſſes aux aſſurances, & je vins à bout de la perſuader. C’eſt la Sœur Monique qui va s’exprimer par la bouche de Suzon. Quelqu’emporté que doive paroître le caractere de cette Sœur, je crains que mes expreſſions ne ſoient encore au-deſſous de la réalité : le peu de tems que j’ai paſſé avec elle m’en a fait concevoir une idée qu’il ne m’eſt guéres poſſible de rendre fidellement.

HISTOIRE
DE LA SŒUR
MONIQUE.



NOus ne ſommes pas maîtreſſes des mouvemens de notre cœur : ſéduites en naiſſance par l’attrait du plaiſir, c’eſt à lui que nous offrons nos premiers ſentimens. Heureuſes celles dont le tempérament ne s’effraye pas des conſeils auſtéres de la raiſon ; elle y trouve un ſecours contre le penchant de leur cœur : mais doit-on leur envier leur bonheur ! Non, qu’elles joüiſſent du fruit de leur ſageſſe, elles l’achetent aſſez cher, puiſqu’elles ne connoiſſent pas le plaiſir. Hé qu’eſt-ce que cette ſageſſe après tout, dont on nous étourdit les oreilles ? une chimere, un mot conſacré à exprimer la captivité où l’on retient notre ſexe. Les éloges que l’on fait de cette vertu imaginaire ſont pour nous ce qu’eſt pour un enfant un hochet, qui l’amuſe & l’empêche de crier. Des vieilles que l’âge à renduës inſenſibles au plaiſir, ou plû-tôt que la retraite leur interdit, croyent ſe dédomager de l’impuiſſance de le goûter, par les portraits hideux qu’elles nous en font ; laiſſons-les dire, Suzon, quand on eſt jeune, on ne doit avoir d’autre maître que ſon cœur, ce n’eſt que lui qu’il faut écouter, ce n’eſt qu’à ſes conſeils qu’il ſaut ſe rendre.

Tu croiras facilement, qu’ayant de pareilles inclinations, il ne falloit pas moins que la contrainte d’un cloître pour m’empêcher de m’y livrer ; mais c’eſt dans ce lieu même, où l’on vouloit étouffer mes déſirs, que j’ai trouvé le moyen de les ſatisfaire.

Toute jeune que j’étois, quand ma mere, après la mort de ſon quatriéme mari, vint demeurer dans ce Couvent en qualité de Dame Penſionnaire ; je ne laiſſai pas d’être effrayée de la réſolution qu’elle avoit priſe : ſans pouvoir diſtinguer le motif de ma frayeur, je ſentois qu’on alloit me rendre malheureuſe. L’âge, en me donnant des lumieres, m’éclaira ſur la cauſe de mon averſion pour le Cloître. Je ſentois qu’il me manquoit quelque choſe, la vûë d’un homme. Du ſimple regret d’en être privée, je paſſai bien-tôt à refléchir ſur ce qui pouvoit me rendre cette privation ſi ſenſible ; qu’eſt-ce donc qu’un homme, diſois-je ? eſt-ce une eſpéce de créature différente de la nôtre ? Quelle eſt la cauſe des mouvemens que ſa vûë excite dans mon cœur ? Eſt-ce un viſage plus aimable qu’un autre ? Non, le plus ou le moins de charmes que je leur trouve n’excite que plus ou moins d’émotion ; l’agitation de mon cœur eſt indépendante de ces charmes, puiſque le Pere Jerôme lui-même, tout deſagréable qu’il eſt, m’émeut quand je ſuis près de lui : ce n’eſt donc que la ſeule qualité d’homme qui produit ce trouble ; mais pourquoi le produit-elle ? J’en ſentois la raiſon dans mon cœur, mais je ne la connoiſſois pas ; elle faiſoit ſes efforts pour briſer les liens où mon ignorance la réduiſoit : efforts inutiles ! Je n’acquérois de nouvelles connoiſſances que pour tomber dans de nouveaux embarras.

Quelquefois je m’enfermois dans ma chambre, je m’y livrois à mes refléxions, elles me tenoient lieu des compagnies où je me plaiſois le plus. Qu’y voyois-je dans ces compagnies ? Des femmes, & quand j’étois ſeule, je ne penſois qu’aux hommes, je ſondois mon cœur, je lui demandois raiſon de ce qu’il ſentoit, je me deshabillois toute nuë, je m’examinois avec un ſentiment de volupté, je portois des regards enflammez ſur toutes les parties de mon corps, je brûlois, j’écartois les cuiſſes, je ſoupirois, mon imagination échauffée me préſentoit un homme, j’étendois les bras pour l’embraſſer, mon Conin étoit devoré par un feu prodigieux : je n’avois jamais eu la hardieſſe d’y porter le doigt : toûjours retenuë par la crainte de m’y faire mal, j’y ſouffrois les plus vives démangeaiſons ſans oſer les apaiſer. Quelquefois j’étois prête à ſuccomber, mais effrayée de mon deſſein, j’y portois le bout du doigt, & je le retirois avec précipitation, je me le couvrois avec le creux de la main, je le preſſois ; enfin je me livrai à la paſſion, j’enfonçai, je m’étourdis ſur la douleur pour n’être ſenſible qu’au plaiſir : il fut ſi grand, que je crus que j’allois expirer. Je revins avec une nouvelle envie de recommencer, & je le fis autant de fois que mes forces me le permirent.

J’étois enchantée de la découverte que je venois de faire, elle avoit répandu la lumiere dans mon eſprit : je jugeai que, puiſque mon doigt venoit de me procurer de ſi délicieux momens ; il falloit que les hommes fiſſent avec nous ce que je venois de faire ſeule, & qu’ils euſſent une eſpéce de doigt qui leur ſervit à mettre où j’avois mis le mien ; car je ne doutois pas que ce ne fut là la véritable route du plaiſir. Parvenuë à ce dégré de lumieres, je me ſentis agitée du déſir le plus violent de voir dans un homme l’original d’une choſe dont la copie m’avoit fait tant de plaiſir.

Inſtruite par mes propres ſentimens de ceux que la vûë des femmes doit réciproquement faire naître dans le cœur des hommes, je joignis à mes charmes tous les petits agrémens dont l’envie de plaire à inventé l’uſage : ſe pincer les lévres avec grace, ſourire myſtérieuſement, jetter des regards curieux, modeſtes, amoureux, indifférens, affecter de ranger, de déranger ſon fichu pour faire fixer les yeux ſur la gorge, en précipiter adroitement les mouvemens, ſe baiſſer, ſe relever, je poſſédois ces petits talens dans le dernier dégré de la coqueterie ; je m’y exerçois continuellement ; mais ici c’étoit les poſſéder en pure perte. Mon cœur ſoupiroit après la préſence de quelqu’un qui connût le prix de mon ſavoir, & qui me fit connoître l’effet qu’il auroit fait ſur lui.

Continuellement à la grille, j’attendois que mon bonheur m’envoyât ce que je ſouhaitois depuis ſi long-tems inutilement : je me faiſois amie de toutes les penſionnaires que leurs freres venoient voir. En demandoit-on quelqu’unes, je ne manquois pas de paſſer ſans affectation devant le parloir, on m’apelloit, j’y courois, & j’oſe dire que ceux que j’y trouvois ne me voyoient pas impunément.

J’y examinois un jour un beau garçon ; dont les yeux noirs & vifs me rendoient avec uſure mes regards, un ſentiment délicat & piquant, détaché même du plaiſir ordinaire que la préſence des hommes me procuroit, fixoit agréablement mon attention ſur lui. L’opiniâtreté de mes regards qu’il avoit d’abord reçus avec aſſez d’indifférence, anima les ſiens, il ne les détourna plus de deſſus moi. Il n’étoit rien moins que timide, ou plû-tôt il étoit d’une hardieſſe, qui ſoutenuë des charmes de la figure, lui répondoit du ſuccés avec toutes les femmes qu’il voudroit attaquer. Il profitoit des momens que ſa ſœur détournoit la vûë, pour me faire des ſignes auxquels je ne comprenois rien, mais que ma petite vanité vouloit que je fiſſe ſemblant d’entendre, & que j’autoriſois par des ſourires qui l’enhardirent au point de lui faire faire des geſtes que je compris parfaitement bien : il porta la main entre ſes cuiſſes, je rougis, & malgré moi j’en ſuivis du coin de l’œil le mouvement ; il la tira en me faiſant ſigne avec la main gauche, qui apuya au-deſſus du poignet de la droite, il ne falloit pas être bien ſavante pour ſentir qu’il vouloit dire que ce qu’il venoit de toucher étoit de cette longueur. Son action m’avoit miſe en feu, la pudeur vouloit que je m’éloignaſſe ; mais la pudeur fit une foible réſiſtance quand le cœur eſt d’intelligence pour la trahir, l’amour me faiſoit reſter, je baiſſois timidement la vûë : mais bien-tôt je reportai ſur Verland (c’étoit ſon nom) des yeux que je voulois faire paroître irrités, & que le plaiſir rendoit languiſſans ; il le ſentit, il vit que je l’avois entendu, il vit que je n’avois pas la force de le deſaprouver, il profita de ma foibleſſe, & pour ne me rien laiſſer à déſirer ſur l’ardeur dont ſes regards me témoignoient qu’il étoit animé, il joignit le premier doigt de ſa main gauche avec le pouce, il mit dans cette eſpéce de fente le ſecond doigt de ſa main droite, il le pouſſoit, le retiroit, & jettoit des ſoupirs : le fripon me rapelloit par là des circonſtances trop charmantes pour me laiſſer la force de lui témoigner la colere que méritoit ce nouveau manque de reſpect. Ah ! Suzon, que j’étois contente de lui ! & que je me figurois que je l’aurois bien été davantage, ſi nous nous fuſſions trouvés ſeuls ; mais quand nous l’aurions été, une grille impénétrable eût arrêté nos plaiſirs.

Dans le moment on apella ma compagne : elle nous dit qu’elle alloit voir ce qu’on lui vouloit, & qu’elle ne tarderoit pas à revenir. Son frere profita de cet inſtant pour s’expliquer plus clairement ; il ne me tint pas de grands diſcours, mais ils ſignifioient beaucoup. Quoique le compliment ne fut pas extrêmement poli, il me parut ſi naturel que je m’en ſouviens toujours avec plaiſir ; nous autres femmes nous ſommes plus flatées d’un diſcours où la nature parle toute ſeule, quelque peu meſurées que ſoient ſes expreſſions, que de ces galanteries fades que le cœur deſavoue, & que le vent emporte. Revenons au compliment de Verland : le voici ! ; Nous n’avons pas de tems à perdre, vous êtes charmante, je bande comme un Carme, je meurs d’envie de vous mettre, enſeignez-moi un moyen d’y paſſer dans votre Couvent ? Je fus ſi étourdie & de ſes paroles & de l’action dont il les dît, que je demeurai immobile, de façon qu’il eût le tems de paſſer la main au travers de la grille, de me prendre les Tetons, de me les manier, & de me dire encore d’autres douceurs de la même force avant que je fuſſe revenuë de ma ſurpriſe, & quand j’en revins, je me trouvai ſi peu en état d’arrêter ſes tranſports, que ſa ſœur le ſurprit dans cette occupation ; elle fit le lutin, me dit des injures, en dit à ſon frere, & je ne le revis plus.

Tout le Couvent ſût bien-tôt mon avanture : on chuchotoit, on me regardoit, on rioit, on parloit, on ſe taiſoit ; je m’en inquietois fort peu : pourvû que le murmure ne paſſât pas les Penſionnaires : j’étois sûre de la diſcrétion des jolies, mais je ne l’étois pas trop de celle des laides, & celles-ci qui étoient sûres de n’avoir jamais de pareilles occaſions de pécher crierent au ſcandale, bas d’abord, puis haut, & ſi haut que les vieilles le ſurent. J’en avois ri au commencement, je tremblai alors, & j’avois bien raiſon de trembler ; car les Meres diſcretes aſſemblerent le Conſeil pour deliberer entre elles ſur ce que l’on feroit à une effrontée qui ſe laiſſoit toucher les Tetons ; crime irremiſſible aux yeux d’une bande de vieilles Momies qui n’avoient plus que des Tetaſſes à jetter ſur l’épaule : on trouva le cas grave, toute autre que moi eût été renvoyée ; que je l’aurois ſouhaité ! mais je devois apporter une bonne dot. Ma mere les avoit aſſurées qu’elle me feroit prendre le voile, on me ménagea, & le réſultat du Conſeil fut qu’on me châtieroit. On ſe mit en devoir de le faire, je l’avois prévû : je m’étois cantonée dans ma chambre, on força ma porte, on m’attaqua : je mordis l’une, j’égratignai l’autre : je donnai des coups de pied, je déchirai des guimpes, j’arrachai des bonnets ; enfin je me deffendis ſi bien que je laſſai mes ennemies au point de les faire renoncer à leur entrepriſe : elles n’emporterent de leur action que la honte d’avoir fait voir que ſix Meres n’avoient pû venir à bout d’une jeune fille, j’étois une lionne dans ce moment.

La rage & le ſoin de ma deffenſe m’avoient juſqu’alors occupée toute entiere, je ne ſongeois qu’à donner le démenti aux vieilles ; mais je devins bientôt auſſi foible que j’étois hardie & vigoureuſe un moment auparavant. La colere fit place au déſeſpoir : moins flatée du plaiſir de me voir en sûreté, que pénétrée de l’affront qu’on avoit voulu me faire, j’avois le viſage baigné de mes larmes. Comment reparoître dans le Couvent, diſois-je ? Je vais être moquée, peu me plaindront, toutes me fuiront, ah ! me voila couverte de honte ! Mais je veux aller trouver ma mere, pourſuivois-je, elle pourra me blâmer, mais peut-être me pardonnera-t-elle : un garçon m’a… hé bien, où eſt donc ce grand crime ? Y ai-je conſenti ? C’eſt ainſi que je raiſonnois. Oüi, continuai-je, je vais la trouver ; je me levai de deſſus mon lit dans ce deſſein, & j’y aurois été, ſi en faiſant un pas pour ouvrir ma porte, je n’euſſe marché ſur quelque choſe qui roula & me fit tomber.

Je voulus voir ce qui pourroit m’avoir fait faire cette chûte, je cherchai je trouvai. Figure-toi ce que je devins à la vûë d’une machine qui repréſentoit au naturel une choſe dont mon imagination m’avoit fait ſouvent la peinture, un Vit, un Vit : hé qu’eſt-ce que cela, demandai-je à la Sœur ? Ah, me dit-elle, il ne tiendra qu’à toi de ne pas reſter longtems dans cette ignorance : jolie comme tu es, que d’aimables Cavaliers ſe trouveront heureux de pouvoir t’inſtruire ! Mais ils n’en auront pas la gloire, c’eſt à moi qu’elle eſt reſervée. Un Vit, ma chere Suzon, eſt le membre d’un homme : on l’apelle le membre par excellence, parce qu’il eſt le Roi de tous les autres. Ah, qu’il mérite bien ce nom ! Mais ſi les femmes lui rendoient la juſtice qu’il mérite, elles l’apelleroient leur Dieu : oüi, c’en eſt un, le Con eſt ſon domaine, le plaiſir eſt ſon élément, il va le chercher dans les replis les plus cachés, il pénétre, il ſonde, il le trouve, il s’y plonge, il le goûte, il le fait goûter, il y naît, il y vit, il y meurt & renaît auſſi-tôt, pour le goûter encore ; mais ce n’eſt pas à lui ſeul qu’il doit tout ſon mérite. Soumis aux loix de l’imagination & de la vûë, ſans elles il ne peut rien, il eſt mou, lâche, petit & n’oſe ſe montrer : avec elles fier, ardent, impétueux, il menace, ſe lance, briſe, renverſe tout ce qui oſe lui faire réſiſtance. Attendez, dis-je à la Sœur, l’interrompant, vous oubliés que vous parlés à une Novice, mes idées ſe perdent dans votre éloge, je ſens que j’adorerai quelque jour ce Dieu dont vous parlés ; mais il eſt encore étranger pour moi, avant que d’aimer il faut connoître, proportionés vos expreſſions à la foibleſſe de mes connoiſſances, expliqués-moi d’une maniere ſimple tout ce que vous venés de me dire : je le veux bien, me répondit la Sœur. Le Vit eſt mou, lâche & petit quand il eſt dans l’inaction, c’eſt-à-dire, quand les hommes ne ſont pas excités, ou par la vûë d’une femme, ou par les idées qui leur en viennent ; mais offrons-nous à leurs yeux, découvrons la gorge, laiſſons voir nos Tetons, montrons-leur un taille fine, une jambe dégagée : les graces d’un joli viſage ne ſont pas toûjours néceſſaires, un rien les frape, leur imagination travaille, elle s’exerce, elle perce, elle va pénétrer toutes les parties de notre corps, elle ſe fait les plus beaux portraits, elle donne de la fermeté à des Tetons qui ſouvent n’en ont guéres, elle ſe préſente un ſein apetiſſant, un ventre blanc & poli, des cuiſſes rondes, potelées, fermes, une petite motte rebondie, un petit Conin entouré de tous les charmes de la jeuneſſe, ils penſent alors qu’ils goûteroient des délices inexprimables, s’ils pouvoient y mettre leur Vit : dans le moment ce Vit devient gros, s’alonge, ſe durcit, & plus il eſt gros, plus il eſt long, plus il eſt dur, plus il fait de plaiſir à une femme, parce qu’il remplit davantage, il frotte bien plus fort, il entre bien plus avant, il produit des délices des élancemens qui vous raviſſent. Ah ! dis-je à Monique, que ne vous dois-je pas : je ſai à préſent les moyens de plaire, & je ne manquerai pas dans l’occaſion, de me découvrir la gorge, de montrer mes Tetons. Prens-y garde, me dit la Sœur, ce n’eſt pas là le vrai moyen de plaire, il faut plus d’art que tu ne penſes, les hommes ſont bizarres dans leurs deſirs, ils ſeroient fâchés de devoir à notre facilité des plaiſirs, qu’ils ne peuvent pourtant pas goûter ſans nous : leur jalouſie les indiſpoſe contre tout ce qui ne vient pas d’eux-mêmes, ils veulent qu’on ne leur préſente les objets que couverts d’une gaze legere, qui laiſſe quelque choſe à faire à leur imagination, & les femmes n’y perdent rien, elles peuvent ſe repoſer ſur l’imagination des hommes, du ſoin de peindre leurs charmes : libérale pour ce qui la flate, elle ne les peindra pas à leur deſavantage. Tu ne ſais pas que c’eſt cette peinture que les hommes ſe font, qui fait naître leurs deſirs, ou l’amour c’eſt la même choſe ; car quand on dit, Monſieur… eſt amoureux de Madame… c’eſt la même choſe que ſi l’on diſoit, Monſieur… a vû Madame… ſa vûë a excité des deſirs dans ſon cœur, il brûle d’envie de lui mettre ſon Vit dans le Con. Voila véritablement ce que cela veut dire : mais comme la bienſéance ne veut pas qu’on diſe ces choſes-là, on eſt convenu de dire, Monſieur… eſt amoureux.

Charmée de tout ce que la Sœur me diſoit, je ne me ſentois que plus d’impatience de ſavoir le reſte de ſon Hiſtoire : je la preſſai de la continuer ; volontiers, reprit-elle, nous nous ſommes un peu arrêtées ; mais ce détail étoit néceſſaire pour ton inſtruction. Revenons à la ſurpriſe que me cauſa la vûë de cette machine que je venois de ramaſſer.

J’avois mille fois oüi parlé de Godmiché, je ſavois que c’étoit avec cet inſtrument que nos bonnes Meres ſe conſoloient des rigueurs du célibat. Cette machine imite le Vit, elle eſt deſtinée à en faire les fonctions, elle eſt creuſe & s’emplit de lait chaud, pour rendre la reſſemblance plus parfaite, & ſupléer par ce lait artificiel, à celui que la nature fait couler du membre d’un homme : quand celles qui s’en ſervent ſe ſont miſes, par un frotement réïtéré dans la ſituation d’avoir beſoin de quelque choſe de plus, elles lâchent un petit reſſort, le lait part, & les inonde. Elles trompent ainſi leurs déſirs par Une impoſture dont la douceur leur fait oublier celles de la réalité.

Je jugeai que l’agitation avoit fait tomber ce prétieux bijou de la poche de quelqu’une des Meres qui m’étoient venuës attaquer ; je n’étois pourtant pas ſûre que ce fût véritablement un Godmiché, mais mon cœur me le diſoit. Cette vûë diſſipa toute ma douleur, je ne penſai plus qu’à ce que je tenois dans la main, & je voulus ſur le champ en faire l’eſſai : ſa groſſeur m’effrayoit à la vérité, mais elle m’animoit. Mes craintes céderent bien-tôt à l’ardeur que ſa vûë m’inſpiroit, une douce chaleur avant-coureur du plaiſir que j’allois goûter, ſe repandit par tout mon corps, il trembloit de l’émotion où j’étois, & je pouſſois de longs ſoupirs.

Je commençai par bien fermer ma porte, de peur de nouvelle ſurpriſe, & ſans quitter les yeux de deſſus le Godmiché, je me deshabillai avec toute l’ardeur d’une jeune mariée, que l’on va mettre dans le lit nuptial. L’idée du ſecret qui devoit enſevelir les plaiſirs dont j’allois m’enyvrer, leur donnoit une pointe de vivacité qui m’enchantoit. Je me jettai ſur mon lit, mon cher Godmiché à la main ; mais, ma chere Suzon, qu’elle fut ma douleur, quand je vis que je ne pouvois pas le faire entrer ! Je me déſeſperai, je fis des efforts capables de déchirer mon pauvre petit Conin, je l’entr’ouvrois, & apuyant le Godmiché deſſus, je me faiſois un mal inſuportable. Je ne me rebutai pas. Je crus que ſi je me frottois avec de la pommade, cela m’ouvriroit davantage j’en mis, j’étois en ſang, & ce ſang mêlé avec la pomade & ce que la fureur où j’étois faiſoit ſortir de mon Con avec un plaiſir qui me tranſportoit, auroit ſans doute ouvert le paſſage, ſi l’inſtrument n’eût été d’une groſſeur prodigieuſe : je voyois le plaiſir près de moi, & je n’y pouvois atteindre, j’étois forcenée, je redoublois mes efforts, mais inutilement : le Godmiché maudit rébondiſſoit, & ne me laiſſoit que la douleur. Ah ! m’écriai-je, ſi Verland étoit ici, l’eût-il encore plus gros, je me ſens aſſez de courage pour le ſouffrir ! Oüi, je le ſouffrirois, je le ſeconderois, dût-il me déchirer, duſſai-je en mourir, je mourrois contente pourvû qu’il me le mit. S’il me faiſoit de la douleur, reprenois-je, que les plaiſirs qu’il me donneroit rendroient cette douleur bien douce ! Je le tiendrois dans mes bras, je le ſerrerois étroitement, il me ſerreroit de même, je collerois ſur ſa bouche vermeille des baiſers enflammés, je les prodiguerois ſur ſes yeux, ſes beaux yeux noirs & pleins de feu, il me tiendroit dans ſes bras ! quelle volupté ! il repondroit à mes tranſports par des tranſports auſſi vifs ! j’en ferois mon idole ! Oüi je l’adorerois ! un beau garçon comme lui mérite bien de l’être, nos ames ſe confondroient, elles s’uniroient ſur nos lévres brûlantes. Ah ! cher Verland, pourquoi n’eſt-tu pas ici, quelles délices ! L’amour en inventeroit pour nous, je me livrerois à tout ce que ma paſſion m’inſpireroit. Mais hélas, reprenois-je, pourquoi m’abuſer par une ſi douce illuſion ? je ſuis ſeule, hélas ! je ſuis ſeule, & pour comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une aparence de plaiſir, qui ne ſert qu’à augmenter mon déſeſpoir qui m’inſpire de deſirs ſans pouvoir les ſatisfaire ; inſtrument maudit, continuai-je, en apoſtrophant le Godmiché, & en le jettant au milieu de ma chambre avec rage, va faire les délices d’une malheureuſe à qui tu peux ſervir, tu ne feras jamais les miennes, mon doigt vaut mille fois mieux que toi : j’y eus auſſi-tôt recours, & je me donnai tant de plaiſir, que j’oubliai la perte de ceux que je m’étois promiſe d’avoir avec le Godmiché. Je tombai épuiſée de laſſitude, & je m’endormis en penſant à Verland.

Je ne me reveillai le lendemain que fort tard : le ſommeil avoit amorti mes tranſports amoureux, mais n’avoit rien changé à la réſolution que j’avois priſe de ſortir du Couvent. Les mêmes raiſons qui m’avoient déterminée à prendre cette réſolution, me firent encore ſentir avec plus de force la néceſſité de l’exécuter. Je me regardai dès-lors comme libre, & le premier uſage que je fis de ma liberté, fut de me tranquilliſer au lit juſqu’à dix heures, la cloche eût beau ſonner, je ne parus pas ; je m’aplaudiſſois du dépit que ma deſobéiſſance devoit cauſer à nos vieilles. Je me levai à la fin, je m’habillai, & pour me mettre dans l’obligation de ſuivre mon deſſein, je commençai par déchirer mon voile de Penſionnaire, que je regardois comme une marque de ſervitude : je me ſentis le cœur plus libre, il me ſembloit que je venois de franchir un barriere, qui juſques-là s’étoit opoſée à ma liberté. Mais comme j’allois & je venois dans ma chambre, ce maudit Godmiché ſe préſente encore à mes yeux. Cette vûë me rend immobile, je m’arrête, je le prens ; je vais m’aſſeoir ſur mon lit, je me mets à conſidérer l’inſtrument. Qu’il eſt beau ! diſois-je, en le prenant avec complaiſance dans la main : qu’il eſt long ! qu’il eſt doux ! c’eſt dommage qu’il ſoit ſi gros, à peine ma main peut-elle l’empoigner. Mais il m’eſt inutile… non jamais il ne pourra me ſervir, continuai-je, en levant ma jupe, & en eſſayant de nouveau de le faire entrer dans un endroit qui me faiſoit encore une douleur cuiſante des efforts que j’avois fait la veille ; j’y trouvai les mêmes difficultés, & il fallut encore me contenter de mon doigt. Je travaillai avec tout le courage que la vûë de l’inſtrument m’inſpiroit, & je pouſſai les choſes au point, que les forces me manquant, je demeurai inſenſible au plaiſir même que je me donnois, ma main n’alloit plus que machinallement, & mon cœur ne ſentoit rien. Ce dégoût momentané me fit naître une idée qui me flata beaucoup ; je vais ſortir, me dis-je, je n’ai plus rien à ménager, ſortons avec éclat ; je veux porter cet inſtrument à la Mere Supérieure, nous verrons comment elle ſoutiendra cette vûë.

Je joüiſſois d’avance en allant à l’apartement de la Supérieure, de la confuſion que j’allois lui cauſer en lui montrant le Godmiché. Je la trouvai ſeule, je l’abordai d’un air libre, je ſais bien, lui dis-je, Madame, qu’après ce qui s’eſt paſſé hier, & l’affront que vous avés voulu me faire, je ne peux plus reſter avec honneur dans votre Couvent ; elle me regardoit avec ſurpriſe & ſans me répondre, ce qui me donna la liberté de continuer ; mais, Madame, ſans en venir à de pareilles extrémités, ſi j’avois fait une faute, & c’eſt de quoi je ne conviens pas, puiſque la violence que l’indigne Verland me faiſoit, m’ôtoit la liberté de me défendre : vous auriés pû vous contenter de me faire une reprimande : quoique je ne l’euſſe pas méritée, je l’aurois ſouffertes, & je me ſerois bornée à gémir ſans me plaindre, puiſque les aparences parloient contre moi. Une reprimande, Mademoiſelle, me répondit-elle alors ſéchement, une reprimande pour une action comme la vôtre, vous méritiés une punition exemplaire, & ſans les égards que nous avons pour Madame votre Mere, qui eſt une ſainte Dame, vous… Vous ne puniſſez pas toutes les coupables, interrompis-je vivement, & vous en avés dans le Couvent qui font bien autre choſe. Bien autre choſe, reprit-elle, nommés-les-moi, je les châtierai. Je ne vous les nommerai pas lui répondis-je, mais je ſais qu’il y en avoit une parmi celles qui m’ont hier traitée avec tant d’indignité. Ah ! s’écria-t’elle, c’eſt pouſſer trop loin l’effronterie, c’eſt pouſſer la corruption du cœur & le déréglement de l’eſprit juſqu’où ils peuvent aller ! Juſte Ciel ! joindre la

calomnie aux actions les plus criminelles, accuſer les plus ſaintes de nos Meres, des exemples de vertu, de chaſteté & de pénitence : quelle dépravation de cœur ! Je lui laiſſai tranquilement achever ſon éloge, & quand je vis qu’elle s’arrêtoit, je tirai froidement le Godmiché de deſſous ma robe, & le lui preſentant, voila, lui dis-je, du même air, une preuve de leur ſainteté, de leur vertu, de leur chaſteté, ou du moins de l’une d’elles.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 61
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 61

J’examinois pendant ce tems-là le viſage de notre bonne Supérieure. Elle me regardoit, elle rougiſſoit, elle étoit interdite ; ces témoignages involontaires ne me laiſſerent pas douter que le Godmiché ne fut à elle ; j’en fus encore plus convaincuë par ſon ardeur à me l’ôter des mains. Ah, ma chere enfant, me dit-elle la reſtitution que je venois de lui faire m’avoit reconcilié avec elle) ah, ma chere fille, ſe peut-il que dans une Maiſon où il y a tant d’exemple d’édification, il ſe trouve des ames aſſez abandonnées de Dieu pour faire uſage d’une pareille infamie ! Ah, mon Dieu, j’en ſuis toute hors de moi ; mais, ma chere fille, ne dites jamais que vous avez trouvé cela, je ſerois forcée d’uſer de ſévérité, de faire des recherches, & je veux prendre le parti de la douceur ; mais vous, ma chere enfant, pourquoi voulés-vous nous quitter ? allés, retournés à votre chambre, je raccommoderai tout, je dirai qu’on s’eſt trompé, comptés ſur mon affection, car je vous aime beaucoup. Soyés sûre qu’on ne vous en verra pas de plus mauvais œil, malgré ce qui s’eſt paſſé. Je vois bien qu’effectivement nous avons eu tort de vous traiter comme cela, vous n’êtiés pas coupable : je parlerai ſur le bon ton à Mademoiſelle Verland. Je ſus mon Dieu, continuoit-elle, en regardant le Godmiché que le demon eſt malin ! je crois, le Ciel me pardonne, qué c’eſt un… Ah, la vilaine choſe !

Au moment que la Supérieure achevoit ces mots, ma Mere entra. Qu’ai-je donc apris, Madame, dit-elle à la Supérieure, & ſur le champ m’adreſſant la parole, & vous, Mademoiſelle, pourquoi vous trouvés-vous ici ? Il falloit répondre, j’étois déconcertée, je rougiſſois, je baiſſois les yeux, on me preſſa, je bégayai : la Supérieure prit la parole pour moi, elle le fit avec eſprit : ſi elle ne me donna pas tout-à-fait le tort dans la conduite qu’on avoit tenuë avec moi, elle ne me chargea pas aſſez pour faire croire que je fuſſe bien coupable. Ma faute paſſa pour une imprudence où le cœur n’avoit eu aucune part, pour une violence de la part d’un jeune témeraire, que l’on promit bien de ne plus laiſſer revenir à la grille, & on conclut qu’il n’y avoit que Mademoiſelle Verland de criminelle, puiſque c’étoit elle qui avoit fait éclater une choſe qu’elle devoit taire, ſi ce n’étoit pour l’honneur de ſon frere, du moins pour le mien, qui pourtant n’en ſouffriroit point, parce que dit la Supérieure, elle vouloit reparer l’inſulte que l’on m’avoit faite. Je n’en pouvois pas ſouhaiter davantage, je ſortois blanche comme neige d’une avanture, où ſans me faire injure, on pouvoit mettre le tort de mon côté ; mais je n’avois garde d’en tomber d’accord, ma mere me plaignit, & me parla avec une douceur qui me toucha.

Les ames zélées pour la gloire de Dieu ſavent tirer profit de tout, il fut arrêté entre la Supérieure & ma Mere, qu’ayant eu le malheur de ſcandaliſer quoiqu’involontairement mon prochain ; je devois me reconcilier avec le Pere des miſéricordes, & m’aprocher du très-Saint Sacrement de la Pénitence. On me fit là-deſſus bien des exhortations, que je paſſe pour ne pas t’ennuyer.

Ma Mere m’avoit preſque convertie avec ſes ſermons ; cependant la peine que je ſentois à avoüer mes fautes auroit dû me faire douter de ma converſion, & le Pere Jerôme m’en arrachoit la confeſſion plû-tôt que je ne la lui faiſois. Dieu ſait quel plaiſir il avoit, ce vieux pécheur, je ne lui en avois jamais tant dit, encore ne ſut-il pas tout ; car je ne crois pas que Dieu puiſſe faire un grand crime à une pauvre fille de chercher à ſe ſoulager quand elle eſt preſſée ; elle ne s’eſt pas faite elle-même, eſt-ce ſa faute ſi elle a des deſirs, ſi elle eſt amoureuſe ? eſt-ce ſa faute ſi elle n’a pas un mari pour la contenter ? elle cherche à apaiſers ces deſirs qui la dévorent, ce feu qui la brûle, elle ſe ſert des moyens que la nature lui donne, rien n’eſt moins criminel.

Malgré les petits miſtéres que j’avois fait au Pere Jerôme, je ne laiſſois pas d’être pénétrée. Etoit-ce repentir ? non, la véritable cauſe étoit le refus que le Pere avoit fait de me donner l’abſolution. Je craignois qu’il ne fournit une nouvelle matiere à la médiſance, j’en étois touchée juſqu’aux larmes : je craignois qu’en allant offrir ma confuſion aux yeux de mes ennemies, je ne leur donnaſſe un nouveau ſujet de triompher. J’allai me placer ſur un Prie-Dieu vis-à-vis de l’Autel, mes pleurs m’aſſoupirent, je m’endormis. J’eus pendant mon ſommeil le rêve le plus charmant : je ſongeai que j’étois avec Verland, qu’il me tenoit dans ſes bras, qu’il me preſſoit avec ſes cuiſſes ; j’écartois le miennes, je me prêtois à tous les mouvemens, il me manioit les Tetons avec tranſports les ſerroit, les baiſoit : l’excès du plaiſir me reveilla, j’étois réellement dans les bras d’un homme, encore toute occupée des délices de mon ſonge, je crus que mon bonheur changeoit l’illuſion en réalité, je crus être avec mon amant ; ce n’étoit pas lui : on me tenoit étroitement embraſſée par derriere : au moment que j’ouvris les yeux, je les refermai de plaiſir, & je n’eus pas la force de regarder celui qui me le donnoit. Je me ſentis inondée d’une liqueur chaude, & quelque choſe de dur & de brûlant, que l’on m’enfonçoit en jettant des ſoupirs ; je ſoupirois auſſi, & dans le moment une liqueur ſemblable que je ſentois s’échaper de toutes les parties de mon corps, avec des élencemens délicieux, ſe mêlant avec celle que l’on répandoit une ſeconde fois, me fit retomber ſans mouvement ſur mon Prie-Dieu.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 66
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 66

Ce plaiſir qui, s’il duroit toûjours, ſeroit plus piquant mille fois que celui qu’on goûte dans le Ciel, helas, ce plaiſir finit trop tôt. Je fus ſaiſie de frayeur en penſant que j’étois ſeule pendant la nuit dans le fond d’une Egliſe ; avec qui ? je ne le ſavois pas, je n’oſois m’en éclaircir, je n’oſois remuer, je fermois les yeux, je tremblois : mon tremblement augmenta encore quand je ſentis qu’on me preſſoit la main, & qu’on la baiſoit, le ſaiſiſſement m’empêcha de la retirer, je n’en avois pas la hardieſſe ; mais je me raſſurai un peu en entendant dire à mes oreilles, d’une voix baſſe : Ne craignés rien, c’eſt moi. Cette voix que je me ſouvenois confuſément d’avoir entenduë, me rendit le courage, & j’eus la force de demander qui c’étoit ; ſans pourtant avoir celle de regarder, Hé, c’eſt Martin, me répondit-on, le Valet du Pere Jerôme : cette déclaration diſſipa ma frayeur, je ne craignis plus de lever les yeux, je le reconnus. Martin étoit un petit blond, éveillé, joli, amoureux : ah, qu’il l’étoit ! Il trembloit à ſon tour, & attendoit ma réponſe pour fuir ou me baiſer encore ; je ne lui en fis pas, mais je le regardai d’un air riant, avec des yeux qui ſe reſſentoient encore du plaiſir que je venois de goûter, il vit bien que ce n’étoit pas un ſigne de colere, il ſe jetta dans mes bras avec paſſion, je le reçûs de même, & ſans penſer que ſi quelqu’un s’apercevant que je manquois dans le Couvent, pourroit venir & nous trouver enſemble. Te dirai-je ? l’amour rend tout excuſable : ſans reſpect pour l’Autel ſur les marches duquel nous étions, Martin me pancha un peu, me leva les jupes, me porta la main partout : auſſi paſſionnée que lui, je portai la mienne à ſon Vit, j’eus, pour la premiere fois de ma vie, le plaiſir d’en manier un. Ah, que le ſien étoit joli ! petit, mais long, & tel qu’il me le falloit. Quel feu, quelle démangeaiſon voluptueuſe ſe coula ſur le champ par tout mon corps, j’étois muette, je ſerrois ce cher Vit dans ma main, je le conſiderois, je le careſſois, je l’aprochois de mon ſein, je le portois à ma bouche, je le ſuçois, je l’aurois avalé. Martin avoit le doigt dans mon Con, le remuoit doucement, le tiroit, le remettoit, & renouvelloit ainſi mes plaiſirs à chaque inſtant, il me baiſoit, me ſuçoit le ventre, la motte & les cuiſſes. Il les quittoit pour porter des lévres brûlantes ſur ma gorge, je fus en un moment toute couverte de ſes baiſers, je ne pus pas tenir contre ces attaques de plaiſir, je me laiſſai tomber l’attirant doucement à moi avec mon bras droit, dont je le ſerrois amoureuſement, je le baiſois à la bouche, tandis que de la main gauche, tenant l’objet de tous mes vœux, je tâchois de me l’introduire & de me procurer un plaiſir plus ſolide, un égal tranſport le fit coucher ſur moi, il ſe mit à pouſſer ; arrête, lui dis-je d’une voix entrecoupée par mes ſoupirs, arrête, mon cher Martin, ne vas pas ſi vîte, reſtons un moment : auſſi-tôt me coulant ſous lui, & écartant les cuiſſes le plus qu’il m’étoit poſſible, je joignis les jambes ſur ſes reins, mes cuiſſes étoient collées contre ſes cuiſſes, ſon ventre contre mon ventre, ſon ſein contre mon ſein ſa bouche ſur ma bouche, nos langues étoient unies, nos ſoupirs ſe confondoient : ah ! Suzon, quelle charmante poſture, je ne penſois à rien au monde, pas même au plaiſir que j’avois, je n’étois occupée qu’à le ſentir. L’impatience m’empêcha de le goûter plus longtems, je fis un mouvement, Martin en fit autant & notre bonheur s’évanoüit ; mais avant que de le perdre, nous ſentimes combien il etoit grand, ſembloit qu’il eût ramaſſé ſes traits les plus vifs & les plus raviſſans, pour nous en accabler, nous reſtâmes ſans ſentiment, nous n’ouvrîmes les yeux que pour nous preſſer de nouveau ; le plaiſir ſe refuſoit à nos efforts.

Il eſt tems, pourſuivit Monique, de t’aprendre, Suzon, ce que c’étoit que cette eau-bénite dont le Pere Jerôme t’arroſa un jour la gorge en te donnant l’abſolution.

Ma premiere action, quand Martin fut retiré de mes bras, fut de porter la main, où j’avois reçû les plus grands coups : le dedans, le dehors, tout étoit couvert de cette liqueur dont l’effuſion m’avoit fait tant de plaiſir ; mais elle avoit perdu toute ſa chaleur & étoit froide alors comme la glace, c’étoit du Foutre : on apelle ainſi une matiere blanche & épaiſſe, qui ſort du Vit où du Con quand on décharge. La décharge eſt l’action qui ſuit ce frottement voluptueux par où l’on prélude. Comment, dis-je à Monique, c’en étoit donc que vous repandiés tout-à-l’heure ? Oüi vrayement, me dit-elle, & tu m’en as donné auſſi, petite friponne : n’as-tu pas ſenti ton petit Conin tout moüillé ? c’en étoit ; mais, ma chere petite, le plaiſir que tu as ſenti eſt mille fois au deſſous de celui qu’on goûte dans les bras d’un homme : car ce qu’il nous donne ſe mêlant avec ce que nous lui donnons, il rentre, nous pénétre, nous enflamme nous rafraîchit, nous brûle. Quelles délices, Suzon, ah, ma chere Suzon, elles ſont au-deſſus de l’expreſſion, au-deſſus de l’imagination même ! Mais écoute le reſte de mon avanture, pourſuivit-elle.

J’étois bien chifonnée, comme tu peux croire, après l’exercice amoureux que je venois de faire : je me remis le mieux qu’il me fut poſſible, & je demandai à Martin quelle heure il étoit ? Oh, il n’eſt pas tard, me répondit-il, & je viens d’entendre la cloche du ſouper. Je me paſſerai bien d’y aller, repris-je je vais vîte me coucher ; mais avant que je te quitte, aprend-moi, mon cher Martin, par quel hazard tu t’es trouvé ici, comment as-tu oſé me venir… Oh, pardi, me répondit-il, ce n’eſt pas la hardieſſe qui me manque ; mais vla comme ça été. J’étois venu pour parer l’Egliſe, car, comme vous ſavés, c’eſt demain bonne fête, je vous ai aperçûë : m’eſt avis, ai-je dit à part moi, en vous reluquant, que vla une Demoiſelle qui prie bian le bon Dieu ! pardi, ce me ſuis-je fait, y faut qu’alle ait bian la rage de la dévotion, pour s’en venir à ſtheure ci dans l’Egliſe, pendant que tretoutes prennent leur béquées ? Mais ne dormiroit-elle pas auſſi, ce me ſuis-je dit, voyant qu’ous ne bronchiés ni pied ni pate, pardi, je le croirais bian, voyons un peu, ça je me ſuis ſtapendant aproché tout fin près de vous, & j’ai vû qu’ous dormiais, je ſis reſté là un petit bout de tems à vous lorgner, & pendant ce tems-la mon cœur faiſoit tic toc, tic toc, le guiable eſt bian fin : Martin, m’a-t’il corné aux oreilles, alle eſt bian jolie au moins, vla un biau coup à faire, mon enfant ; ſi tu laiſſe échaper ſtoccaſion-la, tu ne la retrouveras pas, aviſe-toi, Martin. Pardi, je me ſis aviſé tout de ſuite : j’ai levé tout doucement voutre colerete & j’ai vû deux petits Tetons bian blancs, pardi j’ai mis la main deſſus, & pis je les ai baiſé auſſi tout doucement, & pis voyant qu’ous dormiais comme un ſabot, j’ai eu envie de faire autre choſe, & ſtautre choſe-la, je l’ai faite en vous trouſſant bravement voutre cotillon par derriere, & pis j’ai pouſſé & pis dame vous ſavés le reſte.

Malgré ſon langage groſſier, l’air d’ingénuité avec lequel Martin s’expliquoit, me charmoit. Hé bien, lui dis-je, mon cher ami, as-tu eu bien du plaiſir ? Oh pardi, me répondit-il en m’embraſſant, j’en ai tant eu que je ſis prêt à recommencer, ſi vous voulés. Non, pas pour le préſent, lui dis-je, peut-être s’apercevroit-on de quelque choſe ; mais tu as la clef de l’Egliſe, ſi tu veux venir demain à minuit, tiens la porte ouverte, je viendrai te trouver entens-tu, Martin ? Oh, morgué, me répondit-il, c’eſt bian dit, nous nous en donnerons à cœur joie, nous n’auront pas d’eſpions à ſtheure-la. Je l’aſſurai que je m’y trouverois. La reflexion me fit reſiſter à mon envie & aux prieres de Martin, qui vouloit que nous fiſſions cela encore une petite fois, diſoit-il, avant que de nous quitter. Mon refus l’auroit plongé dans la triſteſſe, ſi je ne l’euſſe conſolé par l’eſpérance du lendemain : nous nous embraſſâmes, je rentrai dans le Couvent, & je regagnai heureuſement ma chambre ſans avoir été aperçuë.

Tu devineras facilement que je mourois d’impatience de me viſiter & de ſavoir en quel état j’étois après les aſſauts que je venois d’eſſuyer. Je ſentois une vive cuiſſon, à peine pouvois-je marcher : j’avois pris une lumiere au dortoir, je tirai bien mes rideaux pour n’être vûë de perſonne, & m’étant aſſiſe ſur ma chaiſe, une jambe ſur mon lit & l’autre ſur le plancher, je fis mon examen : quelle fut ma ſurpriſe lorſque je trouvai que mes lévres, qui étoient auparavant ſi fermes & ſi rebondies, étoient devenuës toutes molles & comme flétries, les poils qui les couvroient d’eſpace en eſpace, quoiqu’ils ſe reſſentiſſent encore de l’humidité, formoient mille petites boucles : l’intérieur étoit d’un rouge vif enflammé, il étoit d’une ſenſibilité extrême, la démangeaiſon m’y faiſoit porter le doigt, & ſur le champ la douleur me forçoit de le retirer, je me frotois contre le bras de mon fauteüil, & je le couvrois des marques de la vigueur de Martin, le plaiſir combattoit contre la fatigue ; mais mes yeux s’apéſantiſſoient inſenſiblement : je me couchai, & je dormis d’un ſommeil qui ne fut interompu que par des ſonges charmans qui me rapeloient les délices que j’avois goutés.

On ne me dit rien le lendemain ſur mon abſence, on la regarda comme un reſte du reſſentiment que je devois avoir du traitement que l’on m’avoit fait. Je gardai un air fier qui confirma cette penſée, j’aſſiſtai comme les autres à l’Office, toutes mes compagnes communierent, moi je ne communiai pas, &, à te dire vrai, je m’étois miſe au-deſſus de la honte de ne pas ſuivre leur exemple. L’amour diſſipe bien des préjugés : la préſence de mon petit amant, que je voyois rôder dans l’Egliſe me dédomageoit aſſez. Plus d’une, parmi mes compagnes, auroit bien quittée au même prix la nouriture ſpirituelle où elles couroient.

Je jettois ſur mon amant plus de regards amoureux que je n’en jettois de dévotion ſur l’Autel. Aux yeux d’une femme du monde, Martin n’auroit été qu’un poliſſon, à mes yeux c’étoit l’amour même, il en avoit la jeuneſſe, il en avoit toutes les graces : la connoiſſance de ſon mérite caché me faiſoit paſſer légerement ſur la négligence de ſon extérieur, je m’aperçûs cependant qu’il s’étoit accommodé ce jour-là, & qu’il tâchoit de ſe donner meilleur air qu’à l’ordinaire. Je lui ſûs bon gré de ſon attention, que j’aimai mieux attribuer à l’envie de me plaire, qu’au mérite de la Fête qu’on célébroit : rien n’échape aux yeux d’une amante ; je le voyois qui jettoit les yeux du côté des Penſionnaires & tâchoit de me découvrir. Je ne voulois pas qu’il me reconnût, j’avois ſoin de me cacher, mais j’aurois été fâchée qu’il n’eût pas pris cette peine inutile : que veux-tu, j’en étois amoureuſe, mais amoureuſe à la rage. Juge ſi j’attendis avec impatience que la nuit fut venuë pour lui tenir la parole que je lui avois donnée.

Elle vint enfin cette nuit ſi ardemment ſouhaitée, minuit ſonna. Ah ! que je ſentis alors de trouble, je ne traverſai le coridor qu’en tremblant, & quoique tout le monde fut enfoncé dans le ſommeil, je croyois les yeux de tout le monde ouverts ſur moi. Je n’avois, pour me conduire d’autre lumiere, que celle de mon amour. Ah, diſois-je, en marchant à taton dans l’obſcurité, ſi Martin m’avoit manqué de parole, j’en mourrois de douleur ! Il étoit au rendés-vous, mon cher Martin, auſſi amoureux, auſſi impatient que j’avois été ponctuelle. J’étois vêtuë fort légerement, il faiſoit chaud, & je m’étois aperçûë la veille que les jupes, les corps, les mouchoirs de gorge, tout cela étoit trop embaraſſant. Si-tôt que je ſentis la porte ouverte, un treſſailliſſement de joye me coupa la parole : je ne la recouvrai que pour apeller mon cher Martin à voix baſſe ; il m’attendoit, il accourut dans mes bras, il me baiſoit, je lui rendois careſſes pour careſſes : nous nous tinmes long-tems étroitement ſerrés, mais revenus de ces premiers mouvemens de notre joye, nous cherchâmes réciproquement à en exciter de plus grands, je portai la main à la ſource de mes plaiſirs, il porta la ſienne où il ſavoit que je l’attendois avec impatience. Il fût bien-tôt en état de la contenter, il ſe deshabilla, me fit un lit de ſes habits, je me couchai deſſus, nos plaiſirs ſe ſuccéderent pendant deux heures avec une rapidité, avec des renouvellemens de vivacité qui ne me laiſſoient pas le tems de les deſirer. Nous nous y livrions comme ſi nous ne les euſſions pas encore goûtés, comme ſi nous ne duſſions plus les goûter. Dans le feu du plaiſir on ne ſonge guéres à ménager les moyens de l’entretenir. L’ardeur de Martin ne répondoit plus à la mienne, il fallut s’arracher des bras de l’amour, il fallut ſe retirer.

Notre bonheur ne dura guéres plus d’un mois, & j’y comprens le tems que la néceſſité faiſoit donner au repos ; quoiqu’il ne fut pas rempli par le plaiſir de voir mon amant, il l’étoit par celui de penſer à lui & par les agréables idées qui diſpoſoient mon cœur aux délices que ſa préſence ramenoit. Ah ! que les nuits heureuſes que j’ai paſſées dans les bras, ont coulés rapidement, & que celles qui les ont ſuivies ont été longues !

Redouble ton attention, ma chere Suzon, redouble-moi tes promeſſes de m’être toûjours fidelle, & de ne jamais revéler un ſecret que je n’ai jamais confié qu’à toi. Ah, Suzon qu’il eſt dangereux d’écouter un penchant trop flateur & de ſe livrer ſans refléxion. Si les plaiſirs que j’avois goûtés étoient délicieux, l’inquiétude qui les ſuivit me les fit payer bien cher. Que je me repentis d’avoir été trop amoureuſe ! Les ſuites de ma foibleſſe ſe préſenterent à mon imagination avec des circonſtances afreuſes, je pleurai, je gémis ; que vous arriva-t’il donc, lui demandai-je ? Je m’aperçus, me répondit-elle, que mes régles ne couloient plus, il y avoit huit jours que le tems de les avoir étoit paſſé, elles ne paroiſſoient pas, j’en fus ſurpriſe : j’avois ſouvent oüi dire que cette interruption étoit un ſigne de groſſeſſe ; j’étois continuellement attaquée de maux de cœur, de foibleſſes. Ah, m’écriai-je, il n’eſt que trop vrai ! Malheureuſe ! Helas, je le ſuis il n’en faut plus douter, je ſuis groſſe ! Un torrent de larmes ſuccédoit à ces accablantes refléxions. Vous êtiés groſſe, dis-je à la Sœur avec étonnement ! Ah, chere Monique, hé, comment avés-vous fait pour en dérober la connoiſſance à des yeux intéreſſés ? Je n’eus, me repondit-elle, que la douleur de ſavoir mon malheur, & non celle d’en eſſuyer les ſuites, Martin l’avoit cauſé, il m’en délivra. La découverte que j’avois faite ne m’empêchoit pas de me rendre toûjours à nos rendés-vous, j’étois inquiéte, j’étois tremblante, mais j’étois encore plus amoureuſe, le poids victorieux du plaiſir m’entraînoit ; qu’en peut-il arriver davantage, diſois-je, mon malheur eſt à ſon comble : que ce qui me l’a cauſé ſerve du moins à m’en conſoler.

Une nuit, après avoir reçû de Martin ces témoignages d’un amour ordinaire qui ne ſe rallentiſſoit pas, il s’aperçût que je ſoupirois triſtement & que ma main, qu’il tenoit dans la ſienne, étoit tremblante, (quand ma paſſion étoit ſatisfaite, l’inquiétude reprenoit dans mon cœur la place que l’amour y occupoit un moment avant) il me demanda avec empreſſement la cauſe de mon agitation, & ſe plaignit tendrement du miſteres que je lui faiſois de mes peines. Ah, Martin, lui dis-je, mon cher Martin, tu m’as perduë ! ne dis pas que mon amour pour toi n’eſt plus le même, j’en porte dans mon ſein une preuve qui me déſeſpére : je ſuis groſſe ! une pareille nouvelle le ſurprit. L’étonnement fit place à une profonde rêverie, je ne ſavois qu’en penſer. Martin étoit toute mon eſpérance dans cette circonſtance cruelle, il balançoit, que devois-je en penſer ? Peut-être, diſois-je, abatuë par ſon ſilence, peut-être médite-t’il ſa fuite, il va m’abandonner à mon déſeſpoir, ah, qu’il reſte, j’aime mieux perdre la vie en l’aimant, que mourir faute de le haïr ! Je verſois des larmes, il s’en aperçût ; auſſi tendre, auſſi fidéle que je craignois de le voir perfide, tandis que je le croyois occupé du ſoin de ſe dérober à mon amour, il ne l’étoit que de celui de tarir mes pleurs en me délivrant de leur cauſe. Il m’annonça, en m’embraſſant avec tendreſſe, qu’il en avoit trouvé le moyen. La joye que me cauſa cette promeſſe, n’égala pas celle de m’être trompée dans mes ſoupçons ; il me rendoit la vie. Charmée des aſſurances qu’il me donnoit, je fus curieuſe de ſavoir quel étoit ce moyen qu’il prétendoit employer pour me délivrer de mon fardeau ; il me dit qu’il vouloit me donner d’une boiſſon qui étoit dans le cabinet de ſon Maître, & dont la Mere Angelique avoit fait l’expérience avant moi. Je voulus ſavoir ce que le Pere Jerôme pouvoit avoir de particulier avec cette Mere ; je la haïſſois mortellement, parce qu’elle avoit paru une des plus animées contre moi le jour de l’avanture de la grille. Je l’avois toûjours priſe pour Une Veſtale : que je me trompois ! D’autant plus ſevere, qu’elle ſavoit mieux déguiſer ſon caractere vitieux, qu’elle voiloit ſous des aparences de la vertu, les inclinations corrompuës, elle étoit en intrigue réglée avec le Pere Jerôme : Martin m’en aprit toutes les circonſtances ; il me dit, qu’en furetant dans les papiers de ſon Maître, il avoit trouvé une lettre où elle lui marquoit qu’elle ſe trouvoit, pour l’avoir trop écouté, dans le même embarras où je me trouvois pour avoir trop écouté Martin ; que le Pere lui avoit envoyé une petite fiole de cette liqueur dont je devois uſer ; que la Mere, en recevant le préſent, avoit paruë tranſportée de joye, & qu’il en avoit trouvé une ſeconde lettre par laquelle elle marquoit à ſon vieil amant, que la liqueur avoit fait merveilles, qu’on n’avoit plus aucune incommodité, & qu’on étoit prête à recommencer. Ah, mon cher ami, dis-je à Martin, aporte-moi dès demain de cette liqueur, tu me tireras de toutes mes peines, & portant mes vûës plus loin, je crûs que par les moyens de ces lettres, je pourrois ſervir ma vengeance & ma haîne contre la Mere Angelique : je les demandai à Martin, qui ne ſentant pas combien cette imprudence nous coûteroit cher, crût me marquer ſon amour en me les aportant le lendemain avec ce qu’il m’avoit promis.

J’avois fait refléxion que la lumiere pourroit me trahir, ſi on en apercevoit dans ma chambre à pareille heure. Je moderai l’impatience où j’étois de lire les lettres de la Mere, j’attendis que le jour parût, il vint, je lûs, elles étoient écrites d’un ſtile paſſionné, & auſſi peu meſuré, que la figure & les manieres de celle qui les avoit écrites l’étoient beaucoup : elle y peignoit ſa fureur amoureuſe avec des traits, avec des expreſſions, dont je ne l’aurois jamais cruë capable, enfin elle ne ſe gênoit pas, parce qu’elle comptoit que le Pere Jerôme auroit la précaution, comme elle lui marquoit, de brûler ces lettres, il avoit eu l’imprudence de n’en rien faire, & je triomphois. Je ſongeai long-tems de quelle maniere je devois me ſervir de ces lettres pour perdre mon ennemie ; les rendre moi-même à la Supérieure, il n’y avoit pas d’aparence, c’étoit une démarche trop dangereuſe pour moi ; il auroit fallu rendre compte de la façon dont je les avois euës : les faire rendre par quelqu’un, ç’auroit été l’expoſer à des queſtions, dont il ne ſeroit peut-être pas ſorti à ſon honneur, & qui auroient pû entraîner ma perte. Je choiſis un autre parti, qui fut de les porter moi-même à la porte de la Supérieure, au moment que je ſaurois qu’elle devoit rentrer. Je m’arrêtai à cette idée, imprudente que j’étois, je devois brûler ces lettres : que de chagrins je m’aprêtois, je m’enlevois mon amant. Cette refléxion, ſi elle me fut venuë, auroit éteint mon reſſentiment, quelque douceur que la vengeance me préſentât, auroit-elle un moment balancé la douleur de perdre Martin ? Non, il m’étoit mille fois plus prétieux que ce qui me flattoit le plus dans ce moment. Je ne remis l’exécution de mon projet que juſqu’au tems que je ſerois hors de danger : je le fus bien-tôt. J’avois demandé à Martin une tréve de huit jours, elle n’étoit pas encore expirée : je crus pouvoir alors exécuter le deſſein que j’avois formé, il eût tout l’effet que j’en pouvois attendre, la Supérieure trouva les lettres, fit venir la Mere Angelique, & la convainquit : peut-être la reflexion eut-elle obtenuë ſa grace, ſi un crime plus grand, & que les femmes ne pardonnent jamais, la rivalité n’eût rendu ſa punition néceſſaire pour le repos de la Supérieure ; car quoiqu’elle ne manquât pas, comme je te l’ai dit, de ces ſecours capables d’émouſſer la pointe des éguillons de la chair, il eſt bien difficile quand on a grand apétit de s’en tenir à cette nourriture artificielle, qui charme la faim ſans la calmer.

Un Godmiché n’eſt, à proprement parler, qu’un ſecret pour endormir le tempérament : mais ſon ſommeil n’eſt pas de longue durée, il ſe reveille, & furieux de la tromperie qu’on lui a faite, il ne s’apaiſe que par la réalité.

La Supérieure étoit dans ce cas, une fille qui a acquis quelque connoiſſances dans les miſtéres de l’amour, voit clair dans une intrigue. Si les objets lui manquent, l’imagination y ſupplée, elle s’aigrit des difficultés qu’on lui opoſe, elle perce & va qu’elquefois plus loin que la réalité : mais avec un homme, avec une femme du caractere de la Supérieure, du caractere du Pere Jerôme, je craignois moins d’en trop penſer, que de n’en pas penſer aſſez. La liaiſon qui regnoit entre eux, ne me laiſſoit pas douter que le Directeur ne partageât ſecretement ſes conſolations ſpirituelles entre elle & la Mere Angelique. La promptitude du châtiment de celle-ci, confirma mes ſoupçons : elle alla bien-tôt expier dans la ſolitude d’une chambre obſcure, le crime de m’avoir déplu, & d’avoir voulu enlever à la Supérieure le cœur d’un amant confirmé dans ſes bonnes graces.

Je ne fus pas long-tems à me repentir de ce que j’avois fait : je m’étois toûjours flatée que l’orage ne tomberoit que ſur la Mere Angelique, il alla plus loin. Le Directeur outré de ſe voir enlever ſa Maîtreſſe favorite, ſoupçonna mon amant d’être la cauſe de ſon malheur, il ne pouvoit ſacrifier que lui à ſon reſſentiment, il le fit, le chaſſa, & je ne l’ai pas revû depuis.FIN LA PREMIERE PARTIE DE L’HISTOIRE DE SŒUR MONIQUE.

Voila mon Hiſtoire, ma chere Suzon, pourſuivit la Sœur Monique : je ne te recommande pas le ſecret, tu es intéreſſée à le garder, te voila aſſociée à mes plaiſirs ; helas, je n’en ai preſque pas goûté depuis que j’ai perdu mon amant ! Que n’eſt-il ici, continuoit-elle, en m’embraſſant, je le mangerois de careſſes ! Le ſouvenir de Martin l’animoit, ſes diſcours avoient produit ſur moi le même effet. Nous nous trouvâmes, ſans y penſer dans une diſpoſition qui ne nous permît pas d’attendre le lendemain pour célebrer la perte de ce cher amant : Je rapelois à Monique les plaiſirs qu’elle avoit autrefois goûtés avec lui ; trompée par mes careſſes, elle oublioit que je n’étois qu’une fille, elle me prodiguoit les mêmes noms qu’elle lui prodiguoit dans leurs tranſports, j’étois ſon Ange, j’étois ſon Dieu. Je n’avois pas encore l’idée d’un bien plus grand que celui dont je joüiſſois, & Monique dans mes bras combloit tous mes deſirs. L’imagination va toûjours plus loin que ce que l’on poſſede : Monique ſongeant au plaiſir que lui avoit cauſé le frottement du poil de Martin quand elle l’avoit ſenti contre ſes feſſes la nuit de l’aventure du Prie-Dieu, m’en promit autant ſi je voulois le lui procurer encore ; j’y conſentis, elle ſe coucha ſur le ventre, j’agiſſois : nous nous animâmes de façon qu’à force de chercher à nous le procurer à toutes deux en même tems, l’agitation nous fit trouver l’une la tête au chevet du lit & l’autre la tête au pied. Dans cette ſituation nous nous raprochâmes, l’une de mes cuiſſes étoit ſur le ventre de Monique, & l’autre ſous ſes feſſes, mon ventre & mes feſſes étoient de même entre ſes cuiſſes, étroitement collées l’une contre l’autre, nous nous preſſions en ſoupirant, nous nous frottions réciproquement, nous nous repandions à chaque inſtant. Les ſources de notre plaiſir gonflées par un jailliſſement continuel, & qui n’avoit d’autre iſſuë que de paſſer de l’une dans l’autre, étoient comme deux reſervoirs de délices, où nous mourions plongées ſans ſentiment, où nous ne reſſuſcitions que par l’excès du raviſſement. L’épuiſement ſeul mit fin à nos tranſports. Enchantées l’une de l’autre : nous ne nous quittâmes qu’en nous promettant de recoucher enſemble le lendemain : elle y revint & me rendit encore plus ſavante à cette ſeconde entrevûë. Ces nuits charmantes n’ont été interrompuës que par ma ſortie du Couvent pour venir ici.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 87
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 87

Ce que Suzon venoit de me raconter avoit ſi fort agi ſur mon imagination, que je n’avois pû refuſer à l’énergie de ſes diſcours des marques de ſenſibilité relatives au ſujet. Quoique j’euſſe affecté de vouloir lui dérober la vûë des larmes qu’elle m’arrachoit, le plaiſir de les répandre, les regards paſſionnés que je jettois ſur elle en les repandant, m’avoient trahi ; elle s’étoit aperçûë de mes mouvemens : mais charmée d’avoir fait ſur moi l’impreſſion qu’elle s’étoit proproſé d’y faire, elle me diſſimuloit adroitement ſa ſatisfaction, & par une politique mal entenduë, elle combatoit encore en elle-même le doux penchant qui devoit être le prix de l’ardeur qu’elle m’inſpiroit. Autant ſes diſcours m’avoient cauſé d’étonnement, autant me donnerent-ils d’eſpérance : ces peintures ſi vives & ſi animées des ſituations & des ſentimens de la Sœur Monique, dans une circonſtance à peu près ſemblable à celle où nous nous trouvions, ne pouvoient partir que d’un cœur pénétré. Elle ne m’avoit rien caché de ſes propres actions : elle ne m’avoit pas déguiſé ſa ſenſibilité pour les plaiſirs de l’amour elle avoit dit tous les mots, rien n’avoit été fardé ; ſi nous euſſions été dans l’allée, elle n’auroit pas dit un mot que je n’en euſſe profité, elle n’auroit pas fait une peinture que je n’y euſſe joint la repreſentation au naturel, elle n’avoit pas voulu y venir, que devois-je penſer de cette réſiſtance, comment l’accorder avec ce que je venois d’entendre ? Ah ! ſi j’avois pû lire dans ſon cœur, que je me ſerois épargné d’inquiétude. Ferme dans la réſolution de ſuivre mon deſſein, mais en garde contre une précipitation qui auroit pû effaroucher Suzon, je pris mes meſures d’une façon détournée ; j’allai chercher dans le récit même qu’elle venoit de me faire, des armes pour la combattre. Je me contentai de lui demander d’abord, avec un air d’indifference, ſi la Sœur Monique étoit jolie : comme un Ange, me répondit-elle ; je ne ſais pas ce qu’il faut pour faire une fille qui plaiſe, mais je m’imagine, que pour plaire, elle doit être faite comme la Sœur Monique. Sa taille eſt fine & bien priſe, ſa peau eſt d’une blancheur, d’une douceur parfaite, elle a la plus belle gorge du monde, le viſage un peu pâle, mais joli & formé de façon que les plus belles couleurs lui conviendroient moins que cette pâleur, ſes yeux ſont noirs & bien fendus, mais contre l’ordinaire des brunes elle les a languiſſans, il n’y reſte qu’aſſez de feu pour faire juger qu’ils ſeroient brillans, ſi elle n’étoit pas ſi amoureuſe. Tu me rend compatiſſant pour elle, dis-je à Suzon, ſa paſſion pour les hommes la rendra malheureuſe pour toute ſa vie. Deſabuſe-toi, me répondit Suzon, ce n’eſt que depuis peu, comme je te l’ai dit, qu’elle a pris le voile, encore ne l’a-t’elle fait que par complaiſance pour ſa Mere, le tems de prononcer ſes vœux n’eſt pas encore arrivé : ſon bonheur dépend de la mort d’un frere, dont ſa Mere fait ſon idole. Il court grand riſque de ne pas vivre plus long-tems que ſa Sœur ne le ſouhaite. Il s’eſt déja fait bleſſer à Paris dans un Bordel… Un Bordel ! hé, qu’eſt-ce que cet endroit, demandai-je à Suzon, par preſſentiment ſans doute de ce qui devoit m’y arriver un jour ; je vais t’en dire, me répondit-elle, ce que j’en ai appris de la Sœur Monique, qui ſait tout ce qui a raport avec ſes inclinations. C’eſt un lieu où s’aſſemblent des filles tendres & faciles dont le métier eſt de recevoir avec complaiſance les homages des libertins, & de ſe prêter à leurs deſirs, ſous l’eſpoir de la recompenſe : leur penchant les y mene, le plaiſir les y fixe. Ah, m’écriai-je, en l’interrompant, que je voudrois être dans une ville où il y eût de ces endroits-là ! & toi, Suzon ? Elle ne me repondit rien, & je compris aſſez par ſon ſilence, qu’elle ne ſeroit pas plus cruelle qu’une autre pour ſon tempérament, & que ce plaiſir n’auroit pas moins d’empire ſur ſon cœur que ſur celui de ces filles tendres, que l’empreſſement des hommes érigeoit en idoles publiques. Je crois, ajoûtai-je, que la Sœur Monique iroit là auſſi volontiers que ſon frere ? Je t’en reponds, me dit-elle, cette pauvre fille aime les hommes à la fureur, l’idée ſeule l’en enchante : & toi, petite friponne, repris-je, tu ne les aime donc pas ? Je ne te cache pas, me repondit-elle, que je les aimerois, ſi ce qu’on fait avec eux n’étoit pas ſi dangereux ; tu le crois, lui dis-je, il ne l’eſt pas tant que tu le penſes : va, Suzon, pour faire cela avec une femme, elle ne devient pas toujours groſſe : vois, ajoûtai-je, cette Dame qui eſt notre voiſine, il y a longtems qu’elle eſt mariée, elle le fait avec ſon mari, & cependant elle n’a pas d’enfans. Cet exemple parut l’ébranler. Ecoute, ma chere Suzon, pourſuivis-je, & comme inſpiré par un intelligence au-deſſus de mon âge qui me faiſoit pénétrer dans les myſtéres de la nature la Sœur Monique t’a dit que quand Martin lui mettoit, elle étoit toute remplie de ce qu’il lui donnoit, c’étoit ſans doute ce qui lui avoit fait un enfant. Hé bien, dit Suzon, en me regardant fixement, & cherchant dans mes yeux un moyen de ſatisfaire ſon envie ſans s’expoſer aux hazards, que veux-tu dire par là ? Ce que je veux dire, repris-je, c’eſt que ſi c’eſt ce que l’homme repand qui produit cet effet, on peut l’empêcher en ſe retirant quand on ſent que cela va venir. Hé le peut-on faire, interrompit vivement Suzon ? n’as-tu jamais vû deux chiens l’un ſur l’autre : on a beau les battre pour les faire finir, ils crient, ils ſe demennent, ils voudroient ſe retirer & ne peuvent pas : ils ſont ſans doute attachés de façon que cela leur eſt impoſſible : dis-moi ſi un homme ſe trouvoit attaché de cette façon à une femme, que quelqu’un vint, qu’on les ſurprit ? Cette objection me démonta, l’exemple étoit ſenſible, il ſembloit que Suzon eût prévû ce que j’allois lui propoſer. L’exemple étoit pour nous, nous allions nous trouver dans le même cas, ſi Suzon ſe rendoit. Elle ſembloit attendre ma reponſe avec impatience, & ſi j’avois pû découvrir ce qui ſe paſſoit dans ſon ame, j’aurois vû qu’elle ſe repentoit de m’avoir propoſé une difficulté que je n’étois pas en état de réſoudre. D’autant plus intéreſſé à détruire ſon préjugé, que je ne doutois preſque pas que mon bonheur ne dépendit de ma reponſe : je cherchois des raiſons pour la convaincre, je me ſouvenois parfaitement que le Pere Polycarpe n’avoit pas eu la veille cette difficulté à ſe retirer de deſſus Toinette. Je lui aurois cité cet exemple, mais j’aimois mieux le lui faire voir. Mes raiſonnemens ne la perſuaderent pas : mais ſes deſirs ſuppléoient à ce qu’ils avoient de défectueux : elle affectoit cependant d’inſiſter encore, & je ſentis qu’il n’y auroit pas d’autre moyen de la perſuader que de lui montrer un exemple du contraire. Dans le moment j’aperçûs le bon-homme Ambroiſe qui ſortoit de la maiſon, & qui prenoit le chemin de la ruë. Je regardai ſon départ comme l’occaſion la plus favorable qui pût ſe préſenter, ne doutant pas que le Pere & Toinette ne profitaſſent de la liberté que leur laiſſoit ſa bon-homie pour reparer le tems que ſa preſence leur avoit fait perdre. Je dis d’un ton aſſuré à Suzon, viens, je veux te faire voir que tu t’es trompée. Je me levai ſur le champ & j’aidai Suzon à en faire autant, non ſans lui avoir auparavant porté ſous la jupe une main qu’elle repouſſa en folâtrant : où vas-tu donc me mener, me demanda-t’elle, voyant que je prenois le chemin de la maiſon : la petite friponne croyoit que j’allois la mener dans l’allée, elle m’y auroit ſuivie ; que j’aurois bien mieux fait d’y aller, mais je n’étois pas aſſez expérimenté pour voir qu’elle ne demandoit pas mieux, je craignois quelque nouvelle reſiſtance de ſa part, & mon deſtin m’entraînoit. Je lui répondis que j’allois la mener dans un lieu où elle verroit quelque choſe qui lui feroit plaiſir : où donc, me répondit-elle avec impatience, voyant que j’avançois toûjours vers la maiſon ? dans ma chambre, lui repliquai-je : dans ta chambre, me dit-elle, oh, je n’y veux pas aller : tiens, Saturnin, cela eſt inutile, tu me ferois quelque choſe. Je lui jurai que non, & je connus, à l’air dont elle conſentoit à y venir, qu’elle étoit moins fâchée de m’y ſuivre, qu’elle ne l’auroit été, ſi, en lui promettant d’être ſage, je ne lui avois pas donné un prétexte pour s’y laiſſer conduire. Que je me rapelle avec plaiſir ces traits charmans de mon enfance ! L’habitude d’accorder tout à mes paſſions, & l’uſage le plus immodéré des plaiſirs n’ont point émouſſé dans mon cœur ma ſenſibilité pour ces précieux inſtans de ma vie.

Nous entrâmes dans ma chambre ſans avoir été aperçûs : je tenois Suzon par la main, elle trembloit, je marchois ſur la pointe des pieds, elle m’imitoit : je lui fis ſigne de ne point parler, & la faiſant aſſeoir ſur mon lit, je m’aprochai doucement de la cloiſon : perſonne n’y étoit encore. Je dis d’une voix baſſe à Suzon que l’on ne tarderoit pas à venir ; mais que veux-tu donc me montrer, me demanda-t’elle, intriguée par mes façons miſtérieuſes ? Tu vas le voir, lui repondis-je, & ſur le champ, en avancement du privilége que je comptois que cette vûë alloit me donner, je la renverſai ſur mon lit, en tâchant de lui gliſſer la main ſur les cuiſſes : je n’en étois pas encore à la jaretiere qu’elle ſe leva avec action & dit qu’elle feroit du bruit ſi j’étois aſſez hardi pour la toucher. Elle alla même juſqu’à faire ſemblant de vouloir ſortir : je pris cette grimace pour une marque de colere, & je fus aſſez ſimple pour m’imaginer qu’elle vouloit effectivement ſe retirer. J’étois interdit, le cœur me battoit, à peine oſois-je repondre, & quoique ce ne fût qu’en bégayant, je perſuadai facilement une fille qui auroit été bien fâchée que mon ſilence l’eût miſe dans la néceſſité de joindre l’effet à la menace ; elle conſentit de reſter. J’allois deſeſpérer de pouvoir venir à bout de mon entrepriſe, quand j’entendis ouvrir la porte de la chambre d’Ambroiſe : le cœur me revint & j’atendois avec impatience que la curioſité de Suzon fit pour moi ce que je n’avois pas pû faire moi-même ; les voici, lui dis-je, en lui faiſant ſigne de ſe taire & la remenant ſur le lit ; les voici, ma chere Suzon. Je m’aprochai auſſi-tôt de la cloiſon, j’écartai l’image qui déroboit à mes regards ce qui ſe paſſoit dans la chambre, & j’aperçus le Pere qui prenoit ſur la gorge de Toinette des gages peu équivoques de ſa bonne volonté. Immobiles, ſerrez étroitement l’un contre l’autre & receüillis en eux-mêmes, il ſembloit qu’ils vouluſſent par une profonde méditation, ſe remplir de la grandeur des miſtéres qu’ils alloient célébrer. Attentif à leurs mouvemens, j’attendois qu’ils les pouſſaſſent un peu plus loin, pour faire ſigne à Suzon d’avancer. Toinette ennuyée de la longue méditation, ſe débaraſſa la premiere des bras du Moine, & jettant corſet, jupe, chemiſe tout à bas, parut telle que la bienſéance du miſtere l’exigeoit. Ah ! que j’aimois à la voir dans cet état, ma fureur amoureuſe, que les combats de Suzon n’avoient fait qu’irriter, redoubla d’un dégré à cette vûë.

Suzon, que mon attention rendoit impatiente, avoit quitté le lit, & s’étoit approchée de moi : j’étois ſi fort occupé, que je ne m’en étois pas aperçû ; laiſſe-moi donc voir auſſi, me dit-elle, en me repouſſant un peu ; je ne demandois pas mieux, je lui cédai auſſi-tôt mon poſte, & je me tins à côté d’elle, à examiner ſur ſon viſage les impreſſions qu’y produiroit le ſpectacle qu’elle alloit avoir. Je m’aperçus d’abord qu’elle rougiſſoit ; mais je préſumois trop de ſon penchant à l’amour pour craindre que cette vûë ne produiſit un effet contraire à celui que j’en eſpérois : elle reſta. Curieux alors de ſavoir ſi l’exemple opéroit, je commençai par lui couler la main ſous la jupe, je ne trouvai plus qu’une réſiſtance médiocre, elle ſe contentoit de me repouſſer doucement la main avec la ſienne, ſans cependant l’empêcher de monter juſqu’aux cuiſſes, elle les ſerroit étroitement, & ce n’étoit qu’aux tranſports des combatans, que j’étois redevable de la facilité que je trouvois à les deſſerrer inſenſiblement ; j’aurois compté le nombre des coups que donnoient ou recevoient le Pere & Toinette, par celui des pas que ma main plus ou moins preſſée, faiſoit ſur ſes charmantes cuiſſes. Enfin je gagnai le but : alors Suzon, ſans pouſſer plus loin ſa réſiſtance, m’abandonna tout, & écartoit elle-même les jambes pour laiſſer à ma main toute la facilité de ſe contenter, j’en profitai, je portai le doigt à l’endroit ſenſible, à peine pouvoit-il y entrer : elle treſſaillit auſſi-tôt qu’elle ſentit que l’ennemi s’étoit emparé de la place, & ſes treſſailliſſemens ſe renouvelloient au moindre petit mouvement de mon doigt : je te tiens, Suzon dis-je alors, je te tiens. Je levai auſſi-tôt ſon jupon par derriere, & je vis, ah je vis le plus beau, le plus blanc, le mieux tourné, le plus ferme, le plus charmant petit cul qui ſoit poſſible d’imaginer : non, aucun de ceux que j’ai vûs dans le cours de ma vie, aucun de ceux à qui j’ai le plus fait de fête, aucun n’a jamais aproché du cul de ma chere Suzon ! Feſſes divines dont l’aimable coloris l’emportoit ſur celui du viſage ! Feſſes adorables ſur leſquelles je collai mille baiſers amoureux : pardonnés ſi je ne vous rendis alors le véritable homage qui vous étoit dû ! Oüi, vous méritiés d’être adorées, vous méritiés l’encens le plus pur ; mais vous aviés un voiſin trop redoutable, je n’avois pas encore le goût aſſez épuré pour connoître votre véritable valeur, je le croyois ſeul digne de toute ma paſſion ! Cul charmant ! que mon repentir vous a bien vangé ! Oüi, je conſerverai toûjours précieuſement votre mémoire ! Je vous ai élevé dans mon cœur un autel, où tous les jours de ma vie je pleure mon aveuglement.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 99
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 99

J’étois à genoux devant cet adorable petit Cul, je l’embraſſois, je le ſerrois, je l’entr’ouvrois, je m’extaſiois ; mais Suzon avoit mille autres beautés qui piquoient ma curioſité. Je me levai avec tranſport, je fixai mes regards avides ſur deux petits Tetons, durs, fermes, bien placés, arondis par l’amour lui-même : ils ſe levoient, ſe baiſſoient, haletoient, & ſembloient demander une main qui fixât leurs mouvemens ; J’y portai la mienne, je les preſſois. Suzon ſe laiſſoit aller mollement à mes tranſports, rien ne pouvoit l’arracher au ſpectacle qui l’attachoit : j’en étois charmé ; mais ſon attention étoit bien longue pour mon impatience, j’étois brûlé d’un feu qui ne pouvoit s’éteindre que par la joüiſſance : j’aurois voulu voir Suzon toute nuë pour me raſſaſier de la vûë entiere d’un corps dont je baiſois, dont je manioi de ſi charmantes parties : il me ſembloit qu’il n’y avoit que cette vûë qui pût ſuffire à remplir mes deſirs. Je fus bien-tôt en état d’éprouver le contraire, je deshabillai Suzon ſans qu’elle s’y opposât. Nud de mon côté, je cherchois tous les moyens poſſibles d’aſſouvir ma paſſion, je n’avois pas aſſez de force pour la preſſer : mille & mille baiſers repétés, les marques les plus vives de l’amour, étoient mille fois au-deſſous de ce que je ſentois, je tâchois de lui mettre, mais l’attitude étoit gênante, il falloit le mettre par derriere, elle écartoit les jambes & les feſſes, mais l’entrée étoit ſi petite, qu’il m’étoit impoſſible d’en venir à bout : j’y mettois le doigt & je l’en retirois tout couvert d’une liqueur amoureuſe. La même cauſe produiſoit ſur moi le même effet : je faiſois de nouveaux efforts pour prendre dans ce charmant endroit la même place que mon doigt venoit d’y occuper, & toûjours même impoſſibilité, malgré les facilités qu’on me donnoit. Suzon, dis-je, enragé de l’obſtacle que ſon opiniâtre attention aportoit à mon bonheur, laiſſe-les, viens, ma chere Suzon, nous ne pouvons avoir autant de plaiſir qu’eux : elle tourna les yeux ſur moi, ils étoient paſſionnés. Je la prend amoureuſement entre mes bras, je la porte ſur mon lit, je la renverſe, elle écarte les cuiſſes, mes yeux ſe jettent avec fureur ſur une petite roſe vermeille qui commence à s’épanoüir, un poil blond & placé par petits toupets, commençoit à ombrager une Motte dont le pinceau le plus délicat rendoit foiblement la blancheur vive & animée. Suzon immobile attendoit avec impatience des marques de ma paſſion plus ſenſibles & plus ſatisfaiſante : je tâchai de les lui donner ; je m’y prenois fort mal, trop bas, trop haut, je me conſumois en efforts inutiles, elle me le mit elle-même ; ah ! il ſentit alors qu’il étoit dans le véritable chemin. Une douleur que je ne comptois pas trouver ſur une route que je croyois couverte de fleurs, m’arrêta d’abord, Suzon en reſſentit une pareille : mais nous ne nous rebutâmes pas, Suzon tâchoit de rendre la route plus large, je faiſois des efforts plus violens, elle les ſecondoit. Déja j’avois fait la moitié de ma courſe, Suzon rouloit ſur moi des yeux mourans, ſon viſage étoit enflammé, elle ne reſpiroit que par intervalles, elle me renvoyoit une chaleur prodigieuſe, je nageois dans un torrent de délices ; mais j’en eſpérois encore de plus grandes, je me hâtois de les goûter. O Ciel ! des momens ſi doux devoient-ils être troublés par le plus cruel des malheurs ? Je pouſſois avec ardeurs : mon lit, ce malheureux lit, ce témoin de mes tranſports & de mon bonheur, nous trahit : il n’étoit que de ſangle, la cheville manqua, nous tombâmes avec un bruit affreux. Cette chûte m’eût été favorable, puiſqu’elle m’avoit fait entrer juſqu’où je pouvois aller, quoiqu’avec une extrême douleur pour tous les deux. Suzon ſe faiſoit violence pour retenir ſes cris : effrayée, elle tâchoit de s’arracher de mes bras ; j’étois furieux d’amour & de déſeſpoir, & je ne la ſerrois que plus étroitement, mon opiniâtreté me coûta cher.

Toinette avertie par le bruit accourt, ouvre, entre & nous voit. Quel ſpectacle pour les yeux d’une mere, d’une mere, d’une fille, d’un fils ! La ſurpriſe la rendit immobile, & comme ſi elle eût été retenuë par quelque choſe de plus puiſſant que ſes efforts, il ſembloit qu’elle ne pût avancer ; elle nous regardoit avec des yeux enflammés plûtôt par la lubricité que par la fureur, elle avoit la bouche ouverte pour parler, & la voix expiroit ſur ſes lévres.

Suzon étoit tombée en foibleſſe, ſes yeux tendres ſe fermoient, ſans avoir ni le courage ni la force de me retirer. Je jettois les miens alternativement ſur Toinette & Suzon, ſur l’une avec rage, ſur l’autre avec douleur ; enhardi par l’immobilité où l’étonnement ſembloit retenir Toinette, je voulus en profiter, je pouſſai, Suzon donna alors un ſigne de vie, elle jetta un profond ſoupir, rouvrit les yeux, me ſerra, donna un coup de cul : Suzon goûtoit le ſouverain plaiſir, elle déchargeoit, ſes raviſſemens me faiſoient envie, j’allois les partager : Toinette ſe lança ſur moi au moment que je ſentois les aproches du plaiſir, elle m’arracha des bras de ma chere Suzon. O Dieux ! n’avois-je pas aſſez de force pour me vanger ? le déſeſpoir me l’ôta ſans doute, puiſque je reſtai immobile dans les bras de cette Marâtre jalouſe.

Le Pere Polycarpe, qui n’étoit pas moins curieux que Toinette de ſavoir ce qui venoit de ſe paſſer, accourut dans cet intervalle, & ne demeura pas moins ſurpris qu’elle, à la vûë du ſpectacle qui s’offroit à ſes yeux, ſurtout de Suzon nuë, couché ſur le dos, & qui ſe paſſoit un bras ſur les yeux, en portant la main de l’autre à l’endroit coupable, comme ſi une pareille poſture eût pû dérober ſes charmes aux regards d’un Moine laſcif. Ce fut ſur elle qu’il les porta d’abord : les miens y étoient fixés comme ſur leur centre, & ceux de Toinette l’étoient ſur moi. La ſurpriſe, la rage, la crainte, rien ne m’avoit fait débander, j’avois le Vit décaloté & plus dur que le fer, Toinette le regardoit ; cette vûë obtint ma grace, & me reconcilia avec elle : je ſentois qu’elle m’entraînoit doucement hors de la chambre, j’étois troublé, je ne ſavois ce que je faiſois : nud comme je l’étois, je la ſuivis ſans y penſer, & tout cela ſe fit ſans qu’il ſe fut dit une parole de par ni d’autre.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 104
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 104

Toinette me conduiſit dans ſa chambre : je m’aperçûs, quand nous fûmes entrés, qu’elle fermoit la porte aux verroüils. La crainte me retira alors de mon étourdiſſement, je voulus fuir ; je cherchois quelque refuge qui pût me dérober au reſſentiment de Toinette, n’en trouvant pas, je me jettai ſous le lit : Toinette reconnut le motif de ma frayeur, & tâcha de me raſſurer ; non, Saturnin, me dit-elle, non, mon ami, je ne veux pas te faire de mal. Je ne la croyois pas ſincere, & je ne ſortois pas de ma place : elle vint elle-même pour m’en retirer, je voyois qu’elle tendoit le bras pour m’attraper, je me reculois, mais j’eus beau faire, elle me prit, par où ? par le Vit. Il n’y eût plus moyen de me deffendre, je ſortis au plû-tôt, elle m’attira, car elle n’avoit pas lâché priſe.

La confuſion de paroître in Naturalibus ne m’empêcha point d’être ſurpris de trouver Toinette elle-même toute nuë : elle, qui un moment avant s’étoit offerte à mes yeux, ſinon dans un état décent, du moins avec quelque choſe qui cachoit le néceſſaire. Elle ne me lâchoit pas : le Vit qui reprenoit dans ſa main ce que la crainte lui avoit fait perdre de ſa force & de ſa roideur ; dirai-je mon foible, en la voyant, je ne penſai plus à Suzon : l’objet préſent ſeul m’occupoit, je ne ſavois comment je ſortirois de cette ſcène, mais je bandois toûjours à bon compte, mes craintes étoient ſubornées à la paſſion : Toinette me tenoit toûjours le Vit, & moi je regardois le Con de Toinette. Que fit ma Ribaude ? Elle ſe coucha ſur ſon lit, &, par ce mouvement, m’entraîna ſur elle. Viens donc, petit Coüillon, me dit-elle, en me baiſant, mets-le-moi : là, bon. Je ne me fis pas prier d’avantage, & ne trouvant pas beaucoup de difficulté, je lui enfonçai juſqu’aux gardes. Déja diſpoſé par le prélude que j’avois fait avec Suzon, je ſentis bien-tôt un flux de délices, qui me fit tomber ſans mouvement ſur la lubrique Toinette, qui remuant avec agilité la charniere, reçût les prémices de ma virilité ; c’eſt ainſi que pour mon premier coup d’eſſai, je fis cocu Monſieur mon Pere putatif, mais qu’importe ?

Quelle foule de refléxions pour ces Lecteurs dont le tempérament froid & glacé n’a jamais reſſenti les fureurs de l’amour ! Faites-les, Meſſieurs, ces refléxions, donnés carriere à votre morale, je vous laiſſe le champ libre, & ne veux vous dire qu’un mot ; bandés auſſi fort que je bandois, vous foutriés, qui ? le diable.

J’allois repéter un auſſi charmant exercice, quand nous fûmes interrompus par un bruit ſourd qui partoit de ma chambre. Toinette, qui vit bien de quoi il s’agiſſoit, ſe leva en criant au Pere de finir, elle ſe r’habilla au plû-tôt, me dit de me remettre ſous le lit, & courut pour empêcher que les choſes ne fuſſent pouſſées plus loin.

A peine eût-elle le dos tourné, que je volai au trou : j’aperçûs le Moine qui tenoit dans ſes bras Suzon, qui s’étoit r’habillée, mais dont le cotillon & la chemiſe étoient levés : la jacquete du Moine l’étoit auſſi, & je jugeai que le bruit ne venoit que de l’extrême groſſeur du Membre de ſa Revérence, qui faiſoit ſans doute des efforts inutiles pour le faire entrer dans un endroit qui n’étoit pas fait pour lui. Le débat finit à l’aſpect de Toinette ; elle fondit ſur les combattans, & arrachant Suzon des bras de l’inceſtueux Céleſtin, lui donna, avec deux ou trois ſoufflets, liberté de ſortir. Il ſembloit que l’action vigoureuſe que Toinette venoit de faire, l’eût épuiſée, & qu’il ne lui reſtât plus aſſez de force pour marquer ſon mécontentement au Pere Polycarpe. Elle le regardoit toute eſſouflée : un Moine ne manque guéres d’impudence ; cependant celle du Pere ne tint pas contre la honte d’avoir été ſurpris en flagrant délit, peut-être contre la crainte des reproches, dont il croyoit que Toinette alloit l’accabler, ou plû-tôt contre l’idée d’infamie dont il croyoit qu’un Moine devoit être noté, quand il entreprenoit d’exploiter une fille ſans en venir à bout. Il rougiſſoit, il paliſſoit, & n’oſoit preſque regarder Toinette, qui de ſon côté, paroiſſoit agitée des mêmes mouvemens : moi, de mon trou, je les examinois attentivement, & je m’attendois à être bien-tôt ſpectateur de quelque criſe violente, je le craignois. Que je les connoiſſois peu l’un & l’autre ! Le Moine paroiſſoit confus, mais il ne débandoit : un Moine débande-t’il jamais ? Toinette paroiſſoit furieuſe, mais elle regardoit le Vit du Moine : ſon foible étoit toûjours de ſacrifier toute ſa colere à cette vûë, mon exemple devoit m’avoir preparé à lui voir une pareille indulgence pour le Pere, le raccommodement fut bientôt fait. Le Moine s’aprocha d’elle, & j’entendis qu’il lui diſoit, en lui mettant en main ſon joyeux éguillon, ſi je n’ai pas pû foutre la Fille, du moins je foutrai la Mere. Oh, pour cette inſulte Toinette étoit toûjours diſpoſé à la lui pardonner : elle s’offrit même de bonne grace pour victime, à la fureur amoureuſe du Moine, il la ſaiſit, il l’embraſſa, & tombant l’un ſur l’autre ſur les débris de mon lit, ils ſcellerent reconciliation par une copieuſe decharge, du moins j’ai [lieu] de le juger aux tranſports du Pere, & aux ſerremens de cul de Toinette.

Pendant ce tems-là allés-vous demander que faiſoit ce petit Bougre de Saturnin ? Se contentoit-t’il de regarder comme un ſot par le trou, ſans ſe joindre du moins aux idées, aux careſſes des deux champions ? Belle demande : Saturnin étoit nud, il étoit encore en feu des careſſes que Toinette lui avoit faite : le ſpectacle qu’il avoit devant les yeux, l’échauffoit encore : que vouliés-vous qu’il fit ? Il ſe branloit, il enrageoit de voir le Moine ſur Toinette, ſans en pouvoir tirer ſa part, & le petit Coquin déchargeoit au moment que Madame ſa Mere ſerroit le Cul, & que le Pere ſe pâmoit : vous voila inſtruit ; revenons à nos gens.

Hé bien, dit le Moine, trouve-tu que je faſſe cela auſſi bien que Saturnin ! Que Saturnin, repondit-elle, moi j’ai fait quelque choſe avec Saturnin ! Bon, le petit fripon n’a-t’il pas été ſe cacher ſous le lit où il eſt encore ; mais patience, laiſſés venir Ambroiſe, les étrivieres ne lui manqueront pas : il les aura & de la bonne façon. J’écoutois ce colloque : jugés ſi une pareille promeſſe dût me faire plaiſir. Je redoublai mon attention, & j’entendis le Pere qui repliquoit, là, là, Toinette, ne nous fâchons pas : vous ſavés qu’il ne doit pas toûjours demeurer ici, il eſt aſſez grand à preſent, n’eſt-il pas vrai ? Je pretens l’emmener quand je partirai. Mais, reprit Toinette, vous ne ſongés pas que ſi ce petit coquin-la reſte ici, nous ne pourrons plus rien faire, cela a de la langue, & je me doute preſque qu’il nous a découverts : tenés, juſtement, pourſuivit-elle, en apercevant le trou de la cloiſon ; ah, mon Dieu ! je n’avois pas encore remarqué ce trou : il aura tout vû par là, le petit chien ! Je jugeai qu’elle alloit venir vérifier ſon doute, & vîte je me refourai ſous le lit, d’où je n’eûs garde de ſortir une ſeconde fois, quelqu’envie que j’euſſe d’entendre le reſte d’une converſation qui commençoit à m’interreſſer ſi fort. Je me tins clos & couvert, & j’attendis avec impatience le reſultat de leurs diſcours : je n’attendis pas long-tems.

On vint bien-tôt me tirer de ma priſon, j’entendis ouvrir la porte : je tremblois que ce ne fut Ambroiſe : s’il m’avoit vû là, quelle jolie ſcène pour moi ! C’étoit Toinette qui m’aportoit mes habits, & qui me dit de m’habiller au plû-tôt. Je ne la regardois que de travers après ce que je lui avois oüi dire à mon ſujet : je me hâtai de faire ce qu’elle me diſoit ; mais je bravois ſes menaces. Je remarquai qu’elle achevoit de s’habiller auſſi, & qu’elle ſe mettoit même ſur ſon propre ; j’eus bien-tôt fait de mon côté, elle eût bien-tôt fait du ſien : allons, Saturnin, me dit-elle, venés avec moi ; force me fut de la ſuivre. Où me mena-t’elle ? chez Monſieur le Curé.

J’avoüerai franchement que la vûë du Presbitere me fit trembler : le Paſteur avoit eu pluſieurs fois l’honneur de me viſiter le derriere (choſe que, par parentheſe, il ne haïſſoit pas) & je craignois bien fort que ce ne fut encore pour lui procurer le même divertiſſement, que l’on me menoit chez lui. Je n’oſois pas tout-à-fait laiſſer voir mes craintes à Toinette : ſi je lui fais ſentir que j’ai peur, diſois-je, c’eſt peut-être reveiller le chat qui dort, elle ne manquera pas de ſaiſir l’occaſion ; mais pourquoi m’amene-t’elle donc ici, je n’en ſais trop rien : faiſons de neceſſité vertu, entrons toûjours.

J’entrai, & effectivement j’en fus quitte pour la peur ; car Toinette, en me preſentant au ſaint homme, le pria de vouloir me garder pendant quelques jours chez lui. Cette expreſſion, pendant quelques jours, me raſſura : bon, dis-je en moi-même, & quand ces quelques jours ſeront paſſés, le Pere Polycarpe m’emmenera avec lui. Cette eſpérance me charma, & fit que je me familiariſois plus aiſément avec ma retraite, ſur le motif de laquelle je n’oſois pourtant reflechir ſans me ſentir ſaiſi de douleur. Suzon, chere Suzon je te perdrai donc pour toûjours, m’écriois-je dans un coin de la ſalle où je m’étois d’abord retiré par frayeur, & où je reſtois par goût, parce que je rêvois à mon aiſe ? à quoi ? à Suzon. L’agitation où j’étois depuis quelque heures n’avoit fait que ſuſpendre ce que je ſentois pour elle ; mais quand je fus revenu à moi-même, ſon idée m’occupa tout entier : oüi, je me ſentois déchirer le cœur, quand je penſois que j’allois la perdre : mon imagination ſe repaiſſoit de tous ſes charmes, elle parcouroit toutes les beautés de ſon corps, c’étoit ſes cuiſſes, c’étoit ſes feſſes, c’étoit ſa gorge, ſes petits Tetons blancs & durs que j’avois baiſés tant de fois. Je me rapellois le plaiſir que j’avois eu avec elle, & reflechiſſant ſur celui que j’avois pris avec Toinette, qu’auroit-ce donc été, diſois-je, ſi je l’euſſe goûté ſur Suzon ? Je me ſuis pâmé ſur Toinette, je ſerois mort ſur Suzon ! Ah, je n’aurois pas de regret à la vie ſi je la perdois dans ſes bras ! Mais que ſera-t’elle devenuë ? Expoſée aux fureurs de Toinette, elle va mourir de chagrin ; peut-être pleure-t’elle à preſent, peut-être me maudit-elle, Suzon pleure & j’en ſuis la cauſe, Suzon me maudit, elle jure de me haïr, pourrai-je vivre ſi elle me haït, moi qui l’adore, moi qui ſouffrirois tout au monde pour lui épargner le moindre chagrin. Helas, elle prévoyoit notre malheur, & c’eſt moi qui l’y ai plongée. Telles étoient les penſées qui m’agitoient alors ; elles me plongeoient dans une noire mélancolie, dont je ne ſortis qu’au ſon d’une clochette qui m’avertit qu’on avoit ſervi le ſouper, on vint m’apeller : laiſſons pour un moment Suzon, nous la retrouverons bien toûjours, elle joüe un rolle aſſez important dans ces Mémoires. Allons prendre un repas, & faiſons connoître quelques vûës des originaux, avec qui je le pris. Commençons par le Chef.

Monſieur le Curé étoit une de ces figures qu’on ne ſauroit regarder ſans avoir envie de rire, haut de quatre pieds, le viſage large d’un demi, & enluminé d’un rouge foncé qui ne lui venoit pas de boire de l’eau, un nez épaté ſurmonté de rubis, de petits yeux noirs & vifs, ombragés d’épais ſourcils, un front petit, le poil friſé comme un barbet, joignés-y un air goguenard & malin ; voila Monſieur le Curé. Avec cela le coquin avoit de bonnes fortunes, plus d’une m’en auroit encore dit des nouvelles dans le Village : il cultivoit volontiers la vigne du Seigneur : il faiſoit le petit Céleſtin : ces petits magots-la ſont d’ordinaire de vigoureux ſires à ce jeu, & notre Curé ne manquoit pas, je crois, de ces talens, qui valent mieux qu’une belle figure quand il eſt permis de les faire valoir.

Paſſons au ſecond cartouche du tableau Céleſtin de la maiſon de Monſieur le Curé, & diſons un mot de ſa reſpectable Gouvernante.

Madame Françoiſe étoit une vieille ſorciere plus maline qu’un vieux ſinge, plus méchante qu’un vieux diable : ôtés cela c’étoit la bonté même, ſon viſage portoit bien cinquante bonnes années, la coquetterie eſt de tous pays & de toutes conditions, la vieille ne s’en donnoit pas trente-cinq ; mais malgré ſes diſcours, elle étoit très-canonique, & ſi canonique, que depuis une quinzaine d’années qu’elle étoit au ſervice de Monſieur le Curé, elle l’avoit garanti des retraites incommodes qu’il avoit coutume de faire au Seminaire au moins deux ou trois fois chaque luſtre : diſgraces qui avoient dégoûté le Patron de la jeuneſſe, & quoique la Dame Françoiſe eut les yeux bordés de rouge, le nez barboüillé de tabac, la bouche fenduë juſqu’aux oreilles, & qu’elle n’eût plus dans cette bouche que quelques dens mal aſſurées, Monſieur le Curé, par reconnoiſſance pour ſes ſervices paſſés, ne dementoit en rien ſon eſtime, & qui plus eſt, ſes careſſes pour elle. Madame Françoiſe étoit la Surintendante de la maiſon, tout paſſoit par ſes mains, juſqu’à l’argent des Penſionnaires, qui n’en ſortoit gueres. Elle ne parloit jamais de Monſieur le Curé qu’en nom collectif : aportoit-on de quoi dire une Meſſe, nous vous la dirons : donnoit-on quelque choſe de moins, nous ne pouvons pas vous en dire pour ce prix-la : hé, Madame Françoiſe (Madame gros comme le bras, elle ſe ſeroit offenſée qu’on n’eût pas mis cette honorable qualité à la tête de ſon nom) hé, Madame Françoiſe, je n’ai pas davantage : néant, comment donc, vous croyés aparamment qu’on nous donne cela à nous, il nous faut du vin, il nous faut des cierges, & notre peine, la comptés-vous pour rien.

A l’ombre de l’union qui regnoit entre Madame Françoiſe & Monſieur le Curé, croiſſoit une fille, ſoit diſante niéce du Paſteur, mais qui lui appartenoit de plus près que par la qualité de niéce. C’étoit une groſſe jouffluë, un peu piquotée de petite verole, mais fort blanche, & une gorge adorable : un nez tirant ſur celui de Monſieur le Curé, aux rubis près, qu’elle n’avoit pas encore, mais beaucoup de diſpoſition à en avoir un jour : des yeux petits, mais ardens : il n’auroit tenu qu’à elle de paſſer pour rouſſe, ſi elle n’avoit pas oüi dire que c’étoit une couleur proſcrite, & que le blond étoit plus ſéant pour les belles : comme elle croyoit l’être, elle en prenoit les attributs. Ce n’eſt pas que le blond ou le roux euſſent fort inquiété certain grand coquin d’Ecolier de Philoſophie, qui venoit de tems en tems paſſer huit ou dix jours au Presbitere, & qui y venoit moins par amitié pour Monſieur le Curé, que pour ſa charmante niéce, que le maraud ſerroit de près, & de ſi près que… mais il n’eſt pas encore tems de raconter ce qui m’arriva à ſon ſujet.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 117
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 117

Mademoiſelle Nicole (c’étoit le nom de cette aimable perſonne) telle que je viens de vous la preſenter, étoit l’objet des tendres vœux de tous les Penſionnaires : les externes vouloient auſſi s’en mêler, les grands étoient aſſez bien reçus, les petits fort mal. Je n’étois pas des plus grands, par malheur pour moi : ce n’eſt pas que je n’euſſe pluſieurs fois tenté de pouſſer ma pointe auprès de cette aimable pouponne ; mais mon âge parloit encore contre moi : on avoit toûjours eu la cruauté de refuſer de m’admettre à la preuve que j’offrois de donner, que je n’étois jeune que par la figure, & pour achever de me déſeſpérer, on ne manquoit pas de confier mes entrepriſes amoureuſes à la Dame Françoiſe, la Dame Françoiſe les confioit à Monſieur le Curé, & Monſieur le Curé ne me ménageoit pas. J’enrageois d’être petit, car je voyois bien que c’étoit là la cauſe de tous mes malheurs.

La difficulté de réüſſir auprès de Nicole, m’avoit dégoûté : des rebus de la part de la Niéce, les étrivieres de la part du Curé, il n’y avoit pas moyen d’y tenir. Tout cela n’avoit pourtant pas éteint mes deſirs, ils n’étoient que cachés, la préſence de Nicole les ralluma. Il ne manquoit plus qu’une occaſion qui leur donnât la liberté d’éclater : elle ne tarda pas à venir : mais l’ordre des faits exige que cette avanture n’aille qu’à ſon tour, & ſon tour n’eſt pas encore venu, c’eſt celui de Madame Dinville.

Je n’avois pas oublié que cette Dame m’avoit fait promettre d’aller dîner avec elle le lendemain. Je me couchai dans la reſolution de lui tenir parole, & on juge bien que le jour ne changea rien à cette reſolution. Si on me demandoit ſi véritablement c’étoit pour Madame Dinville, que je voulois aller au Château ? A cela je ne ſaurois trop que repondre, en genéral, je dirois que c’étoit l’idée du plaiſir qui m’y conduiſoit, mais que je ſentois que ſi ce plaiſir m’étoit préſenté par Suzon, il me ſeroit bien plus ſenſible, que ſi je le recevois de Madame Dinville. L’eſpérance d’y trouver ma chere Suzon, n’étoit pas ſans vraiſemblance, & voici comme je raiſonnois. Pourquoi m’a-t’on mis chez Monſieur le Curé, c’eſt, ſans doute, parce que le Pere Polycarpe s’eſt douté que Toinette m’a donné une leçon qui n’eſt pas de ſon goût, & c’eſt dans la crainte que je ne m’accoûtumaſſe trop aiſément à ces leçons, qu’il a jugé à propos de me placer ici. Toinette a bien vû autre choſe de la part du Pere : elle a donc pour le Moine autant de raiſon d’éloigner Suzon du Moine, que le Moine en a eu de m’éloigner de Toinette. Si je trouve Suzon au Château, il y a de petits bois dans le jardin, je l’engagerai à y venir ; la petite friponne eſt amoureuſe, elle y viendra, je la tiendrai à l’écart, nous ſerons ſeuls, nous n’aurons rien à craindre : Ah, que de plaiſirs je vais goûter ! Ces agréables idées me conduiſirent juſqu’à la porte du Château : j’entrai.

Tout étoit dans un calme profond chez Madame Dinville, je ne trouvai perſonne ſur mon paſſage : ce qui me donna la liberté de traverſer une longue file d’apartemens. Je n’entrois dans aucun ſans ſentir mon cœur agité par l’eſpérance de voir Suzon & la crainte de ne la pas trouver. Elle ſera dans celui-ci, diſois-je, ah je vais la voir : perſonne ; dans une autre de même. J’arrivai ainſi juſqu’à une chambre dont je trouvai la porte fermée, mais la clef y étoit. Je n’étois pas venu ſi loin pour reculer : j’ouvris. Ma hardieſſe fut un peu déconcertée à la vûë d’un lit, où je jugeai qu’il devoit y avoir quelqu’un couché. J’allois me retirer quand j’entendis une voix de femme demander qui c’étoit, & en même tems je reconnus Madame Dinville, qui ouvroit les rideaux & avançoit la tête. J’allois me retirer, ſi la vûë de ſa gorge ne m’en eût ôté le pouvoir en me rendant immobile. Hé, c’eſt mon ami Saturnin, s’écria-t’elle, viens donc m’embraſſer, mon cher enfant : auſſi hardi après ces paroles, que j’étois timide avant qu’elle eut ouvert la bouche, je courus ſans façon me jetter dans ſes bras. J’aime, me dit-elle, d’un air de ſatisfaction, quand je me fus aquité d’un devoir où le cœur avoit eu plus de part que la politeſſe, j’aime qu’un jeune homme ſe pique d’obéir ponctuellement… A peine eût-elle achevé ces mots, que je vis ſortir d’un cabinet de toilette, une petite figure minaudiere, qui parut en écorchant d’un ton de fauſſet, l’air d’une chanſon nouvelle alors, dont il marquoit la cadence par des piroüettes qui repondoient à merveille aux bizarres accens de ſa voix.

A la bruſque aparition de cet Amphion moderne, à qui j’entendis donner le nom d’Abbé, je rougis pour Madame Dinville, des marques indiſcretes de bienveillance qu’elle venoit de me donner, & pour mon propre compte, du motif de celles dont j’avois payé les ſiennes ; mais je me vangeai bientôt du trouble qu’il venoit de me cauſer, par le jugement que je portai ſur lui ; la ſituation où l’on ſe trouve influë ordinairement ſur la façon de penſer des choſes que l’on voit. Je ne doutai pas que mon arrivée imprévûë n’eût dérangé une partie qui ne ſouffre de tiers qu’à titre d’importun : pouvois-je effectivement penſer qu’un homme pût ſe trouver ſeul avec une femme ſans y faire ce que je ſentois que j’aurois fait moi-même ?

Dans la crainte qu’il n’eût pénétré le ſujet de ma viſite, à peine oſois-je jetter les yeux ſur lui : ſi la curioſité me les faiſoit quelquefois lever, la crainte de rencontrer ſur ſon viſage quelque ſourire malin, me les faiſoit baiſſer ſur le champ : je n’y trouvai pourtant pas ce que j’apréhendois ſi fort d’y apercevoir, & perdant l’habitude de le regarder comme un témoin redoutable, mes yeux s’accoûtumerent inſenſiblement à ne plus voir en lui qu’un importun, qui par ſa preſence alloit gêner les plaiſirs dont mon imagination avoit fait un portrait ſi riant à mon cœur.

Je l’examinois avec attention, & reflechiſſant ſur le nom d’Abbé, que je venois de lui entendre donner, je cherchois dans toute ſa petite perſonne quelques marques juſtificatives de cette qualité qui me paroiſſoit fort mal placée. Je n’avois ſur le mot d’Abbé, que des idées extrêmement bornées. Je m’imaginois que tous les Abbés du monde devoient être faits comme Monſieur le Curé ou Monſieur le Vicaire, & j’avois peine à concilier l’air bon-homme que je leur connoiſſois, avec les pétulantes extravagances de celui que j’avois devant les yeux.

Ce petit Adonis, nommé l’Abbé Fillot, étoit le fils du Receveur des Tailles de la Ville voiſine, homme fort riche, Dieu ſait aux depens de qui. Il revenoit de Paris, comme la plûpart des ſots de ſa trempe, plus chargé de fatuité que de doctrine, & il avoit accompagné Madame Dinville à ſa campagne, pour lui faire paſſer le tems plus agréablement. Ecolier, Abbé, tout étoit bon pour elle.

La Dame ſonna : on vint ; c’étoit Suzon. Mon cœur treſſaillit à ſa vûë : j’étois charmé que mes conjectures ſe trouvaſſent auſſi heureuſement. Elle ne m’aperçût pas d’abord, parce que j’étois caché par les rideaux du lit ſur lequel Madame Dinville m’avoit fait aſſeoir : ſituation, que, par parentheſe, Monſieur l’Abbé commençoit à ne pas trouver à ſon gré. Il avoit peine à ſouffrir la petite liberté que Madame Dinville me donnoit, & je voyois qu’il taxoit de mauvais goût la complaiſance qu’elle me témoignoit.

Suzon s’avança : elle me vit dans le moment, ſes belles jouës s’animerent des plus vives couleurs, elle baiſſa les yeux : l’agitation lui coupa la parole : j’étois dans un état peu différent du ſien, excepté qu’elle baiſſoit les yeux, & que les miens étoient fixés ſur elle. Les charmes de Madame Dinville, dont elle ne me ménageoit pas la vûë, ſa gorge, ſes Tetons & les autres beautés de ſon corps, dont un drap jaloux deroboit, à la vérité, le ſpectacle à mes yeux, mais n’en rendoit la peinture que plus vive à mon imagination. Tout cela avoit fait dans mon cœur des impreſſions qui tournerent en l’inſtant au profit de Suzon ; mais la reflexion corrigea bien-tôt un ſentiment trop précipité, & me ramena, non pas tout d’un coup, à mon caractere dominant.

Si j’euſſe eu le choix de Suzon ou de Madame Dinville, je n’aurois pas balancé : Suzon avoit la pomme, mais on ne me preſentoit pas l’alternative ; la poſſeſſion de Suzon n’étoit pour moi qu’une eſperance fort incertaine, & la joüiſſance de Md. Dinville étoit preſque une certitude ; ſes regards m’en aſſurerent, ſes diſcours, quoique gênés par la preſence du petit Abbé, ne détruiſoient pas l’eſpoir que ſes yeux me laiſſoient concevoir. Suzon, après avoir été chargée d’avertir une femme de chambre, ſortit, & ſon depart commença à reſtituer à Madame Dinville, des deſirs qui lui apartenoient, puiſqu’ils étoient ſon ouvrage.

Je reſtai cependant ſi troublé, les mouvemens de mon cœur combatus & détruits alternativement par deux cauſes qui l’intereſſoient également, l’une par l’idée du plaiſir, l’autre par celle du plaiſir accompagné de quelque choſe de plus touchant, étoient dans une ſi grande confuſion que je ne m’aperçus pas de la diſparution de l’Abbé. Madame Dinville l’avoit bien vû ſortir, mais, s’imaginant que je l’avois vû auſſi, elle ne croyoit pas qu’il fût beſoin de m’en faire ſouvenir. Elle ſe panche ſur ſon couſſin, & me regardant avec une douce langueur qui me diſoit inutilement qu’il ne tenoit qu’à moi de devenir heureux : elle me prenoit tendrement la main, qu’elle me preſſoit dans la ſienne, en la laiſſant de tems en tems tomber d’un air indifferent ſur ſes cuiſſes, qu’elle ſerroit & deſſerroit avec un mouvement laſcif. Ses regards accuſoient ma timidité, & ſembloient me reprocher que je n’étois plus le même que la veille. Toûjours préoccupé de la penſée que l’Abbé nous examinoit, je reſtois dans une defiance niaiſe qui l’impatienta. Tu dors, Saturnin, me dit-elle ? Un galant de profeſſion auroit profité de l’occaſion pour debiter une tirade d’impertinences : je ne l’étois pas, je n’en dis qu’une ; non, Madame je ne dors pas. Quoique cette reponſe innocente diminuât de beaucoup l’idée que mon effronterie de la veille avoit pû lui donner de mon ſavoir, elle ne fit pas de tort à ſa bonne volonté pour moi, elle fit un effet tout contraire, elle me donna un nouveau merite à ſes yeux, me fit regarder comme un novice. Morceau délicat pour une femme galante, dont l’imagination eſt voluptueuſement flatée par l’idée d’un plaiſir d’autant plus vif, que celui qui le lui donne n’en connoît pas tout le prix, & l’éguiſe lui-même par des raviſſemens qu’il n’a jamais éprouvés, par des tranſports qui augmentent la vivacité de ceux qu’elle reſſent : c’eſt ainſi que penſoit Md. Dinville, & n’eſt-ce pas ainſi que penſent toutes les femmes. Mon indifference fit connoître à la Dame que ſa façon d’attaquer ne faiſoit que gliſſer ſur moi, & qu’il falloit quelque choſe de plus frapant pour m’émouvoir. Elle me lâcha la main, & étendant les bras avec un bâillement étudié, elle m’étala une partie de ſes charmes : ſon action retira mes eſprits de l’engourdiſſement où ils étoient depuis la ſortie de Suzon. Je me reveillai, la vivacité reparut ſur mon viſage, l’idée de Suzon ſe diſſipa, mes yeux, mes regards, mon impatience, tout fut dans l’inſtant pour Madame Dinville : elle s’aperçut de l’effet de ſa ruſe, & pour mener mes deſirs par degrés, & m’encourager inſenſiblement à perdre ma timidité, elle me demanda, en jettant les yeux de côtés & d’autres, ce qu’étoit devenu l’Abbé : j’eus beau regarder, je ne le voyois pas ; je ſentis ma ſottiſe : il eſt ſorti, reprit-elle, & affectant de jetter un peu ſon drap en ſe plaignant de la chaleur, elle me decouvrit une cuiſſe extrêmement blanche, ſur le haut de laquelle un bout de chemiſe paroiſſoit mis exprès pour empêcher mes regards d’aller plus loin, & plûtôt à deſſein d’exciter que de contenter ma curioſité : malgré l’obſtacle qu’elle opoſoit, j’entrevis quelque choſe de vermeil qui me mit dans un trouble dont ſes yeux intereſſés reconnurent bien-tôt le motif ; elle recouvrit adroitement un endroit dont la vûë avoit fait tout l’effet qu’elle en eſperoit. Je lui pris d’un air timide une main qu’elle m’abandonna ſans reſiſtance, je la baiſai avec tranſport, mes yeux, que je fixai ſur elle, étoient enflammés, les ſiens étoient brillans & animés : les choſes ſe diſpoſoient à merveilles ; mais il étoit écrit que les plus belles occaſions s’offriroient ſans que je puſſe en profiter. Cette maudite femme de chambre que l’on avoit dit à Suzon d’avertir, arriva dans le tems qu’on n’avoit guéres beſoin d’elle : je lâchai promptement la main que je tenois, la Soubrete entra en riant comme une folle, elle ſe tint un moment à la porte, pour ſe dédommager, par l’abondance de ſes éclats, de la gêne que la preſence de ſa Maîtreſſe alloit leur faire. Qu’avés-vous donc, extravagante, lui dit Madame Dinville, d’un air ſec ? Ah, Madame, repondit-elle, Monſieur l’Abbé… Hé bien, qu’a-t’il fait, reprit ſa Maîtreſſe ? Dans le moment rentra l’Abbé en ſe cachant le viſage avec ſon mouchoir, les ris de la ſuivante augmenterent à ſa vûë : qu’avés-vous donc, lui demanda Madame Dinville : vous voyés, repondit-il, en nous découvrant un viſage qui paroiſſoit ſortir d’un violent aſſaut, voila l’ouvrage de Mademoiſelle Suzon : de Suzon, reprit Madame Dinville, en éclatant à ſon tour ! Voila ce que coûte un baiſer, pourſuivit-il froidement, ce n’eſt pas l’acheter trop cher, comme vous voyés. Je ne pûs m’empêcher de rire comme les autres, de l’air aiſé dont l’Abbé nous parloit de ſon malheur. Il ſoutint ſur le même ton les railleries que Madame Dinville ne lui ménageoit pas. Elle s’habilla : l’Abbé, malgré le mauvais état de ſon viſage, fit le coquet à la toilette, dit des impertinences, controlla la coëffure, fit des contes à Madame Dinville, qui rioit de ſes balivernes, la ſuivante peſtoit contre ſes corrections, & moi je riois de la figure du petit homme : allons dîner.

Nous étions quatre à table, Madame Dinville, Suzon, l’Abbé & moi. Qui fit une ſotte figure, ce fut moi quand je me vis placé vis-a-vis de Suzon : l’Abbé qui étoit à côté d’elle, faiſoit bonne mine à mauvais jeu, & paroiſſoit bien embaraſſé à perſuader à Madame Dinville, que les traits railleurs dont elle l’accabloit n’étoient pas capables de le déconcerter. Suzon n’étoit gueres moins confuſe ; cependant je croyois voir dans ſes regards furtifs, qu’elle n’auroit pas été fâchée que nous euſſions été ſeuls. Sa vûë m’avoit encore rendu infidelle à Madame Dinville, & je ſouhaitois avec impatience que nous fuſſions ſortis de table, dans l’eſperance de trouver quelque moyen de nous dérober. Le dîner fini, je fis ſigne à Suzon : elle m’entendit, elle ſortit ; j’allois la ſuivre, Madame Dinville m’arrêta, en me diſant qu’elle vouloit que je lui ſerviſſe d’Ecuyer à la promenade : ſe promener à quatre heure après midi dans l’été ! La propoſition parut extravagante à l’Abbé, mais ce n’étoit pas pour avoir ſon approbation qu’elle la faiſoit : elle avoit ſes vûës ; elle ſavoit qu’il étoit trop amoureux de ſon tein, pour l’expoſer avec auſſi peu de menagement à l’ardeur du Soleil, auſſi prit-il le ſage parti de reſter. J’aurois bien voulu me diſpenſer de ſuivre la Dame pour aller rejoindre Suzon ; mais je n’oſois propoſer un pretexte, & je ſacrifiai mon envie à [la] déference dont je crus devoir payer l’honneur qu’on vouloit bien me faire.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 130
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 130

Suivis des yeux par l’Abbé, dont les éclats de rire extravagans prevenoient notre retour, & ſe vangeoient par avance de ceux que nous ne lui avions pas menagés, nous marchions avec une gravité concertée, au milieu des parterres ſur leſquels le Soleil dardoit ſes rayons les plus ardens : Madame Dinville ne leur opoſoit qu’un ſimple évantail & moi l’habitude. Nous fimes pluſieurs tours avec une indifference qui deſeſperoit notre railleur. Je ne penétrois pas encore le deſſein de la Dame, & je ne concevois pas qu’elle pût reſiſter à une chaleur que je commençois à trouver moi-même inſuportable. J’allois m’impatienter de la qualité d’Ecuyer, & j’y aurois volontiers renoncé ; mais je ne connoiſſois pas encore toutes les fonctions de cet emploi, & on m’en reſervoit une qui devoit me conſoler de l’ennui de la premiere.

Notre opiniâtreté avoit forcé l’Abbé de ſe retirer, nous étions au bout d’une allée, Madame Dinville ſe lança dans un petit boſquet dont l’agréable fraîcheur ne nous promettoit plus qu’une promenade charmante, ſi nous la continuyons dans cet aimable endroit : je le lui dis, je n’y ſuis pas venuë pour en ſortir ſi-tôt, me repondit-elle, en jettant ſur moi des yeux qui cherchoient à penétrer dans les miens ſi je n’étois pas au fait du motif de ſa promenade : elle n’y trouva rien ; je ne m’attendois pas au bonheur qui m’étoit preparé. Elle me tenoit le bras qu’elle ſerroit affectueuſement, & comme une perſonne extrêmement fatiguée, elle penchoit la tête ſur mon épaule, & aprochoit ſon viſage ſi près du mien que j’aurois été un ſot, ſi je n’y euſſe pas pris un baiſer qui ſe preſentoit de lui-même. On me laiſſa faire, je réïterai, même facilité : j’ouvris les yeux ; oh pour le coup, dis-je en moi-même, ſi elle le veut, c’eſt une affaire faite, nous n’aurons pas ici d’importuns : il ſembloit qu’elle eût penétré ma penſée, car nous étant engagés dans un labirinthe dont les detours & l’obſcurité nous déroboient aux yeux les plus clair-voyans, elle me dit qu’elle vouloit profiter de la fraîcheur du gazon elle s’aſſit à l’abri d’une charmille qui entouroit un petit quarré où nous étions, rendoit l’endroit délicieux pour l’uſage auquel elle le deſtinoit. J’en fis autant, & je me mis à côté d’elle ; elle me regarda, me ſerra la main, & ſe coucha : je crus que l’heure du Berger alloit ſonner, & déja je preparois l’éguille, quand tout-à-coup elle s’endormit. Je crus d’abord que ce n’étoit qu’un aſſoupiſſement leger cauſé par la chaleur, & qu’il me ſeroit facile de diſſiper ; mais voyant qu’il augmentoit, j’eus la ſimplicité de me déſeſperer d’un ſommeil dont la promptitude & la force devoient m’être ſuſpectes. Encore, diſois-je, ſi c’étoit après avoir ſatisfait mes deſirs, je lui pardonnerois : mais avoir la cruauté de s’endormir au moment qu’elle me donne les plus belles eſpérances ! Je ne pouvois m’en conſoler : je l’examinois avec douleur, elle étoit dans le même habillement que la veille, elle n’avoit rien ſur la gorge, mais elle y avoit ſuppléé d’une façon qui en rendoit l’impreſſion plus piquante, elle y avoit mis ſon évantail qui ſuivoit les mouvemens du ſein & ſe ſoulevoit aſſez pour m’en laiſſer entrevoir la blancheur & la régularité.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 133
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 133

Preſſé par mes deſirs, je me ſentois des envies de la reveiller, qui étoient ſur le champ détruites par la crainte de l’indiſpoſer, & de faire évanoüir, par mon impatience, un reſte d’eſpoir dont ſon reveil me flattoit encore. Je cedai cependant à la demangeaiſon de porter la main ſur ſa gorge, Elle dort d’un ſommeil trop profond pour ſe reveiller, diſois-Je, & quand elle ſe reveilleroit, mettons les choſes au pis, elle me grondera, voila tout : je l’ai bien fait hier, elle ne l’a pas trouvé mauvais, le trouvera-t’elle aujourd’hui, eſſayons : je portai une main tremblante ſur un Teton, tandis que je jettois les yeux ſur le viſage, prêt à finir au moindre ſigne qu’elle feroit : elle n’en fit pas, je continuai : à peine ma main oſoit-elle s’apeſantir, elle ne faiſoit, pour ainſi dire, que friſer la ſuperficie comme une hirondelle qui raze l’eau, en y trempant de tems en tems ſes ailes. Bien-tôt j’ôtai l’évantail, & bien-tôt je pris un baiſer : rien ne la reveilloit. Devenu plus hardi, je changeai de poſture, & mes yeux animés par la vûë des Tetons, à faire de nouvelles découvertes, voulurent deſcendre plus bas : je mis la tête au pieds de la Dame, & colant mon viſage contre terre, je cherchois à penétrer dans l’obſcur païs de l’amour, & je ne voyois rien : ſes jambes étoient croiſées, & la cuiſſe droite ſe trouvant collée ſur la gauche, mettoit mes regards en deffaut : je voulus du moins me dédomager, en touchant de l’impoſſibilité de voir. Je coulai la main ſur la cuiſſe, & j’avançai inſenſiblement juſqu’au pied de la montagne : déja je touchois du bout du doigt l’entrée de la grotte, je croyois n’en pas ſouhaiter davantage, je croyois y borner tous mes deſirs : parvenu à ce point, je ne m’en trouvai que plus malheureux : j’aurois voulu que mes yeux participaſſent au plaiſir de ma main : je la retirai, & je retournai à ma premiere place pour y examiner de nouveau le viſage de ma dormeuſe : je n’y trouvai aucune altération, il ſembloit que le ſommeil eut verſé ſur elle ſes pavots les plus aſſoupiſſans ; j’entrevoyois cependant un œil dont le clignotement m’inquiettoit. Je l’examinois avec défiance, & ſi dans l’inſtant il ne ſe fut fermé tout-à-fait, peut-être me ſerois-je contenté de ce que j’avois fait, & aurois-je attendu le reveil pour en faire davantage ; mais l’immobilité de cet œil ſuſpect me rendit la confiance. Je retournai à mon poſte inférieur, & devenu plus entreprenant par l’eſperance de l’impunité, je commençois à lever le jupon le plus doucement qu’il m’étoit poſſible : elle fit un mouvement, je la crus reveillée, je me retirai avec précipitation, & le cœur frapé d’un ſentiment de frayeur tel que peut l’avoir un homme qui voit un précipice dont le hazard vient de le ſauver. Je me remis en tremblant à ma place ſans oſer la regarder ; mais je ne reſtai pas long-tems dans cette contrainte, mes yeux retournerent ſur elle, je reconnus avec plaiſir que le mouvement qu’elle avoit fait ne venoit pas de ſon reveil, & je crus n’avoir à remercier que la fortune de l’heureuſe ſituation dans laquelle elle venoit de la mettre, ſes jambes s’étoient décroiſées ; elle avoit le genoüil droit élevé, & le jupon tombé par ce moyen ſur ſon ventre, expoſoit à mes yeux & ſes cuiſſes & ſes jambes & ſa motte & ſon Con : je m’enyvrai de ce charmant ſpectacle : un bas proprement tiré, noüé ſur le genoüil avec un jarretiere feu & argent, une jambe faite au tour, un petit pied mignon, une mule la plus jolie du monde, des cuiſſes, ah ! des cuiſſes, dont la blancheur ébloüiſſoit, rondes, douces, ferme : un Con d’un rouge de Carmin, entouré d’une haye de petits poils plus noirs que le jaye, & d’où ſortoit une odeur plus douce que celle des parfums les plus délicieux ; j’y mis le doigt, je le chatoüillai un peu (le mouvement qu’elle avoit fait, avoit extrêmement écarté ſes jambes) j’y portai auſſi-tôt la bouche en tâchant d’y enfoncer la langue : je bandois d’une force, ah les comparaiſons l’exprimeroient foiblement : rien ne pût alors m’arrêter, reflexion, crainte, reſpect, tout diſparut, mon cœur étoit devenu la proye des deſirs les plus violens & les plus impetueux ; j’aurois foutu la Sultane Favorite en preſence de mille Eunuques, le cimeterre nud, & prêts à laver mes plaiſirs dans mon ſang. Je m’étendis ſur Madame Dinville, je l’enconnai, avec la précaution pourtant de ne pas m’apuyer ſur elle, de peur que la peſanteur de mon corps ne la reveillât, apuyé ſur mes deux mains, je ne la touchois qu’avec mon Vit, je ne la pouſſois qu’avec un mouvement doux & reglé, qui me faiſoit avaler à longs traits le plaiſir ; je n’en prenois que la fleur.

Les yeux fixés ſur ceux de ma Dormeuſe, je collois de tems en tems ma bouche ſur la ſienne, la précaution que j’avois priſe de m’apuyer ſur mes mains ne tint pas contre le raviſſement où je me trouvai bien-tôt ; plus d’attentions, je me laiſſai tomber ſur la Dame, il ne fut plus en mon pouvoir de faire autre choſe que la ſerrer & la baiſer avec fureur. La fin du plaiſir me rendit l’uſage de mes yeux, que le commencement m’avoit ôté, elle me rendit le ſentiment que j’avois perdu : je ne le recouvrai que pour voir des tranſports de Madame Dinville que je n’étois plus en état de partager. Ma Dormeuſe venoit de croiſer les mains ſur mes feſſes, & élevant le derriere qu’elle remuoit avec une vivacité prodigieuſe, elle m’attiroit ſur elle de toute ſa force ; j’étois immobile, & je lui baiſois encore la bouche avec un reſte de feu, que le ſien commençoit à rallumer. Cher ami, me dit-elle à demi voix, pouſſe encore un peu, ah, ne me laiſſe pas en chemin ! Je me remis à travailler ſur de nouveaux frais, plein d’une ardeur qui ne s’éteignit pas ſi-tôt que la ſienne ; car à peine eus-je donné cinq ou ſix coups, qu’elle perdit connoiſſance. Cette vûë ne fit que m’animer davantage, je doublai le pas, je l’atteignis, je tombai ſans mouvement dans ſes bras, & nous confondîmes nos plaiſirs dans nos embraſſemens mutuels.

Quand l’évanouiſſement du plaiſir nous eut avertis qu’il étoit tems de changer de poſture, je me retirai, & j’avoüe que je ne le fis pas ſans confuſion : je baiſſois la vûë, la Dame avoit les yeux tournés ſur moi, & m’examinoit. J’étois ſur mon ſéant, elle me paſſa une main ſur le col, me fit recoucher ſur l’herbe, & porta l’autre main à mon Vit ; elle ſe mit à me le chatoüiller, à me baiſer : que veux-tu donc faire, grand innocent, me dit-elle, as-tu peur de me montrer un Vit dont tu ſai ſi bien te ſervir ? Te cachai-je quelque choſe, moi ? Tien, vois mes Tetons, baiſe-les, mets cette main-là dans mon ſein : bon, & celle-ci, porte-la à mon Con, à merveilles : ah, fripon, que tu me fais de plaiſir !

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 139
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 139

Animé par la vivacité de ſes careſſes, j’y repondois avec la même ardeur, mon doigt s’aquittoit à merveille de ſa fonction, elle rouloit des yeux paſſionnés en m’embraſſant & en me pouſſant de profonds ſoupirs dans la bouche : elle tenoit ma Cuiſſe droite paſſée dans les ſiennes, & elle la ſerroit avec des redoublemens de ſoupirs, qu’elle termina en ſe laiſſant tomber ſur moi, & en me couvrant des preuves parlantes du plaiſir que je venois de lui donner.

Mon Vit avoit repris toute ſa roideur, mes deſirs renaiſſoient avec une nouvelle vivacité. Je me mis à mon tour à l’embraſſer, à la ſerrer dans mes bras, elle ne me repondoit que par des baiſers, j’avois toûjours le doigt dans ſon Con. Je lui écartai les jambes en regardant ce charmant endroit avec complaiſance : ces aproches du plaiſir ſont plus piquantes que le plaiſir même ; eſt-il poſſible d’imaginer quelque choſe de plus delicieux que de manier, que de conſiderer une femme qui ſe prête à toutes les poſtures que votre lubricité peut inventer, on ſe perd, on s’abîme, on s’anéantit dans l’examen d’un joli Con, on voudroit n’être qu’un Vit pour pouvoir s’y engloutir. Pourquoi n’a-t’on pas la prudence de s’en tenir à ce charmant badinage ? L’homme inſatiable dans ſes deſirs, en forme de nouveaux dans le ſein des plaiſirs mêmes ; plus les plaiſirs qu’il goûte ſont vifs, plus les deſirs qu’ils font naître ſont violens : decouvrés une partie de votre gorge à votre Amant, il veut la voir toute entiere : montrés-lui un petit Teton blanc & dur, il veut le toucher ; c’eſt un hydropique dont la ſoif s’accroît en buvant : laiſſés-lui toucher, il voudra le baiſer : laiſſés-lui porter la main plus bas, il y voudra porter le Vit, ſon eſprit ingénieux à lui forger de nouvelles chimeres, ne lui laiſſera pas de repos qu’il ne vous l’ait mis : s’il vous le met, qu’arrive-t’il ? Semblable au chien de la Fable, il lâche l’os pour prendre l’ombre, il perd tout en voulant tout avoir. Tout cela eſt excellent ; mais après tout, il en faut toûjours revenir au proverbe, Vit bandant n’a point d’arrêt, & moi-même, qui prêche ici comme un Docteur : hélas, ſi le Ciel l’avoit voulu, je ſerois le premier à faire le contraire de ce que je dis, s’il ſe preſentoit une femme dans l’attitude où j’avois miſe Madame Dinville, les jambes écartées, me montrant un Con rouge & vermeil, où il ne tiendroit qu’à moi de me plonger dans une ſource de plaiſirs, m’amuſerois-je à lanterner, à baiſoter, à chatoüiller, à la foutaiſe enfin, non parbleu, je la foutrois ſonica. Jugés ſi je fus long-tems à coniller autour de ma Fouteuſe, je l’enconnai vigoureuſement. Elle vive & infatigable m’embraſſa en repondant avec un mouvement égal aux coups que je lui donnois : j’avois les mains croiſées ſous ſes feſſes, elle avoit les ſiennes croiſées ſur les miennes, je la ſerrois avec tranſport, elle me ſerroit de même, nos bouches étoient collées l’une ſur l’autre, elles étoient deux Cons, nos langues ſe foutoient, nos ſoupirs pouſſés & confondus l’un dans l’autre, nous cauſoient une douce langueur qui fut bien-tôt couronnée par une extaſe qui nous enleva, qui nous anéantit.

On a grande raiſon de dire que la vigueur eſt un preſent du Ciel. Liberal envers ſes fideles, ſerviteurs il conſent que leurs rejettons participent à cette liberalité, & que la force genérale ſoit héreditaire & paſſe des Moines à leurs enfans ; c’eſt le ſeul patrimoine qu’ils leurs laiſſent. Hélas, que je l’ai promptement diſſipé ce patrimoine ! Mais n’anticipons pas ſur les évenemens, retarder le recit de ſon malheur, c’eſt en adoucir le ſentiment.

Toute l’étenduë du don du Ciel m’étoit neceſſaire pour ſortir à mon honneur de l’avanture où j’étois engagé. Si j’avois affaire à forte partie, je pouvois, ſans vanité, m’apliquer les paroles du Cid.

Je ſuis jeune, il eſt vrai ; mais aux ames bien nées,
La valeur n’attend pas le nombre des années.

J’en avois juſqu’alors donné les marques les plus vigoureuſes à Madame Dinville ; mais il ſembloit que ſon courage s’accrut avec ma reſiſtance, & elle s’aperçût bien-tôt que je ne me battois plus qu’en retraite : elle m’excitoit, elle m’animoit à lui porter de nouveaux coups, elle s’y preſentoit, & contribuoit par ſes careſſes, à me procurer une nouvelle victoire. Je recommençois à la regarder avec langueur, je retrouvois du plaiſir à lui baiſer la gorge, je lui gratois le Con avec plus de viteſſe, je ſoupirois : elle s’aperçût de l’heureuſe diſpoſition où ſes careſſes m’avoient mis. Ah, le fripon, me dit-elle, en me baiſant les yeux, tu bandes, qu’il eſt dur, ton cher Vit ! qu’il eſt gros ! qu’il eſt long ! Coquin, tu feras fortune avec un Vit comme celui-là : hé bien, veux-tu recommencer, dis-je ? Je ne lui repondis qu’en la preſſant amoureuſement de ſe renverſer. Attends donc, reprit-elle, attens, mon ami, je veux te faire goûter un plaiſir nouveau, je veux te foutre à mon tour ! couche-toi comme je l’étois tout-à-l’heure. Je me couchai auſſi-tôt ſur le dos, elle monta ſur moi, me prit elle-même le Vit, me le plaça, & ſe mit à pouſſer. Je ne remuois pas, je lui laiſſois tout faire, & je n’avois d’autre fatigue que celle de recevoir le plaiſir qu’elle me donnoit : je la contemplois de tems en tems, elle interrompoit ſon ouvrage pour m’accabler de baiſers, ſes Tetons cedoient avec de petites ſecouſſes au mouvement de ſon corps, & venoient ſe repoſer ſur ma bouche où je les ſuçois : une ſenſation voluptueuſe m’avertit de l’aproche du grand plaiſir, je joignis mes élancemens à ceux de ma Fouteuſe, je déchargeai, elle déchargea, & je me retrouvai tout couvert du foutre dont elle m’avoit inondé.

Excedé, briſé par l’exercice violent, par les aſſauts que j’avois livrés & reçus depuis près de deux heures, je me ſentis accablé par une envie de dormir à laquelle je cedai ſans reſiſtance. Madame Dinville me plaça elle-même la tête ſur ſon ſein, & voulut que je goûtaſſe les douceurs du ſommeil dans un endroit où je venois de goûter toutes celles de l’amour, & qui étoit encore brûlant de mes baiſers. Elle m’eſſuya elle-même la ſueur de mon viſage, & me donnant un baiſer, dors, me dit-elle, mon cher amour, dors tranquillement, je me contenterai de te voir. Je m’aſſoupis bien-tôt, je dormis d’un profond ſommeil, & le ſoleil s’aprochoit de l’horiſon : quand je me reveillai, je n’ouvris les yeux que pour les porter ſur Madame Dinville. Elle me regardoit d’un air riant ; elle s’étoit occupée à faire des neuds pendant mon ſommeil : elle interrompit ſon ouvrage pour me gliſſer la langue dans la bouche, & le laiſſa bien-tôt dans l’eſperance que j’allois l’occuper à faire des neuds d’une autre eſpece. Elle ne me cacha point ſes deſirs, & me preſſa de les ſatisfaire : j’étois d’une nonchalance qui irritoit ſon impatience. Je n’avois ni degoût ni envie ; cependant je ſentois, que s’il eut dependu de moi, j’aurois preferé le repos à l’action : ce n’étoit pas là le deſſein de la Dame : elle me tenoit dans ſes bras, & m’accabloit de careſſes brûlantes, peine perduë, j’y étois inſenſible, je tâchois moi-même, mais envain, d’exciter des deſirs que je n’avois plus. Elle s’y prit d’une autre façon pour ranimer ma chaleur éteinte ; elle ſe coucha ſur le dos, ſe trouſſa : elle connoiſſoit combien une ſemblable vûë avoit de pouvoir ſur moi, elle remuoit le derriere d’une maniere laſcive, je ſentois quelques legeres émotions, je portois la main ſur ce qu’elle me montroit, mais je la portois d’un air indifferent, je chatoüillois avec plus d’indifference encore, elle me tenoit pendant ce tems-là le Vit, & ſemblable à un Medecin qui tâte le poulx d’un criminel à qui l’on donne la queſtion, & ſur ſa force ou ſa foibleſſe regle la doſe qu’on doit lui donner : elle me branloit avec plus ou moins de viteſſe proportionnément aux degrés de lubricité qu’elle ſentoit naître. Elle en vint enfin à ſon honneur, je bandai, elle triomphoit, je voyois dans ſes yeux petillans la joye que lui cauſoit le retour de ma virilité : charmé moi-même de l’effet de ſes careſſes, je voulus ſur le champ lui donner des marques de ma reconnoiſſance ; elle les reçût avec une fureur amoureuſe dont la vivacité ſeconda ſi bien mon zele, elle me ſerroit, s’agiſſoit, ſe lançoit avec des mouvemens ſi rapides & ſi paſſionnés, que je dechargeai ſans preſque m’être donné aucune peine, mais avec tant de plaiſir, que je voulus du mal à mon Vit de l’obſtacle qu’il avoit aporté par ſa lenteur, à une joüiſſance auſſi delicieuſe.

Il étoit tems de quitter ce gazon où nous venions de nous livrer à tous les tranſports de l’amour. Nous le quittâmes, & pour tromper la penétration maligne de ceux, qui nous voyant échauffés comme nous l’étions, ne pourroient en ſoupçonner la cauſe, nous fimes quelque tours dans le labirinte, & ces tours ne ſe firent pas ſans cauſer. Que je ſuis contente de toi, mon cher Saturnin, me diſoit Madame Dinville, & toi ? Moi, lui repondois-je, je ſuis enchanté des plaiſirs que vous venés de me faire goûter ! Oüi reprenoit-elle, mais je ne ſuis gueres ſage de m’être ainſi livrée à tes deſirs, ſauras-tu avoir de la diſcretion, Saturnin ? Je lui repliquai que je voyois bien qu’elle ne m’aimoit gueres, & qu’elle ſe repentoit des bontés qu’elle avoit eu pour moi, puiſqu’elle me croyoit capable d’en abuſer. Elle fut ſi contente de ma reponſe que j’en aurois été ſur le champ payé par le plus tendre baiſer, ſi nous ne nous étions pas trouvés à l’entrée du parterre, & à portée d’être aperçus ; mais, ſans me repondre, elle me ſerra la main contre ſon cœur, & me regarda d’un air de langueur qui me charma.

Nous allions extrêmement vîte, la converſation étoit tombée, & je m’apercevois que Madame Dinville jettoit des yeux inquiets de côté & d’autre : je n’avois garde d’en penetrer la cauſe, je ne la ſoupçonnois pas, vous ne l’auriés pas ſoupçonnée vous-même, & vous ne vous ſeriés pas attendu, qu’après avoir travaillé comme nous l’avions fait, la Dame ne fut pas contente de ſa journée. Ce n’étoit pourtant que l’envie de la couronner avec honneur, qui la rendoit ſi attentive, & qui la faiſoit examiner ſi ſoigneuſement ſi quelque indiſcret domeſtique ne viendroit pas y mettre obſtacle ; mais, dirés-vous, il falloit qu’elle eut le diable au cul ? D’accord ; elle venoit de ſucer ce pauvre petit Bougre, il n’en pouvoit plus, il étoit rendu, cela eſt vrai ; mais comment a-t’elle fait pour le faire bander ? Oh, c’eſt ce que vous allés voir.

En garçon qui commençoit à ſavoir ſon monde, puiſque j’y venois de faire une entrée aſſez brillante, j’aurois cru manquer à mon devoir, ſi je n’avois pas remis Madame Dinville dans ſon apartement ; cela fait, je me preparois à lui tirer ma revérence, & je croyois l’embraſſer pour la derniere fois de la journée. Eh quoi, me dit-elle avec ſurpriſe, tu veux t’en aller, mon ami ? il n’eſt pas huit heures, va reſte, je ferai ta paix avec ton Curé (je lui avois dit que j’avois changé de demeure, & que j’avois l’honneur d’être un des Penſionnaires de Monſieur le Curé) l’idée du Presbitere me faiſoit baiſſer l’oreille, & je n’étois pas fâché que l’obligeante Madame Dinville m’épargnât une heure de dégoût. Elle me fit aſſeoir ſur ſon Canapé, alla fermer la porte de ſa chambre, & vint ſe mettre à côté de moi : auſſi-tôt me prenant une main qu’elle preſſoit dans les ſiennes, elle me regarda fixement & ſans me parler. Je ne ſavois que penſer de ce ſilence : elle le rompit ; tu ne te ſens donc plus d’envie, me dit-elle ? L’impuiſſance ou j’étois de la ſatisfaire, me rendoit muet, l’aveu de ma foibleſſe me coûtoit à faire, confus & deſeſperé, je baiſſois les yeux. Nous ſommes ſeuls, mon cher Saturnin, reprit-elle, en me baiſant avec des redoublemens d’amour qui ne me rendoient pas plus amoureux, perſonne au monde ne nous peut voir, deshabillons-nous, couchons-nous ſur mon lit, viens, mon Fouteur, viens, allons nous mettre tous nuds, va, je te ferai bien-tôt bander. Elle me prit dans ſes bras, & me porta, pour ainſi dire, ſur ſon lit : elle m’aida à me deshabiller, & ſa promptitude ſecondant ſon impatience elle me vit bien-tôt dans l’état qu’elle deſiroit, nud comme la main : je la laiſſois faire plû-tôt par complaiſance que par l’idée du plaiſir. Elle me renverſe ſur ſon lit, & ſe couchant ſur moi, elle me couvroit de ſes baiſers, elle me ſuçoit le Vit, & auroit voulu le faire entrer juſqu’aux Couilles dans ſa bouche, elle ſembloit extaſiée dans cette poſture, elle me couvroit d’une ſalive blanche ſemblable à de l’écume ; mais elle employoit envain toute la chaleur de ſes careſſes pour ranimer un corps glacé par l’épuiſement, à peine mon Vit ſe dreſſoit-il, & c’étoit ſi foiblement qu’elle n’en pouvoit tirer aucun ſervice : elle courut auſſi-tôt à une caſſette d’où elle tira une petite fiole remplie d’une liqueur blanchâtre, qu’elle verſa dans le creux de ſa main, & m’en frotta les Coüilles & le Vit à pluſieurs repriſes : va, me dit-elle alors avec un air de ſatisfaction, nos plaiſirs ne ſont pas encore paſſés : mon cher Saturnin, tu m’en diras tout-à-l’heure des nouvelles. J’attendois avec impatience l’accompliſſement de ſa prediction : de petits piquotemens, que je ſentois déja dans les Coüilles, commençoient à me faire entrevoir quelque poſſibilité dans la réuſſite de ſon ſecret : pour lui donner le tems d’operer, elle ſe deshabilloit à ſon tour ; à peine ſe fut-elle montrée nuë à mes yeux, qu’une chaleur prodigieuſe m’enflamma le ſang, mon Vit banda, mais d’une force effroyable, & telle que je ne l’avois pas encore ſentie. Je devins enragé, & m’élançant ſur elle, à peine lui donnai-je le tems de ſe reconnoître, & de ſe mettre en poſture, je la devorois, à peine lui laiſſois-je la reſpiration libre, je ne voyois plus, je ne connoiſſois plus rien, toutes mes idées étoient concentrées dans ſon Con. Arrête mon cher amour, s’écria-t’elle, en s’arrachant de mes bras, ne nous preſſons pas, mon cher Roi, menageons nos plaiſirs, & puiſqu’ils ne peuvent durer qu’un inſtant, rendons-les ſi vifs & ſi delicieux que nous ne ſongions pas à leur durée : mets ta tête à mes pieds & tes pieds à la mienne, je le fis. Mets ta langue dans mon Con, ajoûta-t’elle, & moi je vas mettre ton Vit dans ma bouche : nous y voila, cher ami, que tu me fais de plaiſir ! Dieux, qu’elle m’en faiſoit auſſi ! Mon corps étendu ſur ſon corps, nageoit dans une mer de délices, je lui dardois ma langue le plus avant que je pouvois, j’aurois voulu y mettre la tête, m’y mettre tout entier ! Je ſuçois ſon Clitoris, j’allois juſqu’au fond puiſer un nectar rafraîchiſſant, plus délicieux mille fois que celui que l’imagination des Poëtes faiſoit ſervir ſur la table des Dieux par la Déeſſe de la jeuneſſe, à moins que ce ne fut le même, & que la charmante Hébé ne leur donnât ſon Conin à ſucer ; ſi cela eſt, tous les éloges qu’ils ont donnés à cette boiſſon divine, ſont bien au deſſous de la réalité. Quelque critique de mauvaiſe humeur m’arrêtera ici tout court, & me dira, que buvoient donc les Déeſſes ? Elles ſuçoient le Vit de Ganimedes.

Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 152
Gervaise de Latouche - Histoire de dom B… portier des chartreux - Figure p. 152

Madame Dinville me tenoit le derriere ſerré dans ſes bras, & je preſſois ſes feſſes dans les miens, elle me branloit avec la langue & avec les lévres, & je lui en faiſois autant, elle m’avertiſſoit par de petites ſecouſſes, & en écartant les cuiſſes, du progrès que le plaiſir faiſoit ſur elle, & les mêmes ſignes qui m’échapoient, lui faiſoient connoître celui qu’il faiſoit ſur moi, moderant ou augmentant la vivacité de nos careſſes, nous plongions & nous avancions celui qui devoit y mettre le comble ; il vint inſenſiblement : alors nous roidiſſans, nous ſerrans avec plus de force, il ſembloit que nous euſſions ramaſſés toutes les facultés de notre ame pour ne nous occuper que des délices que nous allions goûter.

Loin d’ici Fouteurs à la glace,
Dont le Vit effrayé d’aller juſqu’à deux coups,
Mollit au premier coup & deſerte la place ;
Loin d’ici : mes tranſports ne ſont pas faits pour vous.

Nous déchargeâmes, en même-tems je preſſai, dans ce moment je couvris tout le Con de ma Fouteuſe, je reçus dans ma bouche le Foutre qui en ſortoit, je l’avalai, elle en fit autant de celui qui ſortoit de mon Vit, le charme ſe diſſipa, & je ne gardai du plaiſir que je venois d’avoir, qu’une legere idée, qui, en s’évanouiſſant comme l’ombre, ne me laiſſa que le deſeſpoir de ne pouvoir le renouveller : tels ſont les plaiſirs.

Retombé dans le même état de degoût & d’affoibliſſement dont le ſecret de Madame Dinville m’avoit retiré, je la preſſai d’y recourir encore. Non, mon cher Saturnin, me dit-elle, je t’aime trop pour vouloir te donner la mort, contente-toi de ce que nous avons fait. Je n’étois pas preſſé de mourir, & un plaiſir qu’il nous falloit acheter aux depens de ſa vie, n’étoit plus de mon goût : nous nous r’habillâmes.

J’étois trop content de ma journée pour négliger de prendre des aſſurances d’en paſſer encore de ſemblables ; Madame Dinville, qui n’étoit pas plus mal ſatisfaite que moi, me prevint : quand reviendras-tu, me demanda-t’elle en m’embraſſant ? Le plû-tôt que je pourrai, lui repondis-je, mais jamais aſſez tôt pour mon impatience : demain, par exemple ? Non, me dit-elle en ſouriant, je te donne deux jours, reviens me voir le troiſiéme, & le jour que tu viendras, continua-t’elle (en r’ouvrant la même caſſete, d’où elle avoit tiré cette eau admirable, dont j’avois éprouvé la vertu, & en me donnant quelques paſtilles qu’elle y prit) tu auras ſoin de manger cela : ſurtous, Saturnin, ſois diſcret, ne parle à perſonne de tout ce que nous avons fait. Je l’aſſurai d’un ſecret éternel, nous nous embraſſâmes pour la derniere fois & je la laiſſai bien perſuadée qu’elle venoit de recevoir l’offrande de mon pucelage.

Madame Dinville étoit reſtée dans ſon apartement : elle m’avoit avertie de faire en ſorte que l’on ne m’aperçût pas, l’obſcurité me favoriſoit ; je traverſois une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui ? par Suzon. Sa vûë me rendit immobile, il ſembloit que ſa preſence me reprochât les plaiſirs que je venois de goûter, mon imagination d’intelligence avec mon cœur pour m’accabler, la rendoit témoin de tout ce que je venois de faire. Elle me prit la main, & demeura ſans parler : la confuſion me faiſoit baiſſer la vûë. Inquiet cependant de ſon ſilence, je ne confiai qu’à mes yeux le ſoin de lui en demander la cauſe, je les levai ſur elle : je m’aperçus qu’elle verſoit des larmes ; ce ſpectacle me perça le cœur, Suzon y reprit dans le moment l’empire que les careſſes de Madame Dinville lui avoient enlevés. Je ne pouvois concevoir que ſa Maîtreſſe eut faſciné mes yeux & mon cœur au point de ne voir qu’elle, de n’être ſenſible qu’au plaiſir d’être avec elle, & j’avois la ſimplicité de regarder comme l’effet de quelque ſortilége, ce qui n’étoit pas celui de mon tempérament, & de l’attrait des plaiſirs. Suzon, dis-je à ma Sœur, d’un ton pénétré, tu pleures, ma chere Suzon, tes yeux ſe couvrent de larmes quand tu me vois, eſt-ce moi qui les fait couler. Oüi, c’eſt toi, me repondit-elle, je rougis de te l’avoüer, cruel Saturnin, oüi, c’eſt toi qui me les arrache, c’eſt toi qui me déſeſpere & qui va me faire mourir de douleur. Moi, m’écriai-je, juſte Ciel, Suzon, oſe-tu me faire de pareils reproches ? Les ai-je mérités, moi qui t’aime ? Tu m’aime, réprit-elle, ah, je ſerois trop heureuſe ſi tu diſois vrai ! Mais peut-être viens-tu de jurer la même choſe à Md. Dinville, ſi tu m’aimois, l’aurois-tu ſuivie ? N’aurois-tu pas trouvé un pretexte pour venir me trouver quand je ſuis ſortie ? Vaut-elle mieux que moi ? Qu’as-tu fait avec elle pendant toute l’après-dînée, qu’as-tu tu dit, penſois-tu à Suzon, à une Sœur qui t’aime plus que ſa vie ? Oüi, Saturnin, je t’aime, tu m’as inſpiré pour toi une paſſion ſi violente, que je mourrois de douleur ſi tu n’y repondois pas. Tu te tais, pourſuivit-elle, ah, je ne le vois que trop ! Ton cœur ne ſe faiſoit pas de violence pour ſuivre une rivale que je vais haïr à la mort ; car elle t’aime, je n’en ſaurois douter, tu l’aime auſſi, tu n’étois occupé que du plaiſir qu’elle ſe promettoit, tu ne ſongeois guéres à la douleur que tu m’allois cauſer, j’en ſuis encore pénétrée, peux-tu la voir ſans en reſſentir toi-même ? Attendri par des reproches dont l’éloquente facilité me faiſoit reconnoître les impreſſions de l’amour que je venois moi-même d’éprouver, en exprimant à Madame Dinville des ſentimens qui, quoique momentanés, prenoient leur ſource dans mon cœur, & naiſſoient de la paſſion que ſes careſſes y avoient allumée. Suzon, repondis-je, tu déchires mon cœur par tes plaintes, ceſſe-les, n’accables pas ton malheureux frere, tes larmes le déſeſperent, je t’aime plus que moi-même, je t’aime plus que je ne peux dire ! Ah, reprit-elle, tu me rends la vie, ne penſes donc plus qu’à moi, depuis hier toi ſeul m’occupes, ton image me ſuit partout, ſois de même ; mais écoutes, Saturnin, ſi je conſens d’oublier l’injure que tu m’as faite, ce n’eſt que ſous la promeſſe que tu ne verras plus Madame Dinville, as-tu aſſez d’amour pour moi pour me la ſacrifier ? Oüi, lui repondis-je, je te la ſacrifie, tous ſes charmes ne valent pas un ſeul de tes baiſers : en lui diſant cela, je l’embraſſois, & elle ne rebutoit pas mes careſſes : Saturnin, reprit-elle, en me ſerrant tendrement la main, ſois ſincere ; Madame Dinville aura exigé de toi que tu reviennes la voir : Quand t’a-t’elle dit de revenir ? Dans trois jours, lui repondis-je, & tu viendras, Saturnin, me dit-elle triſtement ? Dites-moi ce qu’il faut que je faſſe, lui repliquai-je, ſi je viens, ce ne ſera que pour la déſeſpérer par mon indifférence ; mais ſi je ne viens pas, qu’il en coûtera à mon cœur d’être ſi long-tems ſans voir ma chere Suzon ! Je veux que tu reviennes, reprit-elle ; mais il ne faudra pas qu’elle te voye, je ferai ſemblant d’être malade, je reſterai au lit, nous paſſerons la journée enſemble ; mais ajoûta-t’elle, tu ne ſais pas où eſt ma chambre, ſuis-moi, je vais t’y conduire. Je me laiſſai mener : je marchois d’un pas tremblant, averti par un ſecret preſſentiment du malheur qui alloit m’arriver. C’eſt ici, me dit Suzon, l’apartement que l’on m’a donné : auras-tu regret d’y paſſer la journée avec moi ? Ah, Suzon, lui repondis-je, quelles délices tu me promets ! Nous ſerons ſeuls, ma chere Suzon, nous nous verrons continuellement, nous nous abandonnerons à tout notre amour : Suzon, conçois-tu ce bonheur comme moi ! Elle ſe taiſoit, elle paroiſſoit enfoncé dans une profonde rêverie, je la preſſai de s’expliquer : je t’entens bien, me repondit-elle d’un ton qui marquoit l’agitation de ſon ame ? tandis que nous ſerons ſeuls, que nous nous livrerons à tout notre amour, ah, Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, & que les plaiſirs qu’il te promet te touchent peu, ſi tu as la force de les attendre deux jours ! Je ſentis toute la force de ſon reproche.

L’impoſſibilité de lui en prouver l’injuſtice, me mettoit au deſeſpoir : une foule de refléxions cruelles vint ſe preſenter à mon imagination, quels triſtes retours ſur les plaiſirs que je venois de goûter avec Madame Dinville ! Je les maudiſſois, je les deteſtois, je me deſolois : Ciel ! m’écriois-je au fond de mon cœur, je ſuis avec Suzon, j’aurois donné mon ſang pour joüir de ce bonheur, j’y ſuis, & je ne puis en profiter, je ſuis épuiſé, je n’ai pas même la force de former un deſir ! Hélas, de quoi me ſerviroit-il d’en former, ſi je n’ai pas celle de les ſatisfaire. Au milieu de cette confuſion de penſée, je me reſſouvins des paſtilles que Madame Dinville m’avoit données ; je jugeai que l’effet devoit en être ſemblable à celui de ſon eau, ne doutant pas qu’il ne fut auſſi prompt, j’en avalai quelques-unes. L’eſpoir de déſabuſer bien-tôt Suzon me la fit embraſſer avec une ardeur qui nous trompa tous deux : Suzon qui la prit pour un témoignage de mon amour, & moi qui la regardai comme une marque du retour de ma vigueur. Suzon abuſée par l’idée du plaiſir, qu’elle comptoit que j’allois lui donner, tomba ſur ſon lit à demi pâmée. Quoique je me defiaſſe encore de moi-même, j’aurois cru l’accabler de douleur, ſi je ne m’étois pas mis en état de juſtifier l’eſpérance qu’elle venoit de concevoir : je me couchai ſur elle, & collant ma bouche ſur ſa bouche, je lui mis mon Vit dans la main ; il étoit encore mou, mais je crus que ſon ſecours hâtant l’effet des paſtilles, il ſeroit bien-tôt dans l’état où je le ſouhaitois: elle le ſerroit, elle le remuoit : elle le branloit, & rien n’avançoit. Je fis des efforts cent fois plus grands que ceux que je venois de faire avec Madame Dinville. J’avois beau faire, un froid mortel m’avoit glacé le corps : c’eſt Suzon, diſois-je, c’eſt ma chere Suzon que j’embraſſe, & je ne bande pas ! je baiſe ſes Tetons, ſes deux charmans Tetons que j’idolâtrois hier, ne ſont-ils plus les mêmes aujourd’hui ? ils n’ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur : cette peau que je touche eſt auſſi douce & auſſi belle qu’elle l’étoit quand ſa vûë m’enchantoit : ſes cuiſſes, que je preſſe contre mes cuiſſes, ne ſont-elles pas brûlantes comme elles l’étoient hier ? elle les écarte, j’ai le doigt dans ſon Con, hélas ! & je n’y peux mettre que le doigt ! Suzon ſoupiroit de ma foibleſſe, je maudiſſois le funeſte preſent de Madame Dinville, je m’imaginois qu’elle avoit prévû ce qui devoit m’arriver en ſortant de chez elle, & que, pour me déſeſperer, elle avoit voulu achever avec ſes paſtilles l’épuiſement où elle m’avoit mis. L’opiniâtreté de ma froideur confirma ſi bien cette penſée, que quelque honte que j’enviſageaſſe à avoüer mon impuiſſance à Suzon, j’étois prêt à le faire, quand je ſortis d’embarras d’une maniere à laquelle je n’avois pas lieu de m’attendre. On va penſer que l’amour fit tout-à-coup un miracle en ma faveur, que je bandai, que j’enconnai, que je foutis : point du tout ; une main inviſible, ouvrant avec fracas les rideaux de mon lit, vint m’apliquer le plus épouvantable ſoufflet que j’euſſe ſenti de ma vie. Effrayé de cet étrange accident, je n’eus pas la force de crier ; à peine eus-je celle d’ouvrir la porte & de fuir, laiſſant là Suzon expoſée à la fureur du ſpectre, car je ne doutois pas que ce n’en fut un. Je ſortis du Château en diligence, & je tremblois encore dans mon lit, où je m’étois mis en arrivant chez le Curé à qui je fis un recit détaillé d’un ſpectacle que je n’avois pas eu, & que mon imagination troublée me faiſoit croire à moi-même véritable. Je n’en impoſai au Paſteur que ſur le lieu de la ſcène, que je n’eus garde de mettre dans la chambre de Suzon.

La frayeur jointe à l’épuiſement, me jetta dans un abatement qui me procura un profond ſommeil. Je me reveillai le lendemain avec le même accablement : je voulus me lever, il me fut impoſſible. Surpris d’une laſſitude que je ne pouvois attribuer qu’à l’exercice de la veille, quoiqu’alors diſſipé par la vivacité de l’action, je ne l’euſſe pas ſentie, je connus pour la premiere fois combien il eſt néceſſaire de ſe ménager dans ſes tranſports amoureux, & ce que coûte une complaiſance trop aveugle pour les deſirs de ces Sirenes voluptueuſes, qui vous ſuçent, qui vous rongent, & qui ne vous lâcheroient qu’après avoir bu votre ſang, ſi leur intereſt, ſoutenu de l’eſperance de vous attirer encore par leurs careſſes, ne les retenoit. Pourquoi ne fait-on ces refléxions qu’après coup ? En amour la raiſon n’éclaire jamais que notre repentir.

Le repos avoit inſenſiblement effacé de mon eſprit l’impreſſion des idées lugubres que la frayeur y avoit tracées ; mais devenu tranquille ſur mon compte, mon cœur n’en reſſentit que plus vivement les inquiétudes que lui cauſoit l’incertitude du ſort de Suzon. Je me repreſentois avec un friſſon d’horreur, l’état où je l’avois laiſſée. Elle ſera morte, diſois-je triſtement, timide comme je la connois, il n’en falloit pas tant pour lui donner la mort. Elle n’eſt donc plus, continuois-je, accablé par cette refléxion cruelle ! Suzon n’eſt plus ! Ah, Ciel ! Mon cœur, que ces douloureuſes penſées avoient ſerré d’abord, s’ouvrit bien-tôt après à un torrent de larmes, & j’en verſois encore, quand je vis entrer Toinette qu’on avoit inſtruite de ma maladie. Sa vûë m’épouvanta : je tremblois qu’elle ne vint me confirmer un malheur dont je ne doutois plus, & je mourois d’envie de me l’entendre repéter de ſa bouche : il n’en fut pas queſtion, & ſon ſilence ſur ce ſujet joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma douleur pouvoit être ſans fondement. J’en vins juſqu’à penſer que Suzon en avoit peut-être été quitte, comme moi, pour la frayeur.

Le chagrin que j’avois reſſenti de ſa mort, fit place à la curioſité de ſavoir ce qui s’étoit paſſé dans ſa chambre après mon depart ; mais c’étoit une curioſité que je ne pouvois ſatisfaire qu’après mon retabliſſement.

Les deux jours de repos que Madame Dinville m’avoit accordées, étoient expirés, nous étions au troiſieme, & quoique je commençaſſe à me ſentir une vigueur qui m’aſſuroit de ma guériſon, je ne fus nullement tenté de lui aller chercher de l’exercice au Château : le ſouvenir de ce qui m’y étoit arrivé agiſſoit encore ſi puiſſamment ſur mon imagination, qu’il étouffoit mes deſirs avant leur naiſſance. Je ne ſongeois cependant qu’avec chagrin à l’obſtacle que cette funeſte avanture avoit mis aux plaiſirs que je m’étois promis d’avoir avec Suzon. Cette reflexion me fit penſer aux paſtilles de Madame Dinville, & uniquement dans la vûë d’éprouver juſqu’à quel point elles pourroient faire monter ma nouvelle vigueur, j’en mangeai ce qui me reſtoit. Je ne dirai pas ſi leur effet fut vif ou lent ; mais après avoir dormi d’un profond ſommeil, occaſionné ou non par cette drogue luxurieuſe, je me reveillai par la force de l’érection que je ſentois. J’en aurois été effrayé, & j’aurois craint que mes nerfs, dont la tention prodigieuſe me faiſoit une vive douleur, ne ſe rompiſſent, ſi je n’euſſe éprouvé preſque la même choſe chez Madame Dinville. J’étois fort embaraſſé : qu’on rie de mon embarras : que l’on me diſe, ſi l’on veux ; hé quoi, brave Dom-Bougre, n’aviés vous pas quatre doigts & le pouce à la main, ſecours certain & infaillible contre l’intempérance de la chair ? Demandés plû-tôt à ces caffarts de Prêtres, à ces Hypocrites, qui portent la mortification ſur leurs faces blêmes & hideuſes, & la luxure, la paillardiſe la plus ſenſuelle dans leur cœur corrompu. Comment font-ils ? On ne trouve pas toujours un Bordel, une Devote ſous ſa main ; mais on a toujours un Vit, ils s’en ſervent, ils ſe branlent juſqu’à ſe faire venir cette couleur pâle, que les ſots prennent pour l’effet de leurs auſtérités, que vous ſerviés-vous de la même recette, n’eſt-elle pas ſouveraine ? Je le ſavois : mais il n’y avoit pas long-tems qu’il m’étoit arrivé de me trouver briſé, moulu, impotent, pour m’en être un peu trop donné ; je me ſentois des diſpoſitions à m’en donner encore peut-être un peu plus que de raiſon, & je n’étois pas fort curieux de me revoir dans le même état. J’étois en garde contre la tentation, je me contentois de me branloter, de donner de tems en tems quelques petites ſecouſſes, de faire venir le plaiſir juſqu’à ma portée, & de m’arrêter tout-à-coup, puis de recommencer, & cela m’amuſoit. Le plaiſir n’eſt pas ſi grand que quand vous faites le cas ; mais vous avés la faculté de le repéter autant de fois que vous le jugés à propos. Votre imagination ſe jouë, voltige ſur tous les objets qui vous ont charmés les yeux : c’eſt la brune, c’eſt la blonde, c’eſt la petite, c’eſt la grande, avec un coup de poignet vous foutés toute la terre : vos deſirs ne connoiſſent pas l’intervalle des conditions, ils vont juſques ſur le trône, & les beautés les plus fieres, forcées de céder, vous accordent tout ce que vous leur demandés : du trône vous deſcendés rapidement à la griſette : vous vous repreſentés une fille timide, qui n’a pas encore eſſayé des plaiſirs de l’amour, qui ne connoît la nature de vos deſirs que par ceux qu’elle reſſent ; vous lui donnés un baiſer ſur la bouche, vous la voyez rougir, vous levés ſans obſtacle un mouchoir qui vous cachoit une gorge naiſſante, qui palpite, qui ſoupire : vous deſcendés plus bas, vous trouvés un petit Conin chaud, brûlant, vous lui faites faire une reſiſtance que l’intérêt de votre plaiſir augmente, diminue, fait évanoüir à ſon gré.

Le plaiſir eſt d’un naturel vif & ſemillant : s’il étoit poſſible de le comparer à quelque choſe, je le comparerois à ces feux qui ſortent bruſquement de la terre, & qui s’évanoüiſſent au moment que votre œil, frapé par l’éclat de leur lumiere, cherche à en pénétrer la cauſe. Oüi, voila le plaiſir, il ſe montre & s’échape, l’avés-vous vû ? Non : les ſenſations qu’il a excités dans votre ame, ont été ſi vives, ſi rapides, qu’anéantie par la force de ſon impulſion, elle s’eſt trouvée dans l’impuiſſance de le connoître. Le vrai moyen de le tromper, de le fixer, de le forcer à demeurer avec vous c’eſt de badiner avec lui, de l’apeller, de le conſiderer, de le laiſſer échaper, de le rapeller, de le laiſſer fuir encore pour le retrouver ; enfin en vous livrant tout entier à ſes tranſports.

J’étois dans cette occupation, la nuit étoit déja fort avancée, j’allois finir mon badinage, pour m’abandonner au ſommeil, quand, malgré l’obſcurité, j’entrevis quelqu’un en chemiſe qui paſſoit aux pieds de mon lit, & qui diſparut dans l’inſtant. Je fus moins effrayé que reveillé par une pareille viſion. Je penſai que c’étoit cet Abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de Mademoiſelle Nicole : c’eſt lui, dis-je en moi-même, oüi, c’eſt lui ; où va ce Bougre-la ? Foutre Nicole : ira-t’il tout ſeul ? Non parbleu, car je le vas ſuivre. Je me jette en bas du lit : j’étois en habit de combat, c’eſt-à-dire en chemiſe, je ſavois les êtres. Je gagnai un petit coridor où étoit la chambre de la belle, je marchois à tatons, & j’entrai à tatons dans une chambre dont la porte n’étoit pas fermée ; je la repouſſai, & je m’aprochai avec beaucoup de circonſpection, du lit où je croyois nos amants occupés à prendre leurs ébats. J’allongeai la tête, en prêtant une oreille attentive, j’attendois que leurs ſoupirs m’apriſſent ſi mon tour tarderoit long-tems à venir. J’entendois reſpirer quelqu’un, mais ce quelqu’un paroiſſoit être ſeul. Ne ſeroit-il pas venu, dis-je alors bien étonné ? Non aſſurément il n’y eſt pas, pourſuivois-je, en redoublant d’attention, il n’y eſt pas ; oh parbleu, Monſieur l’Abbé, vous n’en tâterés, ma foi, que d’une dent. Dans le moment je coulai la main entre les jambes de ma belle dormeuſe, & & je me hazardai à lui donner un baiſer ſur la bouche. Ah, me dit-on, d’une voix baſſe, que vous vous êtes fait attendre, je dormois, montés donc : ma foi je montai dans le lit, & bien-tôt ſur ma Vénus. Elle me reçût aſſez froidement dans ſes bras : je fus ſenſible à cette marque d’indifférence, qu’elle s’imaginoit donner à un amant que je croyois aimé tendrement. Je m’aplaudiſſois de l’heureux ſuccès que la fortune avoit pris ſoin de donner à mes deſirs, & je la remerciois du moyen qu’elle me procuroit de tirer une vengeance auſſi douce des mépris de ma tigreſſe, je la baiſois à la bouche, je lui preſſois les yeux avec mes lévres, je me livrois à des tranſports d’autant plus vifs, qu’on leur avoit toûjours refuſé la liberté d’éclater. Je lui maniois les Tetons, cette gorge charmante (aſſurément Nicole en avoit une des plus belles) ferme, élevée, graſſe, blanche, des Tetons bien ſeparés, bien formés, durs, en un mot, une gorge accomplie. Je nageois ſur un fleuve de délices, enfin j’achevai un ouvrage que j’avois ſouhaité tant de fois faire avec cette Divinité. Je lui en donnai une ſi bonne doſe, qu’il me parut par ſes hélas, ſes exclamations & ſes tranſports, qu’elle ne s’attendoit pas d’être ſi bien regalée. A peine eûs-je fourni ma carriere, que ne me ſentant que plus animé par cette premiere courſe, je repris du champ, & par une ſeconde, qui ne fut pas moins vigoureuſe que la premiere, je donnai une nouvelle matiere à ſes éloges : je l’avois miſe en goût, & je jugeai, aux careſſes, aux noms tendres qu’elle me prodiguoit, qu’elle n’attendoit qu’une troiſiéme preuve de valeur pour mettre cette nuit au-deſſus de toutes celles qu’elle diſoit que nous avions paſſées enſemble. Quoique je ſentiſſe encore mon fourniment aſſez bien garni, pour lui donner cette ſatisfaction, la crainte d’être ſurpris par l’Abbé, amortit un peu mon courage. Je ne ſavois à quoi attribuer ſa lenteur : je ne pouvois en accuſer qu’un changement de reſolution : ſur cette penſée, je crus que je pouvois reprendre haleine, & ne pas précipiter mes coups comme je venois de le faire.

Deux décharges abbatent un peu les fumées de l’amour, l’illuſion ſe diſſipe, l’eſprit rentre dans ſes fonctions, les nuages, dont la force de la paſſion l’obſcurciſſoit, s’évanoüiſſent, les objets ceſſent alors d’être ce qu’ils étoient, l’eſprit leurs aſſigne leur véritable prix. Les belles y gagnent, les laides y perdent, tems pis pour elles ; je voudrois, en paſſant, donner un conſeil à celles-ci. Laides, quand vous accordés vos faveurs à quelqu’un, ménagés-les, ne l’en accablés pas : quand on n’a plus rien à deſirer, on ne deſire plus ; la paſſion s’éteint par une joüiſſance trop complette. Prenés-y garde, vous n’avés pas les mêmes reſſources qu’une belle à qui ſes charmes promettent un prompt retour de ces deſirs qu’elle vient d’aſſouvir, qu’elle vient de voir éteindre, & que le moindre ſourire, la moindre careſſe va rallumer avec plus de feu.

La refléxion que je viens de faire quadre le mieux du monde avec ce que j’éprouvai. Je m’amuſois à parcourir avec la main les beautés de ma Nimphe, j’étois ſurpris de trouver une différence dans les mêmes choſes que je maniois actuellement, & que j’avois maniées un moment auparavant. Ses cuiſſes qui m’avoient parues douces, fermes, remplies, unies, étoient devenuës ridées, molles, ſéches, ſon Con n’étoit plus qu’une Conaſſe, ſes Tetons, que des Tétaſſes, ainſi du reſte. Je ne pouvois concevoir un pareil prodige, j’accuſois mon imagination de s’être refroidie, je voulois du mal à ma main du raport trop fidelle qu’elle lui faiſoit ; ce n’eſt pas que ces témoignages incertains m’euſſent empêché de livrer un troiſiéme aſſaut. J’allois m’y preſenter, & déja on ſe preparoit à le recevoir, quand nos oreilles furent frapées par un charivari qui ſe fit entendre dans la chambre voiſine, que je prenois pour celle de la Dame Françoiſe, notre vénérable gouvernante. Ah le chien, crioit une voix enroüée, ah la miſérable ! Ah la… A ces mots ma mignonne, que j’étois prêt d’enconner, me repouſſant, me dit ; ah mon Dieu ! que fait-on à notre fille ? Eſt-ce qu’on la tuë ? Allés donc voir. Je ne repondois pas, frapé du diſcours que l’on venoit de me tenir, je ne ſavois où j’en étois : notre fille, diſois-je, Nicole auroit-elle une fille. Le bruit continuoit, & l’on continuoit de me preſſer d’aller au ſecours, je ne m’en remuois pas davantage, on s’impatiente, on court au fuſil, on allume de la chandelle, &, à la faveur de la lumiere, je reconnois, le dirai-je, la Dame Françoiſe, cette vieille… Ah ! quand je me rapelle ce déſagréable moment, je demeure encore pétrifié, comme je le fus à la vûë de ce fantôme. Je vis bien que je m’étois trompé de porte, & je me mordois les doigts dans la rage où j’étois de me voir la dupe de ce miſérable Abbé, ou plû-tôt de mon impatience qui ne m’avoit pas permis de faire attention à la diſpoſition des lieux. Je jugeai que Monſieur le Curé s’etant aparemment trouvé en humeur de s’ébaudir cette nuit-la avec ſa gentille chambriere, l’avoit avertie de ſe tenir prête pour la danſe, & que c’étoit ce qui m’avoit attiré le tendre reproche que la Dame, qui me prenoit pour le Paſteur, m’avoit fait ſur ma lenteur à me rendre à mon poſte ; que le Saint Prêtre, pour éviter le ſcandale, avoit attendu que la nuit fut plus avancée pour tenir à ſa beauté la parole qu’il lui avoit donné, & que trompé par l’obſcurité de la nuit, il étoit tombé dans la même erreur que moi, ou peut-être que trouvant la porte de la chambre de ſa chere niéce ouverte, la tendreſſe l’avoit fait courir à ſon lit où il l’avoit trouvée plus occupée qu’elle ne devoit l’être que frapé de l’idée d’infamie dont elle couvroit ſon front reſpectable, il s’étoit jetté à travers les combatans, & leur avoit dit à tous les deux plus que leur nom, & même donné des témoignages de ſa colere plus fort que jeu. Mais le bruit redouble, ils s’étranglent, quel tintamare effroyable, hé vîte, Madame Françoiſe, volés ſur le champ de bataille, l’honneur, l’amour, la curioſité, la tendreſſe maternelle, tout vous en fait une loi : allés ſeparer des ennemis ſi chers, & dont la mort vous feroit mourir de douleur ; mais au nom de Dieu, laiſſés la porte ouverte pour que je puiſſe me ſauver : oh la chienne, elle la ferme à double tour ! Malheureux Saturnin, comment vas-tu faire, comment vas-tu t’échaper ? La Dame Françoiſe va s’apercevoir que ce n’eſt pas avec le Curé qu’elle a eu affaire, le Curé va entrer ici, il va te trouver, ah, pauvre diable, quel orage de coups va fondre ſur ta peau ! Tu payeras pour les autres. Telles étoient les penſées qui m’agitoient tandis qu’on chamailloit dans la chambre voiſine. J’avois eſſayé d’ouvrir la porte, mais inutilement : réduit à pleurer ma malheureuſe ſituation, je m’y abandonnois lâchement, inſenſé que j’étois, comme ſi je n’euſſe pas déja éprouvé que telle eſt la condition des hommes, que leurs biens & leurs maux ont une liaiſon ſi étroite, ſe ſuivent de ſi près qu’au ſein du malheur même on ne doit pas déſeſpérer de ſon bonheur ; que ſouvent au moment que vous vous croyés accablé par les coups redoublés du ſort en couroux, le hazard fait éclore de votre malheur les jours les plus rians & les plus fortunés. O Divine Providence ! c’eſt en vertu de tes ſages décrets que nous voyons opérer ces merveilles, & cette viciſſitude étoit ſans doute néceſſaire pour corriger le deſordre de nos paſſions.

Au moment que caché ſous le lit, où je m’étois refugié, je me livrois au déſeſpoir, la fortune tournoit ſa rouë ; le bruit n’avoit fait qu’augmenter à la vûë de ladite Françoiſe, à qui le chandelier étoit tombé des mains à l’aſpect du Curé qu’elle croyoit dans ſa chambre : elle prit celui qu’elle voyoit pour un ſpectre. Qu’on ſe peigne cette ſcène, ſi j’en avois été témoin, j’en épargnerois la peine ; mais la connoiſſance des parties me met en état de fournir des idées qui peuvent contribuer à la perfection du tableau. Qu’on ſe figure, ſi l’on veut, Monſieur le Curé, nud en calçons, un bonnet gras ſur la tête, ſes petits yeux étincelans, ſa grande bouche écumante, frapant comme un ſourd ſur l’Abbé & ſur la niéce. Qu’on ſe repreſente ces deux tendres Amans, la belle tremblante & s’enfonçant le plus qu’elle peut dans ſon lit pour ſe dérober aux coups, l’Abbé tantôt ſe cachant ſous la couverture, & tantôt tirant la tête hors du lit, & allongeant de vigoureux coups de poingt ſur la phiſionomie du Paſteur qui rugit. Qu’on ſe trace la figure d’une Megere en chemiſe, qui, la chandelle à la main, s’aproche du lit, veut crier, & au même moment demeure interdite, la bouche béante, les yeux égarés, & tombe de frayeur ſur une chaiſe, après avoit laiſſé tomber ſa lumiere.

L’Abbé, autant que j’en fus juge par le ſilence qui regna tout-à-coup, craignant d’être reconnu, s’étoit élancé hors du lit, & avoit voulu gagner le large. Le Paſteur l’avoit ſuivi en courant après lui. Dans le moment j’entendis ouvrir ma porte avec précipitation & ſur le champ la refermer avec la même viteſſe. Je tremblois : on vint ſe coucher ſur le lit, nouveau ſujet de frayeur : je croyois que c’étoit Françoiſe, & que le Curé alloit bien-tôt venir. La feuille n’eſt pas plus agitée par le vent que mon cœur l’étoit alors par la crainte. Cependant tout étoit calme, & cette Françoiſe qui étoit ſur le lit, pleuroit, & jettoit de profonds ſoupirs. Tout cela mettoit mes idées dans une confuſion incroyable. Que penſer de ces pleurs ? Pourquoi Françoiſe pouſſe-t’elle des ſoupirs ? Pourquoi eſt-elle revenuë ? Le Curé viendra-t’il, ne viendra-t’il pas ? Ah, que l’incertitude eſt une peine cruelle ! Il me venoit de tems en tems des envies de ſortir ; mais la crainte d’être rencontré par le Paſteur me retenoit toujours dans mon poſte : j’en ſortis à la fin, j’allois m’évader, le diable m’arrêta, j’entendois quelque choſe au fond de mon cœur qui me diſoit : tu vas te coucher, nigaud, & tu bandes encore : tu as le courage d’abandonner Françoiſe à ſon chagrin, tu crains de la conſoler, c’eſt bien la moindre choſe que tu lui doive : elle t’a accablé de careſſes ſi tendres, refuſeras-tu d’eſſuyer ſes larmes ? Elle eſt vieille, d’accord, laide, ſoit : mais n’a-t’elle pas un Con, nigaud ; ma foi, Seigneur Diable, vous aviés raiſon.

Un Con n’eſt jamais qu’un Con,
Quand on bande tout eſt bon.

Va, va, continua la voix intérieure, l’orage eſt paſſé, il n’y a plus rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je ſuccombai à la tentation, je m’y remis ; je commençai par me coucher avec beaucoup de diſcrétion ſur le bord ; mais toute ma politeſſe ne pût arrêter un cri de frayeur qui partit, & fut dans l’inſtant étouffé par la crainte d’être entendu : je ſentis qu’on ſe retiroit dans le coin du lit. Une pareille façon d’agir augmentoit ma ſurpriſe : je crus que je la ferois bien-tôt ceſſer en expliquant mes intentions, & cette explication fut de porter la main entre les cuiſſes de ma vieille : elles étoient redevenuës tout ce qu’on pouvoit les ſouhaiter pour exciter les plus vives émotions, plus douces & plus fermes qu’elles ne me l’avoient encore paru. Ma main ne s’y arrêta pas long-tems, quelque plaiſir qu’elle y ſentit, elle paſſa au Conin, je dis Conin, & non pas Conaſſe, parce que ce n’en étoit plus une, la Mote, le ventre, les Tetons, la gorge, tout étoit devenu auſſi doux, auſſi uni, auſſi élaſtique qu’à une jeune fille : je maniois, on me laiſſoit faire, je baiſois, je ſuçois avec toute la vivacité que l’idée de jeune & de jolie peut inſpirer, point de réſiſtance. Au contraire mon feu rallumoit celui de la belle : elle ceſſoit de ſoupirer, & ſe raprochoit inſenſiblement de moi, je m’aprochois d’elle, je fus bien-tôt en état de lui faire ſentir que je ſavois changer des ſoupirs de triſteſſes en ſoupirs d’amour. Je l’enconnai, ah, me dit-elle alors, mon cher Abbé, quel hazard a pû te conduire ici ? Que ton amour va me coûter de larmes ! Ce tendre diſcours m’auroit arrêté tout court, ſi le tranſport qui m’animoit m’eût permis de faire autre choſe que ſentir, que ſerrer tendrement ma Nimphe, que repondre aux vives careſſes dont elle m’accabloit par des careſſes auſſi vives, que confondre mes ſoupirs avec les ſiens, & de ſceller enfin par des élancemens de volupté réciproques, les délices qui les avoient précédés.

L’extaſe finit : je me rapellai les paroles qu’on venoit de m’adreſſer. Où ſuis-je, dis-je alors ? Eſt-ce avec Françoiſe ? Quelle différence entre le plaiſir que je viens de goûter & celui que j’ai déja goûté ! mais elle me prend pour l’Abbé, elle me dit que mon amour va lui coûter des larmes, partageroit-elle avec Nicole les homages de ce faquin-la ? Elle eſt aparemment jalouſe, la bonne Dame : elle croyoit poſſéder toute ſeule le cœur de ſon mignon. Pourquoi eſt-elle vieille, pourquoi eſt-elle laide ? Malgré ſa laideur, j’eus encore aſſez de hardieſſe pour m’expoſer au déſagrément de l’examen dont je m’étois ſi mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûloit de retourner ſur ſon corps ſec & décharné, & quoique je ſentiſſe que le dégoût ſeroit le prix de mon imprudence, & que, ſi je voulois encore courir une poſte, le meilleur parti étoit d’attendre le retour de ma vigueur ſans le précipiter par un badinage qui pourroit bien au contraire l’éloigner. Je hazardai de porter la main ; mais, ô ſurpriſe délicieuſe ! Je retrouvai par-tout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur ; la même douceur ; que veux dire ceci, repris-je alors, eſt-ce Françoiſe, ne l’eſt-ce pas ? Non aſſurément, ce ne peut-être que Nicole. O Ciel ! c’eſt Nicole ! J’en ai pour garand le plaiſir qu’elle m’a déja donné, & la continuation de ce plaiſir que je reſſens encore à la toucher. Elle ſe ſera échapée de ſon lit, elle aura profité de la foibleſſe de Françoiſe pour venir ſe plaçer ici comme dans un refuge, elle s’imagine que ſon Amant eſt auſſi venu s’y cacher. Je retrouvois dans cette explication, l’interprétation toute naturelle des paroles qu’elle m’avoit adreſſées. Rempli de cette penſée, je ſentis les deſirs qu’elle m’avoit autrefois inſpirés, renaître avec plus de force : le croiras-t’on, j’eus regret aux plaiſirs que je croyois n’avoir eu qu’avec Françoiſe, parce que c’étoit autant de diminué ſur ceux que j’allois goûter avec Nicole. Je me mis bien-tôt en état de recompenſer le tems perdu. Ma chere Nicole, lui dis-je, en la baiſant tendrement, & en tâchant de contrefaire la voix de l’Abbé, de quoi t’occupes-tu ? Peux-tu te laiſſer aller à la triſteſſe, quand l’heureux hazard, qui nous raſſemble, veut que nous nous livrions à tout notre amour ? Foutons, ma chere enfant, noyons notre malheur dans le Foutre. Que tu me fais de plaiſir, me repliqua-t’elle, en repondant à mes careſſes, ta douleur augmentoit la mienne : oüi profitons du ſeul moyen que nous ayons de nous conſoler ; arrive tout ce qui pourra, tant que j’aurai cela dans la main, continua-t’elle, en me prenant le Vit, je ne craindrai pas la mort même, n’apréhende pas qu’on vienne nous interrompre, j’ai retiré la clef, ils ne peuvent entrer qu’en jettant la porte en dedans. Charmé de cette heureuſe précaution, qu’il ſembloit que l’amour même, qui prenoit ſoin de mes intérêts, lui eût inſpirée, je la careſſai avec un nouveau plaiſir : mon Vit, qu’elle tenoit toujours dans ſa main, étoit d’une roideur qui l’enchantoit : vîte donc, lui dis-je, mets-le dans ton cher Conin, Nicole, que tu me fais languir ! Elle ne ſe preſſoit pas, elle continuoit de ſerrer mon Vit, & paroiſſoit ſurpriſe de ſa groſſeur, qu’elle prenoit pour l’effet de ſes careſſes. Je voulus le mettre moi-même ; attens, mon cher ami, me repondit-elle, en me preſſant dans ſes bras, laiſſe-le devenir encore plus gros & plus long ; ah je ne l’ai jamais vû ſi beau, eſt-il augmenté cette nuit ? (L’Abbé n’étoit pas aparament ſi bien partagé que moi des dons de la nature). J’aurois ri de la penſée de Nicole, ſi je n’avois pas été en humeur de faire autre choſe. Ah, que je vais avoir de plaiſirs, reprit-elle, en ſe le mettant ! Pouſſe, cher ami, pouſſe. Il n’étoit pas beſoin de me le dire, j’enfonçai, & m’apéſantiſſant ſur ſa gorge, ſur ſon ſein, je le couvrois de baiſers de feu, je reſtois immobile, j’y mourois ; fais donc, me dit Nicole, en ſe remuant avec des tranſports qui me tirerent de mon aſſoupiſſement extaſique, fais donc. Je me mis auſſi-tôt à lui allonger des coups de cul, des coups de Vit, qui lui alloient, diſoit-elle, juſqu’au cœur. Que ceux qu’elle me rendoit alloient bien plus loin ! Ils portoient le feu, ils me lançoient des torrens de délices juſqu’aux parties les plus reculées de mon corps ! O décharge ! tu es un rayon de la Divinité, ou plûtôt n’es-tu pas la Divinité même ! Pourquoi ne meur-t’on pas dans tes tranſports ? La Mere du Dieu des Buveurs ne mourut-elle pas, quand Jupiter cédant à ſes inſtances, la foutit en Dieu ; car ne vous y méprenés pas, Meſſieurs les Mytologiſtes, ce n’eſt pas l’apareil, l’éclat, ni la Majeſté du Souverain des Cieux, qui ravirent le jour à Semele, c’eſt le Foutre embrâſé qui ſortoit de ſon Vit. Mahomet, je ſuis ta loi, je ſuis ton plus fidéle Croyant ; mais tiens-moi parole, fais-moi joüir pendant mille ans des embraſſemens continuels du plaiſir toujours renaiſſant de la décharge délicieuſe que tu promets à tes fidéles avec tes Houris, rouges, blanches, vertes, jaunes, la couleur n’y fait rien, que je décharge, c’eſt tout pour moi[1].

Nicole étoit enchantée de moi, j’étois enchantée de Nicole. Quelle différence entre une vieille & une jeune ! Une jeune le fait par amour, une vieille ne le fait que par habitude. Vieillards laiſſés la Foutrie à la jeuneſſe, c’eſt un travail pour vous, c’eſt un plaiſir pour elle.

Mon Vit plus dur qu’il ne l’étoit avant l’action, reſtoit dans ſon étui ſans s’amolir. Nicole me ſeroit avec plus de feu, & le même feu qui m’animoit, me la faiſoit ſerrer avec plus de roideur encore : elle ne m’auroit pas lâché pour un trône, je ne l’aurois pas quittée pour l’empire de l’univers. Bien-tôt un mouvement nous fit recourir après ce que nous venions de perdre ; l’imprudence eſt le partage de l’amour, le bonheur vous ébloüit, vous en êtes trop occupés, pour penſer qu’il peut s’évanoüir. Nous nous trahîmes par nos tranſports : le lit étoit apuyé contre la cloiſon de la chambre voiſine, nous ne ſongions pas que Françoiſe étoit dans cette chambre ; qu’elle pouvoit ſe reveiller au bruit que nous faiſions par les ſecouſſes indiſcretes que nous donnions au lit, qui frapant contre cette cloiſon, l’eût bien-tôt miſe au fait de ce qui ſe paſſoit dans ſa chambre. Plus vîte que l’éclair, elle accourt à la porte, point de clef ; comment faire ? Apeller Nicole, elle le fit. A cette voix terrible, nous fûmes glacés d’effroi, nous nous arrêtâmes tout court, & la vieille ceſſa de crier ; mais nous ceſſâmes bien-tôt d’être ſages. Trop animés pour reſter long-tems dans une inaction auſſi gênante, nous reprîmes notre ouvrage : mais quoique nous le fiſſions avec toute la diſcrétion poſſible, la vieille qui avoit l’oreille au guet, ne prit pas le change : elle demêla dans le bruit ſourd de nos ſoupirs, & des mots interrompus qui nous échapoient, le motif de notre ſilence ; nouveau tapage : Nicole, crioit-elle, en frapant contre la cloiſon, miſérable Nicole, finiras-tu ? Nouvelles allarmes de notre part ; mais me mettant bien-tôt au-deſſus de la crainte, je dis à Nicole que, puiſque nous étions découverts, il étoit inutile de nous gêner. Elle aprouva par ſon ſilence cette réſolution courageuſe, &, me donnant elle-même le premier coup de cul, en me remettant ſa langue dans la bouche, elle me piqua d’honneur, & tels que de généreux guerriers, qui bravans dans leurs lignes le feu d’une artillerie meurtriere, braquée contre eux ſur un rempart, continuent tranquillement leur ouvrage, & rient du bruit impuiſſant du canon qui gronde ſur leurs têtes, nous travaillâmes intrépidement au bruit des coups que Françoiſe donnoit contre la cloiſon. Nous achevâmes, & ſoit que l’interruption, ſoit que le bruit que la vieille faiſoit encore, eût donné une pointe de vivacité à nos plaiſirs, nous nous avoüâmes reciproquement que nous n’en avions pas encore goûtés d’auſſi vifs.

Le faire cinq fois en fort peu de tems, ce n’étoit pas mal s’en tirer pour un convaleſcent, convaleſcent encore de quelle maladie ! Je ſentois cependant que je n’étois pas tout-à-fait hors de combat : il falloit avoir de la ſageſſe pour ne pas ſe laiſſer aller ; je l’eus cette ſageſſe, je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la reflexion eût bonne part dans ma modération ; la Dame Françoiſe pourroit à la fin s’impatienter de ce petit manége, des honnêtes remontrances paſſer aux cris des cris, que ſais-je, ſonner le toccin ſur nous, on peut-être venir faire ſentinelle à notre porte, s’expoſer au riſque d’être arrêtés au paſſage, mauvaiſe affaire, reſter dans la chambre aſſiégés juſqu’au jour, au bout du compte, il auroit fallu ſortir, comment ? nuds : cela n’auroit pas été honnête, un jeune homme, une jeune fille dans cet équipage-la. Le parti le plus ſûr étoit de faire une prompte retraite : je la fis ; mais avant que de gagner mon lit, je jugeai prudemment que je ne ſerois qu’un ſot, ſi je laiſſois ſubſiſter dans l’eſprit de Nicole l’opinion trop avantageuſe que j’y avois fait naître ſur le compte de l’Abbé, il en auroit trop coûté à mon amour propre de faire à ce marouffle le ſacrifice de la gloire que je venois d’acquérir ſous ſon nom. De la vanité à moi, cela vous fait rire, Lecteur, n’eſt-il pas vrai ? J’aurois voulu vous voir à ma place. Je vous ſupoſe rival comme je l’étois, & ſenſible au plaiſir de vous vanger, je gage que vous auriés été auſſi fat que moi, & que vous auriés dit, comme je le fis : ma belle Nicole, vous ne devés pas être mécontente de moi ? Là-deſſus elle vous auroit aſſuré que ſon cœur étoit charmé. N’eſt-il pas vrai, auriés-vous repris, que vous n’en attendiés pas tant d’un petit drole, que vous avés toujours mépriſé : vous aviés tort, & il ne méritoit pas le traitement que vous lui avés fait ; car vous voyés que les petits valent bien les grands ; adieu, ma chere Nicole, je m’apelle Saturnin, pour vous ſervir : vous l’auriés embraſſée, & puis vous l’auriés laiſſée là, bien étourdie de votre compliment : vous auriés gagné la porte, vous l’auriés ouverte (on avoit laiſſé la clef dans la ſerrure) & vous auriés été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veüille que vous l’euſſiés fait auſſi heureuſement que moi.

Frapé de la bizarrerie des avantures qui venoient de m’arriver, j’attendois avec impatience que le jour vint m’aprendre quelles ſeroient les ſuites d’une nuit auſſi ſinguliere : j’étois charmé du déſaſtre de l’Abbé, & de ma bonne fortune. Comme perſonne (excepté Mademoiſelle Nicole ſur la diſcrétion de laquelle je pouvois compter) ne me ſoupçonnoit de rien, je me faiſois d’avance une comédie de la figure que je verrois faire à nos acteurs nocturnes, & je me promettois d’autant plus de plaiſir, que je ſerois le ſeul à qui elle devoit être indifférente. Monſieur le Curé, diſois-je, aura un air ſombre, taciturne, ſera de mauvais humeur, feſſera, qu’il feſſe, ce ne ſera pas moi, ou je jouërai de malheur. Françoiſe examinera tous les écoliers l’un après l’autre ; avec des yeux dont la fureur rendra l’écarlate plus vif & plus brillant : elle cherchera parmi les grands celui ſur qui elle doit ſe vanger, non des plaiſirs qu’elle a eus, mais de ceux qu’il a donnés à ſa fille : ſi elle me reconnoit, elle ſera bien fine. Nicole n’oſera ſe montrer, ſi elle ſe montre, elle rougira, ſera honteuſe, me fera la mine, peut-être les yeux doux, que ſait-on ? Elle eſt friande, ferai-je le cruel ? Peut-être l’Abbé ſera-t’il caſſé au gages, oh pour lui, il n’en ſera que plus impudent.

J’étois ſi fort occupé de toutes ces penſées, que je ne ſongeois pas à dormir, & l’Aurore aux doigts de roſe avoit déja ouvert les portes de l’Orient, que je n’avois pas encore fermé l’œil. J’avois pourtant beſoin de repos : le ſommeil qui ſembloit avoir reſpecté mes refléxions, vint auſſi-tôt qu’elles furent ceſſées, & ce ne fut pas ſans peine qu’on vint à bout de me le faire rompre au milieu de la journée. Que devins-je à la vûë de Toinette, qui placée au pied de mon lit, paroiſſoit attendre mon reveil. Je palis, je rougis, je tremblai, je crus que mon procès étoit fait & parfait, qu’on avoit découvert que j’avois eu part aux déſordres de la nuit, & que j’allois les payer. Cette penſée accablante me fit retomber ſans force ſur mon lit. Hé bien, Saturnin, me dit Toinette, eſ-tu encore malade, pas de reponſe. Le révérend Pere Policarpe va donc partir ſans toi, continua-t’elle, il comptoit pourtant t’emmener avec lui. A ce mot de depart, ma triſteſſe ſe diſſipa ; il part, dis-je à Toinette avec vivacité, hé vraiment je me porte à merveille, dans le moment je m’élançai hors du lit, & je fus habillé avant que Toinette ſongeât à faire attention au paſſage ſubit de la triſteſſe à la joye que je venois d’éprouver en ſi peu de tems : je la ſuivis.

J’étois trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venoit de m’aprendre pour quitter avec regret la maiſon du Paſteur. Je ne penſai pas même que je ne reverrois plus Suzon. Je trouvai le Pere Policarpe qui m’attendoit. Il fut charmé de me revoir. Je paſſe ſous ſilence les careſſes d’Ambroiſe, les baiſers, les larmes même de Toinette : elle en repandit, j’en jettai moi-même. Me voila en croupe ſur le cheval du valet de ſa Révérence. Adieu, Pere Ambroiſe : adieu, Madame Toinette, ſerviteur. Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voila au Couvent.


Fin de la premiere Partie.

  1. Comme la Religion Mahométane n’eſt faite que pour le plaiſir de la Coüille, Mahomet n’a pas oublié de placer dans ſon Pardis des eſpéces de Devizules capables de le procurer ; ce ſont ces Houris rouges, blanches, jaune, vertes à diſcretion.